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La traduction de trois romans groenlandais jette un pont vers une création méconnue La partie émergée de l’iceberg CÉLINE CLANET anne pélouas Montréal (Canada), correspondance D e véritables curiosités et la ré- paration d’un oubli. Dans la collection « Jardin de givre » des Presses de l’Université du Québec, distribuées en France, viennent de paraître trois romans groenlandais : Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité (188 p., 16 ), de Kelly Berthelsen, Le Rêve d’un Groenlandais (162 p., 15 ), de Mathias Storch, et Trois cents ans après (172 p., 14 ), d’Augo Lynge. Ces œuvres ont pour points communs d’être signées par des autochtones, contrairement aux écrits des explorateurs européens et des coloni- sateurs danois, et de mélanger allègre- ment les genres littéraires : science-fic- tion, autobiographie, pamphlet politi- que, roman policier… Méconnue à l’extérieur de l’île arctique et du Danemark, qui a, pour sa part, multi- plié les traductions, la littérature groen- landaise est « la plus mature et la plus vi- vante » parmi la création circumpolaire inuite, voire la littérature autochtone mondiale, estime l’universitaire canadien Daniel Chartier. La mise en valeur de ce patrimoine résulte d’une coopération que ce professeur de littérature à l’univer- sité du Québec, à Montréal, qui dirige le Laboratoire international d’étude multi- disciplinaire comparée des représenta- tions du Nord, a nouée avec l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Depuis 2003, il s’emploie à publier en français des œuvres « liées à l’imaginaire nordique, hivernal et de l’Arctique ». Un tra- vail de longue haleine. Jusqu’à présent, seuls trois titres avaient été traduits, dont un recueil de contes et un autre de poésie. Pour ces nouvelles parutions, Daniel Chartier a consulté une demi-douzaine de spécialistes culturels groenlandais, afin d’établir une liste des œuvres qu’il leur semblait nécessaire de voir traduites et connues à l’étranger. Premier roman « national », aujourd’hui étudié dans les lycées et l’uni- versité du Groenland, Le Rêve d’un Groen- landais, paru en 1914, est l’œuvre d’un pas- teur progressiste qui milita en faveur de l’éducation pour permettre à ses conci- toyens de prendre en main leur destin. Mathias Storch (1883-1957) – un des pre- Immortels fantômes L’académicien Amin Maalouf s’est amusé à retracer les parcours de ses prédécesseurs au fauteuil numéro 29. Vivifiant florence bouchy E n juin 2011, Amin Maalouf a été élu au fauteuil numéro 29 de l’Académie française. « Selon le rituel de la Compagnie », lors de sa réception solennelle sous la Coupole, premier livre, Les Croisades vues par les Arabes (JC Lattès, 1983). Conscient de prendre ainsi place dans ce que Lévi-Strauss nommait une « gé- néalogie en partie fictive », et d’être à tout le moins lié à l’ensemble des occu- pants du fauteuil par « une certaine filia- tion morale », le nouvel académicien s’est intéressé à la vie de chacun d’entre eux, et aux circonstances de leur élec- tion. Un fauteuil sur la Seine parcourt de façon extrêmement vivante et souvent après sa réception à l’Académie, gagnant ainsi « le triste privilège d’avoir été le pre- mier “Immortel” à mourir ». Dix amis Fondée en 1634 par Richelieu, l’Acadé- mie trouve sa véritable origine dans les réunions amicales, régulières et secrètes, où se rencontraient, à partir de 1629, une petite dizaine d’écrivains et amateurs de littérature pour