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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. LA BELGIQUE, BELLE ET LIBRE COLLECTION JEAN-LUC PONSIN Supplément du 2 septembre 2014 réalisé par Eddy Przybylski SEPTEMBRE 44

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Supplément Libre du 2 septembre 2014

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LABELGIQUE,BELLEET LIBRE

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Supplément du 2 septembre 2014 réalisé par Eddy Przybylski

SEPTEMBRE44

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Les Britanniques et les Américains ont franchi les frontièresde la Belgique le 2 septembre en début d’après-midi.

Nos témoins

Fabrice Maerten et Alain Colignon À Bruxel-les, près de la gare du Midi, le CEGES est uncentre d’études et d’archives spécialisé dans lesconflits modernes où travaillent une dizained’historiens.Deux d’entre eux, Fabrice Maerten et AlainColignon, ont cosigné le livre “La Wallonie sousl’Occupation”, à la Renaissance du LivreJosé Géal est le marionnettiste le plus célèbredu pays. L’animateur du Théâtre de Toone, àBruxelles, avait 13 ans au moment de la Libéra-tion.Paul Biron avait 24 ans en 1944. Il est décédéen 1998, mais il nous a laissé ses souvenirs deguerre et d’Occupation dans une série de livres,en succulent parler liégeois, qui a eu un énormesuccès dans les années 70 : la sérieMon Mo-nonke.Elle se ponctuait par un volume intituléMonMononke et la Libération. Les événementsracontés par un Belge ordinaire.

Les Libérateurs dans nos rues où, partout, flottent des drapeauxtricolores. Ici, en septembre 1944, à Bastogne.

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2/3 Libération de Bruxelles

Objectif : Anversh Pendant deux mois,la progression des alliés a été trèslente. Puis…

Le premier libérateur est arrivé en Belgique…par erreur ! Le samedi 2 septembre 1944,un motard de l’avant­garde de la 2e divisionblindée américaine était chargé de repérer lesroutes menant chez nous, avec mission des’arrêter à la frontière. À la sortie de la petiteville française de Mouchin, un pont franchis­sait un ruisseau, l’Elnon. Le motard franchit cepont, ignorant que, de l’autre côté, il se trou­vait bel et bien en Belgique.À l’approche du village de laGlanerie, il aperçut un dra­peau allemand. Il comprit etfit demi­tour. La Libérationn’était plus qu’une questiond’heures.

En fin d’après­midi, troiskilomètres plus loin, troistanks américains sont entrésdans le village de Rumes, àhuit kilomètres de Tournai.Des Allemands se trouvaientencore sur place. On en a vuqui venaient observer la pa­trouille américaine. Ils n’ontpas demandé leur reste. Gérard Havet, un desaînés de Rumes, a raconté ses souvenirs :“En 1940, les Allemands étaient entrés en Belgi­que triomphants, fiers, avec une armée discipli­née. Ce jour­là, on les a vus repartir comme desmalheureux, traînant les pieds, avec un sac sur ledos, ou parfois avec un vélo.”Rumes a été la pre­mière commune belge libérée. “C’est incroya­ble la folie qu’il y avait dans le village. Les gensenvahissaient les tanks et embrassaient les Amé­ricains et, eux, ils distribuaient des cigarettes.” Le3 septembre était un dimanche. Une grand­messe a été dite en l’honneur des Libérateurs.

Dès le 2 septembre, Tournai était libérée.Le 3, c’était Bruxelles. La suite de la Libérationdu pays fut très rapide. Neufchâteau est la der­nière grande ville débarrassée des envahis­seurs. C’était le 13 septembre.

L’opération visant à refouler les Allemandsavait commencé pendant l’automne de 1943lorsque les premières troupes américaines fu­rent accueillies sur le sol britannique.

En juin 1944, dans le sud de l’Angleterre,1108 camps sont occupés par trois millions desoldats. Le 6 juin, 135000 d’entre eux partici­pent au Débarquement en Normandie.Ce soir­là, les alliés occupent 80 km de plages,mais seulement sur une petite dizaine de kilo­mètres, dans les meilleurs cas, à l’intérieur desterres. Il s’agit maintenant d’amener les troismillions de combattants, un demi­million devéhicules et trois millions de tonnes de maté­riel et de ravitaillement. Les troupes alliées ontprioritairement besoin de ports !

Si le haut état­major a choisi la Normandiepour débarquer, c’est en raison de la proxi­mité de Cherbourg : un port en eaux profon­des. Par marée haute et par marée basse, il y atoujours assez de profondeur pour débarquerhommes et matériel.

Entre les plages du débarquement et Cher­bourg, il n’y a pas 50 km, mais les Américains

vont mettre trois semaines à les conquérir. Le27 juin, le port est entre leurs mains. Mais la si­tuation sur le terrain ne va plus évoluer pen­dant un gros mois.

Avant d’abandonner Cherbourg, les Alle­mands ont détruit tout ce qui pouvait l’être.Il faut réparer et les premiers Liberty Shipsne débarqueront pas de matériel avant le7 juillet. Alors seulement, on pourra commen­cer à préparer la Libération de l’Europe.

Fabrice Maerten et Alain Colignon sont his­toriens au CEGES : “En Normandie, la résistanceallemande a été plus importante que prévu etle terrain de bocages normands n’était pas favo­rable à une offensive. Les Alliés se sont retrouvésbloqués devant Caen.”

Alors, les Américains ontchangé de stratégie. Le24 juillet, ils ont lancé l’opé­ration Cobra. “Menés par Pat­ton, ils ont fait route de l’autrecôté, vers la Bretagne. Cela leura permis de se déployer en de­hors des bocages de Normandieet d’entamer des mouvementsvia le nord de la Loire. De lasorte, ils ont contourné les li­gnes allemandes et ils ont en­cerclé l’armée ennemie.”

Un succès déterminantpour les alliés. Le 21 août,après deux mois et demi en

Normandie, ils n’avaient certes avancé qu’àseulement 40 km au­delà de Caen, mais les Al­lemands, exsangues, ne songeaient plus qu’aurepli et, leur urgence, désormais, était de ren­trer défendre le territoire national.

La Libération de l’Europe commençait enfin.Avec une priorité absolue : libérer Paris. Pourla portée symbolique. Ce sera réalisé en quatrejours, dès le 25 août. Et à partir du 29, les Alle­mands se replient massivement. La suite de­vient une poursuite avec un nouvel objectifprioritaire : contrôler Anvers. Toujours ce be­soin impératif de tenir des ports. Anvers est leplus important au nord de l’Europe. Voilàpourquoi, avant toutes choses, ils prennent ladirection de la Belgique.

3000000COMBATTANTSLe débarquement du 6 juinréussi, il s’agit alors d’achemi­ner les trois millions de com­battants, le demi­million devéhicules et les trois millions detonnes dematériel et de ravi­taillement. Les alliées ont prio­ritairement besoin de ports.

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Après quatre années d’Occupation, tous les Belges se retrouventlibres, dans les rues.

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Cette photo date du 7 septembre. Bruxelles est libre depuisplusieurs jours. Mais la conquête du pays continue, villagepar village.

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Un dernier mot avant de partir

Dans les journaux L’auteur Paul Biron avaitrelevé ce texte inimaginable et “pas croyable”comme il le disait, qui a été publié dans lesjournaux de chez nous (contrôlés par les Alle-mands) peu avant le repli des troupes nazies :“Les puissances démocratiques ou communistesont l’air de triompher. […] L’Europe est ravagéepar les bombes. La France est particulièrementattaquée par ses anciens alliés. Il se peut quedemain, les “libérateurs” aient à nouveau lepouvoir ici, l’Allemagne gardant son intégrité.On imagine ce que sera cette victoire : le déchaî-nement des pires instincts. La racaille au pou-voir. Le communisme triomphant en peu demois : les Juifs assassinant le peuple, mitraillet-tes en mains. Les commissaires du peupleréglant le sort de la bourgeoisie. Thorez et Martysupplantant de Gaulle tôt évanoui.”

“Les Allemandsdeviennent nerveux”Malgré l’Occupation,les Belges sont informésdu débarquementet de la suite

L’animateur de marionnettes José Géal : “Jepense que tout le monde, à Bruxelles, écoutaitRadio Londres. En tout cas, on savait tout du dé­barquement en Normandie. Les Allemands ten­taient de brouiller les lignes mais on captait cesmessages curieux. “La cravate blanche estdans le cirage…” ou la voix de Fleichmann :“Courage ! On les aura, les Boches !” La propa­gande allemande essayait de nous convaincrequ’ils avaient la situation en main et qu’ils al­laient les rejeter à la mer. Mais personnene croyait ça. Parfois, on se posait quand mêmela question : “Vont­ils réussir ?” Ça aurait étécatastrophique…”

Fabrice Maerten, historien du CEGES : “LesBelges étaient bien sûr tenus au courant du dé­barquement par Radio Londres. Mais, mêmeles radios contrôlées par les Allemands ontdonné l’information le jour même. Les Alle­mands savaient parfaitement que, malgré lesinterdictions, ils étaient nombreux, en Belgique,à suivre les bulletins de Londres. Donc, il leurfallait agir en termes de contre­propagande.S’il leur était impossible d’affirmer que cettehistoire de débarquement n’était qu’une ru­meur, ils prétendaient que les “envahisseurs”seraient vite refoulés et que la situation étaitsous contrôle. Ça ne trompait personne. La ten­dance, en Belgique, était de dire : “Ne croyez pasce que les radios allemandes racontent.”

Dans sa série de livres souvenirs, Mon Mo­nonke, Paul Biron évoque les journaux queles Belges pouvaient acheter pendant l’Occu­pation. Avant le 6 juin 1944 : “La perspectived’un débarquement inquiète la population. Si lachose n’est pas impossible, il n’est pas imminent.Il faut se dire que le vrai danger vient de l’Est.”ou “Un débarquement sur l’Atlantique et dansla Manche serait voué à un échec des plus san­glants. Et les Alliés le savent.”

Après le D­Day ? Paul Biron : “Les Allemandsenvisagent la situation avec optimisme. Si on encroit les journaux, les Américains ont déjàperdu 85.000 hommes quelques jours aprèsle débarquement. Les journaux disent aussi que,dans les régions occupées par les Anglo­Améri­cains, les gens se plaignent du rationnement etracontent partout combien les soldats alle­mands étaient des gens corrects. Mais si tuprends Radio­Londres, tu entends les cris dejoie des Français libérés. Ils mangent du vrai

chocolat.”Alain Colignon, un autre historien du

CEGES : “Les Belges ont certainement été trèsheureux par les nouvelles du 6 juin.Mais on s’estrendu compte que, dans les semaines qui sui­vaient, les alliés ne progressaient pas très vite.Après quatre ans de fausses bonnes nouvelles etde faux espoirs, les gens ont été très inquiets.Les Belges étaient soumis à la propagande alle­mande. Entre les bulletins de victoires des uns etde défaites des autres, la population avait ten­dance à se méfier des deux.”

Après deux mois, les Américains finissentpar percer Avranches, puis triomphent à Fa­laise et ils libèrent Paris. Paul Biron vivaittout cela en Belgique : “Les Allemands sont de­venus fort nerveux. Ils font patrouilles sur pa­trouilles et des rafles à n’en plus finir. Une foisou deux par semaine, on fait descendre des gensdu tram pour les fouiller ou demander les cartesd’identité. La même chose sur les trains.”

L’auteur liégeois évoque une pratique fortrépandue dans ces semaines­là : “Chez eux, lesgens ont de grandes cartes de la France et de laBelgique et, en écoutant la radio, on met des pe­tits drapeaux pour indiquer l’avance des trou­pes alliées. À longueur de journée, on est commependus au poste de radio. On ne rate aucuneémission.”

RUEDE

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TERS

Tout le monde écoutait Radio Londres.

