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LE STIGMATE : UNE « SECONDE MALADIE » ? Lionel Lacaze ERES | Empan 2012/3 - n° 87 pages 121 à 131 ISSN 1152-3336 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-empan-2012-3-page-121.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lacaze Lionel, « Le stigmate : une « seconde maladie » ? », Empan, 2012/3 n° 87, p. 121-131. DOI : 10.3917/empa.087.0121 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.205.134.47 - 16/12/2012 12h43. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.205.134.47 - 16/12/2012 12h43. © ERES

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LE STIGMATE : UNE « SECONDE MALADIE » ? Lionel Lacaze ERES | Empan 2012/3 - n° 87pages 121 à 131

ISSN 1152-3336

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-empan-2012-3-page-121.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lacaze Lionel, « Le stigmate : une « seconde maladie » ? »,

Empan, 2012/3 n° 87, p. 121-131. DOI : 10.3917/empa.087.0121

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Le stigmate : une « seconde maladie » ?

Lionel Lacaze

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Le psychiatre suisse asmus Finzen(2001) a suggéré que la lutte anti-stig-mate dans le secteur des maladiesmentales suppose la reconnaissance quele stigmate est une « seconde maladie »,non vue et occultée. elle a sa source dansles préjugés, les conceptions erronées àl’égard des troubles mentaux, les consé-quences négatives des traitements et laqualité de vie péjorative des personnesqui en sont affectées. Cette secondemaladie est liée à la réaction sociale et estune cause d’aggravation et d’incapacita-tion sociale.

Prendre la mesure de ce phénomène estcrucial pour lutter contre la stigmatisationà l’égard des personnes affectées detroubles mentaux et à propos de qui onpeut difficilement faire l’économie d’uneffort de clarté conceptuelle et de prise encompte de la nature processuelle et multi-dimensionnelle du phénomène de la stig-matisation. Pour le sociologue BruceLink, un des artisans de la reconfigura-tion de l’« analyse stigmatique »(Leblanc, 1971), les efforts adressés pourcombattre ce phénomène « reposent surnotre habileté à comprendre les processusdu stigmate, les facteurs qui produisent etentretiennent ces processus » (Link,yang, Phelan, Collins, 2004).

à l’inverse, il est diffusé trop souventdans l’espace collectif des versions biai-sées des processus de stigmatisation, ceque le sociologue belge Philippe Viennea récemment dénoncé. Certains usages envigueur actuellement véhiculent unenotion appauvrie, de type journalistique,de la notion de stigmate, où stigmatiserest simplement « jeter le blâme ». C’estun artifice journalistique qui renfermeune euphémisation de phénomènesobservés : des lieux (« cité ») ou despratiques (violence, économie souter-raine…) sont dits stigmatisés. or, il n’ya que les humains en interaction quipeuvent être stigmatisés et pas deschoses. Ces conceptualisations défec-tueuses (Vienne, 2005), non scienti-fiques, omettent aussi de voir le stigmatecomme un processus social relationnel etune conséquence de l’étiquetage d’indi-vidus, de catégories ou de groupes.

erving Goffman (1922-1982), socio-logue membre de la IIe École de Chicago,a importé dans les sciences sociales leterme de « stigmate » pour caractériser la« situation de l’individu que quelquechose disqualifie et empêche d’être plei-nement accepté par la société » (1963-1975), car il s’agit d’« un attribut quijette un discrédit profond. » (1975, p. 13).

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Lionel Lacaze, psychologue clinicien, docteur en psychologie sociale de l’université Lumière-Lyon 2. [email protected]

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Par extension, le processus d’attributiond’un stigmate peut être appelé la stigmati-sation. Dans son ouvrage, Goffman le traiteessentiellement du point de vue de l’inter-action face à face des gens ordinairesconfrontés aux personnes dont l’identité est« entachée » (« spoiled ») par un attributqui jette sur elles un discrédit, et de la façondont, en retour, elles réagissent au regardd’autrui. Goffman a été par la suite, à soncorps défendant, étroitement associé à lathéorie de l’étiquetage, à laquelle il a contri-bué de façon notable avec les notionsd’« institution totale » et de « carrièremorale » (Best, 2004). Créée dans lamouvance de l’interactionnisme symbo-lique, elle affirme que la déviance n’y estpas quelque chose d’inhérent à un compor-tement, mais le résultat d’un processus d’éti-quetage. Le thème de l’étiquetage et soncorollaire, la stigmatisation, sont, au senssymbolique interactionniste, des « conceptssensibilisateurs ». Ils visent à acquérir unerésonance psychosociale au-delà de leurdiscipline mère en interpellant la praxisquotidienne où ils seront reçus et débattus(van den Hoonaard, 1997). Il est attenduqu’ils jouent un rôle dans l’action sociale.

