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BRUYLANT JURISPRUDENCE À PROPOS DE L’ARRÊT VERENIGING MILIEUDEFENSIE : LA SECONDE NAISSANCE DE L’INVOCABILITÉ NAKAJIMA PAR Jean Félix DELILE* ATER à l’Université Montesquieu Bordeaux IV — CRDEI Le régime de l’invocabilité du droit international devant la Cour de jus- tice de l’Union est le fruit d’un compromis. Il ne saurait à ce titre satisfaire les tenants de la plus pure logique juridique. La mise en œuvre du principe de légalité se trouve ainsi conditionnée à la reconnaissance de l’effet direct des traités (1). Héritée de l’arrêt International Fruit (2), la subordination de l’invocabilité des accords internationaux à l’effet direct, excluant l’applica- tion juridictionnelle (3) des stipulations conventionnelles non porteuses de * [email protected]. (1) Sur ce thème, voir les développements du professeur Philippe Manin, in Ph. MANIN, « À propos de l’accord instituant l’organisation mondiale du commerce et de l’accord sur les marchés publics : la question de l’invocabilité des accords internationaux conclus par la Communauté européenne », R.T.D.E., 1997, pp. 399-428 (407-411). (2) C.J.C.E., 12 décembre 1972, aff. 21 à 24/72, International Fruit Company NV et autres c. Produktschap voor Groenten en Fruit, Rec. p. 1219, point 8, com. V. CONSTANTI- NESCO, J.D.I., 1973, pp. 524-527 ; C.J.C.E., 30 septembre 1987, aff. 12/86, Meryem Demi- rel contre ville de Schwäbisch Gmünd, Rec. p. 3719, point 14, com. G. NOLTE, « Freedom of Movement for Workers and EEC-Turkey Association Agreement », CMLRev, 1988, pp. 403-415. (3) L’invocabilité d’interprétation, détachée de la conditionnalité d’effet direct, habi- lite seulement le juge à prendre en considération la stipulation conventionnelle sollicitée par le requérant pour délivrer une lecture de l’acte interne propre à éviter le conflit de normes. Les professeurs Isaac et Blanquet observent en ce sens que cette forme d’invo- cabilité offre aux justiciables le droit de tirer profit de prescriptions « ne présentant pas les caractéristiques techniques suffisantes pour que le juge les applique sans sortir de son rôle de juge », in G. ISAAC et M. BLANQUET, Droit général de l’Union européenne, Dalloz, 10 e éd., Paris, 2012, p. 404.

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JURISPRUDENCE

À pRopoS de l’aRRêt Vereniging Milieudefensie : la Seconde naiSSance

de l’inVocaBilité nakajiMa

par

Jean Félix DELILE*ATER à l’Université Montesquieu Bordeaux IV — CRDEI

Le régime de l’invocabilité du droit international devant la Cour de jus-tice de l’Union est le fruit d’un compromis. Il ne saurait à ce titre satisfaire les tenants de la plus pure logique juridique. La mise en œuvre du principe de légalité se trouve ainsi conditionnée à la reconnaissance de l’effet direct des traités (1). Héritée de l’arrêt International Fruit (2), la subordination de l’invocabilité des accords internationaux à l’effet direct, excluant l’applica-tion juridictionnelle (3) des stipulations conventionnelles non porteuses de

* [email protected]. (1) Sur ce thème, voir les développements du professeur Philippe Manin, in Ph. manin,

« À propos de l’accord instituant l’organisation mondiale du commerce et de l’accord sur les marchés publics : la question de l’invocabilité des accords internationaux conclus par la Communauté européenne », R.T.D.E., 1997, pp. 399-428 (407-411).

(2) C.J.C.E., 12 décembre 1972, aff. 21 à 24/72, International Fruit Company NV et autres c. Produktschap voor Groenten en Fruit, Rec. p. 1219, point 8, com. V. consTanTi-nesco, J.D.I., 1973, pp. 524-527 ; C.J.C.E., 30 septembre 1987, aff. 12/86, Meryem Demi-rel contre ville de Schwäbisch Gmünd, Rec. p. 3719, point 14, com. G. nolTe, « Freedom of Movement for Workers and EEC-Turkey Association Agreement », CMLRev, 1988, pp. 403-415.