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Sous les bombesamiesh Les avions anglaiset américains ont tué300 civils à Namur

À froid, la chose a de quoi surprendreceux de la jeune génération qui n’ontpas vécu ces événements : mais oui,les bombardements aériens sur laBelgique, en 1944, ont été réalisés pardes avions anglais et américains. Il y amême eu deux phases de bombarde­ments alliés : au printemps 1944,alors que se préparait le débarque­ment en Normandie; puis, à partir du15 août, à l’approche des Libérateurs.L’historien Fabrice Maerten : “Dansun cas comme dans l’autre, il s’agissaitde tout faire pour empêcher les Alle­mands d’amener des renforts massifs.En 1944, les Britanniques craignaientque le débarquement ne se solde par despertes d’hommes importantes et,dès lors, au printemps, on a bombardéles routes par où, logiquement, les Alle­mands amèneraient des renforts : l’axeLiège –Namur –Hainaut. Ils visaient lesnœuds routiers stratégiques et les garesde triage. C’est le Hainaut qui a trinquéle plus, parce que le réseau de voies fer­rées y était très dense.”

La Louvière a subi sept bombarde­ments entre le 23 mars et le 22 mai,et un huitième quelques jours avantla Libération, le 25 août. Ils visaientla gare de formation de Haine­Saint­Pierre mais, au total, dans la popula­tion civile, ces raids ont fait 105 tuéset 127 blessés hospitalisés. Ona compté 259 maisons anéanties,348 autres inhabitables, 3108 par­tiellement détruites, 114 rues attein­tes et quatre usines endommagées.“En septembre, l’immense majorité dela population belge a accueilli les Libé­rateurs avec joie et soulagement, maison ne peut pas dire que les alliés ontreçu partout un accueil triomphal.À Ottignies, où un nœud ferroviaire im­portant a été ciblé le 21 avril, l’accueila été fort différent d’une commune àl’autre. Dans des régions commeLa Louvière, Haine­Saint­Pierre, Haine­Saint­Paul ou dans le Brabant Wallon,on pouvait encore discerner le ressenti­ment de la population trente ans aprèsles bombardements.”

C’est que les pilotes de 1944ne disposaient pas de la technologied’aujourd’hui. “Les Américains prati­quaient ce qu’ils appelaient le carpetbombing : on bombardait par zones,intensément, et les avions, qui arri­vaient par formations de plusieurs di­zaines, volaient assez haut. Les avionsbritanniques arrivaient plus bas et setrouvaient donc plus proches des cibles.Les gens disaient que les Britanniques

agissaient avec plus de prudence que lesAméricains. Ce n’est pas une constata­tion forcément scientifique.”

À plusieurs endroits, les bombesont raté leurs cibles mais ont tuéles gens. “Le 18 août 1944, l’échec a étéparticulièrement marquant à Namur.Les ponts sur laMeuse sont restés quasi­ment intacts, mais le centre de la villeétait écrasé. Il y a eu 300 victimesparmi les civils.” À Huy, pareil !Le bombardement raté des Améri­cains a fait 80 tués et 158 blessés.

À Bruxelles, ils visent l’aérodromed’Evere et la gare de Schaerbeek mais,le 3 août 1944, une des bombes per­dues détruit, à 19 h 15, un abri aucentre du square Ambiorix. On par­lera de 50 morts dont 32 enfants. JoséDuchant : “Je voulais aller jouer ausquare, mais ma mère a d’abord fini savaisselle. Sans quoi, nous étions dedans.On nous a raconté, après, que le pilotecroyait bombarder Berlin.” Une ru­meur ! Comme il en circulait...

Il ne faisait pas bon vivre près d’unegare. À Liège, le 9 mai, près de la garede triage de Kinkempois, le vicaire,Alexis Compère, a été tué dans sonéglise détruite.

Les Allemands en profitaient pourdes opérations de propagande : “Ilsparlaient des “criminels anglo­saxonsqui venaient bombarder les hôpitaux etles églises.” Les journaux clandestinsprécisaient quand même que si les Alle­mands n’étaient pas venus occuperle pays, il n’y aurait jamais eu ces bom­bardements et, après tout, c’était de leurfaute. La population a traversé cette pé­riode avec un seuil de compréhensionassez grand qui, je l’imagine, s’atté­nuait chez les familles meurtries direc­tement par ces bombardements.”

D.R.

Les enfants de Laeken

Écoutez les oiseaux… Dans l’inter-view événement qu’il a offerte à PascalVrebos, le roi Albert II – qui a eu 10 ansle jour même du Débarquement – araconté qu’à Laeken, les enfants royauxavaient une manière à eux d’être aver-tis de l’imminence d’un bombarde-ment : “Mon frère, ma sœur et moi,quand on se promenait dans le parc deLaeken, nous écoutions les oiseaux.Les oiseaux sentent l’orage et ils ontalors un petit cri d’alerte spécial.De la même manière, pendant la guerre,ils entendaient les avions avant queles sirènes retentissent. En les écou-tant, mon frère et moi, nous savionsque nous devions courir à l’abri.Des bombes sont tombées à 200 ou300 mètres du château. Elles ontd’ailleurs fait sauter les carreaux.”

1 + 9LES ENFANTSDE SART-EN-FAGNEAvant que les bombardiers alliésne visent les points stratégiquessitués chez nous, ils survolaientle pays pour s’en aller détruirel’Allemagne.Il y a eu aussi des accidents.Le 24 janvier 1944, un avionqui rentrait à sa base à perduun réservoir de phosphore quiest tombé sur l’école de Sart­en­Fagne, un petit village qui comp­tait alors 202 habitants,à 12 km au sud de Philippeville.L’incendie de l’école a provoquéla mort de l’institutriceet de neuf enfants.

Annie Cordy

“On trouvait ça beau” La chanteuseAnnie Cordy frôlait les 16 ans. “La villede Bruxelles était régulièrement bom-bardée. Je me souviens de mamanqui criait : “À la cave !” Nous étionseffrayés, bien sûr, mais, quand même,la nuit, nous mettions, mon frèreet moi, notre nez à la fenêtre pourregarder. Parce qu’on trouvait ça beau.”

Elles avaient 13 ans et 8 ans.Deux des victimes de l’accidentdramatique de Sart-en-Fagne.

D.R.

D.R.

4/5 Libération de Bruxelles

Dans les abris

Les pilleurs après les bombesDans le “Mon Mononke” de Paul Biron :“Les sirènes sifflent l’alerte et la fin del’alerte. Dans les abris, on a les épaulesqui rentrent dans le corps. C’est lesilence. Personne ne bouge. Entre lesdeux, tu entends passer les appareils etça dure des minutes et des minutes. LaDCA fait péter un obus et tu vois desnuages blancs qui volent tout autourdes avions. À mon avis, ils sont trophauts et les tirs ne vont jamais jus-que-là.”“Les morts ne se comptent plus.Quand les bombes sont tombées, lesgens reviennent pour chercher leurspetites affaires et essayer de retrouverune chose ou l’autre. Mais il y a aussides voyous qui viennent pour voler.Parfois, on entend des cris deux ou troisjours après un bombardement et onretrouve une personne vivante.”“Ce n’est pas une façon de faire laguerre que de venir tuer autant debraves gens.”

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La place d’Armes, à Namur, après le bombardement raté du 18 août 1944.

Une photo prise à Louvain. Une mère et ses trois enfants traversent le quartieren ruine, après un bombardement.

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“Grand­mère insultaitles aviateurs”“Étouffés par la poussière. Lescadavres avaient la bouchegrande ouverte.”

Le cercle d’Histoire d’Ottignies a publiéles témoignages d’aînés qui ont vécu cebombardement du 20 avril 1944. PaulaStrens, par exemple, avait 19 ans et vi­vait à Limelette. Elle parle de 22 minu­tes interminables :“Dans la cave, nous di­sions nos prières, ac­croupis. Grand­mère,seule, était debout,parce qu’elle ne savaitpas se baisser. Elle se te­nait à un pilier et insul­tait les aviateurs.”

Lorsqu’elle est sortiedes caves, il n’y avaitplus à sa maison ni carreaux ni volets.Dans le quartier : “Les cadavres étaientamenés dans les cafés, en attendant que lesfamilles viennent les rechercher. Je me sou­viens d’une fille de mon âge, morte étouf­fée dans les bras de sa maman.”

Marcel Englebert, décédé en 2012,avait 18 ans et vivait à un kilomètre seu­lement de la gare. “Les fusées illumi­naient le ciel et il faisait clair comme enplein jour. Nous entendions les vaguesd’avions qui se succédaient. Notre maisonétait solide mais, dans les caves, ce quenous redoutions, c’était d’être ensevelisdans les ruines : beaucoup de victimes sontmortes étouffées. Le silence, soudain re­venu, nous ne savions pas si c’était la findu cauchemar ou si ça allait recommencer.

Il ne faisait pas froid mais ma mère trem­blait. Les gens qui sortaient de leurmaisonparaissaient hébétés. Personne ne s’éloi­gnait : on craignait une nouvelle vague.Il était tard et la fatigue s’est fait sentirbrusquement. On a dormi, cette nuit­là,mais d’un sommeil agité.”

Le lendemain, Marcel Englebert estallé à vélo à Limelette afin d’y constaterles dégâts : “Les maisons étaient effon­drées. Les rues étaient jonchées de débris.Il y avait des dizaines et des dizaines de

trous de bombes et, pour lesfranchir, je devais portermon vélo. À Pinchart,l’étang avait été vidé deson eau et les poissonsavaient été projetés surla chaussée. Dans le parc,le château Becquet était to­talement détruit. Le colonelCoupez, sa famille et sesgens sont morts écrasés

sous la chapelle.”Ici, les cadavres étaient alignés dans le

garage Lamy. “Certains avaient la bouchegrande ouverte : ils étaient morts étoufféspar la poussière des bâtiments quis’étaient effondrés.”

Au matin, l’exode a commencé. À latombée de la nuit, les gens paniquaientà nouveau. “Nous étions persuadés qu’ilsallaient revenir. On entendait : “Ils revien­nent toujours”.

Le lendemain, des Allemands particu­lièrement nerveux réquisitionnaient leshommes du village pour aller réparerles rails arrachés par les explosions,mais aussi pour désamorcer les bombesqui n’avaient pas sauté. “Il y en avaitbeaucoup aumilieu des voies.”

À cause d’un vent mauvaisÀ Ottignies, les fuséeséclairantes précédant lesbombardiers étaient déviées

Le 20 avril à 23 heures 15, 196 avionsbritanniques ont pris la direction d’Ot­tignies afin de larguer, en plusieurs va­gues, 617 tonnes d’explosifs, c’est­à­dire plus d’un millier de bombes.

Cécile Lucas est vice­présidente duCercle d’Histoire local : “Ottignies, c’estaussi un nœud ferroviaire important quiétait, ce soir­là, l’objectif des pilotes an­glais. Il fallait le détruire. Dans la nuit,les premiers appareils avaient pour mis­sion de mettre en action des fusées éclai­rantes et, derrière, les pilotes des bombar­diers avaient pour consignes de dirigerleurs tirs en prenant pour repère l’églisede Limelette.“Malheureusement, un mauvais vent

violent a dévié les trajectoires des fusées

éclairantes et la conséquence, c’est queles pilotes se sont trompés d’église. Ils ontpris pour repère celle de Limal. Dès lors,la plupart des bombes ont été mal diri­gées. À la gare, il y a eu quelques dégâtsà une cabine électrique et à des voies.Mais tout cela a été rapidement réparé et,au bilan, dans la région, Ottignies a été lalocalité la moins touchée : neuf morts. Il yen eu 41 à Limelette et 31 à Limal.”

Si bien que la population de Lime­lette n’a pas forcément vu les Améri­cains comme les Libérateurs.“Ils étaient aussi ceux qui avaient occa­sionné d’énormes douleurs. Même si,en fin de compte, les Américains n’yétaient pour rien puisque ce sont des avi­ons anglais qui avaient bombardé la ré­gion. Mais la population, à l’époque,ne faisait pas la différence. Pour les gens,ce sont les Libérateurs qui étaient venusdétruire leurs maisons et tué leurs fa­milles. Certes, il n’y a pas eu de manifes­tations d’hostilités à l’arrivée des Améri­cains, mais l’accueil a été assez froid.”