De fait, depuis une quinzaine d’années, leconcept qu’il a créé est devenu une desnotions les plus populaires des scienceshumaines et sociales, et des disciplinesvoisines de la sociologie, la psychologie etl’anthropologie, se le sont approprié, auprix à la fois de certaines réductions etextensions (Major et o’Brien, 2005). Il estaussi devenu un véhicule pour les poli-tiques sociales (stuart, 2003).

Le sociologue Bruce Link (universitéColumbia) et son élève Jo C. Phelan ont étéles artisans de la nouvelle formulation dece champ de recherches sous le vocable de« Théorie de l’étiquetage modifiée », àpartir d’une reconfiguration des thèsesinitiales de l’analyse stigmatique. Les

auteurs rappellent que la notion de stigmatea été posée, dès son origine, par Goffmanen relation avec d’autres concepts. Il voit lestigmate comme une relation entre « unattribut et un stéréotype ». Link et Phelancherchent à étendre ce réseau de relationset inventorient un certain nombre denotions – cinq – reliées à celle de stigmate(Link et Phelan, 2001) : – l’étiquetage (en anglais, le « labelling »)suppose l’apposition d’étiquettes (oulabels) sur une cible ; – le stéréotypage (ou stéréotypisation) estl’application de stéréotypes ; ici, il s’agit« des croyances culturelles dominantes quilient les personnes étiquetées à des carac-téristiques indésirables, des stéréotypesnégatifs » (Link et Phelan, 2001, p. 367) ;– la distance sociale est le processus aucours duquel « les personnes étiquetéessont placées dans des catégories distinctesqui impliquent un degré de séparation entre« eux » et « nous » (ibidem, p. 367) ;– la perte de statut et la discrimination sontdes processus qui impliquent un traitementbasé sur l’iniquité et l’inégalité ; – les relations de pouvoir ont un rôleprééminent et le pouvoir est un agent« essentiel dans la production sociale dustigmate » (ibid.).

La redéfinition du concept de stigmateproposée par les auteurs l’examine commeun processus articulé par les cinq élémentsprécités : « on applique donc le terme destigmate lorsque des éléments d’étique-tage, stéréotypage, distance sociale, pertede statut et discrimination ont lieu concur-remment dans une situation de pouvoir quipermet aux composantes du stigmate dese développer » (ibid., p. 367). Je déve-loppe dans ce qui suit les composantes dustigmate reliées à ces extensions concep-tuelles. s’y ajoute une sixième composanteajoutée ultérieurement, qui implique le rôledes émotions.

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L’ÉTIQUETAGE

Le rôle de l’étiquetage dans les processusde stigmatisation est souvent omis.Cependant, il est important car le label oul’étiquette fait apparaître « comme unequestion ouverte la validité de la désigna-tion » (Link et Phelan, 2001, p. 368). Cequi n’est pas le cas avec les notions « d’at-tribut », « condition » ou « marque ». Cesmots tendent à induire que la chose identi-fiée comme un stigmate est « dans » lapersonne stigmatisée. Comme tel, le risqueest « d’obscurcir (le fait) que cette identi-fication et sélection […] sont le résultatd’un processus social » (ibid.).

à titre d’exemple, I. Clair (2005), dansson étude sur l’étiquetage sexué dans lesbanlieues, parle de l’« institution de l’éti-quette par confirmation de l’être social ».La mauvaise réputation d’une fille s’ac-quiert ici non pas a posteriori, suite à unagir qui transgresse la loi du groupe. aucontraire, « elle se contente d’entérinerpubliquement telle ou telle caractéristiqueattribuée a priori à tel individu en raison deses caractéristiques sociales » (Clair, 2005,p. 53). Ce n’est pas le comportement desfilles dans les cités qui les stigmatisecomme « pute » mais leur apparence ouleur attitude, ne pas avoir de « grand frère »ou leur communauté d’appartenance.

