« immortalité de l’âme ou résurrection des morts ? : la question d’o. cullmann et le...

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BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM CCIL RESURRECTION OF THE DEAD BIBLICAL TRADITIONS IN DIALOGUE EDITED BY GEERT VAN OYEN – TOM SHEPHERD UITGEVERIJ PEETERS LEUVEN – PARIS – WALPOLE, MA 2012

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BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM

CCIL

RESURRECTION OF THE DEAD

BIBLICAL TRADITIONS IN DIALOGUE

EDITED BY

GEERT VAN OYEN – TOM SHEPHERD

UITGEVERIJ PEETERSLEUVEN – PARIS – WALPOLE, MA

2012

TABLE OF CONTENTS

PREFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

ABBREVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII

I. THE HEBREW BIBLE

André WÉNIN (Université catholique de Louvain [Louvain-la-Neuve], Belgium)

Enracinement vétérotestamentaire du discours sur la résurrec-tion de Jésus dans le Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

Erik EYNIKEL (Radboud Universiteit Nijmegen, The Netherlands)

La résurrection comme passerelle entre les sacrifices d’animaux dans l’Ancien Testament et le sacrifice de Jésus dans leNouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Kristin DE TROYER (University of St Andrews, United Kingdom)

The Garden: A Crucial Element or a Later Addition to theResurrection Stories? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Hans AUSLOOS (Université catholique de Louvain [Louvain-la-Neuve], Belgium)

Selon les Écritures…? Job 14,12 comme racine vétérotestamen-taire de Jean 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Hans DEBEL (KU Leuven, Belgium)

Once More, with Feeling: Qoh 11,7–12,7 as the UltimateExpression of Qohelet’s Alternative to Life-Beyond-Death . . . 73

Jacques B. DOUKHAN (Andrews University, Berrien Springs MI, USA)

From Dust to Stars: The Vision of Resurrection(s) in Daniel12,1-3 and Its Resonance in the Book of Daniel . . . . . . . . . . . . 85

Jean-Sébastien REY (Université de Lorraine, Metz, France)

L’espérance post-mortem dans la littérature de Sagesse duIIe siècle avant notre ère: Ben Sira et 4QInstruction . . . . . . . . . 99

X TABLE OF CONTENTS

II. THE NEW TESTAMENT

Odette MAINVILLE (Université de Montréal, Canada)

Le rôle des récits résurrectionnels en Matthieu 28: Une relecturerédactionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Geert VAN OYEN (Université catholique de Louvain [Louvain-la- Neuve], Belgium)

The Empty Tomb Story in the Gospel of Mark and MichelFoucault’s Concept of Heterotopia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

Tom SHEPHERD (Andrews University, Berrien Springs, MI, USA)

Promise and Power: A Narrative Analysis of the Resurrection Story in Mark 16 in Codex Vaticanus and Codex Washing-tonianus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Daniel MARGUERAT (Université de Lausanne, Suisse)

Quand la résurrection se fait clef de lecture de l’histoire (Luc-Actes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Frederick S. TAPPENDEN (University of Manchester, United King-dom)

Luke and Paul in Dialogue: Ritual Meals and Risen Bodies asInstances of Embodied Cognition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

Martijn STEEGEN (Research Foundation – Flanders [FWO] / KU Leuven, Belgium)

Raising the Dead in John 5,19-30: Questioning Equality orSubordination in the Relationship between the Father and the Son 229

Gilbert VAN BELLE (KU Leuven, Belgium)

The Resurrection Stories as Signs in the Fourth Gospel: R. Bult-mann’s Interpretation of the Resurrection Revisited . . . . . . . . . 249

Edward PILLAR (Evesham Baptist Church, Worcestershire, United Kingdom)

“Whom He Raised from the Dead”: Exploring the Anti-Imperial Context of Paul’s First Statement of Resurrection . . . 265

Matthew R. MALCOLM (Trinity Theological College, Perth, Western Australia)

The Resurrection of the Dead in 1 Corinthians . . . . . . . . . . . . . 275

Joel R. WHITE (Freie Theologische Hochschule Giessen, Germany)

Christ’s Resurrection Is the Spirit’s Firstfruits (Romans 8,23) . 289

TABLE OF CONTENTS XI

Julian WAWRO (Université catholique de Louvain [Louvain-la- Neuve], Belgium)

Légiférer ou croire en la Résurrection: Un dilemme des phari-siens? Le Christ ressuscité comme «pierre d’achoppement» enRm 9,32 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305

Michael LABAHN (Martin-Luther-Universität, Halle-Wittenberg, Halle, Germany / Northwest University Potchefstroom, South Africa)

The Resurrection of the Followers of the Lamb: Between Heav-enly “Reality” and Hope for the Future. The Concept of Resur-rection within the Imagery of Death and Life in the Book ofRevelation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319

III. THE BIBLICAL CANON IN DIALOGUE

Constantin POGOR (Université catholique de Louvain [Louvain-la- Neuve], Belgium)

Deux expressions portant sur la résurrection des morts: Étudede cas sur 4Q521 2 ii 5-8; 12-13 et Mt 11,5 par. Lc 7,22 . . . . 345

Heikki RÄISÄNEN (University of Helsinki, Finland)

Resurrection for Punishment? The Fate of the Unrighteous inEarly Christianity and in “New Testament Theology” . . . . . . . 361

Jonathan A. DRAPER (University of KwaZulu-Natal, South Africa)

Walking the Way of Life or the Way of Death in the Present Existence as the Beginning of Eschatological Life or Death in the Renewed Earthly Kingdom: The Rationale for the Limitation ofthe Resurrection to the Righteous Departed in Didache 16,6-8 . 383

Mark R.C. GRUNDEKEN (Research Foundation – Flanders [FWO] / KU Leuven, Belgium)

Resurrection of the Dead in the Shepherd of Hermas: A Matterof Dispute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403

Gie VLEUGELS (Evangelische Theologische Faculteit, Heverlee, Belgium)

Prospect of an afterlife in the Odes of Solomon . . . . . . . . . . . . 417

José COSTA (Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle, France)

«Immortalité de l’âme ou résurrection des morts?»: La ques-tion d’Oscar Cullmann et le témoignage des sources rabbiniquesanciennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429

XII TABLE OF CONTENTS

Stephen J. BEDARD (Acadia Divinity College, Wolfville, NS, Canada)

A Nation of Heroes: From Apotheosis to Resurrection . . . . . . 453

Tobias NICKLAS (Universität Regensburg, Germany)

Resurrection – Judgment – Punishment: Apocalypse of Peter 4 461

Ryann Elizabeth CRAIG (The Catholic University of America, Washington, DC, USA)

Anastasis in the Treatise on the Resurrection: How Jesus’ Example Informs Valentinian Resurrection Doctrine and Chris-tology . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475

Paul B. DECOCK (University of KwaZulu-Natal, South Africa)

The Resurrection According to Origen of Alexandria . . . . . . . . 497

IV. HISTORY, THEOLOGY AND HERMENEUTICS

Gergely JUHÁSZ (Liverpool Hope University, United Kingdom)

Resurrection or Immortality of the Soul? A Dilemma of Refor-mation Exegesis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517

Gerd LÜDEMANN (Göttingen, Germany)

The Resurrection of Jesus: Fifteen Years Later . . . . . . . . . . . . 535

Claire CLIVAZ (University of Lausanne, Switzerland)

Why Were the Resurrection Stories Read and Believed? AndWhat Are We Making of Them Today? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 559

INDICES

INDEX OF AUTHORS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585

INDEX OF BIBLICAL REFERENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 599

INDEX OF OTHER REFERENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621

«IMMORTALITÉ DE L’ÂME OU RÉSURRECTION DES MORTS?»

LA QUESTION D’OSCAR CULLMANNET LE TÉMOIGNAGE DES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES

À la fin des années cinquante, Oscar Cullmann a publié son texte le plus célèbre et aussi le plus controversé, intitulé Immortalité de l’âme ou résurrection des morts?1. Le titre est parlant: l’immortalité de l’âme et la résurrection des morts sont deux conceptions eschatologiques radica-lement différentes. Selon O. Cullmann, le Nouveau Testament ignore totalement la doctrine de l’immortalité de l’âme et ne reconnaît que celle de la résurrection des morts. L’objet de notre article est triple:

1. tenter de comprendre les différents aspects de la thèse d’O. Cullmann, qui n’est simple qu’en apparence;

2. voir si la question qu’il pose (immortalité de l’âme ou résurrection des morts?) peut l’être aussi dans le cadre d’un autre corpus, celui des rabbins de l’Antiquité et ce, malgré le décalage chronologique parfois important qui le sépare de l’époque néo-testamentaire;

3. voir de manière réciproque si le corpus rabbinique permet de repen-ser certains aspects de l’étude d’O. Cullmann2.

Notre démarche est proche de celle de G.W.E. Nickelsburg, qui a revi-sité le texte d’O. Cullmann à la lumière des sources juives intertestamen-taires3.

