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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. Supplément réalisé par Eddy Przybylski LA GRANDE GUERRE À HAUTEUR D’HOMME Première partie : “Prendre Liège, un préalable indispensable pour les Allemands.”

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Supplément LLB du 8 mai 2014

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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Supplément réalisé par Eddy Przybylski

LAGRANDEGUERRE

ÀHAUTEURD’HOMMEPremière partie : “Prendre Liège,un préalable indispensable pourles Allemands.”

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Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts28 juin 1914 L’archiduc François­Ferdinand, héritier du trône d’Autriche, est assassiné à Sarajevo parun idéaliste de 19 ans. L’attentat débouche sur un conflit mondial, aussi simplement que s’effondre unchâteau de cartes. Pour l’expliquer, il faut évoquer l’effritement du grand Empire ottoman au cours duXIXe siècle. LaGrèce s’en est détachéepourproclamer son indépendancedès 1830. Puis la Bulgarie. Et laSerbie, capitale Belgrade. Ensuite, en 1909, l’Empire autrichien s’empare de la Bosnie, capitale Sarajevo.Impuissant, le gouvernement de Constantinople laisse faire.Les Serbes sont furieux. Le professeur Tixhon, de l’Université deNamur : “Comme tous les États européensde l’époque, la Serbie développe un nationalisme extrême. On y rêve d’une Grande Serbie qui irait jusqu’auxfrontières de la Grèce. De plus, la Bosnie offrirait aux Serbes l’accès à la Méditerranée. Belgrade, en s’appuyantsur les Serbes vivant en Bosnie, alimente une espèce de terrorisme et développe l’agitation et un sentiment anti­autrichien. L’assassinat de Sarajevo s’est déroulé dans ce contexte­là. L’auteur est un Serbe de Bosnie, membred’un groupe révolutionnaire. Les Autrichiens sont persuadés qu’il a été téléguidé par le gouvernement serbe.”Le professeur Balace, de l’Université de Liège : “L’arme du crime est un pistolet automatique BrowningF1903 provenant d’un lot qui avait été livré par la FN de Herstal à la Serbie deux mois avant l’attentat. C’est cequi a fait penser que Belgrade avait organisé l’assassinat.” D’où l’exigence des Autrichiens : ils entendentaller eux­mêmes mener l’enquête à Belgrade. Les Serbes refusent au nom de l’intégrité nationale. LesAllemands incitent les Autrichiens à la plus grande fermeté.

23 juillet L’Autricheposeunultimatumet, le 28, elle déclare la guerre à la Serbie. Le 29, laRussie, défende­resse de la Serbie, déclare la guerre à l’Autriche.

28 juillet Il y a déjà des bombardements sur Belgrade. C’est le vrai début de la guerre.

31 juill et À Paris, Jean Jaurès, prêcheur du pacifisme, est assassiné et, le lendemain, 1er août, l’Allemagnedéclare la guerre à laRussie; la France, alliéedes tsars, décrète lamobilisationgénérale. LaBelgique, paysneutremais craignant l’invasion, le fait également.

2 août L’Allemagne envahit le Luxembourg et exige que la Belgique laisse passer ses troupes.

3 août La Belgique refuse. L’Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique.

4 août À l’aube, les Allemands pénètrent sur le sol belge. À 10 h, à Thimister, Antoine Fonck est le premiersoldat belge tué. Àmidi, discours du roi Albert devant le Parlement. Appel à l’aide des Britanniques, ga­rants de notre neutralité, et des Français. La Grande­Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

5 août Sur la route de Liège, l’armée belge oppose auxAllemands une résistance inattenduequi provoqueen retour une brutalité terrifiante. Lesmaisons de Battice sont incendiées le 6 et celles de Herve le 8.

6août LesAllemands sont à Liège. Ils peuvent prendre à revers les 12 forts censés protéger la ville. Flémalleet Hollogne tiendront jusqu’au 16. Les Allemands entreront dans Bruxelles le 19.Les armées belges se replient vers Anvers.

15 et 16 aoûtÀDinant, l’armée française subit le baptême du feu.

22 août Cette fois, la guerre éclate. Grandes batailles près de Virton : à Rossignol (plus de 15000 morts),à Éthe, mais aussi à Namur, à Charleroi et à Mons. Les Français perdront, ce jour­là, plus d’hommesqu’en huit ans de guerre d’Algérie. Le 23, ça se bat à Dinant où 674 civils sont abattus. Il y aura d’autrestueries : à Andenne, à Seilles, à Tamines... Vaincus, les Français ont ordre de se replier vers laMarne.

25 août Première des trois sorties des troupes belges d’Anvers assiégée. Notre armée occupe ainsi 150000soldats allemands alors que se prépare la grande bataille de laMarne.

9 septembre Sur la Marne, les 150000 soldats allemands retenus en Belgique manquent aux envahis­seurs. C’est la victoire française et la retraite générale de l’armée allemande pour qui l’objectif change :contourner Paris par le nord et prendre les ports deDunkerque, deBoulogne et deCalais afinde contra­rier les débarquements britanniques. On appellera cela “La course à la Mer”. Ainsi, l’Yser et le Nord de laFrance deviendront les principaux champs de bataille de 14­18.

9 octobre L’armée belge quitte Anvers et se replie au­delà de l’Yser. La Bataille de l’Yser débute le 19.

7mai 1915Depuis février, lesAllemands ont lancé les premiers sous­marins. Ils torpillent tous les bateauxqui font route vers l’Angleterre, y compris ceux des pays neutres. Ce 7 mai, le Lusitania, un paquebottransatlantique, est coulé : 1200 morts dont 128 ressortissants américains. Ce fait tragique influencel’entrée en guerre des États­Unis.

2 avril 1917 Entrée en guerre des États­Unis. Les premiers corpsmilitaires américains débarquent à Nan­tes et La Rochelle à partir d’octobre 1917. Mais les troupes n’entrent pas tout de suite dans la bataille.On prend le temps de rassembler deuxmillions d’hommes.

6 juillet 1917 Lawrenced’Arabie entre dansAqaba. Audébut de la guerre, l’immenseEmpire ottomanhé­sitait. Plusieurs archéologues britanniques, occupés sur des chantiers en Turquie, servirent d’espionsafin de convaincre Constantinople de rejoindre les alliés. Thomas Lawrence était l’un d’eux. Les préten­tions françaises en Algérie et anglaises en Égypte, décidèrent le sultan à choisir l’Allemagne. Lawrence,promu colonel, fut envoyé dans les déserts arabes afin de retourner les tribus contre les Turcs. La vic­toire d’Aqaba précipitait la chute de l’Empire ottoman.

Printemps 1918 Sur la côte Atlantique, les Américains arrivent à raison de 200000 hommes par mois.L’Empereur et le haut commandement allemand s’installent à Spa et préparent, avant que ne se metteenmarche l’armée amércaine, une offensive de la dernière chance.

Avril 1918 La grande offensive américaine commence. Les Allemands comprennent très vite que la guerreest perdue. Mais l’Empereur sait que la défaite signifie son abdication. Il retarde sa signature.

11 novembre 1918 Les Allemands signent un armistice avant que leur pays ne soit envahi. Bilan : le coupde feu du 28 juin 1914 à Sarajevo aura causé la mort de 18 millions de personnes. En Belgique,42700militaires ou assimilés ont perdu la vie. On compte aussi 24 500 victimes civiles.

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

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Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts Tout le monde le sait : la Première Guerremondiale trouve ses origines à Sarajevo.Mais tout de suite, les armes se sonttournées vers la Belgique

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

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l La question

A-t-il tuél’Allemand ?Selon Alain Leclercq, auteurd’une série de livres sur 14­18(Les plus grands héros belges dela Première guerre, éd. Jour­dan), c’est “oui”. Il soutientque Fonck a bel et bien tué unsoldat allemand avant d’êtreatteint lui­même. “Il y a eu uncadavre allemand : c’est uneréalité incontestable. On a ditque c’était une balle allemandeperdue. C’est peu probable. Onsait aussi que les Allemands s’enprennent à sa dépouille, qu’ilspercent de coups de baïonnet­tes. Il doit y avoir une raison àcela. Il est vrai que l’attitude deFonck peut paraître suicidaire.Mais les combattants de 14 ontcette mentalité. On fait laguerre de façon chevaleresque.”Le professeur Balace, lui,

n’y croit pas. “Fonck n’était pasun combattant : il était en mis­sion de reconnaissance. Il devaitramener des informations. Avecsa lance et son képi à chapeauplat, il aurait été bien embar­rassé de sortir une carabinequ’il portait à la grenadière,dans le dos. Je pense qu’étant unrappelé, il montait un chevalqu’il ne connaissait pas bien et,en apercevant la cavalerie alle­mande, son cheval s’est mis augalop. Fonck n’a pas eu le tempsd’apercevoir les cyclistes.La première balle a été pour soncheval et la suivante pour lui.”

l Le témoin

Georges Legros

Georges Legros n’a pas seulement été échevin de Thi­mister­Clermont. Il est aussi un collectionneur pas­sionné de tout ce qui touche à sa commune. “J’ai com­mencé par les cartes postales et je possède aujourd’hui32000 pièces de toutes sortes : affiches, documents an­ciens…”Les événements d’août 1914 l’ont toujours passionné.

Il a eu l’occasion de s’informer à bonne source : “J’étaisfacteur ! J’ai connu les personnes âgées qui avaient vécu cesévénements. Je les ai interrogées. Ce qu’elles en ont retenu,c’est que, pendant trois à quatre mois, il y a eu un vacarmeincessant sur la grand­route. Jour et nuit, il y avait du pas­sage. Des hommes, des chevaux, des charrettes, de l’artille­rie…”

“Ils étaienttrès énervés”

Georges Legros“Quand ils sont arrivés cheznous, les Allemands étaienttrès énervés. Ils venaient detraverser La Calamine,Montzen et Henri­Chapelle,des villages où le patois étaitproche de leur langue et oùils n’ont connu aucunproblème. Les premièresentraves à leur marche versLiège ont commencé cheznous : arbres en traversde la route, tombereauxde fumier, fils barbelés,pavés enlevés… Ce sontdes civils qui avaient fait ça.Les Allemands ont comprisà ce moment­là que la po­pulation belge allait leurêtre hostile. Le vieux Pau­chenne l’a payé de sa vie.”

