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GRELOT 2014-2015 29 novembre 2014 Atelier de découverte du Bharata Natyam animé par Lydia Cardinal l Comment les arts de la scène orientaux permettent-ils de questionner les pratiques théâtrales occidentales ? Compte rendu Lydia Cardinal – EEMCP2 Lettres pour le réseau Liban / Zone Proche-Orient

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GRELOT 2014-2015

29 novembre 2014

Atelier de découverte du Bharata Natyam animé par Lydia Cardinal

l

Comment les arts de la scène orientaux permettent-ils de questionner les

pratiques théâtrales occidentales ?

Compte rendu

Lydia Cardinal – EEMCP2 Lettres pour le réseau Liban / Zone Proche-Orient

I – Présentation A/ « Le théâtre est oriental », A. ARTAUD

Les travaux et expérimentations de quelques metteurs en scène incontournables

Plusieurs grands metteurs en scène occidentaux ont beaucoup étudié le théâtre asiatique qui renvoie aux temps immémoriaux, quand les arts (théâtre, chant, danse, poésie) étaient encore associés en une forme unique.

Artaud rejette le théâtre psychologique occidental et trouve dans le théâtre balinais une nouvelle forme théâtrale qui est à la fois « physique et plastique ». L’acteur oriental est à appréhender comme un ensemble de signes qui forment un langage à déchiffrer. Le metteur en scène doit alors révéler ce langage où gestes, intonations etc. se substituent au texte. Artaud conteste la vision occidentale du théâtre qui privilégie le langage discursif au détriment du langage scénique.

Meyerhold, qui souhaitait remettre en cause la prédominance du texte pour défendre un « théâtre théâtral », a été très influencé par les théâtres chinois et japonais. « Tous deux accordent une grande importance au mouvement. Mais quand on parle de mouvement, on pense aussitôt par analogie au mouvement de ballet. Et si on cherche un théâtre qui se soit développé à partir des mouvements du ballet, on a le Théâtre Kamernyi. Mais les théâtres chinois et japonais sont très différents de lui : dans leurs mouvements, il y a davantage d’assise réaliste. Leurs mouvements viennent tous de la danse folklorique, la danse où l’homme qui danse, qui marche avec sa palanche dans la rue, ou qui vide un fourgon de sa cargaison en la livrant dans un magasin, considère ces mouvements comme des mouvements de danse, au sens d’une subtile base rythmique. » (« Sur les théâtres chinois et japonais », in Ecrits sur le théâtre, 1992)

I – Présentation A/ « Le théâtre est oriental », A. ARTAUD

Mnouchkine s’est beaucoup inspirée de l’acteur oriental pour questionner les pratiques théâtrales occidentales. Pour elle, le théâtre asiatique est notamment « un garant contre le réalisme ». En effet, le corps est « dessiné », stylisé et ce langage des corps, si peu présent en Occident, serait l’essence même de la théâtralité. « Le Kathakali est - pour reprendre la définition d’Eugenio Barba, - une ‘représentation de contes’, un spectacle dont les épisodes sont exposés par deux chanteurs, et interprétés et amplifiés par des acteurs à l’aide de mimiques, de gestes et de mouvements qui relèvent de l’acrobatie et de la danse. » = le kathakali serait un « spectacle total » (Artaud), qui réunit plusieurs formes d’expressions artistiques.

Antonin ARTAUD, « Le Théâtre Balinais », in Le Théâtre et son double (1938) • Les Balinais, qui ont des gestes et une variété de mimiques pour toutes les circonstances de la vie,

redonnent à la convention théâtrale son prix supérieur, ils nous démontrent l’efficacité et la valeur supérieurement agissante d’un certain nombre de conventions bien apprises et surtout magistralement appliquées. (…) Ces roulements mécaniques d’yeux, ces moues de lèvres, ce dosage de crispations musculaires, aux effets méthodiquement calculés et qui enlèvent tout recours à l’improvisation spontanée, ces têtes mues d’un mouvement horizontal et qui semblent rouler d’une épaule à l’autre comme si elles s’encastraient dans des glissières, tout cela qui répond à des nécessités psychologiques immédiates, répond en outre à une sorte d’architecture spirituelle, faite de gestes et de mimiques, mais aussi du pouvoir évocateur d’un système, de la qualité musicale d’un mouvement physique, de l’accord parallèle et admirablement fondu d’un ton. Que cela choque notre sens européen de la liberté scénique et de l’inspiration spontanée, c’est possible, mais que l’on ne dise pas que cette mathématique est créatrice de sécheresse, ni d’uniformité. La merveille est qu’une sensation de richesse, de fantaisie, de généreuse prodigalité se dégage de ce spectacle réglé avec une minutie et une conscience affolantes. Et les correspondances les plus impérieuses fusent perpétuellement de la vue à l’ouïe, de l’intellect à la sensibilité, du geste d’un personnage à l’évocation des mouvements d’une plante à travers le cri d’un instrument. Les soupirs d’un instrument à vent prolongent des vibrations de cordes vocales avec un sens de l’identité tel qu’on ne sait si c’est la voix elle-même qui se prolonge ou le sens qui depuis les origines a absorbé la voix. Un jeu de jointures, l’angle musical que le bras fait avec l’avant-bras, un pied qui tombe, un genou qui s’arque, des doigts qui paraissent se détacher de la main, tout cela est pour nous comme un perpétuel jeu de miroir où les membres humains semblent se renvoyer des échos, des musiques, où les notes de l’orchestre, où les souffles des instruments à vent évoquent l’idée d’une intense volière dont les acteurs eux-mêmes seraient le papillotement.