“On entendait :“Ils reviennenttoujours.”Marcel Englebert

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La guerre des résistantsh L’état­major allié comptesur eux. Mais il y a cesrivalités...

Au début de la guerre, l’Allemagneavait un pacte avec l’Union Soviéti­que et Staline avait passé la consigneà tous les militants communistes denos pays travaillant dans des usinespouvant servir à nos armées, decommettre des sabotages. Après ledébut de l’invasion allemande enl’URSS, le 22 juin 1941, Staline fit ap­pel aux mêmes militants pour re­prendre les sabotages, mais, cettefois, contre les intérêts allemands.

C’est ainsi que les communistes dechez nous se spécialisèrent dans uneforme de résistance centrée sur le sa­botage. Ce fut l’origine d’un réseautrès important, le Front de l’Indé­pendance qui eut, bientôt, un brasarmé, les Partisans.

Mais d’autres réseaux de résistances’étaient créés autour de réalitésconcrètes. Il y avait des Juifs à sauver;puis, bientôt, il fallut abriter des sol­dats belges qui s’étaient évadés descamps de prisonniers en Allemagne.Ensuite, à partir de 1943, récupéreret sauver des aviateurs britanniques.

Faux papiers, planques, filières versla Suisse, l’Espagne et l’Angleterre…Tout cela devait se financer dans uncontexte d’extrême misère écono­mique. Alors, les réseaux de Résis­tants organisèrent, par exemple, desattaques de bureaux de Poste.

Et des réseaux, il y en avait d’in­nombrables : les Milices patriotiques,l’Armée Secrète, le Mouvement Na­tional Belge, l’Organisation MilitaireBelge de la Résistance, le Groupe G, leGroupe Nolla, la Witte Brigade…

Il y a des rivalités ! L’historien Fa­brice Maerten : “Pas seulement des ri­valités ! La population a certainementappuyé la Résistance, mais elle ne s’yretrouvait pas toujours. Tous ces gensn’étaient pas des saints. Il y avait desexcités parmi eux. Mais surtout, cer­tains profiteurs faisaient, sous le cou­vert de la Résistance, des attaques debureaux de Poste, mais à leur profit.C’était du simple banditisme.”“Tandis que les gens crevaient de

faim, faisaient la file pendant des heu­res pour avoir un pain de piètre qualité,et que le ravitaillement parvenait deplus en plus difficilement, certains, tou­jours aunomde laRésistance, forçaientdes réquisitions chez les fermiers.”“Tout cela a suscité une économie pa­

rallèle qui a nourri de vives tensions so­ciales. Le climat de violence était trèsimportant, et le sommet date du moisd’août 1944, celui qui a précédé la Li­bération. Ce qui va d’ailleurs attisercertains règlements des comptes auxpremières heures de l’Épuration.”

À Londres, les stratèges alliés qui,

au printemps 1944, organisaient leDébarquement puis, en août, prépa­raient la Libération devaient s’ap­puyer sur ces deux axes pour décou­rager et vaincre les Allemands : lesbombardements et les Résistants.

Entre tous les réseaux, il a fallufaire des choix. Fabrice Maerten : “Detous les groupes de résistants, il y avaitdeux principaux. D’abord, l’Armée se­crète, dirigée par des militaires et d’an­ciens militaires. Ensuite, le Front del’Indépendance, créé par les communis­tes.”“Jusqu’en 1943, le Front de l’Indépen­

dance a été le grandmouvement domi­nant. À partir du printemps 1944,les choses changent et le rapport de for­ces bascule, surtout en Flandre. C’estqu’il s’agit, à présent, d’armer les résis­tants et, à l’approche des Libérateurs,de leur confier des missions de sabota­ges ou de protection de certains en­droits stratégiques.”“Les Alliés vont organiser des para­

chutages d’argent, d’armes et d’explo­sifs, et ils feront davantage confiance àl’Armée Secrète parce que ce sont desmilitaires, qu’ils connaissent leur mé­tier et les armes. Le Front de l’Indépen­dance est moins en odeur de sainteté.On ne lui livre des armes et des explo­sifs qu’au compte­gouttes.”

Deux jours avant l’arrivée des Libé­rateurs, le 1er septembre, le gouver­nement belge en exil à Londres or­donne la mobilisation générale desgroupes de résistants locaux. Lesprécieux auxiliaires deviennent desguerriers. Une ville comme Brai­ne­l’Alleud sera libérée par l’ArméeSecrète. Mais il y a d’autres actionsd’éclat. Le 2 septembre, la Résistanceréussit le sabotage d’un convoi de1500 prisonniers politiques quittantla gare du Midi, à Bruxelles. Tous se­ront libérés.

200000Y COMPRIS LES FAUXJosé Géal : “Après la guerre, il y aeu beaucoup de faux résistants.Dema fenêtre, j’ai vu le dro­guiste du quartier, un hommeroublard, qui s’est fait son beurrependant la guerre. Il amenait sonfils, vêtu d’une belle chemiseblanche, et il le poussait dans ledos en lui donnant l’ordre :“Vas­y !” Il allait avec les autres,faire semblant d’avoir été unRésistant, pour obtenir les hon­neurs et la pension qui va avec.”Paul Biron : “Le gouvernementavait fixé des quotas pour que lesgroupes de résistants soientreconnus. Pour les atteindre, onrecrutait des membres alors quela guerre était finie.”Fabrice Maerten : “Pour l’ensem­ble des réseaux, 200.000 résis­tants ont été reconnus. Mais onestime que les résistants vérita­blement actifs en 1944 repré­sentent la moitié du chiffre.”

Des Allemands de deuxième catégorie

L’humour de guerre Cela a beau êtrela guerre, on a beau vivre sous l’Occu-pation – encore que ça ne soit pas sibeau que ça… -, les hommes sont deshommes et ils s’accommodent. On vit eton rit… Il existe un humour de guerre.Par exemple, celle de l’officier allemandqui hèle un enfant de nos rues : “Tuveux gagner un beau billet ?” “Oui,M’sieur.” “Tu vas me dire du mal desAnglais et je te donne de l’argent. Maisbeaucoup de mal !” L’enfant, du tac-au-tac : “Les Anglais, M’sieur, c’est dessales Boches !”Qui sont ces Allemands qui servent enBelgique en 1944 ? Le héros des livresMon Mononke a sa petite idée : “Lesunités combattantes ont été envoyéessur le front russe. Je pense que doncceux qui restent chez nous, ce sont lesmauvais. Certains ont 50 ans.”L’historien Fabrice Maerten : “Dansl’ensemble, les unités allemandes de

garde en Belgique sont des troupessecondaires, de seconde catégorie. Onpeut même dire qu’en Flandre et parti-culièrement au littoral, les soldats surplace sont de passage ou en repos.Mais partout, ces troupes sont renfor-cées par des unités plus sévères defeldgendarmes et par des policiers SS,les SIPO SD. Et il y a bien sûr les auxi-liaires autochtones : ces collaborateursbelges qui font la police à la place desAllemands. Les Gardes Wallonnescomptent quand même 2400 membreset les Vlaamse Wacht.Au fur et à mesure que la guerre aprogressé, beaucoup de troupes alle-mandes ont eu moins de besoins.L’effectif sur place a été constammentdiminué et les Allemands se sontreposés, sur place, sur un noyau decollaborateurs en se disant : “Ils vontfaire le sale boulot pour nous.” Et ilsl’ont fait…”

LA CHASSE AU COLZAToutes les missions demandéesaux réseaux de Résistants avaientleur importance. Elles n’étaientpas forcément glorieuses.Dans le Hainaut, les Allemandsavaient exigé que les agriculteursplantent du lin et, pour leursvéhicules, du colza. Les Résistantsvont tout simplement dévasterles cultures. Et mettre le feu auxwagons de lin. Les petites actionsdes grandes guerres…

Le futur roi Albert II à l’époque où ilétait prisonnier derrière les clôturesdu domaine de Hirschstein, loin en Al-lemagne

BELG

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6/7 Libération de Bruxelles

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Liège sous l’Occupation : la place Saint-Lambert etson Palais des Princes-Evêques

En septembre 1944, le contexte a changé pour eux :ils défilent… en prisonniers.

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Des soldats allemands sur la plage Rogier.

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Le Roi, prisonnieren AllemagneHimmler avait pris ladécision de faire exécutertoute la famille

La décision est venue de Himmler, grandmaître des SS et de la Gestapo : le roi desBelges, Léopold III, déjà assigné à rési­dence dans son palais de Laeken, doit êtreconduit en Allemagne où il sera fait pri­sonnier. Le colonel Kiewitz en informele souverain le 6 juin1944 vers 21 h. Le jourmême du Débarque­ment en Normandie. Lejour aussi des 10 ans dupetit prince Albert.

Les enfants se trou­vaient dans la résidenceroyale de Ciergnon. Al­bert II a raconté ces jour­nées : “Les Allemands ontdit à mon père qu’il fallaitpartir. On lui a juste donné le temps de faireune petite valise. Nous, les enfants, on nous afait revenir deCiergnonà Laeken,maismonpère était déjà parti. Dans la journée, nousl’avons eu au téléphone. C’est alors qu’il m’adit : “Je ne reviendrai peut­être plus. Soissage. Sois un bon garçon…” et tout ce qu’onpeut ajouter dans ces circonstances pa­reilles. J’étais épouvanté.”

Léopold passa sa première nuit en exil àLuxembourg. Puis on lui fit traversertoute l’Allemagne et on l’emmena dansune forteresse surplombant la rivière del’Elbe, à Hirschstein, à 40 km au nord deDresde, dans ce qui fut, jusqu’en 1989,l’Allemagne de l’Est.

Léopold pensait qu’il serait le seul de lafamille à être déporté. Mais dès le lende­main de son départ, la décision était prised’y conduire aussi la princesse de Réthy,l’épouse du roi, ainsi que les trois enfants.

Baudouin relevait d’une scarlatine etAlbert, fiévreux et pâle, souffrait desoreillons. Des photos le montrent avecune écharpe ceinturant sa tête.

Le deuxième convoi quittait la Belgiquele 9 juin. La princesse Lilian avait obtenuqu’on emmène un médecin, le docteurRahier, jusqu’à Weimar, où ils devaientfaire étape. Elle obtint aussi que ne fut pasdéportée la reine Élisabeth, âgée de68 ans. Par contre, deux proches collabo­rateurs du Roi, Willy Weemaes (son se­crétaire privé) et le gouverneur des prin­ces, le vicomte Gatien du Parc, furent duvoyage, ainsi que trois femmes chargéesd’encadrer les quatre enfants : Joséphine­Charlotte, 16 ans; Baudouin, 13 ans; Al­bert, 10 ans, et le petit prince Alexandrequi n’avait pas encore deux ans.

Cette équipée s’arrêtera dans un hôtelde Weimar où ils seront tous réveillésvers trois heures du matin par une alerte.Mais ce n’est pas ça qu’Albert II a retenu :“On a voulu nous séparer, les deux damesd’un côté, mon frère et moi ailleurs. Ma bel­le­mère, qui parlait fort bien l’allemand,nous a défendus bec et ongles et les Alle­

mands ont accepté que nous restions ensem­ble. Alors, nous sommes partis sans savoiroù on nous emmenait. Finalement, noussommes arrivés dans une forteresse sinistre.Mais qui nous attendait sur le perron ? Monpère ! Comme nous étions contents de le re­trouver…”

Aujourd’hui, ce château de Hirschsteinpourrait paraître somptueux à un tou­riste de passage. Mais la propriété étaitentourée de hautes clôtures de barbelés :la famille royale s’y trouvait sous la gardede 70 SS et de cinq chiens policiers. On

n’avait droit ni au cour­rier, ni à de la visite.Leur unique visiteur :un prêtre pour unemesse à Noël. À ce mo­ment, la Belgique étaitlibérée mais la familleroyale restait prison­nière.