4 AOÛT 1914 THIMISTER-CLERMONT

Le vrai premier mort de la guerreLe soldat Fonck, unmilitaire allemand ouun paysan de 70 ans ?

n Un incident de frontières’est produit le 2 août 1914à Joncherey, au sud de Metz.Il y a eu des coups de feu. Uncaporal français Jules­AndréPeugeot, 21 ans, et le sous­lieutenant allemand, CamilleMayer, 20 ans, sont présentéscomme les premiersmorts dela Guerre 14­18.Sauf que, les puristes belges

font valoir que la guerren’a été déclarée que le lende­main, le 3 août. Dès lors,le premier militaire tué de­vient Antoine Fonck, un Ver­viétois de 21 ans, abattu parun soldat cycliste allemandle 4 août à 10 h., sur la grand­route entre Aix­la­Chapelle etLiège, à hauteur du village de

Thimister. En 1923, à l’en­droit précis, un monumenta été inauguré en présence desa grand­mère.Car Antoine Adolphe Fonck

n’avait plus ses parents. Il les aperdus très tôt et il avait étéélevé par cette grand­mère,ainsi d’ailleurs que son frèreet sa sœur. Il commença à tra­vailler jeune au Grand Bazarde Liège où il a étémagasinier.Il avait une passion pour leschevaux et, dès ses 18 ans, en1911, il s’engagea pour troisans à l’armée. Admis dansla cavalerie, au 2e régimentdes Lanciers, il réalisait sonrêve. Il n’était pasmarié et n’apas de descendance directe.Mais Fonck a­t­il bien été

le premier mort de cetteguerre ? Le lendemain, les ha­bitants deThimister sont allésprendre son corps pour l’en­terrer et ils ont aussi ramenéle cadavre d’un soldat alle­mand. Longtemps, on a expli­

qué que celui­ci avait été tuéparméprise par un autre Cas­que à Pointe, maisaujourd’hui, certains histo­riens pensent que l’Allemanda été tué par Fonck lui­même.Surpris enmissionAlors qu’il se trouvait sur

cette grand­route, en missionde surveillance, il aurait étésurpris par la présence dequelques soldats cyclistes quiprécédaient le gros des trou­pes et se trouvaient déjà dansla prairie, le long de la route.Fonck a essuyé un premier tir.Son cheval, touché, est tombé.Fonck, alors, aurait eule temps de mettre un genouau sol, de viser le groupe etd’atteindre un Allemand.Ses compagnons se seraientenfuis et Fonck aurait eu uneaudace fatale : il les auraitpoursuivis. À un moment,les fuyards se sont retournéset il devenait une cible facile.Il y avait là, à l’époque,

une haie d’un bon mètrevingt pour séparer la routedes champs. Fonck a couruvers la haie pour s’y mettreà l’abri, mais il n’eut pasle temps de la franchir. Il a étéatteint à la nuque.Le soldat allemand ne serait

pas pour autant le premiermort de la guerre : il y en avaiteu un autre, une demi­heureplus tôt, qui, lui, n’était pasmilitaire. L’histoire nous a étéracontée par Georges Legros,un ancien échevin de Thimis­ter­Clermont qui, sur place,est le spécialiste de la ques­tion : “Ce 4 août, quand les Al­lemands sont arrivés chez nous,un vieux monsieur, ThéodorePauchenne, âgé de plus de70 ans, a été abattu. Probable­ment parce qu’il n’a pas com­pris l’ordre d’un Allemand.Le brave homme était occupéà couper de l’herbe, près dela chaussée. C’est lui le vrai pre­mier mort de la guerre.”

Des cyclistes dans une prairie

Georges Legros connaîtévidemment par cœur l’af­faire du cavalier Fonck. “Celas’est produit à côté de laferme Bolsée. Les Bolséeétaient à leur fenêtre et sui­vaient l’arrivée des Alle­mands. Ils ont tout vu. Cequ’ils ont raconté a été re­transcrit par l’instituteur duvillage, Hyacinthe Ernst, qui aconsigné dans un cahier tousles événements de la guerre.”Commence alors le récit decette journée historique du4 août 1914. “Le comman­dant Morisseaux envoie deuxestafettes avec mission des’informer sur les déplace­ments de l’armée allemande.Une est envoyée vers Aubel enpassant par Froidthier. Elleest composée de quatre hom­mes à cheval sous l’autoritédu lieutenant Baptiste : il y ale maréchal de logis Eloy, lebrigadier Stainfort, et lescavaliers Bausler et Hamès. Ilsauront aussi un tué : le briga­dier Stainfort.“L’autre groupe part vers laligne axiale, la grand­routequi vient d’Aix­la­Chapelle etque les gens de l’époque appel­lent la chaussée. Trois hom­mes : le brigadier Frère, letrompette Kreit et le cavalierFonck.”

Ces hommes à cheval por­tent l’uniforme des lanciers.Veste­bleu gris; sur la tête unétrange képi plat à la polo­naise (la schapska) et, enplus de la carabine devenueindispensable, le sabre et –on est chez les lanciers – lalance.Ils ne restent pas très éloi­gnés l’un de l’autre, maischacun va dans sa directioninterroger les gens qu’ilscroisent dans les campagnes.

À hauteur du chemin de fer,Fonck rencontre le directeurdes Charbonnages de laMinerie, M. Preud’homme.Avec un de ses ouvriers,unminier, il tente de fairesauter le pont aujourd’huidisparu qui passe au­dessusdes rails de la ligne 38A,Battice – Verviers. Fonckdoit négocier pour traverserle pont, qui ne sautera fina­lement pas : ils n’auront pasle temps de fixer les explo­

sifs car les Allemands sontdéjà au bout de la chaussée.Un peu plus loin, Fonckinterroge un fermier, NicolasThimister. Il sera le dernier àlui parler.On se trouve à un lieu­ditla Croix Polinard, à peu prèsà hauteur de la chapelle quel’on peut apercevoir à deuxcents mètres dumonumentFonck.Alors, Fonck avance endirection de la ferme Bolsée.C’est là qu’il est pris pourcible par un des soldatscyclistes qui se trouvaientdans la prairie, en avant­garde.Dans les années cinquante,la Fraternelle des Lanciersa interrogé un des compa­gnons de Fonck, le brigadierFrère : “J’ai observé que Fonckavait disparu de ma vuederrière le coude que la routefaisait à cet endroit. Puis j’aientendu quelques coups de feuet Kreit est revenu au galopen criant : “Fonck est tué !”Alors, nous avons rejointBattice pour aller faire rap­port au commandant Moris­seaux. Immédiatement, ila rassemblé son peloton eta donné l’ordre de la retraitevers Herve. À 13 heures,l’escadron est rentré à Liège.”

Des fermiers, qui suivaient les événements à la fenêtre, ont vu toute la scène

GEOR

GESLEGR

OS

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La chance du collectionneur : Georges Legros a trouvé récemment, en France, cette photo qu’il ne connaissait pas : un groupe demilitai-res allemands pose dans les rues de Thimister.D.H.

COLLEC

TION

GEOR

GESLEGR

OS

Ces journées-là

Objectif Liège !

n En franchissant notre fron­tière, ils ont pris cette grand­route bordée de platanes qui, ve­nant d’Aix­la­Chapelle, traverseBattice et Herve, et mène droit àFléron, dans la banlieue de Liège.Une grand­route, c’est peu dis­

cret. Mais il n’y a pas que lestroupes : le charroi et, surtout,la lourde et encombrante artille­rie sont amenés sur les champsde bataille. Les hommes et les ca­valiers sont là pour les protéger.À 10 h, le cavalier Fonck est tué

à Thimister. Vers midi, l’avant­garde allemande se trouve à Bat­tice. Vers 14 h, les premiers grou­pes de soldats entrent dansHerve. Fléron, c’est autre chose !Il s’y trouve un des douze fortsqui défendent Liège.Deux autres armées alleman­

des ont pris la direction de Gem­menich où elles se sont scindées.Une est partie vers Aubel, Blégnyet le fort de Barchon. L’autrea pris la direction de Visé où, versmidi, se sont déroulés les pre­miers combats de cette guerre.Ça, les Allemands ne s’y atten­

daient pas. Ils étaient persuadés,en préparant l’invasion, que laBelgique n’opposerait qu’une ré­sistance symbolique : l’arméebelge était en pleine réorganisa­tion. Léopold II avait, en 1909,instauré un servicemilitaire obli­gatoire pour un fils par famille.Puis, cela a évolué très vite. Dès1913, service obligatoire pourtous les jeunes hommes. L’objec­tif n’était d’avoir une vraie arméeefficace en 1919 ou 1920.L’historien Axel Tixhon : “L’ar­

mée belge s’était préparée à l’inva­sion et, contrairement à ce qu’ona dit, pas si mal que ça. La FabriqueNationale d’Armes de Guerre luifournissait un matériel performant.Ce qui manquait : les sous­officiers.La troupe n’était pas toujours enca­drée comme il l’aurait fallu.”Le professeur Balace : “Les sémi­

naristes, les curés et les instituteurséchappaient au service obligatoire,mais, en cas de guerre, ils étaientappelés comme brancardiers.Ces gens avaient pourtant un ni­veau d’instruction très supérieurpour l’époque qui leur aurait per­mis de faire de bons officiers.”Pour les Allemands, la situation

est tout simplement catastrophi­que. Ils voulaient entrer au plusvite en France, profiter d’un effetde surprise qui leur aurait permisd’être en quelques jours à Paris.Au lieu de cela, la résistance desForts de Liège va permettre auxFrançais – et auxAnglais ! – de ve­nir combattre l’ennemi sur le ter­ritoire belge et, pendant que no­tre armée attire l’Allemand versAnvers puis l’Yser et para­lyse150000hommes, les Fran­çais ont le temps de s’organiser etla grande bataille de la Marne, du6 au 9 septembre, se terminerapar une déroute allemande.

Le cavalier Antoine Fonck a été le premier sol-dat belge tué dans cette guerre.

COLLEC

TION

GEOR

GESLEGR

OS

Voici le fantassin allemand tel que ledécouvrent nos populations.

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

EOIS

4-5 La Grande guerre à hauteur d’homme

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6 et 8 AOÛT 1914 - HERVE et BATTICE

Villes martyres !Vaincus et furieux, les Allemands s’enprennent aux populations.

n Sur les hauteurs de Verdun, ville emblématiques’il en est de cette Première guerre, l’ossuaire deDouaumont a recueilli les restes de 130000 soldatsinconnus des deux camps, allemands et français. Il ya là un monument pour honorer la première villemartyre. Cemonument cite Herve.Historiquement, il aurait plutôt fallu nommer Bat­

tice. Les deux localités sont distantes de 2km et il estvrai que, vu de France, il s’agit de lamême région.Ce 4 août, ce sont les Allemands énervés de Thi­

mister qui sont arrivés àBattice, deuxheures après lamort du cavalier Fonck. La ville était vide. C’est queBattice n’est pas Thimister.Thimister est un village éloigné de la route. Pour le

moment, les Allemands ne font qu’avancer. On nes’occupe guère des campagnes.Battice, elle, est percéepar la grand­route. Les trou­

pes vont traverser la ville que les gens, paniqués, ontfuie. Tout au plus, il reste une cinquantaine de per­sonnes. Les soldats enfoncent les portes de lamaison

communale et ils pillent maisons et magasins.Ce sera le premier forfait du genre. Le premier d’unetrès longue série.Trois des civils, parmi ceux qui sont restés, sont

emmenés, accusés d’espionnage.Ils seront fusillés le soir même.Deux heures plus tard, les mêmes

soldats commettent les mêmes for­faits à Herve. Près du pont Malakoff,un officier aperçoit quelques jeunesgens et s’adresse en allemandà Dieudonné Dechêne, 24 ans.Le jeune homme ne comprend pas,ne répond pas, tourne le dos et s’enva. Furieux, l’officier tire. Dechêne estmort.Quelques heures plus tard, “Tout ce qui peut l’être

est occupé, y compris l’église.” L’expression est del’abbéMaurice Dechaineux dans son livreHistoire il­lustrée de Herve et des Herviens,Néanmoins, à 21 heures, les troupes reçoivent l’or­

dre de départ pour une première attaque des fortsde Liège et, à 23 heures, les derniers soldats ontquitté Herve. Mais à 1 heure du matin : “Les Alle­mands rentrent en ville en pleine course comme s’ilsétaient pourchassés. Ils tirent contre des maisons.