s’entretenir « familière- ment, comme en une visite ordinaire, (…) En 1805, sous Napoléon, l’Institut s’installa quai de Conti, à Paris, dans l’ancien collège des Quatre-Nations, le- quel avait servi de maison d’arrêt pen- dant la Révolution. Lorsque Joseph Mi- chaud fut élu au vingt-neuvième fau- teuil, en 1813, son entrée sous la Coupole dut avoir un air de revanche puisque, dix-huit ans plus tôt, il y était déjà venu, mais comme prisonnier… Plutôt rocambolesque à ses débuts, l’histoire du fauteuil qu’Amin Maalouf Pour écrire l’histoire des femmes à l’Aca- démie, il faut se déplacer au numéro trois, auquel fut élue Marguerite Yource- nar en 1980. C’est à travers cette réticence de l’insti- tution à accueillir des femmes que François Bégaudeau déroule lui aussi l’histoire de l’Académie, pour n’y voir qu’une survivance de l’Ancien Régime. Toute de sarcasmes, son histoire a peu à voir avec celle d’Amin Maalouf. Mais elle est assez drôle. p miers grands hommes politiques du pays, ayant participé à la Commission de 1920 pour le développement du Groenland – y raconte la vie d’un jeune Inuit dans un vil- lage voisin d’une colonie danoise. Celui-ci observe cette microsociété et ses problè- mes. Et rêve d’une société égalitaire où les Groenlandais collaboreraient « avec les Danois capables de les respecter ». Trois cents ans après (1931) est le deuxième grand classique groenlandais. Ce roman d’anticipation doublé d’une in- trigue policière se situe en 2021, soit trois cents ans après l’arrivée du missionnaire Hans Egede et donc le début de la coloni- sation danoise. Au fil de courses-pour- suites dignes d’un film d’action, Augo Lynge (1899-1959), un brillant instituteur qui deviendra l’un des deux premiers dé- putés groenlandais élus au Parlement danois, y dépeint, sur fond de critique so- ciale, un pays en marche accélérée vers le progrès technique. Sous sa plume, Nuuk, la capitale de l’île arctique, est un pros- père port de pêche hérissé de grands im- meubles. « La littérature d’un petit peuple est nécessairement politique », résume M. Chartier. Plus contemporain, Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité (2001), le recueil de nouvelles de Kelly Berthelsen, 49 ans, est typique, selon lui, de « la littérature de confession du tournant du siècle au Groenland » et aux antipodes de « l’ima- ginaire du Nord et de l’Arctique » façonné depuis des siècles par les cultures euro- péennes et nord-américaines. Dans cette œuvre d’une grande noirceur, la désespérance est omniprésente et l’es- poir d’une vie meilleure banni du quoti- dien des personnages, rongés par la haine, l’alcool ou les drogues, habités par la révolte et le désarroi mais aussi cyni- ques face à la politique et à l’avenir du Groenland. L’association des auteurs groenlandais compte une cinquantaine de membres, parmi lesquels des écri- vains prometteurs. Du 13 mai au 17 juillet, la Maison du Da- nemark à Paris organise une série d’activi- tés sur l’Arctique, avec notamment, le 19 mai, une table ronde sur l’imaginaire du Groenland et, le 20 mai, une soirée autour des trois œuvres traduites en fran- çais, en présence de Kelly Berthelsen. p Ces œuvres ont pour point commun de mélanger allègrement les genres littéraires des amis de Colette, la maison natale de l’auteur du Blé en herbe, à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne), ouvrira le 25 mai. Outre le Festival international des écrits de femmes qui a lieu depuis quatre ans dans le village, ce musée proposera