supllb 20140605 supllb full

16
© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. D.R. Supplément réalisé par Eddy Przybylski LA GRANDE GUERRE À HAUTEUR D’HOMME Cinquième partie : L’Yser, où la Grande guerre s’embourba jusqu’en 1918.

Upload: sa-ipm

Post on 13-Mar-2016

279 views

Category:

Documents


4 download

DESCRIPTION

Supplément LLB du 5 juin 2014

TRANSCRIPT

Page 1: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

D.R.

Supplément réalisé par Eddy Przybylski

LAGRANDEGUERRE

ÀHAUTEURD’HOMMECinquième partie :L’Yser, où la Grande guerres’embourba jusqu’en 1918.

Page 2: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts28 JUIN 1914 L’archiduc François­Ferdinand, héritier du trône d’Autriche, est assassiné à Sarajevo par

un idéaliste de 19 ans. L’attentat débouche sur un conflit mondial, aussi simplement que s’effondreun jeu de château de cartes. Pour l’expliquer, il faut évoquer l’effritement du grand Empire ottomanau cours du 19e siècle. La Grèce s’en est détachée pour proclamer son indépendance dès 1830. Puisla Bulgarie. Et la Serbie, capitale Belgrade. Ensuite, en 1909, l’Empire autrichien s’empare de la Bosnie,capitale Sarajevo. Impuissant, le gouvernement de Constantinople laisse faire.Les Serbes sont furieux. Le professeur Tixhon, de l’Université de Namur : “Comme tous les États européensde l’époque, la Serbie développe un nationalisme extrême. On y rêve d’une Grande Serbie qui irait jusqu’auxfrontières de la Grèce. De plus, la Bosnie offrirait aux Serbes l’accès à la Méditerranée. Belgrade, en s’appuyantsur les Serbes vivant en Bosnie, alimente une espèce de terrorisme et développe l’agitation et un sentiment anti­autrichien. L’assassinat de Sarajevo s’est déroulé dans ce contexte­là. L’auteur est un Serbe de Bosnie, membred’un groupe révolutionnaire. Les Autrichiens sont persuadés qu’il a été téléguidé par le gouvernement serbe.”Le professeur Balace, de l’Université de Liège : “L’arme du crime est un pistolet automatique BrowningF1903 provenant d’un lot qui avait été livré par la FN de Herstal à la Serbie deux mois avant l’attentat. C’estce qui a fait penser que Belgrade avait organisé l’assassinat.” D’où l’exigence des Autrichiens : ils entendentaller eux­mêmes mener l’enquête à Belgrade. Les Serbes refusent au nom de l’intégrité nationale. Les Al­lemands incitent les Autrichiens à la plus grande fermeté.

23 JUILLET L’Autriche pose un ultimatum et, le 28, elle déclare la guerre à la Serbie. Le 29, la Russie, défen­deresse de la Serbie, déclare la guerre à l’Autriche.

28 JUILLET Il y a déjà des bombardements sur Belgrade. C’est le vrai début de la guerre.31 JUILLET À Paris, Jean Jaurès, prêcheur du pacifisme, est assassiné et, le lendemain, 1er août, l’Allemagne

déclare la guerre à la Russie; la France, alliée des tsars, décrète la mobilisation générale. La Belgique, paysneutre mais craignant l’invasion, le fait également.

2 AOÛT L’Allemagne envahit le Luxembourg et exige que la Belgique laisse passer ses troupes.3 AOÛT La Belgique refuse. L’Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique.4AOÛT À l’aube, les Allemands pénètrent sur le sol belge. À 10 h, à Thimister, Antoine Fonck est le premier

soldat belge tué. À midi, discours du roi Albert devant le Parlement. Appel à l’aide des Britanniques, ga­rants de notre neutralité, et des Français. La Grande­Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

5 AOÛT Sur la route de Liège, l’armée belge oppose aux Allemands une résistance inattendue qui provo­que en retour une brutalité terrifiante des envahisseurs. Les maisons de Battice sont incendiées le 6et celles de Herve le 8.

6 AOÛT Les Allemands sont à Liège. Ils peuvent prendre à revers les 12 forts censés protéger la ville. Flé­malle et Hollogne tiendront jusqu’au 16. Les Allemands entreront dans Bruxelles le 19.Les armées belges se replient vers Anvers.

15 et 16 AOÛTÀ Dinant, l’armée française subit le baptême du feu.22 AOÛT Cette fois, la guerre éclate. Grandes batailles près de Virton : à Rossignol (plus de 15.000 morts),

à Éthe, mais aussi à Namur, à Charleroi et à Mons. Les Français perdront, ce jour­là, plus d’hommesqu’en huit ans de guerre d’Algérie. Le 23, ça se bat à Dinant où 674 civils sont abattus. Il y aura d’autrestueries : à Andenne, à Seilles, à Tamines... Vaincus, les Français ont ordre de se replier vers la Marne.

25 AOÛT Première des trois sorties des troupes belges d’Anvers assiégée. Notre armée occupe ainsi150000 soldats allemands alors que se prépare la grande bataille de la Marne.

9 SEPTEMBRE Sur la Marne, les 150000 soldats allemands retenus en Belgique manquent cruellementaux envahisseurs. C’est la victoire française et la retraite générale de l’armée allemande pour qui l’objec­tif change : contourner Paris par le nord et prendre les ports de Dunkerque, de Boulogne et de Calais afinde contrarier les débarquements britanniques. On appellera cela la Course à la Mer. Ainsi, l’Yser etle Nord de la France deviendront les principaux champs de bataille de 14­18.

9OCTOBRE L’armée belge quitte Anvers et se replie au­delà de l’Yser La Bataille de l’Yser débute le 19.7 MAI 1915 Depuis février, les Allemands ont lancé les premiers sous­marins. Ils torpillent tous les ba­

teaux qui font route vers l’Angleterre, y compris ceux des pays neutres. Ce 7 mai, le Lusitania, un pa­quebot transatlantique, est coulé : 1.200 morts dont 128 ressortissants américains. Ce fait tragique in­fluence l’entrée en guerre des États­Unis.

2 AVRIL 1917 Entrée en guerre des États­Unis. Les premiers corps militaires américains débarquentà Nantes et La Rochelle à partir d’octobre 1917. Mais les troupes n’entrent pas tout de suite dans la ba­taille. On prend le temps de rassembler deux millions d’hommes.

6 JUILLET 1917 Lawrence d’Arabie entre dans Aqaba. Au début de la guerre, l’immense Empire ottomanhésitait. Plusieurs archéologues britanniques, occupés sur des chantiers en Turquie, servirent d’espionsafin de convaincre Constantinople de rejoindre les alliés. Thomas Lawrence était l’un d’eux. Les préten­tions françaises en Algérie et anglaises en Égypte, décidèrent le sultan à choisir l’Allemagne. Lawrence,promu colonel, fut envoyé dans les déserts arabes afin de retourner les tribus contre les Turcs. La vic­toire d’Aqaba précipitait la chute de l’Empire ottoman.

PRINTEMPS 1918 Sur la côte Atlantique, les Américains arrivent à raison de 200.000 hommes par mois.L’Empereur et le haut commandement allemand s’installent à Spa et préparent, avant que ne se metteen marche l’armée amércaine, une offensive de la dernière chance.

AVRIL1918À Seicheprey, en Lorraine, l’Amérique entre dans la bataille . Les Allemands comprennent viteque la guerre est perdue. L’Empereur sait que la défaite signifie son abdication. Il retarde sa signature.

11NOVEMBRE1918 Les Allemands signent un armistice avant que leur pays ne soit envahi. Bilan : le coupde feu du 28 juin 1914 à Sarajevo aura causé la mort de 18 millions de personnes. En Belgique,42700 militaires ou assimilés ont perdu la vie. On compte aussi 24.500 victimes civiles.

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

La Grande guerre à hauteur d’homme. Supplément gratuit à La Libre Belgique et à La Dernière Heure.Rédaction : Christian Laporte.Conception graphique : Jean-Pierre Lambert. Coordination rédactionnelle : Gilles Milecan.Infographie : Astrid ‘t Sterstevens, Didier Lorge et Etienne Scholasse.Réalisation : IPM Press Print. Administrateur délégué – éditeur responsable : François le Hodey.

Page 3: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts Tout le monde le sait : la Première Guerremondiale trouve ses origines à Sarajevo. Repères.

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

Les cent ans

Liège. La célébration officielledu centenaire du début de laPremière guerre mondiale,ce 4 août, commencera à Liège.Le roi Philippe a invité cinquantechefs d’États. Le présidentfrançais François Holland et leprésident de la Républiqued’Allemagne, Joachim Gauck, ontconfirmé leur participation, ainsique, pour représenter la Grande-Bretagne, le prince William, quisera accompagné de son épouse.Une réception à l’Hôtel de Villesera suivie de la cérémonieofficielle au Monument Interalliéde Cointe, qui fut construitentre 1928 et 1937 à l’initiativedes Anciens Combattants, etfinancé par les Nations alliées.En fin d’après-midi, des cérémo-nies auront lieu à Mons, sur leslieux mêmes où est tombé lepremier soldat britannique.Ypres et Nieuport. La commé-moration du 100e anniversairede la bataille d’Ypres, est fixéepour le 28 octobre à Ypres et àNieuport.Liège. D’innombrables exposi-tions sont proposées à travers lepays. Un des événements mar-quants, “J’avais 20 ans en 1914”sera inauguré le 1er août sur lesite des Guillemins, à Liège.Cette exposition exceptionnellesera aussi déclinée sur la théma-tique plus particulière “14-18 enpays de Liège” sur deux autressites : l’ancienne église Saint-An-dré et le Musée de la Vie wal-lonne.Au musée de l’Armée. L’autreexposition événementielle estdéjà en cours : “14-18 C’est notrehistoire” au musée royal del’Armée et de l’Histoire militaire,Parc du Cinquantenaire 3, àBruxelles. Jusqu’au 26 avril2015. (fermé le lundi)

Page 4: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

l Un autre ennemi

Les médecins l’ontappelé le cafard

“Selon les tempéraments, ceshommes vivaient angoissés outerrorisés, même si les incidentsétaient assez rares.” Maisl’inaction même induit uneconséquence perverse : “Unautre ennemi s’installe : l’en­nui ! Les médecins nomment lesdépressions nerveuses des tran­chées : le cafard, mélange d’en­nui, d’angoisse et de terreur.”