1. O. CULLMANN, Immortalité de l’âme ou résurrection des morts? Le témoignage du Nouveau Testament, Neuchâtel, 1959.

2. Voir notre livre L’au-delà et la résurrection dans la littérature rabbinique ancienne, Paris – Louvain, 2004. Abréviations des textes rabbiniques: ARN: Abot de-rabbi Natan; BR: Be-reshit Rabba; DR: Debarim Rabba; M: Mishna; MTa: Midrash TanÌuma; MTh: Midrash Tehillim; PRE: Pirqe de-rabbi Eliezer; SBM: Sifre Ba-midbar; TB: Tal-mud Babli; WR: Wa-yiqra Rabba. Les textes ont été traduits par nos soins à partir des éditions courantes.

3. G.W.E. NICKELSBURG, Resurrection, Immortality and Eternal Life in Intertestamen-tal Judaism and Early Christianity, Cambridge, 2006, pp. 219-223 (Appendix: Some Presuppositions of Cullmann’s Essay on Immortality of the Soul or Resurrection of the Dead).

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I. L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME DANS L’ÉTUDE D’O. CULLMANN: DEUX DÉFINITIONS

Dans l’exposé d’O. Cullmann, le terme de résurrection est défini très clairement. Il doit être pensé à partir de l’événement historique de la résurrection de Jésus. Il désigne le retour à la vie de l’être humain, dans toutes ses dimensions, spirituelle et surtout corporelle. Ce retour doit s’effectuer à la fin des temps, dans le cadre d’un monde renouvelé à la racine.

L’expression «immortalité de l’âme» est en revanche beaucoup plus problématique. O. Cullmann l’emploie manifestement en deux acceptions différentes, l’une que nous qualifierons de large et l’autre d’étroite4:

1. Sens large:

La doctrine de l’immortalité de l’âme soutient l’existence d’un prin-cipe spirituel (l’âme) qui survit à la mort du corps et qui se rend en un lieu que par commodité nous désignerons du terme d’au-delà.

2. Sens étroit:

La doctrine de l’immortalité de l’âme est une conception platonicienne. Elle est fondée sur trois éléments essentiels: a. l’âme est bonne et le corps est mauvais; b. la mort est bonne, puisqu’elle permet la sépara-tion de l’âme et du corps; c. la destinée ultime de l’homme est de vivre à l’état d’âme séparée dans l’autre monde.

Dans son étude, O. Cullmann affirme que le Nouveau Testament ignore la doctrine de l’immortalité de l’âme. Comme l’expression a deux sens, cela veut donc dire que l’ignorance de la doctrine revêt elle aussi deux formes. Selon une première argumentation, le Nouveau Testament ignore l’immortalité de l’âme au sens large. En d’autres termes, il sou-tient que l’âme est mortelle et périt comme le corps:

Jésus a réellement passé par la mort dans toute son horreur, non seulement dans son corps, mais précisément aussi dans son âme (‘mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?’)5…

Cette victoire, Jésus ne peut pas la remporter en continuant à vivre simple-ment en tant qu’âme immortelle, donc au fond sans mourir. Non, il ne peut vaincre la Mort qu’en mourant réellement, en se rendant dans le domaine

4. Sur ces deux significations, voir aussi U. BERNER, Unsterblichkeit: I. Religions-geschichtlich. II. Dogmatisch. III. Philosophisch, in Theologische Realenzyklopädie, Berlin – New York, 1977-2004, t. 34 (2002) 381-397, p. 381.

5. CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), p. 32.

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même de la Mort, la grande destructrice de la vie, domaine du néant, de la séparation de Dieu … Quiconque veut vaincre la Mort elle-même, doit mourir, mais encore une fois vraiment cesser de vivre, pas simplement continuer à vivre en tant qu’âme immortelle, mais perdre le bien le plus précieux que Dieu nous a donné: la vie elle-même6.

Il va de soi que l’on ne trouve aucune affirmation explicite de cette croyance dans le Nouveau Testament. Elle est en fait déduite par O. Cullmann à partir du comportement de Jésus, à la veille de son décès. L’angoisse de Jésus à la perspective de sa mort montre qu’il ne croit nullement à l’idée rassurante de la survie de l’âme. Cette angoisse est bien éloignée de la sérénité de Socrate, partisan affirmé de l’immortalité de l’âme. Même si l’on admet ce raisonnement d’O. Cullmann, il reste un autre obstacle à franchir: les textes du Nouveau Testament qui traitent explicitement de l’au-delà. En dépit de leur faible nombre, ils montrent que, dans l’esprit de leurs auteurs, la mort ne débouche pas sur un pur et simple néant.

Il n’est donc pas surprenant de voir O. Cullmann soutenir une deuxième argumentation. Dans cette argumentation, le Nouveau Testa-ment admet l’idée d’une survie de l’âme dans l’au-delà, mais il rejette l’immortalité de l’âme, entendue dans son sens étroit, c’est-à-dire la conception platonicienne de l’immortalité de l’âme. Il la rejette pour deux raisons:

1. l’anthropologie et la conception de la mort, qui caractérisent le Nouveau Testament, sont à l’opposé de celles du platonisme;

2. le séjour de l’âme dans l’au-delà est un épisode secondaire de l’his-toire du salut, un temps intermédiaire, avant le retour de l’homme à une vie complète, au moment de la résurrection. Il n’est donc pas l’étape ultime de l’existence que conçoivent les disciples de Platon.

Un point reste encore à clarifier: comment O. Cullmann peut-il soute-nir simultanément ces deux argumentations sur l’immortalité de l’âme, puisque l’une rejette la croyance en la survie, alors que l’autre l’admet? Selon lui, il faut distinguer le personnage de Jésus de celui du Christ ressuscité. Jésus est angoissé à l’idée de sa mort et ne croit pas en la survie de l’âme. Il sait que l’épreuve qui l’attend est une épreuve totale, qui touche tout autant son corps que son âme. Le Christ ressuscité et monté au ciel, en revanche, ouvre des perspectives nouvelles. Le lien qui l’unit à ses disciples ne peut plus être brisé. Le chrétien qui meurt est donc assuré de la survie de son âme, qui va se reposer dans le sommeil,

6. Ibid., p. 33.

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auprès du Christ, dans le ciel. Il y a donc une eschatologie d’avant la mort de Jésus, sans au-delà, où l’âme est purement et simplement mor-telle (rejet de l’immortalité de l’âme au sens large). Lui succède une eschatologie d’après la résurrection de Jésus, où l’âme survit dans l’au-delà. Cet état de séparation n’est cependant ni idéal ni définitif. Il consti-tue uniquement une période intermédiaire, avant le grand événement de la résurrection des morts. C’est en ce sens, nous dit O. Cullmann, que l’on ne peut parler d’immortalité de l’âme pour cette deuxième concep-tion eschatologique, en dépit du fait qu’il y a survie de l’âme (rejet de l’immortalité de l’âme au sens étroit)7.

Une fois la problématique d’O. Cullmann clarifiée, nous pouvons ten-ter de répondre à une autre question: qu’en est-il de cette problématique dans le Talmud? Comment le corpus rabbinique se positionne-t-il par rapport aux deux conceptions de l’immortalité de l’âme que nous venons d’évoquer?

II. LE TALMUD ET LA MORTALITÉ DE L’ÂME8

Un certain nombre de traditions talmudiques décrivent l’au-delà en termes dualistes, c’est-à-dire qu’elles distinguent l’âme et le corps, ainsi que leurs sorts respectifs dans l’au-delà. À première vue, il n’est guère question, dans ces traditions, d’une âme mortelle. Un premier groupe de textes commente le verset d’1 S 25,29, dans lequel il voit une allusion à l’au-delà9. L’âme du juste «sera serrée dans le faisceau des vivants avec l’Éternel …». Certaines interprétations se limitent à répéter l’expression énigmatique de «faisceau des vivants» (החיים d’autres précisent ,(צרור l’endroit où se trouve l’âme du juste: sous le trône de Gloire ou dans un trésor (אוצר). Toutes ces traditions ont en commun l’idée que l’âme est conservée en un lieu. Même si la chose n’est pas précisée à chaque fois, il est évident que l’âme est préservée de manière à pouvoir être à nouveau réunie au corps le jour de la résurrection. Quel est l’état de conscience de cette âme «conservée»? Là aussi, tous les textes ne le disent pas, mais certains d’entre eux affirment qu’elle loue Dieu et dans une tradition mystique, citée dans la littérature de la merkaba, l’âme du juste vole au-

7. Ibid., pp. 76-77. 8. Nous employons l’expression «mortalité de l’âme» qui nous semble bien refléter la

pensée d’O. Cullmann, même s’il ne l’utilise pas, peut-être lui-même effrayé par la réalité ou plutôt l’absence de réalité qu’elle désigne.