• Notre théâtre qui n’a jamais eu l’idée de cette métaphysique de gestes, qui n’a jamais su faire servir la musique à des fins dramatiques aussi immédiates, aussi concrètes, notre théâtre purement verbal et qui ignore tout ce qui fait le théâtre, c’est-à-dire ce qui est dans l’air du plateau, qui se mesure et se cerne d’air, qui a une densité dans l’espace : mouvements, formes, couleurs, vibrations, attitudes, cris, pourrait, eu égard à ce qui ne se mesure pas et qui tient au pouvoir de suggestion de l’esprit, demander au théâtre Balinais une leçon de spiritualité. Ce théâtre purement populaire et non sacré, nous donne une idée extraordinaire du niveau intellectuel d’un peuple qui prend pour fondement de ses réjouissances civiques les luttes d’une âme en proie aux larves et aux fantômes de l’au-delà. Car c’est bien en somme d’un combat purement intérieur qu’il s’agit dans cette dernière partie du spectacle. Et l’on peut en passant remarquer le degré de somptuosité théâtrale que les Balinais ont été capables de lui donner. Le sens des nécessités plastiques de la scène qui y apparaît n’a d’égale que leur connaissance de la peur physique et des moyens de la déchaîner.

Entretien réalisé par Béatrice Picon-Vallin, au Théâtre du Soleil, le 4 janvier 2004 B. P.-V. : Tu as souvent affirmé que le théâtre asiatique était un garant contre le réalisme.

Pourquoi cette répulsion pour le réalisme ? Comment les différentes formes de théâtre asiatique ont-elles pu t’aider à t’en éloigner ? Ariane Mnouchkine : Pour moi, le réalisme, le jeu psychologique n’est pas un art. Hélène Cixous. : C’est vrai que tu es toujours dans la transposition, dans la transfiguration. C’est ce que les arts asiatiques, en tant que langues codées, t’apportent. Ce sont des langues immémoriales, de haute antiquité, qui ne bougent pas. On pourrait se dire que c’est du passé, puisqu’elles ont commencé il y a très longtemps. Mais elles continuent d’exister. En fait, ce qu’elles perpétuent, c’est un présent. Elles n’ont pas d’âge, elles ne peuvent ni vieillir, ni s’altérer. L’âge de ces arts, de ces traductions, c’est toujours le présent, et c’est le thème même du théâtre. Nous n’avons rien de ce genre. Le Nô traduit des passions par un seul geste. Ce que tu es aussi allée chercher là-bas, c’est le premier des langages, le langage du corps, qui a complètement été aboli en Occident. B. P.-V. : On retrouve ici le monde de l’enfance (infans), ce monde où l’on ne parle pas encore, qui est pour toi lié au théâtre. A. M. : Hélène a raison. L’art de l’acteur oriental, c’est celui de trouver le symptôme d’une passion. C’est ce que certains ont oublié en Occident, où l’on cache les symptômes. L’acteur oriental doit trouver la maladie intérieure, c’est-à-dire la passion, ses couleurs, ses contradictions, et son symptôme. Au cours des stages, je dis souvent aux acteurs : “ Il faut faire une autopsie ”. L’acteur doit être comme un mineur qui plonge au fond d’une mine de diamants. Il y fait très chaud, c’est douloureux, dangereux. Mais il ne faut pas oublier que le morceau de charbon ramené à la surface ne sera jamais un diamant s’il n’est pas mis en forme. Il faut le tailler, et cela, c’est oriental. En Occident, on aurait parfois tendance à dire : “ Regardez comme je suis allé chercher mon diamant profondément ”, mais on ne le taille pas. Un acteur oriental, accompagné d’un musicien, avec un tabouret et un bâton de chaman, a tout ce qu’il faut. C’est à nous, spectateurs, de faire le reste. *…+ B. P.-V. : Quelque part tu as dit que ces traditions étaient comme des traces à suivre, et non un moule à imiter. Comment un acteur occidental peut-il faire cela ? A. M. : L’imitation est un exercice important. Il ne faut pas imiter le moule, la croûte, mais il faut trouver le pourquoi du symptôme. Il y a une façon d’imiter qui est caricaturale et méchante, et une autre qui est amicale et qui apporte la connaissance. Les bons imitateurs sont des gens qui aiment ceux qu’ils imitent. Il faut imiter par l’intérieur. Le moule est intéressant, mais il faut ensuite l’oublier. Des traditions orientales, nous n’avons voulu garder que ce qui est absolument universel, et non le code local, ou celui d’une époque. Dans le Kathakali, par exemple, ce ne sont pas les mudras, ce n’est pas l’alphabet qui est important, mais le rapport entre les danseurs et la musique. Quand un acteur balinais entre en scène, ce qui me fait frissonner, ce n’est pas le geste qui ne peut être compris que par certains, mais le rapport au ciel, à la terre, à la musique. Ce que l’on garde, c’est l’élan que va avoir le guerrier avant de s’élancer.