L’auteure note le pouvoir performatif desmots, c’est-à-dire que « l’étiquette a unpouvoir performatif immédiat et définitif »(Clair, 2005, p. 58). La mise en acte del’étiquetage rend vraie la chose décrite,laquelle colle à l’identité de la cible et resteindélébile : l’injure, la diffamation, lemensonge, la rumeur, le stéréotype.

Dans le champ de la psychiatrie, lesétiquettes créées par les spécialistes ne sontpas neutres, et particulièrement le diagnos-tic de schizophrénie qui porte avec lui unpronostic implicite et funeste de chroni-

cité, dangerosité, incurabilité. Les profes-sionnels eux-mêmes développent unstéréotype de cette maladie, contre lesréalités cliniques qui montrent que le tauxde rémission en est de 40 % selon lestravaux d’andreasen (roelandt, 2007).Certains, tel Joan obiols (directeur desservices de santé mentale de la Principautéd’andorre), militent pour changer ce nom,ce qui a été réalisé au Japon depuis 2005.on parle désormais de « trouble de l’inté-gration » (obiols, 2007).

LE STÉRÉOTYPAGE

en psychologie sociale, un stéréotypeindique les idées toutes faites et lescroyances partagées qui sont attachées auxcaractéristiques personnelles, traits oucomportements de certain-e-s individus,catégories ou groupes (Légal et Delouvée,2008).

Goffman établit de fait un lien entre stig-mate et stéréotype : il y a une « relationentre l’attribut et le stéréotype » (1975,p. 14) et cela « parce qu’il existe des attri-buts importants qui, presque partout dansnotre société, portent le discrédit » (ibid.).Les travaux de psychologie sociale expé-rimentale – ceux de John F. Dovidionotamment – sont illustratifs de cettetendance. La définition que cet auteurdonne du stigmate rejoint la notion destéréotype. « Les stéréotypes sont impli-qués dans la stigmatisation dans la mesureoù la réponse du percevant n’est passimplement de nature négative (c’est-à-dire un dédain à l’égard d’une identitédévalorisée) mais vis-à-vis d’un ensemblespécifique de caractéristiques parmi lesgens qui portent le même stigmate »(Biernat et Dovidio, 2000).

Cette conception du stigmate « implique unlabel et un stéréotype, le label associant lapersonne à un ensemble de caractéristiques

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indésirables qui forment ce stéréotype »(Link et Phelan, 2001, p. 368). Cettetendance rejoint les propres travaux deBruce Link, qui a mené en collaborationdes études expérimentales sur le stigmatepsychiatrique. Par exemple, les mass mediavéhiculent une image des personnes hospi-talisées pour troubles mentaux commeviolentes et imprévisibles. Pour contrecar-rer cette vision, il y a nécessité de décons-truire la mystique de la dangerosité absoluedes malades mentaux et de la resituer dansles tendances de la politique criminelle àconfondre malade mental et délinquant (cf.Velpry, 2010). Il s’agit aussi de cerner véri-tablement les faits et d’agir sans sur-stig-matiser et créer de bouc émissaire. Cetravail a été réalisé par Jean-Louis senon etexposé notamment aux Troisièmesrencontres internationales du centre colla-borateur de l’oMs, Stigma ! Vaincre lesdiscriminations en santé mentale, à Nice enjuin 2007.

Cependant, le stigmate ne peut être réduità un stéréotype comme le font quelquesauteurs. Nombre de théorisations du stig-mate voient également uniquement la stig-matisation comme une représentationsociale, au prix de réduire la portée heuris-tique et la dynamique du concept et savaleur de « concept sensibilisateur ».

