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Supplément à l’hebdo À Gauche N° 1258 du 6 mai 2011 - 5 e La Revue Ne peut être vendu séparément. L’oligarc

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Supplément à l’hebdo À Gauche N° 1258 du 6 mai 2011 - 5 e La RevueNe peut être vendu séparément.

L’oligarchie

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Comment elle a pris le pouvoir

Comment le lui reprendre

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Sommaire2 Le mot

de Jean-Luc Mélenchon

6 L’oligarchie, ça suffit ! Vive la démocratie !

Entretien avec Hervé Kempf

11 L’oligarchie financière contre l’intérêt général Guillaume Étiéviant

16 Le parfum d’oligarchie de la construction européenne Entretien avec Antoine Schwartz et François Denord

22 Permanence du discours antidémocratique : renaissance de l’oligarchie

Benoît Schnekenburger

28 Quand l’État enrichit les riches Entretien avec Olivier Toscer

35 Les médias au service de l'oligarchie Sacha Tognolli

42 Amérique latine, monde arabe : l’oligarchie en ligne de mire Raquel Garrido

47 La nuit du 4 août ou comment fut renversée une oligarchie Salomé Dulibe - Bastien Lachaud

55 Comment rendre le pouvoir au Peuple  François Delapierre

Directeur de la publication : François Delapierre Rédactrice en chef : Jeanne FidazMaquette : GrafficImprimerie : Deltacolor, NîmesSupplément de À Gauche ISSN n° 1258 - CPPAP n° 0613G83311À Gauche, 63 avenue de la République 75011 Paris

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Le motde Jean-Luc Mélenchon

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Cette revue est éditée par le Parti de Gauche. Dans la conception de l’action

politique qui est celle de ses fondateurs, c’est la responsabilité et

la mission spécifique des militants des organisations politiques après s’être tracé un cap, d’étudier les étapes du chemin qui s’y dirige et de mettre noir sur blanc le programme qui prévoit les transitions pour s’y avancer. Bien sûr, toute cette préparation doit se faire en lien étroit avec ce qu’expriment les mouvements de la société dans tous les domaines. C’est à ce travail que participe la production de cette revue.Mais il y a plus. Dans la vision républicaine

du socialisme, à plus forte raison dans celle

de l’écologie politique de gauche, le citoyen

est l’acteur central du système politique. Car

c’est à lui de formuler l’intérêt général qui,

seul, légitime l’action publique et

la contrainte de la loi sur chacun. Dans cette approche il est demandé à chacun de dire non ce qui lui parait bon pour lui-même mais ce qui l’est pour tous. Le discernement qui est ici requis commence donc par une mise à distance avec ses propres intérêts autant qu’avec la foule des autres intérêts particuliers, les modes du moment et les préjugés de l’époque. Cette capacité de discernement est donc politiquement essentielle. Elle s’acquiert dans les apprentissages intellectuels de l’école laïque, par l’exercice d’un esprit critique, la pratique des vertus civiques et l’expérience sociale, entre autres choses. Bien sûr, sa mise en œuvre n’est pas la même selon les époques et les conditions qu’elles imposent. L’engagement militant en est une forme du niveau le plus élevé, une sorte d’altruisme délibéré et assumé, une religion civile en quelque sorte, dont

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les arguments sont raisonnés. Au niveau qui

est celui des militants politiques, cette

exigence appelle un travail d’éducation

méthodique. Sur eux-mêmes et pour les

autres. L’action politique transforme la

société et la personne qui l’entreprend, d’un

même mouvement. Son moteur ce sont les

idées qui permettent de comprendre le réel

pour y trouver sa place efficace et utile au

bien commun. L’émancipation de tous et

celle de chacun procèdent d’une même

dynamique. Sa racine est à rebours du

narcissisme irresponsable qu’alimentent le

capitalisme et le productivisme de notre

temps. Dans les revues s’élaborent quelques-

uns des instants les plus essentiels de cette

compréhension émancipatrice.

Les citoyens eux aussi sont appelés à trouver leur mode d’implication dans l’action non seulement pour la conquête du pouvoir mais aussi pendant qu’il s’exerce. Ce dernier point n’est pas le moindre quoiqu’il fasse rarement l’objet de débat. C’est la première mission d’un parti de gauche que de travailler à former une conscience civique éclairée qui place les citoyens en situation d’être réellement

acteur politique de la transformation de la société qu’il faut organiser. Mais encore une fois, cette tâche est hors de portée si l’on n’a pas à l’esprit le tableau d’ensemble du changement que l’on veut opérer. La diffusion des idées n’est donc pas le prétexte de l’action politique chargé de mettre en scène l’ambition des candidats aux élections mais l’aliment qui rend possible l’action civique consciente efficace. L’adhésion à des idées élève et renforce le collectif autant que l’individu. Il le rend raisonnable. C’est-à-dire apte à former lui-même les idées de sa pratique et à agir efficacement. Le lien politique de gauche se distingue du lien tribal et des chefferies de droite en ceci qu’il est délibéré et argumenté. Il est bon de le rappeler dans les périodes comme celle-ci où les partis politiques consomment sans vergogne autant de slogans interchangeables. Faire une revue, c’est se donner le moyen de nourrir ce lien avec l’aliment adapté au régime intellectuel que l’engagement de gauche nécessite.

Jean-Luc Mélenchon est co-président du Parti de Gauche et député européen.

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Comment l’oligarchie a prisle pouvoir 

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Comment les riches détruisent la démocratie

L’oligarchie, ça suffit !

Vive la démocratie !Hervé Kempf est journaliste. Il a publié il y a quelques mois un livre intitulé : L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie ! Il établit le même constat que le Parti de Gauche : la France, du fait de la faiblesse de la participation populaire et de l’accaparement des pouvoirs politique et économique, n’est plus une démocratie. Elle n’est pas encore une dictature. Le peuple français vit actuellement sous un régime oligarchique, puisqu’une petite caste s’accapare le pouvoir de décider du sort commun.

À gauche : comment vous est venue l’idée de travailler sur l’oligar-chie ?

Hervé Kempf : Dans mon livre Comment

les riches détruisent la planète, j’avais

beaucoup utilisé cette notion. Le terme

oligarques était à l’époque couramment

employé à propos de la Russie, et il m’a paru

pertinent pour décrire la situation des pays

occidentaux. Puis j’ai réutilisé ce terme dans

Pour sauver la planète, sortez du

capitalisme, qui était davantage une analyse

économique de l’évolution du système.

Je me suis alors rendu compte que le mot

oligarchie ne qualifiait pas seulement une

classe sociale, une sorte de substitut aux

mots « bourgeoisie » ou « classe diri-

geante », mais qu’il qualifiait tout aussi judi-

cieusement une forme de gouvernement.

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Entretien avec Hervé Kempf

En réalité, les États occidentaux n’ont pas voulu reprendre les rênes du système financier. Et ils ne le voulaient pas parce que les responsables politiques partagent

les mêmes intérêts que les financiers.

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Étymologiquement, pourquoi parler de l’oligarchie, et pas de l’aristocratie del’argent ou de la ploutocratie ?L’aristocratie est une des formes de l’oli-garchie dans laquelle le pouvoir des oligarques est basé sur leur compétence guerrière. L’oligarchie peut être une théocratie, où le pouvoir découle de la

maîtrise de la relation avec les instances transcendantes. Quant à une troisième forme du régime oligarchique, la ploutocratie, elle enracine le pouvoir dans la richesse pécu-niaire. Nous sommes dans une oligarchie de type plou-tocratique. Dans Commentles riches détruisent la planète,

j’ai pensé à employer le terme

de ploutocratie, qu’à l’occa-sion

employait le magazine pro

capitaliste The Economist. Mais

l’éditeur m’a fait remar-quer, à

juste titre, que le terme avait

une connotation antisé-

mite dans les années 1930. Pour éviter

toute ambiguïté, je l’ai donc oublié et ai

utilisé le terme d’oligarchie.

Quels événements vous ont donné enviede parler d’oligarchie ?C’est par un processus continu que je me

suis aperçu que cette clé ouvrait la porte

de la compréhension du monde actuel et permettait d’assembler les pièces du puzzle. Après la crise financière de 2008, durant laquelle la puissance publique a évité l’effondrement du système bancaire, en mobilisant l’épargne publique et la garantie publique, la logique aurait été que les États reprennent le contrôle du

système financier. Mais, après un moment d’hébétude durant le premier semestre 2009, et quand le système financier a quitté le bord de l’abîme, tout s’est remis en place comme avant : les bonus des traders , l’auto-nomie des banques vis-à-vis des États, les comportements spéculatifs… En réalité, les États occidentaux n’ont pas voulu reprendre les rênes du système financier. Et ils ne le voulaient pas parce que les responsables politiques partagent les mêmes inté-

rêts que les financiers ; ils ne sont pas là pour défendre l’intérêt public, mais pour garantir la prospérité des intérêts capita-listes.L’épisode de 2008-2009 illustre parfaite-ment les principes de fonctionnement du régime oligarchique dans lequel nous sommes plongés.

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Comment les riches détruisent la démocratie

Depuis 2005, on a eu la démonstration que quand

l’oligarchie avait décidé quelque chose, l’opposition

du Peuple était vaine.

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Vous évoquez également la crise écolo-gique et son impact sur la démocratie…Quelques écologistes soutiennent que la transformation nécessaire pour éviter l’aggravation de la crise écologique ne peut émaner du système démocratique. Il faudrait donc une forme de gouverne-ment autoritaire, ou un gouvernement des experts – c’est le vieux rêve platoni-cien des sages dirigeant la société. Mais cette approche souffre d’une erreur fonda-

mentale : elle suppose que nous sommes en démocratie. Or, nous ne sommes pas en démocratie, ou alors dans un état extrêmement dégradé de la démocratie ; c’est en réalité le système oligarchique qui est incapable d’affronter la crise écologique. Il a même

au contraire, en s’affirmant,précipité son aggravation.Renverser la course versle précipice suppose uneréduction drastique de l’inégalité sociale que défendent avec acharnement les oligarques. Cela implique aussi une remise en cause radicale du système de valeurs qui définit la société oligarchique actuelle : priorité à la recherche du profit, compé-tition entre individus et entre États posée comme un état de nature, individualisme exacerbé, objectif de croissance maté-

rielle à tout prix, marchandisation géné-

ralisée des biens communs et des relations

sociales. Ce système de valeurs est totale-

ment contraire à l’esprit nécessaire pour

éviter l’aggravation de la crise écologique.

De quand date ce mouvement vers l’oli-garchie ?La dérive oligarchique commence en 1980, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, qui ont lancé le

mouvement de défiscalisation des riches, de dérégulation financière et de privatisation. Cette politique développée durant la décennie 1980 a amorcé une montée continue des inégalités dans tous les pays occidentaux.Du point de vue de la poli-tique, cela s’est traduit par une hybridation entre les milieux de la décision publique et des grands décideurs écono-

miques, par un mouvement généralisé de privatisations, qui s’attaque mainte-nant aux fonctions régaliennes de l’État (prisons, sécurité publique, défense natio-nale), par le contrôle capitalistique des médias à un degré inédit, et globalement, par une disproportion entre la puissance financière et la puissance publique des États, au détriment de ceux-ci.

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Entretien avec Hervé Kempf

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De surcroît, en cas de

besoin, les mécanismes de

la démocratie repré-

sentative – à quoi d’ail-

leurs l’oligarchie voudrait

nous faire réduire la

démocratie – ne sont pas

respectés. Depuis 2005,

on a eu la démons-tration

que quand l’oli-garchie

avait décidé quelque

chose – à savoir la

Constitution euro-

péenne –, l’opposition du

Peuple était vaine. Malgré

les votes sans ambiguïté

des citoyens français, néerlandais et

irlan-dais, la Constitution a été imposée,

sous le nom de Traité de Lisbonne.

Doit-on nommer ceux qui composentl’oligarchie ?On peut les nommer au détour d’une phrase, mais ce n’est pas une question de personnes. J’indique quelques noms dans le livre afin d’expliquer les trajectoires, mais je veux surtout faire passer l’idée qu’il s’agit d’un système. Peu importe MM. X ou Y, c’est le système qui pose problème. Certes, il faut savoir désigner les respon-sables et les responsabilités – mais l’enjeu essentiel est de contribuer à réveiller l’énergie démocratique.

De manière plus géné-rale alors, commentdéfinir l’oligarchie ?Un critère, c’est l’argent :

qui est riche dans nos

sociétés, où la fortune est

au pinacle du système de

valeurs ? En gros, l’oli-

garchie est constituée des

10 % les plus riches.

Mais ceux qui ont le vrai

pouvoir, qui donnent le

tempo, qui se retrouvent à

Davos ou ailleurs sont les

1 % ou les 0,1 % les plus

riches.

Je pense que, au sein de ces 10 % les plus riches, certains peuvent faire le choix de refuser de soutenir l’oligarchie ou de faire son jeu – ce qui suppose qu’ils acceptent la réduction forte des inégalités, qui les touchera aussi. Le mouvement de réveil démocratique, d’émancipation, d’affirma-tion de la possibilité d’une autre politique et de la volonté de la mettre en œuvre repose sur les classes populaires. Mais pour pouvoir libérer un certain nombre de verrous de pouvoir très concrets, il faut qu’une fraction des 10 % les plus riches décroche des valeurs du groupe des 1 % pour soutenir le mouvement populaire. Au total, je ne considère pas l’oligarchie comme un bloc monolithique.

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La main visible des financiers

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Économie

L’oligarchie financièrecontre

l’intérêt généralGuillaume Étiévant

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Nous devons retrouver le sens

de l’intérêt général ». Cette

  phrase pourrait être tirée discours de Jean-Luc Mélenchon

d’un tract du Parti de Gauche. Elle en fait issue d’une intervention Michel Pébereau, président du

Conseil d’administration de BNP Paribas, en préambule à un colloque organisé par HEC et la revue Chal-lenges. Quel est le sens de l’intérêt

général pour le banquier le pluspuissant de France ?En finir avec la retraite par ré-partition, adopter en France des plans de rigueur semblables à ceux que subissent les Espagnols et les Allemands, continuer à au-

toriser les délires spéculatifs des

banques qui nous ont conduits à

la crise… Bref, l’intérêt général

pour Pébereau, c’est la défense de son intérêt particulier. Et le cas de cet ancien directeur du Trésor public, qui siège notamment au Conseil d’administration d’EADS, Total et Saint-Gobain, n’est pas isolé : depuis les années 1980, la financiarisation de l’économie a permis aux intérêts de la finance de prendre le pas sur ceux de l’ensemble des citoyens. En France, l’oligarchie financière prospère libre-ment depuis le tournant de la rigueur.