Le 7 mars 1945, onles a fait quitterHirschstein en convoi,

vers Strobl, à 40 km de Salzbourg. On les ylogeait dans un chalet de chasse, mais ilsrestaient des prisonniers : la villa était iso­lée et clôturée.

À l’approche des Américains, Himmlerprit la décision de faire exécuter toute lafamille. Albert II : “Heureusement, le géné­ral Patton avait réussi à couper les commu­nications entre Berlin et l’Autriche où nousnous trouvions. L’ordre n’est pas arrivé.”

Le 7 mai 1945, les Américains les déli­vraient. Un autre épisode de l’Histoirebelge s’ouvre : la Question Royale.

Une question qui secoue le pays

8 septembre 1944 Réfugié à Londres, legouvernement rentre à Bruxelles20 septembre 1944La famille royale quitte le château deHirschstein et est maintenue prisonnièreen Autriche, à Strobl7 mai 1945 Le roi est libéré par lesAméricains19 juillet 1945 Le Parlement n’autorisepas le retour du Roi12 mars 1950 Consultation populaire :57 % des Belges disent oui au retour,mais 58 % des Wallons y sont opposés22 juillet 1950 Retour du Roi à Bruxelles26 juillet 1950 Grève générale. Lagendarmerie tire à Grâce-Berleur : 3 tués.31 juillet 1950 Léopold III annonce sonintention de transmettre ses pouvoirs àson fils11 aoûT 1950 Baudouin, 19 ans, prêteserment

3HEURESL’équipée s’arrêtera dans unhôtel deWeimar où ils seronttous réveillés vers trois heuresdumatin par une alerte.

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Les Bruxelloisont enterré Hitlerh Avant de partir, lesAllemands ont mis le feu auPalais de Justice

José Géal : “Bruxelles était en état de fiè­vre depuis que nous avions appris que lesLibérateurs arrivaient. Personnellement,je n’ai pas vu partir les Allemands, mais,dema fenêtre, j’ai vu des tanks fleuris : lesAnglais sont arrivés les premiers.” JoséGéal vivait à Koekelberg. Les premiersLibérateurs sont entrés par l’autre côtéde Bruxelles : parl’avenue de Tervuren.Aujourd’hui, une sta­tue du général Mon­tgomery trône à l’in­tersection des grandsboulevards et de cetteavenue de Tervuren,où les Britanniquessont apparus ce di­manche 3 septembredans l’après­midi.José Géal : “Quelle ex­plosion de joie ! Les fleurs sur les tanks, lesfilles embrassant les soldats… Toutes cesimages que nous connaissons tous étaientbel et bien réelles.”

Ici comme ailleurs, les soldats distri­buaient cigarettes et alcools. Pas auxenfants… José Géal : “Pour nous, c’étaitdu chocolat ! J’ai reçu une boîte en métal,sur laquelle était écrit Emergency rationet dans laquelle se trouvait un bloc dechocolat survitaminé, partagé en sixmorceaux. Un soldat en opération devaitse nourrir avec ça pendant six jours.”

Il n’y a pas eu de bataille pour Bruxel­les. Le dimanche matin, les habitantsdu centre­ville ont vu les derniers alle­mands charger en toute hâte des ca­mions militaires. Toutefois, avant leurdépart, ils ont voulu mettre le feu auPalais de Justice. José Géal : “Un endroitpareil, ça n’est pas facile à flamber. N’em­pêche ! Les Bruxellois ont connu, pendantplusieurs années, le Palais de Justice sanssa coupole.”

La spectaculaire coupole de cuivre del’édifice s’est mise à fondre sous l’effetde la chaleur et on n’a pas pu empêcherqu’elle s’écroule.

Manifestement, ce que les Allemandsavaient voulu, c’était détruire des do­cuments qu’ils ne pouvaient pas em­porter. Il n’y avait pas que les docu­ments qu’ils ont dû laisser : dans les ca­ves du Palais de Justice, on a trouvéd’énormes quantités de nourritures etde boissons ainsi que des produits deluxe.

Dans les jours qui ont suivi, les mani­festations se sont succédé. Parfois pro­tocolaires, le plus souvent populaires.Le 7 septembre, alors qu’on se battaittoujours dans les environs de Liège,

le général Montgomery était reçu offi­ciellement à l’Hôtel de Ville par lebourgmestre de Bruxelles, Vande­meulebroeck. Le dimanche 10, rue dela Prévoyance, dans les Marolles,les Bruxellois enterraient… AdolphHitler. De ce simulacre de funérailles,il reste une plaque commémorative,au numéro 44. Elle a été placée là en2009.

À quatre années de privations succé­daient des semaines de fêtes et de fo­lie. Annie Cordy avait 16 ans : “Le sa­medi soir (probablement le 9), il y a eubal à l’hôtel de ville de Laeken, la com­

mune où je vivais. Avecun grand orchestre !Nous, on découvraittous les trucs améri­cains, les musiques deGlenn Miller. Je me re­vois encore danser lebe bop avec mon frère.Et aussi ce que nousappelions le jitterbug.Mon frangin me ba­lançait à droite, à gau­che, en l’air, en bas…

C’était formidable.”Cette réalité de la fête est celle qui

accompagne le plus souvent les ima­ges de ces journées. Il y a eu d’autresqu’on a moins montrées. José Géal :“Les pillages ! Il faut dire que les gens ontvraiment crevé de faim pendant laguerre. On mangeait des rutabagas,qu’on donnait ordinairement pour fairegonfler les cochons. Ça nous faisait gon­fler aussi. Le pain était progressivementdevenu immonde. À la fin de la guerre,c’était une croûte et lorsqu’on la trouait,on passait à travers. L’intérieur était unesorte de mastic.“Quand les Allemands sont partis, je

suis allé avec mon père à la Gare de l’Estparce que tout le monde disait qu’il yavait, là, des provisions dans les wagons.Ce jour­là, ça tirait encore et mon pèrem’a dit : “Reste ici !” J’ai vu les gens sor­tir avec les bras pleins de paquets, sanssavoir ce qu’ils contenaient. Peut­êtreque ça n’était pas ce qu’ils cherchaient :des boîtes pleines de lacets. Ou de préser­vatifs…”

“Les Américains étaient là. Mais nous nous sentions un peu perdus…”

La Libération dans les villages JeanVaes, 13 ans en 1944, vivait à Montegnée,sur les hauteurs de Liège.“Chez nous, il n’y a pas eu de bagarre,pas un coup de feu. Nous avons vu les Al-lemands partir le matin et les Américainsarrivaient l’après-midi avec leurs groscamions par la grand-route qui se trouvaitau-dessus de chez nous.“Dans le village, c’était toute une histoire.Tout le monde courait vers eux pour avoirdu chocolat. Forcément ! Nous n’avions

rien en ce temps-là. J’en ai eu du chocolat !Et des gaufrettes aussi. Je me rappellede toute notre bande de gamins qui leurcourait après. Ils ne se comportaient pascomme si c’était la guerre. Ils étaientgentils, toujours souriants.“Mais on ne savait pas parler leur langue ettout le monde était un peu perdu. Oui, ilsétaient là. Mais, pour le reste, nous n’avi-ons aucune information. On ne savait pasquoi faire. C’est la police qui, progressive-ment, s’est occupée de tout organiser.”

LIBÉRATEURS BELGES :LA BRIGADE PIRONLes Américains et les Britanni­ques ont conduit les opérationsde la Libération de la Belgique.Mais il y avait aussi des troupescanadiennes, françaises, polo­naises et… belges. La fameuseBrigade Piron !Lemajor Jean­Baptiste Piron,qui sera promu colonel avantle grand départ, avait été faitprisonnier après la Campagnedes 18 jours de 1940. Enavril 1941, il s’évada et parvintà rejoindre l’Écosse le 6 janvier1942. Il avait alors 45 ans.On lui donna le commande­ment d’un groupe formé initia­lement de 642 soldats belgesqui avaient pu s’enfuir en 1940et arriver en Grande­Bretagne.Ce groupe a été renforcé pard’autres militaires belges arri­vés petit à petit. Et aussi par70 volontaires luxembourgeois.La brigade Piron compte 2200hommes le 8 août 1944, deuxmois après le D Day, lorsqu’elledébarque à son tour. On esttoujours en pleine Bataille deNormandie et la brigade a sonpremier mort au combat le16 août, à Salenelles : ÉdouardGérard, un Dinantais de 20 ans.Après la Normandie, la brigadefonce sur le Pas­de­Calais.Le 2 septembre à 20 heures,le colonel Piron apprend qu’ilva marcher sur Bruxelles.Le groupe belge passe la nuitdans la Citadelle d’Arras etse met enmarche, le 3 à 8 h 30,vers Douai. Le premier véhiculede la brigade passe la frontièrebelge le 3, à 16 heures 36, àRongy, au sud de Tournai.Puis, c’est Antoing, Leuze, Ath.Avec partout, un accueil déli­rant des populations.On dort à Enghien et le 4 sep­tembre, à 9 heures 30, les 2200soldats belges, rasés de frais ettenue impeccable, se mettentenmarche. À 15 h., la colonnepénètre dans les faubourgs dela capitale. C’est l’effervescence.Tout au long du défilé, la fouleovationne les soldats natio­naux : Porte de Namur, placedes Palais puis rue Royale où lecolonel Piron fleurit la tombedu Soldat Inconnu.La brigade Piron restera àBruxelles jusqu’au 11 septem­bre. Après, elle participe à lalibération du camp pour pri­sonniers politiques de Bourg­Léopold. Là, des combats sepoursuivent jusqu’au 13, avecune dernière contre­attaqueallemande le 16. À partir du 22,la brigade Piron reprendrala route pour aller libérerles Pays­Bas.

La fête interrompue

Waterloo Les résistants de l’Armée Secrèteavaient voulu libérer seuls la ville de Brai-ne-l’Alleud, le 4 septembre dès 6 heures dumatin. Puis ils partirent faire pareil à Water-loo et, comme partout, les habitants sorti-rent les drapeaux belges, chantaient, dan-saient et faisaient la fête. Prématurément…Il restait des Allemands partout dans larégion. Des Allemands furieux. Vers 21 heu-res, on vint annoncer qu’ils avaient mitrailléune voiture qui arrivait d’Overijse : les cinqoccupants étaient tués.Et ce n’était pas tout ! Ils avaient abattuaussi six gendarmes occupés à arrêterun couple de collaborateurs. Dans les heu-res suivantes, lorsque les Libérateurs entrè-rent dans Waterloo, il n’y eut pas, commeailleurs, de réjouissances populaires.

8/9 Libération de Bruxelles

Les drapeaux étaient sortis quandun blindé SS arrive…

Wavre Le 3 septembre, alors que Bruxellesétait libérée sans heurts, la Résistancese mit à préparer le terrain pour les troupesalliées à l’intérieur de Wavre. Mais ici, lesAllemands ne semblaient pas prêts à s’en-fuir. Ils s’étaient retranchés dans le sémi-naire de Basse-Wavre et, le 4, la ville fut lacible d’une pluie d’obus tirés par des canonsinstallés à l’aérodrome de Beauvechain.Lorsque les Anglais arrivèrent le 5, dans uncentre-ville complètement désert, les habi-tants se mirent à accrocher des drapeauxbelges aux fenêtres. C’est alors qu’un PanzerSS arriva. Ce fut évidemment l’affolement.Sans conséquences. Mais au séminaire, lecombat continuait entre les Allemands,d’une part, et les résistants renforcés, cettefois, par les Anglais. Le lendemain, le 6, la2e division blindée américaine pénétrait àson tour dans la ville. Cette fois, les Wa-vriens pouvaient faire la fête, mais cinqmorts étaient à déplorer : un pompier, deuxcivils, deux Anglais. Il y avait aussi cinqvictimes chez les Allemands, dont deux SS.

“Quelle explosionde joie ! Des fleurssur les tanks !….C’était réel !”José Géal

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Le dimanche 10 septembre, il y a eu de nouveau des uniformes allemands dans la capitale, mais ce sont des Bruxellois déguisésqui ont organisé un simulacre des funérailles d’Adolf Hitler.