9. SBM, §139; TB, Shabbat, 152b; ARN, Recension A, 12; MTa, Wa-yiqra, 8; COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 325-354.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 433

dessus du trône de Gloire10. Conformément à la suite du verset d’1 S 25,29, l’âme du méchant, «il la lancera du creux de sa fronde». Elle est donc soumise à des mouvements violents, qui se dérouleraient «d’une extrémité du monde à une autre». Un deuxième groupe de traditions décrit la cohabitation temporaire de l’âme et du corps, juste après le décès11. Cette cohabitation dure trois jours, sept jours ou un an selon les versions. Pendant cette période, l’âme est en mouvement, tantôt au-des-sus du corps dans la tombe, tantôt entre la tombe et la maison du mort, tantôt entre la tombe et le ciel. L’âme quitte définitivement le corps, quand celui-ci a perdu toute forme humaine. La période pendant laquelle l’âme assiste à la décomposition du corps est souvent décrite en termes de deuil et selon une tradition isolée et tardive, cette vision du corps qui grouille de vers est une punition de l’âme méchante12. D’autres traditions, qui ne forment pas vraiment de groupes, évoquent les âmes des morts séjournant dans leur tombe et parcourant à l’occasion le reste du monde13 ou le fait qu’elles sont muettes et placées sous la garde de l’ange Duma14 ou encore l’ascension de l’âme du juste, de compartiment en comparti-ment, jusqu’à la présence même de Dieu15. Aucune des traditions rabbi-niques que nous avons citées ne parle donc d’une mort de l’âme qui accompagnerait celle du corps et d’une absence de survie dans l’au-delà.

On pourrait cependant penser que si l’âme a besoin d’être conservée, c’est que sa survie ne va pas de soi. En l’absence du faisceau des vivants (qui serait plutôt le faisceau qui maintient en vie), du trésor ou encore du trône de Gloire, elle irait à sa perte, comme le corps. Il est possible que cette fragilité de l’âme soit liée à la matière dont elle est formée, comme le suggère le texte suivant, tiré d’une homélie judéo-hellénistique, sur le livre de Jonas:

Car celui qui peut ouvrir les entrailles d’une bête sauvage, pour en libérer sain et sauf un être vivant doté de souffle, comment ne pourrait-il pas conserver intact, après sa séparation d’avec le corps, un souffle de vie, qui a été créé à partir de la terre et qui a été rendu à la terre pour y être gardé16?

Contrairement à la lettre de Gn 2,7, l’âme a été créée, selon l’auteur de l’homélie, à partir de la terre. Cette origine terrestre rend l’âme fragile

10. Voir P. SCHÄFER, Synopse zur Hekhalot Literatur, Tübingen, 1981, pp. 30-31, §61. 11. BR, 100,7; TB, Shabbat, 152b; PRE, 34; COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2),

pp. 435-449. 12. MTa, Wa-yiqra, 8. 13. TB, Berakhot, 18b. 14. MTh, 11,6. 15. Ibid. 16. F. SIEGERT, Drei hellenistisch-jüdische Predigten, Tübingen, 1980, t. 1, p. 25, §96.

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et elle ne peut subsister après la mort, que grâce à l’intervention de Dieu, qui la conserve intacte dans la terre. L’idée que l’âme a été créée à partir de la terre n’est peut-être pas inconnue des rabbins, comme le montre le texte suivant:

Et Dieu dit: Que la terre fasse sortir l’âme vivante (חיה .(Gn 1,24) «(נפש Rabbi Eleazar (290-320) a dit: L’âme vivante, c’est l’esprit du premier homme (רוחו של אדם הראשון)17.

Ceci étant, le risque de la mortalité n’est pas la mortalité elle-même. Ce point est d’ailleurs évoqué par O. Cullmann, quand il affirme que la survie de l’âme, dont témoigne le Nouveau Testament, n’est pas compa-rable à la doctrine de l’immortalité de l’âme (ici au sens étroit et plato-nicien du terme), parce que, dans le Nouveau Testament, l’âme n’est pas immortelle par nature mais par le choix divin18. Cet aspect a été maintes fois souligné dans la littérature des Pères de l’Église19.

Les descriptions rabbiniques de l’au-delà à caractère dualiste, que nous venons d’évoquer, sont loin d’être les plus nombreuses. La plupart des textes rabbiniques qui traitent de l’au-delà ne distinguent pas explicite-ment l’âme du corps et parlent du mort en l’appelant «homme» (אדם) ou «mort» (מת) ou en le désignant par son nom propre (Abraham, Moïse…) ou encore par de simples pronoms personnels. On peut qualifier ces textes de monistes, même s’il n’est pas toujours évident qu’ils expriment une conception véritablement moniste de l’au-delà20. Même s’ils ne relèvent pas à première vue de la problématique d’O. Cullmann (immor-talité ou mortalité de l’âme), puisqu’ils ne parlent pas de l’âme, ils peuvent la concerner partiellement, par la question de la survie. Y a-t-il une vie après la mort pour ces traditions monistes?

Comme nous l’avons fait pour le corpus dualiste, il est possible de repérer dans cet ensemble moniste différents complexes de traditions. Nous nous limiterons à trois d’entre eux:

1. le motif du sommeil et du repos; 2. la question de la connaissance;3. les lieux de rétribution: géhenne et jardin d’Éden.

17. BR, 7,5. 18. CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), pp. 20.77. 19. Voir sur ce point H.A. WOLFSON, Immortality and Resurrection in the Philosophy

of the Church Fathers, in K. STENDAHL (ed.), Immortality and Resurrection, New York, 1965, 54-96. Pour des attestations de la même idée dans la littérature intertestamentaire, voir NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), p. 222.

20. Sur la différence entre les textes dualistes et les textes monistes, voir COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 479-503.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 435

À l’évidence, dans le troisième groupe de traditions, le mort est bien vivant et conscient, s’il est rétribué dans la géhenne et le jardin d’Éden21. La chose est cependant moins évidente dans les deux premiers groupes. Quand, à la suite de la Bible, les rabbins constatent que les morts dor-ment, comment faut-il comprendre cette assertion? L’interprétation des textes demande une certaine prudence, puisqu’un mort couché ou au repos n’est pas nécessairement un mort inconscient. Il ne faut jamais oublier que les rabbins mangeaient couchés, à la romaine22. Mais dans l’hypothèse où ces traditions évoquent un véritable sommeil, comment comprendre ce «sommeil»? Est-il une forme de survie ou au contraire un euphémisme désignant une absence de survie? O. Cullmann traite aussi de la question du sommeil dans le cadre du Nouveau Testament, mais il y voit, sans hésiter, une forme de survie des chrétiens morts dans l’au-delà, auprès de Dieu23. La chose est peut-être moins évidente dans le corpus rabbinique. Certains textes du deuxième groupe, consacrés à la question de la connaissance, peuvent aussi susciter une certaine hésitation chez leur interprète24. Les rabbins s’interrogent en effet sur la capacité de connaissance qu’ont les morts. Le courant dominant soutient que les morts sont bel et bien conscients, certains rabbins limitant cette conscience aux morts justes. Les rabbins sont plus divisés sur l’étendue de cette conscience ou connaissance des morts, dans l’espace comme dans le temps. Certaines traditions plus isolées dénient cependant toute forme de conscience aux morts. Rabbi Yonatan reprend, par exemple, la lettre du verset de Qo 9,5: «les morts ne savent rien du tout»25. L’absence de savoir n’est-elle pas l’absence de survie?

Dans sa description de l’école sadducéenne, Flavius Josèphe affirme que ses partisans rejettent la doctrine de l’immortalité de l’âme26. Cette affirmation n’a pas laissé de traces dans le Talmud qui connaît unique-ment le rejet, par les sadducéens, de la résurrection des morts. Un pro-blème similaire se pose pour les esséniens. Selon Hippolyte, ils croient en la résurrection, alors que pour Flavius Josèphe, ils adhèrent à l’immor-talité de l’âme. Le corpus qumranien viendrait cependant confirmer les affirmations d’Hippolyte27.

21. Sur ce troisième groupe de traditions, voir ibid., pp. 359-391. 22. Ibid., pp. 355-358. 23. CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), pp. 69-71. 24. Voir COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 409-434. 25. TB, Berakhot, 18a-b. 26. De bello judaico, II,8,14, §§162-166 (contrairement aux pharisiens, pour qui l’âme

est incorruptible). 27. Voir E. PUECH, La croyance des Esséniens en la vie future: Immortalité, résurrec-

tion, vie éternelle?, Paris, 1993, t. 2, pp. 703-769.

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III. LE TALMUD ET L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME PLATONICIENNE

Comme nous l’avons vu plus haut, le Nouveau Testament est incom-patible avec la doctrine de l’immortalité de l’âme platonicienne, pour deux raisons: 1. sa conception de l’homme et de la mort; 2. le fait que la survie de l’âme n’est qu’un stade intermédiaire et que la dimension essentielle de l’eschatologie est la résurrection. Peut-on en dire autant pour le corpus des rabbins? Nous allons traiter successivement les aspects 1 et 2.