L’Europe des grandes affaires

Mars 1983. La France vient de

connaître trois dévaluations succes-

sives du franc pour réduire l’inflation

et le déficit extérieur. La politique de

relance par la consommation menée

par les socialistes est un échec. Le

gouvernement est face à un choix

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La main visible des financiers

Des centaines de directives sont élaborées pour démanteler les barrières physiques, politiques et fiscales faisant

obstacle à la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes.

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crucial : sortir du Système monétaire eu-ropéen (SME) et poursuivre ses réformes sociales ou y rester et mettre en place une politique de rigueur et de dérégulation financière. Après d’âpres discussions à la tête de l’État, la France choisit de rester dans le SME avec l’espoir que la politique de gauche qui a échoué dans une France isolée pourra fonctionner si elle est menée à l’échelon européen. « Nous voulons l’Eu-rope des travailleurs, contre l’Europe mar-

chande, l’Europe des profits,l’Europe des grandes affaires », assène François Mitterrand. En fait, l’Europe a déjà sa tête sur le billot de la spé-culation. La libéralisation prend toute son ampleur avec l’Acte unique de 1986, dont le fer de lance est le socialiste Jacques Delors, Président de la Commission européenne. Sous la pression de Margaret Thatcher, des centaines de directives sont élaborées pour démanteler les barrières phy-siques, politiques et fiscales faisant obstacle à la libre cir-

culation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes. À partir de la mise en place effective de la libéra-tion des capitaux en 1990, et surtout du Traité de Maastricht en 1992, les fonds

de pension, les fonds d’investissements et les hedge funds prennent le contrôle de l’économie. Et se développe alors une oli-garchie financière d’une puissance inouïe, tournée entièrement contre les intérêts du peuple.

Les actionnaires reprennent la main

Dans l’ensemble du monde occidental, le capitalisme devient financier. Dès lors,

l’idéologie de la valeur action-nariale domine tout le reste. La rentabilité des actifs bour-siers guide les comportements des entrepreneurs tant du côté de la création que de la répar-tition de la valeur ajoutée. Les actionnaires deviennent, pour les plus importants d’entre eux, de véritables oligarques se gavant sur le dos des tra-vailleurs. Pendant les trente glorieuses, le capitalisme in-dustriel avait fait place au ca-pitalisme managérial qui était caractérisé par la séparation entre les actionnaires (qui

avaient la propriété de l’entreprise) et les

gestionnaires (qui la contrôlaient). Les ac-

tionnaires étaient considérés depuis 1929

comme des spéculateurs responsables de la

crise et n’avaient donc plus suffisam-

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Économie

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ment de crédibilité pour qu’on leur confie

la gestion des entreprises. La propriété et le

pouvoir y étaient ainsi dissociés. Depuis le

tournant des années 1980, les action-naires

reprennent la main avec l’essor du

capitalisme financier.

Spolier l’État et les salariés

Grâce à la déréglementation de la finance, ils ont maintenant les pleins pouvoirs. Ils peuvent par exemple mettre la main sur une entreprise, en ayant très peu de fonds propres, par LBO (leveraged buy out). Ils financent leurs acquisitions par l’emprunt, qu’ils rembourseront plus tard grâce à la hausse de la rentabilité de l’entreprise. Pression sur les salaires, plans sociaux massifs, harcèlement des salariés… Tout est permis pour que le cours de l’entre-prise augmente, que les actionnaires puissent ainsi rembourser l’emprunt et faire une plus-value lors de la revente. Les salariés ne sont plus que des variables d’ajustement ; il n’y a plus de vision à long terme de l’entreprise. Le but des oligarques financiers est uniquement de revendre dès qu’ils se seront assez payés sur la bête. Les financiers adeptes des LBO ne se contentent pas de spolier les travailleurs, ils pillent aussi l’État. Ils échappent aux impôts français et s’attaquent à d’anciens services publics. Citons par exemple le cas de TDF (TéléDiffusion de France),

issu de l’ORTF. Ce réseau hertzien pour la télévision et la radio, autrefois détenu par France Telecom, a été cédé intégralement à des actionnaires privés en 2004. TDF a subi deux LBO. La société compte parmi ses principaux actionnaires Texas Pacific Group et… la Caisse des dépôts et consi-gnations, qui semble avoir définitivement oublié sa vocation d’intérêt général. En juin 2009, les actionnaires de TDF ont mis en œuvre un plan social supprimant 550 emplois en France, soit un quart des effec-tifs, malgré la situation financière saine de l’entreprise. Ils comptaient faire chuter la masse salariale pour pouvoir rembourser la dette générée par les LBO et augmenter la valeur de l’entreprise sans avoir à dé-penser d’argent.

Des produits financiers déconnectés de la sphère réelle

Non contents de pouvoir laisser libre cours à leur rapacité sur le dos des salariés et de l’État, les oligarques financiers veulent de surcroît pouvoir spéculer en courant un minimum de risques, grâce aux produits dérivés financiers. Développés au départ comme des produits d’assurance contre les risques de fluctuation des marchés, les produits dérivés sont rapidement devenus des instruments de spéculation. Ces pro-duits sont des contrats par lesquels les agents fixent à l’avance le prix auquel ils

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La main visible des financiers

« C’est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire, car si tel était le cas

il y aurait une révolution demain matin ». Henry Ford

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peuvent acheter ou vendre une certaine quantité d’actifs sous-jacents. Ils n’ont pas de valeur « en soi », mais une valeur qui dérive de l’actif sous-jacent qui peut être une action, une obligation, une devise, une hypothèque, un taux d’intérêt, des

matières premières, etc. Leur valeur dépend de l’évolution de ces actifs ou indices entre la conclusion du contrat et son dénouement. Par exemple, dans un contrat de vente, si le prix du produit baisse sur le marché, la valeur du dérivé augmente. Ces pro-duits dérivés financiers se re-produisent par milliers, sont complètement déconnectés de la sphère réelle, se vendent et se revendent, et finalement

les spéculateurs peuvent avoir intérêt à ce que des prix flambent ou s’effondrent, sans aucun égard pour les conséquences sociales et environnementales.

Les mains libres

Nous subissons actuellement de plein fouet

les conséquences de ce genre de pratiques.

Les oligarques de la finance ont plongé le

monde entier dans la crise : les

gouvernements ont dû prendre en charge

leurs dettes pourries et subissent de sur-

croît la spéculation contre les bons du

Trésor, en étant à la merci des agences de notations. Les actionnaires ont les mains libres et savent que plus leurs pra-tiques provoqueront des catastrophes économiques, plus les gouvernements seront poussés à imposer des plans de

rigueur pour freiner les défi-cits publics. Cette spirale a été créée entièrement par l’oligarchie financière. Le résultat est à la hauteur de ses espérances : le FMI fait accepter aux populations européennes ce qu’il n’osait autrefois imposer qu’aux pays en développement. Et l’oli-garchie espère faire croire au peuple que ces réformes visent l’intérêt général !« C’est une chance que les gens

de la nation ne comprennent pas notre système bancaire, car si tel était le cas il yaurait une révolution demain matin », af-firmait Henry Ford, fondateur des usines

Ford, au début du XXe siècle. Il pourrait le

répéter aujourd’hui, tant l’oligarchie financière joue sur la méconnaissance des citoyens dans ce domaine complexe. Elle marche main dans la main avec la tech-nocratie européenne, pour nous mener vers le désastre. Les institutions bruxel-loises sont à l’image de la finance : leur fonctionnement incompréhensible pour

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Économie

Il est aujourd’hui grand temps de définanciariser l’économie et de cesser de

se soumettre aux injonctions de l’oligarchie financière.

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la majorité des citoyens leur permet tous

les mensonges et toutes les prédations.

Une monarchie financière

Les gouvernements ont donc fait le choix de s’asservir aux exigences du capital. Les oligarques entrecroisent les réseaux politiques et financiers au détri-ment du Peuple. Les grands banquiers

en sont un bon exemple. Fré-déric Oudéa était conseiller de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre du budget. Il est aujourd’hui directeur général de la Société Générale suite à la démission forcée de Daniel Bouton. Michel Pébereau est également un excellent repré-sentant de cette classe. Le président du Conseil d’admi-nistration de BNP Paribas étaitauparavant un haut fonctionnaire. Au-jourd’hui à la tête de la première banque du monde, il continue à se servir de ses réseaux politiques pour garantir les inté-rêts de l’oligarchie financière. Il a présidé pendant six ans un actif lobby patronal (l’Institut de l’entreprise), est présent au comité consultatif international de la Fed

(Banque fédérale américaine) à New York et conseille même le maire de Shanghai. Et il n’oublie pas la France : il a aidé la ministre de l’économie Christine Lagarde pour le plan de sauvetage des banques en 2009 et est l’auteur d’un rapport sur la dette publié en 2005. De plus, la moitié des entreprises du Cac 40 sont conseillées par des cadres de la BNP. Dans L’impéria-

lisme, stade suprême du capi-

talisme, Lénine écrivait déjà,

citant Lysis : « La République

française est une monarchie

financière (…) L’omnipo-

tence de nos grandes banques

est absolue ; elles entraînent

dans leur sillage le gouverne-ment, la presse ». Presqu’un siècle plus tard, la situation n’a fait qu’empirer. Il est au-jourd’hui grand temps de

définanciariser l’économie et de cesser de se soumettre aux injonctions de l’oli-garchie financière. La finance n’est pas dé-sincarnée. Nous savons où se trouvent les coupables. Il s’agit juste de les empêcher de sévir. Guillaume Étiévant est président de la

commission économie du Parti de Gauche.

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L’Europe qui protège… les oligarques

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Le parfum d’oligarch de la construction eu

François Denord et Antoine Schwartz sont deux chercheurs ; le premier en sociologie, le second en histoire. Pour comprendre pourquoi l’Union européenne est à ce point antidémocratique, ils reviennent pour nous sur la genèse de la construction européenne. Ils déplorent que « le projet européen n’ait jamais été porté par des mobilisations populaires » et montrent les raisons historiques pour lesquelles la concurrence libre et non faussée et la libéralisation des économies sont les deux mamelles de l’intégration communautaire. La pression populaire est remplacée par celle des marchés.

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Vous évoquez un « parfum d’oligar-chie »

pour décrire les débuts de la construction européenne. Pour-

quoi ?Antoine Schwartz : Vous savez, les débuts

de la construction européenne sont très

souvent racontés à la manière d’une fable,

d’un conte pour enfants, qui met en scène

des héros, les fameux « pères fondateurs »,

qui auraient su dépasser « l’égoïsme » des

États et l’étroitesse d’esprit des populations

pour nous offrir un « rêve » merveilleux

d’humanisme et de paix. Il faut remettre les

choses dans leur contexte : l’unifica-tion de

l’Europe est d’abord un produit de la guerre

froide. Si la question de la

paix se pose, c’est d’abord en fonction de la menace communiste. Pour y faire face, les États-Unis cherchaient à arrimer les pays de l’Europe occidentale au bloc de l’Ouest et poussaient à la reconstruction d’une zone de libre-échange sur le conti-nent européen. C’est pour cela qu’ils ont apporté leur soutien aux mouvements pro-européens. C’est aussi dans ce cadre-là qu’il faut resituer des initiatives comme celle de Jean Monnet de créer une commu-nauté du charbon et de l’acier, ou ensuite le projet une communauté européenne de défense placée directement sous l’égide de l’OTAN – rejeté par l’assemblée fran-çaise en 1954. Et puis, le projet européen

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Entretien avec François Denord et Antoine Schwartz

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ie ropéenne

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L’Europe qui protège… les oligarques

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n’a jamais été porté par des mobilisations populaires : il résulte avant tout de l’action de minorités influentes.François Denord : Nous rappelons en particulier que les néolibéraux ont joué un rôle important dans les mouvements euro-péens. Dès avant-guerre, certains écono-mistes, comme Friedrich Hayek et Jacques Rueff militaient au sein de Federal Union. Après-guerre, des néolibéraux convaincus sont d’éminents dirigeants pro-européens, René Courtin par exemple, l’un des anima-teurs du Mouvement Européen français, ou Robert Marjolin, à la tête de l’Organisation européenne de coordination économique (OECE). Il faudrait évoquer aussi La Ligue européenne de coopération économique, proche des milieux patronaux, car c’est elle qui donne le ton en matière de doctrine économique. Dès l’époque du congrès de La Haye (en mai 1948) ses membres revendiquent la libre circulation des capi-taux, l’unification monétaire et la création d’une union douanière. Les européistes vont œuvrer pour que l’unification de l’Eu-rope emprunte le chemin de ces idées. On sait par exemple que le projet de marché commun a été lancé par Johan Willem Beyen, puis négocié du côté allemand par Alfred Müller-Armack. Tous deux étaient membres de la société du Mont-Pèlerin. Ça ne dit pas tout, mais ça fait réfléchir. En particulier sur le fait que le traité de Rome,

qui institue en 1957 la Communauté

économique européenne, n’est pas du tout

neutre d’un point de vue idéologique.

Dès 1957, la construction communau-taire est politiquement orientée…F. D. : On oublie que la création d’un marché commun fondé sur les prin-cipes de libre concurrence ne faisait pas du tout consensus à l’époque. En parti-culier, une partie notable de la haute fonction publi-que française était très hostile au projet. Elle reprochait au traité d’aller à l’encontre du modèle français d’« économie collective » – c’est l’expres-sion qu’emploie à l’époque le ministre des affaires économiques Paul Rama-dier – qui reposait sur un large secteur nationalisé, le rôle de la planification et un protectionnisme assumé. La critique parait d’autant plus juste que, précisé-ment, ce projet de marché commun ne prévoit ni planification souple, ni véri-table coordination en matière monétaire, ni impératif de plein-emploi. On oublie aussi que certains responsables français avaient réclamé pendant les négociations une harmonisation sociale préalable à la création du marché commun mais qu’ils se sont heurtés à un refus de la part du ministre allemand, Ludwig Erhart, proche des milieux patronaux. C’est le président du Conseil des ministres, le socialiste Guy

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Entretien avec Antoine Schwartz et François Denord

Ce traité comporte des éléments clefs qui visent à faire de la concurrence et de la libéralisation des économies le moteur de l’intégration.