Folie indescriptible à Bruxelles pour accueillir les libérateurs britanniques et… belges. Les hommes de la fameuse Brigade Piron.

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La coupole du Palais de Justice en feu s’est effondrée.

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Le maréchal Montgomery, le héros de Bruxelles, passe en re-vue les troupes belges sur la Grand-Place.

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Les onze jours de septembre

SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1944Après l’incident du motard américain,le matin, à 9 heures 30, à l’entrée duvillage de La Glanerie, la premièrecommune libérée de Belgique seraRumes, dans l’après-midi. Huit kilo-mètres plus loin, les Américainsentreront à 19 heures dans Tournai.À 20 heures, ils délivrent aussi la villede Mons.DIMANCHE 3 SEPTEMBRELes Américains libèrent Charleroi et,dans l’après-midi, les Britanniquespénètrent dans BruxellesLUNDI 4 SEPTEMBRELibération d’Anvers (par les Britanni-ques avec l’appui précieux de laRésistance)MARDI 5 SEPTEMBRENamur (Américains)MERCREDI 6 SEPTEMBREWavre (Anglais et Américains) Cour-trai et Gand (Britanniques) Huy(Américains)JEUDI 7 SEPTEMBRELiège, Dinant, Verviers, Arlon etHasselt (Américains)VENDREDI 8 SEPTEMBREOstende (Américains et Canadiens)SAMEDI 9 SEPTEMBREBruges (Américains et Canadiens)DIMANCHE 10 SEPTEMBREBastogne et Luxembourg (Américains)LUNDI 11 SEPTEMBREEupen et Malmedy (Américains) Dansla région d’Aix-la-Chapelle, les trou-pes américaines franchissent pour lapremière fois les frontières de l’Alle-magne.MARDI 12 SEPTEMBREVisé (Américains)MERCREDI 13 SEPTEMBRENeufchâteau (Américains)JEUDI 14 SEPTEMBREMaastricht (Américains) Le début dela campagne des Pays-Bas ne signifiepas que toute la Belgique est libérée.On se bat autour de Bourg-Léopoldqui ne sera libérée définitivement queleSAMEDI 16 SEPTEMBRE. Les Alle-mands tiennent Turnhout jusqu’auMARDI 26 SEPTEMBRE. Surtout, ilreste une poche de résistance alle-mande autour de la ville hollandaisede Breskens. Elle comprend les villesbelges de Zeebrugge et de Knokke.Elle permet aux Allemands de contrô-ler l’Escaut et de rendre le port d’An-vers inutilisable. Zeebrugge et Knokkene seront libérées que le VENDREDI3 NOVEMBRE 1944.

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Les gens dans les files,un tank bourré d’explosifsh 95 victimes à Liège,deux heures avant l’arrivéedes Américains

Jean Mardaga, un habitant de la rueSainte­Marguerite, à Liège, est un véri­table miraculé. Il venait de prendrela photo d’un tank qui remontaitsa rue. Après, il lui a fallu s’abriter dansun coin sombre afin de rembobiner sonappareil photo. Ça lui a sauvé la vie !

Sur la gauche de la fameuse photo deJean Mardaga, on distingue les sil­houettes d’une dizaine de Liégeois qui,comme tant de gens en cette période,font la file devant une boulangerie.Un couple de voisins les regarde par lafenêtre. Un prêtre, vêtu de sa soutane,passe à côté du groupe. On est le 7 sep­tembre 1944; il est 14 heures 10.

Dans quelques secondes, tous cesgens seront tués. Car sur la mêmephoto, on voit aussi deux chars alle­mands. Le plus proche remonte la rue,avançant au milieu de la chaussée.L’autre est dans le fond, le canon pointédans sa direction.

Ce que ces gens ignorent, c’est quele char qui vient vers eux est bourréd’explosifs : 250 kilos de TNT. Pas depilote à bord. Le Panzer est téléguidépar un système assez rudimentaire quia été imaginé et mis au point la veille.Le tank va en zigzaguant.

Ce qui attire l’attention du client d’unbistrot de la rue, Maurice Waha, 50 ans,ancien combattant de 14­18. Il se metà courir en lançant ses bras vers l’exté­rieur et en criant en wallon : “Sauvez­vous ! Il va sauter !” Personne ne réagit.Dans le quartier, tout le monde connaîtce Waha : il est le marchand de houille.Il est aussi membre de l’Armée Secrète,mais ça, on ne le sait pas. Ce qu’on saitpar contre, c’est qu’il a tendance à pico­ler. Et les gens de la rue Sainte­Margue­

rite ont pris ses éclats de voix pour uneexcentricité de plus.

Waha se mit à escalader le tank. C’està ce moment que le Panzer a explosé.95 noms de victimes se trouvent surune stèle érigée dans le parc Émile Van­dervelde, au niveau de la rue LouisFraigneux. Récemment, l’effigie enbronze du héros de la journée, MauriceWaha, a été enlevée par des voleurs demétaux.

Pour son livreMonMononke et la Libé­ration, Paul Biron avait mené une véri­table enquête sur place. En 1978, ilnous avait raconté tout ce qu’il avaitappris sur cette affaire : “Le four de laboulangerie Darimont était encore enservice et a mis le feu à tout ce qui n’avaitpas sauté. Au moment de l’explosion, lesgens ont vu une boule de feu suivre,comme un éclair, les fils du tram 12.

Après, les sauveteurs devaient faire fortattention où ils mettaient les pieds parceque ces fils de trampendaient un peu par­tout et l’eau coulait dans la rigole commeun torrent.”

Il y avait aussi cette histoire : “On a vuun passant se pencher sur le cadavred’une femme et prendre les bagues à sesdoigts. Le témoin était tellement stupéfaitque, quand il a réalisé que c’était un vo­leur, l’homme était déjà parti avec les ba­gues dans sa poche.”

Cet après­midi­là, les Allemandsavaient aussi provoqué des explosionsdestructrices, qui n’ont pas fait de vic­times, aux carrefours importants deHocheporte et du Cadran, en face duPalais des Princes­Évêques. Enfin, à15 h., ils ont mis le feu au central des té­léphones (les PTT), rue de l’Université.L’explosion de la rue Sainte­Margueriteayant détruit la canalisation principalequi amenait l’eau à Liège, les pompiersn’en avaient plus pour éteindre l’incen­die des PTT. Au Cadran, les gens es­sayaient de venir à bout du feu avec desseaux d’eau. Tout ceci a donné, aux Lié­geois, le sentiment que les Allemandsavaient voulu tuer le plus de mondepossible avant de déguerpir.

Ce n’est pas aujourd’hui l’avis deshistoriens. Alain Colignon : “Les Alle­mands s’en sont expliqué : leur objectif,rue Sainte­Marguerite, n’était pas de tuerdes civils, mais de faire sauter le carrefourFontainebleau, ainsi d’ailleurs que le car­refour Hocheporte et le Cadran, afin d’yproduire des cratères qui devaient ralen­tir l’avancée des tanks américains. Ilsvoulaient rendre ces carrefours inopéra­tionnels pendant quelques heures.En voyant Maurice Waha sauter surle tank, ils ont cru qu’il allait le désarmer.Ils ont précipité les choses. En tuant 95personnes.”

Les premiers blindés US sont arrivés àLiège vers 16 heures, par Rocourt et lequartier de Sainte­Walburge. C’étaitdeux heures après le drame…

ALCOOLS ET GRENADEÀ Ivoz­Ramet, près de Flémalle,les Américains étaient déjà là !Les Résistants les avaient infor­més de la présence d’un convoiallemand. D’un seul obus,un char US détruisit un Panzerallemand qui fut abandonnésur le bord de la route.À l’intérieur, des alcools fran­çais, des produits alimentaireset des bidons d’essence. Duluxe !Dans l’après­midi, un groupedu village s’aventura à allerrécupérer ce qui pouvait l’être.Mais il y avait aussi une gre­nade. Qui a explosé. Six tuésdont deux femmes. Et onzeblessés.

Les morts inutiles

Mouscron “Mettez en cage les sou-chets” Le 2 septembre à 19 h 25, cemessage de la BBC indique aux résis-tants locaux qu’ils doivent se réunirdans trois fermes du Malpont, à Belle-ghem. De là, une trentaine d’hommesde l’Action Secrète, précédés par unejeune fille, prennent à vélo la directionde Mouscron. La jeune femme aperçoittrop tard un blindé. Échange de coupsde feux. Cinq résistants sont tués.Ce qui n’empêche pas l’Armée Secrètede tenir l’Hôtel de Ville de Mouscron,dès 4 heures du matin. Mais à 8 heures,un convoi allemand reprend la ville,laissant un jeune résistant, GérardD’Haene, 19 ans, victime d’une balle.Le lendemain à 19 heures, les Britanni-

ques enlevaient définitivement Mous-cron. Question : ces six Belges sont-ilsmorts pour rien ?Fabrice Maerten, historien : “On a parléd’atrocités commises par les Allemandsen abandonnant les lieux. On n’en pasnoté beaucoup. Par contre, il y a eudes massacres de Résistants, particu-lièrement dans le Hainaut et dans leBrabant Wallon. Dans certaines zones,ils ont été victimes d’actions trophâtives et d’une méconnaissance desdonnées et du terrain. On peut parlerde morts inutiles.”“Dans le Hainaut, sur 1200 Résistantsmobilisés, il y a eu 70 tués entre le 2 etle 6 septembre. 25 à Ghlin, 22 à Jemap-pes. Et autant de civils.”

TUÉ POUR S’ÊTRE RÉJOUITROP TÔT…Paul Biron : “Le 7 septembre, les Lié­geois ont vu un cortège de centaines dechars, mais les gens hésitaient à sortirleurs drapeaux aux fenêtres. Dans desmoments pareils, une erreur, ça peutvous coûter la vie. Il se racontaitd’ailleurs que quatre hommes avaientété fusillés parce qu’ils avaient mis ledrapeau belge sur leur maison.”Ce qui est sûr, c’est qu’un prêtred’Ivoz­Ramet, Gabriel Cossée deSemeries, 27 ans, qui était égale­ment préfet du collège Saint­Martin,a perdu la vie pour s’être réjoui troptôt.Lorsqu’il a vu partir les derniersAllemands, il a aussitôt hissé ledrapeau belge sur le clocher de sonéglise. Malheureusement pour lui,d’autres soldats allemands avaientpris du retard et sont passés après.Ils lui ont tiré dessus; Il est mortle jour où les Américains arrivaient.

La Poche de Mons

Ils fuyaient la Normandie L’avan-cée des troupes américaines etbritanniques était précédée, parfois,par la retraite des unités allemandesvaincues en Normandie. Le 2 sep-tembre, une division allemandese retrouva prise en tenailles entredeux compagnies américaines : cellequi marchait sur Mons et une autrequi longeait la frontière, se dépla-çant de Rumes vers Charleroi. Épui-sés, les Allemands cherchèrent àéviter le combat. Ils ne voulaientqu’une chose : réussir leur missionqui était de rentrer en Allemagne.Les Américains firent barrage etouvrirent le feu. Il y eut 3500 Alle-mands tués et 25.000 furent faitsprisonniers. Parmi les victimes de cequ’on a appelé la Poche de Mons, il yeut aussi 75 civils et 89 soldatsaméricains.Une partie des fuyards se retrouvadans un village à cheval sur lafrontière. Le nord de la rue princi-pale (Gognies) se trouve en France etle sud (Goegnies-chaussée) enBelgique. Ici, les combats se prolon-gèrent jusqu’à la nuit, les habitantsse terrant dans les caves. Des bom-bardiers sont même intervenus.350 Allemands ont perdu la vie dansces combats, qui firent, en outre,2000 prisonniers. Mais aussi six ha-bitants du village et 400 chevauxsont morts.Une partie des Allemands réussit àfuir. Mais il s’agissait maintenantd’hommes apeurés, affamés, ner-veux, traversant des régions déjàlibérées. Ils perpétrèrent des massa-cres à Flobecq (10 morts) et, le5 septembre, à Wodecq (22 Belgestués, civils et résistants). L’historienFabrice Maerten : “Ces meurtres ontpermis de suivre la trace de cesAllemands qui ont été encerclés pardes unités de blindés.”