Le courrier ne passe évi­demment pas jusqu’au frontet, pendant quatre ans, cer­tains ne reçoivent aucunenouvelle de leur famille. Çan’arrange rien. “Pratiquementtous les militaires ont souffert, àun moment, de ce cafard.”

Des moments de détente ?“À force de vivre dans la terre,ces hommes devenaient des bê­tes. Mais ils voulaient faire toutpour rester quand même deshommes. Ils ont beaucoup des­siné, sculpté du bois ou d’autresmatières. Il y a eu un artisanatde tranchées. Ils ont aussi écrit.”Les carnets de notes sont in­nombrables. Sans doute, pen­saient­ils que ce serait les seu­les traces d’eux qui subsiste­raient. Ils y traduisaient undésespoir : celui de n’être pascompris, de laisser le mondeextérieur indifférent.

l Livre Le pont et la mitrailleuseLes carnets et le courrier laissés par qua­rante combattants servent de support aulivre de Benoît Amez, Vie et survie dans les

tranchées belges, aux éditionsJourdan. Une passionnante ana­lyse par thèmes. Le livre évoquel’invasion d’août 14, la bataillede l’Yser et la contre­offensivefinale qui, dans cette région, acommencé en septembre 1918,

avec l’appui des Américains, Anglais, Ca­nadiens, Australiens et Français.

L’Histoire a laissé le sentiment que ce futun assaut tranquille. Par ces récits, onse rend compte qu’on est quand même

bel et bien à la guerre.Situation vécue : 29 septembre 1918 à

11 h 15. Un pont. De l’autre côté, des mi­trailleuses allemandes. Une seule stratégiepossible : envoyer tellement d’hommes surle pont qu’ils ne pourront pas les tuer tous.Ceux qui parviendront de l’autre côté neu­traliseront les mitrailleuses. Après avoir tuéun maximum de nos hommes, les soldats al­lemands se retrouvèrent piégés et paniqués.“Ils bégayaient trop tard “Kamarad !” et lescombattants leur donnèrent des coups de poi­gnards bien mérités.”UVie et survie dans les tranchées belges,de Benoît Amez, éditions Jourdan

DominiekDeendoven“Une journée sur la ligne defront, ce sont des quarts desix heures. On est de gardeune pause sur deux. Quandon ne l’est pas, il y a dutravail, du repos, les loisirsqu’on s’invente et, si possi­ble, on peut dormir dansla tranchée arrière ou dansde petites casemates.”On y entre à quatre pattes,on se couche sur unepaille où d’autres ontdormi. On reste habillé.On ne se lave pas.“Dans les tranchées,il n’existe pas d’intimité.Les toilettes, c’est un seau.Vous faites ça devant toutle monde. À moins de trou­ver un petit coin où vouspourrez vous abriter avecune bâche.”

Novembre 1914 l LA VIE DANS LES TRANCHÉES DE L’YSER

Les rats, l’ennui, la peur, le son du canonh Bois, sacs en toilede jute, sable, terre:une tranchée.

n “En théorie, un soldat pas­sait quatre jours dans la tran­chée la plus dangereuse, puisquatre jours dans la ligne ar­rière. Après, il était envoyé,pour quatre jours de piquet,dans l’arrière­pays, où il setrouvait davantage en sécu­rité. On les installait dans desfermes ou ça bivouaquait par­fois. Ces soldats bénéficiaientaussi de périodes de reposqu’ils passaient dans des zonesplus éloignées : La Panne, Adin­kerque, Calais… Il y a même eude rares périodes de congé etdes aumôniers organisaientdes voyages, notamment àLourdes. “

On trouve, en Flandre occi­dentale, plusieurs sites oùl’on a tenté de reconstituer

des tranchées et de montrerce que c’était. Les sacs de sa­ble y sont en pierre et en ci­ment…

Dominiek Dendooven estun des cinq historiens ducentre de recherches duFlanders Field à Ypres : “Par­tout où l’on vous montrera destranchées, il s’agit de recons­tructions et c’est déjà bien si el­les sont réalisées sur les lieuxmêmes. Par nature, les tran­chées sont des constructionstemporaires.”

Les matériaux qui les ca­ractérisaient étaient le bois,les sacs de sable en toile dejute et la terre. En cent ans,le bois a pourri, le jute a cédé,le sable a coulé et la terres’est effondrée. “Déjà à l’épo­que, sur place, les hommes de­vaient sans cesse les consoliderau jour le jour.”

Cela dit, la visite de la pluscélèbre des tranchées,le Toddenbang ou Boyau de

la Mort, à Dixmude, permetde très bien apprécier l’orga­nisation. Il n’y a pas une tran­chée, mais deux. La ligne defront et ses zigzags qui of­frent d’éventuels abris.À l’arrière, la tranchée desupport, davantage en lignedroite, garantit le passagevers le monde extérieur, l’ap­provisionnement en vivreset en nourritures, et aussil’évacuation des blessés etdes morts.

Il n’existe évidemment pasun modèle type de tran­chées. On s’adapte au lieu.Dans les sites moins exposés,c’est un véritable petit villagede terre et de sacs de sablequi constitue la tranchée desupport, avec plusieurs abrispour que les hommes puis­sent prendre du repos.

À partir de la fin de la ba­taille de l’Yser, en octo­bre 1914, les troupes sontquasiment restées, pendant

quatre ans, sur leurs posi­tions. Cela ne signifie pas dutout que le danger s’est éloi­gné. “Cette guerre des tran­chées a surtout été une guerred’artillerie. Les tirs étaient in­cessants, jour et nuit. Un obuspouvait arriver à tout instant,soit par le plus grand des ha­sards, soit parce qu’il annon­çait le début d’un pilonnagemassif. On peut dire qu’après1914, les soldats ne se sont ja­mais sentis à l’aise dans lestranchées. Le bruit des canonsétait là, à chaque instant, pourleur rappeler le danger. Ça pé­tait toujours quelque part.”

Dans les tranchées, on vitavec les puces, les poux,la vermine, les souris etles rats. Avec les pluies et,surtout, la boue. Et les mala­dies. “Il y a eu plus de maladiesdans les tranchées belgesqu’ailleurs. On était dans uneplaine inondée. Ça n’est jamaisfavorable à la santé.”.

Un éclusier de Nieuport réoriente la guerre

Qui a eu l’idée d’ouvrirles écluses de Nieuport ?Celui­là a permis aux Belgesde remporter la bataille del’Yser. On a dit que les plai­nes où les Allemands étaientpositionnés ont été inondées.C’est vrai. Il n’y a pas eu denoyés pour autant.Dominiek Dendooven :“L’eau est montée petit à petit.Mais, dès les premiers jours,les Allemands se sont retrou­vés embourbés sur un terraindevenu impraticable. Ilsn’avaient d’autres solutionsque de faire marche arrière etde se replier au­delà de l’Yser.Il ne leur était plus possible dese battre et de tenter de percerle front belge. La bataille étaitperdue.”Le grand héros est un bate­lier de 60 ans, Hendrik Gee­raerd. Il n’est probablementpas celui qui a eu l’idée, maisil est assurément l’hommequi a réussi à la concrétiser.Le projet avait été pensé parle haut commandement. Plusfacile à imaginer qu’à réali­ser… “Il fallait ouvrir lesécluses àmarée haute pourque les eaux entrent et lesfermer àmarée basse pourqu’elles ne s’évacuent pas.”

Le maître­éclusier, KarelCogge, ayant échoué,il s’adressa à un batelier, à cetHendrik Geeraert. “Il était leseul à connaître le mécanismede cette écluse.”À Nieuport, le monumentau Roi Albert a été érigé làoù se situaient ces écluseshistoriques.Au­delà de l’Yser et dela plaine inondée, les Alle­mands se trouvaient mainte­nus à un kilomètre des lignesbelges. Avec comme unique

perspective d’utiliser lescanons pour faire reculerl’adversaire. Pour s’en proté­ger, les Belges creusèrentdes tranchées. On mit enroute aussi notre artillerie etles Allemands eurent leurspropres tranchées. Ainsi, lespositions se sont stabiliséeset, entre novembre 1914 etseptembre 1918, la guerrese passa dans ces tranchées.Ci et là, dans la plaine, entrela ligne de chemin de fer etle lit de l’Yser, quelques îlots

résistaient à l’inondation.“Chaque îlot servait de posteavancé, occupé par des Belges,ou par des Allemands. Chacunvoulait récupérer l’îlôt del’autre. Au cours de ces quatreannées, les seuls raids visaientà conquérir un îlot. Il y a deslieux où on attaquait enpassant à gué. Parfois, on autilisé des petits bateaux. On amême capturé un soldatallemand qui expérimentaitmanifestement une sorte decombinaison sous­marine.”

h Il inonde la vallée de l’Yser et cela amène les combattants à se terrer dans des tranchées

EDITIION

SJOUR

DAN

4-5 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 5: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Pendant quatre ans,ils ont vécu entre la boueet les sacs de sable.

HOOG

ECR

ATER

SMUS

EUM

Les soldats des tranchées vivaient aussi avec la mort pour toile de fond. Celles de leurs copains. La leur, éventuellement, à l’hori-zon. Et la mort, c’est la mort. On a beau dire, on ne s’y habitue pas…

DIXM

UDE–LE

BOYA

UDE

LAMOR

T

Retranchés derrière la ligne de chemin de fer Nieuport-Dixmude,les Belges avaient rejeté les Allemands au-delà de la plaine inondée.

D.R.

Le Flanders Fields museum. La ville d’Ypres, centredes combats, a ouvert le nouveau musée en juin 2012.

D.H.

l Anvers

Les derniers combatsà l’ancienne

n Le 20 août, sur ordre du roi, tou­tes les troupes belges sont regrou­pées à Anvers où des fortifications etdes positions défensives ont été pré­vues. Il s’agit de préserver le port,haut lieu stratégique s’il en est.