Jean Mathonet se trouve sur leur passage devantle 14 de la rue de l’Hôtel de Ville. Il reçoit deux coupsde baïonnette dans le ventre.”Cette nuit­là sera marquée par le premier des in­

cendies volontaires commis parles Allemands de 14 : “Ils mettentle feu à la forge et, le lendemain matin,ils obligent le bourgmestre à afficherque l’incendie a été provoqué parun obus du fort de Fléron.”Le 5, ils s’attaquent encore aux

forts de Fléron et d’Évegnée.Les combats se poursuivent dansla nuit du 5 au 6 mais là, le chef

de l’armée allemande, le général von Wussow, esttué. Le général Erich Ludendorff est là et prendspontanément le commandement de la 14e brigade.Les soldats se replient et la petite ville de Retinne,

qui se trouve sur leur passage, fait les frais de leur co­lère : 18maisons incendiées et 40 civils tués. Ensuite,les Allemands vont semettre à l’abri àHerve et, deuxkilomètres plus loin, à Battice.La ville de Battice, dans la journée du 6, et Herve,

deux jours plus tard, vont devenir les premières vil­lesmartyres.

“Tout ce qui peutl’être est occupé, ycompris l’église.”Abbé Maurice Dechaineux

Les cloches de l’églisede Battice s’effondrentdans le brasier147 bâtiments sont détruits,32 personnes sont tuées.

Pour une armée qui est repoussée de Liège et quirecule, Herve se trouve avant Battice. Dans un premiertemps, les Allemands vont pourtant épargner la ville.C’est qu’à Herve, l’orphelinat des sœurs de la Miséri­corde et l’hospice Sainte­Élisabeth ont été transformésen hôpitauxmilitaires pour les blessés allemands, sousla protection de la Croix Rouge.Dès lors, la colère des troupes bousculées va se con­centrer sur Battice. Les soldats tirent vers les vitres,en visant les habitants s’ils les y voient. L’échevinRaphaël Iserentant, sa femme, son beau­frère etsa servante sont massacrés dans la cave de la fermeoù ils s’étaient réfugiés.Les Allemands pillent les maisons et les fermes et,en partant, ils y mettent le feu. La journée fera32morts parmi la population civile. 147 bâtimentssont détruits par l’incendie. Même la tour de l’égliseSaint­Vincent n’est plus qu’un brasier. On entendun bruit terrible : les cloches s’effondrent lourdementdans les flammes.À Aix­la­Chapelle, les journaux expliquent quele bourgmestre de Battice avait tué le commandantdes troupes allemandes devant l’église, après un dis­cours de bienvenue et après la capitulation de la ville.Un purmensonge.De Herve, on aperçoit les flammes de l’incendiede Battice. Les nouvelles circulent vite : dans la jour­née du 6 août, une très grosse partie de la populations’enfuit vers Verviers.Dans la nuit du 7 au 8, un officier, un comte, ordonnel’évacuation des blessés allemands et fait comprendreque la ville doit être brûlée à son tour. Unmédecins’indigne. Mais : “À la guerre, on ne connaît que lesordres.”La journée du samedi 8 août sera celle du calvairede Herve.

Des gens venus des villages voisins participent aux pillages

Se retrouver deux foisface à un peloton d’exécution...

ÀHerve, la rage incendiaire a commencé parla gare. Puis ce fut l’Hôtel du Chemin de fer etla rueMoreau. L’abbéMaurice Dechaineux :“Le vent qui souffle ravive les flammes. Les soldatstirent rageusement sur ceux qui tentent d’arrêterl’incendie.”296maisons seront détruites. De l’Hôtel de Ville,il ne reste que la façade principale et les deuxmurs de côté. Il faudra en reconstruire un nou­veau qui sera inauguré en 1929.Dans le haut de la ville, les Allemands arrachentles habitants à leurmaison. Ils laissent retournerles femmes et les enfantsmais conduisent25 Herviens vers Labouxhe­Mélen où ils lesfusillent et les achèvent ensuite à la baïonnette.Ces victimes reposent aujourd’hui dans le cime­tière de Labouxhe­Mélen, le long de la Grand­Route d’Aix­la­Chapelle, à quelquesmètres del’accès de l’autoroute E40, parmi les 128 civilsoriginaires de Battice, Herve, Julémont, Souma­gne etMelen, qui furent fusillés par les Alle­mands entre le 4 et le 12 août.Il y a là sixmembres de lamême famille Cresson,quatre de la famille Lecloux et trois Cabodi.Il s’agit de trois frères âgés de 18, 16 et 14 ans.Leur petite sœur et un autre petit frère faisaientaussi partie du sinistre cortège. La première a étésauvée parce qu’elle a eu un petit besoin. Les sol­dats l’ont laissée aller. L’autre s’est enfui. Un Alle­mand a voulu tirer. Un autre l’a calmé : “C’est unenfant.” Ils l’ont laissé partir.Sur place, aumoment de la fusillade, un seul a eula vie sauve : un certain Defooz. Il s’est laissétomber avant les premiers coups de feu etson corps a été recouvert par les autres cadavres.À l’intersection des routes de Soumagne etde la Clé, cinquante autres vont être alignés pourêtre fusillés. Au bout d’un certain temps, le chef

donne l’ordre de les libérer. Puis contre­ordre.Les soldats leur courent après, les rassemblentà nouveau et les alignent derechef pour la fu­sillade. L’arrivée d’un officier supérieur les sau­vera définitivement. Mais quelles émotions…Dans les jours qui suivent, il ne reste plus à Herveque 500 personnes. C’est le temps des pillages.Les objets volés par les soldats sont entassés surdes charrettes qui repartent vers l’Allemagne.On verra notamment, rue de la Station, une deces charrettes chargée de cinq pianos. On consta­tera que des civils, venus des communes voisines,viendront semêler à ce pillage.À lamême période, et dans lamême région,il y aura aussi des exactions semblables dansde nombreux villages : Soumagne (100maisonsdétruites et 118 habitants tués), Louveigné(77 habitations incendiées et 29 tués), Olne,Soiron, Saint­Hadelin, Ayeneux, Forêt, Dolhain,Baelen, Magnée…Le 11 août au soir, le fort d’Évegnée se rend.Fléron tombe à son tour le 14. Lesmassacresne vont pas cesser : ils vont se déplacer. Mais,à Herve, par exemple, la vie a presque disparu.

À voir

Parcours de la MémoireChaque année, le 8 août, un cortège part versle cimetière de Labouxhe-Melen, au départ du15, rue Jardon où une plaque rappelle qu’un ha-bitant, Joseph Delfosse, a été abattu là parles Allemands. En vue de ce centième anniver-saire, la commune de Herve est occupée à prépa-rer un Parcours de la Mémoire.

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Les habitants viennent dans la rue Potiérue constater les dégâts. Les photos de ce type ont servi pour la propagande. Les Allemands,pour montrer au pays qu’ils étaient les plus forts. Aux alliés pour convaincre les Américains d’entrer en guerre.

l Emblème

Casque à pointe :jusqu’en 1915

n Le Pickelhauber est assuré­ment l’emblème de l’arméeallemande de la Premièreguerre. Pourtant, ce fameuxcasque à pointe métalliquefut rapidement abandonné.Il avait été conçu pour dé­

vier les coups de sabre portéssur le crâne. Pendant la guerrede 1870, le casque à pointes’était avéré utile.On constata très vite que,

dans les tranchées, il ne servi­rait à rien. À partir de 1915,il fut remplacé par un casquetraditionnel, donné toujourstrop large pour le crâne : de lasorte, on s’assurait que le sol­dat lèverait la tête à la parade.Le casque à pointe est de­

venu un objet de collection.Sur Internet, il arrive d’entrouver à partir de 140 €,mais, le plus souvent, les prixoscillent entre 300 € et 600€.

ADMINISTR

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L’emblématiquecasque à pointeD.

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L’hôtel de ville deHerve a été telle-ment endommagéqu’il fut impossiblede le sauver. En

1929, il a été entiè-rement refait. Ici,une vue avant la

guerre. Et une autre,qui date de 1916.AD

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l Verrou

Ce que lesgénéraux allemandsn’ont pas compris

n Liège, premier objectif desAllemands, a tout : des grandsroutes qui mènent versBruxelles, Namur et Dinant,une grande gare, et la Meuse,pour le transport fluvial. Seulproblème : la ville est ceintu­rée de douze forts armésde gros canons. La situationest résumée par l’historienFrancis Balace : “Le problèmedes Allemands était d’achemi­ner la Première armée, entre200000 et 250000 hommes,à travers cette ceinture fortifiéede 25 km qui verrouille la ville.Leur plan : prélever six brigadesavec mission de passer entreles forts avant que les Belges neplacent de l’infanterie et de l’ar­tillerie dans les intervalles. Pours’emparer de Liège, ils ont prévu30 heures maximum. La gaffe,c’est de ne pas avoir comprisles conséquences de la décisiondu roi Albert de mobiliser dès le31 juillet : nous avions un jourd’avance et cela a permis, préci­sément, d’occuper les intervallesentre les forts et d’y creuser destranchées. Quand les Allemandsse sont présentés, notre arméeétait là. Cinq des six brigadesenvoyées par Ludendorff subi­ront des échecs sanglants.”

L’abbé Labeye, curé de Blégny, tenait un journal des événements. Ce journal s’arrête le vendredi 14 août. Le dimanche 16, le curé étaitfusillé en même temps que le bourgmestre de la commune et deux autres civils, deux frères.

D.R.