(3) L’invocabilité d’interprétation, détachée de la conditionnalité d’effet direct, habi-lite seulement le juge à prendre en considération la stipulation conventionnelle sollicitée par le requérant pour délivrer une lecture de l’acte interne propre à éviter le conflit de normes. Les professeurs Isaac et Blanquet observent en ce sens que cette forme d’invo-cabilité offre aux justiciables le droit de tirer profit de prescriptions « ne présentant pas les caractéristiques techniques suffisantes pour que le juge les applique sans sortir de son rôle de juge », in G. isaac et M. BlanqueT, Droit général de l’Union européenne, Dalloz, 10e éd., Paris, 2012, p. 404.

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droits (4), n’a souffert d’aucun infléchissement jurisprudentiel (5). Aussi, lorsqu’un requérant sollicite l’application d’une prescription internationale dépourvue d’effet direct, son défaut d’invocabilité tempère les incidences de l’obligation de respect du droit conventionnel qui pèse sur les institu-tions au titre de l’article 216, paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, TFUE) (6). L’absence d’effet direct de

(4) L’effet direct indique l’aptitude d’une norme internationale à produire des droits dont les personnes privées peuvent se prévaloir devant les juridictions internes. Voir en ce sens, J.-Cl. GauTron, Droit européen, Dalloz, 14e éd., Paris, 2012, p. 201 ; G. isaac et M. BlanqueT, Droit général de l’Union européenne, Dalloz, 10e éd., Paris, 2012, p. 375 ; B. Taxil, « Les normes internationales », in F. melleray, Ph. yolka, P. GonoD (dir.), Traité de droit administratif, T.1, Dalloz, Paris, 2011, p. 444.

(5) Sans prétendre à l’exhaustivité, voir : C.J.U.E., 21 décembre 2011, aff. C-366/10, Air Transport Association of America et autres c. Secretary of State for Energy and Climate Change, com. I. Bosse plaTière, C. flaesch-mouGin, « La Cour précise si et dans quelle mesure le droit international conventionnel et coutumier peut être invoqué directement par une personne physique ou morale aux fins de contester la validité d’un acte de l’Union », R.T.D.E., 2012, pp. 247-251 ; G. lo schiavo, « Arrêt Air Transport Association of Ame-rica et autres c. Secretary of State for Energy and Climate Change », R.D.U.E., 2012, pp. 736-741 ; D. simon, « Droit international conventionnel et coutumier : l’invocabilité au cœur de la lecture juridictionnelle des rapports de systèmes — (à propos de l’arrêt Air Transport) », Europe, 2012, no 5, pp. 5-8 ; C.J.C.E., 3 juin 2008, aff. C-308/06, Internatio-nal Association of Independent Tanker Owners (intertanko) et autres c. Secretary of State or Transport, Rec. p. I-4057, com. Fr. DopaGne, « Arrêt Intertanko : l’appréciation de la validité d’actes communautaires au regard de conventions internationales (Marpol 73/78, Montego Bay) », J.T.D.E., 2008, pp. 241-243 ; C.J.C.E., 10 janvier 2006, aff. C-344/04, International Air Transport Association & European Low Fares airline Association c. Department for Transport, Rec. p. I-403, com. Fl. mariaTTe, « Invocabilité », Europe, 2006, no 3, pp. 10-12.

(6) La Cour de justice fonde la prévalence des accords internationaux liant l’Union sur le droit dérivé sur l’article 216, paragraphe 2, TFUE. Il dispose « les accords conclus par les institutions lient l’Union et les États membres », in C.J.C.E., avis du 14 décembre 1991, 1/91, « Projet d’accord entre la Communauté, d’une part, et les pays de l’Association européenne de libre échange, d’autre part, portant sur la création de l’Espace économique européen », Rec. p. I-6079, point 37, com. J. Boulouis, « Les avis de la Cour de justice des Communautés sur la compatibilité avec le Traité CEE du projet d’accord créant l’Espace économique européen », R.T.D.E., 1992, pp. 456-462 ; C.J.C.E., 10 septembre 1996, aff. C-61/94, Commission c. République fédérale d’Allemagne, Rec. p. I-3989, point 15, com. P. eeckhouT, CMLRev, 1998, pp. 557-566 ; C.J.C.E., 3 juin 2008, aff. C-308/06, Intertanko e.a., Rec. p. I-4057, point 42 ; C.J.C.E., 3 septembre 2008, aff. C-402/05 P et C-415/05 P, Kadi et Al Barakaat International Foundation contre Conseil et Commission, Rec. p. I-6351, point 307, com. J.-P. Jacqué, « Primauté du droit international versus protection des droits fondamentaux », R.T.D.E., 2009, pp. 161-179 ; Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 51.