LA DISTANCE SOCIALE

Fréquemment négligée, cette dimensions’avère déterminante dans les processusde stigmatisation. De nombreux stigmates« connotent une séparation “eux” et“nous” » (ibid., p. 370). Ce processus deséparation est impliqué dans nombre desituations qui font intervenir un contactentre des individus, des catégories et desgroupes stigmatisés et non stigmatisés. Ils’installe entre eux une distance sociale,selon le terme forgé par Bogardus (1925).ainsi dans le champ psychiatrique,

plusieurs auteurs, et notamment estroff(1981), ont relevé comment les maladessont souvent jugés « être la chose qu’ilssont étiquetés ». on parle de personnes quisont « épileptiques », « schizophrènes »,etc., plutôt que de les décrire comme ayantune épilepsie ou éprouvant un épisodeschizophrénique. Cette pratique révèle sacomposante de stigmatisation parce qu’elleinstalle une séparation et une distancesociale.

Toutes les maladies seraient connotées parun stigmate, mais certaines seraient davan-tage stigmatisantes que d’autres (Miles,1981). ainsi, les maladies qui font l’objetd’un quatrième type de stigmate, catégorieajoutée à la taxinomie de Goffman, lesmaladies chroniques, contagieuses et/ou àissue fatale peuvent être considéréescomme produisant un puissant facteur deséparation « eux »-« nous ». Une distancesociale s’établit entre les personnes affec-tées de ce type de maladie (« eux ») et« nous » (indemnes de ces maladies). Cetrait de séparation se retrouve dans lesaffections psychiatriques, lesquelles conno-tent aussi souvent cette séparation « eux »-« nous » (Hinshaw, 2007). Une personnequi a une maladie grave, ou dont on neconnaît pas la cause, est mise dans legroupe antagoniste (« eux ») comme étant« schizophrène », « épileptique », etc. ellese retrouve avec une « identité façonnéepar les stigmatisations » par intériorisationde l’étiquetage.

La séparation « eux »-« nous » est un destraits fondamentaux du stigmate. Dans lesecteur des relations soignantes (et parti-culièrement en psychiatrie), ce trait estconsubstantiel à la création de l’identitéprofessionnelle de soignant. on apprendainsi aux novices (infirmier-e, psycho-logue, médecin) à ne pas s’identifier aupatient, à contrôler leurs émotions, à mettreune distance avec lui, etc. Être un profes-

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sionnel, c’est s’interdire la proximité ettoute symétrie relationnelle avec le soigné.elles ne sont possibles que si elles sontmédiatisées par des attitudes paternalistes,la moquerie, le cynisme ou la condescen-dance. sauf exception, ces distorsions deséchanges entre soignants et soignés sontdes effets pervers des pré-requis del’« ethos » professionnel, agis à l’aveu-glette selon un processus de méconnais-sance sociale.

on peut estimer alors que le stigmate est untrait structural de la régulation morale desprofessions soignantes et, par extension, dela société globale. Dans les professions desanté, il conditionne la structure asymé-trique des échanges, des rôles et des statutsau niveau institutionnel. Comme tel, on peutjuger cette dimension particulièrement indé-lébile et irréductible. N. sartorius, ancienprésident de l’association mondiale depsychiatrie, insiste particulièrement sur cettedimension à combattre par l’éducation et laformation des professionnels (cf. sartorius,2006).

Pour inverser le processus de distancesociale et passer d’une séparation « eux »-« nous » à un « nous » c’est « eux », onpeut promouvoir une politique de l’empa-thie et l’inclusion systématique despersonnes stigmatisées (Dunn, 2004 ;Prichard, 2005 ; Hinshaw, 2007).

LE POUVOIR ET LES RELATIONS DE POUVOIR

« La stigmatisation est entièrement dépen-dante du pouvoir social, économique etpolitique – il faut du pouvoir pour stig-matiser » (ibid., p. 375). s’il apparaîtévident, le rôle du pouvoir dans les proces-sus d’étiquetage et de stigmatisation « estfréquemment négligé parce que dans beau-coup d’exemples les différences depouvoir vont de soi au point d’apparaîtrecomme a-problématiques » (ibid., p. 375).

Le pouvoir est un agent « essentiel dans laproduction sociale du stigmate » (ibid.)mais la recherche en sciences humaines etsociales n’a mené que peu d’investiga-tions sur le lien entre stigmate et pouvoir.à travers les notions de stigmatiseurs,d’individus, catégories ou groupes « stig-matophobes » ou d’entrepreneurs demorale, la théorie de l’étiquetage a tentéde construire des « concepts sensibilisa-teurs » (van den Hoonaard, 1997) pourpromouvoir une réflexion sur le rôle dupouvoir dans le processus d’étiquetage etde stigmatisation.