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6 AOÛT 1914 DANS LA VILLE DE LIÈGE

Le général évacuédans un wagonnetLes premiers Allemands dansLiège tombent pile surle QG des armées

n Les douze forts qui encerclent la ville protè­gent Liège. Au Sart­Tilman, àRabosée, on se batdans les intervalles entre les forts. Une seulebrigade allemande a pu passer sur la rive gau­che de laMeuse. Elle est en difficulté à Herstal.Le 6 août, à l’aube, son com­

mandant envoie un bataillonde chasseurs à pied en éclai­reurs. Ces hommes se glissententre deux redoutes etles voici sur les hauteurs dela ville. Francis Balace, histo­rien: “Ils descendent par leThier­à­Liège. Rue des Bayards,ils croisent un agent de police encivil, un certain Clerbois. Ils luidemandent combien il y a, dansla ville, de gardes civiques.”L’homme exagère nette­

ment : “Entre 20 000 et25000.” Alors, ces chasseurs àpied remontent cette rue desBayards en défilant à quatre de front. “La popu­lation… les acclame. Il faut savoir que les chasseursà pied allemands n’ont pas de casque à pointe.Ils portent un uniforme différent, plus kaki.Ces gens de Liège les ont vus parler avec l’agentdu quartier. Ils se disent que tout va bien.Et ils crient : “Vive les Anglais !”Au coin de la rue Saint­Léonard, le bataillon

tourne à droite vers le centre de la ville. L’égliseSainte­Foy se trouve à cent mètres. L’état­ma­jor du général Leman, le commandant de laplace de Liège, se trouve précisément dansla rue Sainte­Foy, dans une grosse maison

bourgeoise, entourée de la cour de travaild’une fonderie de canons. “On ne saura jamaissi ces Allemands sont arrivés là par pur hasard ous’il s’agissait d’une opération de commando.En tout cas, le commandant Marchand, qui étaiten train de fumer une cigarette sur le seuil, a vutrois officiers marcher vers lui, revolversau poing. Il a hurlé : “Vous ne passerez pas !” et ila abattu le commandant du détachement. Il y a eualors un véritable combat de rue. Onze Belges sonttués dont trois officiers. Dix­sept Allemands, dontles trois officiers de tête, subissent le même sort.

“Dans les étages, les aides decamp ne pensaient qu’à unechose : sauver le Général.Le pauvre avait 63 ans. Cer­tains disent qu’on l’a catapultépar la fenêtre arrière du pre­mier étage. D’autres qu’il s’estenfui par la fenêtre du rez­de­chaussée. Elle donnait surla cour de la fonderie. Lemanse serait pris les pieds dans desrails qui étaient là pour ame­ner les stocks de charbon de­puis la gare Vivegnis. Dans l’unou l’autre cas, il s’était démis lacheville et il était incapable demarcher.”

Une compagnie belge se trouvait sur le quaide la Meuse. “En les apercevant, les Allemandssont repartis par où ils étaient venus.”Leman décida de transférer son QG dans un

lieu plus sûr. Où ? Cela devait rester un secret.En réalité, il avait choisi le fort de Loncin,le plus éloigné de la ligne de choc éventuelle.“Le général Leman fut installé dans un wagonnetet poussé au bras par quelques officiers jusqu’àla gare de Vivegnis. Là, il fut mis dans une loco­motive jusqu’à la gare Ans­Ouest. Il n’était plustrès loin du fort de Loncin.” C’est ainsi que Lon­cin devint le fort de commandement.

l Premiers duels dans le ciel

Tirer entre les pales n’était pas simpleIl se pourrait que le premier duel aérien de l’Hisoitre ait eulieu dans le ciel de Liège. Le professeur Balace : “Dès 1912,on avait prévu de monter un fusil­mitrailleur à l’avant des avi­ons de l’armée. Mais, à cause des hélices, le pilote ne pouvait tirerque vers le bas. C’est après, plus tard, qu’on a imaginé un systèmepour tirer entre les pales des hélices. Ça n’était pas simple : il fal­lait arriver à régler minutieusement les cadences de tir.

“Par contre, on a parlé d’un duel, en avril 1915, entre un avionTaube allemand, reconnaissable à ses ailes incurvées, et un Far­man belge. Or le Farman de 1914 était un drôle d’avion dans lamesure où il avait les hélices à l’arrière. Le pilote, le lieutenantJacquet, aurait échangé des coups de feu avec le pilote allemand.”

“Il s’est dit qu’il avait fait une bêtise”Le général Leman était convaincu que l’ennemi se trouvait partoutdans Liège. Il fait évacuer trente­cinq hommes

Un bunker avait été aménagé sous la garedu Palais de Liège, avec ligne téléphonique ettout le nécessaire, pour accueillir le généralLeman et son QG en cas de besoin. Le profes­seur Balace : “Mais lorsque l’ennemi déboulerue Sainte­Foy, Leman ne peut pas imaginerque ces Allemands sont arrivés chez lui proba­blement par le plus grand des hasards.“À ce moment, il est persuadé que toute la dé­fense de Liège a été forcée et que les Allemandssont partout dans la ville. Pas question d’allers’enfermer dans un trou à rats.”On est le 6 août au petit matin. “Convaincuque la ville est envahie, il donne l’ordre à toutesa division de battre en retraite vers Louvain.Ce sont 35.000 hommes qu’il faut évacuer.Le 6 août, Leman avait fait sauter le pont desArches, au centre de la ville, pour empêcherles Allemands de traverser la Meuse. Mais il aencore des troupes de l’autre côté du fleuve.

C’est la raison pour laquelle il a préservéles ponts en amont, qui doivent assurer le re­tour de ses troupes.Le général Leman a confié à un gendarme letrésor de la division : “Une véritable fortune,comprenant la solde des hommes, des vivresen cas de siège de Liège et tout ce qui peut êtrenécessaire à une armée en campagne.”Une fois installé à Loncin, il comprend qu’il apeut­être été vite en décision. “Il s’est dit qu’ilavait sans doute fait une bêtise. Il a mêmesongé à faire revenir sa division sur Liège. Maisil faut imaginer ce que cela représente. Ce sontdes hommes qui avancent à pied. Certainssortent de la bataille du Sart­Tilman. Ils sontépuisés physiquement et nerveusement, man­quent de sommeil et sont peu nourris. C’est déjàla cohue. Alors, leur demander de faire demi­tour… Leman y a renoncé.” Le lendemain,le général Ludendorff entrait dans Liège.

La préhistoire desbombardements aériensDepuis la nacelle d’un dirigeable, ils ontlancé treize bombes sur les quais de la Meuse

Les 4 et 5 août, les troupesallemandes ont étémainte­nues au­delà de la ceinturedes forts de Liège et elles sontsurtout subi des revers.Dans la nuit du 5 au 6, l’en­nemi teste un nouveau typed’attaque.Vers 2 h 45, les observateursdu fort de Loncin sont intri­gués par “une tache noire quise détachait dans le ciel”.Un dirigeable, le Köln, sur­vole le centre de Liège àune hauteur de 1450m.Ce ballon en forme de cigaremesure 148mètres de longet vingt passagers se trouventdans sa nacelle. Tout lemonde, à Loncin, pense qu’ils’agit d’un engin affecté àla surveillance et au rensei­gnement. Personne n’ima­gine ce qui va suivre…Dans la nuit, les passagers dudirigeable lancent, à lamain,treize bombes. Elles vonts’écraser sur l’actuelquai Van Beneden et dansla rue de Pitteurs. Treizemorts et de jolis dégâts.Le Zeppelin rentre ensuiteen Allemagne. Il n’a plusservi par la suite car il a étédétruit lors d’un atterrissagede fortune, pour causede tempête, dans une forêtde la région de Bonn.Il s’est dit qu’il s’agissaitdu premier bombardement

aérien de l’histoire. Ce n’estpas exact. Francis Balace :“On avait déjà lâché desbombes depuis des avionspendant les guerres balkani­ques de 1912 et 1913. Mais çan’était pas pratique. Il n’exis­tait pas de système de largage.Ils seront mis au point plustard, pendant cette guerre14­18. Dès lors, les pilotesdevaient lancer les bombes àla main, une à une. Le Zeppe­lin allemand offrait la possibi­lité d’amener des bombes plusnombreuses et plus grosses.”Rien de comparable, évidem­ment, avec les bombarde­ments de la deuxième guerremondiale. “Ce bombarde­ment­ci s’ajoutait aux tirsd’artillerie et l’objectif étaitle même : impressionner ! Ilsvoulaient surtout terroriser lapopulation et inciter le bourg­mestre Kleyer à réclamer dugénéral Leman la redditiondes forts qui entourent la ville.“L’événement sera surtoutrécupéré par la propagandeallemande. De nombreusescartes postales seront gravéesde ce Zeppelin, dans la nuit,avec des projecteurs qui neparviennent pas à le localiseret qui, du reste, n’ont jamaisexisté. Mais c’était présentécomme le signe de la supério­rité de la technologie alle­mande.”

Le général Leman

Un dirigeable et une bombe qu’on jetait… à la main.

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Erich Ludendorff, le vainqueur de Liège (à droite) en compagnie de l’Empereur Guillaume II (au centre) et dumaréchal von Hindenburg,le commandant en chef de l’Armée allemande.

l Massacres

Les fusillés de laplace du XX Août

n La place de Liège quis’étend au pied de l’univer­sité s’est toujours appeléePlace de l’Université. Si,aujourd’hui, on parle de laPlace du XXAoût, c’està cause du 20 août 1914… Leprofesseur Balace : “En face, àcôté de l’Émulation, il y avaitun local d’étudiants russes. Onva prétendre que les Russes ontlancé des bombes à main de­puis leur balcon et on va met­tre le feu à l’Émulation et àd’autres maisons du quartier.Cette nuit­là, on va fusiller dix­sept personnes au pied de lastatue d’André Dumont.”

l En gare de Liège

Le soldat Hitlerdescend du train

n Alain Leclercq Auteur.“Adolf Hitler avait 25 ans et ila fait cette guerre comme sim­ple soldat, dès le 29 octobre1914, dans les tranchéesd’Ypres et de Furnes. Il avaitquitté Munich le 21 et sontrain était passé par Cologne,Liège, Bruxelles pour s’arrêterà Lille. Il a écrit une lettre à seslogeurs où il expliquait qu’ilétait descendu du train engare de Liège, que la ville étaittrès abîmée par les bombarde­ments et que la circulation yétait difficile.”UHitler dans les Flandres,par Alain Leclercq, éd. Jourdan

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Dès le 7 août, trois jours après avoir franchi la frontière, l’armée allemande bivouaque sur la place Saint-Lambert, le cœur historique deLiège. Aussitôt, l’accès au lieu est interdit à la population.

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En 1923, le vainqueur de Liègepose avec Hitler qu’il admire.Il s’en éloignera très vite.

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Le Farman et sa particularité : l’hélice se trouvait à l’arrière.Le pilote pouvait tirer en visant les avions ennemis.

D.R.

Le pont des Arches a été détruit par l’armée belge. Les Allemandsont réalisé un passage en alignant des péniches.

D.R.