un vaste programme de recherches et d’activités pédagogiques. Les visites des lieux seront toutes guidées et commentées. Réservations en ligne (Maisondecolette.fr) à partir du 15 avril. Par ailleurs, la comédienne Keira Knightley incarnera Colette dans un biopic que réalisera le cinéaste britannique Wash Westmoreland. sont lus, relus et annotés (…). Ils ont représenté pour moi, en quelque sorte, le canon de la littérature mario vargas llosa, écrivain Avant-propos au tome I de ses Œuvres romanesques (1 952 p., 65 , ou 130 le coffret avec le tome II). Il est l’un des rares auteurs à entrer de son vivant dans la « Bibliothèque de La Pléiade » de Gallimard. vente aux enchères d’effets ayant appartenu au marquis de Sade, parmi lesquels son fauteuil, son contrat de mariage, quelques lettres autographes. Seront aussi dévoilés cinq manuscrits de pièces de théâtre dont quatre jamais publiées, ainsi qu’un conte inédit de 16 pages, une histoire d’adultère villa- geois impliquant un prêtre dévergondé. Estimation : entre 7 000 et 10 000 . Un rapport de synthèse établi par l’Inspection générale des bibliothèques et remis au ministère de la culture et de la communication révèle que 11 millions de Français ne disposent pas d’un établissement de prêt de proximité, c’est-à-dire à moins de 15 minutes de chez eux, soit 17 % de la population nationale. Dans certaines zones géographiques, 30 % des habitants sont concernés. En outre, villes et villages souffrent parfois d’une offre sous-dimensionnée (superficie, catalogue, budgets d’acquisition, horaires d’ouverture) par rapport aux besoins. ON COMMENCE par sourire quand on aperçoit l’autocollant « Bébé à bord » à l’arrière des voi- tures. En effet, qui peut croire que les autres conducteurs prendront plus de précautions à sa vue ? Et puis, un jour, on comprend que ce message s’adresse moins aux con- ducteurs des autres véhicules qu’à celui qui le met sur sa propre voi- ture. « Bébé à bord », cela ne signi- fie pas : « Attention, si vous perdez les pédales, vous mettez en danger la vie d’un nourrisson. » Cela veut plutôt dire : « Me voilà embarqué, j’ai maintenant charge d’âme, je dois trouver la conduite qui per- met d’escorter mon enfant à tra- vers les accidents de la vie. » Cet autocollant me projette donc dans un espace où la première des audaces s’appelle… prudence. Car la prudence n’a rien à voir avec une quelconque lâcheté. Comme l’a montré Aristote, c’est au contraire une forme d’hé- roïsme ordinaire (voir le livre classique de Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, PUF, 1963). En effet, nous autres humains vi- vons dans un monde que le pen- seur grec nomme « sublunaire », où règne une incertitude généra- lisée. Notre existence de simples mortels se déploie entre deux accidents : la naissance et l’action. D’où cette ivresse quand vous conduisez votre bébé en voiture : vous l’accompagnez à travers un monde plein d’accidents et, en étant prudent, vous prenez le ris- que à bras-le-corps. Ainsi, lorsque vous affichez l’autocollant « Bébé à bord », vous affirmez à la face du monde : je connais mes limites, mais cette prise de conscience de ma propre finitude est ce qui me donne la force de mener la vie à bon port. p Jean Birnbaum La prudence, quelle audace ! COLLECTION aristote. l’homme heureux et la société juste sont le résultat d’un équilibre entre les extrêmes, « Apprendre à philosopher » (une collection « Le Monde »), vol. 4, 160 p., 9,99 , en kiosque le 30 mars. ÉDITION HISTOIRE