10/11 Libération de Bruxelles

Le massacre de Forêt-Trooz

44 Résistants tués Un fusil et troispistolets pour… 150 hommes. Voilàavec quoi les Partisans de Forêt-Trooz, près de Liège, doivent fairela guerre ! À l’aube du 6 septembre,ils attaquent des troupes allemandesavec l’intention de leur prendreleurs armes. Puis ils se replient dansleur refuge : une ferme qui dépenddu château de l’endroit.Où quelques heures plus tard,les Allemands les retrouvent.Six heures de combat. Lorsqueles Allemands arrivent dans la courde la ferme, ils jettent des grenadesdans les caves. Ceux qui s’en échap-pent sont abattus.Les Allemands entassent les morts ety mettent le feu. Ce feu gagne lesdépendances du château. D’autresRésistants en sortent. Tués à leurtour. 44 victimes au total. Eux aussi,à quelques heures de la Libération…

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h Un futurchampion cyclisteparmi les otages

Le coupde forcede Momalle

Londres avait promis desarmes aux Résistants. Ellestardaient parfois à arriver.Alors, ils s’organisaientpour les prendre aux Alle­mands par leurs propresmoyens. Avec tous lesrisques que cela pouvaitcomporter.Le 6 septembre, à Momalle,près de Waremme, ungroupe de l’Armée Secrète,neuf hommes, attaque surla grand­route Bruxelles­Liège un convoi de troisvéhicules militaires. Lepremier percute un poteau.Le deuxième verse dans lefossé. Mais les soldats ensortent et c’est le coup defeu. Une dizaine d’Alle­mands sont tués maisquatre parviennent à s’éva­der et à rejoindre la troupeà deux kilomètres.Les résistants chargent lescadavres dans leur camionet filent à leur refuge,la ferme Roberti, près deFexhe­Slins. Les Waffen SSles retrouvent, encerclent laferme et ils y mettent le feu.Trois des Résistants ont ététués et cinq autres furentsauvés en s’accrochant àl’échelle du puits. Les Alle­mands n’ont rien vu.Tout de suite après, les SSsont entrés dans le villagede Momalle et ils ont ras­semblé toute la populationdans l’église. Ils ont pris25 otages et, comme l’abbéSchartz protestait, ils luiont expliqué que, lorsqu’ilsont enlevé les cadavres dufumier où on les avaitcachés, on leur avait coupéles doigts pour prendreleurs alliances et, à certains,on avait sectionné le sexe.Les SS ont commencé parlibérer vingt des otagesmais ils ont exigé que tousles véhicules du village leursoient livrés : autos, motos,camions, vélos…Finalement, tous les gensont pu rentrer chez eux etla région était libérée lelendemain. Parmi les Mo­mallois qui ont vécu cesheures d’angoisse, un gar­çon de 14 ans, Jean Bran­kart, allait, en 1955, termi­ner 2e au Tour de France.

JEAN

MAR

DAGA

Ces gens qui font la file, en bas à gauche sur la photo, seront morts dans quelques secondes, lorsque le char bourré d’explosifs, au milieu de larue, arrivera à leur hauteur. On aperçoit, dans le fond, l’autre char allemand.

Maurice Waha

D.R.

Aumônier d’un home pour enfants de prisonniers, Fernand Quirinyfut arrêté à Trooz le 8 septembre et emmené comme otage. Il a dis-paru depuis lors. On n’a jamais su ce qui lui était arrivé.

D.R.

La rue Sainte-Marguerite, à Liège, après l’explosion qui a fait95 tués.

D.R.

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Tous chezles collabos !h Les meubles étaientbalancés par les fenêtreset on y mettait le feu

“Dans les rues, on assistait à des dé­filés de prisonniers allemands. Biensûr, ils étaient sifflés et hués; maisils étaient bien traités. La vindictepopulaire visait surtout les collabo­rateurs.”

Dès le 4 septembre, les prisonsde Bruxelles se vident de leursprisonniers politiques et se rem­plissent de collaborateurs. Maisles collaborateurs en plus des Al­lemands, cela fait beaucoup demonde à surveiller. Le professeurBalace, historien :“Des écoles, commele collège Saint­Ser­vais, à Liège, ontservi de prison pourles collabos.”

Il y avait plusieurstypes de collabora­teurs. Ceux quiavaient profité descirconstances pours’enrichir. Ceux quidénonçaient auxAllemands un voi­sin qui écoutait Ra­dio Londres ou des Résistants quirisquaient la mort. Le sommet :les rexistes, qui, pendant l’Occu­pation, ont servi d’auxiliaires auxAllemands, ont fait la police etle sale boulot à leur place.

Dans les villages et les quartiers,ces gens sont repérés depuis trèslongtemps. Dans les instantsmême qui suivent l’arrivée desLibérateurs, les populations et lesgroupes de Résistants foncentleur faire un sort. Gérard Havet, àRumes : “Il y a eu un cortège : tousles gens qui avaient collaboré défi­laient dans le village, gardés pardes Résistants. Et les femmes, onleur avait coupé les cheveux. Ils ontdéfilé et on nous a fait voir tous lescollaborateurs. Et il y en avait…”

Le Mon Mononke de Paul Birontémoigne d’une pratique qui aété courante dans ces journées­là.On investit la maison d’un col­labo : “Les meubles valsent parla fenêtre, des draps de lit et toutle reste, pendant que le type se faittaper dessus et qu’une femme l’in­sulte : “Incivique !”

À Bruxelles, José Géal a connudes scènes du même type : “Untype, qui était coureur cycliste, te­nait aussi un café du côté de la placeRogier. On le considérait comme uncollaborateur. Ils sont allés défenes­

trer tout son brol, puis ils ont misle feu à ses meubles et à ses affaires.C’est là, place Rogier, qu’on tondaitaussi les femmes avant de les pro­mener dans les rues. Les pauvresétaient mortes de trouille. Et ellesn’avaient pas intérêt à protester,sans quoi on répondait pardes coups.”

Fabrice Maerten, historien duCEGES : “Déjà pendant la guerre,certains de ces collaborateurs ontété liquidés ou battus commeplâtre.Mais à la Libération, il y a eu unecatharsis de violence et de mauvaistraitements. Certains, d‘ailleurs,y sont restés. D’autres en furenttraumatisés car, dans le lot, il y a euaussi quelques règlements decompte qui n’avaient aucun rap­

port avec la vraiecollaboration.“Cette fin d’été de

1944 a été marquéepar un sommet de laviolence et, à cer­tains endroits, unétat de guerre civilelatent : dans certainsarrondissements in­dustriels wallons,notamment, et dansle Hainaut en parti­culier. Mais tout celas’est relativement

vite apaisé et l’État a réussi à récu­pérer le contrôle de la violence. Sibien que l’épuration sanglante a étérelativement limitée, passant de laviolence des rues à la Justice légale.“Par contre, la Justice a repris

ses droits dans ce climat de fortetension psychologique et, au départ,les procès, menés par la Justicemili­taire, ont été certainement trop sé­vères. Il faut dire que tout cela n’at­teignait que des sous­fifres, ceuxqui sont restés en Belgique. Lesgrands collaborateurs, eux, ont ac­compagné la retraite des troupes enAllemagne.“L’équation, c’est que plus on était

arrêté près de la Libération, plus onrisquait sa vie. En 1946 et 1947,les peines étaient déjà diminuées etbeaucoup de condamnationsà mort ont été commuées en peinesà perpétuité. Tous, pratiquement,ont été libérés à la fin des annéesquarante. Au total, il y a quandmême eu 242 fusillés, majoritaire­ment en Belgique francophone.Dans les faits les plus graves, cer­tains ont participé à des meurtreset à des scènes de tortures.”

La dernière exécution, en 1949,n’était pas celle d’un collabora­teur, mais d’un Allemand, PhilippSchmitt, le commandant ducamp de Breendonk.

242EXÉCUTIONS346000 dossiers pourcollaboration ont étéouverts entre 1944et 1949 : 184000 en Flan­dre; 95000 enWallonie;51000 à Bruxelles et15600 dans la partiegermanophone du pays.Les faits : collaborationpolitique, collaborationintellectuelle, enrichisse­ments, espionnage, dénon­ciation… On a aussi pour­suivi des Belges qui avaientcombattu sur le Front del’Est : on estimait qu’ilsavaient porté les armescontre leur pays.230000 dossiers ont étéclassés sans suite et 52000suspects furent déchargésdes poursuites. Dès lors,58386 personnes ontcomparu devant le conseilde guerre. Il y a eu 5281acquittements et 53105peines prononcées dont1202 condamnations àmort. 242 d’entre elles ontdébouché sur une exécu­tion : 105 en Flandre,123 enWallonie et14 à Bruxelles.

RÈGLEMENTSDE COMPTESLeMonMononke de PaulBiron traduit aussi le bonsens populaire : “Je connaisdes gens qui vont se vengersur des gens qui n’ont rienfait. Il suffira de dire “Tiens,voilà un rexiste !” pour qu’onaille le maquer de bon cœur,même si ce n’est pas vrai.”L’historien Fabrice Maer­ten : “Il y a sans doute eu desbavures. On connaît desattaques de fermiers par despseudo­résistants quin’étaient pas habitués à lavie civile. Il y a eu des situa­tions très ambiguës où ilétait difficile de faire la partentre des actions de la Résis­tance et du grand bandi­tisme à l’encontre de fer­miers. Mais il existe desétudes sur la question et onpense que les bavures n’ontpas été nombreuses enBelgique. On les estime à unecentaine de cas pour 8000ou 9000 en France et entre11000 et 12 000 en Italie.C’est parce que la Belgique aété libérée très vite, pratique­ment en une semaine, et il ya eu, en définitive, peu dezones de non­droit.”

Ce fut un phénomène qui ne fut pas apprécié par tout lemonde, en Belgique, mais les libérateurs ont magnétisébeaucoup de femmes.

D.R.

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12/13 Libération de Bruxelles

“Cet été 1944 :un sommet dela violence”FabriceMaerten,historien

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Les femmes tondues. Il arrivait aussi que leurs cheveuxsoient coupés par d’autres femmes. Certaines ont été ex-posées partiellement dénudées.

Le 17 novembre 1947, 27 collaborateurs ont été fu-sillés à Charleroi pour avoir participé, le 17 août 1944,à deux semaines de la Libérations, à la tueriede Courcelles : 19 notables choisis au hasard,pour venger la mort d’un bourgmestre rexiste,victime de la Résistance.

Trois résistants de Mons, suspectés de double jeu et de collabora-tion, sont exposés à la vindicte dans les rues de Mons.

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Pour ces enfants, la guerrea commencé ce jour­làOn estime qu’en Belgique, près de40.000 bébés ont eu, pour père,un soldat allemand

Le pouvoir des cheveux ! La Bible raconte l’his­toire de Sanson et Dalida. Dieu lui­même n’estjamais représenté qu’abondamment chevelu.Les rois du moyen­âge étaient rasés lorsqu’ilsétaient destitués. “Il y avait déjà eu des femmestondues en 1918, mais aussi en Allemagne, dansles années 30, si elles avaient, par exemple, eu desrelations avec des Juifs. En 1944, dès qu’une villeétait libérée, des gens – le plus souvent des collabo­rateurs de la dernière heure – ve­naient en groupes pour s’empa­rer de certaines femmes, les ton­dre, parfois les dénuderpartiellement puis les promeneren cortège. On en a vu, notam­ment à Bruges et à Marchienne,qui avaient une croix gamméepeinte sur la poitrine.”