1. La conception de l’homme et de la mort

Concernant la dimension anthropologique du Nouveau Testament, O. Cullmann insiste sur le fait que le corps n’est jamais perçu comme un élément négatif et que le péché comme le salut engagent la totalité de l’être humain, c’est-à-dire l’âme autant que le corps et l’âme avec le corps. Cette description de l’anthropologie néo-testamentaire convient tout autant au corpus rabbinique, où le corps occupe une place centrale, au point d’être qualifié parfois de pur et de définir la personne en tant que telle. Ainsi, quand Dieu parle en ces termes: «Si tu me la rends (l’âme) dans l’état où je te l’ai donnée, tant mieux, sinon, voici que je la brûlerai devant toi»28, c’est nécessairement au corps qu’il s’adresse et le corps se confond avec l’individu lui-même. Les rabbins sont donc bien éloignés de la doctrine platonicienne où l’âme est la composante qui individualise l’être humain29. Quant à la solidarité de l’âme et du corps dans le péché (et le salut), elle est explicitement mentionnée dans le texte suivant:

Dans les temps futurs, le Saint, béni soit-Il, dira à l’âme: Pourquoi as-tu péché devant moi? Elle répondra devant lui: Maître des mondes, je n’ai pas péché, c’est le corps qui a péché! Depuis le jour où je suis sortie de lui, voici que je vole dans l’air comme un oiseau pur. Quel péché ai-je fait devant toi? Il dira au corps: Pourquoi as-tu péché devant moi? Il répondra devant lui: Maître des mondes, je n’ai pas péché, c’est l’âme qui a péché! Depuis qu’elle est sortie de moi, voici que je suis posé (dans la tombe), comme une pierre posée sur le sol. Ce n’est pas moi qui ai péché devant toi. Qu’a fait le Saint, béni soit-Il? Il a fait venir l’âme, l’a jetée30 dans le corps et les a jugés (tous) les deux comme une unité31 …

28. WR, 18,1. 29. Premier Alcibiade, 131b-c. 30. Sur le caractère éventuellement gnostique de l’emploi du verbe jeter, voir G. STEM-

BERGER, Zur Auferstehungslehre in der rabbinischen Literatur, in Kairos 15 (1973) 238-266, pp. 253-254 (= Studien zum rabbinischen Judentum [Stuttgarter biblische Aufsatz-bande, 10], Stuttgart, 1990, 47-88, pp. 70-71).

31. WR, 4,5.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 437

L’âme tient un discours explicitement platonicien: «Depuis le jour où je suis sortie de lui, voici que je vole dans l’air comme un oiseau pur». L’âme pure serait enfin libérée par la mort de tout contact avec le corps impur, seule source du péché. Ce discours est rejeté, puisque Dieu reconstitue la totalité de l’être humain, avant de le juger. C’est la résur-rection conçue comme un retour de l’âme dans le corps. C’est donc que l’âme est tout aussi responsable du péché que le corps.

Sur la question de la mort, la concordance est notable sur les éléments suivants:

a. L’effroi devant la mort

(Il s’agit de Rab NaÌman [290-320] déjà mort, qui apparaît en rêve à Raba [320-350] et qui lui dit): Si le Saint, béni soit-Il, me disait: Qu’il reparte dans ce monde (בההוא עלמא) où il était, je ne (le) voudrais pas, car la peur (que j’ai) de lui32 est grande33.

b. L’idée que la vie terrestre est préférable

(Texte d’une bénédiction:) Que ta maison soit inoccupée, que ton auberge soit habitée … Car ce monde-ci est une auberge (un lieu de passage) et ce monde-là est une maison (un lieu de résidence stable)34.

Moïse dit (alors) devant le Saint, béni soit-Il: Maître du monde, si tu ne me fais pas entrer en terre d’Israël, laisse-moi (vivre) comme les bêtes des champs qui mangent de l’herbe, boivent de l’eau, vivent et voient le monde. Fais que ma vie soit comme (celle de) l’une d’entre elles. Il lui répondit: ‘Assez pour toi’ (Dt 3,26). Il dit (à nouveau) devant lui: Maître du monde, s’il n’en est pas (ainsi), laisse-moi (vivre) en ce monde comme un oiseau, qui vole aux quatre coins du monde et qui glane sa nourriture pendant toute la journée et au moment du soir retourne dans son nid. Fais que ma vie soit comme (celle de) l’un d’entre eux. Il lui répondit: ‘Assez pour toi’ (Dt 3,26)35.

c. La mort est un événement contraire à la nature et à la volonté divine

Comme le dit W. Hirsch, pour les rabbins «la mort est (quelque chose de) pénal et non la dissolution naturelle de la vie»36. Dieu n’a pas voulu la mort, qui est le résultat du péché de l’homme:

Rabbi Yehuda ben Il‘ay (135-170) a dit: (A celui qui pense impossible la déclaration suivante:) Si le premier homme n’avait pas péché et mangé de

32. Rab NaÌman a peur de l’ange de la mort. 33. TB, Mo‘ed Qa†an, 28a. 34. Ibid., 9b. 35. DR, fin. 36. W. HIRSCH, Rabbinic Psychology, Beliefs about the Soul in the Rabbinic Literature

of the Talmudic Period, Londres, 1947, p. 232.

438 J. COSTA

l’arbre, il aurait vécu jusqu’à aujourd’hui, rétorque-lui: (Mais), cela est déjà. Élie, que sa mémoire soit bénie, qui n’a jamais péché n’est-il pas demeuré en vie jusqu’à aujourd’hui37?

Au fondement de plusieurs traditions rabbiniques, on trouve la double conviction que a. l’âme et le corps sont faits pour vivre l’un avec l’autre et que b. leur séparation n’est pas quelque chose de naturel. Comme le dit le passage suivant, «s’il n’y a pas d’âme, il n’y a pas de corps et s’il n’y a pas de corps, il n’y a pas d’âme»38. L’âme est profondément imbri-quée dans le corps, «comme une espèce de veine pleine de sang et cette veine est dotée de petites veines qui se répandent dans tout le corps»39. C’est pourquoi, il n’y a pas de pire souffrance que le moment où l’âme sort du corps40. La conception rabbinique de l’au-delà confirme le lien fort qui unit l’âme au corps et que même la mort ne parvient à rompre parfaitement. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, après la mort, l’âme demeure en compagnie du corps, tant que sa décomposition n’a pas atteint un stade trop avancé. Le réservoir dont proviennent les âmes et où elles retournent vraisemblablement après la mort est appelé guf, c’est-à-dire corps41.

Si le discours des rabbins sur l’homme et la mort concorde dans une très large mesure avec celui du Nouveau Testament, on ne peut parler d’une concordance totale. L’anthropologie rabbinique comporte des élé-ments clairement platoniciens, comme l’idée de la préexistence de l’âme et celle de l’anamnèse42. Le motif de l’âme qui voyage dans le monde, alors que l’homme est endormi ou mort, pour en découvrir les secrets, se retrouve chez Flavius Josèphe et dans la littérature gréco-romaine43. Ces voyages de l’âme supposent une autre conception des liens entre l’âme et le corps, que celle que nous avons décrite plus haut. Loin d’être chevillée au corps, l’âme est conçue comme une entité fondamentale-ment indépendante et qui ne demeure dans le corps que par la volonté de Dieu:

37. MTa, Emor, 9. 38. MTa, ed. S. BUBER, Wa-yiqra, 12, p. 4a-b. 39. MTh, 11,6. 40. TB, Mo‘ed Qa†an, 29a. 41. TB, Yebamot, 62a. 42. Voir, par exemple, MTa, Pequde, 3. L’argumentation d’E. URBACH (Les Sages

d’Israël: Conceptions et croyances des maîtres du Talmud, Paris, 1996, pp. 245-258), qui tente de montrer que la notion de préexistence de l’âme est étrangère aux rabbins, n’est pas convaincante.

43. Voir COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 511-512; et C. CLIVAZ, Madness, Philosophical or Mystical Experience? A Puzzling Text: Pseudo-Clementine Recogni-tiones II, 61-69, in Zeitschrift für Antikes Christentum 13 (2009) 475-493.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 439

Rabbi TanÌum bar Îiyya (290-320) a dit: Si une outre a un trou de la lar-geur d’une pointe d’aiguille, elle perd tout son souffle. Or l’homme qui n’est fait que de cavités et de trous, son souffle ne le quitte pas. Qui agit ainsi? ‘Toi Dieu, toi seul’ (Ps 86,10)44.

Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, le motif grec des deux âmes, l’une plus proche du corps et l’autre plus indépendante, n’est pas complètement étranger aux rabbins de l’Antiquité45.