8-9 La Grande guerre à hauteur d’homme

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15 AOÛT 1914 LE FORT DE LONCIN

Le coup de gueule de la Grosse BerthaUn obus parti de Droixhe,à neuf kilomètres, atteintla réserve d’explosifs du fort de Loncin

n Fernand Moxhet connaît son fort par cœur. “Unjour, je suis venu en simple visiteur. Ils cherchaient desguides...” Aujourd’hui, il est le président de l’Asbl duFort de Loncin. Le nom du général Brial­mont lui est évidemment familier. “C’estBrialmont qui a imaginé le système de fortssemi­enterrés pour protéger les grandes villesbelges, Anvers, Namur et Liège, et surtout lesgrands axes de circulation du pays. Autour deLiège, on en a construit douze entre 1888et 1891.

“Tous les forts Brialmont sont des trianglesmassifs, de béton, de 340 mètres de long. Lebâtiment central est coiffé de plusieurs cou­poles d’acier qui abritent, souvent par couple,des canons. Ces coupoles peuvent pivoter sur360 degrés et certaines, qui abritent les ca­nons les plus gros et les plus précieux, ont unsystème d’ascenseur. On tire et on redescend les canonspour les abriter sous la structure de béton. À l’époque,l’artillerie tire à 10km. La ceinture de Liège a un rayonde 12 km.

“Les murs extérieurs de ces forts sont plus épais et,dès lors, les murs qui ont Liège dans le dos sont plus vul­nérables : le postulat de Brialmont, c’est que l’ennemi nepeut attaquer que de l’avant du fort. Une erreur !”Dès l’instant où les Allemands percent les interval­

les entre les forts, ils envahissent Liège (le 7 août) etse trouvent face aux parois vulnérables des forts.Le professeur Balace : “Le premier obus a été tiré le 8

sur Barchon. Barchon était pilonnée au canon de 21 cm.Le béton à l’ancienne s’effondrait et le commandantdu fort a perdu les pédales. Il a hissé le drapeau blanc, etce fut le premier trou dans la ceinture de fortifications.”

Le 11, c’est le fort voisin, Évegnée, qui rend les ar­mes. Les Allemands disposent maintenant d’une vé­ritable brèche dans le dispositif de protectionde Liège. Ils sont alors enmesure d’amener de l’artil­lerie lourde.Dès le 13 août, ils actionnent des obusiers 30 cm

Skoda. Fernand Moxhet : “Les forts Brialmont étaientconçus pour supporter des calibres de 20 cm, soit les pluspuissants à l’époque où ils ont été construits. Mais en1914, ils ont déjà vingt­cinq ans…”

Il pleut des obus. Dès le 13, Pontisse,Chaudfontaine et Embourg se rendent.Le lendemain, c’est Fléron et Liers. Toutela rive droite de la Meuse est tombée.Le professeur Balace : “L’erreur du général

Leman a surtout été de ne pas avoir fait sau­ter le pont de chemin de fer du Val Benoît.C’est par là que les Allemands vont amener,en pièces détachées, jusqu’à la gare desGuillemins, leurs fameux obusiers de 42 cmqu’on a surnommés Grosse Bertha. On vautiliser des wagonnets pour aller en monterdeux dans le parc d’Avroy et deux autres surle champs des manœuvres de Bressoux, dansle quartier de Droixhe.”

Le 15 août, ces canons extraordinaires tirent leursobus de 800 kilos. Pour comparer, ceux des forts pè­sent 90 kilos. Le fort de Boncelles se rend dès le ma­tin. À Droixhe, la Grosse Bertha visemaintenant Lon­cin. À vol d’obus, le fort se trouve à 10 km. Les enginsexplosifs survolent toute la ville de Liège et Ans ensus avant de retomber pile sur le fort. Fernand Mox­het : “Les Allemands ont déjà pris plusieurs forts liégeois.Ils sont tous identiques. L’ennemi dispose donc de toutesles informations sur l’organisation des forts Brialmont.Ils savent où viser. Il leur faudra quand même une bonnedose de chance.”À17 h 20, unobus de laGrosse Berthavient éclater sur la poudrière du fort : la réserve d’ex­plosifs ! Le fort de Loncin ne s’est pas rendu : il a étédétruit ! Les deux derniers forts, Hollogne et Fléronont hissé le drapeau blanc le lendemain.

0IL N’EN RESTE PLUSLa Grosse Bertha est restée un des emblè­mes de cette Première guerre. Cependant,tout lemonde n’est pas égal en admirationface à ce supercanon. L’historien Axel Tix­hon : “Ce n’était rien d’autre qu’un canonde marine monté sur des roues. Elle était lourdeet très peu maniable. Difficile à déplacer.D’ailleurs, elle n’est arrivée à Liège qu’à la findu siège et elle n’a pas beaucoup servi. LesAllemands devaient beaucoup plus de succèsà leur obusier Skoda qui était moins spectacu­laire mais plus rentable.” À Loncin, FernandMoxhet n’est pas d’accord : “Quelle précision,ce canon ! Il est positionné à Droixhe, de l’autrecôté de Liège. On tire donc à 9 km de distanceet le 25e obus détruit Loncin. Ça peut paraîtrebeaucoup, mais c’est très peu ! À Droixhe, il yavait deux batteries en place. Chacune a tirédouze coups. Il faut ne pas tenir compte desquatre premiers, qui servent à ancrer le canonaumeilleur emplacement sur le site. Les quatresuivants sont des essais. Trop court, trop long…C’est donc au quatrième tir effectif que la pou­drière a été atteinte.”C’est à Liège que la Grosse Bertha fut utiliséepour la première fois. FernandMoxhet : “Cescanons étaient abandonnés après quelquesinterventions : à chaque tir, le fût s’abîmaitun peu plus et il s’ouvrait comme une fleur.À l’approche de la défaite, les Allemands ontdétruit les exemplaires restant, pour ne pasqu’ils passent à l’ennemi.” Aujourd’hui, il n’enexiste plus une seule. Finmai, une toile seradévoilée au fort de Loncin avec la reproduc­tion de la Grosse Bertha à l’échelle 1/1e.

Les brûlés étaient dans un état tel que les Allemands croyaient voirdes Sénégalais

Sous le bruit des bombes

On visite le fort de Loncin à travers des couloirsqui ont été nettoyés et réaménagés tels qu’ilsétaient à l’époque. À certains endroits, par contre,on n’a touché à rien. Et l’on voit donc là un longcorridor rempli des gravats d’après l’explosion.À cet endroit précis, une reconstitution sonoreévoque le pilonnage incessant !Entre le 13 au le 15 août, Loncin aurait reçu entre10.000 et 20.000 obus.Puis l’impact ! L’obus de 17 heures 20 qui va écla­ter dans la réserve de poudre. Un court instant desilence. FernandMoxhet : “Le temps que la flammepénètre dans la poudrière…”Alors, le bruit phénoménal du souffle qui va dé­truire le site.On ne visite pas la salle de rassemblement deLoncin : elle est écrasée sous les décombres.Desmurs entiers de béton sont fissurés oumêmedéplacés. On le constate, sur place.À l’extérieur, on voit surtout l’immense cratèreque l’explosion a provoqué. Le souffle est telle­ment puissant qu’une des coupoles et son canon,qui pèse pourtant 40 tonnes, ont été soulevés dansles airs. Le canon est retombé droit dans le trou,mais… à l’envers. On peut encore le voir ainsi,

aujourd’hui. Pour tout dire, à trois kilomètres delà, le fort de Hollogne a tremblé.Bilan humain : “550 hommes servaient ici, onestime qu’entre 250 et 300 soldats ont perdu la vieen quelques secondes. La partie du fort que nousappelons le Coffre de Tête est devenue une crypte.En 2007, au cours de fouilles, quatre cadavres ontencore été exhumés. Et il en reste certainementsous des amas de terre qui n’ont jamais été dé­blayés. C’est pour cela qu’à Loncin, nous bannis­sons le mot tourisme, difficile à admettre dans unlieu qui est d’abord une nécropole. Le fort se visite,certes, mais nous sommes plutôt focalisés surle concept de la Mémoire. D’ailleurs, nous souhai­terions recevoir davantage d’écoles.”Il y a eu aussi, ce 15 août 1914, dans le fort, unecentaine de blessés. “Il y a des descriptions horri­bles. On parle d’un soldat qui avait des déman­geaisons à l’œil; il s’essuie et se retrouve avecson œil dans la main. Beaucoup d’hommes brûléssont sortis des décombres. Ils furent entassés dansdes charrettes et conduits vers l’hôpital Saint­Lau­rent, à Liège. Ils étaient dans un état tel que les sol­dats allemands de Liège croyaient qu’il s’agissaitde Sénégalais.”

Les jambes broyées,ils tiraient encore…

Le Commandant Naessens, le chef du fort de Loncin,est un officier qui passait pour avoir énormémentd’influence sur ses hommes. Certains le voientd’ailleurs comme une espèce de gourou. En tout cas,il avait obtenu de chacun d’entre eux la promessedemourir plutôt que de se rendre.Les premiers fantassins allemands sont arrivés dansles cinqminutes qui ont suivi l’explosion. “Dansun des corps de garde, il y avait toujours onze hom­mes : ils leur ont tiré dessus avant de tenter de fuirvers une porte de secours qu’ils connaissaient. Ils n’ontpas eu le temps de l’ouvrir. Ils ont tous été abattus.”Le glorieux fort de Loncin offrait un spectacle de findumonde. “Dans les ruines, certains soldats belgesavaient les jambes broyées, sous des tonnes de rochers,mais ils tiraient encore vers les Allemands qui ten­taient d’entrer. À ce point que les autorités allemandesont demandé aux commandants Naesen et Leman :“Si vous voulez qu’on les soigne, allez leur dire decesser le tir et de rendre leurs armes.”Ce qui a été fait. Certains ont été amputés sur place.“Dans d’autres cas, il n’y a pas eu d’autre solution quede mettre fin à leurs douleurs et à leur vie par desinjections de morphine. Cela s’est fait avec l’accord desofficiers belges. Il faut dire que, globalement, les Alle­mands qui ont pris le fort de Loncin ont été corrects.”