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Mollet qui décide de passer outre les réti-

cences dans un contexte où le pays connaît

des graves crises liées à la décolonisation.

A. S. : Ce traité comporte des éléments clefs

qui visent à faire de la concurrence et de la

libéralisation des économies le moteur de

l’intégration. D’abord, les fameuses quatre

libertés : liberté de mouvement des

travailleurs, des biens, des services, des

capitaux. Ensuite, la philosophie de

la concurrence libre et non faussée (annoncée en préam-bule et dans l’article 3). Enfin, la vocation de la nouvelle union douanière de contri-buer à la suppression des barrières aux échanges au niveau mondial (article 110). Mais ce traité de Rome ne promet pas le règne du simple « laisser-faire, laissez-passer » des libéraux. Il fixe les règles du jeu concurrentiel en

promettant un encadrement des ententes et des fusions, ainsi qu’une restriction des aides d’État aux entreprises. Qui plus est, des institutions sont chargées d’assurer le pilotage de l’ensemble. En fait, ce traité se conforme bien plus aux préceptes néoli-béraux en mettant l’intervention publique au service du marché et de la concurrence. Car dans une perspective néolibérale, un cadre légal et institutionnel est nécessaire,

mais dans un objectif précis, celui de

maintenir l’ordre concurrentiel. C’est ça le

socle idéologique de l’intégration euro-

péenne, y compris jusqu’à aujourd’hui.

Considérez-vous que le fonctionnementactuel de l’Union est oligarchique ?A. S. : Le moins que l’on puisse dire, c’est que « démocratie » n’est le maître mot ni des institutions européennes, ni de leur

fonctionnement. Quelles sont les instances de décision dans cet espace de pouvoir trans-national ? En premier lieu les États, et donc le jeu des négo-ciations diplomatiques, peu soumis au regard public. En second lieu, les institutions communautaires, c’est-à-dire la Commission, la Banque centrale européenne (BCE), la Cour de justice et le Parlement européen. Excepté ce dernier,

ce sont des organes non-élus, dirigés par des technocrates qui confondent volon-tiers « l’intérêt général européen » avec celui des lobbys d’entreprise. Quant au Parlement européen, c’est l’institution faible du système, même si ses pouvoirs ont été renforcés. Trop souvent, les clivages idéologiques s’y trouvent effacés par la culture du consensus. Qui plus est, il n’a pas la légitimité pour prétendre

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L’Europe qui protège… les oligarques

En fait, l’intégration européenne a imposé un socle politique et institutionnel qui détache

la politique économique des pressions populaires pour la soumettre à

celles des marchés financiers.

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incarner un « peuple européen » – en France, 59,4 % d’abstention aux dernières élections européennes !F. D. : Il faut bien voir aussi à quel point les Traités relatifs à l’Union européenne ont bouleversé les modes d’action de l’État. Les États ont accepté de se couper les deux bras (c’est-à-dire les leviers budgétaire et monétaire), au profit d’un système fondé

sur le rejet de l’État social, de l’État producteur et planifica-teur, un système qui échappe dans une large mesure au contrôle démocratique. En fait, l’intégration européenne a imposé un socle politique et institutionnel qui détache la politique économique des pressions populaires pour la soumettre à celles des marchés financiers – on en voit le résultat aujourd’hui. Tout ceci n’est évidemment pas sans conséquences à la fois sur le type de politique économique menée et sur les groupes

sociaux que ces politiques servent.A. S. : C’est en effet de cette façon qu’il faut envisager le « déficit démocratique » de l’Union européenne – pour reprendre une expression un peu tarte à la crème. Certains intellectuels libéraux « consé-quents » l’ont bien compris : le polito-

logue américain Andrew Moravcsik par exemple. Il explique noir sur blanc – avec beaucoup de satisfaction – que l’intégra-tion européenne a eu pour résultat de « protéger » des domaines clefs de la déci-sion publique (la gestion de la monnaie, la diplomatie économique, les change-ments constitutionnels, l’administration technique notamment) de toute « contes-

tation politique directe »– ce sont ses propres mots. C’est un vieux refrain de la pensée « libérale » : la gestion des affaires publiques doit échapper à la « tyrannie des majorités », à « l’irrationalité des masses » comme on disait

au XIXe siècle, et rester l’apa-

nage d’une élite éclairée.

Vous pensez donc que « L’Eu-

rope sociale n’aura pas

lieu »… ?F. D. : Une Europe intrinsè-quement libérale ne saurait comme par magie se muer en

Europe sociale. Sauf à imaginer que l’on

puisse transformer le plomb en or. Il s’agit

de notre point de vue de revenir sur les

« acquis libéraux », de remettre en ques-

tion trois piliers de l’ordre économique

européen que sont le monétarisme, la libre

concurrence et le libre-échange. Les

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Entretien avec Antoine Schwartz et François Denord

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mesures essen-tielles pourt r a n s f o r m e rcette Europesont bienconnues : ellesfigurent dansles programmesde la gauche degauche, et biensûr du Parti degauche. Ce nesera pas facile :rappelons seule-ment que leconsentementde l’ensembledes États estrequis pour réviser les traités. Mais peut-être que dans un contexte plus propice aux idées progressistes…A. S. : En attendant cette réforme, il y a un point important qu’il faut garder à l’esprit : tout laisse à penser qu’un gouvernement qui parviendrait au pouvoir pour mener une politique en rupture avec le néolibé-ralisme n’aurait à peu près aucune marge de manœuvre dans ce cadre. Il ne dispose-rait ni du contrôle de la monnaie, gérée par la BCE, ni de la maîtrise complète de son budget. Il se trouverait confronté à la régle-

mentation exis-tante en matière de concur-rence et soumis à la pression de la libre circulation des marchan-dises et des capi-taux. En fait ce gouvernement de gauche serait

soit contraintde renier sespromesses, soitcontraint dedésobéir et de se heurter au cadre européen.

Cette deuxième option serait peut-être l’occasion de provoquer une crise salutaire dans le fonctionnement de l’Union euro-péenne et d’exiger une renégociation des Traités. Une telle perspective peut sembler aujourd’hui un peu abstraite. Mais cette question des marges de manœuvres n’en reste pas moins primordiale : toute orga-nisation politique qui prétend gouverner en dehors des sentiers libéraux doit s’y confronter. Or, à ce sujet, il nous semble que la discussion ne fait encore que commencer.

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Le peuple, cet incapable…

Permanence du discour renaissance de l’oligarc

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Philosophie

s antidémocratique : h ie

Benoît Schnekenburger

Il n’y a aucun régime politique par nature

Il serait trompeur de commencer une analyse de l’oligarchie par le seul recours à l’étymologie. Il en va de l’oligarchie comme de la démocratie : chaque terme est le résultat d’une lutte historique qui lui donne sens. Les typologies des régimes politiques marquent d’abord un phéno-mène fondamental, issu du miracle grec : la prise de conscience du fait politique comme autonome. La pensée grecque du

IVe siècle invente conjointement la

politique et la philosophie, parce que les hommes découvrent, encore maladroite-ment, que leur devenir leur appartient, qu’ils le font par la délibération commune plus que par application de valeurs exis-tant par nature ou révélées par les dieux. Dès lors que les hommes font la politique, il leur revient de dire comment ils la font. D’emblée la question du comment, à la fois celle du juste ou du vrai, est aussi celle

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Le peuple, cet incapable…

On trouve dès Homère une classification des régimes politiques à partir du nombre de ceux qui participent en droit au pouvoir : un seul, mono, plusieurs, oligo, ou tout le peuple, démos.

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de la légitimité. Parce que la légitimité ne peut être désincarnée, elle pose la ques-tion de l’origine (arkhè), c’est-à- dire que l’on demande qui doit détenir le pouvoir (kratos). Le type de pouvoir se trouve donc défini par le groupe qui le détient, dont les idées dominantes établissent

la légitimité. Cette confu-sion, parfois entretenue à dessein, doit nous permettre de comprendre pourquoi l’histoire des idées, reflet de l’histoire réelle, ne cesse de privilégier le petit nombre sur la masse du peuple, en préfé-rant d’abord l’aristocratie ou la noblesse, pour finalement masquer par le discours sur la démocratie libérale l’exis-tence d’une oligarchie diri-geante.

Permanence du préjugé oligarchique

Contre une idée reçue un peu hâtive, le monde grec n’était pas, dans sa majo-rité, démocratique, et les typologies des régimes conservent la marque de cet a priori antidémocratique. On trouve dès Homère, puis chez Platon et enfin Aristote qui la systématise, une classification des régimes politiques à partir du nombre de ceux qui participent en droit au pouvoir :

un seul, mono, plusieurs, oligo, ou tout le peuple, démos.Pourtant, si la discussion a lieu sur le nombre, s’y ajoutent les qualités censées caractériser les régimes politiques selon leur nature bonne ou mauvaise, droite ou déviante. Pour qualifier la déviation,

Aristote évoque deux traits : le corps social et la compé-tence supposée. De ce fait, il refuse la démocratie, régime où l’emporte la majorité du peuple, et donc les plus

pauvres1 qui ne viseraient que leur intérêt.La question en effet est celle du type de politique à mener, du choix des lois, des déci-sions à prendre. Un préjugé tenace consiste à croire que la masse des gens est inapte à prendre les bonnes décisions.

Avec Platon, il faut produire des rois philosophes, et réserver la politique aux

meilleurs, les bien éduqués2. De ce préjugé naît le sens premier de l’aristocratie, une des formes de l’oligarchie : le régime où les meilleurs, car les plus compétents, mais en fait les bien nés, dirigent.Avec l’émergence du pouvoir d’État, les

premiers penseurs du concept de souve-

raineté refusent à leur tour la démocratie :

Jean Bodin, n’y voit que le désordre de la

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Philosophie

Un préjugé tenace consiste à croire que la masse des gens est inapte

à prendre les bonnes décisions.

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« populace qu’il faut bien ranger à coup

de bâtons » 3.La Révolution française a cru pouvoir mettre à bas l’Ancien Régime, mais dès lors qu’il s’est agi de déterminer qui pouvait participer à la détermination des lois, le préjugé antidémocratique a prévalu. Le suffrage censitaire visait à écarter du vote et de l’élection tous ceux suspects de ne pas être aptes à choisir une

bonne politique, sur critère social. Les différentes formes de privilèges réservant la participation politique à une minorité tombent progres-sivement, avec l’institution du suffrage pour les hommes sans conditions de revenu, puis le suffrage universelaprès la seconde guerre mondiale. Ainsi, un long mouvement de démocratisation a peu à peu conduit à réduire la prétention du petit nombre à diriger.

Le retour de l’oligarchie

D’où vient alors le retour de l’oligarchie ? De la crise interne des démocraties libé-rales elles-mêmes. Appuyées sur le capi-talisme, où prévaut la loi de l’intérêt particulier, elles ne peuvent, du moins en façade, que prôner un discours où le droit de vote universel est accordé, sans considération sociale ou de compétence.

Cette tendance n’a de cesse d’inquiéter les classes dirigeantes qui pensent nécessaire le maintien d’une forme d’aristocratie.

À partir des années cinquante, le discours de lutte contre les totalitarismes accom-pagne une forme de méfiance vis-à-vis de la mobilisation politique des classes populaires. Des libéraux, comme Schum-peter, Huntington ou Jones, voient dans les mouvements de masse la montée aux

extrêmes, et estiment néces-saire la restriction du choix démocratique à la formation

d’une élite compétitive4, les instruments par lesquels se forme cette nouvelle classe dirigeante ne relevant pas d’une délibération démocra-tique. Le maître mot de cette

opération, c’est « l’apathie politique ». Il faut encourager le désinvestissement poli-tique des classes populaires, et limiter l’offre politique acceptable. Schumpeter affirme par exemple que « le citoyen typique, dès qu’il se mêle de politique, régresse à un niveau inférieur de rende-

ment mental. » 5 Et en France, le maître à

penser des démocrates libéraux, Raymond Aron, dénonce le « problème » de la démocratie : « les gouvernants ne peuvent sauver un peuple en dépit de lui-même. » Il va encore plus loin en estimant qu’il y a une origine « génétiquement » (sic)

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Le peuple, cet incapable…

En théorisant la

République

sociale, Jaurès

entend faire la

synthèse entre

la démocratie

politique et la

démocratie

sociale, c’est-à-dire associer liberté

et égalité, là où les oligarques modernes, effrayés par l’aspiration

à l’égalité en viennent à restreindre la liberté elle-même.

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déterminée à être compétent ou non :

« seule une minorité qui ne dépasse pas 10 à

20 % » en est capable6. Ce courant est aujourd’hui dénoncé par Hervé Kempf au début de son ouvrage L’oligarchie ça suffit,vive la démocratie !Pour cela il faut que le système produise des dirigeants potentiels et exclue ceux quimettent en cause la démo-cratie libérale. L’idéologie dominante met en place alors ce que Bourdieu appel-lera une

nouvelle « noblesse d’État »7.

En France on peut noter le rôle central joué par l’Institut d’études politiques et l’ENA. Ceux qui en sont issus forment peu à peu un monde de connivences, occupant des postes stratégiques au sein de l’État, mais aussi dans le monde médiatique, tant dans la presse que dans les instituts de sondages. Dans une démo-

cratie d’opinion, il devienttrès préoccupant qu’émanentd’une même formation ceuxqui sont censés participerde sa production et de samesure, voire qui occupentles deux fonctions, les dirigeants d’insti-

tuts de sondage devenant chroniqueurs

politiques.