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Page 1: COLLECTION La partie émergée de l’iceberg · classique de Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, PUF, 1963). En effet, nous autres humains vi-vons dans un monde que le pen-seur

0123Jeudi 31 mars 2016 C’est d’actualité | 5

La traduction de trois romans groenlandais jette un pont vers une création méconnue

La partie émergée de l’iceberg

CÉLINE CLANET

anne pélouasMontréal (Canada), correspondance

D e véritables curiosités et la ré-paration d’un oubli. Dans lacollection « Jardin de givre »des Presses de l’Université du

Québec, distribuées en France, viennentde paraître trois romans groenlandais : Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité (188p., 16 €), de Kelly Berthelsen, Le Rêve d’un Groenlandais (162 p., 15 €), de Mathias Storch, et Trois cents ans après (172 p.,14 €), d’Augo Lynge. Ces œuvres ont pourpoints communs d’être signées par desautochtones, contrairement aux écrits des explorateurs européens et des coloni-sateurs danois, et de mélanger allègre-ment les genres littéraires : science-fic-tion, autobiographie, pamphlet politi-que, roman policier…

Méconnue à l’extérieur de l’île arctiqueet du Danemark, qui a, pour sa part, multi-plié les traductions, la littérature groen-landaise est « la plus mature et la plus vi-vante » parmi la création circumpolaire inuite, voire la littérature autochtone mondiale, estime l’universitaire canadienDaniel Chartier. La mise en valeur de ce patrimoine résulte d’une coopération que ce professeur de littérature à l’univer-sité du Québec, à Montréal, qui dirige le Laboratoire international d’étude multi-disciplinaire comparée des représenta-tions du Nord, a nouée avec l’université deVersailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Depuis 2003, il s’emploie à publier enfrançais des œuvres « liées à l’imaginaire nordique, hivernal et de l’Arctique ». Un tra-vail de longue haleine. Jusqu’à présent,seuls trois titres avaient été traduits, dont un recueil de contes et un autre de poésie.Pour ces nouvelles parutions, DanielChartier a consulté une demi-douzaine de spécialistes culturels groenlandais, afin d’établir une liste des œuvres qu’il leur semblait nécessaire de voir traduites et connues à l’étranger.

Premier roman « national »,aujourd’hui étudié dans les lycées et l’uni-versité du Groenland, Le Rêve d’un Groen-landais, paru en 1914, est l’œuvre d’un pas-teur progressiste qui milita en faveur del’éducation pour permettre à ses conci-toyens de prendre en main leur destin. Mathias Storch (1883-1957) – un des pre-

Immortels fantômesL’académicien Amin Maalouf s’est amusé à retracer les parcours de ses prédécesseurs au fauteuil numéro 29. Vivifiant

florence bouchy

E n juin 2011, Amin Maalouf a étéélu au fauteuil numéro 29 del’Académie française. « Selon lerituel de la Compagnie », lors de

sa réception solennelle sous la Coupole,un an plus tard, il a dû faire l’éloge deson prédécesseur, Claude Lévi-Strauss(1908-2009). En parcourant la liste des occupants du fauteuil pour préparer cediscours, l’écrivain franco-libanais s’est aperçu que l’un d’eux n’était autre quel’historien Joseph Michaud (1767-1839),dont les travaux lui avaient été d’uneaide précieuse lors de l’écriture de son

premier livre, Les Croisades vues par les Arabes (JC Lattès, 1983).

Conscient de prendre ainsi place dansce que Lévi-Strauss nommait une « gé-néalogie en partie fictive », et d’être àtout le moins lié à l’ensemble des occu-pants du fauteuil par « une certaine filia-tion morale », le nouvel académiciens’est intéressé à la vie de chacun d’entreeux, et aux circonstances de leur élec-tion. Un fauteuil sur la Seine parcourt defaçon extrêmement vivante et souventamusante quatre siècles d’histoire « en dix-huit étapes, chacune en compagnied’un “promeneur” différent ».

Hommage, mais aussi exercice de mo-destie, tant sont nombreux les Immor-tels aujourd’hui complètement oubliés. A commencer par le premier occupantdu fauteuil numéro 29, Pierre Bardin,qui se noya dans la Seine quatorze mois

après sa réception à l’Académie, gagnantainsi « le triste privilège d’avoir été le pre-mier “Immortel” à mourir ».

Dix amisFondée en 1634 par Richelieu, l’Acadé-

mie trouve sa véritable origine dans lesréunions amicales, régulières et secrètes,où se rencontraient, à partir de 1629, unepetite dizaine d’écrivains et amateurs de littérature pour s’entretenir « familière-ment, comme en une visite ordinaire, (…)de toutes sortes de choses : d’affaires, denouvelles, de belles lettres ». Ce n’est qu’àla faveur d’une indiscrétion que le cardi-nal découvrit l’existence de ces rendez-vous et décida de leur accorder sa protec-tion. Proposition dont on apprend que les dix amis ne furent d’abord « pas en-chantés », et qu’ils cherchèrent – vaine-ment – le moyen de refuser.