Quelques illustrations

• Le Kathakali : https://www.youtube.com/watch?v=7aaJ0OwV2lc • Mnouchkine, Agamemnon :

https://www.youtube.com/watch?v=fjPiUNbyVsM • Le Bharata Natyam : http://www.youtube.com/watch?v=4n7ByKzVKNA http://www.youtube.com/watch?v=YDk5fd9M0KI (danseuse :Vidhya Subramanian. Spectacle à l’auditorium du Musée Guimet les 5 et 6 décembre 2014. http://www.guimet.fr/fr/auditorium/spectacles/vidhya-subramanian)

I – Présentations B/ Le Bharata Natyam

Définition Le Bharata Natyam est une danse sacrée du sud de l’Inde, à l’origine pratiquée dans les temples hindous par les Devadasis, danseuses qui dédiaient leur vie à la danse et à la divinité du temple auquel elles étaient rattachées. Origines L’enseignement du Bharata Natyam est consigné dans le Natya (= danse, représentation mimée accompagnée de musique et de chant) Shastra (traité, ensemble de règles), qui est considéré comme le 5ème Véda dont l’auteur est Bharata, un sage à qui les Dieux ont demandé de créer le théâtre, alors considéré comme un art total puisqu’il incluait la danse, la musique, le chant, l’art dramatique et la poésie. Ce texte codifie tous les arts de la scène ; il donne des indications très précises concernant la diction, les types de personnages, les déplacements, l’expression des sentiments, la position des mains, le mouvement des yeux, les costumes, le maquillage. Composantes Le Bharata Natyam comporte deux aspects : - Nritta : danse abstraite composée de séquences rythmiques. Les pas, les mouvements de nuque,

les regards, les mains obéissent au rythme de la musique. - Nrittya : danse narrative qui fait appel aux gestes et aux expressions du visage. Elle met en scène

les histoires des différents dieux hindous et fait référence aux grandes épopées indiennes. La danseuse/le danseur doit, par son art, conduire le spectateur au rasa, c’est-à-dire au plaisir esthétique. Tous les rôles sont en général confiés à un(e) seul(e) interprète qui, outre les personnages – divins et humains – , doit aussi signifier les décors.

II – Pratique

A/ L’échauffement Exercices de respiration Exercices d’assouplissement Exercices de frappements de pieds B/ Les rituels ou vers une sacralité de la scène Selon le Natya Shastra, avant tout travail sur scène, il faut nettoyer le théâtre. Avec les élèves : on peut leur demander de préparer l’espace scénique : enlever ce

qui encombre, balayer le sol, etc. Avant tout travail sur scène, il est nécessaire de faire le salut qui peut être glosé

comme suit : « Ô toi, terre mère, que je frappe de mes pieds (sur qui je vais danser), tu es aussi précieuse que la prunelle de mes yeux ; je te salue ô toi divinité, ô toi maître (celui qui a transmis le savoir), ô toi public ». Ce même salut sera fait avant de quitter la scène, une fois le travail terminé.

Avec les élèves : faire silence pour marquer le plus proprement possible l’entrée en scène ; le silence peut être un appui de jeu. On peut aussi leur demander d’inventer leur propre « salut » pour ouvrir et clore les séances.