La question reste essentiellement à l’ar-rière-plan, implicite dans les travaux de laplupart des auteurs. Certaines personnesont des pouvoirs particuliers sur les autres.Professeurs, travailleurs sociaux, et surtoutmédecins, juges ont le pouvoir de nommer,de donner des étiquettes qui vont ensuitedisqualifier les gens. Divers spécialistesont la capacité de certifier que les genssont déviants, conformes, normaux ouanormaux. Parmi ces « tiers stratégiques »,médecins et juges détiennent le pouvoir denommer, pouvoir qui peut faciliter ouprovoquer un glissement dans une carrièredéviante, de malade mental ou de personnejudiciarisée (à vie ?). L’étiquetage estsouvent essentiellement une relation depouvoir dans laquelle le dominé se soumeten acceptant le jugement du dominant et ladéfinition que ce dernier donne de sapersonne (ancelin schutzenberger etLacaze, 1980 ; Hinshaw, 2007).

Dans le cas du stigmate psychiatrique, desindividus ou des catégories sans pouvoirsocial, comme les personnes souffrant dedésordre psychiatrique, sont structurale-ment dans une relation asymétrique avecles individus ou les groupes qui détiennentun pouvoir, comme les médecins ou lespsychiatres, les travailleurs sociaux, lesjuges, les employeurs ou les bailleurs.

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Garfinkel (1956) a évoqué le rôle de cequ’il appelle les « cérémonies de dégrada-tion de l’identité », dont le but est dedépouiller la personne des attributs quifondent toute son intégrité et sa dignité.

au niveau formel, les catégories danslesquelles on enferme certaines personnessont généralement indélébiles, tels lesstatuts de malade mental ou celui depersonne judiciarisée. L’information estcontenue dans des dossiers au nom de lapersonne sans possibilité d’en changer unmot, une virgule. Mais il y a aussi l’infor-mation sur une maladie grave, chroniqueou à issue fatale, dont le caractère estprofondément stigmatisant. elle véhiculeun pouvoir de vie ou un pouvoir de mort etcircule dans des fichiers informatisés plusou moins à l’insu des malades. Cettesimple occurrence est un fait de stigmati-sation patent, non remarqué. Le stigmateest un trait qui est constamment renforcépar les institutions bureaucratiques qui seprévalent d’un traitement routinier desinformations concernant un flux de popu-lations à traiter. Mais le fait de détenir cesavoir est un pouvoir contre lequel lecitoyen lambda se retrouve sans pouvoir.

Je considère que le risque pour la cible estd’être alors livrée à l’expérience de l’hu-miliation ou du mépris conçu par Honnethcomme « le déni de reconnaissance »(1992/2000, p. 161). Le criminologuebelge Debuyst, il y a trente-cinq ans, anti-cipait déjà cette vision et situait l’étique-tage au sein de l’échec dans une relation et« comme le résultat d’une faille dans cetéchange de communication qui aurait dûpermettre de tenir compte de l’autre. C’esten d’autres termes une faille dans leprocessus de reconnaissance de l’autre »(1975, p. 860, 861).

Pour Katz, « il y a toujours dans l’expé-rience de l’humiliation le sentiment d’être

sous le contrôle des autres » (1988).Méconnaître ce fait et défaire ou non cenœud peuvent avoir des conséquences irré-versibles dans la relation entre stigmatiseuret stigmatisé. L’attention des profession-nels, tant de la santé que de la justice ou del’éducation, devrait être sensibilisée auxconséquences qui découlent du fait de privercertaines cibles des enveloppes morales etsociales qui délimitent leur dignité humaine.

scheff (1974) et schlosberg (1993)montrent ainsi que les professionnels de lapsychiatrie devraient prendre consciencedes options différentielles à se posercomme stigmatiseurs ou déstigmatiseurs. Ils’agit au fond d’œuvrer pour qu’ils devien-nent essentiellement déstigmatiseurs. Celane peut se faire qu’en promouvant uneconception non discriminatoire et nondéshumanisante de leurs modalités d’in-tervention.