Reconquérir le sens du mot démocratie

Contre l’idée que le peuple ne soit pas compétent, et qu’il faille promouvoir des experts, l’historien marxiste Moses I. Finley rappelait dans Démocratie antique et démocratie moderne (Payot 1976) que la

politique ne relève pas d’une expertise préalable, que pour les citoyens grecs les ques-tions étaient, toutes choses égales par ailleurs, aussi complexes que les nôtres. À Athènes, l’iségoria, droit de tous à la parole sur l’agora où se décide la loi, tient seule de compétence, pour des citoyens également égaux devant le droit.Dans la lutte historique entre

les partisans de l’oligarchie et

ceux de la démocratie, après

les révolutions issues des

Lumières et de leur projet

émancipateur, les oligarques

ont peu à peu détourné le sens

de la démocratie. Ce

mouvement est d’autant plus

difficile à saisir pour la gauche

française que nous avons tendance à asso-

cier naturellement la République issue

de 1789 et 1793, avec son cortège d’aspi-

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Philosophie

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rations sociales, avec la démocratie. Nous oublions qu’un large courant a toujours voulu opposer république et démocratie. Il y a un autre modèle républicain, fondé sur la séparation absolue des pouvoirs, la réfé-rence au bicamérisme et au suffrage majo-ritaire qui n’a d’autre but que de réduire la participation du peuple, et détourne peu à peu les sens que nous attribuons et à la république et à la démocratie. C’est celui de Kant, incarnant le courant modéré des

Lumières8, comme celui des constituants américains, pour qui il faut absolument

produire une république9 et non une démocratie, palliant ce qu’ils appellent le despotisme du peuple. Ce même despo-

tisme démocratique10 est refusé par Tocqueville, maître à penser de la critique libérale de la grande Révolution.

Aujourd’hui, les partisans de la démo-cratie libérale visent à retirer au peuple ses prérogatives politiques en travestis-sant le sens de la démocratie. La tradi-tion révolutionnaire française puise à d’autres sources que la pensée libérale. À Montesquieu, elle préfère Rousseau. De Marx, nous retenons qu’il ne peut y avoir de droits de l’Homme formels sans droits

réels11. En théorisant la République sociale, Jaurès entend faire la synthèse entre la démocratie politique et la démo-cratie sociale, c’est-à-dire associer liberté et égalité, là où les oligarques modernes, effrayés par l’aspiration à l’égalité en viennent à restreindre la liberté elle-même. Benoît Schnekenburger est professeur de

philosophie et chercheur en science politique.

1. Aristote, Les politiques, Livre III, § 7. 2. « À moins que, dis-je, les philosophes n’arrivent à régner dans les cités, ou à moins que ceux qui à présent sont appelés rois et dynastes ne philosophent de manière authentique et satisfaisante et que viennent à coïncider l’un avec l’autre le pouvoir politique et philosophie ; à moins que les naturels nombreux de ceux qui à présent se tournent séparément vers l’un et l’autre n’en soient empê-chés de force, il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de terme aux maux des cités ni, il me semble, à ceux du genre humain. » ; faute de quoi « personne, pour ainsi dire, ne mène d’action politique saine » Platon, République, L VI, [496d]. 3. Les six livres de la République, Livre VI, chapitre IV. 4. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot : « système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple » p. 329-330. 5. id. p. 347. 6. Le terme de « génétiquement » est souligné par Aron, dans Les désillusions du progrès, p. 99 Agora 1987 (première édition 1965). 7. Bourdieu, La Noblesse d’État, Grandes écoles et esprit de corps, Seuil, 1989 8. Kant, Projet de Paix Perpétuelle : « Parmi ces trois formes d’État, la forme démocratique, au sens propre du mot est nécessairement despotique. (…) Toute forme de gouvernement qui n’est par représentative est proprement informe(…). » Vrin p. 19. 9. « À republic, by which I mean a government in which the schemes of representation takes places, opens a different prospect promises the cure for which we are seeking. » The Federalist Papers, Madison, Hamilton, Jay (1788), p. 126 10.Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835), 10/18, p. 361 11.Marx se livre à une critique du contenu formel des droits de l’homme dans La question juive, 1844.

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Les CAC 40 voleurs

Quand l'État enrichit les riches

Olivier Toscer est journaliste. En 2003, il publie un livre intitulé Argent public, fortunes privées dans lequel il démontre que l’origine des grandes fortunes se trouventle contrôle qu’elles exercent sur l’État. Celui-ci peut dès lors siffler la fin dedes oligarques pour peu que la sphère et le secteur publics soit clairement libérés des intérêts privés.

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À Gauche : Peut-on dire que le Peuple français vit désor-mais dans un régime oligar-

chique ?Olivier Toscer : Oui, tout à fait. Les gens aux manettes en France, forment une caste politique, économique, administrative, très soudée les uns aux autres. Tous se connaissent et s’entraident. Au final, le sommet de la pyramide oligarchique est composé de ceux qui possèdent l’argent. À la fin, c’est toujours le milliardaire et l’intérêt privé qui l’emportent et l’intérêt général et l’argent public qui perdent.

Comment se manifeste la généro sité de l’État vis-à-vis des grandesfortunes ?Elle se manifeste par de la naïveté totale ! Quand l’appareil d’État et l’Administration se piquent de vouloir faire des affaires, avec des hommes d’affaires profession-nels, ils perdent forcément. Pour gagner de l’argent, faire des coups financiers, il vaut mieux travailler dans un cadre souple sans contraintes. La sphère publique est inadaptée pour fonctionner comme cela. C’est ce qu’on avu dans les années 1980 avec

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Entretien avec Olivier Toscer

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Les CAC 40 voleurs

Le bras de fer

se termine

clairement en

faveur des

intérêts du

secteur privé :

les entreprises profitent du rôle de garant de l’État.

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les premières privatisations. L’État voulait faire des affaires, il vendait ses entreprises et les différents exemples que je passe en revue dans mon livre montrent que les actifs publics ont été systématiquement

bradés. Un exemple typique, c’est le cas d’une entreprise qui périclite ; l’État prête de l’argent à un homme d’affaire afin que celui- ci la rachète et la gère. Ainsi, la reprise par François Pinault de la pape-terie de la Chapelle-d’Arblay, située dans la circonscrip-tion de Laurent Fabius, a été partiellement financée par l’État. Cet homme d’affaires

l’a gardé deux ans, puis l’a revendue avec grand profit. Or l’État n’avait pas pensé à insérer une clause de retour à meilleure fortune dans le contrat de vente, en vertu de laquelle Pinault aurait dû partager le profit lié à une éventuelle revente. L’État a subventionné Pinault, sans que les emplois n’aient été sauvegardés. L’intérêt public a été doublement perdant.

Vous parlez aussi de l’exemple inverse : de la manière dont l’État a sauvé l’entre-prise Wendel (famille du baron Ernest-Antoine Seillière) en rachetant ses mines, qui n’étaient plus rentables à la fin des années 1970.

La sidérurgie était en faillite totale, les emplois étaient menacés. L’État a natio-nalisé les entreprises des Wendel pour essayer de sauver les emplois. Il les a dans le même temps dégagé de leurs dettes et leur

a évité la faillite. Aujourd’hui, la fortune des Wendel est florissante, les caisses de l’État un peu moins, et les emplois dans la sidérurgie disparus… Dans ces deux cas, l’État inter-vient par crainte du chômage. Mais le bras de fer se termine clairement en faveur des intérêts du secteur privé : les entreprises profitent du rôle de garant de l’État.

L’État permet aussi aux très riches de devenir richissimes par sa politiquefiscale.Un milliardaire qui fraude le fisc… reste un milliardaire. Le jour où l’État s’en aperçoit – si toutefois il décide de ne pas fermer les yeux – le milliardaire effectue le chantage suivant : « Si vous m’embêtez trop avec des arriérés fiscaux, avec des procédures, je délocalise l’activité de mes entreprises ». L’État négocie ainsi les amendes au plus bas. Lors de l’affaire Bettencourt, quand les comptes en Suisse non déclarés ont été découverts, des voix se sont élevées pour faire valoir qu’elle

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Entretien avec Olivier Toscer

Finalement, le meilleur moyen de ne pas payer d’impôts, c’est d’être

particulièrement

riche…

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payait tout de même beaucoup d’impôts en France et qu’elle avait créé des emplois, qu’il fallait donc la laisser tranquille. C’est tout de même incroyable !Finalement, le meilleur moyen de ne pas payer d’impôts, c’est d’être particulière-ment riche… Plus on est riche, plus on fait jouer l’optimisation fiscale. C’est la raison pour laquelle François Pinault est devenu collectionneur. Avec la suppression du bouclier fiscal et de l’ISF, le pouvoir va servir encore davantage les riches.La politique fiscale de l’État aujourd’hui consiste à convaincre les riches de rester en France. Quand on tombe sur les très très riches, on préfère ne pas trop regarder. S’agissant des très grandes fortunes, tous les contrôles fiscaux remontent aux

ministres. Ainsi, l’interven-tion de Woerth dans l’affaire Bettencourt est assez banale.Au début des années 2000, lorsque l’Administration fiscale s’est rendue compte que Pinault avait placé 30 % de sa fortune dans les paradis fiscaux, des négociations entrele milliardaire et Bruno Cremel, le direc-

teur de cabinet du ministre de l’économie

Laurent Fabius, ont eu lieu. Or M. Cremel

est un ancien employé de Pinault. L’accord

se fait secrètement, Pinault paye un peu,

mais pas trop. Et quand Fabius quitte le

Gouvernement, son directeur de cabinet retourne chez Pinault ! Pinault a donc négocié son redressement fiscal avec un de ses employés…

Quelles sont les causes et les conséquences

du pantouflage, c’est-à-dire du passage de

hauts fonctionnaires dans le secteur

privé ?Les hauts fonctionnaires savent qu’ils

peuvent être recrutés par le privé et qu’ils le

seront. Dans cette perspective, ils ont

tendance à se faire bien voir par leurs futurs

employeurs lors de leur début de carrière

dans le public. Les règles existantes – on ne

peut pas aller travailler dans l’entre-prise

qu’on contrôlait dans ses fonctions

administratives moins de cinq ans après

avoir exercé ce contrôle – ne sont pas respectées. Et leurs violations ne sont pas sanc-tionnées, puisque la commis-sion de déontologie n’a aucun pouvoir de sanction.Le pantouflage s’est développé

dans les années 1980. Avant

l’interpénétration public-

privé, l’ENA jouissait d’un prestige sans

égal. Avec les années 1980, c’est l’argent

qui l’emporte, les hauts fonctionnaires se

rendent compte que l’employé de l’homme

d’affaires gagne dix fois plus qu’eux ; l’at-

trait de l’Administration pour les énarques

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Les CAC 40 voleurs

Les favoris d’État, comme je les appelle, sont protégés par les murailles d’un château fort constituées par la récupération de tous ceux

qui sont normalement chargés de les contrôler.

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s’effondre. On arrive à une situation dans laquelle les personnes passent l’ENA uniquement pour faire des affaires par la suite. Ainsi, Jean-Marie Messier n’a pas travaillé plus de trois ans dans la haute Administration avant d’aller faire des affaires…

Ce pantouflage est connu pour les énar-ques, mais vous montrez dans votre livrequ’il touche également les magistrats…Le monde de l’argent tente de neutralisertous les contre-pouvoirs : la Justice, l’Administration… Le recrutement des juges par

des grandes entreprisess’estdéveloppé, qu’ils s’agissentde magistrats du parquet,de juges d’instruction… Ilsdeviennent généralementles directeurs juridiques del’entreprise et arrangent lescoups ; ils utilisent leur carnet d’adresses d’anciens magis-trats, incitent leurs collègues restés magistrats à ne pas ouvrir d’information judi-ciaire. Les favoris d’État,comme je les appelle, sont protégés par les murailles d’un château fort constituées par la récupération de tous ceux qui sont normalement chargés de les contrôler.

En outre, il existe une volonté du pouvoir

politique, convaincu par le monde économique, de laisser la justice hors du monde des affaires. Le premier discours de Sarkozy devant le Medef portait sur la dépénalisation du droit des affaires. Les pôles financiers sont fermés les uns après les autres. La corruption politico-finan-cière n’est plus réellement sanctionnée.

Ainsi, les plus riches se servent de la loi : avec l’aide de spécialistes, ils ne la violent pas mais s’arrangent avec elle. Quid des

autorités administratives indépendantes ? Le déman-tèlement de l’État n’a-t-il pas également affaibli lescontrôles ?Avec la création des Autorités administratives indépen-dantes (AAI), les contrôles devaient être plus efficients car indépendants. En réalité, la logique publique, celle de l’intérêt général, est affai-blie, au profit des logiques privées. En effet, les « sages » qui siègent dans les AAI ne sont plus sous la direction du

ministre et ne risquent plus d’être sanc-tionnés. Ils utilisent cette liberté pour entrer en contact avec le privé et protéger ses intérêts. On pourrait penser que ça donne des instances plus professionna-

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Entretien avec Olivier Toscer

La presse pourrait être un contre-pouvoir ; en l’achetant, ils l’annihilent.

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lisées et donc plus efficaces, mais ce

n’est pas le cas.

Racontez-nous comment votre livre,Fortunes privées, argent public a été perçu à sa sortie en 2002… Il y a eu uncertain black-out…Ce livre a huit ans. Il n’a pas eu le succès médiatique escompté car il énonce des

vérités qui dérangent. Il n’a été attaqué en justice par personne, il n’y a pas eu de

procès en diffamation, cartout est vrai… Mais c’esttrès compliqué d’être invitésur TF1 quand on parle de Martin Bouygues ou d’allersur le plateau d’Europe 1 quand on évoque

Lagardère. Certains des personnages prin-

cipaux du livre, des favoris d’État, sont les

propriétaires des médias, et ce n’est pas un

hasard… Cette interpénétration des finan-

ciers et des hommes de médias fait partie

du rempart qu’ils construisent autour d’eux : la presse pourrait être un contre-pouvoir ; en l’achetant, ils l’annihilent.L’arme de la « dissuasion publicitaire » est très efficace : après que j’ai écrit un article sur Bernard Arnault, n° 1 mondial du luxe, ce dernier a été contrarié et a supprimé ses publicités du Nouvel Obs durant trois mois. Ça fait beaucoup de

recettes en moins. Finalement, il est revenu sur sa décision car elle a été rendue publique et nuisait à son image. Ces gens-là ne respectent pas qu’on puisse écrire des choses vraies sur eux.

Les dérives explicitées dansce livre n’ont fait que s’amplifier depuis

l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, qui n’a pas

peur de montrer ses liens avec les puis-

sances d’argent. Sarko a décomplexé ses

rapports avec le monde de l’argent, il avoue

sa proximité avec les milieux d’affaires.