Un des soldats brûlésaprès l’explosion

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10-11 La Grande guerre à hauteur d’homme

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L’immense cratère que l’explosion a provoqué dans le fort de Loncin. Le souffle fut tellement puissant qu’une des coupoles d’acier etson canon, qui pèse pourtant 40 tonnes, ont été soulevés dans les airs.

l Le local Albrechts

Morts asphyxiés pouravoir obéi

n Le système d’évacuation d’airdes forts Brialmont n’était pas aupoint. FernandMoxhet : “Il y avaittrois salles d’où l’on surveillait lesfossés du fort. Si l’infanterie enne­mie surgissait, des canons étaientpointés vers les fossés. Mais, en pleincœur du bombardement, les gaz etles fumées ont rendu l’air de ces sal­les irrespirable. Dans une de ces sal­les, le chef de l’équipe, Albrechts, télé­phona au commandant du fort pourdemander l’autorisation de quitterle poste. Le commandant Naesens’attendait à un assaut et refusa.Les quatre hommes ont été retrou­vés morts asphyxiés.” Le local Al­brechts est resté en état. On peuty voir l’installation électrique ru­dimentaire de l’époque.

l Ces journées-là

Les bombeset leurs billes

n En 1914, les obus Schrapnell,du nom de leur inventeur britan­nique étaient conçus pour faireun maximum de morts dans l’in­fanterie ennemie. Lorsque la fuséede l’obus percutait un obstacle,cela déclenchait un système demise à feu et une réserve de pou­dre explosait. La bombe déchique­tée lançait dans toutes les direc­tionsdes centainesdepetites billesde plomb qui constituaient autantde mini­boulets. Cet obus pouvaitaussi exploser enplein vol et dissé­miner lamort dans les environs.

D.H.

Les canons des forts belges pouvaient propulser vers l’ennemi des obus de 90 kilos. La Grosse Bertha allemande, un supercanon, en-voyait, à dix kilomètres, des bombes explosives de 800 kilos.

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

EOIS

La Grosse Bertha était célèbre au point que Charlie Chaplin s’eninspire pour ouvrir son plus célèbre film, “Le dictateur”.

D.R.

FORT

DELO

NCIN

l Le premier tué

Une malchanceextraordinaire

n Gérard Lardinois, un soldat deWaremme, fut le premier tué dufort de Loncin. Une plaque com­mémorative rappelle son souve­nir. Fernand Moxhet : “Il n’a vrai­ment pas eu de chance. Il était seuldans un local de garde et, le 15 août,vers 1 heure du matin, un obus s’estglissé droit dans le trou d’aérationde son local. L’explosion s’est faite àl’intérieur du local.”

D.H.

Ici, le mot tourisme est banni. Les visiteurs sont nombreux maison privilégie, à Loncin, le concept de la Mémoire.

D.H.

10-11 La Grande guerre à hauteur d’homme

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Dès l’entrée du fort de Loncin, une scénographie laisse une belle part à des œuvresd’art: des statues de soldats, grandeur nature, accueillent le visiteur.

l Uchronie

Et si le général Leman s’était rendu ?n L’uchronie est un exercice illusoire qui consiste àrefaire l’histoire en inversant les faits. Que serait­iladvenu si Hitler avait gagné la guerre ?, par exem­ple. On peut ainsi se demander si la Premièreguerre eut été sensiblement modifiée si, le 7 août,le général Leman avait accepté de se rendre.FernandMoxhet, président de l’Asbl Fort de Lon­

cin a son idée sur la question: “l’attitude du com­mandant des forts intrigue souvent nos visiteurs. Onnous dit régulièrement que Leman a, ce jour­là, sacri­fié sa garnison. Je pense qu’il faut analyser ces événe­ments en tenant compte, tout autant des circonstan­ces que des mentalités d’une époque où Patrie et Li­berté représentaient de vraies valeurs. Les mentalités

ont changé. La société d’aujourd’hui est plus égoïste;celle de l’époque, plus solidaire. Par contre, il y aun autre raisonnement que certains développent àpropos de la fermeté du général Leman ce jour­là.S’il se rend, les Allemands occupent la France avantla fin septembre et gagnent la guerre sur le frontOuest. Dès lors, ils ne font qu’une bouchée des Russes.Nous, nous leur concédons quelques territoires et pro­bablement une partie du Congo, mais, pour le reste,nous reprenons notre vie comme les Français l’ont faitaprès 1870. Par contre, il n’y a plus de Lénine en Rus­sie et plus de petit caporal frustré en Bavière. Je ne dispas que c’est ce qui se serait passé, mais qui sait ?….”Francis Balace, professeur d’Histoire à l’Univer­

sité de Liège n’y croit pas du tout:“ Il ne faut pas seleurrer : la résistance de Liège a infligé à la masse destroupes allemandes un retard d’une journée ou unejournée et demi. Pas davantage ! Ce qui, par contre, aété déterminant, c’est qu’au moment où les Allemandsavançaient vers Paris et approchaient de la Marne, unattaché militaire français a exigé que le roi Albert ac­cepte deux sorties de ses troupes à Anvers. Il s’agissaitde deux attaques massives de l’armée belge hors de sescamps retranchés et la deuxième a permis de prendreen écharpe la neuvième Armée allemande qui croyaittraverser tranquillement la Belgique. Cette sortiebelge va l’obliger à engager le combat et ce sont100000 hommes qui ont manqué sur la Marne.”

D.H.

D.H.

15 AOÛT 1914 LE FORT DE LONCIN

550 jeunes garçons de 20 ansLes cuisines et les toilettesse trouvaientdu mauvais côté

n Les onze autres forts de Liège n’ontpas été détruits. Après la victoire,ils ont été réaménagés, modernisés etont servi à nouveau en 1940. FernandMoxhet : “Détruit, Loncin n’a pas puêtre réutilisé et, dans la mesure oùdes bénévoles l’ont entretenu, il est celuiqui illustre le mieux ce qu’étaientles forts Brialmont en 1914.” De vastestriangles de béton de 340 m. de côté.Composés en trois parties : une mu­raille de protection, un fossé de huitmètres de largeur et la grande massebétonnée, le massif central, coiffée deses tourelles d’acier et des canons.La muraille de protection n’est pas

qu’un simple mur. On y trouve lescuisines, la boulangerie, les cachots,les douches et aussi les toilettes.“On mange bien. Le fort avait son bétaildans la prairie. Il a des vivres pour tenirplusieurs mois. Mais, s’il y a une choseque Brialmont a négligée, c’est le confortdes hommes. Deux fois six toilettes pour550 hommes. Surtout, les cuisines etles toilettes sont situées dans la muraillede protection. Par rapport au travail deshommes : de l’autre côté du fossé. Si bienqu’à partir du 13 août, lorsque ça vabombarder, le fossé est infranchissable.Pour les toilettes, il n’y a plus qu’une so­lution pour les gens qui se trouvent dansle massif central : le bac inodore. C’est­à­dire un certain nombre de seaux aveccouvercles. Pour les cuisines, ça poseproblème : nous avons un récit de soldatqui raconte que lorsque le fort a sauté,il n’avait plus mangé depuis trois jours.”En temps de paix, l’équipage nor­

mal du fort est de 80 à 90 hommes.À la mobilisation, on a rappeléles classes précédentes. Ils sont 550.“Des jeunes âgés, tous, d’une vingtained’années.”Après la destruction du fort, les Al­

lemands ont utilisé l’événement pourleur propagande. “Ils ont imprimé desmilliers de cartes postales avec les pho­

tos des restes du fort détruit. Les pre­miers visiteurs touristiques furentd’ailleurs des soldats allemands. Maistrès vite, les Liégeois venaient le diman­che et des gens de Loncin se sont offus­qués parce que les femmes en profitaientpour mettre leurs plus beaux habits.”Le 15 août 1919, une association

d’anciens défenseurs du fort organi­sait unemarche venant à piedde Pon­tisse. “Cela rassemblait 20.000 person­nes, à l’époque. Ce sont ces gens qui ontlevé une souscription pour le monumentsur la grand­route qui fut inauguré en1923. Aujourd’hui, la marche du souve­nir se limite à quelques centainesde participants.”En 2005, pour mieux illustrer

ce que fut la vie dans ce fort, une scé­nographie a étémise enplace.Des sal­les ont été réaménagées comme àl’époque : la salle des joueurs de carte,le bureau du commandant du fort,l’infirmerie… Dans une chambre (quiétaient à douze lits), six postes de té­lévision projettent les visages de sixsoldats qui racontent, chacun,

son histoire.Il y a aussi la chambredugénéral Le­

man et on inaugure, pour ce cente­naire, une mise en situation dansle bureauoù, le 7 août, il a reçu l’émis­saire allemand et le bourgmestre deLiège.La visite passe aussi par la crypte et

par l’exposition de 150 photos desanciens du fort. “Ce sont les familles quinous les ont fournies. Il arrive quedes descendants viennent en visite etnous disent : “Notre grand­père se trou­vait ici en 1914.” Ces gens­là, croyez­moi, nous les accueillons en héros !”Récemment, la nièce du soldat Ny­

sen a offert à l’asbl une lettre de huitpages que son aïeul avait écrite àson frère et qui sera publiée dans unnouveau livre sur les événements deLoncin. Sortie prévue en juin.Visites du fort :Groupes Toute l’année (sur rendez­

vous)Individuels Tous les samedis et di­

manches à 14 h. En juillet et août,tous les jours à 14 h (sauf les lundis)

Dans la salle des canons

La coupole principale du fort deLoncin est accessible, mais on n’yemmène pas les groupes car le pas­sage est difficile. On se fraie un che­min en baissant la tête. La suite,ce sont des escaliers raides et deséchelles.Loncin comprenait cinq coupoles detir. La coupole centrale abritait deuxgros canons. Deux autres avaient descanons plus petits. Les dernières nedisposaient que d’un seul obusier.Le professeur Balace : “Ces forts étaienttrès efficaces. Prenez celui de Fléron.Il avait une portée de tir de 8 km.”Le fort de Loncin contrôlait la routeLiège­Bruxelles, mais aussi le cheminde fermenant à la capitale.Grande question : comment, del’intérieur d’un bunker, peut­onsurveiller la grand­route de Bruxelles,la ligne de chemin de fer ou lesmou­vements de l’armée ennemie ?FernandMoxhet : “Grâce aux observa­teurs. Des soldats se plaçaient dansdes clochers d’églises, au sommetdes terrils, dans les belles­fleurs descharbonnages, dans des tours de châ­teaux oumême dans les branchesdes arbres les plus hauts. Ils communi­quaient par téléphone avec le corps degarde. La suite, c’était une série decalculs et les coordonnées de tir étaientalors communiquées à la coupole.”Chaque coupole occupe vingt­cinqhommes. Seize sont chargés de l’ap­provisionnement des canons, maisaussi de l’évacuation des poudres etdes fumées après le tir. Un seulhomme reçoit les coordonnées du tiret il lui revient de placer un taquet àl’endroit précis où la coupole pivo­tante doit s’arrêter, de sorte que lecanon vise très précisément la cible.

330GARDE-À-VOUSDans les fossés du fort de Loncin, un ensemble sculpté au sol, représentantuniquement les chaussures d’une garnison au garde­à­vous. Près de 300 chaus­sures de pierre…

Les préposés auxcanons devaientexécuter les consi-gnes à l’aveugle.Leur cible setrouvait à plusieurskilomètres.

12-13 La Grande guerre à hauteur d’homme

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l Aujourd’hui

Les douze forts de LiègeLes douze forts qui assuraient la défense deLiège en1914ont connudes destins divers.