Gerlinda Swillen connaît leproblème. Elle­même est néeen août 1942 d’un père alle­mand. À 72 ans, elle est occu­pée à préparer un doctorat en histoire consacréà ces gens qui, comme elle, sont appelés les en­fants de guerre. “On peut estimer qu’il y a eu prèsde 40000 enfants nés en Belgique de parents quine se seraient pas rencontrés sans le conflit. J’ai étu­dié 120 cas, parfois en interviewant les mères con­cernées, parfois en rencontrant leurs enfants. Surles 120, je n’ai eu que quatre cas de femmes ton­dues et maltraitées. Bien sûr, beaucoup, quand ellesont appris qu’elles étaient enceintes, ont déménagéet se sont installées dans des villes où on ne s’inté­ressait pas à elles. Il y en a certainement aussi quin’en ont jamais parlé. Mais je crois que, contraire­ment à l’idée répandue, les femmes qui ont fait l’ob­jet de la vindicte populaire n’étaient pas tant cellesqui ont eu une simple relation amoureuse avec unsoldat allemand, mais plutôt des femmes convain­cues de collaboration, souvent pour des faits de dé­lation, ou des femmes ayant eu un mari ou un filscollaborateur.”

On connaît pourtant le cas de quatre d’entreelles dont le crime fut d’avoir été embauchéesà l’aéroport de Beauvechain où elles tra­vaillaient en cuisine. “J’ai le cas d’une jeunefemme, tondue en Flandre, alors qu’elle n’avait rienà voir avec la collaboration. Son père était tailleuret il avait été réquisitionné pour fournir des unifor­mes à la Lutfwaffe. Il se trouve que les écolesavaient été fermées. Le tailleur avait deux filles et,pour ne pas qu’elles courent les rues, il les emme­nait avec lui. La Luftwaffe, l’attrait de l’uniforme,

la gamine avait 14 ans… Elle est tombée amou­reuse. Elle a même été officiellement fiancée avecson Allemand. Sa sœur, elle, a eu quelques petitsflirts. À la Libération, une Brigade Blanche, commeon les appelait, est venue sonner à la porte. Ils ontréclamé les deux filles. On les a enfermées, avec unetroisième jeune femme, dans les caves de la mairielocale. Pendant trois nuits, elles ont été violées.“Pourtant, son histoire était une histoire

d’amour. Le fiancé en question a été fait prisonnieret emmené en Grande­Bretagne. La mère de lajeune fille y est partie à sa recherche, l’a retrouvé,ils se sont mariés et ont eu deux enfants après laguerre. Et lorsque j’ai parlé à cette femme de ce sol­dat, elle avait les yeux brillants : “Il a été mon pre­mier et mon seul grand amour.”

“Les journaux de l’époque ontparlé de collaboration hori­zontale. C’est quelque chose quime révolte profondément.La collaboration pouvait êtreidéologique, politique, économi­que mais aucune loi n’a jamaisdit qui on devait aimer.“Ce que ces femmes expli­

quent ? En Belgique, il y avaitmoins d’hommes : beaucoupétaient partis. Les Allemandsétaient mieux soignés que les

Belges, avec, à l’époque, une meilleure hygiène…Quand ces jeunes filles les voyaient torses nus se la­ver à la pompe de la ferme… En outre, après lesatrocités de 14­18, Berlin avait donné des directi­ves et les soldats avaient ordre de bien se conduire,d’être polis et galants. Il y a quand même eu desviols. Au début de la guerre, les viols de femmes bel­ges étaient sévèrement punis par l’autorité alle­mande. Plus tard, quand ils ont eu besoin de chair àcanons, ils ont eu tendance à décider qu’on puni­rait après la guerre. Le viol n’était pas toléré pourla cause.“Dans beaucoup de cas, les futurs pères alle­

mands voulaient semarier. Ce n’était jamais facile.Dans le cas de ma mère, par exemple, c’est mongrand­père qui s’y est opposé : il n’aimait pas les Al­lemands quand ils portaient un uniforme et des ar­mes. Mais, de toute façon, il fallait l’autorisationdes autorités supérieures de l’armée. Pour cela, lessoldats devaient apporter la preuve que la fiancéeétait de race pure depuis sept générations. Certainsofficiers refusaient d’office pour éviter les ennuis.”

Restaient les enfants. “Souvent les pères pen­saient les emmener en Allemagne après la guerre.Alors, on leur donnait un prénom allemand. Etquand tu t’appelles Karl, après la guerre, tu es un“enfant de Boche”. Avec tout ce que ça comporte.On se moque de toi, on te frappe, on te poursuitdans les rues et tu es exclu des fêtes de l’école ou desexcursions, car même les professeurs faisaientla différence. Ces choses n’étaient pas rares…”

“Chaque fille voulait son Américain...”

Décédé en 2003, Norbert Patiny, de Wavre, avaitécrit : “Chaque fille voulait avoir son Américain. Onretrouvait des préservatifs dans tous les coins…”Non seulement il y avait le prestige de l’uniforme,mais les filles croyaient que ces soldats étaient toustrès riches. Gerlinda Swillen : “Certains Anglaisavaient un blason “Engineer”. Elles croyaient qu’ilsétaient ingénieurs : ils étaient… mécaniciens.”Paul Biron évoquait cet état d’esprit : “Elles étaient

persuadées que ces soldats étaient tous des fils dupétrole. À se demander pourquoi ils venaient sefaire casser la gueule par ici.”Gerlinda Swillen : “Il y a eu des mariages parcentaines. Comme les Américains ne pouvaientfournir les documents d’état-civil, il leur suffisaitde prêter serment. Mon nom, ma date de naissance,je ne suis pas marié… Mais, personnellement,j’ai trouvé plusieurs cas de bigamie.”

“Quand tu t’appellesKarl, tu es un “filsde Boche”. Avec toutce que çacomporte.”Gerlinda Swillen

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Ils avaient brûlé leurstimbres de ravitaillementh On pensait qu’à Noëltout serait fini…

Le 7 septembre au matin, avant dequitter Liège, les Allemandsavaient détruit les ponts provisoi­res sur la Meuse. Il n’a pas fallutrois heures aux Américains pouren installer de nouveaux : desponts flottants montés grâce à unsystème de canotsgonflables. À Na­mur, pareil.

Mais ces pontsétaient réservésaux véhicules mi­litaires. “Les pas­seurs d’eau ont faitdes affaires en or.Des bateaux­mou­ches aussi faisaientla traversée.”

Le quotidien desgens était­il bouleversé ? Jean Vaes,à Montegnée : “Du temps des Alle­mands, il y avait le couvre­feu. Àpartir de 20 heures, il n’était pasquestion de sortir comme on le vou­lait. Ça, lorsqu’on s’est retrouvé libé­rés, ça a changé du jour au lende­main. Par contre, c’était toujours unpeu la misère. On ne vivait pas en­core bien. Le système des tickets derationnement, le seul qui nous per­mettait d’avoir de la nourriture, dusavon ou d’autres choses, a encoreduré un certain temps.”

Paul Biron confirme : “Le ravi­taillement n’a pas changé : on faisaitencore la file, mais moins. Surtout,les rations ont été augmentées : 9 ki­los de pain par mois (au lieu de 6,5kilos), un kilo de viande, 300 gram­mes de margarine, 150 grammes debeurre.”

L’historien Fabrice Maerten, auCEGES : “Le ravitaillement va en­core durer plusieurs années après laguerre. Les Belges vivront avec destickets jusqu’en 1947. Cela dit, c’estplus rapide qu’en France ou enGran­de­Bretagne. On peut dire que la Bel­gique s’est relevée plus rapidement.”

La Libération sonnait la fin ducauchemar, mais n’amenait pasencore le paradis. Certains, pour yavoir cru trop rapidement, se sontretrouvés dans des situations cau­chemardesques. Paul Biron l’a re­laté : “Il y avait des gens qui pen­saient que les Américains étaientles plus riches du monde et qu’ils ar­rivaient avec du beurre, de la viandeet tout ce qui est bon pourmanger. Lejour de la Libération, dans la joie etdans l’ivresse, beaucoup de gens ontbrûlé leurs timbres de rationnement.Avant de comprendre que les Améri­cains débarquaient d’abord les ar­

mes avant de penser à la nourriture.Ces gens se sont retrouvés sansrien !”

Le marché noir n’a pas disparunon plus du jour au lendemain. Fa­brice Maerten : “Le marché noira continué. Y compris entre les popu­lations libérées et les Américains.Moins là où se trouvaient les Britan­niques. La discipline était plus rigou­reuse chez les Anglais.”

José Géal : “La rue des Radis, àBruxelles – une ruequi n’existe plus ­,était célèbre pour lemarché noir. J’y aiaccompagné unefois mon père. Il yavait des guetteurspartout et dès quela police appro­chait, cet endroitqui regorgeait demonde se vidait enquelques secondes.

On s’y faisait rouler régulièrement.On pouvait revenir avec des viandesavariées, un jambon qui grouillait devers ou une belle motte de beurre ca­chant une brique à l’intérieur.”

Le repli des Allemands a eu uneautre conséquence qu’on a rare­ment évoquée. Paul Biron l’a fait :“On ne pouvait plus envoyer de colisaux prisonniers, dans les camps, enAllemagne.”

Mais, en septembre 1944, on nes’en formalise pas trop. “Tout lemonde est convaincu que si les Amé­ricains traversent l’Allemagne aussivite qu’ils l’ont fait pour traverser laBelgique, tout sera fini pour la Noël.”Mais… “En 1944, on n’a pas fait demesses de minuit.” Pendant la Ba­taille des Ardennes, il y eut denouveau un couvre­feu.

L’opération Gutt pour ramener l’argent sale dans les caisses de l’État

Des gens convenables se sont re-trouvés ruinés eux aussi René Bovy,92 ans, de Stavelot : “Beaucoup de gensdevaient leur fortune à la guerre et à lacollaboration, alors que la Belgiquese trouvait dans une situation financièreépouvantable. En octobre 1944, leministre des Finances, Camille Gutt,a lancé une opération destinée à rame-ner dans les caisses de l’État l’argentdéclaré invalide. Il y avait des millionsà récupérer notamment pour refaireles routes. Le problème, c’est que, sile projet visait les collaborateurs écono-miques, des gens parfaitement convena-bles se sont retrouvés eux aussi dé-pouillés et ruinés.”En fait, Camille Gutt fait bloquer lescomptes en banque des Belges et orga-nise le remplacement du papier-mon-naie. Paul Biron : “Le gouvernement

belge a fait changer tous les billets de100, 500, 1000 et 10.000 francs. Onne pouvait garder que ceux de 20 et50 francs. Et on ne pouvait pas changersans explications plus de 2000 francspar personne. Les plus riches, eux,devaient prouver qu’ils possédaient leurargent avant la guerre. Ce qui n’étaitpas toujours facile. Par contre, on voyaitdes personnes – des femmes, surtout –se mettre dans les files et repérer lesgens qui arrivaient avec moins de 2000francs. Moyennant une commission,elles leur proposaient un arrangement.”Il y a eu d’autres mesures administrati-ves. “Pendant la guerre, beaucoup defaux documents avaient été distribués,notamment des faux papiers pourcouvrir des Juifs. À la Libération,nous avons tous dû faire validernos cartes d’identité.”

LA RENTRÉE SCOLAIREEST RETARDÉELa Libération de la Belgique, entre le 2 etle 13 septembre, arrive en une périodequi ordinairement est celle de la rentréescolaire. La rentrée de 1944 va êtreperturbée. Pour plusieurs raisons…José Géal : “Pendant l’Occupation, ilsavaient remplacé nos professeurs et lesdirecteurs par des collaborateurs. Si bienqu’à la Libération, au début de septem­bre, il a fallu retrouver des professeurs etça n’a pas été si vite que ça. Nous avonseu un tempsmort. Entre la Libération etla reprise des écoles, ne sachant quefaire, j’allais au cinéma Le Corso, auxÉtangs Noirs, où le projectionnistecontinuait à faire son travail alors qu’iln’y avait plus de caissière. Donc, on nepayait pas. Par contre, c’était toujours lemême film. J’ai vu “L’assassin habiteau 21” aumoins trois fois.”L’historien Francis Balace : “Il y a aussile fait que les écoles ont servi à logerles soldats anglais et américains. Ouparfois, comme à Saint­Servais, à Liège,elles se sont transformées en prisonspour collabos.”À l’institut Saint­Louis, à Bruxelles, lesétudiants ont fait leur rentrée en octo­bre. Les soldats américains avaientplanté des tentes dans la cour de récréa­tion et ils avaient installé, dans le préau,des cuisines et des douches.Il n’y a pas eu, en 1944, une date dereprise des cours. Cela s’est organisécomme on le pouvait. À Bruxelles,à partir de la mi­octobre. À Liège, du3 novembre. À Bouillon, du 6 novembre.Le professeur Balace : “On a considéréque les enfants avaient beaucoup souf­fert de la guerre et que certains étaientsous­alimentés. Il a été décidé de nedonner cours que le matin. C’était congél’après­midi. Et ça a duré ainsi jusqu’àla fin de 1945.”