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Paru vendu

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médias servicede l’oligarchie

Sacha Tognolli

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a démocratie suppose des citoyens libres et éclairés, c’est-à-dire des individus en capacité de se forger

une opinion. Ces derniers ont comme responsabilité de décider, par vote, des orientations politiques suivies par tous, soit directement, soit en mandant leurs représentants. Ce

processus nécessite donc une formation et une information conti-

nues des citoyens. A fortiori en République, où chacun est appelé à

voter non pas en fonction seule-ment de ses propres intérêts, mais en

fonction de l’intérêt général. Deux « institutions » participent

principalement de la construction des opinions politiques : l’école qui

permet aux futurs citoyens d’acquérir un maximum de

connaissances et un esprit critique, et les médias dont la fonction est d’in-former, c’est-à-dire mettre en lumière des faits et présenter des analyses. Nous nous intéresserons à cette seconde institution. Son observation montre à quel point le pluralisme des médias a laissé la place à un système de domination véhiculant avec force l’idéologie dominante, c’est-à-dire l’ensemble des représentations du monde réel visant à justifier l’ordre social. Aujourd’hui, force est de constater que les médias répondent aux volontés d’une oligarchie dont le principal but est la rentabilité finan-cière de leurs « produits » commer-ciaux, ces produits étant de véritables acteurs d’une domination symbo-lique.

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Paru vendu

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Les médias aux mains dES oligarques

En effet, les médias sont possédés par une

infime minorité d’oligarques milliar-daires,

dont la plupart se sont retrouvés au

Fouquet’s pour fêter l’élection de Nicolas

Sarkozy. La liste des invités faisait la part

belle à ces médiacrates. Prenons l’exemple

de Martin Bouygues, fidèle ami du Président.

Celui qui représente la 21e fortune de France

est principalement réputé pour son groupe de

BTP, mais il est également propriétaire de

plusieurs médias, à commencer par TF1,

première chaîne généraliste française, LCI,

Euros-port France, Tv Breizh, Odyssée,

Histoire, Ushaïa TV ; il détient 50 % de

France 24, 49 % de Prima TV, 34,3 % des

Publications de Météo France et même près

de 10 % de Canal + France. Par ailleurs, TF1

détient 33,5 % de AB Groupe (RTL9, TMC

etc.). Il y avait aussi Vincent Bolloré qui

préside l’agence Havas et le Groupe Bolloré

possé-dant les gratuits Direct Soir et Matin

plus ou encore Direct 8, une des principales

chaînes de la TNT. Vincent Bolloré est

également propriétaire de l’institut de

sondage CSA. D’autres encore faisaient

partie de cette bande du Fouquet’s comme

Bernard Arnault qui, après avoir revendu La

Tribune, est devenu propriétaire des Échos,

ou Serge Dassault, sénateur

UMP et président du groupe Socpresse qui possède notamment Le Figaro. Ces exemples nous montrent à quel point les médias appartiennent à une poignée d’oli-garques juchés au sommet du pouvoir économique et politique.

La marchandisation de l’information

L’information est donc devenue une marchandise contrôlée par des hommes d’affaires. Certes, cette marchandisation n’est pas une nouveauté : les médias sont depuis longtemps des entreprises qui dépendent de la publicité, des chiffres de vente ou de l’audimat. C’est ainsi que depuis la Libération, les concentrations se sont multipliées, à l’image du groupe Hersant dont le fondateur fut surnommé le « Papivore » du fait de son appétit insatiable pour l’achat de journaux, de périodiques et de radios. Mais ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de ces concen-trations et leur caractère transnational. Il en est ainsi de Michel Lucas, Directeur général du Crédit Mutuel, groupe bancaire tentaculaire. Il n’y a qu’à voir son appétit d’ogre pour les journaux de tout l’Est de la France jusqu’à Avignon : un impérialisme bien plus brutal et rapide que celui de feu Hersant. Pas loin de dix journaux, plus d’un million d’exemplaires vendus sur 24 départements, 101 éditions, une audience

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de 3,5 millions de lecteurs. Un oligopole capitalistique et idéologique énorme… Pour reprendre les mots de Henri Maler, un des animateurs de l’association de critique des médias Acrimed : « Les entre-prises médiatiques ne sont pas la proie des concentrations et de la mondialisation capi-talistes : elles en sont des acteurs. Ce ne sont

pas seulement des entreprises

multimédia, mais des pieuvres

tentaculaires qui déploient leur

activité dans des domaines de

plus en plus étendus ». De plus,

au nouvel âge du capitalisme

correspondent des entreprises

médiatiques financiarisées dont

l’objectif est une renta-bilité

avec des taux de profit à deux

chiffres. Par conséquent, la

fonction initiale des médias

– l’information – a laissé la place à une véritable entre-prise de formatage des consciences des

clients – et non plus des citoyens – dont les

besoins sont façonnés pour constituer une

véritable « demande ». C’est à l’aune de cette

analyse que l’on peut comprendre l’af-

firmation de Patrick Le Lay, ancien PDG de

TF1, selon lequel « il y a beaucoup de

façons de parler de la télévision. Mais dans

une perspective ”business”, soyons réalistes :

à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-

Cola, par exemple, à vendre son

Au nouvel âge du capitalisme correspondent des entreprises médiatiques financiarisées dont l’objectif est une rentabilité avec des taux

de profit à deux chiffres.

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produit (…). Or pour qu’un message publi-citaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

L’information des citoyensà l’épreuve de la logique commerciale

Ainsi, dans les mains des oligarques, les médias sont réduits à être de simples produits commerciaux. Il ne

s’agit donc plus d’informer les citoyens, ni même de produire des contenus de qualité. L’objectif est tout autre : faire de l’argent. Dès lors, c’est

la course à l’audimat compris non pas comme la satisfaction d’un maximum d’aspirations différenciées, mais comme l’agglomération de consommateurs. Pour ce faire, les médias vont privilégier une programmation consensuelle qui vise à réduire au maximum le taux d’insatis-faction. Les journaux télévisés répondent à cette logique : maintenir le plus fort taux de présence des téléspectateurs pour les conduire d’un écran publici-

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Paru vendu

La rentabilité exigée par ces oligarques les oblige à précariser d’autant leur personnel. Près de la moitié des journalistes ne disposent pas d’un CDI.

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taire à un autre. Cette logique commer-ciale est identique pour les entreprises de sondage. L’IFOP affiche un chiffre d’affaires consolidé de plus de 35 millions d’euros ; tandis qu’IPSOS, plus grand institut français, côté en bourse depuis 1999, annonce 101 millions d’euros pour 2009. Au demeurant, les sondages d’opinion, largement publiés, ne sont pour la plupart des instituts de sondage

qu’un produit secondaire. En effet, ceux-ci ne représentent qu’une part très minoritaire des activités et des ressources des sondeurs (généralement entre 2 et 20 %), et sont géné-ralement envisagés comme un « produit d’appel » – un objet promotionnel à l’instar des journaux télévisés d’une chaîne – qui doit faire connaître l’institut et attirer les clients vers d’autres acti-vités plus rentables, comme les études marketing.De plus, la profitabilité exigée par ces oligarques les oblige à précariser d’autant leur personnel. Près de la moitié des jour-nalistes ne disposent pas d’un CDI. Drôle d’indépendance ! Et comment envisager qu’ils puissent faire un travail de qualité quand on sait qu’ils doivent traiter dix sujets par jour ?

LES PRINCIPAUX acteursdE LA domination symbolique

Enfin, les médias, envisagés largement, sont producteurs de « sens ». Ce ne sont pas des miroirs de la société et du réel, mais des acteurs d’une domination symbolique qui produit et consacre des représentations légitimes. Ce sens peut être produit de deux façons, explicitement et implicitement.

Dans ce dernier cas, le sens est produit insidieusement par le choix des concepts qui organisent la réalité vécue en discours, par les chocs émotifs sans recul, par les représenta-tions du monde… Ces modes d’appréhension de la réalité apparaissent pour les citoyens comme des évidences et soutiennent toutes les formes de domination. C’est le cas évident des magazines fémi-

nins qui reproduisent les dominations de

genre. Mais ce phénomène de domination

symbolique peut s’analyser à travers ceux

qui sont invisibles dans les médias. Force est

de constater que la majorité du peuple est

devenue invisible. Par exemple, un rapport

du CSA a montré que les ouvriers

représentent 2 % des personnes que l’on voit

à la télévision, alors qu’ils représentent 23 %

de la population réelle. Même chose

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pour les employés. Ainsi, 53 % de la popu-lation est pratiquement invisible dans les médias. Ces derniers présentent donc une société totalement imaginaire et fabriquée, où la classe moyenne aisée domine. Quant au traitement de l’actualité politique qui devrait permettre à chacun de se forger une idée, celui-ci est parfaitement ajusté aux politiques libérales. La stigmatisation de la contestation radicale (qualifiée de populisme), la personnalisation voire la « peoplisation » du débat démocratique et l’exclusion des revendications des mouve-ments sociaux imposent une représenta-tion de l’action politique qui la dérobe à l’action des dominés.

Face à cela, il est donc nécessaire d’avoir une critique radicale du fonctionnement des médias. En effet, la médiacratie étant la vitrine du système, il faut délégitimer son discours pour que les citoyens rede-viennent pleinement souverains. Nous avons réussi à le faire lors du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen. Nous appelons à une véri-table Révolution citoyenne qui remette en cause l’appropriation oligarchique des médias mais également l’extrême préca-rité dans laquelle sont maintenus leurs salariés. Sacha Tognolli est co-responsable du réseau jeune du Parti de Gauche.

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Comment reprendre le pouvoir 

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Qu’ils dégagent todos !

Amérique latine, mond l’oligarchie en ligne de

Raquel Garrido

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Du fait de leur proximité, les révolu-tions citoyennes du monde arabe– singulièrement celles de Tunisie

et d’Égypte – interpellent davantage les Français que n’ont pu le faire en leur temps les révolutions citoyennes d’Amérique Latine.La fondation du Parti de Gauche fut large-ment inspirée des processus révolution-naires d’Amérique Latine à partir de 1999 et en particulier par les pays où la souve-raineté politique fut restituée au peuple par voie d’Assemblées constituantes, c’est-à-dire le Venezuela (1999), la Bolivie (2006) et l’Équateur (2007).

À l’heure où les Tunisiens viennent de provoquer, eux aussi, l’élection d’une assemblée constituante pour le 24 juillet 2011, il est utile de souligner la conver-gence entre les révolutions latino-améri-caines et arabes, qui ont en partage un

objectif prioritaire : le renversement de l’oligarchie.Bien des commentateurs ont souligné récemment les différences entre les révolu-tions latino-américaines et les révolutions arabes. En particulier, ont été relevées l’ab-sence, dans les révolutions arabes, de líder máximo et d’organisations constituées.Un examen plus approfondi permet de voir que cette différence n’est pas si tran-chée. Si l’on prend la question de l’existence d’organisations constituées, on notera que parmi toutes ces révolutions citoyennes, c’est en Tunisie qu’il y a l’organisation la plus ancienne et structurée, en l’espèce le syndicat UGTT, et que c’est au Venezuela que l’inorganisation est la plus forte, dans la mesure où le parti au pouvoir, le PSUV, n’a finalement été créé que 10 ans après la prise du pouvoir. En Bolivie, si une certaine force s’est dégagée du syndi-

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e arabe :

mire

Les révolutions latino-américaines et arabes, qui

ont en partage un objectif prioritaire :

le renversement de l’oligarchie.

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calisme, notamment parmi les indigènes cultivant la coca (Evo Morales était un syndicaliste cocalero), ce sont surtout des mouvements auto-organisés comme à El Alto, quartier pauvre de La Paz, qui

ont mené les grands affronte-ments comme la « Guerre de l’eau » contre l’attribution du marché de l’eau à la multinatio-nale états-unienne Bechtel. En Équateur, le parti PAIS est tout jeune, il est pour ainsi dire né avec l’élection présidentielle de Rafael Correa.En ce qui concerne la figure d’un

líder máximo, si à première

vue on ne peut que constater que Hugo

Chavez, Evo Morales et Rafael Correa

n’ont pas à cet instant leur équivalent en

Tunisie, Égypte ou en Lybie, il faut immé-

diatement rectifier en indiquant que ce qui

fut important dans les révolutions latino-américaines ne fut pas tant l’émergence de ces personnalités individuelles que leur identification avec une mesure program-matique qui surplombait toutes les autres :

la convocation d’une assem-blée constituante.En effet, loin de l’esprit caudilliste que d’aucuns considèrent être une marque culturelle d’Amérique Latine, l’élection de Chavez, Morales et Correa fut en réalité permise par l’engage-ment que, dès qu’ils seraient élus, ils restitueraient immé-

diatement au peuple leur pouvoir, par la voie d’une Assemblée Constituante dont ils acceptaient par avance l’issue.La thèse des révolutions citoyennes

d’Amérique Latine fut que le pouvoir

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Qu’ils dégagent todos !

Il s’agit d’expulser l’oligarchie en rétablissant la souveraineté populaire.

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politique réside de façon constante dans le peuple lui-même, et c’est par la restitu-tion au peuple de sa souveraineté que les régimes qui en sont issus ont renoué avec la légitimité démocratique. Les démocra-ties représentatives tout comme les dicta-tures semblent oublier ce fait pourtant basique, dès lors qu’elles sont mises au service d’une oligarchie.En Tunisie, le mouvement citoyen a donné

un nom au régime qu’il affrontait : la klep-

tocratie. En Équateur, le terme employé était

celui de « partidocratie ». Derrière ces termes

on trouve la même idée, celle d’un ancien

régime aux mains d’une poignée qu’il faut

renverser. Et c’est bien là le point commun

entre les révolutions citoyennes d’Amérique

Latine et des pays arabes. Il s’agit d’expulser

l’oligarchie en rétablissant

la souveraineté populaire. La Tunisie, après avoir vécu des difficultés de transition, vient de franchir un cap décisif en

convoquant une AssembléeConstituante. Ce processusa abouti à retirer le pouvoiraux ministres proches deBen Ali et a donné un cadre stable à la lutte

politique entre les partis concourant au

pouvoir. Ainsi, le label de révolution

« désorganisée » a soudainement été mis en

veilleuse, et la différence apparente avec les

révolutions d’Amérique latine s’estompe.