Comme en 14Loncin (Rue des Héros 15, 4431, Ans)

a été détruit par l’explosion de sa pou­drière. Mais la partie préservée illustrece que fut un fort de 1914.Musée et visites.Lantin (RuedeVillers 1, 4450, Lantin) n’a

pas été réarméaprès la Première guerre. Il aété laissé à l’abandon jusqu’en 1983 puisrepris par une Asbl qui y a fait de la restau­ration. Les coupoles ne sont pas authenti­ques, mais pivotent comme à l’époque. Vi­sites guidées : pour groupes, toute l’annéesur rendez­vous; individuels : des jeudisaux dimanches, de 12 h 30 à 16 h.Hollogne (Rue de l’Aéroport, 10, 4460,

Grâce­Hollogne) fut le dernier fort liégeoisà se rendre, le 16 mai 1914. Il n’a pas étéréarmé et garde intactes ses structures.Pour le visiter, il faut se munir de vête­ments chauds, de bonnes chaussures etd’une lampe de poche. Prochaines visitesles 17mai, 21 juin, 19 et 21 juillet, 17 août,21 et 22 septembre, 19 octobre.Modernisés en 40Barchon (RueduFort, 4671, Blégny) a été

modifié pour être réutilisé en 1940. Des vi­sites sont organisées les seconds diman­ches dumois à 14 h (d’avril à novembre).Embourg (Rue du Fort, 4053, Embourg)

fut réarmé pour 1940. La visite du fort estpossible, les 2e et 4e dimanche du mois,à 14h. Il y a aussi unmusée.Flémalle (RueRouffa, 30, 4400, Flémalle)

a été laissé à l’abandon après la deuxièmeguerre. Un ferrailleur a tout vidé. Un clubde tir s’est installé dans un des fossés.Une association organise des visites d’unepartie des 1700 m de galeries. Un muséeprésente une collection d’armes et de ma­térielmilitaire. Visites guidées tous les 1eret3e dimanches du mois à 13 h, 14 h et 16 h(sauf en janvier) Ouvert le 21 juillet.Changement de capBoncelles est devenu un fort emblémati­

que en mai 1940. La rampe d’accès du fortest en bon état,mais les grilles ont été arra­chées et l’entrée du fort a été murée.Les fossés ont été comblés… d’immondices.Le 11novembre2013, unparcours didacti­que a été mis en place autour d’une espla­nade où l’on peut voir huit blindés et troisexpositions couvrant les deux guerres et lapériode de 1830 à la chute du Mur de Ber­lin.Dumercredi audimanche, de10à18h.Pontisse a été réutilisé en 1940. Il a en­

suite servi de dépôt demunitions. D’abordpour l’armée, ensuite pour la FN. Le sitea été confié à l’Anim’Anerie, une associa­tion pour la sauvegarde de l’âne et qui pro­tège les chauves­souris.Chaudfontaine était différent des autres :

un fort à quatre côtés. Le 13 août 1914,un obus toucha une coupole. 58 soldatssont morts brûlés. Le fort sert aujourd’huide terrain de sport­aventure.Accès interditLiers fut réutilisé en 1940, et est

aujourd’hui occupé par la firme TechspaceAero. Il sert de centre d’essai pourmoteursd’avions.Évegnée a été transformé avant 1940, et

ensuite complètement blindé. L’entreprisedes Forges de Zeebrugge y procède à desessais de propulsion de fusées.Fléron a été utilisé en 1940, mais a

aujourd’hui pratiquement disparu. L’accèsest très dangereux.

L’obus est tombé droit dans la réserve de poudre explosive. La moitié des 550 soldats qui se trouvaient dans le fort de Lon-cin, a perdu la vie. Il y a eu aussi une centaine de blessés et de brûlés.

D.H.

À droite, la muraille de protection. Puis le fossé, surveillé par des canons et, à gauche, le massif central, le cœur du fort.

D.H.

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l Ces journées-là

La sentinelle a prisles 50000 volts

n Eddy Bruyère, à Visé : “Il y avait deuxclôtures à franchir, une de chaque côté decette ligne de 50000 volts. Les lieux étaientsurveillés par des sentinelles.”Lebulletin de l’Associationdes familles

de fusillés a raconté l’histoire de deuxjeunes Liégeois de 18 et 17 ans, Jean etFrédéric de Ryckel, qui, en février 2016,ont voulu passer en Hollande afin de re­joindre le front de l’Yser : “Une véritableépopée. Dès l’instant où l’on s’éloignaitde son domicile de plus de 4 km, il fallaitun laissez­passer et ils n’en avaient pas.Alors, ils ont fait Liège – Visé de nuit.Ils étaient entrés dans une filière où ilsse sont retrouvés avec dix autres candidats,dont un Russe. Trois gardes allemandsétaient corrompus. 300 francs de l’époquepar tête de pipe. Un des gardes emmenaitle groupe au pied d’une échelle donnant surune plateforme. De là, il fallait sauter par­dessus la clôture électrifiée. Le Russe estpassé mais, en prenant de l’élan, il a faittomber l’échelle et la plateforme. Le gardeallemand, en voulant empêcher la chute,a pris les 50000 volts et les autres ont dûfaire vite pour replacer le système, monteret sauter. Ils ont tous réussi.”

AVRIL 1915 De VAALS À KNOKKE-LE-ZOUTE

La frontière électriqueUne clôture d’un mètre 50 de haut,et 50000 volts...

n Les villes incendiées, les hommes fusillés ou,dans le meilleur des cas, déportés… La terreur aprovoqué un exode vers les Pays­Bas qui n’étaientpas en guerre.Mais aussi un élan patriotique. Beau­coup de jeunes gens ou de moins jeunes, quin’avaient pas étémobilisés, ont voulu en être et par­tir chasser l’Allemand.Pour rejoindre le front, derrière l’Yser, il n’y avait

qu’une route : passer par les Pays­Bas, atteindrel’Angleterre puis débarquer au­delà de la ligne destranchées. Le professeur Balace : “Au début, les Alle­mands avaient interdit qu’on s’éloigne de chez soi deplus de quatre kilomètres.”Il n’existait, à l’époque, aucun document d’iden­

tité et la surveillance était quasi impossible. “La vi­gilance s’est relâchée et, sous prétexte d’aller visiterdes parents à Eben­Emael, des jeunes prenaient la li­gne vicinale longeant la frontière hollandaise, sau­taient du tram en marche et se retrouvaient bientôtmilitaires en tenue de l’autre côté de l’Yser.”Dans la région, les spécialistes connaissent à fond

le dossier. À Visé, Eddy Bruyère : “À partird’avril 1915, les Allemands ont électrifié toute la fron­tière hollandaise, de Vaals à Knokke­le­Zoute.” 99 ki­lomètres de câbles électriques et une force de50000 volts ! On est déjà dans le domaine de lahaute tension.Les travaux se sont terminés en août mais, le

25 juin, une partie de cette frontière électriqueétait déjà en fonction. À Thimister­Clermont, Geor­ges Legros : “Ils avaient plusieurs raisons de faire ça.Surtout, ils empêchaient les jeunes d’aller s’engager aufront comme volontaires. En deux, du courrier partaitpar la Hollande pour revenir, via l’Angleterre, derrière

les lignes de l’Yser avec, parfois, des informations pré­cieuses pour les états­majors alliés. En trois, de nom­breux soldats allemands désertaient et trouvaient re­fuge en Hollande. En quatre, en isolant les Pays­Bas aulieu de l’envahir, l’Allemagne évitait de devoir fairela guerre à un pays de plus. Ce qui aurait été coûteuxen marks et en hommes.”Cette ligne électrique comportait six câbles et

elle ne s’élevait guère à hauteur spectaculaire.En général, unmètre et demi. Parfois, deuxmètres.Deux autres clôtures non électrifiées étaient ten­

dues à unmètre, de part et d’autre, de la ligne élec­trique : il s’agissait surtout de garantir la protectiondes sentinelles. Eddy Bruyère : “Des gardiens alle­mands surveillaient les lieux et, en plus, des cavaliersétaient en place pour poursuivre ceux qui appro­chaient de la frontière. Ils avaient pensé à tout :on avait installé des aires de sable afin que ces cava­liers puissent suivre à la trace d’éventuels fuyards.”On avait élevé aussi des miradors, avec projec­

teurs. Plus tard, on a amené des chiens pour ac­compagner les sentinelles.Tout cela n’empêchait pas le passage des plus dé­

terminés. On estime que 25000 personnes ontréussi. Mais on évalue aussi les victimes à 500 :morts électrocutés ou abattus par des sentinelles.À 50000 volts, les victimes de la ligne électrique

étaient, le plus souvent, carbonisées, mutilées, mé­connaissables. Des os sortaient du corps. On parled’un malheureux qui est resté pendu à la ligne :sa jambe s’était détachée du tronc.Les Allemands n’hésitaient pas à exposer ces ca­

davres.À partir de mars 1917, ils ont instauré aussi une

zoneneutre : il était interdit d’approcher de la ligneélectrique à moins de cent mètres. Avec un avis af­fiché un peu partout : “Toute personne aperçue dansla zone intermédiaire sera fusillée sans appel ni aver­tissement.”

500LES VICTIMESOn a estimé que 25.000 personnes auraient réussià franchir cette frontière. Mais 500 candidatsà la fuite y ont laissé la vie.