II – Pratique C/ Les adavus

Définition Un adavu est une unité de base de la danse abstraite. Les adavus appartiennent à différentes familles qui ont pour points communs les mêmes mouvements de pied, accompagnés des mêmes syllabes rythmiques, récitées par le maître. On note par exemple : • Tai yum tat tat tai yum taam • Ta tai tai ta dhit tai tai ta • Tat tai tam dit tai tam Les adavus permettent de travailler l’ancrage dans le sol, nécessaire pour

se déplacer avec puissance et donner de l’épaisseur au mouvement, au déplacement.

Avec les élèves : leur faire prendre conscience de l’importance du contact avec le sol pour avoir des appuis solides, alors que le jeu a souvent trop tendance à ne mobiliser que la partie supérieure du corps.

II – Pratique D/ Les mains et le regard

• Les mudras renvoient au vocabulaire des mains. Ce sont des positions codées et symboliques qui n’ont pas toujours une dimension figurative. Chaque mudra peut avoir plusieurs significations. Les mudras signalent combien chaque partie du corps scénique est dessinée et signifiante. L’énergie doit circuler jusqu’au bout des doigts qui sont pour cette raison toujours en tension. Ils doivent donner l’impression que l’énergie de la danseuse sort par ces extrémités.

Avec les élèves : ne négliger aucune partie du corps lorsqu’on est sur scène. Tout est signifiant et il peut être intéressant de les aider à « dessiner » leur corps jusque dans la position des mains et des doigts. • Les yeux sont importants, notamment pour contribuer à affirmer un déplacement et / ou à dessiner le corps. Ils

sont travaillés au même titre que les autres parties du corps. Il existe d’ailleurs divers exercices pour muscler les yeux.

« là où va la main, l’œil suit ; là où va l’œil, va l’esprit ; là où va l’esprit se trouve le cœur ; là où se trouve le cœur est la réalité de l’être, le siège de l’âme ». Ce « précepte » est fondamental en Bharata Natyam. Chaque geste des mains, chaque mouvement de bras sera appuyé et accompagné par le regard. Cela permet d’être pleinement dans le geste réalisé et de lui donner de l’ampleur, de le grandir. Le regard se révèle donc un moyen pour dessiner le corps et le décor. Avec les élèves : on peut leur demander de fixer un point de l’espace scénique et de donner une existence à ce point qu’on ne doit pas quitter des yeux. Ce qu’on y a vu peur alors susciter plusieurs émotions qu’il convient de traduire par le seul regard/visage. Cet exercice, a priori facile, demande au contraire beaucoup d’entraînement car la pupille ne doit pas bouger et il ne faut pas ciller. Dès qu’on quitte un seul instant ce point, l’effet est rompu, d’où les exercices qui existent pour muscler les yeux.

II – Pratique E/ La danse narrative

• Les Gopis (gardiennes de vaches en sanskrit) se préparent pour un rendez-vous avec Krishna.

Rappel des séquences narratives travaillées

- Une Gopi marche dans la forêt. - Elle aperçoit Krishna au loin et invite ses amies à la rejoindre. Elle

leur montre le beau Krishna qui joue de la flûte. - Les Gopis observent les arbres et les plantes autour d’elles et

cherchent où elles cueilleront les plus belles fleurs. - Elles s’installent au sol, y déposent leurs fleurs avec lesquelles elles

fabriquent une couronne qu’elles nouent autour de leur cou. - Puis elles mettent leurs boucles d’oreilles, leur collier, leurs

bracelets. - Elles se mettent du khôl, se regardent dans le miroir et déposent un

tika sur leur front. - Elles sont alors prêtes à danser pour Krishna. Avec les élèves : alors que le théâtre psychologisant peut être très déstabilisant, voire inhibant pour les élèves, on peut leur demander de « faire », d’impliquer tout le corps pour dire cette émotion au lieu de la ressentir.

III – Bilan et perspectives - Expérimenter les exercices, voire le jeu au sol, peu développé dans le

théâtre occidental. Il faut alors travailler les façons de s’asseoir et de se relever. Ne surtout pas donner l’impression que cela demande un effort.

- Prendre conscience de la force du sol - Travailler sur le souffle, très utile pour signifier certaines émotions comme

la peur, la colère, l’amour (cf le jeu avec la cage thoracique + respiration ample ou saccadée etc.)

- Travailler la coordination jambes, bras, mains, tête, regard. - Travailler sur des enchaînements marche / pause en veillant à insister sur

la netteté des pauses. - Travailler sur le fait de jouer/d’enchaîner plusieurs rôles : comment

signifier le passage d’un rôle à l’autre ?

Prochaine séance : - Supports : des extraits comiques/tragiques - Consignes : styliser les passages en essayant, pour citer Mnouchkine, de « dessiner » les corps = réinvestir les différents éléments travaillés dans le cadre de cet atelier.