Le discours rabbinique sur la mort présente une certaine complexité interne, qui rend la concordance avec le Nouveau Testament plus pro-blématique encore. La mort n’est pas décrite comme une puissance mau-vaise. Elle est certes souvent personnifiée sous la forme de l’ange de la mort, mais celui-ci n’apparaît pas comme une puissance indépendante de Dieu et qui s’oppose à lui46. Un chapitre entier de Be-reshit Rabba montre que tout ce qui semble mauvais dans la création est en fait bon, voire très bon, à commencer par la mort47. De nombreuses traditions minorent voire ignorent la faute d’Adam et attribuent à Dieu la décision d’introduire la mort dans le monde48. La mort du juste est souvent décrite comme purement apparente: «Les jours des justes meurent, mais eux (‘aÒmam) ne meurent pas»49. La formulation du texte est très proche du dualisme platonicien, distinguant pratiquement une facette temporelle de l’être humain (les «jours»), périssable et une essence qui demeure à jamais50.

2. La centralité de la résurrection

Comme dans le Nouveau Testament, la croyance en la résurrection est l’élément principal et central de l’eschatologie rabbinique. La survie dans l’au-delà n’est pas une fin en soi. La Mishna, recueil de lois fondateur de la tradition rabbinique, dont la rédaction a eu lieu en 200 de n. e, traite de la résurrection (המתים הבא) et du monde futur (תחית dans un (עולם passage essentiel:

44. BR, 1,3. 45. Voir COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 551-568. 46. Voir les récits de la mort de Moïse, où l’ange de la mort, même quand il est décrit

comme une entité malveillante, exécute toujours les ordres divins (ARN, A, 12; ARN, B, 25; DR, 11,10).

47. BR, 9,5-11. 48. Voir le grand classique d’I. LÉVI, Le péché originel dans les sources anciennes

juives, Paris, 1909. 49. BR, 96, ed. THEODOR-ALBECK, t. 3, p. 1237 (ms du Vatican). 50. ‘AÒmam vient de ‘eÒem, qui va prendre, dans l’hébreu philosophique médiéval, la

signification d’essence. Il est possible que cet usage soit anticipé par notre texte.

440 J. COSTA

[Tout Israël a part au monde futur, ainsi qu’il est dit: ‘Et ton peuple, tous des justes, possédera la terre pour toujours, rejeton de mes plantations, œuvre de mes mains pour me louer’ (Is 60,21)] et (voici) ceux qui n’ont pas part au monde futur: celui qui dit qu’il n’y a pas de résurrection des morts [à partir de la Tora] et que la Tora ne vient pas du ciel ainsi que l’épicurien51.

Selon le principe «mesure pour mesure», celui ne croit pas dans la résurrection est privé de l’accès au monde futur, qui est le monde de la résurrection. On peut presque dire que celui qui ne croit pas en la résur-rection n’est plus vraiment considéré comme juif52. La Mishna ne dit en revanche aucun mot sur l’immortalité de l’âme. L’hébreu rabbinique ancien ne dispose d’ailleurs d’aucune expression correspondant au fran-çais «immortalité de l’âme». Le reste du corpus rabbinique donne éga-lement à la résurrection une place essentielle53.

Notre conclusion ne peut être que nuancée. Sur le point 2 (la centralité de la résurrection), les rabbins comme le Nouveau Testament ont la même orientation. Sur le point 1 (la conception de l’homme et de la mort), les différences sont plus notables. Le corpus rabbinique semble avoir intégré des éléments platoniciens assez nombreux dans son anthro-pologie et dans sa conception de la mort, même si ces éléments n’ont pas acquis une position véritablement dominante. On ne peut donc dire de manière sommaire qu’il n’y a pas d’immortalité de l’âme dans le corpus talmudique.

IV. LA PLACE DU JUDAÏSME DANS L’ÉTUDE D’O. CULLMANN

Quelle est la place précise qu’occupe le judaïsme dans l’étude d’O. Cullmann? On peut la supposer essentielle, puisque le rejet de

51. M, Sanhedrin, 10,1. Les expressions entre crochets sont absentes des meilleurs manuscrits.

52. Cette lecture identitaire de la Mishna est particulièrement renforcée, si l’on consi-dère le principe «tout Israël a part au monde futur» comme partie intégrante de son texte. Voir J. NEUSNER, Was Rabbinic Judaism Really «Ethnic», in CBQ 57 (1995) 281-305, pp. 284.286: la Mishna donne une véritable définition d’Israël qui est l’ensemble de ceux qui croient dans le monde futur et qui y ont une part. Nous avons proposé de lire l’exclusion du monde futur comme une exclusion du peuple d’Israël, dans J. COSTA, L’identité juive à l’époque des tanna’im (40-200 de notre ère): Nouvelles perspectives, in N. BELAYCHE – S.C. MIMOUNI (eds.), Entre lignes de partage et territoires de passage: Les identités religieuses dans les mondes grec et romain, Paris – Louvain, 2009, 348-353. Pour une interprétation opposée à la nôtre, voir L. SCHIFFMAN, Who Was a Jew?, Hoboken, 1985, p. 46.

53. Voir COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 133-308.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 441

la doctrine grecque de l’immortalité de l’âme suppose la valorisation de la dimension juive de l’eschatologie du Nouveau Testament54. En fait, la réalité est plus mitigée. Quand O. Cullmann décrit la concep-tion néo-testamentaire de la mort, tout particulièrement celle qui caractérise Jésus, c’est bien la conception de la mort que l’on trouve dans la Bible hébraïque, c’est-à-dire celle d’une mort qui coupe de Dieu. La mort est l’ennemi par excellence. O. Cullmann dit explicite-ment: «Ici, apparaît l’abîme entre la pensée grecque d’une part et la foi juive (nous soulignons) et chrétienne d’autre part»55. La note 1 fustige l’ouvrage de J. Leipoldt où la conception chrétienne est rap-prochée de celle des Grecs et considérée comme différente de celle des juifs. Plus loin dans le texte, on peut lire: «la foi en la résurrection présuppose le lien que le judaïsme établit entre la mort et le péché»56. Concernant l’anthropologie du Nouveau Testament, O. Cullmann se réfère aussi explicitement au judaïsme: «La conception juive (nous soulignons) et chrétienne de la création exclut tout dualisme grec entre corps et âme» ou encore «L’anthropologie du Nouveau Testament n’est pas l’anthropologie grecque; elle se rattache plutôt à l’anthropo-logie juive»57.

Dans sa description de la mort comme dans celle de l’anthropologie, O. Cullmann se réfère donc au judaïsme biblique. Qu’en est-il du judaïsme intertestamentaire et rabbinique? Deux notes mentionnent la littérature de Qumran. La première rappelle que «la branche du judaïsme (c’est-à-dire le judaïsme qumranien, notre commentaire) à laquelle le christianisme se rattache plus particulièrement est influencée par l’hellénisme»58. Ces éléments hellénistiques, présents dans le Nouveau Testament, ne sont cependant jamais en position de modifier radicale-ment son anthropologie et ses représentations eschatologiques. Une deuxième note insiste sur la différence entre Jésus et le maître de justice. La foi dans un maître déjà ressuscité distingue les chrétiens des juifs de Qumran. La description que fait O. Cullmann de la mort comme une puissance personnifiée, qui constitue l’ennemi de Dieu (et pas unique-ment l’ennemi de l’homme) a des accents dualistes qui rappellent les textes apocalyptiques juifs, même s’il ne les mentionne pas explicite-ment.

54. Voir NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), p. 219: O. Cullmann suppose que la conception chrétienne est peu ou prou identique à la conception juive.

55. CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), p. 31. 56. Ibid., p. 37. 57. Ibid., p. 41. 58. Ibid., p. 21, n. 3.

442 J. COSTA

Le judaïsme rabbinique n’apparaît qu’une fois et de manière indirecte, dans une longue note consacrée au commentaire de la célèbre phrase de Jésus sur la croix: «Aujourd’hui, je te le dis: Tu seras avec moi dans le paradis»59. La note est d’une très grande subtilité exégétique et mériterait un commentaire approfondi. Nous nous limiterons au constat principal énoncé par O. Cullmann: «Il faut interpréter ce logion à la lumière de Luc 16,23 et des conceptions du judaïsme tardif concernant le ‘paradis’ comme endroit des bienheureux». O. Cullmann renvoie ensuite à deux grands classiques de langue allemande: le Kommentar de Strack-Biller-beck et l’ouvrage de P. Volz sur l’eschatologie juive. Les textes cités par Strack-Billerbeck et P. Volz sont des traditions rabbiniques sur le sort des justes dans l’au-delà60. En d’autres termes, le paradis que Jésus pro-met au larron est bien celui de l’au-delà, immédiatement après la mort61.