Elle a touché pour savoir ce que cela faisait“Dans les campagnes, les gens ne savaient rien du danger de l’électricité”

Dans une vitrine dumusée du Fortde Loncin, il y a une espèce d’étrangeéquerre en bois, de cadre pliable,qui est, en réalité, un système ima­giné pour franchir la frontière électri­fiée. On glissait l’équerre repliéeentre deux câbles à haute tension;on dépliait le cadre et cela vous faisaitun espace pour passer en toute sécu­rité. Le plus prudent était quandmême de porter des bottes etdes gants de caoutchouc.D’autres ont utilisé des tonneaux.Mais, si, en route, l’on croisait desAllemands à proximité de la fron­tière, il n’était pas toujours simplede leur expliquer ce qu’on faisait làavec un tonneau.Au début, certains cisaillaient les câ­bles avec des pinces à poignées deverre. Elles étaient isolées. Maisles Allemands ont rapidement apprisà localiser les ruptures de câbles et àintervenir très vite.Autre système : les essuie­mains enlaine. Ça n’était pas totalement fiable.On a aussi creusé des tunnels et, lorsde tentativesmassives de passages,

on imbibait d’essence et on enflam­mait les câbles afin d’attirer les senti­nelles et les cavaliers : le franchisse­ment véritable se faisait quelquescentaines demètres plus loin.Le passage exigeait une prudencede chaque instant car les Allemandsavaient disposé au sol des fils debronze quasiment invisiblesmaisreliés à l’électricité.Sur place, il ne reste aucune trace decette frontière électrifiée : les paysansde la région ont tôt fait de récupérerpoteaux et câbles.À la sortie du village de Teuven, dansl’entité de Fouron, la rue du Châteauserpente dans la colline, à travers lesbois, et, au sommet, à l’entrée dePlombières, se trouve une petite aireet unmonument dédiés à ceux quipérirent par le fil électrique.Un Hollandais, assis sur un bancpublic, juste à côté, explique : “Il fautse rendre compte qu’en 1914, dans noscampagnes, beaucoup de gens igno­raient les dangers de l’électricité.”Onraconte que la tenancière d’un cafédu coin, une femme qui n’avait

aucune envie de passer en Hollande,a touché le câble du bout des doigts,juste pour savoir ce que cela faisait.Elle ne l’a jamais raconté.Le 17 juin 1918, lundi de Pentecôte,il y eut un orage terrible et troisjeunes gens ont pensé qu’à cause dudanger de la foudre, les Allemandscouperaient l’électricité. Ils se sonttrompés et l’ont payé de leur vie.Candidats au front, à la fuite de laguerre, espions, mais aussi contre­bandiers, ils sont nombreux à êtrepassés quandmême.Un réseau de passeurs s’était déve­loppé dans les villages frontaliers.Ces gens étaient remarquablementorganisés. Ils chronométraientles rondes des sentinelles, repéraientlesmots de passe utilisés par les gar­des, connaissaient les heures derelève. Surtout, ils en étaient arrivésà soudoyer des sentinelles. Contre del’argent, de la viande, desœufs.Ou, selon l’expression du lieutenantDesgrandes : “Pour qu’ils acceptent defermer les yeux sans prendre le risquede ne plus savoir les ouvrir.”

Dans les Fourons, dans la forêt, entre Teuven et Plombiè-res, un monument rappelle cet épisode de la guerre.

D.H.

14-15 La Grande guerre à hauteur d’homme

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La clôture électrifiée, le long de la frontière hollandaise, n’était pas très haute. Elle était très dangereuse.

l L’évasion par le fleuve

Un bateau pour fuirvers les Pays-Bas

n Le pont Atlas V, à Liège doitson nom à un remorqueur de23 mètres. Le 3 janvier 1917,son capitaine, Jules Hentjens,34 ans, a permis à une cen­taine de personnes de passeraux Pays­Bas. Alors que toutecirculation nocturne était in­terdite, Hentjens est parti peuaprès minuit, profitant dela relève des sentinelles,à l’écluse de Coronmeuse.À Argenteau, le bateau a es­

suyé des tirs de mitraillettes.Un canot s’est lancé à sa pour­suite mais a coulé, renversépar les remous de l’Atlas V.Passer sous le pont provi­

soire monté par les Alle­mands à Visé tenait de la mis­sion impossible : Hentjens dé­cida de lancer son bateaudroit contre un pilier dece pont qui… s’effondra.Il fit pareil un peu plus tard

en fonçant surungrandphareque les occupants avaient ins­tallé au milieu d’un pontonrempli demilitaires en armes.Dernier obstacle : un câble

électrique tendu au­dessusdu fleuve, à la frontière. L’At­las V le sectionnera.Les habitants de Eijsden,

aux Pays­Bas, ovationnerontle capitaine et ses passagersmais, à Herstal, l’épouse etla sœur du héros du jour sontarrêtés. Elles finiront la guerreen prison.

D.R.

L’Atlas V a donné son nom à un pont de Liège. Celui qui est le plus proche des Pays-Bas. Ses passagers furent ovationnés en arrivant sur lesquais hollandais.

D.R.

Il fallait ne pas sefaire contrôler dansles environs etdevoir expliquer cequ’on faisait là avecun tonneau…

D.R.

Cette équerre a été conçue pour permettre aux renseignementsbelges de passer à travers la clôture électrique.

MUS

ÉEDU

FORT

DELO

NCIN

l Ces journées-là

Ils inventent lacarte d’identitén Le collectionneur GeorgesLegros: “La carte d’identitén’existait pas avant cetteguerre. Ce sont les Allemandsqui l’ont inventée et, dès 1919,le gouvernement belge s’est em­pressé de reprendre l’idée et aimposé une carte d’identité qui,à l’époque, était en trois volets.”Le sacro­saint document

a son histoire : “Très tôt, les Al­lemands se sont rendu comptequ’ils éprouvaient de grossesdifficultés à contrôler les gens.Les seuls documents officielsdont ils disposaient étaient leslistes électorales, en un tempsoù le vote était encore plural. Sivous contrôliez quelqu’un prèsde la frontière, vous ne pouviezpas savoir qu’il était de Liège etn’avait rien à faire là. Or beau­coup de jeunes de 16 ou 17 ansvoulaient passer en Hollandepour rejoindre l’armée belge.”Georges Legros possède

l’Ausweis délivré le 7 novem­bre 1915 à Stembert d’unefemme qui s’appelait José­phine Ansay, née en 1887.

14-15 La Grande guerre à hauteur d’homme

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15 AOÛT 1914 VISÉ

Visé : vivre dans une ville détruite

h Le fermier dormait dans lamangeoire de ses bêtes

n Les groupes de Visé, comme la société des Arba­létriers, celle des Francs Arquebusiers et celles desAnciens Arquebusiers, exclusivement composésd’hommes, ont eu, lors d’événements comme ceuxde 1914, des membres fusillés, d’autres déportés,des soldats partis au front, des résistants, des exi­lés… EddyBruyère fait partie des Anciens Arquebu­siers. Il a eu l’idée d’enquêter sur le parcours des210 Visétois qui composaient, en 1914, sa gilde.“Pas par esprit de corps, mais parce que je disposaisde tous les documents. Suivre les cas particuliersde 210 personnes, c’est comprendre le calvaire tra­versé par toute la population de la ville.”Il a aussi eu, dans sa jeunesse, l’occasion d’encore

rencontrer des gens qui avaient vécu ces horreurs :“Mme Houbiers, qui est morte à 90 ans, avait une di­zaine d’années en 1914 et elle a été marquée parle souvenir des soldats allemands alignés dans la rueHaute. C’était dans la nuit du 15 au 16 août. Ils lais­saient soixante minutes aux gens pour prendreleurs affaires et quitter leur maison. Puis ils ont incen­dié tout le quartier.”Il existe de nombreuses cartes postales montrant

les ruines de la ville. “Les gens venaient de Liège etd’ailleurs pour voir ce décor invraisemblable. Mêmedes journalistes anglais et américains ont fait des re­portages très illustrés. Mais les Allemands se sontrendu compte que ces photos servaient à la propa­gande des pays alliés qui tentaient d’inciter les États­Unis à entrer en guerre à leurs côtés. À partir de 1915,le tourisme à Visé a été interdit.”Des photos datées du 30 décembre 1914 attes­

tent que la ville était encore sous les décombres.

“Dans cette ville détruite, il a fallu s’organiser. On acommencé à retaper les maisons réaménageables oùles gens vivaient à deux ou trois ménages. Certains oc­cupaient les étables ou des remises de fond de jardin.Il y eut le cas d’un fermier qui a dormi dans une desmangeoires de ses bêtes. Il n’y avait plus rien.Jean Leers, un autre fermier, en rentrant de déporta­tion, s’est retrouvé avec sa ferme détruite, ses chevauxréquisitionnés et tout son bétail avait été volé.

“Malgré cela, quand, en 1916, les Allemands ont ins­tallé dans les écuries de la gendarmerie de Visécent cinquante prisonniers russes pour travailler àla réparation de la ligne de chemin de fer, les habitantsles ont soutenus et aidés. Comme s’ils avaient trouvéplus malheureux qu’eux.” La gilde des Anciens Ar­quebusiers organise une exposition où l’on voitquelques bagues rudimentaires que ces prison­niers russes ont réalisées avec du fer, pour les offriren remerciement aux habitants.

REPO

RTER

S

Le professeur Balace

ANCIEN

SAR

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Les gens viennent de Liège pour constater les dégâts. En 1915, soucieux de requinquerleur image, les Allemands vont interdire cette forme de tourisme.

EXPO

ANCIEN

SAR

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USIERS

Dans certaines rues, il ne reste plus rien d’habitable. Quand c’est encore possible,les gens vivent dans leurs remises.

Conséquences inattendues

Les factures de mon grand-père Cesdestructions de maisons ont des consé-quences étonnantes qu’on n’imagineguère. Eddy Bruyère : “Mon grand-pèreexploitait un négoce en grains. En 1914,il venait de faire reconstruire entière-ment le moulin, entre la gare et laMeuse. Il était tout neuf. Le bâtimentavait été achevé en février. Entre jan-vier et juillet, on avait placé les machi-nes. Un aspirateur avait encore étéinstallé en juillet et il a fallu que mongrand-père paie les factures en octobrealors que tout son moulin avait étédétruit par les Allemands le 16 août.”

Pour sauver sa rue

Le mensonge de ma grand-mère EddyBruyère : “Vous montiez sur une chaise etvous pouviez voir tout Visé. Tout étaitdétruit. Deux lieux ont été épargnés,le quartier de Souvré et la route de Maas-tricht. Ça, c’était un peu grâce à ma grand-mère qui y habitait depuis son mariageavec mon grand-père, en 1909.“Cette femme était née à Vaals, en Hol-lande. Mais elle a menti et elle a fait croireaux Allemands qu’elle provenait du côtéallemand de Vaals. Donc, son proposa été : “Vous n’allez quand même pasincendier la maison d’une Allemande ?”Ils ont épargné la rue.

Le professeur Balace

“Ils sont passés par la Hollande” Pourexpliquer le cas de Visé et toute cetteviolence, le professeur Balace hasardeune hypothèse : “Un message aux Hollan-dais ! À Visé, la cavalerie avait essayé deréaliser un pont de bateaux. Les canonsde Pontisse l’ont pulvérisé. Si bien queles Allemands ont dû franchir la Meuse àun gué, au-dessus de Lixhe, qui se trou-vait en territoire hollandais : c’était uneviolation flagrante de la neutralité desPays-Bas. J’ai toujours été convaincu quel’incendie de Visé avait pour but d’impres-sionner les gens de Maastricht : “Si vousprotestez, voilà ce qui vous arrivera !”

La Grande guerre à hauteur d’homme. Supplément à La Libre Belgique.Rédaction:Eddy Przybylski. Conception graphique:Jean-Pierre Lam-bert.Coordination rédactionnelle: Gilles Milecan. Infographie:Astrid ‘t Sterstevens, Didier Lorge et Etienne Scholasse. Réalisation:IPMPress Print. Administrateur délégué - éditeur responsable: François le Hodey. Rédacteur en chef: Francis Van de Woestyne. Rédacteurs en

chef adjoints: Xavier Ducarme, Pierre-François Lovens et Gilles Milecan.

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