LA PERTE DU STATUT ET LA DISCRIMINATION

Comme conséquence de l’étiquetage et dela stigmatisation, les individus, les groupesou les catégories stigmatisé-e-s, sont affec-tés de façon péjorative à des attributs quifont l’objet d’une sélection, d’un étiquetagesocial et d’une stratification qui est fondéesur leur caractère moral mais aussi social.L’individu, la catégorie ou le groupeétiqueté-e et stigmatisé-e est souventdestiné-e à expérimenter une perte de statutet à subir une inégalité de traitement.

De façon générale, la perte de statutimplique « une hiérarchisation descendantede la personne dans la stratification desstatuts ». (Link et Phelan, 2001, p. 371) Lapossession d’un statut dépréciatif dans lasociété est corrélative d’une inégalité deschances expérimentée par les personnesqui présentent des différences et des défi-ciences conditionnées par le stigmate.Marque d’infamie ou de disgrâce, signe

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d’un défaut moral, tache causée par uneconduite déshonorante ou une caractérisa-tion réprobatrice, le stigmate altère lavaleur de la personne qui en est récipien-daire et qui risque d’être considéréecomme inférieure dans la comparaisonsociale. elle est menacée d’encourir uneinégalité de traitement et toute forme demépris social (Honneth, 1992). Danscertains cas, elle peut être traitée commeune « non-personne » (Goffman), privéede droit, et venir grossir le lot despersonnes sans droit, sans statut, voire sansidentité, de façon réversible ou irréver-sible. Dans les sociétés occidentales, larégression de la protection sociale a pourcorollaire que certain-e-s individus, caté-gories ou groupes sont dépourvu-e-s dedroits, qu’ils soient sociaux, légaux ouconstitutionnels. à l’inverse, la privationde droits peut être une punition dont le butest une perte de statut ou de droits et unedestruction de l’identité sociale. on estrenvoyé au « stigmate d’infamie »(shoham, 1970) et à la marque de Caïn.

La discrimination est définie comme toutacte négateur de droits à l’égard d’un indi-vidu, d’une catégorie ou d’un groupe, enraison d’un attribut qui le dévalorise, ledisqualifie dans les yeux de l’audiencesociale. on distingue la discriminationindividuelle et la discrimination institu-tionnelle (ou structurale).

Dans la première, une personne dotéed’une caractéristique stigmatisante va êtrel’objet d’un traitement attentatoire et inéga-litaire par autrui dans le cas d’un accès àcertaines ressources qui peuvent lui êtrerefusées en raison de son stigmate : refusde louer un appartement ou d’embaucherquelqu’un sur la base d’une différenceévaluée négativement et rejetée.

Dans la discrimination institutionnelle, lesinstitutions « stigmatophobes » travaillent

elles-mêmes à désavantager, pénaliser ouexclure certains individus, catégories ougroupes stigmatisé-e-s. Par exemple, dansle cas de la psychiatrie, les pouvoirs publicsdévaluent eux-mêmes les institutionsdédiées au traitement du désordre mental,les professionnels et leurs attributs(Corrigan et coll., 2004). De même, lapsychiatrie est, dans la hiérarchie desspécialités médicales, la branche de lamédecine la moins valorisée. Les hôpitauxpsychiatriques ont été construits loin, horsdes villes, et ont été délabellisés « centrehospitalier », en ôtant l’adjectif « spécia-lisé », mais restent toujours des lieuxtabous de relégation (« chez les fous »).La psychiatrie communautaire milite pourla fermeture des institutions totales, pourqu’on ne puisse plus jamais avoir l’idéequ’une personne qui souffre de problèmesde santé mentale puisse être discriminée,recluse et ségréguée.