Mais, quand les Allemands organi­sent le siège de la ville, c’est priori­tairement pour garantir le passagetranquille, un peu plus bas, de l’ar­mée de 150000 hommes qui mar­che vers la Marne. Les Belges vontcontrarier cette marche tranquilleen lançant, vers cette armée, troisraids au cours desquels ils vont utili­ser une nouvelle arme, inventéepour la circonstance : les automobi­les blindées. Les spécialistes consi­dèrent que le sort de la bataille de laMarne, remportée par les Français,aurait été différent si les Allemandsavaient eu ces 150000 hommes­là.

Le pilonnage d’Anversn Les Allemands se concentrent surAnvers. Le pilonnage des fortifica­tions commence le 28 septembre.Le 5 octobre, l’ennemi prend Lierre,à 20 km de là. Et il marche sur Ter­monde et l’Escaut. Clairement, l’in­tention est d’encercler la ville

C’est qu’en France, le général Focha demandé aux Belges de partir versl’Yser et de rendre le petit fleuve in­franchissable. Cela s’inscrit dansleur projet : dresser une véritablebarrière entre Belfort et Nieuport.

C’est la course. Il est impératif queles Belges arrivent à l’Yser avant lesAllemands. Les fusiliers marins bre­tons arrivent à Melle, dans les envi­rons de Gand, pour assurer à nostroupes un couloir de passage.L’évacuation d’Anvers commence le6 octobre.

50.000 hommes partent versl’Yser et 40.000 passent aux Pays­Bas avec l’intention de revenir vial’Angleterre. Les Hollandais, crai­gnant des représailles, vont lesmaintenir dans des camps.

Le 10 octobre, le gros de l’arméebelge est retranché derrière l’Yser.Mais les Allemands sont là aussi. Ilsveulent forcer le passage. Ils le fontd’ailleurs. C’est la Bataille de l’Yser.

Alors, les Belges choisissentune autre ligne de front à protéger :la ligne de chemin de fer entre Dix­mude et Nieuport. Elle est surélevéepar rapport à la campagne environ­nante. On a une idée : ouvrir lesécluses à Nieuport et inonder laplaine entre le chemin de fer etl’Yser. Les Allemands sont pris dansun bourbier. Ils doivent reculer àun kilomètre du front belge. On nepasse plus. On n’avance plus. Oncreuse des tranchées. Pendant qua­tre ans, la guerre se déroulera ici.

4-5 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 6: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

18 mai 1915 l LE BOYAU DE LA MORT À DIXMUDE

Creuser de nuit, sous les tirsh Pour ne pas s’exposer eux­mêmes,les brancardiers devaient trainerles blessés jusqu’au poste de secours

n Devant l’église charmante de la communede Zonnebeke, une carte propose 33 sites relatifsà 14­18, uniquement dans l’entité : monuments,mémoriaux, cimetières… Il existe 60 cimetières mi­litaires dans un rayon de 15 km autour d’Ypres,autant de monuments et de nombreux musées.

Le plus important, le must, est le Flanders FieldsMuseum, installé dans la magnifique Halle auxDraps de la ville de Ypres. 300.000 visiteurs par an,dont un tiers de Britanniques et un tiers de Belges.

L’autre indispensable, dans ce tourisme des tran­chées, est le Todenbang, le Boyau de la Mort, à Dix­mude. La reconstitution des plus célèbres tran­chées, à un endroit où l’Yser et la plaine immense, àperte de vue, ne sont séparées que par un monti­cule. C’est derrière celui­ci que les tranchées ont étécreusées, parallèles au petit fleuve. L’historien Do­miniek Dendooven : “Pour des raisons de reliefs, surquatre kilomètres, de part et d’autre de Dixmude, les di­gues étaient suffisamment hautes pour empêcherl’inondation.”

C’était le point faible du front. Ici, l’ennemi pou­vait passer. Certes, son avance était compliquéeparce qu’on se trouvait dans des zones marécageu­

ses. Néanmoins, les Allemands étaient partout.Sur l’autre rive de l’Yser, dans des tranchées.Mais de ce côté­ci, à droite, ils occupaient Dixmude,située à un kilomètre. Surtout, à deuxpas du site que l’on visite aujourd’hui,ils contrôlaient de hauts réservoirsde pétrole au sommet desquels ilsavaient placé des mitrailleuses et destireurs d’élite. De là­haut, les officierspouvaient observer toute la région.

La priorité pour les Belges, ce futd’aller détruire ces réservoirs à pé­trole. C’est pour y parvenir que le gé­néral Jacques imagina de s’en appro­cher en creusant ce qu’il appelale Boyau de l’Yser.

Le chantier commence le 18 mai1915. La tranchée est creusée pen­dant la nuit en empilant des sacs desable et en réalisant des soutène­ments de bois. Le génie avance de six mètres parjour, mais sous le feu de l’ennemi : les Allemandsbombardent sans relâche et il faut réparer les dégâtsau fur et à mesure. En même temps, des tirs pro­viennent des soldats allemands massés de l’autrecôté de l’Yser, à un endroit où le fleuve n’a pas vingtmètres de large. Il y a des victimes sur le chantier. CeBoyau de l’Yser, les soldats l’ont surnommé le Boyaude la Mort. Les blessés sont véritablement traînésjusqu’au premier poste de secours par des brancar­diers qui évitent de s’exposer eux­mêmes aux tirs.

Très rapidement les réservoirs de pétroles ne se­ront plus rien d’autre qu’une grande carcasse de ferbranlante et trouée de mille parts. Ils cessent d’être

opérationnels comme site d’ob­servation ou de tir. Il n’est plusnécessaire de les conquérir.Mais, au sol, les Allemands sonttoujours là, à moins de trentemètres des limites de notretranchée.

Alors, en octobre 1915, entreles deux positions, les Belgesfont sauter un morceau de la di­gue séparant la plaine etle fleuve. Par cette brèche dansl’Yser, on inonde les prairies quise trouvent derrière les posi­tions allemandes. Ces troupessont bloquées mais, de part etd’autre, il faut désormais oublier

l’idée de gagner du terrain. Le site devient pluscalme et, alors, on le rend plus fonctionnel, encréant la deuxième tranchée, la tranchée de sup­port, qui facilite l’arrivée d’approvisionnement etde renforts et permet l’évacuation des blessés et desmorts. L’armée installe même un système de railsafin d’amener des mitrailleuses, des petits canons etdu matériel lourd. Au total, ce site comporte400 mètres de galeries. L’entrée est gratuite.ULe Boyau de la Mort, Ijzerdijk, 67, DixmudeUFlanders Field Museum, Grote Markt, 34, Ypres (9€)

Les Anglais perçaient des galeries sous le sol et y plaçaient des minesh Cratères et cafés­musées rappellent lesexplosions souterraines

Les cafés­musées ! Ce sont desinitiatives de collectionneurs,avec un petit bistrot à côté.À Ypres, le RampartsWarMu­seum est accessible pour 3€.On conseille le Hooge CratersMuseum, àZillebeke, à centmètres du parcde Bellewaeerde.Avec deux ca­nons à l’entrée.Le musée estconstitué demises en situa­tion : logementde bois pourofficiers, un sol­dat gazé portantson masque sur une civière.Une vitrine avec une collectionde mitrailleuses et une autre avec18 casques à pointe.Et, à 50 m, en direction de Bel­lewaerde, un parcours en pleinair a été tracé dans les jardinsd’un hôtel élégant, le Kasteel­hof’t Hooghe, autour d’un ravis­sant étang aux eaux verdâtres.

On est ici sur les flancs d’un cratère.Ce mot cratère est décidément partoutdans le quartier. Ce n’est pas par hasard.Cet immense trou dans le sol date du19 juillet 1915. Des mineurs britanni­ques ont creusé ici une galerie souter­raine de 65 m., jusque sous les positionsennemies. Ils posèrent des mines qui,en explosant, provoquèrent ce cratère.40 m. de largeur et 16 m. de profondeur.Pour reconquérir le site, le 30 juillet,les Allemands vont expérimenter

une nouvelle arme :le lance­flammes.Dans la région d’Ypres,il existe une vingtainede cratères répartis surcinq sites.Historiquement, lapremière explosionsouterraine menée parles Britanniques date du17 avril 1915 sur le sitedeHill 60 (Zwarteleens­traat, Zillebeke). Cinq

mines sautent à dix secondes d’inter­valle, formant trois cratères.À Hill 60, on est au sommet d’une col­line avec vue sur plusieurs kilomètres decampagnes et, dans le fond, émergeant,les tours d’Ypres. Un tel poste d’observa­tion constituait un enjeu stratégique.Ici aussi, pour le reconquérir, les Alle­mands sont venus avec une nouvellearme. Le 22 avril 1915, les hommes du

génie glissent de longs tubes sur le sol :5500 cylindres d’acier remplis de gazchlorés sont ouverts simultanément.Une légère brise du nord dirige les gazvers les troupes françaises de Steens­traete. Les hommes ressentent un pico­tement dans les yeux. Puis ils se mettentà tousser. Ils se sentent asphixiés etcrachent du sang. C’est la panique. Lessoldats prennent la fuite abandonnantleurs camarades dans d’atroces souf­frances. 5000 Français sont les premiersgazés. La déroute creuse, dans le front,une brèche de 6 km. Des troupes cana­diennes empêchent les Allemands de s’y

introduire, mais les combats sont terri­bles. Trois semaines de tirs intensesd’artillerie. La ville d’Ypres, vidée de seshabitants, est en cendres. Les Allemandsne passent pas. Mais ils gardent Hill 60.

6kilomètresL’attaque au gaz provoqueune brèche de 6 km dans lefront. Les Canadiens empê­chent l’ennemi de passer.