Il va sans dire que chaque situation natio-nale est différente, tant entre pays arabes qu’entre ceux-ci et les Sud-Américains, qu’entre Sud-Américains eux-mêmes. Il est amusant de constater que ceux là même qui nous reprochent de comparer la France à la Tunisie ou l’Europe à l’Amé-

rique latine mettent ces situa-tions différentes dans un même sac fait d’une ignorance et d’un dédain néo-coloniaux. Ce qui compte pour les mili-tants que nous sommes est de déceler la part d’universel qui existe dans ces luttes éman-

cipatrices. Encore faut-il accepter l’idée d’universel et s’opposer au contraire de tous les tenants du relativisme culturel. C’est le relativisme culturel qui attribuait aux peuples arabes une indifférence voire une inaptitude à la démocratie, justifiant

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International

Ce qui compte pour

les militants que

nous sommes est

de déceler la part

d’universel qui

existe

dans ces luttes émancipatrices.

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par là autant de guerres, invasions et occupations. C’est le relativisme culturel qui voit en un Président de la République caribéen s’étant soumis à une assemblée

constituante et à un référendum révocatoire rien de plus qu’un despote éclairé.Les oligarques de chaque pays ont intérêt à ce relativisme culturel car ils cachent la simi-litude du fait oligarchique derrière la diversité de ses décli-naisons nationales.Mais si l’on veut bien réfléchirà ce que les oligarques du monde ont en

commun, on comprend vite que les nôtres

aussi ont besoin d’être expulsés du pouvoir.

Le refus d’accepter l’issue du référendum de

2005, la concentration aggravée de la

richesse et du pouvoir sur quelques-unes, le

refus de prendre en compte un mouvement

sur les retraites de plus de 5 millions de

grévistes, sont autant d’indices de l’impasse

civique dans laquelle nous nous trouvons

dans le cadre des institutions de la Ve Répu-

blique. Il nous faut l’Assemblée consti-

tuante pour recouvrer notre pouvoir, pour

empêcher que des gouvernants ne se main-

tiennent illégitimement. Pourquoi serait-il

illégitime au Maghreb de ne pas répondre

à la mobilisation citoyenne et pourquoi serait-il légitime pour Nicolas Sarkozy d’ignorer superbement cinq millions de

grévistes ? Le Peuple se méfie de quiconque veut maintenir l’ordre établi,

et cette méfiance s’exprime également à l’occasion des élections où l’on voit que

l’abs-tention devient l’acte ultime de défiance à l’égard du cadre

politique préexistant. Cette inefficacité civique est comparable à ce

qui se passait, selon des modalités diffé-

rentes, avant les révolutions citoyennes, en

Amérique Latine et dans le monde arabe.

Pour en sortir, il a fallu en passer par un

mécanisme, l’assemblée constituante, qui est

une invention de la Révolution fran-çaise !

Voilà donc bien un point qui ne peut pas être

rejeté par l’argument simpliste du

relativisme culturel. À Paris comme

à Tunis, à Paris comme à Quito, à Paris comme… à Paris, à bas l’oligarchie !  Raquel Garrido est porte parole interna-

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tionale du Parti de Gauche.

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Et l'oligarchie dans son froc

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Histoire

La nuit du 4 août oucomment fut renversée

une oligarchieSalomé Dulibe - Bastien Lachaud

« Il règne une atmosphère malsaine de nuit du 4 août », s'inquiétait récemment Jean-François Copé, le président de l’UMP. Ce grand moment de notre histoire révolutionnaire continue de hanter les oligarques, plus de deux siècles après.

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iberté, égalité, fraternité. Aux trois valeurs du triptyque républi-cain sont

souvent assimilées trois du premier été de la Révolution française, qui en

seraient fondatrices. Ainsi le 14 juillet symboliserait la liberté de citoyen-ne-

s brisant les barreaux de l’arbitraire, le 4 août serait la nuit de l’égalité

grâce à l’abolition des privilèges, tandis que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen votée le

26 août incarnerait les premières bases d’une fraternité univer-selle.

D’une manière simplifiée, ce rapprochement est bien sûr séduisant,

éloquent, et il n’est en

outre pas injustifié. Mais, alors que la prise de la Bastille est aujourd’hui la date de notre fête nationale et que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fait partie du préam-bule de notre Constitution, la nuit du 4 août est surtout agitée comme un épouvantail. Cette nuit est pourtant un point d’étape essentiel dans un processus déjà entamé qui aboutit en quelques années au renversement de l’aristocratie par la bourgeoisie.

CONTRÔLER LE NERF DE LA GUERRE

C’est par son pouvoir économique

que la bourgeoisie commence à

remettre en cause la noblesse. Cette

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Et l'oligarchie dans son froc

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dernière, qui bénéficie d’un statut hono-rifique, n’est en effet pas autorisée à prati-quer les activités telles que le commerce, jugées dégradantes. Or, au moment où le capitalisme se développe dans toute l’Eu-rope, le pouvoir économique en général et commercial en particulier devient un moyen pour une classe ultra-minoritaire d’émerger et de s’enrichir : la bourgeoisie. Avec les grandes découvertes et leur lot de métaux précieux, de produits nouveaux, la bourgeoisie profite d’une expansion commerciale sans précédent, dans toute l’Europe. Elle construit aussi les bases

d’une industrie qu’elleentièrement.En parallèle, la bourgeoisieentreprend de construireun édifice financier quilui permet d’accroître sesactivités commercialeset industrielles. Les créa-tions de premières banques amènent les premières spécu-lations, les premières crises et la constitution de fortunesconsidérables. C’est avec cette main-mise

sur le commerce et la finance qu’en France

la bourgeoisie se jette à l’assaut de la

monarchie. Les grands banquiers qui ont

profité de cet essor du capitalisme

deviennent les financiers de la monarchie,

constamment à court d’argent. Et, pour

assurer son essor, la bourgeoisie demande en échange des libertés économiques.Or sous l’Ancien régime, ce n’est pas la propriété industrielle ni l’activité commer-ciale ni la finance qui priment mais la propriété des terres. Ce sont d’ailleurs les propriétaires fonciers qui sont à la base de la théorie économique des physiocrates qui valident ainsi les rapports sociaux d’Ancien Régime. La propriété de la terre apporte en effet pour un seigneur tous les revenus et privilèges qui y sont attachés, elle est inextricablement liée à la place

sociale de choix qu’occupe la noblesse. but de la bourgeoisie est

alors devenir la classe possédante de l’ensemble des moyens de

production : non seulement du commerce, de l’indus-trie et de la

finance, mais aussi et surtout de la terre. Progressivement, la bour-

geoisie rachète quelques terres. Au début, elle ne bénéficie pas

des droits qui attachés mais peu à peu

elle arrive à se voir attribuer une noblesse de robe qui lui permet de profiter de ces avantages.Mais cette intégration est freinée par les structures féodales quasi immobiles. Au

XVIIIe siècle, la bourgeoisie construit

alors son propre modèle.

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Histoire

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METTRE À BAS L’HÉGÉMONIECULTURELLE

Copier la noblesse à l’instar du bourgeois gentilhomme de Molière ne suffit plus à la bourgeoisie. Elle a besoin au contraire de miner le modèle idéologique qui fonde le pouvoir de la noblesse pour mieux l’abattre. Les bourgeois commencent alors à s’intéresser aux visions subversives de la société que développent les philosophes des Lumières et qui trouvent leur applica-tion pratique en Angleterre puis lors de la Révolution américaine.

Les fondements de l’absolutisme sont foulés aux pieds par les idées des Lumières. Revue de détail : l’absolutisme est condamné par Montesquieu qui déve-loppe sa théorie de la séparation des trois pouvoirs et, plus encore, par Rousseau qui affirme le principe de souveraineté popu-laire. Voltaire ne va pas jusque-là – il se satisfait très bien du despotisme éclairé de Frederick II de Prusse – mais affirme le principe de tolérance pour garantir la liberté d’opinion et plus encore la liberté religieuse. Mais en acceptant la pluralité religieuse dans un seul royaume, c’est l’ori-gine divine du monarque et donc une part essentielle de sa légitimité qui est remise en cause. Diderot peut donc affirmer que le roi doit être choisi par son Peuple et non par Dieu.

Attaqué de toute part, le pouvoir royal ressort en lambeaux de ce siècle des Lumières. Il en est de même de la préé-minence nobiliaire. Voltaire affirme que les privilèges des nobles ne se justifient plus car ils n’apportent rien à la société au contraire des bourgeois qui enrichissent le pays.Ces idées sont combattues par le pouvoir à coup d’interdictions et de censure. Mais rien ne parvient à stopper leur diffusion dans les salons qui rassemblent l’élite de la société.Pire encore pour l’oligarchie en place, ces idées sont appliquées. Les États-Unis font leur révolution. Ils y gagnent leur indépen-dance et des institutions républicaines. La noblesse française, à l’instar de La Fayette, se laisse gagner par de telles idées.

L’hégémonie culturelle a changé de bord. C’est dorénavant la bourgeoisie qui mène le bal. L’unité de la bourgeoisie se fait autour de ces valeurs qu’elle fait siennes. La noblesse n’a plus de modèle unifica-teur. Les divisions qui la rongent peuvent se faire jour.

DIVISER POUR MIEUX RÉGNER

Ces processus d’accaparement du pouvoir

économique d’une part, et de l’hégémonie

culturelle d’autre part, permettent à la

bourgeoisie de triompher sur la noblesse

en profitant des divisions internes de la

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monarchie. En effet, depuis plusieurs siècles, la monarchie se centralisant, le roi dépouille progressivement les seigneurs de leurs droits de justice et surtout de leur autorité politique. En sédentarisant la cour, Louis XIV domestique la noblesse qui voit sa source de prestige la plus impor-tante, la guerre et le combat, disparaître. La grogne de la noblesse est palpable à la fin du

XVIIIe siècle : en témoigne la lutte sans

merci entre LouisXV et les Parlements qui refusent d’enregis-trer les édits, principa-lement fiscaux, du roi.Cette division entre la noblesse et le roi s’am-plifie à la fin du siècle sous Louis XVI. Alors que la monarchie, criblée de dettes notamment du fait de la guerre d’indépen-dance des États-Unis, a le couteau des finan-ciers bourgeois sous la gorge, elle se tournevers une institution noble pour se renflouer.

Les Parlements refusant d’enregistrer les

réformes fiscales du roi, la monarchie n’a en

effet plus d’autre choix que de faire appel à

l’Assemblée des notables, composée de

nobles, de prélats et de quelques bourgeois.

Elle se réunit à Versailles en 1787. Les déli-

bérations ont lieu en bureaux, qui sont

présidés par les princes de sang, et l’Assem-

blée des notables refuse d’approuver les

réformes fiscales. Ici, commence la fronde

des nobles, lassée d’être exclus du pouvoir

alors que la bourgeoisie tient la monarchie

par son financement.

C’est suite à l’échec de cette Assemblée des notables que le roi en est réduit à

convo-quer les États Géné-raux, qui ne l’avaient pas été depuis 1614. Le but est de faire enté-riner, par cette Assem-blée réunissant les trois ordres, les réformes

fiscales qui seules auraient pu permettre à la monarchie de retomber

sur ses pieds.

C’est le coup de force de la bourgeoisie que d’avoir réussi, par le biais de la puissance économique et finan-cière, à se rendre

indispensable à la monarchie jusqu’à la contraindre à se couper du soutien des nobles. Une fois cette division affirmée, la bourgeoisie peut commencer à jouer sa partition dès le début des États Généraux, en mai 1789.

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Histoire

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Mais ces divisions ne suffisent pas. Pour prendre le pouvoir, la bourgeoisie doit éradiquer tout ce qui la distingue de la noblesse pour pouvoir prendre sa place.

EFFACER LES FRONTIÈRES

En prenant possession de quelques terres, la bourgeoisie a déjà commencé à effacer ces lignes de démarcation entre elle et la noblesse. Mais elle doit abolir l’ordre féodal pour pouvoir faire exploser la suprématie devenue factice de la noblesse. C’est au cours de l’été 1789 que la bourgeoisie va faire sa réelle Révolution, dont le point d’orgue est la nuit du 4 août.La première affirmation d’indifférencia-tion entre la bourgeoisie et la noblesse se fait le 17 juin 1789. Ce jour-ci, en séance des États Généraux, le Tiers État se proclame Assemblée nationale.Le principe politique de cette procla-mation est simple. Les États généraux rassemblent les trois ordres et affirment la division de la société, par conséquent l’infériorité de la bourgeoisie, bien qu’elle truste quasiment la totalité de la délé-gation du Tiers État au détriment de la masse du Peuple, alors même que celui-ci représente l’immense majorité du Tiers État. Au contraire, le terme d’Assemblée nationale affirme l’unicité de la souverai-neté et donc brouille les frontières entre

noblesse et bourgeoisie, en détruisant le symbole du féodalisme qu’est la distinc-tion de la société en trois ordres.Le 27 juin, après une épreuve de force de plus d’une semaine avec l’Assemblée nationale, le roi est obligé de demander à la noblesse de la rejoindre. La première partie de la Révolution est pliée pour la bourgeoisie, car elle dispose au sein de l’Assemblée nationale de plus de pouvoir politique que la noblesse.Le 4 août occupe une place de choix dans cette Révolution. Alors que dans toute la France les campagnes se révoltent contre ceux qu’ils appellent alors « les aristo-crates », c’est le moment rêvé pour la bourgeoisie de porter un coup fatal à la noblesse sur le dernier terrain qu’il lui reste à conquérir, tout en s’assurant que le mouvement populaire ne « dérape » pas. En effet, les privilèges sont à cette date, alors que la bourgeoisie est déjà maîtresse de l’économie et de la politique, l’ultime bastion derrière lequel la noblesse peut se réfugier pour affirmer la supériorité de son rang. Ainsi, les privilèges sont bien, selon les mots d’Albert Soboul, « l’épine

dorsale juridique de l’Ancien régime ». Ce sont des droits appartenant uniquement à la noblesse, et qui, pour ceux concernant l’économie (servage, monopoles, bana-lités, taxes), entravent le développement de la bourgeoisie.