Au terme de cette brève description, il est possible de faire quelques remarques:

(1) Dans sa réflexion sur la mort telle que la perçoit le Nouveau Testament, O. Cullmann insiste sur le fait qu’elle frappe tout autant le corps que l’âme. Comme il attribue par ailleurs la conception néotesta-mentaire de la mort à la Bible hébraïque, on devrait trouver dans cette même Bible la croyance en la mortalité de l’âme. Si certains textes bibliques peuvent être interprétés dans ce sens et l’ont été de longue date, il serait réducteur de ramener toutes les traditions bibliques sur l’au-delà à cette croyance62. Comme le souligne B. Lang dans un article qui part du travail même d’O. Cullmann, la Bible hébraïque connaît plusieurs courants de pensée en matière eschatologique. B. Lang insiste sur les trois courants suivants:

1. La survie du mort dans un monde souterrain, le Shéol. Ces morts font l’objet d’un culte des ancêtres et sont perçus comme puissants;

59. Ibid., pp. 67-68, n. 1. 60. H.L. STRACK – P. BILLERBECK, Kommentar zum neuen Testament aus Talmud

und Midrasch, 6 vol., Munich, 1922-1966 (t. 2, p. 228); P. VOLZ, Die Eschatologie der jüdischen Gemeinde, Tübingen, 1934, p. 265.

61. Sur les parallèles existants du récit de Lc 16,19-31, dans la littérature égyptienne et talmudique, voir l’étude plus récente de R. BAUCKHAM, The Fate of the Dead: Studies on the Jewish and Christian Apocalypses, Leyde, 1998, pp. 95ss.; et COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 369-374.

62. Pour les traditions bibliques allant dans le sens de la mortalité de l’âme, voir Qo 3,19-21; 9,5; Ps 146,4 et les traditions sur le Shéol ou le sommeil des morts. U. DA COSTA (Exame das tradições farisaicas conferidas com a lei escrita contra a immortalidade da alma, Amsterdam, 1623), a soutenu que la Bible ignore la doctrine de l’immortalité de l’âme. La même thèse est actuellement défendue par les Témoins de Jéhovah: voir, par exemple, L’humanité à la recherche de Dieu, New York, 1990, pp. 125-128.224-225.356.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 443

2. Les morts sont des ombres, semblables à celles qui peuplent l’Hadès grec;

3. La montée au ciel de certains personnages particulièrement émi-nents (Hénoch, Élie), perspective que certains Psaumes généralisent à l’ensemble des justes (Ps 49 et 73)63.

(2) Il est un point clair dans l’exposé d’O. Cullmann, mais que tous ses lecteurs n’ont pas toujours suffisamment perçu: l’eschatologie du Nouveau Testament n’est pas semblable avant et après la résurrection de Jésus. Avant, c’est la mortalité de l’âme. Après, c’est une survie de l’âme, qui va rejoindre Jésus ressuscité et monté au ciel, en attendant la résurrection corporelle à la fin des temps. Même si O. Cullmann ne parle pas en ces termes, il y aurait comme deux judaïsmes: un judaïsme d’avant la résurrection de Jésus qui ignore l’existence de l’au-delà et un judaïsme d’après la résurrection de Jésus qui croit en un au-delà: le judéo-christianisme. Cette présentation est à l’évidence problématique. Le judaïsme d’avant la résurrection n’ignorait pas la notion de survie. Comme nous l’avons souligné plus haut, elle existe déjà dans la Bible et elle est également bien attestée dans les strates les plus anciennes de la littérature intertestamentaire ainsi que dans les apocalypses juives, contemporaines du Nouveau Testament64. On peut donc se demander si la foi en un Messie ressuscité et monté au ciel a vraiment modifié la conception de l’au-delà des judéo-chrétiens par rapport à celle des autres juifs. Il est assez paradoxal que l’image du sommeil, si anciennement attestée dans le judaïsme biblique, exprime pour O. Cullmann l’idée radi-calement neuve d’une survie dans l’au-delà auprès de Jésus. L’interpré-tation d’O. Cullmann pose un deuxième problème. Si la résurrection de Jésus est effectivement l’élément central qu’il décrit, elle devrait scinder les textes eschatologiques du Nouveau Testament en deux périodes, celle de l’avant-résurrection et celle de l’après-résurrection, un peu à la manière dont les sourates du Coran sont divisées en sourates mecquoises et sourates médinoises. Or, comment comprendre alors la déclaration de Jésus au bon larron, déjà évoquée plus haut? Au moment de la croix, Jésus n’est pas encore ressuscité et sa pensée devrait être conforme à celle d’un juif de l’époque, marquée par l’angoisse de la mort et l’absence de survie. Or, Jésus promet au larron le paradis immédiat! O. Cullmann est conscient du problème:

63. B. LANG, Leibliche Auferstehung und ewiges Leben? Das biblische Jenseits in neuer Sicht, in Bibel und Kirche 49 (1994) 2-10, pp. 3-4.

64. C’est l’essentiel du propos de NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), pp. 219-227.

444 J. COSTA

Le Christ lui-même n’est pas encore ressuscité au moment indiqué par ‘aujourd’hui’ et … il n’a donc pas encore posé le fondement de cette ‘com-munion des morts avec lui’65.

sans vraiment le résoudre. Le problème est plus vif encore dans son interprétation du fameux récit de Lazare et du riche. Pour O. Cullmann, c’est encore une description de l’au-delà, tel qu’il se présente pour le juste qui va rejoindre Jésus. Or, cette description est elle aussi mention-née avant la résurrection de Jésus et parle de surcroît du sein d’Abraham. O. Cullmann voit dans le même texte une tradition semblable à celles qui caractérisent le judaïsme tardif, c’est-à-dire rabbinique. Comment com-prendre qu’une tradition d’une telle nature soit déjà présente dans le Nou-veau Testament? Comment un texte censé parler de l’au-delà ouvert par le Messie judéo-chrétien peut-il être rapproché de traditions rabbiniques sur l’au-delà, où la foi en ce Messie est par définition absente?

(3) Un point ne peut pas manquer de frapper le lecteur d’O. Cullmann. L’anthropologie du Nouveau Testament ou encore sa conception de la mort est mise en relation avec le judaïsme. La doctrine de la résurrection est en revanche constamment définie comme chrétienne, sans qu’O. Cullmann mentionne son origine juive ou les formes qu’elle a pu revêtir dans les écrits juifs contemporains du Nouveau Testament ou plus tardifs. Il est vrai que le texte d’O. Cullmann date de la fin des années cinquante où la prise en compte de la dimension juive de telle ou telle croyance néo-tes-tamentaire est loin d’être systématique. O. Cullmann accorde par ailleurs une grande importance à l’expression «corps spirituel», par laquelle Paul désigne le corps ressuscité66. J. Daniélou voit dans le corps spirituel une notion qui distingue radicalement le christianisme paulinien de toute autre forme de judaïsme, y compris le judéo-christianisme67. En répon-dant aux sadducéens en Mt 22,30, Jésus aurait également critiqué l’ap-proche «matérialiste» qu’avaient les pharisiens de la résurrection et défendu une conception nouvelle de cette croyance68. Le judaïsme rabbi-nique, héritier des pharisiens, serait lui aussi «matérialiste» sur le plan de ses croyances eschatologiques69. La thèse qui voit dans le corps spiri-

65. CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), p. 68, n. 1 (suite). 66. Ibid., pp. 52-65. 67. J. DANIÉLOU, La Résurrection, Paris, 1969, pp. 95-96. 68. Voir, par exemple, STRACK-BILLERBECK, Kommentar (n. 60), sur Mt 22,30: la

question des sadducéens reflète les croyances courantes sur la résurrection à l’époque de Jésus.

69. Sur le matérialisme eschatologique des rabbins, voir STEMBERGER, Zur Auferste-hungslehre (n. 30), pp. 80.83.

CULLMANN ET LES SOURCES RABBINIQUES ANCIENNES 445

tuel une doctrine propre aux chrétiens est en fait difficile à soutenir. Les traditions eschatologiques des rabbins sont loin d’être toutes «matérialistes»70. Certains textes soulignent que le principe vital qui anime le corps ressuscité diffère de celui qui animait le corps terrestre71. Le corps spirituel de Paul est en fait un corps glorieux, c’est-à-dire un corps de lumière. L’idée que les anges ont des corps de lumière et que les justes auront un corps semblable dans le monde futur est attestée par les rabbins72. On peut ajouter que tout le christianisme du Ier siècle est judéo-chrétien et que la doctrine du corps spirituel de Paul l’est tout autant que les approches plus «matérialistes» d’autres judéo-chrétiens. En fait, comme le souligne G. Stemberger, les deux conceptions de la résurrection (l’une «matérialiste», l’autre plus «spirituelle») existaient déjà dans la littérature intertestamentaire et on les retrouve l’une et l’autre dans la littérature rabbinique73. L’emploi du terme «matérialiste» mérite également une certaine critique, car il a un caractère philosophique très marqué, qui le rend peu adéquat pour décrire la pensée des pharisiens ou des rabbins de l’Antiquité. Faut-il entendre par matérialiste le fait que le corps ressuscité est encore pourvu de besoins matériels (nourriture, bois-son, sexualité) ou qu’il revient à l’identique, de manière à permettre la reconnaissance du mort? Ces deux conceptions sont en tout cas bien présentes dans les parties finales de deux Évangiles (Lc 24, Jn 20). Il aurait été intéressant de savoir si O. Cullmann est plus proche de J. Daniélou ou de G. Stemberger sur le «matérialisme» des rabbins en matière de résurrection. Son insistance sur le caractère chrétien de la résurrection le rapproche a priori de J. Daniélou, mais il faut se garder de toute conclusion hâtive, car O. Cullmann insiste aussi sur la différence fondamentale qui sépare la notion de corps spirituel de celle d’âme immortelle74. Le corps spirituel n’étant pas compréhensible dans un cadre mental grec serait donc à situer plutôt du côté du judaïsme.