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certaines règles internationales n’a pourtant pas vocation à leur retirer tout caractère obligatoire dans l’ordre juridique de l’Union (7). Cette limitation du champ des actes conventionnels pouvant être élevés au rang de norme de référence porte alors atteinte à la légalité « qui n’est rien d’autre que la conformité aux normes juridiques supérieures » (8). Ici, la logique du filtrage juridictionnel du droit conventionnel applicable, motivée par son origine internationale, a pris le pas sur l’impératif de respect de la hiérarchie des normes (9). Soucieuse de ne pas priver cette source du droit objectif de toute effectivité, la Cour de justice offre tout de même aux justiciables la possibilité de faire état de l’existence de ces stipulations conventionnelles aux fins de leur attacher des effets limités. D’une part, celles-ci peuvent être sollicitées pour guider les interprétations du droit dérivé, il s’agit de

(7) En théorie du droit, voir P. moor, Pour une théorie micropolitique du droit, Les voies de droit, PUF, Paris, 2005, p. 71 ; en droit de l’Union européenne, voir Fr. BerroD, La systématique des voies de droit communautaire, Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, Paris, 2003, pp. 510-521 ; E. DuBouT, « La relativité de la distinction des normes du droit de l’Union européenne et du droit international », in E. DuBouT, A. maiTroT De la moTTe, S. Touzé (dir.), Les interactions normatives. Droit de l’Union européenne et droit international, Pedone, Paris, 2012, p. 44 ; L. GrarD. « L’invocabilité communau-taire du droit international », in L’Union européenne : union du droit, union des droits. Mélanges en l’honneur de Philippe Manin, Pedone, Paris, 2010, p. 639 ; J. klaBBers, The European Union in International Law, Pedone, Paris, 2012, p. 77 ; J. kokoTT, conclusions sur C.J.C.E., 3 juin 2008, International Association of Independent Tanker Owners (inter-tanko) et a. c. Secretary of State or Transport, C-308/06, Rec. p. I-4057, point 66 ; en droit administratif français, voir R. aBraham, « Les effets juridiques, en droit interne, de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant », Conclusions sur C.E., 23 avril 1997, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), R.F.D.A., 1997, pp. 585-596 ; Y. aGuila, « L’application anticipée des plans d’exposition au bruit », A.J.D.A., 2007, conclusions sur C.E., 6 juin 2007, Commune de Groslay, no 292942, pp. 1527-1535 ; G. DumorTier, « L’effet direct des conventions internationales », conclu-sions sur C.E., 11 avril 2012, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI) et Fédération des associations pour la promotion et l’Insertion par le logement (FAPIL), no 322326, R.F.D.A., 2012, pp. 547-559 ; H. TiGrouDJa, « Le juge administratif et l’effet des engagements internationaux », R.F.D.A., 2003, pp. 154-168.

(8) D. De Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Editions Odile Jacob, Paris, 1997, p. 34.

(9) Au contraire de la théorie de l’invocabilité des directives, qui a détaché l’invo-cabilité d’exclusion de la conditionnalité d’effet direct, in C.J.C.E., 19 septembre 2000, aff. C-287/98, État du Grand-Duché du Luxembourg c. Berthe Linster, Aloyse Linster et Yvonne Linster, Rec. p. I-6917 ; C.J.U.E., 18 octobre 2011, aff. C-128/09 à C-131/09, C-134/09 et C-135/09, Boxus et Roua c. Région wallone ; voir les éclairages du professeur Olivier Dubos à propos de l’affaire Berthe Linster, in O. DuBos, « L’invocabilité d’exclu-sion des directives : une autonomie enfin conquise », R.F.D.A., 2003, pp. 568-575.

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l’invocabilité d’interprétation (10) ; d’autre part, elles peuvent s’ériger en paramètre de la légalité des actes les mettant en œuvre dans l’ordre interne, il s’agit des invocabilités FEDIOL et Nakajima (11).

Dans ces deux dernières hypothèses, la juridiction de l’Union reconnaît au requérant le droit de se prévaloir d’une règle conventionnelle lorsque la norme contrôlée y renvoie expressément ou entend lui donner exécution. Cette forme d’invocabilité peut donc être utilement sollicitée dans l’hypo-thèse où la norme contestée « vise à mettre en œuvre » (12) un produit juri-dique international. Il convient de noter dès ici que l’invocabilité FEDIOL n’a plus fait l’objet d’application jurisprudentielle depuis 1989 et semble être tombée en désuétude (13). La seconde déclinaison de la « doctrine de la mise en œuvre » (14), introduite par l’arrêt Nakajima en 1991, vise à offrir aux justiciables de l’Union le droit de se prévaloir de stipulations conventionnelles lorsque le législateur de l’Union a manifesté son intention de donner exécution à une obligation particulière créée par l’engagement international invoqué. Elle peut à ce titre être qualifiée de doctrine de la mise en exécution. Son application épisodique l’a soustraite, au contraire de la jurisprudence FEDIOL, au soupçon de l’accident jurisprudentiel (15).