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ET LE PEUPLE DANS TOUT CA ?

En 1789, la bourgeoisie fait sa Révolution. Mais elle ne peut pas la faire seule, elle a besoin, du moins au début, de l’appui du Peuple. Pendant l’été 1789, les deux révolutions se font donc en parallèle. Le 14 juillet, c’est le peuple parisien qui prend la Bastille ; et entre cette date charnière et le 4 août, c’est tout le peuple français qui se révolte pendant ces semaines que l’on

surnomme laGrande peur.La rumeurde l’arrivéede troupesde brigands,payés par lesar isto crates, pour piller les c a m p a g n e s , crée une effer-

vescence qui se retourne vite non pas contre les seigneurs eux-mêmes mais sur ce qui symbolise leur pouvoir : certains châteaux sont incendiés, avec tous les papiers qui justifiaient leur domination. La nuit du 4 août est en fait une réponse à ces événements. L’Assemblée nationale et donc la bourgeoisie veulent reprendre le contrôle des événements qui leur ont provisoirement échappés.Le 4 août, pressée par l’urgence popu-

laire, l’Assemblée vote une loi d’abolition de tous les privilèges qui dispose notam-ment : « Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avanta-geuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient […] il est déclaré que tous les privilèges particuliers de provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d’habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, soient abolis sans retour, et demeure-

ront confondus dans le droit commun de tous les Fran-çais ». Dès les jours suivants, la bourgeoisie c h e r c h e r a   à g r i g n o t e r   l a portée de ce vote. L’Assem-

blée instaurera la possibilité de racheter certains droits seigneuriaux. Ainsi, un village pourrait racheter le droit d’utiliser tel ou tel équipement, ou le droit d’ex-ploiter ses terres sans reverser une partie des récoltes à la noblesse. Pour l’immense majorité, ce rachat nécessite une somme trop importante, sauf pour les bourgeois qui s’accaparent ainsi une grande partie des terres qu’ils convoitaient tant. Mais le mouvement populaire ne cessera plus

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Histoire

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désormais d’intervenir pour obtenir l’abo-lition totale des privilèges. Ce sera chose faite sous la République montagnarde en 1793 et 1794. Il faut attendre la fin de la Révolution pour que la bourgeoisie se venge de cette grande peur.Le 9 thermidor marque l’arrestation et l’exécution de Robespierre, St Just et d’autres personnalités du Comité de Salut public coupable d’avoir trahi les leurs en embrassant la cause du Peuple. C’est Barère lui-même, l’artisan de leur chute, qui en explique le mieux le sens : « Le31 mai, le Peuple fit sa Révolution ; le 9

thermidor, la Convention nationale a fait la

sienne ». Cette date correspond donc à une

inversion complète de la dynamique d’une

révolution populaire, pour la transformer en

révolution de l’oligarchie bourgeoise.

Commence alors la République conserva-

trice des « thermidoriens » qui met ainsi fin à

la révolution citoyenne. La bour-geoisie

reprend le pouvoir au peuple. Elle a réussi sa

Révolution et privé le Peuple de la sienne.

Une oligarchie a disparu au profit d’une

nouvelle que le Peuple doit à nouveau

combattre au travers d’une nouvelle

Révolution citoyenne. 

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La nuit du 4 août, un symboleTout aussi important que sa réalité, un événement historique doit être analysé en fonction de la représentation qu’en ont les contemporains et leurs successeurs.En 1789, l’abolition des droits seigneuriaux est quelque chose de fondamental pour l’en-semble de la population. Pour beaucoup, les nuances importent peu. Cette nuit-là, l’Assem-blée nationale a supprimé les privilèges des seigneurs et les corvées qu’on lui devait. Il s’agissait d’une revendication centrale des cahiers de doléances. L’influence de l’annonce de la décision prise est telle que la disparition du droit féodal est réaffirmée lors de la procla-mation de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, alors même que les décrets d’application des décisions de la nuit du 4 août ne sont pris qu’en mai 1790.

Pour le Peuple tout entier, l’affirmation de l’abolition des privilèges est un immense espoir d’égalité qui naît. Cette aspiration à l’égalité est depuis ce jour un élément fondateur de l’esprit républicain. Il explique en partie l’insurrection citoyenne de 1792 qui conduit à la proclamation de la République.Et c’est bien parce que cette aspiration à l’égalité n’a pas été satisfaite et ne l’est toujours pas qu’une révolution citoyenne, contre l’oligarchie qui a remplacé la noblesse, est néces-saire.

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Comment rendre ? le pouvoir au Peuple

François Delapierre

établir la souveraineté du Peuple face et s’implique consciemment pour uneà l’oligarchie semble aux yeux du plus exigence démocratique que partagent

Rgrand nombre une tâche insurmon- pourtant des masses immenses.table. Pourtant il n’en est rien. Cette idée En fait, quand on examine concrètementque le pouvoir oligarchique est indébou- les moyens de combattre l’oligarchie et

lonnable est une simple croyance. Elle ne d’établir la souveraineté du Peuple, on voitdécoule pas d’une analyse rationnelle mais que la tâche est parfaitement à sa portéedu travail d’inculcation mené aujourd’hui et à celle d’un gouvernement déterminé àcomme hier par les appareils idéologiques le servir. Bien sûr, cela serait une révolu-dominants. Et notamment par un système tion, c’est-à-dire un changement radical

médiatique qui fonctionne désormais des institutions, des rapports sociauxen continu 24 heures sur 24, comme les et de la culture dominante. Mais elle est

marchés financiers qu’il sert. C’est lui qui tout à fait réaliste. Elle peut se décliner enrépand dans les têtes ce refrain débilitant : mesures claires et précises : une Consti-

« le Peuple doit renoncer à diriger car tuante pour refonder notre système poli-les contraintes internationales sont trop tique, la planification écologique pour

fortes, le monde trop complexe, les expé- faire bifurquer nos modes de production,riences révolutionnaires tentées jusqu’ici d’échange et de consommation, la renatio-bien trop désastreuses… ». Conséquence nalisation de la monnaie et du crédit pourde ce bourrage de crâne, seule une mino- que la volonté du Peuple puisse gouverner

rité de citoyens s’active politiquement face aux banques, le partage des richesses

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Vite la révolution citoyenne

La révolution

citoyenne peut

se décliner en

mesures claires

et précises.

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pour briser les reins d’une accumula-tion

destructrice, la sortie du Traité de Lisbonne

pour donner une issue progres-siste à la crise

européenne. Cette révolu-tion en cinq points,

tout à la fois sociale, économique, politique

et culturelle, peut être résumée par un

adjectif. Il s’agit d’une révolution citoyenne.

Chacune de ses réalisations contribue en

effet à restaurer le pouvoir et la dignité du

citoyen, dans ses dimensions d’électeur

éclairé, de personne dotée de droits sociaux,

d’être libre capable

de formuler l’intérêt général et de l’imposer aux intérêts particuliers.Ajoutons que cette révolution citoyenne n’est pas seulement réaliste du point de vue de l’action pratique d’un gouver-nement. Elle l’est aussi du point de vue des rapports de

force politiques qui en sont la condition. Car nous sommes entrés dans un moment particulier où les aspirations élémentaires de la société ne peuvent plus être satis-faites dans le cadre du système en place. Un changement politique radical est devenu indispensable. Et la conscience de cette nécessité se développe.Le combat pour le partage des richesses

qui fonde le mouvement ouvrier et traverse

toutes les sociétés capitalistes se heurte

aujourd’hui de manière visible à un

blocage politique. La redistribution fiscale comme la sauvegarde et le développe-ment des services publics sont empêchés par la colonisation de l’État opérée par les intérêts privés qui se révèle publique-ment de la table du Fouquet’s à la cuisine des Bettencourt. Beaucoup de nos conci-toyens sentent ou savent que cette mise sous influence atteint désormais les prin-cipaux dirigeants des principaux partis politiques. C’est un fait connu que les activités de Strauss-Kahn et Aubry ont été

financées par des membres

éminents de l’oligarchie, qu’ils

se soient appelés Lévy ou

Bébéar. Pour briser le pouvoir

de l’oligarchie, il paraît donc

nécessaire pour un nombre

considérable de nos conci-

toyens d’en finir à la fois avec

le régime et la classe politique

qui l’a porté.De même, la crise globale du capitalisme prend aujourd’hui au plan international et notamment européen la forme d’une crise des dettes publiques. C’est une forme directement politique puisqu’elle remet en cause la souveraineté populaire. Elle le fait même d’une manière inouïe. La mise sous tutelle du FMI des adminis-trations grecques et l’imposition d’un véritable tribut au peuple grec ont pour seuls précédents des cas d’occupation par

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une puissance étrangère. Cette logique est en marche dans toute l’Union euro-péenne avec le « pacte euro-plus » qui vise à contourner les institutions élues pour imposer les politiques néo-libérales que les peuples ont rejetées dans les urnes. Or comme l’histoire l’a montré, en France mais pas seulement, la contrainte exté-rieure exercée contre un peuple est un puissant détonateur révolutionnaire.Un parallèle s’impose avec les récentes révolutions arabes. Ici comme là-bas, la crise sociale ne peut être résolue que par une révolution politique. En Tunisie, pour donner à manger aux pauvres et des emplois qualifiés aux diplômés, il a fallu faire partir le dictateur, puis le Premier ministre, puis tout le Gouvernement à travers la convocation d’une Assemblée Constituante.C’est la première chose qu’il faudra faire

aussi en France.

Refonder le système politique : la constituante

En Amérique Latine, dans un contexte d’urgence sociale encore plus criant qu’en France, la convocation d’assemblées constituantes a été l’une des premières tâches des fronts politiques nouveaux qui sont arrivés au pouvoir après que les oligarques en aient été chassés. Pour que le Peuple, et notamment les pauvres,

retrouvent une place sur la scène poli-tique, il a fallu en finir avec les institutions dont ils avaient été chassés et refonder les règles du jeu dans un processus consti-tuant impliquant le grand nombre.L’élection d’une Constituante est un moment privilégié de politisation de la société. Chaque citoyen se trouve en effet invité à débattre et décider les principes sur lesquels régler la vie commune du pays. Dans ce moment où « tout devient possible », le Peuple enfin adulte se fixe ses propres règles. L’Assemblée Consti-tuante est donc un moteur décisif de cette implication populaire qui est indispen-sable au succès de la révolution citoyenne. Elle fabrique des citoyens. Elle refonde le Peuple lui-même.

Où en est-on en France ? L’abstention atteint un niveau record, notamment dans les classes populaires. Les représentants du pays sont de plus en plus mal élus. Un fossé vertigineux se creuse entre la repré-sentation politique du pays et la réalité sociologique. La haute fonction publique s’éloigne du service de l’intérêt général. L’État et les instances représentatives sont méthodiquement colonisés par les intérêts privés. L’heure n’est donc plus au toilet-tage des institutions mais à la refondation républicaine de notre pays.Pratiqué sous toutes les latitudes, ample-

ment étudié par les juristes, le recours à

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Vite la révolution citoyenne

Dès son élection, le président de la République pourra proposer au Peuple par référendum la convocation d’une Assemblée constituante.

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l’Assemblée Constituante nous est particu-lièrement familier. C’est lorsque les États-Généraux s’émancipèrent de la tutelle du roi et de l’organisation en ordres, prenant le nom d’Assemblée nationale Consti-tuante en 1789, que débuta le processus qui allait fonder la République, et donc la France. En 1848, la Seconde République convoqua à nouveau une Constituante.

Il en fut de même en 1945 pour élaborer la Quatrième République. En refusant d’y recourir, la Cinquième Répu-blique fait donc figure d’ex-ception, et ce vice de forme originel annonce le fond d’une Constitution qui entend réduire la souveraineté natio-nale au pouvoir d’un homme. En 2012, comment convoquer à nouveau la Constituante ?

Dès son élection, le Président de la Répu-blique pourra proposer au Peuple par référendum la convocation d’une Assem-blée spécialement chargée de modifier la Constitution. Afin d’assurer son indé-pendance, ses membres ne pourront être candidats à exercer des responsabilités électives dans les assemblées à venir. De plus, ne pourront être candidats à la constituante les anciens membres de l’As-semblée nationale et du Sénat (comme le prévoyait le décret du 14 septembre 1789

pour l’Assemblée Nationale Constituante ou comme cela fut le cas de fait pour l’Assemblée Constituante élue à la Libéra-tion après la chute du régime de Vichy). Enfin, la nouvelle Constitution devra être soumise au Peuple par référendum. Ainsi toutes les conditions seront réunies pour un grand débat public.

Pour assurer le respect de la souverainetépopulaire, la Sixième Répu-blique issue de ce processus devra aussi prévoir des mesures pour libérer l’État des intérêts privés qui l’ont asservi. La nature parlemen-taire du régime limiterait les risques de collusion entre une personne seule et les intérêts de l’argent qui sont inhérents au présidentia-lisme. Il faudra aussi prévoir

des mesures spécifiques comme une loi contre le pantouflage et la réforme de la haute fonction publique. La suppression du concours externe de l’ENA porterait notamment un rude coup à la pratique du pantouflage. De même, il serait néces-saire de prévoir un plus large contrôle des aides publiques, à travers la définition de critères sociaux et écologiques permettant un contrôle citoyen limitant les stratégies d’influence qui visent à orienter ces déci-sions sensibles.

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La démocratie représentative devra aussi être

rénovée. Dans les pays de la révolution

démocratique latino -américaine qui ont

choisi de confier des pouvoirs importants à

un Président de la République, le Peuple

dispose du droit de le révoquer par réfé-

rendum. Le Peuple peut ainsi se prémunir

contre le non respect de sa volonté par celui-

là même qu’il a élu. Ces constitu-tions

inaugurent ainsi une « souveraineté populaire

continue », réponse concrète au décalage

entre le temps court de la finance qui est

devenu le temps dominant et l’exercice de la

souveraineté populaire selon les calendriers

anciens, par exemple tous les cinq ans.

Certes, une telle disposi-tion serait largement

privée de sens dans un régime parlementaire

avec des députés élus à la proportionnelle.