En 1805, sous Napoléon, l’Instituts’installa quai de Conti, à Paris, dansl’ancien collège des Quatre-Nations, le-quel avait servi de maison d’arrêt pen-dant la Révolution. Lorsque Joseph Mi-chaud fut élu au vingt-neuvième fau-teuil, en 1813, son entrée sous la Coupoledut avoir un air de revanche puisque,dix-huit ans plus tôt, il y était déjà venu,mais comme prisonnier…

Plutôt rocambolesque à ses débuts,l’histoire du fauteuil qu’Amin Maaloufoccupe aujourd’hui est aussi celle deClaude Bernard (1813-1878), d’ErnestRenan (1823-1892) et d’Henry de Mon-therlant (1895-1972). Que leur souvenirsoit glorieux ou obscur, leur héritiervoit en chacun « le témoin précieux et éphémère d’une histoire qui le dépasse, etnous dépasse tous ». Mais, assis dans ce fauteuil, on ne trouve que des hommes.

Pour écrire l’histoire des femmes à l’Aca-démie, il faut se déplacer au numérotrois, auquel fut élue Marguerite Yource-nar en 1980.

C’est à travers cette réticence de l’insti-tution à accueillir des femmes que François Bégaudeau déroule lui aussi l’histoire de l’Académie, pour n’y voirqu’une survivance de l’Ancien Régime. Toute de sarcasmes, son histoire a peu àvoir avec celle d’Amin Maalouf. Mais elleest assez drôle. p

un fauteuil sur la seine. quatre siècles d’histoire de france,d’Amin Maalouf,Grasset, 344 p., 20 €.Signalons la parution de L’Ancien Régime, de François Bégaudeau, Steinkis, « Incipit », 120 p., 12 €.

miers grands hommes politiques du pays,ayant participé à la Commission de 1920pour le développement du Groenland – y raconte la vie d’un jeune Inuit dans un vil-lage voisin d’une colonie danoise. Celui-ciobserve cette microsociété et ses problè-

mes. Et rêve d’une société égalitaire où lesGroenlandais collaboreraient « avec les Danois capables de les respecter ».

Trois cents ans après (1931) est ledeuxième grand classique groenlandais.

Ce roman d’anticipation doublé d’une in-trigue policière se situe en 2021, soit troiscents ans après l’arrivée du missionnaireHans Egede et donc le début de la coloni-sation danoise. Au fil de courses-pour-suites dignes d’un film d’action, AugoLynge (1899-1959), un brillant instituteurqui deviendra l’un des deux premiers dé-putés groenlandais élus au Parlement danois, y dépeint, sur fond de critique so-ciale, un pays en marche accélérée vers leprogrès technique. Sous sa plume, Nuuk,la capitale de l’île arctique, est un pros-père port de pêche hérissé de grands im-meubles. « La littérature d’un petit peupleest nécessairement politique », résumeM. Chartier.

Plus contemporain, Je ferme les yeuxpour couvrir l’obscurité (2001), le recueil de nouvelles de Kelly Berthelsen, 49 ans,est typique, selon lui, de « la littératurede confession du tournant du siècle au

Groenland » et aux antipodes de « l’ima-ginaire du Nord et de l’Arctique » façonnédepuis des siècles par les cultures euro-péennes et nord-américaines. Danscette œuvre d’une grande noirceur, la désespérance est omniprésente et l’es-poir d’une vie meilleure banni du quoti-dien des personnages, rongés par lahaine, l’alcool ou les drogues, habités parla révolte et le désarroi mais aussi cyni-ques face à la politique et à l’avenir duGroenland. L’association des auteurs groenlandais compte une cinquantainede membres, parmi lesquels des écri-vains prometteurs.

Du 13 mai au 17 juillet, la Maison du Da-nemark à Paris organise une série d’activi-tés sur l’Arctique, avec notamment, le 19 mai, une table ronde sur l’imaginairedu Groenland et, le 20 mai, une soirée autour des trois œuvres traduites en fran-çais, en présence de Kelly Berthelsen. p

Ces œuvres ont pour point commun de mélanger allègrementles genres littéraires

Ecrits féminins chez ColetteAcquise fin 2011 et rénovée grâce au mécénat par la Société des amis de Colette, la maison natale de l’auteur du Blé en herbe, à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne), ouvrira le 25 mai. Outre le Festival international des écrits de femmes qui a lieu depuis quatre ans dans le village, ce musée proposera un vaste programme de recherches et d’activités pédagogiques. Les visites des lieux seront toutes guidées et commentées. Réservations en ligne (Maisondecolette.fr) à partir du 15 avril. Par ailleurs, la comédienne Keira Knightley incarnera Colette dans un biopic que réalisera le cinéaste britannique Wash Westmoreland.