(10) C.J.C.E., 10 septembre 1996, aff. C-61/94, Commission c. République fédérale Allemagne, Rec. p. I-3989, point 52.

(11) C.J.C.E., 22 juin 1989, aff. C-70/87, Federation de L’Industrie de l’Huilerie de la CEE (FEDIOL) c. Commission, Rec. p. 1781, com. M. Bronckers, R. quick, « What is a Countervailable Subsidy under EEC Trade Law ? », J.W.T., 1989, p. 5-31 ; C.J.C.E., 7 mai 1991, aff. C-69/89, Nakajima All Precision Co. Ltd c. Conseil, Rec. p. 1689, com. F. cas-Tillo De la Torre, « Anti-dumping Policy and Private Interest », E.L.R., 1992, p. 346-348 ; B. BanDTner, H.-P. folz, « Nakajima », E.J.I.L., 1993, pp. 430-432.

(12) Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieude-fensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 54.

(13) Cette exception est appliquée restrictivement, ce qui implique désormais qu’un simple renvoi ne suffit pas, il faut une manifestation claire de la volonté du législateur communautaire de se conformer à l’obligation internationale en question. Voir en ce sens R. holDGaarD, External relations law of the European community : legal reasoning and legal discourse, Wolters Kluwer Law and business, Austin, 2008, p. 315.

(14) Traduction de l’expression « Doctrine of implementation » employée par le professeur Rass Holdgaard, in R. holDGaarD, External relations law of the European Community : legal reasoning and legal discourse, Wolters Kluwer Law and business, Austin, 2008, p. 319.

(15) Tribunal de première instance, 27 janvier 2000, aff. T-256/97, Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC) c. Commission des Communautés européennes, Rec. p. II-101, com. Fr. BerroD, Europe, 2000, no 3, pp. 9-10 ; C.J.C.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA c. Conseil, Rec. p. I-79, com. G. zonnekeyn, « The ECJ’s Pertotub judgement : towards a revival of the “Nakajima Doctrine” ? », L.I.E.I., 2003, pp. 249-266.

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Elle s’est en outre vue offrir un nouvel élan par le récent arrêt Vereniging Milieudefensie (16) qui constitue le point d’appui de cette étude de l’invo-cabilité Nakajima. Dans cette affaire, deux associations néerlandaises de protection de l’environnement contestaient devant le Tribunal de l’Union européenne la légalité d’une décision de la Commission rejetant, comme irrecevable, leur demande visant à ce que la Commission réexamine la déci-sion par laquelle elle accorda au Royaume des Pays-Bas une dérogation temporaire aux obligations prévues par la directive 2008/50 concernant la qualité de l’air (17). Ce refus leur fut opposé au motif que leur demande de réexamen portait sur une mesure administrative de portée générale, et non sur un acte individuel. Les requérantes excipèrent conséquemment l’illé-galité de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 (18), lu en combinaison avec son article 2, qui, limitant l’obligation de réexamen des actes à incidence environnementale aux seuls actes individuels, méconnaî-trait le droit d’accès à la justice procédant de l’article 9, paragraphe 3 de la Convention d’Aarhus (19). Le Tribunal de l’Union accueillit ce moyen et annula en conséquence la décision attaquée.

A titre préliminaire, il convient de noter que l’arrêt Vereniging Milieude-fensie a précisé les relations entretenues par l’invocabilité de mise en exécution avec l’effet direct, question sur laquelle se divisait la doctrine.

(16) Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieude-fensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, com. L. couTron, « Révolution dans le contentieux de l’environnement : feu la jurisprudence Plaumann ! », R.T.D.E., 2012, pp. 607-614. Le Tribunal a rendu le même jour un arrêt dans l’affaire Stichting Natuur en Milieu, T-338/08. Les deux arrêts font l’objet de pourvois, du Parlement européen, du Conseil et de la Commission pour ce qui concerne l’arrêt Vereni-ging Milieudefensie, affaires jointes C-401/12P, C-402/12P et C-403/12P et du Conseil et de la Commission en ce qui concerne l’arrêt Stichting Natuur en Milieu, affaires jointes C-404/12P et C-405/12P.

(17) Directive (CE) no 2008/50 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, J.O., L 152, p. 1.

(18) Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 sep-tembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’envi-ronnement, J.O., L 264, 25 septembre 2006, pp. 13-19.