(4) En guise de conclusion à cette liste de remarques, nous souhaite-rions revenir sur un point que l’étude d’O. Cullmann, certainement trop

70. Voir ibid., pp. 80-88; COSTA, Au-delà et résurrection (n. 2), pp. 287-294. 71. Voir, par exemple, BR, 14,8 et TB, Îagiga, 12b. 72. Voir TB, Berakhot, 17a et Îagiga, 14a. Les rabbins vont même jusqu’à attribuer

un corps lumineux à Dieu lui-même: voir A. GOSHEN GOTTSTEIN, The Body as Image of God in Rabbinic Literature, in HTR 87 (1994) 171-195.

73. STEMBERGER, Zur Auferstehungslehre (n. 30), p. 85. 74. Voir, par exemple, CULLMANN, Immortalité de l’âme (n. 1), p. 41: pour le disciple

de Platon, le corps est beau quand il laisse transparaître un principe immatériel: l’âme; pour le Nouveau Testament, le corps est beau quand il laisse transparaître un autre corps et qu’il est l’ombre d’un corps meilleur: le corps spirituel.

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théologique et pas assez historique, a fortement négligé: l’existence d’une pluralité de judaïsmes, eux-mêmes caractérisés par une pluralité interne75. Après 70 et plus nettement encore après 135, le judaïsme en terre d’Israël se divise en trois groupes fondamentaux: le judaïsme rabbinique, le judaïsme chrétien (ou judéochristianisme) et le judaïsme synagogal ou helléniste76. Ce dernier groupe serait peut-être le plus important, si l’on en croit certains travaux récents77. Chacun de ces groupes a une eschato-logie propre. Comme O. Cullmann l’a démontré à partir des écrits néo-testamentaires, le groupe judéo-chrétien adhère à la doctrine de la résur-rection. Il en est de même pour le groupe des juifs de tendance rabbinique. Il est fort probable qu’il en allait autrement pour le troisième groupe, celui des juifs hellénisés, qui croyait plutôt en l’immortalité de l’âme, à la manière platonicienne78. Cette tendance est bien présente dans la littéra-ture de l’époque du Second Temple et n’a pas disparu par la suite79. Encore faut-il considérer ce constat avec prudence, car chacun de ces judaïsmes est trop pluriel, pour être identifié à un modèle eschatologique unique. Ainsi, si les judéo-chrétiens, c’est-à-dire les premiers chrétiens, sont nombreux à parler de résurrection, ils sont loin de donner tous le même sens à ce mot. Certains sont convaincus que le corps ne peut être sauvé et qu’il n’y a de résurrection que spirituelle. Ils sont encouragés en ce sens par des propos de Jésus (Mc 12,25) ou de Paul (1 Cor 15,50) et peut-être leur démarche est-elle dans la continuité de certains passages

75. NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), pp. 222-223, fait un reproche semblable à O. Cullmann et il suppose qu’il est possible de l’étendre à son approche trop monolithique du Nouveau Testament. On peut être plus affirmatif: le Nouveau Testament étant un corpus juif (judéo-chrétien) est par définition lui aussi marqué par la pluralité des judaïsmes et des conceptions eschatologiques juives.

76. Voir sur ce point S. MIMOUNI, Le judaïsme ancien du VIème siècle avant notre ère au IIIème siècle de notre ère: Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 530. Nous remercions vivement S. Mimouni de nous avoir communiqué plusieurs chapitres de son livre, en cours de rédaction.

77. Voir d’abord et surtout S. SCHWARTZ, Imperialism and Jewish Society: 200 B.C.E. to 640 C.E., Princeton – Oxford, 2001, pp. 103-176.

78. Dans la suite de notre propos, l’expression «immortalité de l’âme» est employée dans ce sens bien précis.

79. Pour l’époque du Second Temple, voir NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), pp. 221-222. Les ouvrages concernés sont la Sagesse de Salomon et 4 Macchabées, mais aussi 1 Hénoch (103–104), le Livre des Jubilés (23) et le Testament d’Aser. De manière plus générale, NICKELSBURG (ibid., p. 223) estime qu’O. Cullmann a trop minoré la dimension hellénistique des textes intertestamentaires et chrétiens. Les frontières entre ce qui est grec et ce qui est juif ne sont d’ailleurs pas toujours aisées à tracer. Concernant les années 70 à 500 de notre ère, E. Goodenough a soutenu que les juifs hellénisés croyaient en l’immor-talité astrale, en se fondant essentiellement sur l’interprétation de l’art juif à la lumière des écrits de Philon, sans négliger les apports de la littérature rabbinique. Voir, par exemple, de cet auteur: Jewish Symbols in the Greco-Roman Period. Edited and abridged by J. NEUSNER, Princeton, 1992, pp. 116-173, tout particulièrement pp. 161-168.

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hénochiens (1 Hénoch 103–104)80. L’utilisation de l’allégorie leur permet de nier le caractère charnel de la résurrection. Même quand ils conservent encore l’expression de «résurrection de la chair», ils entendent plutôt par là l’immortalité de l’âme, c’est-à-dire la montée immédiate et définitive de l’âme au ciel, après la mort81. Certes, le «chrétien» Justin et le «juif» Tryphon s’entendent, dès le IIe siècle, sur le caractère charnel de la résur-rection et c’est bien la croyance en la résurrection de la chair qui s’impo-sera comme l’orthodoxie dans le christianisme. Il n’en est pas moins exact que certains judéo-chrétiens ont des affinités évidentes avec les juifs hel-lénisés sur les questions eschatologiques et qu’ils privilégient la croyance en une résurrection qui se confond avec l’immortalité de l’âme. Même si la situation est a priori beaucoup plus nette pour le judaïsme rabbinique, on peut se demander si elle l’est entièrement. Cette fois, ce n’est pas le terme de résurrection qui serait habilement réinterprété, mais celui de monde futur, qui est synonyme, pour la grande majorité des rabbins, de monde de la résurrection. Ainsi l’amora babylonien Rab (220-250) affirme:

Il ne (sera) pas comme le monde présent, le monde futur! Le monde futur, il n’y aura en lui ni nourriture, ni boisson, ni sexualité, ni commerce, ni jalousie, ni haine, ni dispute, mais les justes (seront) assis, leurs couronnes sur leurs têtes et ils se nourriront de l’éclat de la Shekhina, ainsi qu’il est dit: ‘Ils virent Dieu, ils mangèrent et ils burent’ (Ex 24,11)82.

Comment comprendre cette déclaration? On peut partir du principe que Rab fait bien référence à la résurrection charnelle, mais que le corps ressuscité diffère profondément du corps ordinaire. Il n’est plus travaillé par les besoins organiques, le désir sexuel, les passions. Il est un corps de lumière, semblable au corps spirituel paulinien, tel que l’a compris «l’orthodoxie». On peut cependant émettre une autre hypothèse de lec-ture: Rab emploierait l’expression «monde futur» et l’imagerie de la lumière pour désigner un au-delà fondamentalement incorporel, où se rend l’âme après la mort, pour y vivre éternellement auprès de Dieu. Cette lecture, un des plus grands penseurs juifs du Moyen Âge l’a faite: il s’agit de Maïmonide83. Or, il n’est pas évident qu’elle soit forcée et

80. NICKELSBURG, Resurrection (n. 3), p. 221, parle, à propos de ce passage, de «résur-rection des esprits», dénuée à première vue de toute dimension corporelle.

81. Voir JUSTIN, Dialogue avec Tryphon, 80,5; PSEUDO-JUSTIN, Sur la résurrection, 2; IRÉNÉE, Contre les hérétiques, 5,9,1; TERTULLIEN, Sur la résurrection, 19,2 et 30,1; l’ou-vrage gnostique intitulé Traité sur la résurrection, 45,31-39; 47,6-8; 48,5-6; ainsi que l’étude d’O. LEHTIPUU, publiée dans le présent recueil.

82. Talmud Babli, Berakhot, 17a. 83. Sefer ha-madda‘, Hilkhot Teshuba, 3.

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qu’elle rate le vrai sens d’une tradition rabbinique, par désir de confor-mité avec la philosophie grecque. L’opinion de Rab est peut-être le signe que le judaïsme rabbinique n’était pas si unanime dans le lien qu’il établit entre monde futur et résurrection charnelle et que les ponts n’étaient pas entièrement rompus avec le troisième groupe des juifs hellénisés.