Des bombes pour ce gaz qui a la couleur de la moutarde

Le 7 juin 1917, les Britanniques tententà nouveau de s’emparer de Hill 60. Ilsfont encore appel à des mineurs. DesAustraliens ! Il est prévu, ce jour­là,que 21 mines souterraines explosenten même temps, à 3 h 10 du matin.Dix­neuf l’ont fait. On dit qu’on aressenti l’onde de choc jusqu’à Londres.Le plus impressionnant des cratères dela région, le Caterpillar, témoigneencore de cette déflagration. Il est situédans la forêt, à trois minutes à pied duparking de Hill 60. Il suffit de passerle pont qui enjambe le chemin de fer etde prendre, sur la gauche, le sentier quientre dans les bois. Le fameux cratère a

les flancs recouverts de verdure, avecde beaux arbres et notamment quel­ques remarquables saules pleureurs.Vous n’irez pas dans le fond : c’est qu’ilpleut beaucoup dans nos Flandres et,comme ailleurs, le creux du cratère estdevenu une mare.Le 30 juillet 1917, pour reconquérirla colline, les Allemands utilisentun nouveau gaz, l’ypérite. Le nom estdonné d’après la ville d’Ypres. Onl’appelle plus souvent le gaz moutarde.Cette fois, on n’utilise plus les tuyaux,d’autant que, parfois, le vent se retour­nait contre vous. Les gaz sont désor­mais contenus dans des bombes.

En pratique

‣ Hooge Craters museum,Menseweg, 467, Zillebeke (4,5€)‣ Kasteelhof’t Hooghe,musée en plein air, Meenseweg, 471,Zillebeke (1€)‣ Ramparts War museum,Rijselsetraat, 208, Ypres (3€)

“Pendant l’hiver1915-1916, on aréintroduit, dansla guerre, le casquequi, en fait, dataitdu moyen-âge.”DominiekDendoovenHistorien

6-7 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 7: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

L’arrivée des gaz chlorés puis des gaz moutarde dans la guerre a été suivie, immédiatement, par des distributions de masques à gaz.Deux par soldat.

l En premières lignes

Les nettoyeursde tranchées

n Au musée de Latour, près deVirton, un carnet militaireporte le nom d’un homme dela région, Lambert Léopold.“Au début de la guerre, il se trou­vait en prison, peut­être pourmeurtre. Les prisonniers quis’engagaient comme volontairesétaient désignés comme net­toyeurs de tranchées : on les en­voyait dans les tranchées enne­mies afin d’aller égorger les Alle­mands. Du risque à l’état pur.Mais lui, il en est revenu.”

COLLEC

TION

GEOR

GESDE

MAR

TEAU

Ces gaz attaquaient les poumons et les yeux. Les victimes pouvaient s’en retrouver aveugles. Parfois pour quelques jours. Parfois defaçon irrémédiable.

KASTEELH

OF’THO

OGHE

L’Yser coule tranquillement, impertubable au bruit des canons.De l’autre côté, les Allemands tirent. Ici, les Belges construisentune double tranchée. En bord de fleuve, celle de première ligne.Derrière, la tranchée de support.

D.H.

DIXM

UDE–LE

BOYA

UDE

LAMOR

T

l La guerre moderne

Des casques, commeau moyen-âge...n Les fantassins françaisétaient des cibles facilesà cause de leurs pantalons d’unrouge éclatant. Pas de casquesnon plus. Avec leurs pauvresfusils, ils n’avaient aucunechance face aux mitrailleusesennemies. Ce fut le carnage.

L’armée allemande n’étaitpas de reste. Le 12 août 1914,à mi­route entre Liège et An­vers, la bataille de Halen est cé­lèbre, non pas à cause de ces300 morts (c’était si peu dansle contexte de l’époque), maisparce que la cavalerie avaitchargé à l’ancienne, au galop etsabres au clair, face à l’artilleriebelge. Seulement dix chevaux,sans leurs cavaliers, atteigni­rent la barricade belge. Dansune guerre moderne, une ca­valerie n’avait plus sa place.Dans les mois qui suivirent,les soldats français et belges fu­rent équipés d’uniformes decamouflage et de casques.

Dominiek Dendooven :“L’histoire du casque est vrai­ment liée à la nécessité. Des cas­ques en fer étaient portés par lesarmées du Moyen Âge. Quand ona cessé de faire la guerre avec dessabres et des gourdins, le casquecessait d’être utile et on a préféréle képi. Jusqu’aux tranchées. Oùla seule partie exposée du corpsétait la tête. Le casque – cette fois,en acier – fut réintroduit pen­dant l’hiver 1915­1916.”

Il faut savoir que l’arméebelge avait une variété énormed’uniformes. “Avec la mobilisa­tion et tous les volontaires , on atrès tôt manqué d’uniformes.C’est dans ce contexte qu’on a in­troduit ce qui a été appelé l’uni­forme de l’Yser, noir, assez simpleavec, dès la fin de 1914, un pre­mier casque mais qui était plutôtune protection pour l’hiver quiarrivait.”

6-7 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 8: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

TRANCHÉES l Ceux qui y étaient

Les deux onclesde Johnnyh Joseph Smeta survécu; Arthur,est mort à 24 ans

n Né à Beez, Clément Smetest un grand­père que Jo­hnny Hallyday n’a pas connu.Conducteur de locomotive, ilest mort accidentellement,en gare de Schaerbeek, en1906. Le père du chanteur,Léon Smet, était né un moisplus tôt, le 3 mai 1906. Il avait8 ans quand éclata la guerre.

Par contre, il avait deux frè­res plus âgés. Joseph Smet,23 ans. Et Arthur Smet,21 ans. Ils ont servi tous deuxdans les tranchées.

Arthur, qui était comptableet a été obusier en premièreligne, dans ce 8e régimentd’artillerie, à qui on avaitconfié la garde du front.

Le soldat Smet a été victimedes gaz, transporté à l’hôpitald’Hoogstade où il est décédéle 29 septembre 1917. Il avait24 ans. Il a été inhumé le1er octobre au cimetière mili­taire de Oeren, tombe 219.

Son frère aîné, Joseph, fai­sait partie du 7e de ligne. Ila participé, le 13 septembre1914, à la deuxième sortied’Anvers et, en octobre,

il combattait en plein cœurde la bataille de l’Yser. Il a étégazé aussi, mais il en est sorti.Son petit­fils, Georges De­marteau, 69 ans, l’a connu :“Après la guerre, il a travailléaux chemins de fer, notammenten Allemagne, avec l’arméed’occupation. Puis il a été con­ducteur de taxi à Bruxelles etchauffeur­livreur. Il habitaitrue Van Aa à Ixelles quand il estmort d’un cancer en 1956.J’avais 11 ans, mais cela m’amarqué parce que son visageétait recouvert de gros œdèmesqui ont tous éclaté le lendemainde sa mort.

“Dans ces années­là, quandles adultes parlaient de laguerre, c’était de la deuxième.Mais je me souviens qu’il m’aparlé des gaz. Il avait un pro­

blème pulmonaire. Y a­t­il euun rapport avec son cancer ?Je n’en sais rien. Je revois mongrand­père tousser. Mais il fu­mait beaucoup…”

Georges Demarteau pos­sède une centaine de pho­tos 6x4 qui ont cent ans, quimontraient son grand­pèreet ses copains sur l’Yser. “Magrand­mère les a retrouvées unjour et elle me les a données.”

Autre document, étonnant :une lettre manuscrite qui faitcertificat de baptême. Unecousine germaine (mais bienbelge) de Johnny Hallyday estnée en pleine période detranchées. Joseph Smet auraprofité de ses périodes de re­pos… “Derrière l’Yser, du côtéd’Adinkerke, mon grand­pèreétait tombé amoureux d’uneFrançaise et ma mère, cousinede Johnny, est née en pleine pé­riode des tranchées ! Je ne saispas dans quelles conditions ellea été baptisée mais je possèdeencore cette simple lettre que leprêtre a laissée : “Le 10 novem­bre 1917 a été baptisée sans cé­rémonie, par moi, soussigné J.Van Canteren, aumônier mili­taire belge CIA, Hélène Smet,fille de Joseph Smet, militairedu CT au CIA, et d’AlbertineVasselin, née le 26 septembre1917 à Eu. Motif : maladiegrave.”

BÉBÉ EST NÉELe soldat Joseph Smet a eusa fille en septembre 1917 :en pleinepériode des tranchées.

Le neveu de Brel et le couteau du Roih “Ils ouvraient les boîtes de corned­beef avec un couteau.Albert Ier n’en avait pas. Mon grand­père lui a prêté le sien…”

Bruno Brel, neveu de Jacques Brel, est lui­même chanteur mais il a aussi signé desromans et, en 2005, il situait Le boyau de lamort dans l’enfer des tranchées de l’Yser.On annonce aux hommes l’arrivée d’unofficier important pour une inspection inat­tendue. À la surprise de chacun, les hommesvoient apparaître le roi AlbertIer en personne.Il est venu seul ! Surtout pour relever le moralde ces hommes.A priori, cela semble peut crédible. BrunoBrel n’en démord pas : “Il l’a vraiment fait !Au grand dam d’ailleurs de son état­major,qui lui reprochait de ne pas prendre assez deprécautions. Je crois qu’il était un peu dingue.“Ce que je ne dis pas dans le roman, c’est quele personnage, Bompatje, est, en réalité, mongrand­père, qui s’appelait Pierre Lievens.Quand j’étais petit, nous allions chez lui tousles dimanches. Je me souviens qu’il nous parlait

beaucoup de ces journées qu’il a passées dansles tranchées avec Albert Ier. Les soldats man­geaient des rations de corned­beef qu’ils rece­vaient dans des boîtes de tôle très fine qu’onouvrait avec un couteau. Le Roi n’en avait pas.Mon grand­père lui prêtait le sien. Etils jouaient ensemble au jeu de dames.“Pour moi, ce roman a commencé à cause ducouteau ! Mamère, un jour, en faisant le mé­nage, l’a sorti d’un tiroir et me l’a donné enmeracontant cette anecdote qui était bien réelle :“Le Roi a mangé avec le couteau de ton grand­père ! Ne le perds jamais !” Depuis, ce couteaune quitte pas le lieu où je vis. Je ne l’emmènejamais en voyage. Chez moi, c’est là où il setrouve !”Pierre Lievens est mort en mars 1961. BrunoBrel avait 10 ans.UBruno Brel, roman Le boyau de la mortÉditions Le Roseau Vert/Christian Navarro

Le peintre de Wijtschateh Adolf Hitler était simple soldat. En 1940,il est revenu dans la ferme où il logeait.