(19) L’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus stipule que « chaque Partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement », in Convention sur l’accès à l’informa-tion, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, J.O., L 124, du 17 mai 2005, p. 4.

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Certains de ses membres appréhendaient ainsi l’invocabilité de mise en exécution comme une forme de justiciabilité palliative au défaut d’effet direct, ne trouvant à s’appliquer que dans l’hypothèse où le juge avait au préalable démontré l’inaptitude d’une stipulation conventionnelle à fonder un droit (20). D’autres y voyaient au contraire une forme pleinement autonome d’invocabilité, rendant sans objet l’examen de l’effet direct (21). L’appli-cation par le Tribunal de la jurisprudence Nakajima sans que n’ait été au préalable examiné l’effet direct de l’article 9, paragraphe 3 de la Convention d’Aarhus permet de trancher cette controverse. De fait, l’absence de renvoi au considérant de l’arrêt Lesoochranárske (22) qui opposa un défaut d’effet direct à cette stipulation atteste de l’autonomie de l’invocabilité de mise en exécution. En ne jugeant pas nécessaire de se référer à cette absence d’effet direct, le Tribunal s’attache à marquer implicitement l’indépendance de ces deux formes d’invocabilité.

Outre cette autonomisation de l’invocabilité de mise en exécution, une seconde naissance est offerte à la jurisprudence Nakajima par l’arrêt Vere-niging Milieudefensie qui, en admettant la justiciabilité de la convention d’Aarhus, étend tacitement son champ d’application matériel à l’ensemble du droit conventionnel. Jusqu’alors présentée comme une solution d’espèce venant au secours de l’application juridictionnelle des seuls codes anti-dum-ping du GATT et de l’OMC, son application à une convention multilatérale de protection de l’environnement consacre enfin la sujétion de tous les trai-tés liant l’Union à l’invocabilité de mise en exécution. L’arrêt Vereniging Milieudefensie a supprimé les limitations passées du champ d’application ratione materiae de la jurisprudence Nakajima. En conséquence, et si la solution dégagée par le Tribunal venait à être confirmée par la Cour à la suite des pourvois dont elle est saisie, l’invocabilité de mise en exécu-tion présentera un intérêt certain pour les justiciables soucieux d’obtenir l’application des éléments conventionnels de la légalité en vigueur dans l’ordre juridique de l’Union. Sa nouvelle efficacité pourra être éprouvée

(20) F. casTillo De la Torre, « The status of GATT in EC law, revisited », J.W.T., 1995, pp. 53-68 (61) ; Fr. snyDer, « The gatekeepers, the European Courts and WTO Law », CMLRev, 2003, pp. 313-367 (343).

(21) J. klaBBers, International Law and Community Law : The Law and Politics of Direct Effect, YEL, 2001, pp. 263-298 (286) ; G. zonnekeyn, « The ECJ’s Pertotub judge-ment : towards a revival of the “Nakajima Doctrine” ? », L.I.E.I., 2003, pp. 249-266 (254).

(22) C.J.U.E., 8 mars 2011, aff. C-240/09, Lesoochranárske zoskupenie VLK, point 45, com. D. simon, « Effet direct », Europe, 2011, no 5, pp. 9-11 ; K. hamensTäDT, T. ehnerT, « Case C-240/09, Lesoochranárske zoskupenie VLK v. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, Judgment of the Court of Justice (Grand Chamber) of 8 March 2011 », M.J.E.C.L., 2011, pp. 359-366.

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dans l’ensemble des voies de droit occasionnant un contrôle de la légalité communautaire. Le recours en annulation (23), le recours en indemnité (24) et le renvoi préjudiciel en appréciation de validité (25) réservent en effet un accueil favorable à la doctrine de la mise en exécution. Le champ d’appli-cation élargi de l’invocabilité Nakajima devrait mécaniquement intensifier la sollicitation du droit conventionnel dans le contrôle de la légalité du droit dérivé inspiré des traités internationaux liant l’Union.

Si attrayante que puisse être l’invocabilité de mise en exécution pour les justiciables désireux de donner effet au droit conventionnel, elle n’en obéit pas moins à des conditions d’applicabilité limitant les hypothèses de son admission (I). Toutefois, il est désormais acquis que l’ensemble du droit conventionnel de l’Union entre dans le champ d’application de la jurisprudence Nakajima, ce qui ouvre de nouvelles perspectives à la théorie de l’invocabilité (II).