LES ÉMOTIONS

Introduit dans un article ultérieur (Link etcoll., 2004) comme sixième composante, lerôle des émotions dans les processus destigmatisation a été un thème longtempsnégligé. Pourtant, les réponses émotion-nelles, tant celles des stigmatiseurs quecelles des stigmatisés, s’avèrent décisivespour comprendre les processus d’étique-tage et de stigmatisation. Les sources ou lesconséquences du stigmate peuvent êtrecertaines émotions et certains sentiments(embarras, peur, pitié, colère, mépris, haine,ressentiment ou honte) qui sont ressentispar le stigmatiseur et/ou le stigmatisé.scheff, auteur de la première théorie del’étiquetage du désordre mental, parexemple, s’est lui-même revisité en inté-grant la honte vécue par le stigmatisé danssa théorisation (scheff, 2003). La honte apour corollaire l’humiliation. axel Honnethtraite du mépris et du déni de reconnais-

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sance (Honneth, 1992), on trouvera chez lesociologue américain Jack Katz et, de façonmoindre, chez Claudine Haroche unephénoménologie de l’humiliation (2007) etde son expérience chez les cibles de la stig-matisation. D’autres ont montré à l’inversele rôle du ressentiment – un thème initié audébut du xxe siècle par Max scheler, et quel’on retrouve chez les stigmatiseurs, notam-ment dans la xénophobie (scheler, 1912 ;sanchez-Mazas, 2004, p. 125). Une autreémotion comme le dégoût a fait l’objetd’investigations récentes (royzman etsabini, 2001 ; Pryor et coll., 2004) et peutêtre légitimement associée à la question dela « pollution morale » (Douglas, 1966)qu’évoque l’individu porteur d’un stigmatecomme le trouble mental et dont on veut sedistancier. à cet égard, on ne saurait oublierune des émotions essentielles dans lesprocessus de stigmatisation, la peur et saconstruction sociale (Glassner, 1999).Depuis vingt ans, nous sommes entrés dansune authentique culture globale de la peur,qui régit la psychologie collective et orientel’agenda politique. elle est tout à faitnotable en ce qui concerne la violence agiedes malades mentaux, amplifiée, objet despectacle pour les médias, au prix d’oblité-rer la violence subie par les maladesmentaux (Velpry, 2010).

Globalement, le rôle des émotions est aucentre du réexamen de l’analyse stigma-tique à travers la question de l’auto-étique-tage. Link et ses collaborateurs vonts’attacher, à l’inverse de la première théo-rie de l’étiquetage qui s’était intéresséeaux causes de la stigmatisation – jusqu’àêtre taxée de faire de l’étiquetage unmodèle étiologique –, à préciser commentles personnes étiquetées et traitées commecas psychiatriques subissent un certain

nombre de discriminations et de privationsde droit dans le revenu, l’emploi, l’habitat,la santé, etc., et donc se préoccuper desconséquences du stigmate : « Les consé-quences négatives peuvent donc découlerau moins de deux mécanismes psychoso-ciaux. D’abord, les individus qui devien-nent patients psychiatriques peuvent êtreamenés à se dévaloriser eux-mêmes parcequ’ils appartiennent alors à une catégoriequ’ils considèrent de façon négative.Deuxièmement, les patients peuvent êtreconcernés par la façon dont les autres vontleur répondre et ainsi engager des défensesqui mènent à des tensions dans l’interac-tion, à l’isolement et à d’autres consé-quences négatives » (Link, 1987, p. 97).

Les individus stigmatisés ont tendance às’appliquer à eux-mêmes des conceptionsdéfavorables et erronées du trouble mentalpar le fait de l’intériorisation des préjugéset du blâme. L’auto-étiquetage, dimensionlargement négligée par la première théoriede l’étiquetage, y est repérable comme une« attente de rejet ». (ibid., 1987, p. 97)

Les élites et les autorités morales, reli-gieuses et politiques d’un pays sont respon-sables du stigmate structural et des crimesde haine en tant qu’elles déploient une véri-table « stigmatophobie 1 » à l’égard decertains individus, certaines catégories oucertains groupes, et encouragent les discri-minations à l’égard d’une différence, que cesoit la race, la religion, le genre ou l’orien-tation sexuelle, l’origine ethnique ou socialeet le handicap, voire la santé ou la maladie.Les crimes de haine ont en communqu’« ils sont tous motivés par un biais ou labigoterie » (Levin, McDevitt, 1993) et« sont un produit de la société majoritaire »(1993). L’étude amène ce constat qu’une

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1. J’emprunte ce terme à deux linguistiques (Madray-Lesigne et Sabria, 1996) chercheurs sur l’expressiondes sourds et des aveugles. L’un d’eux est aveugle, et leur étude est un questionnement sur la déontologiede l’enquête en sciences humaines et sociales avec des « stigmatisés ».