Au décès de sa mère, le pickpocket despectacle José Duchant a retrouvéd’authentiques tickets de rationne-ment.

COLLEC

TION

JOSÉ

DUCH

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Des commerçants ont aussi ouvert desboutiques de… drapeaux. Ici, les filesdevant les magasins étaient sponta-nées.

14/15 Libération de Bruxelles

“À Bruxelles,la rue du Radisétait célèbre pourle marché noir…”José Géal

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REPO

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En Allemagne, le site de Peenemünde où se construisaient les V1 et les V2 est de-venu un musée. Mais aujourd’hui, les bombes volantes qu’on y montre ne sont quedes répliques.

En moins de trois heures, les Américains ont réalisé un pont flottant sur la Meuse, à Liège.Il s’appuie sur des canots gonflables.

PHOT

ONEW

SD.R.

Il rêvait du cielet créa l’enferNous étions libérés. Mais voici les bombes volantes.Les V1 et les V2 de von Braun

Né en 1912, Werner von Braun rêvait du ciel et il créa l’enfer. Avant deconduire, en 1969, Neil Armstrong et les Américains sur la lune, il avaitété, à 32 ans, le créateur des sinistres V2.

Dans sa jeunesse, il ne rêvait pourtant que de conquête spatiale. C’estainsi qu’il fit partie d’un groupe qui fabriquait des fusées. L’armée alle­mande l’observait de près et lorsqu’il eut son diplôme d’ingénieur,on lui offrit un laboratoire avec mission de développer un programmede fusées à des fins militaires. À 24 ans, il avait 350 experts sous ses or­dres. Son V2 était une fusée de 14 mètres, ayant la forme d’un gros ci­gare, munie d’une tête explosive. Une usine voisine travaillait parallè­lement à concevoir une espèce d’avion sans pilote de 8 mètres, chargéde 500 kilos d’explosifs : une bombe volante, le V1.

Le V1 fut lancé en premier, le 13 juin 1944, une semaine jour pourjour après le Débarquement. Un compte­tours était réglé sur les hélicesde sorte qu’à l’approche de la cible, l’arrivée du courant soit coupée.Jean Vaes, de Montegnée : “Le V1avait un bruit demoteur caractéristique.Quand on cessait de l’entendre, on savait que l’engin allait tomber et explo­ser. Et ça faisait de fameux dégâts. Deux V1 sont tombés à 200 mètres dema maison. Ils laissaient des cratères de 25 à 30 mètres de largeur et de20 mètres de profondeur.” Par contre, ils volaient assez lentement(650 km/h) et à basse altitude (900 m) : ils étaient vulnérables.

Le premier V2 de von Braun fut tiré vers Paris, le 8 septembre 1944,au départ d’un site belge qui n’était pas encore libéré : Sterpigny,en province du Luxembourg. 350 km en... quatre minutes ! L’engin, té­lécommandé du sol et chargé de 738 kgs d’explosifs, décollait à la verti­cale et retombait à une vitesse de 6500 km/h. À Maisons­Alfort, ce pre­mier tir fit six morts et 36 blessés.

Initialement, les V1 et V2 étaient conçus pour détruire Londres mais,peu après la Libération, la Belgique devint une cible. Le premier enginarrivé chez nous fut un V2, tiré le 26 septembre sur Herstal. Il a fait17 morts. 1592 bombes volantes, essentiellement des V1, ont fait1700 victimes dans la région liégeoise.

Il y en a eu à Bruxelles aussi. Hervé Donnet, ancien du collège Saint­Michel, s’est souvenu d’un V1 tombé à 200 mètres de l’école : “Les700 élèves étaient dans la cour. On nous a fait coucher par terre. Dans lesflaques d’eau.” Un autre est tombé dans les Marolles. José Géal : “Les en­fants jouaient dans les cratères. En général, les V1 ne s’arrêtaient pas au­dessus de Bruxelles. Mais quand on les entendait, on avait peur quandmême. On savait ce que cela signifiait si le moteur cessait de ronronner.”

Mais les Allemands cherchaient surtout à détruire le port qu’ilsavaient dû céder et Anvers a reçu bien plus de bombes volantes queLondres. 450 V2 sur Londres alors que 5760 V1 et 1315 V2 furent diri­gés vers Anvers. Seules, 1198 de ces bombes volantes ont atteint la ville.

BUND

ESAR

CHIV

On a su après sa mort qu’en 1937, von Braun avait sollicité sa carte du parti na-tional-socialiste. Il adhéra aussi à la SS. Ce qui était difficile à refuser lorsquec’est Himmler en personne qui vous le demandait.

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Dans tout le pays, c’estune nouvelle vie qui commence

”J’ai retrouvé une photo de moi , bébé, dans les bras d’un G.I. !” Jean-Luc Ponsin est Verviétois. Il vient depasser le cap des 70 ans.

Les hérosd’AnversLe port est tombé intact, grâce à un travailincroyable de la Résistance

L’objectif des alliés était de prendre le port d’Anvers. Bruxellesétant totalement occupée dès le 3 septembre au soir, les Britan­niques n’ont pas traîné. Le 4, à 9 heures du matin, un convoi dechars se mettait en marche. En fin d’après­midi, la ville d’An­vers et le port intact se trouvaient aux mains des Libérateurs.Aucun des ports conquis sur la côte de la Manche, en France,n’avait été pris intact : partout, avant de céder, les Allemandsdétruisaient ce qui pouvait l’être. La victoire d’Anvers est sur­tout celle de la Résistance belge. Assurément, son plus haut faitd’armes.

Le héros d’Anvers est Eugène Colson, un Carolo de 31 ans. Of­ficier de marine marchande, il profita de ses relations dans leport pour y monter un réseau, le MRN, comprenant, pour ma­jorité, des travailleurs de l’endroit : ingénieurs, contremaîtres,dockers… Tous connaissaient à fond le site et, en préalable à

l’opération, ils avaient déjà pufournir toutes les informationsnécessaires à des parachutistesbritanniques venus en avant­garde. Pour la petite histoire, lesRésistants logèrent ces para­chutistes dans des dortoirs defortune qu’ils avaient aménagésdans le cimetière de Berchem. Àl’intérieur d’un… caveau !

Mais surtout, le réseaud’Eugène Colson avait parfaite­ment repéré toutes les disposi­tions prises par les Allemandspour détruire le port au cas où…

Son job fut de neutraliser lesdispositifs un à un. Bloquer le système d’inondation prévupour les tunnels menant au port. Couper le courant pour em­pêcher le levage des ponts. Sectionner un câble électrique desorte à rendre inutilisables les huit lance­flammes installés àl’écluse de Kruisschans. Détruire la station de pompage four­nissant de l’eau aux locomotives de sorte à contrarier l’arrivéede renforts allemands. Et surtout, faire sauter la cimenterie deSchoten où les Allemands fabriquaient les cylindres qui devai­ent renfermer tous les explosifs prévus pour la destruction duport d’Anvers. Plus de cylindre ? Pas d’explosion !

Les Résistants avaient aussi déminé certains ponts. Si bienqu’à proximité du fort de Breendonk, un lieutenant de la Résis­tance, Robert Vekemans, attendait avec ses hommes le convoide tanks britanniques qu’ils guidèrent jusqu’au port où ces Ré­sistants, renforcés par 150 compagnons parisiens des FFI, ser­virent aussi d’infanterie.

Les Alliés disposaient maintenant de 40 km de docks, 5 kmde quais, 600 grues de chargement, 900 hangars. Le port d’An­vers avait une capacité de déchargement de 90.000 tonnes parjour et pouvait stocker 400 millions de litres de carburant.Mais ce 4 septembre 1944, ce port intact restait inutilisable.

D’une part, parce qu’à 3 km, à Merksem, les Allemands poin­taient encore de l’artillerie vers le port. On mit plusieurs se­maines à les déloger. Mais surtout, il y a 80 km entre le portd’Anvers et la pleine mer. Et tout l’estuaire de l’Escaut étaittoujours contrôlé par les Allemands : on parlait de la poche deBreskens, du nom de la localité hollandaise qui se trouve à l’en­trée de ce bras de fleuve.

Fin septembre, toute la Belgique était reconquise sauf deuxvilles qui, précisément, avaient vue sur l’entrée de l’estuaire :Zeebrugge et Knokke. Les habitants de Zeebrugge et de Kno­kke n’ont été libérés que lorsque les Canadiens nettoyèrent lapoche de Breskens : le 3 novembre. Deux mois après les autresBelges.

Cette fois, tout le pays était libre. Ce n’était pas le cas enFrance où Dunkerque, par exemple, n’a été rendue par les Alle­mands qu’à la signature de l’Armistice, le 8 mai 1945.

“La trouille de notre vie”

Anvers a été l’objectif des alliés. Après, il est devenu celui d’Hitler. C’est afin de reconquérir le portbelge qu’en décembre 1944, le feldmarschall von Rundstedt a lancé une contre-offensive à laquelleles Américains ne s’attendaient absolument pas : ce fut la Bataille des Ardennes.José Géal : “À la maison, nous avions caché, pendant la guerre, une Juive, MmeLeinmann, ainsi que safille. À la Libération, elles avaient repris leur vie. Il y avait aussi un certain nombre de Juifs quiavaient traversé ces années de guerre grâce à de faux papiers. Ces gens-là étaient sortis de leurclandestinité et s’entraidaient très fort. Mais quand on a appris l’offensive von Rundstedt, ce futla trouille de notre vie. Nous étions à peine libérés et tout risquait de recommencer. Les journauxpubliaient des cartes avec de grandes flèches pour dire : “Ils sont là ! Là, ils avancent !” Beaucoupde gens se disaient que s’ils revenaient, on finirait tous contre un poteau. Nous avons eu deuxchances. La première, c’est le courage de tous ces Américains qui se sont sacrifiés. L’autre, c’est quel’Allemagne manquait de carburant. C’est à cause de cela que l’offensive von Rundstedt a échoué.”C’était, pour l’Allemagne, la manœuvre de la dernière chance qui se termina à la fin du mois dejanvier 1945. Les représailles allemandes se concrétisèrent par de nouveaux tirs de V1 : 160 surAnvers pour la seule journée du 16 février. Mais à partir de mars, les tirs cessaient et, alors, la Belgi-que a enfin retrouvé la paix. Jusqu’à… l’Armistice. Gerlinda Swillen, chercheuse : “Beaucoup decollaborateurs s’étaient enfuis vers l’Allemagne. Mais lorsque les Soviétiques ont envahi le pays,ils ont dû revenir et ils se trouvaient dans les mêmes trains que les prisonniers libérés des camps.On peut dire que le point culminant de la vindicte populaire a été ce mois de mai 1945.”

Septembre 44, la Belgique belle et libre. Supplément gratuit à La Libre Belgique et à la DernièreHeure. Conception graphique : Jean-Pierre Lambert. Rédaction : Eddy Przybylski. Coordination rédac-tionnelle : Gilles Milecan. Administrateur-délégué – éditeur responsable : François le Hodey.

2KNOKKE ET ZEEBRUGGEn’ont été libérées qu’en no­vembre, deuxmois aprèsl’ensemble de la Belgique :les Allemands s’y maintenaientpour empêcher les naviresd’avoir accès à l’estuairede l’Escaut, donc au portd’Anvers.

16 Libération de Bruxelles