(23) Elle a été appliquée à plusieurs reprises sur saisines de requérants ordinaires, in C.J.C.E., 7 mai 1991, aff. C-69/89, Nakajima All Precision Co. Ltd c. Conseil, Rec. p. 1689 ; Tribunal de première instance, 27 janvier 2000, aff. T-256/97, Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC) c. Commission des Communautés européennes, Rec. p. II-101 ; C.J.C.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA contre Conseil, Rec. p. I-79 ; Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne ; son applicabilité aux saisines par les requérants privilégiés est également évoquée dans l’affaire Portugal c. Conseil, in C.J.C.E., 23 novembre 1999, aff. C-149/96, République du Portugal c. Conseil, Rec. p. I-7379, point 49.

(24) C.J.C.E., 20 septembre 2003, aff. C-93 et 94/02, Biret international SA & Esta-blishment Biret SA c. Conseil, Rec. p. I-497 ; Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, com. N. lavranos, « The Chiquita and Van Parys judg-ments : an exception to the Rule of Law », L.I.E.I., 2005, pp. 449-460 ; Fl. mariaTTe, « Le juge communautaire et l’effet des décisions de l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Rapide examen des arrêts de la Cour, du 1er mars 2005, aff. C-377/02, van Parys, et du Tribunal, du 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands et a. c. Commission », Europe, 2005, no 5, pp. 7-11.

(25) C.J.C.E., 13 décembre 2001, aff. C-317/99, Kloosterboer Roterdam BV c. Natuur-beheer en Visserij Minister van Landbouw, Rec. p. I-9863. Plus hypothétiquement, un renvoi préjudiciel en interprétation pourrait donner au juge de l’Union l’occasion de se prononcer sur la compatibilité d’un acte avec une stipulation conventionnelle ne revêtant pas d’effet direct mais ayant été mise en œuvre par ledit acte. Voir en ce sens, P. eeckhouT, « The domestic status of the WTO Agreement : Interconnecting Legal Systems », CMLRev, 1997, pp. 11-58 (47).

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i. — précisions sur les conditions d’applicabilité de l’invocabilité de mise en exécution

La jurisprudence Nakajima offre la possibilité aux justiciables de sol-liciter l’application juridictionnelle des accords internationaux aux fins d’examiner la validité du droit dérivé de l’Union lui donnant exécution. Cette déclinaison de l’invocabilité, sans équivalent dans les ordres juri-diques étatiques, profite indéniablement au principe de légalité en droit de l’Union européenne. Elle détache de l’effet direct l’aptitude des stipulations conventionnelles à se constituer en norme de référence. Toutefois, ce méca-nisme de rattrapage offert aux stipulations conventionnelles ne créant pas de droits se trouve conditionné à la satisfaction de deux critères d’applicabilité.

Le premier critère, subjectif, tient à la vérification de l’intention du légis-lateur de mettre en exécution l’obligation internationale dont la violation est alléguée (A). Le second critère, objectif, s’attache quant à lui à établir que l’acte contrôlé se donne pour objet l’exécution d’une obligation particulière portée par la norme invoquée (B).

a . — l’inTenTion Du léGislaTeur De Donner exécuTion à une oBliGaTion convenTionnelle

L’effectivité du contrôle de conventionalité des actes législatifs de l’Union pâtit d’une politique jurisprudentielle de la Cour de justice marquée par le self restraint. Les juges de Kirchberg éprouvent en effet quelques réticences à se reconnaître légitimes pour contrôler les actes législatifs de l’Union et, ce faisant, influer sur sa politique extérieure (26). L’intention affichée par le législateur de l’Union de donner exécution à une obligation conventionnelle délie le juge de cette retenue. La Cour de justice y associe la volonté des ins-titutions de se soumettre à cette prescription qu’elle admet en conséquence au rang de norme de référence dans le contrôle de la légalité. De simples déclarations politiques ne sont toutefois pas suffisantes pour certifier une telle intention, les juges de Luxembourg ont exprimé en ce domaine leur préférence pour les indices rédactionnels.

(26) Le professeur Tancredi observait ainsi, à propos des accords OMC, que « the direct invocability was essentially denied on the basis of the need for a form of foreign policy discretion », in A. TancreDi, « EC practice in the WTO : How wide is the scope of manœuvre ? », E.J.I.L., 2004, pp. 933-961 (942) ; dans le même sens, E.-U. peTersmann, « Constitutionnalism and international organizations », NwJILB, 1996, p. 398-469 (399).