Ce soldat artiste qui occupeses temps de repos à réaliserdes aquarelles et qui a peintl’église en ruine de Mesens’appelle Adolf Hitler. Il finirala guerre avec le grade decaporal, le plus bas dans lahiérarchie. Sur l’Yser, il n’estencore que simple soldat.Ses compagnons le décriventcomme un bon camarade, audrôle de caractère.Il les fait rire quandil soutient mordi­cus que coucheravec une Françaiseest contraire àl’honneur alle­mand.Hitler est estafette :il amene à la troupeles ordres desofficiers. Il reçoitson baptême de feule 28 octobre 1914dans la région d’Ypres. Sonbataillon est décimé. Sur3600 hommes, 311restentopérationnels. Il sert ensuitedans une tranchée de Wijts­chate au sein d’un bataillonbavarois. Cette tranchée estsurnommée Bayernwald, lebois des Bavarois. Car on esten plein dans la forêt.Le site se visite. On y a re­constitué une tranchée àl’allemande. La différence,c’est que tout est étançonnépar un système utilisant desmilliers de rondins de bois.Pour y accéder, c’est un peule parcours du combattant.Les tickets d’entrée s’achè­tent au bureau de l’office dutourisme de Heuvelland (Sint

Laurentiusplein 1). Le Bayer­nwald se trouve à 6 km de là.Par GPS, on cherche le 2,Voormezelestraat, à Wijts­chate. Mais attention ! Il n’y apas de stationnement et larue est vraiment très étroite.Ensuite, il n’y a pas d’accueil :vous glissez le ticket dans unappareil et une porte à tour­niquet vous laisse le passage.

Lorsqu’il avait sesjournées de repos,Hitler logeait dansune ferme, laBethlehemhoeve,située Rijselstraat,50, à Mesen.Elle est dans leschamps, à 150 mde la route. Inutiled’espérer voir lacuisine où Hitler amangé ou lachambre où il a

dormi : le corps de logis estflambant neuf.Par contre, il existe des pho­tos du retour d’Adolf Hitlerdans cette ferme, le 26 juin1940. Il était rentré, cejour­là, dans l’église de Mes­sines qu’il a peinte en 1914.Dès le début de 1915, il estparti pour le nord de laFrance. Le 7 octobre 1916,il est blessé à la jambe par unobus. Il revient sur le frontfrançais. Le 13 octobre 1918,il est gazé et sa vue est trèsbasse. Il est incapable de lireles journaux et, le 11 novem­bre, c’est un pasteur qui luiapprend que l’Allemagne aperdu la guerre. Hitler sortde sa chambre en pleurant.

COLLEC

TION

GEOR

GESDE

MAR

TEAU

Si ce soldat assis à gauche vous fait penser à Johnny Hallyday, riend’étonnant : c’est son oncle, Joseph Smet, le frère de son père.

De retour à laferme, vingt-cinqans plus tard.

D.R.

8-9 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 9: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Le futur Führer terminera 14-18 avec le grade de caporal, le grade le plus bas de la hiérarchie militaire. Sur cette photo, il est mousta-chu, assis à droite.

l Solidarité étrangère

Des marrainesde lecture

n Dans les pays où on ne se batpas, la Hollande ou l’Angleterre,les gens se voient proposerd’adopter un soldat servant aufront. Il s’agit de correspondreavec lui. On lui envoie un mot,un petit colis, on entretient sonmoral.

En Angleterre, il existe égale­ment une association qui ras­semble des livres destinés à êtreenvoyés sur le front pour offrirun peu de lecture et distraire lessoldats.

C

Ce soldat, Arthur Smet, est l’autre oncle de Johnny Hallyday.Il est mort le 29 septembre 1917 à l’hôpital d’Hoogstade.

COLLEC

TION

GEOR

GESDE

MAR

TEAU

Les ruines de l’église de Mesen, peintes par un artiste allemandde 25 ans, le soldat Aldof Hitler.

D.R.

l Assassinat

Notre dernierguillotiné

n La Belgique a suivi la Franceen adoptant, dès 1830,la guillotine pour ses exécu­tions capitales. 54 condamnés àmort ont eu, chez nous, la têtetranchée. En 1860, deux Fla­mands furent guillotinés et,deux ans plus tard, il s’avéraque c’était probablement uneerreur judiciaire. Le débat sur lapeine de mort faisait rage lors­qu’à Ypres, en 1863, la tête d’unassassin tomba de l’échafaud aupied d’un spectateur qui en de­vint fou. Dès lors, la Belgiquecessa d’appliquer la condamna­tion à mort, mais pas de la pro­noncer : elle était automatique­ment commuée en peine deprison à perpétuité.

Sauf dans un cas, cinquanteans plus tard, en 1918.

Émile Ferfaille avait assassiné,à coups de marteau, une jeunefemme qu’il avait mise enceintequatre mois plus tôt. Elle vou­lait l’épouser. Il en aimait uneautre. Elle insistait…

Il fut condamné à mort et Al­bert Ier refusa exceptionnelle­ment sa grâce : Ferfaille étaitsoldat et la perpétuité lui auraitoffert la sécurité à l’intérieurd’une prison tandis que ses ca­marades risquaient leur vie surle front. Il aurait alors eu la viesauve grâce au meurtre qu’ilavait commis…

Après la deuxième guerre,242 traîtres et collaborateursont été exécutés, mais ceux­ciont été fusillés.

DR

Mais oui, il arrivait, quand on avait un peu de temps libre, qu’onprenne la pause, pour la photo.

COLLEC

TION

GEOR

GESDE

MAR

TEAU

8-9 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 10: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

La vie en Belgique l Il n’y a plus de travail

La guerre de la famineh Les Américains s’imaginaient que laBelgique était rasée. L’Office national del’Enfance naît.

n Les hommes sont à la guerre. Les femmes sont au tra­vail. Quand il y a du travail… Le professeur Balace, àLiège : “C’était la guerre de la famine ! En partie, à cause del’attitude chevaleresque et patriotique des grands direc­teurs d’usines qui ont décrété : “Nous ne travaillerons paspour l’occupant ! Et nous fermons nos usines !” Dès cet ins­tant, les gens perdaient leur travail.”

À Dinant, le professeur Tixhon : “Iln’existe plus d’activité économique en Bel­gique, à la différence de ce qui s’est passéen 40­45. Plus aucune matière premièren’entre en Belgique et celle qui y parvientest emmenée aussitôt en Allemagne. Uneexception : l’extraction du charbon conti­nue. Mais, par exemple, il n’y a plus de si­dérurgie. Les gens connaissent la misèreextrême.”

Le professeur Balace : “Beaucoup d’associations commu­nales et de pouvoirs publics ont initié des travaux d’intérêtgénéral mais, en 1916, quand les occupants se mirent àchercher des chômeurs à amener en Allemagne, ils ont in­terdit ces chantiers.”

Patrick Hilgers, collectionneur : “L’argent manque et desvilles vont imprimer des billets de banque qui n’aurontcours que chez elles, ce qu’on a appelé des monnaies de pre­mière nécessité. “En septembre 1914, le bourgmestre deBruxelles, Adolphe Max, a déjà instauré la soupe populairepour les enfants. Il adresse aux grands industriels, Solvay etFranqui, afin de recevoir une aide financière, et il se tourneaussi vers les ambassades des pays neutres, les États­Unis,les Pays­Bas et l’Espagne. Les Américains mettent en place leBelgian Relief Flour. On distribuait, à travers les États­Unis,

des cartes postales de nos villes martyres en ruine, Visé,Herve ou Dinant, accompagnées par les récits des atrocitésallemandes. Si bien que les Américains s’imaginaient que laBelgique était complètement rasée. Cela a posé un problèmequand les premiers émissaires de l’armée américaine vontdébarquer.”

Les Allemands acceptent que les Américains aident lapopulation belge. Le professeur Tixhon : “Ça les arran­geait ! Les conventions internationales stipulaient qu’unpays envahisseur devait prendre en charge les populationsconquises. Or les Allemands avaient besoin des ressourcesde guerre.”

Patrick Hilgers : “La guerre 14­18 en Belgique va avoirune conséquence étonnante dont on n’estabsolument pas conscient : c’est à partir decette époque que la mortalité infantile dansnos pays va reculer. Pourquoi ? Parce qu’onva commencer à s’occuper des enfants. Dansce contexte d’occupation, de famine et devilles détruites, on va créer une myriaded’associations d’aide populaire. Il y aura detout. Depuis la fondation pour ceux qui ontperdu la vue à une association pour la petitebourgeoisie nécessiteuse. Ce sont des gens

qui ne peuvent pas se résoudre à faire la file pour avoir de lanourriture. Alors, on va organiser, pour eux, un système quine leur permettra certes pas d’avoir autre chose que de lasoupe mais, au moins, elle leur sera servie au restaurant etces gens ne perdront pas leur dignité. Et puisqu’il faut fairemarcher toutes ces associations, cela va occuper et sauverles innombrables personnes qui ont perdu leur emploi.Parmi ces nombreuses associations, le plus grand nombreva toucher à l’enfance. On va créer une œuvre pour l’en­fance, une œuvre de la soupe au lait… On va vendre, au pro­fit des orphelins ou de la petite enfance, des médailles,comme au Télévie d’aujourd’hui. Ce seront, à un moment,des pinn’s aux slogans patriotiques… Les Allemands finirontpar les interdire.” C’est dans ce contexte que l’Office na­tional de l’Enfance est né pendant la guerre 14­18.

LES ÉCOLESProf. Tixhon : “Les écoles fonction­nent. On y interdit les chants patrio­tiques et on y impose un cours d’alle­mand. Parfois en hiver, les Allemandsles font fermer, lorsqu’elles ont tropde besoins en charbon.”

LES ÉGLISESProf. Tixhon : “Elles sont ouvertes.On peut dire que s’il reste un espacede liberté, ce sont les églises.”

LA SANTÉEn 1918, en Belgique, 25.000 per­sonnes sontmortes d’une grippeespagnole. Le prof. Balace : “Ce sontdes victimes indirectes de la guerre.On a aussi oublié de compter cellesqui, en 1920 ou 1921, sontmortesde faiblesse, après avoir été sous­ali­mentées pendant quatre ans.”