Les volumes de “La Pléiade”(…) qui peuplent ma bibliothèque sont lus, relus et annotés (…). Ils ont représenté pour moi, en quelque sorte, le canon de la littérature ”mario vargas llosa, écrivainAvant-propos au tome I de ses Œuvres romanesques (1 952 p., 65 €, ou 130 € le coffret avec le tome II). Il est l’un des rares auteurs à entrer de son vivant dans la « Bibliothèque de La Pléiade » de Gallimard.

Sade à l’encanLe 15 juin, se tiendra à Drouot une vente aux enchères d’effets ayant appartenu au marquis de Sade, parmi lesquels son fauteuil, son contrat de mariage, quelques lettres autographes. Seront aussi dévoilés cinq manuscrits de pièces de théâtre dont quatre jamais publiées, ainsi qu’un conte inédit de 16 pages, une histoire d’adultère villa-geois impliquant un prêtre dévergondé. Estimation : entre 7 000 et 10 000 €.

11 millions de Français sans bibliothèque de prêtUn rapport de synthèse établi par l’Inspection générale des bibliothèques et remis au ministère de la culture et de la communication révèle que 11 millions de Français ne disposent pas d’un établissement de prêt de proximité, c’est-à-dire à moins de 15 minutes de chez eux, soit 17 % de la population nationale. Dans certaines zones géographiques, 30 % des habitants sont concernés. En outre, villes et villages souffrent parfois d’une offre sous-dimensionnée (superficie, catalogue, budgets d’acquisition, horaires d’ouverture) par rapport aux besoins.

ON COMMENCE par sourire quand on aperçoit l’autocollant « Bébé à bord » à l’arrière des voi-tures. En effet, qui peut croire que les autres conducteurs prendront plus de précautions à sa vue ? Et puis, un jour, on comprend que ce message s’adresse moins aux con-ducteurs des autres véhicules qu’à celui qui le met sur sa propre voi-ture. « Bébé à bord », cela ne signi-fie pas : « Attention, si vous perdez les pédales, vous mettez en dangerla vie d’un nourrisson. » Cela veut plutôt dire : « Me voilà embarqué, j’ai maintenant charge d’âme, je dois trouver la conduite qui per-met d’escorter mon enfant à tra-vers les accidents de la vie. » Cet autocollant me projette donc dansun espace où la première des audaces s’appelle… prudence.

Car la prudence n’a rien à voiravec une quelconque lâcheté.Comme l’a montré Aristote, c’est au contraire une forme d’hé-roïsme ordinaire (voir le livre classique de Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, PUF, 1963).En effet, nous autres humains vi-vons dans un monde que le pen-seur grec nomme « sublunaire », où règne une incertitude généra-lisée. Notre existence de simplesmortels se déploie entre deux accidents : la naissance et l’action.

D’où cette ivresse quand vousconduisez votre bébé en voiture : vous l’accompagnez à travers un monde plein d’accidents et, en étant prudent, vous prenez le ris-que à bras-le-corps. Ainsi, lorsque vous affichez l’autocollant « Bébé à bord », vous affirmez à la face dumonde : je connais mes limites, mais cette prise de conscience de ma propre finitude est ce qui me donne la force de mener la vie àbon port. p

Jean Birnbaum

La prudence, quelle audace !

COLLECTION

aristote.l’hommeheureux etla sociétéjuste sontle résultatd’unéquilibre

entre les extrêmes,« Apprendre à philosopher » (une collection « Le Monde »), vol. 4, 160 p., 9,99 €, en kiosque le 30 mars.

É D I T I O N

H I S T O I R E