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La juridiction de l’Union dénie à « toute déclaration émise à l’échelle internationale » (27) la qualité d’indicateur des intentions du législateur. Une partie minoritaire de la doctrine estimait que les déclarations publiques faites au sein d’enceintes internationales pouvaient être employées comme critères déterminants de la volonté d’exécuter une obligation convention-nelle (28). Attacher des effets de droit à ces communications présentait toutefois le risque politique de museler les représentants de l’Union dans les forums internationaux. La liberté de parole de ses représentants pouvait s’en trouver restreinte, ce qui aurait mécaniquement bridé l’action extérieure de l’Union européenne. La jurisprudence Van Parys (29) a répondu à ces préoccupations en réfutant tout effet de droit à ces déclarations internatio-nales dans l’ordre interne (30). De fait, les actes de volonté du législateur sont désormais les indices privilégiés pour déterminer ses intentions.

En ce sens, le Tribunal constate dans l’arrêt Vereniging Milieudefensie qu’« il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1367/2006 que ce règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations décou-lant de la convention d’Aarhus… » (31). En se référant à la lettre de l’acte contesté pour déceler l’intention de son auteur, le juge de l’Union manifeste son attachement à l’indice rédactionnel. Toutefois, la juridiction de l’Union ne pêche pas par excès de rigueur et ne met pas en œuvre la méthode d’interpré-

(27) S. alBer, conclusions sur C.J.C.E., arrêt du 30 septembre 2003, Biret internatio-nal SA & Establishment Biret SA contre Conseil, C-93 et 94/02, Rec. p. I-497, point 68.

(28) G. zonnekeyn, « The ECJ’s Pertotub judgement : towards a revival of the Naka-jima Doctrine ? », L.I.E.I., 2003, pp. 249-266 (252).

(29) Le fait que l’Union ait « manifesté auprès de l’ORD son intention de se confor-mer à la décision de ce dernier du 25 septembre 1997 » ne fonde pas la justiciabilité de cette dernière, in C.J.C.E., arrêt du 1er mars 2005, aff. C-377/02, Van Parys contre Belgisch Interventie- en Restitutie bureau, Rec. p. I-1465, point 49.

(30) Voir les analyses des professeurs de Mey et Colomo in D. De mey, P. I. colomo, « Recent developments of the invocability of the WTO Law in the EC : A wave of muti-lation », E.F.A.R., 2006, pp. 63-86 (85).

(31) Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Mi-lieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht contre Commission européenne, point 58 ; l’article 1er, paragraphe 1, sous d) dispose que « [l]e présent règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la convention […] d’Aarhus, en établissant des dispositions visant à appliquer aux institutions et organes communau-taires les dispositions de la convention, notamment : […] en garantissant l’accès à la justice en matière d’environnement au niveau de la Communauté, dans les conditions prévues par le présent règlement », in Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, J.O., L 264, 25 septembre 2006, pp. 13-19.

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tation proposée par l’avocat général Geelhoed à l’occasion de l’affaire Franz Egenberger selon laquelle l’appréciation de l’intention « devrait […] être limitée à l’examen de l’objectif de la législation communautaire sur la base d’une lecture purement objective de la disposition contestée » (32). Une telle méthode implique que l’intention ne puisse exclusivement être déduite que de la norme attaquée, sans pouvoir recourir à une lecture systématique de l’acte qui la porte. Or, dans l’affaire Vereniging Milieudefensie, le Tribunal exerce bien une analyse systématique de l’acte dans lequel se trouve la disposition contestée pour trouver en son article 1, paragraphe 1 la preuve de l’intention d’exécution de l’accord international invoqué.

Outre l’intention manifestée par le législateur de donner exécution au droit conventionnel de l’Union, l’acte de droit dérivé qui en est la forma-lisation doit entendre reproduire une obligation internationale particulière pour que l’invocabilité de mise en exécution puisse être utilement sollicitée.

B . — l’exécuTion D’une oBliGaTion parTiculière prescriTe par l’accorD invoqué

Pour que le requérant soit en droit de se prévaloir utilement d’une stipu-lation conventionnelle au titre de la jurisprudence Nakajima, la disposition contestée doit avoir pour objet l’exécution d’une obligation particulière. Selon cette condition d’applicabilité, en réalité postérieure à l’arrêt Naka-jima car formulée dans l’arrêt Allemagne contre Conseil de 1994, « ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre du GATT, qu’il appartient à la Cour de contrôler la légalité de l’acte communautaire au regard des règles du GATT » (33). Ce faisant, elle restreint les hypothèses d’invocabilité des accords internationaux dépourvus d’effet direct. La simple intention de mettre en conformité le droit de l’Union européenne avec des obligations générales du droit international par un acte de droit dérivé n’assoit plus l’invocabi-lité de mise en exécution. Il est encore nécessaire que l’acte attaqué mette en application une obligation particulière née de l’acte international invo-qué (34). En ce sens, dans l’affaire Chiquita Brands, le Tribunal de première

(32) L. A. GeelhoeD, conclusions sur Cour de justice, arrêt du 11 juillet 2006, aff. C-313/04, Franz Egenberger GmbH Molkerei und Trockenwerk contre Bundesanstalt für Landwirtschaft und Ernährung, Rec. p. I-6331, points 74-76.