LES JOURNAUXProf. Balace : “Contrairement à 1940,il n’y a pas eu de presse collabora­tionniste sauf, à l’extrême fin del’occupation, un journal qui l’appelaitLe PeupleWallon.” Par contre, lapresse était censurée et, pour yéchapper, il y a eu quelques éditionsclandestines. La Libre Belgique,diffusée entre 1915 et 1918, reste lecas le plus célèbre. Mais il y a aussicelui d’un Visétois, Dieudonné Tho­non, qui se trouvait à Bruxelles lejour desmassacres dans sa ville. Ils’est réfugié àMaastricht et, là, il acréé un journal francophone, LeCourrier de laMeuse, qui était achetépar tous les réfugiés belges en Hol­lande, mais qui passait aussi la fron­tière et était distribué clandestine­ment dans la région.

LA RÉSISTANCEChristophe Liégeois, collectionneur :“Il n’y a pas eu, comme en 1940, unerésistancemarquée par des sabota­ges. Mais il y avait une forme derésistance plus oumoins cachée,comme ces textes en vers qui consti­tuaient des acrostiches. Si vous n’enlisiez que les premières lettres, celadonnait “Merde aux Allemands” Cestextes étaient publiés au nez et à labarbe des occupants.”

COLLABORATIONProf. Tixhon : “On ne peut pas vrai­ment parler de collaborateurs. Toutau plus, certains acceptent de fairedes choses pour les Allemands. Ven­dre desmarchandises aux soldats.Des jeunes femmes qui leur accor­dent leurs faveurs… Du point de vueéconomique, ils n’ont guère le choix.”

ÉPURATIONProf. Tixhon : “Elle a été plus violentequ’en 1945. Il y a eu desmassacresen novembre et en décembre 1918.Par contre, cette réaction populairen’a guère duré. Dès janvier 1919,cette violence a cessé. Pour relancerl’économie, on avait besoin de ceuxqui avaient de l’argent et on a jeté unvoile pudique sur ces événements.”

Leur soupe : l’eau quiavait servi à la vaisselleÀ partir d’octobre 1916, les Allemands firent leurscomptes : le pays avait perdu beaucoup d’hommes à laguerre et avait dû rappeler ses ouvriers au front. Ilseurent alors l’idée de mettre nos chômeurs belges autravail en Allemagne. Et des chômeurs, il y en avaitbeaucoup. Le système était comparable à celui du STOde 40­45, si ce n’est qu’il a cessé dès 1917.Victor Goffart, d’Havelange, a été déporté. Son Journald’un déporté civil de la guerre 14­18 a été publié, l’andernier, par sa petite­fille, Josiane Brück : “Il ne nousavait jamais parlé de la guerre. Mais il adorait écrire et,en 1970, il a raconté àmonmari qu’il allait publier sessouvenirs dans la Gazette de Huy. Il avait besoin de nouspour les retranscrire à la machine. J’étais convaincue quemon grand­père allait raconter la guerre des tranchées.Ce n’était pas ça du tout et c’est la raison pour laquellenous avons voulu le publier. Personne n’a raconté ça.”Les ouvriers belges ont saboté le travail. Dès lors, lesAllemands imaginèrent ce qu’on pourrait appeler unchantage au confort. “Vous vivez mal, vous mangezmal.Si vous travaillez, ce seramieux…” Il se souvient du jouroù, avec le morceau de pain réglementaire, il a reçu de lasoupe : l’eau qui avait servi à relaver les marmites.UVictor Goffart, Journal d’un déporté de la guerre 14­18,éditions Memory

Papiers cachés dansles boutons d’une vesteLe professeur Tixhon : “La vraie Résistance s’est expri­mée en 1914 à travers des réseaux d’espionnage et derenseignements. Ça, il y en a eu plusieurs, très efficaces.”Le plus célèbre est laDame blanche.À l’origine, Dieudonné Lambrecht, 32 ans, avait montéune équipe chargée de fournir un maximum d’informa­tions sur les trains allemands et les convois mis en placeà Liège, à Namur et Jemelle. On a considéré que sonréseau avait contribué à l’échec de l’offensive allemandeà Verdun.Lambrecht transmet ses informations via les Pays­Bas etil a une filière pour passer la frontière électrique. Ilutilise aussi une veste sur mesure, avec des boutonscreux dans lesquels il glisse ses notes retranscrites surde minuscules papiers de soie. En février 1916, il estarrêté à Liège et, le 18 avril, il est fusillé au fort de laChartreuse.Walthère Dewé, 36 ans, prend le relais et base l’organi­sation de son réseau. Chacun en sait le moins possible.Le réseauDame blanche continue certes à surveiller lesdéplacements de trains et de convois. Mais il a réussiaussi à infiltrer la police allemande d’occupation. Si bienque les hommes de Dewé disposent, par exemple, desphotos des agents chargés de les filer. Dewé sera abattupar les Allemands. Mais pendant la Deuxième guerre.

L’AIDEDES AMÉRICAINSLe Belgian Relief Flour a étéinstitué par l’ambassade desÉtats­Unis pour venir en aideà la population belge. Ondistribuait en Amérique lesphotos de nos villes ruinées

10-11 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 11: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Une classe d’école, à Visé. Tous les enfants montrent ostensiblement leur bol : ces photos sont utilisées pour bien prouver aux Améri-cains, qui apportent une aide alimentaire précieuse, que ce sont les enfants qui en profitent.

l ANGLETERRE

Ainsi naquitHercule Poirot

n Nous avons laissé les on­cles de Johnny Hallyday dansles tranchées de l’Yser. Sonpère, Léon Smet, n’avait que6 ans en 1914. Mais il n’a pasoublié : “Ma mère, ma sœurHélène et moi, nous avonsquitté Bruxelles et nous som­mes partis à pied vers la Hol­lande, en évitant les pa­trouilles. Aux Pays­Bas, onnous a embarqués sur uncargo de marchandises etnous sommes arrivés en An­gleterre. Nous avons bénéfi­cié de l’aide du baron Cartonde Wiart.”

Henry Carton de Wiartavait établi un quartier géné­ral au Havre d’où il avait ins­titué un réseau pour garderle contact avec les Belges quiavaient été accueillis en An­gleterre. Les nôtres, les Smet,ont passé une partie de cetemps de guerre dans la villede Torquay.

Un autre belge célèbre y estné : Hercule Poirot ! Lui,c’était dans l’imaginationd’Agatha Christie, qui vivaità Torquay, qui avait 24 ans en1914, qui était infirmière bé­névole. Cette fonction lui fitrencontrer beaucoup de cesréfugiés belges qui ont suivila filière anglaise mise enplace par le comte Carton deWiart. Dans son autobiogra­phie : “Nous avions une vérita­ble colonie de réfugiés belges. Jevoulais créer un détective :pourquoi ne pas en faire unBelge ? Pourquoi pas un officierde police à la retraite ?”

EXPO

SITION

ANCIEN

SAR

QUEB

USIERS

Les baraquements du Roi Albert. Après la guerre, on en a installé, partout où il y avait de l’espace disponible, pour les familles quiavaient perdu leur logement. Des logements en principe provisoires. Les derniers ont été démolis dans les années 90.

D.R.

Les monnaies de première nécessité. L’argent manque et des vil-les émettent des billets qui n’auront cours que chez elles.

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

EOIS

Deux chiens et une charrette. Tout ce que possède cette famillel’accompagne sur la route de l’exode.

D.R.

l PAYS-BAS

3000 réfugiésen quelques jours

n La Hollande fut le premierpays à accueillir des Belges,dès que la ville de Visé fut dé­truite, le 16 août. 600 hom­mes avaient été emmenés,prisonniers, en Allemagne, etles femmes s’y sont précipi­tées. Eddy Bruyère, de Visé :“La frontière n’est qu’à trois ki­lomètres. La seule ville d’Eijs­den a accueilli trois mille réfu­giés. Trois couvents ont étéremplis de Belges. D’autres ontété logés dans une église désaf­fectée. Certains ont été pris encharge par des particuliers. Il yavait des cas difficiles. Unefemme de Visé est arrivée avecun bébé de deux jours. Ils nousont apporté une aide extraor­dinaire.”

10-11 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 12: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

SEPTEMBRE 1915 à JUIN 1918 l Le périple de 333 soldats belges l

Contant le Marinet les premiersblindésh Star du sport belge,il est envoyé combattreen Russie

n Encore dans les années 60, lors­qu’un enfant de Liège se vêtait d’unpull ligné, les aînés lui disaient : “Ondirait Constant le Marin”. C’était uneréférence comme on dirait : “VoilàEddy Merckx” à un gosse à vélo. Levrai Constant le Marin n’avait riend’un marin et ne portait jamaisde pulls lignés. Il avait été une stardu sport belge avant 1914 : deuxfois champion du monde de lutteen un temps où il s’agissait du sportroi.

Lorsque la guerre éclata, le cham­pion avait 30 ans et il se présentacomme volontaire. On l’affecta dansle corps des Auto­canons­mi­trailleuses, les ancêtres des véhicu­les blindés. Une invention belge ! Àl’époque, ces blindés se déplaçaientencore sur roues : les premierstanks à chenilles ont été amenés parles Anglais, en septembre 1916,dans la Somme.

Les blindés belges furent rapide­ment installés au­delà de l’Yser et lefait est que des blindés dans lestranchées, ça ne sert… à rien. Parcontre, en Russie, le tsar, qui faisaitaussi la guerre à l’Allemagne, fit sa­voir au roi Albert qu’il aurait été

heureux de disposer de ces engins.Le 22 septembre 1915, douze véhi­cules blindés et 333 soldats belgescomposant le corps s’embarquaientpour Saint­Pétersbourg. Parmi ceshommes, Constant le Marin, maisaussi le futur poète Marcel Thiry etJulien Lahaut, celui­là même quidevint parlementaire communisteet est connu pour avoir crié “Vive laRépublique !” à l’investiture du roiBaudouin. On n’est d’ailleurs pascertain que c’était lui, mais il fut as­sassiné en 1950.

Seize Belges ont perdu la vie surles champs de bataille de Russie.Constant le Marin, lui, a été blessé àplusieurs reprises et décoré.