En revanche, on pourrait confier un droit de

dissolution au Peuple dans des conditions

voisines de celles en vigueur pour le

référendum révocatoire venezuelien (droit

ouvert à partir de la mi -mandat, ne pouvant

être exercé qu’une fois, et déclenché à la

demande d’une proportion très significa-tive

des électeurs inscrits). De même, la création

d’un domaine de souveraineté directe non

partagée (concernant par exemple toute

signature de traité euro-péen ou toute

privatisation de service public) revivifierait

la démocratie en permettant un exercice plus

régulier et

continu par le Peuple de sa souveraineté. Dans cet esprit, il faudra aussi des mesures pour associer le plus grand nombre à des responsabilités politiques bien au-delà de la nécessaire interdiction du cumul des mandats. Celle-ci assurerait uniquement une plus grande rotation parmi le seul personnel politique déjà engagé dans les partis et ne suffirait donc pas à susciter l’implication du plus grand nombre. On pourrait se pencher sur la répartition des fonctions représentatives actuellement assurées par des élus lorsque ceux-ci n’ont pas de légitimité particulière pour les exercer. Faut-il par exemple impé-rativement que ce soient les conseillers régionaux qui siègent dans les conseils d’administration des lycées, sachant que ceux-ci ont à traiter de nombreuses ques-tions sur lesquelles ces élus n’ont aucun mandat populaire ? De telles fonctions ne pourraient-elles être assurées par des citoyens désignés ou élus à cette fin ?

La refondation de notre République passe aussi par le rétablissement d’une informa-tion pluraliste de qualité indépendante des puissances économiques. Les mesures qui y contribueraient ne manquent pas : loi anti-concentration, interdiction de détenir des journaux pour les groupes dont l’activité principale n’est pas la presse, élection des présidents ou d’une partie des conseils d’administration de l’audiovisuel

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Vite la révolution citoyenne

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public au suffrage universel, amélioration des conditions de travail des journalistes et stabilisation de leur statut afin de leur donner plus de moyens pour faire leur métier et plus d’indépendance par rapportà leurs patrons, augmentation du pouvoir des

rédactions, soutien aux médias alter-natifs…

Enfin, l’encadrement des sondages

(obligation de transparence sur les redres-

sements et les commanditaires, interdic-tion

de toute gratification des sondés…)

à l’image de la proposition de loi Portelli-Sueur adoptée à l’unanimité par le Sénat est devenu une urgence démocratique. Ces nouvelles institutions ne seraient rien sans la redéfinition de l’intérêt général auquel elles doivent se vouer. La refonda-tion républicaine de la société appelle un nouvel horizon collectif en lieu et place de la priorité donnée à l’enrichissement individuel qui est la vraie morale de cette Cinquième République finissante.

La planification écologique pour changer de modede développement

Le fondement matériel le plus solide d’un

intérêt général de l’humanité est la

préservation des écosystèmes qui sont une

condition de la vie humaine sur terre.

Ceux-ci sont aujourd’hui menacés par l’ac-

tivité humaine à travers le réchauffement

climatique, la destruction de la biodi-

versité ou encore les risques nucléaires tragiquement rappelés par l’accident de Fukushima. Chacun de ces dangers s’ins-crit dans une temporalité longue ou très longue. Les évolutions des émissions de gaz à effet de serre manifestent leurs effets à des échelles de temps géologiques. La réduction de la biodiversité se vérifie également sur la longue durée. Quant à la sortie du nucléaire, elle est possible sans casse à un horizon de 30 ans et la ques-tion des déchets produits par cette indus-trie continuera à se poser à plus longue échéance encore. C’est pourquoi aucun de ces défis qui menacent l’espèce humaine ne peut être affronté sans une planifica-tion des changements à opérer.

Cette planification écologique représente un dépassement du capitalisme de notre époque.Face à la marchandisation de toutes les acti-

vités humaines et à la suprématie du profit

sur toute norme sociale ou environnemen-

tale, elle pose des limites à la propriété. Pour

gérer de manière économe les ressources

nécessaires à la vie, elle choisit d’en faire

des biens communs confiés à des services

publics. Pas de transition énergétique sans un

service public de l’énergie dont la fina-lité

ne soit pas de vendre toujours plus avec la

marge la plus élevée possible. La gestion

publique est aussi la seule manière de réduire

efficacement le gaspillage d’eau

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potable. 20 % de l’eau rendue potable est en effet perdue sur le chemin du robinetàcause des économies sur l’entretien réali-sées par les groupes privés qui ont récupéré la gestion de l’eau. De même, le nécessaire progrès du ferroutage n’est pas compatible avec la libéralisation du transport ferré, comme l’admet elle-même la Commission européenne en interdisant à l’État français d’investir massivement dans le développe-ment du fret.

La planification écologique doit prendre en charge la nécessaire diminution des transports de marchandises générateurs de gaz à effet de serre. Cela la conduit à invalider le dogme du libre-échange qui interdit tout protectionnisme écologique aux frontières. De même, une politique de relocalisation de l’économie réservant partout où c’est possible les commandes ou les aides publiques aux biens produits à proximité des lieux de consomma-tion contredirait la concurrence « libre et non faussée » imposée par le Traité de Lisbonne. Enfin, la sortie d’un mode de production et d’échange qui gaspille les ressources rares implique une rupture culturelle avec le capitalisme de notre époque qui n’est pas le moindre aspect du changement à opérer. Il s’agit notamment d’en finir avec l’emprise du consumérisme qui incite aux consommations ostentatoires ou inutiles

requises par la recherche constante de débouchés supplémentaires. Une vigou-reuse action antipub doit notamment être menée pour inverser sa progression expo-nentielle au cours des dernières décen-nies. Il faudra prioritairement mettre un terme aux empiètements croissants de la publicité dans l’espace public. Pour que la place faite au citoyen progresse, il faut en effet que la part de nos existences consa-crées aux rôles de client et de consomma-teur recule.Cette exigence de reconquête de l’espace

public s’oppose aux prétentions

galopantes des banques.

Gouverner face aux banques

L’existence de moyens d’action des États et donc des Peuples face aux banques et aux marchés financiers est l’un des secrets les mieux gardés de notre époque. Or derrière l’écran que représente le mythe du libre marché se cachent de puissants outils de coordination qu’il est simple de mettre ou remettre au service de la puis-sance publique.Ainsi, tous les mouvements de capitaux

sont connus des banques centrales. Au plan

international, il existe des chambres de

compensation, comme Clearstream, qui

voient de même passer toutes les tran-

sactions financières transfrontalières de la

planète. Cet enregistrement systématique

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La Banque de France a les moyens de rétablir

immédiatement un contrôle des mouvements de capitaux pour protéger le pays des attaques spéculatives.

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est une nécessité absolue pour le système financier. C’est aussi une facilité pour l’ac-tion publique.Ainsi, la Banque de France a les moyens de rétablir immédiatement un contrôle des mouvements de capitaux pour protéger le pays des attaques spéculatives extérieures. Dès lors elle peut aussi bloquer les transac-tions avec les paradis fiscaux, combattre efficacement l’évasion fiscale ou encore instaurer une taxe sur les activités spécu-

latives. Il suffirait de confier ce

mandat au gouverneur nommé

par le Conseil des ministres et

d’adopter une loi sur le statut de

la Banque de France.

La première étape du réta-blissement de la souveraineté populaire face aux banques serait la constitution d’un pôle public bancaire, suivie d’une réforme de la Banque centrale nationale permettant à celle-ci de concourir au refinancement des banques publiques et au

financement direct de l’État. L’État retrou-verait ainsi des marges d’action souveraines et un outil public pour financer les inves-tissements socialement utiles et écologi-quement soutenables.Ensuite, il serait nécessaire de rétablir le

financement souverain de la dette

publique. Une partie de celle-ci pourrait

être rachetée par les banques publiques et la Banque centrale nationale. La déten-tion des nouveaux titres de dette publique serait réservée aux investisseurs résidents en France ou dans la zone euro. Une obligation minimale de détention d’obli-gations publiques par les banques et les fonds d’investissement résidents permet-trait en quelque sorte de « renationaliser la dette » pour la libérer de la soumission au marché obligataire mondial.

Enfin, une politique active pourrait être menée contre la spéculation : contrôle strict des mouvements de capitaux sur les placements finan-ciers (agrément public et/ou taxation des transactions), interdiction des instruments spéculatifs sans utilité pour le financement de l’économie réelle (vente à terme sur titres publics, CDO, CDS, produits dérivés, etc.)Ces orientations pourraient

conduire à un bras de fer avec les banques. Mais celui-ci serait gagné par l’État. Car l’État cumule le pouvoir du débiteur sur le créancier, le rôle de garantie publique des banques, celui de régulateur bancaire et celui de refinanceur en dernière instance. Et le travail étant la source de toute richesse, aucune banque ne peut négliger

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bien longtemps une économie d’autant plus productive qu’elle sera libérée du joug de la finance.Bien sûr, le rapport de forces serait encore

plus favorable si l’État comblait la part de

son déficit structurel lié à l’insuffisante

contribution des plus riches à l’impôt.

L’exigence démocratique du partage des richesses

La prise de pouvoir des oligarques a permis l’explosion de leur fortune. Le réta-blissement de la démocratie permettrait un tout autre partage des richesses, enfin favorable au plus grand nombre.Le programme du Parti de Gauche et du Front de Gauche comprend notamment l’instauration d’un salaire maximum et d’un revenu maximum, une révolu-tion fiscale établissant une taxation des revenus du capital au moins égale à celle des revenus du travail, une action résolue pour abolir le précariat. Ces mesures sont des exigences de justice sociale. Mais elles sont aussi une condition du rétablisse-ment de la souveraineté populaire.

En effet, l’accumulation de fortunes immenses par une petite minorité et la précarisation des conditions d’exis-tence du plus grand nombre menacent immanquablement la démocratie. Deux exemples le montrent de manière écla-tante. D’abord celui du salaire maximum.

Il constitue une réplique incontournable à la

corruption et aux conflits d’intérêts. Les très

grands groupes peuvent aujourd’hui

embaucher des hauts fonctionnaires sans

limite de rémunération. La tentation est si

forte qu’ils parviennent à s’offrir les services

d’anciens juges, policiers, direc-teurs de

l’administration fiscale, qu’ils retournent en

quelque sorte contre l’État. Il faut donc

empêcher absolument des niveaux de

rémunération qui sont par nature corrupteurs.

Regardons de même le revenu maximum. On

voit bien que l’ac-cumulation de fortunes

immenses rompt dans les faits l’égalité des

citoyens, permet-tant à une poignée de

privilégiés d’exercer une influence sociale

disproportionnée ne peut que conduire à des

abus antidé-mocratiques. Il est donc

indispensable de frapper les oligarques au

portefeuille et d’assumer face aux cris

d’orfraie le carac-tère confiscatoire des

mesures fiscales qui frapperont

l’enrichissement abusif.

De l’autre côté de la chaîne, l’état de préca-rité qui touche un nombre croissant de personnes conduit à une dépendance incompatible avec l’exercice de la citoyen-neté. C’est pourquoi la proposition de titu-lariser les 800 000 précaires de la fonction publique, de fixer des quotas maximum de CDD et d’intérimaires dans les entreprises, d’aligner les droits sociaux en vigueur chez les sous-traitants sur ceux pratiqués par

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Vite la révolution citoyenne

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les donneurs d’ordre constituent aussi des urgences démocratiques.On mesure ici combien les exigences sociales, écologiques et républicaines convergent vers la nécessité d’une révo-lution citoyenne. Cette triple dimension donne à cette perspective une cohérence qui en fait une alternative globale à l’Eu-rope libérale, antidémocratique et produc-tiviste incarnée par le Traité de Lisbonne.

Affranchir l’Europe du Traité de Lisbonne

Si le Peuple français choisissait la voie d’une révolution citoyenne, il se retrou-verait face à des opportunités qui rappellent les dynamiques à l’œuvre dans les pays arabes. La révolution née initia-lement en Tunisie s’est diffusée dans un ensemble bien plus vaste en raison des liens qui existent entre les différents pays arabes, unifiés par la langue, des struc-tures démographiques voisines et des problèmes sociaux identiques. Ainsi, les Peuples de tous les pays arabes se sont sentis concernés par la lutte des Tunisiens au point de les rejoindre dans le combat contre leurs propres oligarchies.

Une révolution citoyenne en France aurait

sans nul doute un tel effet d’entraînement

au niveau de l’Union européenne qui crée

également des liens étroits d’interdépen-

dance entre nos peuples. En désobéissant au Traité de Lisbonne pour respecter la souveraineté du Peuple français, nous bouleverserions le continent tout entier. Des peuples liés à nous par l’appartenance à l’Union Européenne, à qui l’on rabâche sans cesse que l’on ne peut faire autrement que d’accepter de nouveaux sacrifices, seraient portés à exiger à leur tour une autre politique. Si la France se libérait de la tutelle des marchés financiers, ce joug deviendrait rapidement intolérable pour les Grecs, les Irlandais, les Portugais ou les Espagnols. Si nous cessions d’appliquer les directives de libéralisation des services publics, de nombreux pays pourraient nous emboîter le pas.

C’est pourquoi la révolution citoyenne serait une libération contagieuse. Le signal donné que la France s’est libérée du Traité de Lisbonne signerait l’acte de mort de cette nouvelle prison des Peuples. L’Union Européenne conçue pour opposer les peuples et réduire leur marge de manœuvre deviendrait alors un excellent moyen de les faire converger vers un objectif commun : réinventer la démocratie en conquérant la maitrise de leur destin. François Delapierre est secrétaire national du Parti de Gauche chargé de la bataille idéologique et du programme.

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Le mot de Jean-Luc Mélenchon

L’oligarchie, ça suffit ! Vive la démocratie ! - Entretien avec Hervé Kempf

L’oligarchie financière contre l’intérêt général - Guillaume Étiéviant

Le parfum d’oligarchie de la construction européenne - Antoine Schwartz - François

Denord Permanence du discours antidémocratique : renaissance de l’oligarchie -

Benoît Schnekenburger Quand l’État enrichit les riches - Entretien avec Olivier Toscer

Les médias au service de l'oligarchie - Sacha Tognolli

Amérique latine, monde arabe : l’oligarchie en ligne de mire - Raquel Garrido

La nuit du 4 août ou comment fut renversée une oligarchie ? - Salomé Dulibe -

Bastien Lachaud Comment rendre le pouvoir au Peuple ? - François Delapierre

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