V. CONCLUSION

Dans cette conclusion, nous nous proposons d’élargir notre perspective sur un plan conceptuel comme historique. Trois thèses se dégagent de l’exposé d’O. Cullmann:

1. Le Nouveau Testament ne connaît qu’une seule doctrine eschatolo-gique, celle de la résurrection des morts.

2. L’interprétation du Nouveau Testament a perdu de vue cette évi-dence massive pour valoriser une autre doctrine eschatologique, celle de l’immortalité de l’âme. Les théologiens chrétiens se sont efforcés d’articuler la doctrine de la résurrection avec celle de l’im-mortalité de l’âme, dans des constructions intellectuelles souvent complexes. Certains d’entre eux ont été aussi tentés de renoncer à la résurrection, pour ne garder que l’immortalité de l’âme.

3. O. Cullmann estime nécessaire de revenir à ce qu’affirment vrai-ment les textes.

Dans une certaine mesure, on peut dire que ces trois éléments se retrouvent dans le cadre du judaïsme rabbinique:

1. Sur la centralité de la résurrection dans le corpus rabbinique, nous renvoyons à la fin de notre troisième partie.

2. Au cours de son évolution, l’eschatologie rabbinique a donné une place de plus en plus importante à l’immortalité de l’âme, ce qui s’est fait aux dépens de la doctrine de la résurrection. Une des pre-mières étapes de cette évolution se trouve vraisemblablement dans un texte peu connu, cité dans le Midrash TanÌuma (IXe siècle):

I. ‘Et l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné’ (Qo 12,7). Quel est cet esprit qui retourne à Dieu qui l’a donné? Ce sont les esprits des justes, des hommes pieux et de ceux qui ont fait pénitence, ils se tiennent devant sa Face, dans la hauteur la plus grande, (ils jouissent) de la vie qui ne com-porte plus en elle de mort et du bien qui ne comporte plus en lui de mal.

II. C’est ce qui est écrit dans la Tora: ‘Ainsi tu auras (en récompense) le bien (et la pérennité)’ (Dt 22,7) pour l’éternité (לעולם). Nous apprenons par la tradition que ‘Ainsi tu auras (en récompense) le bien’ (signifie) un

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monde où le bien règne sans partage (עולם שכולו טוב) et que la ‘pérennité’ (signifie) un monde éternel (ארוך שכולו Et le salaire des justes est .(עולם qu’ils mériteront de vivre pour le bien. Heureux l’homme qui mérite (de jouir) du bien et de la joie: le Lieu lui accorde la faveur de se réjouir dans (ce bien) avec les justes.

III. Les premiers Sages nous ont déjà fait connaître le fait qu’il n’est pas dans le pouvoir de l’homme d’émettre des explications et des paroles à propos de ce bien de la vie du monde futur: il ne connaît pas sa grandeur, sa beauté et sa nature réelle, car il n’a pas d’équivalent et rien ne lui res-semble et n’est à son image, c’est ainsi que parle l’Écriture: ‘Aucun œil ne l’a vu, excepté toi, Dieu. Il l’a fait pour celui qui espère en lui’ (Is 64,3) …

IV. Et c’est cela que nos Sages appellent le monde futur, mais pas dans le sens où il n’existerait pas actuellement, mais (au sens où) pour nous qui en ce jour sommes dans le monde présent, il est à venir. C’est pourquoi on dit: ‘monde qui vient’ après que l’homme a quitté le monde présent. Et celui qui dit: le monde présent est détruit et ensuite vient le monde futur est dans l’erreur (לא הדבר כן), en fait (il faut comprendre par ‘à venir’) que les justes, une fois qu’ils partent du monde (présent), montent aussitôt (dans les cieux) et se tiennent (ensuite) dans cette hauteur84.

Le texte comporte quatre étapes importantes. La première section traite de la vie après la mort. Le verset de Qo 12,7 ferait allusion à l’âme du juste qui survit à la mort du corps et se rend dans le ciel, où elle se retrouve dans l’immédiate proximité de Dieu. Les deux sections suivantes décrivent la condition de l’âme séparée: elle vit désormais dans un monde parfait, éternel et qu’il est impossible de se représenter. C’est au niveau de ces sections que se produit un premier glissement. Comme le dit le texte lui-même, ce sont les Sages du Talmud qui ont parlé de ce monde parfait, éternel et que l’on ne peut se représenter. Cependant, le texte ne dit pas que ces attributs, dans les traditions talmudiques, ne concernaient pas le monde de l’au-delà, mais celui de la résurrection. La prépondérance de l’au-delà sur la résurrection est plus encore soulignée dans la dernière section du texte. Celui-ci utilise l’expression «monde futur». Pour les rabbins de l’époque talmudique, le monde futur est le monde de la résurrection, qui succèdera à notre monde à la fin de l’histoire, au moment de l’arrivée du Messie. Or, le texte rejette cette lecture traditionnelle: le monde futur n’est pas une réalité his-torique à venir, il est déjà là, il se confond avec l’au-delà. La renaissance d’une philosophie juive en terre d’islam, qui n’est certainement pas étrangère au midrash que nous venons de citer, a eu d’importantes conséquences dans le domaine eschatologique: le

84. MTa, Wa-yiqra, 8.

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caractère corporel de la rétribution est fortement atténué et la doc-trine de l’immortalité de l’âme occupe une place centrale. Pour Sa‘adya Ga’on (882-942), la rétribution future concerne l’homme ressuscité, son âme comme son corps et elle se déploie dans le temps et l’espace, même s’ils sont différents des nôtres. Le carac-tère incorporel de la rétribution est beaucoup plus marqué chez des penseurs néo-platoniciens comme Abraham bar Îiyya (vers 1130) et Yosef Ibn ∑addiq (mort en 1149). Le premier juxtapose tout simplement la rétribution de l’âme dans un au-delà immatériel avec la résurrection, sans y voir de contradiction majeure. Le deuxième considère qu’après avoir joui de la récompense immatérielle, les justes ressuscitent au moment de l’ère messianique et ne meurent plus. Selon David ben Marwan al-MuqammaÒ, dire que la rétribu-tion est entièrement spirituelle revient à nier la résurrection des morts85. Comme l’extrait du Midrash TanÌuma, Maïmonide sou-tient que le «monde futur» est un monde purement immatériel, où se rend l’âme après la mort. Il est possible que Maïmonide ait aban-donné toute croyance en la résurrection des morts. Certains de ses contemporains ont compris ainsi ses écrits. Maïmonide s’en est défendu dans son Épître sur la résurrection des morts. Il a d’ail-leurs fait de la résurrection son treizième principe de foi, sans men-tionner explicitement l’immortalité de l’âme, qui est cependant sous-entendue dans le onzième principe, celui de la rétribution dans le monde futur. En apparence, le système de Maïmonide articule donc les deux croyances86.

3. Il est possible que la conception maïmonidienne du monde futur ait imprégné l’esprit de certains érudits et qu’un retour aux textes soit nécessaire. Ainsi, un certain nombre de textes de l’époque des tan-na’im (40-200 n.e), contenant les expressions «monde futur» (עולם לבוא) «et «temps futurs (הבא sont habituellement compris ,(עתיד comme faisant référence à l’au-delà. Or, P. Schäfer a montré qu’ils concernent en fait le monde de la résurrection ou qu’ils sont au moins ambigus87. La conclusion de P. Schäfer est sans appel: il

85. Voir Emunot we-de‘ot, 9 et G. VAJDA, Introduction à la pensée juive du Moyen Âge, Paris, 1947, pp. 59.102.108-109, ainsi que La philosophie et la théologie de Joseph Ibn Çaddiq, in Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 17 (1949) 93-181, pp. 174-178.

86. Pour une présentation de l’eschatologie maïmonidienne, voir M.D. RABBINOVITZ, Rabbenu Moshe ben Maymon, Iggerot, Jérusalem, 1977, pp. 199-202.

87. P. SCHÄFER, Die Lehre von den zwei Welten in 4. Buch Esra und in der tannaiti-schen Literatur, in Studien zur Geschichte und Theologie des rabbinischen Judentums, Leyde, 1978, 244-291.

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n’existe aucun texte tannaïtique explicite, où les expressions «monde futur» et «temps futurs» se réfèrent explicitement à l’au-delà. P. Schäfer serait donc revenu à la réalité des textes rabbi-niques anciens, dont le lexique concerne bien le monde de la résur-rection et manifeste une certaine indifférence au monde de l’au-delà.

En fait, chacun des trois points que nous venons de mentionner méri-terait d’être nuancé, à commencer par les textes étudiés par P. Schäfer: les rabbins qui semblent désigner l’au-delà par le terme de «monde futur» ou qui emploient ce terme de manière suffisamment ambigüe pour ouvrir cette possibilité de lecture ne sont-ils pas des partisans masqués de l’immortalité de l’âme? Il serait également intéressant de montrer le sort contrasté qu’ont connu deux thèses maïmonidiennes, celle de l’incor-poréité de Dieu, devenue canonique dans le judaïsme et celle d’une eschatologie centrée sur l’immortalité de l’âme, qui ne l’a jamais emporté. Ce sera l’objet d’une autre étude.

Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle José COSTA

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