À Liège, Albert Grailet porte ses56 ans à la manière d’un sportif.Il n’a pas été lutteur, mais décathlo­nien. Et Constant le Marin estson grand­oncle. “Je l’ai connu !Quand il est mort, en 1965, j’avais 9ans. Lorsque je le voyais, il me parais­sait gigantesque. Il mesurait 1 m 86,ce qui est beaucoup, mais pas énorme.Mais, toujours vêtu avec élégance,il portait souvent des manteaux avecépaulettes. J’avais l’impression qu’ilavait un mètre de largeur. En outre,il se tenait toujours très droit, impé­rial… C’était un homme qui sortait del’ordinaire.”

Sur la campagne de Russie : “Pa­reil ! Il avait tapissé l’intérieur de sonblindé de tapis d’Orient.En juillet 1917, son auto­canon a étédétruit. Il fallait l’évacuer sous le feude l’ennemi. Ils étaient cinq dans unvéhicule. Deux des hommes ont ététués et Constant le Marin, lui, a été at­teint de deux balles dans la jambe etd’une autre dans le bras. Il a pu se ca­cher derrière un monticule. Ses deuxcompagnons survivants ont rampéjusqu’à une datcha proche. Ils en ontarraché la porte qu’ils ont ramenée. Ilsl’ont mise sur mon grand­oncle afinqu’il soit protégé et ces deux soldatsordinaires ont tiré, leur chef qui pesaitquelque chose comme 120 kilos, touten soulevant cette porte, jusqu’à cequ’ils soient tous en sécurité.”

Constant le Marin, qui s’appelaitau civil Henri Herd, fut rapatrié. “Il areçu quatre fois la Croix de Saint­Georges, une des plus hautes récom­penses russes. Et notamment de lamain du Tsar. Un de mes arrière­cou­sins, ici à Liège, possède toujours cesmédailles.”

LE CHIRURGIENÉTAIT UN FANGrièvement blessé à la jambe, lesportif liégeois a songé au sui­cide. “Il était persuadé qu’il allaitêtre amputé et qu’il ne pourraitplus jamais lutter. À ce point queson neveu lui prit son pistolet enpromettant de le lui rendre au casoù l’amputation se confirmerait.”Mais à l’hôpital, Constant leMarin fut confié à un chirurgienrusse qui était… un de ses fans !C’est un peu comme si RaphaëlNadal se retrouvait dans unhôpital d’Afrique.“Ce chirurgien russe l’avait vulutter à Moscou. Il lui a promis desauver sa jambe et il l’a fait.”

12-13 La Grande guerre à hauteur d’homme

Un peu de détente sur le bateau vers San Francisco

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Excursion au pied des chutes duNiagara

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Il a toujours veillé à garder une certaine élé-gance

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Le champion du monde s’en va-t-en-guerre

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Constant le Marin du temps de ses exploits.

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Page 13: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

À Paris, en septembre 1915, avant le grand départ.

l On les fait rentrer parVladivostok et l’Amérique

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Les premiers blindés belges ont servi sur le front russe.

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Une rencontre avec d’authentiques Mongols

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Juin 1918, égout à ciel ouvert à Vladivostok

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

12-13 La Grande guerre à hauteur d’homme

C’était encore l’époque des tireurs de pousse-pousse

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Les soldats belges etles geishas du quar-tier chinoisCO

LLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Retour en fanfare dans les rues de Bordeaux

COLLEC

TION

ALBE

RTGR

AILET

Ces soldatsbelges ontfait le tourdu monden Dans la famille d’AlbertGrailet, il n’y avait pas que Cons­tant le Marin parmi ces soldatsbelges de Russie : “Son neveu,Fernand Houbiers, était le plusjeune du corps des Autocanons. Ilest mort à 90 ans et je l’ai connuaussi. À cause de sa blessure, Cons­tant le Marin a été rapatrié maisFernand Houbiers, lui, a vécu l’ex­traordinaire odyssée des blindésbelges. Un vrai tour du monde…”

La révolution communiste, enRussie, change la donne. L’Ar­mée blanche, fidèle au Tsar, neveut surtout pas que l’Arméerouge communiste s’empare desblindés belges. Alors, hommes etvéhicules sont mis sur des trainset ils traversent toute la Russiejusqu’à Vladivostok qui, à l’épo­que, portait le nom de Kharbine.“Je possède, classées dans des enve­loppes, des centaines de photos queFernand Houbiers a ramenées dece périple.” On y voit des Mongolsde 1918, des Juifs très spectacu­laires, des pousse­pousse dans lequartier chinois de la ville.

Le soldat a inscrit des légendesau dos de chaque cliché. “Khar­bine 1918, trois geishas en quêted’amour auprès des petits belges.Remarquables en tous points ? De­vinez ?” Même au bout dumonde, un soldat reste un sol­dat….

Le 18 avril 1918, les blindés etles soldats quittent la Russie àbord d’un navire américain, leSheridan. Direction : San Fran­cisco. “Les photos montrent cesjeunes gens en uniformes qui sedistraient sur le pont du bateau,en faisant de la danse ou des com­bats de lutte.”

Après, ils traversent tous lesÉtats­Unis. “Ils étaient pratique­ment les premiers combattants dela guerre sur le sol américain.Dans chaque ville qu’ils traver­saient, on organisait une grandeparade.” L’album contient aussides photos de nos soldats devantles chutes du Niagara.

Le 15 juin, ils embarquent àNew York. Les dernières photosde l’oncle Fernand Houbiersmontrent le défilé de nos soldatsà travers les rues de Bordeauxoù, pour leur retour, la popula­tion les acclame.

Page 14: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

MARS à NOVEMBRE 1918 l Spa l

La guerre s’est finie à Spah Le Kaiser y a vécu les huitderniers mois de son règne

n Depuis octobre 1917, les troupesaméricaines sont rassemblées à Nan­tes et à La Rochelle. Mais on ne lesvoit pas encore sur les champs de ba­taille. Par contre, au début de 1918,les Yankees débarquent du matériel àraison de 200.000 hommes par mois.

À Bad Kreuznach, près de Wiesba­den, où il était établi, l’état­major al­lemand imagine de porter unegrande offensive au printemps 1918,avant que les Américains ne décidentde passer à l’action. Dans l’esprit dechacun des généraux allemands, ils’agit de l’offensive de la dernièrechance.

Pour réussir, ces chefs considé­raient qu’il leur fallait rapprocherleur QG du front et, entre autre parceque la vie y était agréable, ils choisi­rent la ville… de Spa.

Les généraux supérieurs y furentsuivis bientôt par l’Empereur en per­sonne. Guillaume II aura vécu à Spales huit derniers mois de la guerre etde son règne. Spa devint, en quelque

sorte, la dernière capitale de l’Empireallemand

Président des musées de la Villed’Eaux et historien local, Jean Tous­saint connaît tout surle séjour dans sa villede l’Empereur d’Alle­magne : “Le 3 mars1918, les Allemands si­gnaient avec les Com­munistes soviétiques letraité de Brest­Litovskqui réglait la questiondu front russe et per­mettait aux Allemandsde concentrer désor­mais toutes leurs trou­pes en direction de laFrance. Dès le 8 mars,cinq jours plus tard,Hindenburg et Luden­dorff, les deux princi­paux chefs de l’Armée,établissaient leur état­major à l’Hôtel Britan­nique, dont le bâtimentexiste encore mais estoccupé par l’internat del’Athénée.”

Hindenbourg habita dans le châ­teau du Sous­Bois. “Une grosse villaappartenant à la famille Nagelmackers.

Ludendorff, lui, s’était installé dans lavilla Hill Cottage, sur la route du Ton­nelet, sur les hauteurs de la ville. Aussi­tôt, on prépara l’arrivée de l’Empereur

et on lui réserva lapropriété Peltzer. CePeltzer était très im­portant industriel lai­nier de Verviers. Lapropriété comprenaitquatre châteaux etdonnait sur le lac deWarfaaz.”

Guillaume II arrivaà Spa le 12 mars. “Illogea pendant quel­ques jours à la Frai­neuse. La grande of­fensive allemandecommença le 21 et, le23, le Kaiser s’instal­lait dans le châteauNeubois, spécialementaménagé pour lui,avec abri antiaérien.”

En juin, l’épousedu Kayzer, l’impéra­trice Augusta­Victo­

ria, viendra rejoindre son mari.“La vie des Spadois était plus que bous­culée. Pour sortir de la ville, les gens de­vaient obtenir des autorisations.”

Le fameux assaut dans lequel les Al­lemands avaient placé tous leurs es­poirs, est contenu par les forces al­liées commandées par le généralFoch, et, aussitôt, en réplique, lesAméricains se mettent en marche.“Le 1er et le 12 mai, d’importantes con­férences internationales vont se tenir àSpa. On a vu défiler chez nous le nouvelempereur Charles d’Autriche, l’héritierallemand Wilhelm, le Grand Vizir deTurquie, les chefs cosaques d’Ukraine…”

Dès le mois d’août, le haut com­mandement allemand considère queson armée ne peut plus remporterla guerre.

La demande d’armistice sera prépa­rée à Spa d’où elle partira vers laFrance le 7 novembre.

Le 9, l’Empereur abdique et de­mande asile à la reine Wilhelminedes Pays­Bas.

Le 10, le Kaiser quitte Spa à bordd’un train qui s’arrête en gare de LaReid. L’empereur prend place dansun convoi automobile qui, sansmême passer une dernière fois parl’Allemagne, franchit la frontière hol­landaise à Eijsden.

Le 11 novembre 1918, l’armisticeest signé à bord d’un wagon, en forêtde Compiègne.

l Visite

Le balcon historiquen La chambre du Kaiser, à l’étage, estdevenue une chapelle. Mais, au rez­de­chaussée, l’immense salle­à­manger est toujours là, avec ses murs,tapissée de boiseries.

Par contre, le lieu est moins riche­ment décoré qu’à l’époque. On le saitparce que, sur un des murs, un cadrepropose plusieurs photos d’alors. Il yavait ici des fauteuils cossus, des ta­bles aux contours ciselés, des lampa­daires…

Une autre photo montre le Kaiseren grand uniforme, sur la terrasse. Ilfume une cigarette en bavardantavec le roi de Saxe et, sur le mêmedocument, plus à droite, le généralLudendorff est lui­même en conver­sation avec un major.