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part importante de la culture nord-améri-caine (et européenne ?) est devenue une« culture de la haine » (1993, p. 34).

CONCLUSION

La révision du concept de stigmate par lesauteurs réunis autour du nouveau para-digme socio-psychologique de la théorie del’étiquetage modifiée a été effectuée àpartir du champ du trouble mental qui étaitle champ d’application le plus contesté dela première théorie de l’étiquetage (cf.Lacaze, 2008). en s’intéressant aux consé-quences de l’étiquetage et de la stigmati-sation des personnes affectées de troublemental, les partisans de la théorie de l’éti-quetage modifiée proposent une visionmétaphorique du stigmate comme uneseconde maladie pour sensibiliser le public,qu’il soit général ou spécialisé, à la causedes stigmatisés. Il s’agit de promouvoirune « politique de l’empathie » (Dunn,2004 ; Prichard, 2005 ; Hinshaw, 2007).

Les praticiens de la médecine ou dessciences humaines et sociales sont suscep-tibles de se muer en « entrepreneurs desympathie », et les sujets qu’ils étudientde devenir des objets dignes d’empathie etsurtout des causes à défendre. Par un effetde feedback, les stigmatisés, au moyen detechniques de soi spécifiques qui leurpermettent de se raconter dans la confes-sion ou l’aveu, peuvent se dévoiler, sereconnaître dans les catégories produitespar les savants, où la condition stigmati-sante devient une cause à défendre et

susceptible de légitimer des droits, unrépertoire d’excuses et de justifications.

Dans les sociétés occidentales, la folie amauvaise réputation et elle manque d’avo-cats acquis à la cause de ceux qui souffrent.on a pu montrer que le stigmate lié à lamaladie mentale en particulier a des carac-téristiques qui le rendent unique par rapportaux stigmates associés à d’autresdomaines. Le stigmate psychiatrique estconsidéré comme le « stigmate des stig-mates » (Falk, 2001, p. 39), producteurd’effets à long terme aussi envahissantsque délétères : « à la fois les expériencesde la dévalorisation et la discriminationperçues et de la discrimination réelle affec-tent la personne stigmatisée, et particuliè-rement le malade mental […] De plus, àl’évidence, même lorsque le rejet par lesautres disparaît, il reste difficile pour lepatient psychiatrique stigmatisé de retirerla marque et la signification qui lui est atta-chée » (Falk, 2001, p. 58).

Déstigmatiser le trouble mental est unecause qui devrait concerner tous les profes-sionnels de santé mentale. en réalité, enFrance particulièrement, ils sont une mino-rité à militer actuellement pour une tellecause 2. La définition du stigmate commeun argument de justice sociale (Corrigan,2004) s’oppose au courant majoritairepartisan du modèle médical. Le tort causépar le stigmate a-t-il ou non un impact plusgrand sur le système de santé mentale quela simple condition du patient atteint d’untrouble mental ? s’agit-il d’encourager la

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2. C’est grâce à l’intervention des organisations internationales que les bases du changement ont été impulsées.L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la stigmatisation comme « l’obstacle le plus important àsurmonter dans la communauté ». Elle a donc lancé un mouvement poussant les États membres à implanterdes stratégies au niveau national qui incluent des programmes destinés à réduire la stigmatisation et ladiscrimination à l’égard des maladies mentales. L’Association mondiale de psychiatrie a mis sur pied, en 1996, sous le leadership de Norman Sartorius, un programme de lutte contre la stigmatisation à l’égard de laschizophrénie (Sartorius, 2007). Dans de nombreux pays ont été mis en place des programmes anti-stigmate. En France, l’action pionnière du Dr Jean-Luc Roelandt (EPSM Lille-Métropole), psychiatre et acteur de ladéstigmatisation et de l’introduction de bonnes pratiques en santé mentale, doit être signalée et commence à fairetache d’huile, depuis la région lilloise, à Angers, Marseille, Nice, Paris et dans les départements d’outre-mer.

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pitié plutôt que la parité, et de placer laresponsabilité du stigmate sur la personneatteinte de troubles mentaux plutôt que surle public qui l’entretient ?

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