La photo d’en­dessous est priseexactement au même endroit, maisle 16 juillet 1920. La guerre est finieet, cette fois, les personnalités comp­tent parmi les vainqueurs : le maré­chal Foch, Millerand, président fran­çais du Conseil, le général Weygand…Ils étaient venus ici pour préparer letraité de Versailles.

Ce balcon historique est toujourslà…

“On a vu défilerchez nous lenouvel empereurCharles d’Autriche,l’héritier allemandWilhelm, le GrandVizir de Turquie,les chefs cosaquesd’Ukraine…”Jean Toussaint

Dans le bunker de l’Empereurh “Une fois par semaine, quelqu’un sonne et demande à le voir. Souvent desAllemands.”

Nous sommes dans les bois, sur leshauteurs de Spa, à gauche sur laroute qui monte vers l’aérodrome.Le petit village de Nivezé est connupour son centre derevalidation et c’està deux pas, au croi­sement de deuxpetites routes deforêts, que se trouvecette grosse villa destyle normand, lechâteau Neubois,qui a servi, pendantles huit derniersmois de 14­18, derésidence à l’Empe­reur Guillaume II d’Allemagne, legrand responsable de la Premièreguerre mondiale. Jean Toussaint :“Le Neubois lui servit de logement.Par contre, pour ses réceptionsofficielles, il utilisait le châteauvoisin, le Haut Neubois, occupéaujourd’hui par le Ceran, un coursde langues de réputation internatio­nale.”Le Neubois est géré par Foyer de

Charité, une institution catholiquequi y organise des retraites. Enprincipe, le château ne se visite quelors des Journées du Patrimoine.

Mais on n’y fermejamais les portes.La bénévole quim’accueille à l’en­trée a l’habituded’être dérangée : “Jene dis pas que lepassé historique dulieu nous amène desvisiteurs chaquesemaine. Mais enmoyenne, nous enavons un par se­

maine. Souvent, des Allemands.”Ce que les visiteurs veulent surtoutvoir, lorsqu’ils viennent ici, c’est lefameux bunker construit pourla sécurité de l’empereur : unepetite pièce aux murs nus en béton.Cinq mètres sur deux mètres etdemi. Hauteur : 2 m 10. C’est mi­nuscule.Mais les murs ont une épaisseur de1 m 20 et le plafond de 1 m 50.

On est à quatre mètres sous le sol.L’aviation n’était pas, en 1918, cequ’elle fut en 1940, mais on crai­gnait quand même les bombarde­ments. Des tirs d’artillerie étaientaussi possibles.De l’intérieur du château, on pénè­tre dans le bunker de l’Empereurpar des escaliers et un corridorbétonnés. L’épaisse porte blindéeest, cent ans plus tard, très rouilléeet elle bouge difficilement. Maiselle est là ! Et on voit qu’à 50 cm dusol, elle était sectionnée. Ainsi, cetteporte en deux parties pouvait êtreutilisée même si un éboulementavait bloqué l’ouverture au sol.Dans le fond du bunker, il existeune issue de secours : un souterrainqui donne, une cinquantaine demètres plus loin, dans une prairie,derrière le château. L’issue estinvisible pour un avion : elle estmasquée par une élégante roseraiearrondie. Pour mieux l’intégrerdans le paysage, sans éveiller lessoupçons, une roseraie identique,jumelle, a été plantée tout à côté.

2DES ROSERAIESLa sortie du bunker deGuillaume II était masquéepar une élégante roseraiearrondie. Pour éviter lessoupçons, il y en avait deux.

14-15 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 15: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Le roi de Saxe et l’Empereur Guillaume II à g. Ludendorff est le quatrième à gauche.

FOYE

RDE

CHAR

ITÉSP

A

Exactement au même endroit, mais en 1919. Le maréchal Foch (tout à g.) et le président du Conseil, Millerand. Legénéral Weygand est tout à droite.

FOYE

RDE

CHAR

ITÉSP

A

Le balcon historique du château Neubois

D.H.

Aujourd’hui, la porte blindée du bunker estmarquée le poids de son âge

D.H.

La salle à manger du Kaiser

FOYE

RDE

CHAR

ITÉSP

A

La même, aujourd’hui

FOYE

RCH

ARITÉSP

A

Le bunker construit pour protéger l’Empereur d’Allemagneattire régulièrement des visiteurs

FOYE

RCH

ARITÉSP

A

14-15 La Grande guerre à hauteur d’homme

Page 16: Supllb 20140605 supllb full

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

28 JUIN 1919 l Le traité de Versailles l

Fin d’une guerre, début de l’autreh Traité de Versailles : oncroyait que ce serait la Derdes Ders

n À partir de 1917, on entendit cetteexpression qui devait définir ce con­flit : la Der des Ders. Le maréchal Pé­tain insufflait aux soldats françaisune nouvelle raison de combattre.Défendre la Patrie ne leur suffisaitplus. Ils en avaient marre de ces offi­ciers qui menaient la vie de châteaualors que les troupes supportaientcelles des tranchées et des champs debataille. Ils étaient exaspérés par cessupérieurs qui n’avaient aucun res­pect pour la vie de leurs hommes etqui ne voyaient les soldats quecomme chair à canon. Le général Ni­velle fut relevé de ses fonctions et Pé­tain prit le commandement des trou­pes. Il comprit qu’il était urgent de

porter l’idéal sur un autre terrain. LaDer des Ders…

En se battant contre l’Allemagne,c’était contre la guerre qu’ils étaienten guerre. Tout le monde en étaitpersuadé : il suffisait de réduire l’Al­lemagne à la défaite et, jamais plus, lemonde ne vivrait un cauchemar pa­reil !

Ceci est une donnée qu’il faut gar­der en tête lorsqu’on examine ce quis’est signé, dans la galerie des Glacesdu château de Versailles, sept moisaprès l’armistice, le 28 juin 1919 à11 heures et 12 minutes.

Le monde entier voulait une paixdurable. L’Allemagne apparaissaitcomme l’obstacle. Dès lors, le pays futcondamné à payer des réparations deguerre exorbitantes, à renoncer auxdroits des brevets et de douanes, à li­vrer aux vainqueurs 5.000 canons,25.000 avions, des blindés et toute saflotte….

Son réarmement serait dorénavant

limité. Son empire colonial démem­bré.

Le pays sera aussi amputé de 15 %de son territoire. C’est ainsi que l’Al­sace et la Lorraine reviendront à laFrance et que la Belgique hériterad’Eupen et de sa région. À l’Est, despays nouveaux naissent, faisant tam­pon entre l’Allemagne et la Russiedésormais communiste : la Pologneet la Tchécoslovaquie.

L’Allemagne était démembrée. L’Al­lemagne était ruinée. L’Allemagnecessait, aux yeux de tous, d’être unproblème. Il n’y avait plus – pen­sait­on à Versailles – qu’à profiterpleinement de la paix.

C’était sans compter sur l’humilia­tion d’un pays et de son caporal Adolfqui, dès 1925, sortait son livre MeinKampf, appelant à la restauration duprestige national et dénonçantun complot juif mondial.

Le Traité de Versailles a aussi fait lenid du conflit mondial suivant.

D.R.

Pendant quatre ans, la guerre des tranchées a surtout été une guerre d’artille-rie.

HOOG

ECR

ATER

SMUS

EUM

Les villes ont payé aussi un tribut. Ici, la cathédraled’Ypres, détruite par un bombardement.

HOOG

ECR

ATER

SMUS

EUM

Une guerre des hommes, c’est ça aussi...

Le professeur Balace

Chasser les Allemands de chez nous“Des gens originaires d’Allemagne maisdont la famille était en Belgique depuis1830 ont été reconduits à la frontière ettous leurs biens saisis. Le cas le plus extra-ordinaire fut celui du duc d’Aremberg,prince du Saint-Empire, qui avait la doublenationalité. Il pensait que son statut desénateur le protégerait. Mais on se renditcompte qu’il avait oublié de renoncer à ungrade de major de réserve de l’Arméeimpériale. C’est ainsi que l’État belge arécupéré le Palais d’Egmont, qui était samaison à Bruxelles, le château d’Enghien et,à Marche-les-Dames, le château qui estdevenu le PC des para-commandos. Sesterres ont été vendues à des fermiers.”

À Eupen, le chahut total

“Ma mère est née allemande. Elle étaiten primaire lorsque la région a été confis-quée à l’Allemagne. Les bourgmestres,fonctionnaires et enseignants ont pu choi-sir : rentrer en Allemagne ou travailler pourle gouvernement belge. Le vrai problème futde remplacer ceux qui partaient par desBelges qui devaient parler l’allemand. Cequi ne courait pas les rues. Dans sa classe,ma mère a vu arriver une jeune femme deBastogne qui parlait à peine notre langue.Et ce fut le chahut total…”Historien, le docteur Alfred Minke estspécialiste des cantons de l’Est : “Lorsquel’armistice fut signé, les gens d’Eupenn’imaginaient pas qu’on les rattacherait à laBelgique. Quelques semaines avant Ver-sailles, des bruits ont commencé à circuler,mais ils suscitaient une grande incrédulité.Les gens pensaient que l’Allemagne ne selaisserait pas faire. Ils ignoraient que lesalliés avaient décidé d’écarter les vaincusdes négociations.”Les Belges avaient demandé cette régioncomme réparation économique des pertessubies pendant la guerre : “C’était unerégion forestière, donc riche. Il y avait ausside grandes nappes d’eau, qui intéressaientl’industrie textile de Verviers.”Les Américains n’aimaient pas ces an-nexions et avaient exigé qu’un référendumsoit d’abord organisé. Il n’a été mis sur piedet contrôlé que par la Belgique ! Tout lemonde s’accorde à reconnaître que ce futune mascarade : “Les adversaires du pas-sage à la Belgique devaient s’inscrire maisil n’y avait qu’un bureau à Eupen et un autreà Malmedy, en cette époque où les déplace-ments étaient quasiment impossibles.Sur 34000 personnes concernées, il n’y eutque 271 oppositions. Mais la plus grandemanifestation de l’histoire d’Eupen date decette époque : dans les rues, 10000 per-sonnes réclamaient une consultation libre.”Qui n’a jamais eu lieu.

16 La Grande guerre à hauteur d’homme