(33) C.J.C.E., 5 octobre 1994, aff. C-280/93, République Fédérale d’Allemagne contre Conseil, Rec. p. I-4973, point 111.

(34) C.J.C.E., 23 novembre 1999, aff. C-149/96, République du Portugal contre Conseil, Rec. p. I-7379, point 49 ; C.J.C.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA contre Conseil, Rec. p. I-79, point 54.

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instance concède dans un premier temps, à l’examen du règlement 2362/98 relatif au régime d’importation de la banane dans la Communauté (35), que l’acte contesté tend à mettre le droit communautaire en conformité avec le droit de l’OMC (36). Cependant, il précise ensuite que la Communauté « n’a pas entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords de l’OMC, au sens de cette jurisprudence et [que] la requérante n’est pas, par conséquent, en mesure de se prévaloir de la vio-lation par la Communauté de ses obligations au titre desdits accords » (37). Deux conditions cumulatives paraissent se dégager de la jurisprudence pour reconnaître une telle qualité à l’acte attaqué. Une obligation particulière doit être portée par la convention, et l’acte contrôlé doit entendre s’y soumettre.

L’accord invoqué doit être porteur d’une obligation particulière. Il s’agit donc d’une condition extrinsèque à l’acte contrôlé. Ainsi que le souligne Frédéric Schmied, « l’existence d’une obligation particulière découlerait […] du fait que les accords concernés imposent directement aux parties contractantes l’obligation d’adapter leur législation nationale » (38). Cette conditionnalité, née de l’arrêt Chiquita Brands (39), se révèle particulière-ment éclairante pour l’analyse systémique des formes d’invocabilité dans

(35) Règlement (CE) no 2362/98 de la Commission du 28 octobre 1998 portant sur les modalités d’application du règlement (CEE) no 404/93 du Conseil en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté, J.O., L 293, 31 octobre 1998, p. 32-45.

(36) Le Tribunal estime ainsi que « [s]’agissant des caractéristiques du règlement no 2362/98, les éléments de preuve versés au débat par la requérante ainsi que les écritures et déclarations de la Commission indiquent que, lors de l’adoption du régime de 1999, dont le règlement no 2362/98, la Communauté a entendu se conformer à ses obligations assumées au titre des accords de l’OMC, à la suite de la décision de l’ORD du 25 sep-tembre 1994 », in Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 167.

(37) Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 170.

(38) Fr. schmieD, Les effets des accords de l’OMC dans l’ordre juridique de l’Union européenne et de ses États membres. L’invocabilité au service de l’influence de l’Union sur la mondialisation du droit, Thèse, Université Nancy II, 2011, p. 468.

(39) Le Tribunal y observe que « ni le GATT de 1994 ni l’AGCS n’imposent à leurs signataires une obligation d’adaptation de leur droit national équivalente à celle prévue à l’article 16, paragraphe 6, sous a), du code antidumping de 1979 et à l’article 18, para-graphe 4, du code antidumping de 1994 », en conséquence de quoi il exclut que leur soit appliquée la jurisprudence Nakajima, in Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands International Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 160.

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l’ordre juridique de l’Union. En effet, les clauses conventionnelles créant une obligation d’adaptation des législations nationales ordonnent aux parties au traité d’édicter des actes juridiques propres à lui donner effet dans leurs ordres juridiques (40). Or, la subordination des effets internes d’une stipula-tion d’un engagement international à l’intervention d’un acte de concrétisa-tion émis par les institutions de l’Union neutralise l’effet direct de ladite sti-pulation, celle-ci étant rendue conditionnelle (41). Plus occasionnellement, la Cour en déduit même le défaut d’effet direct de l’ensemble de l’acte (42). À l’examen des conditions d’applicabilité de l’hypothèse Nakajima, une sti-pulation jugée dépourvue d’effet direct, en raison de la subordination de ses effets à l’édiction impérative d’un acte interne, véhicule donc une obligation particulière. Par exemple, une disposition par laquelle les parties contrac-tantes s’engagent « à adopter, en conformité avec leur système juridique, les mesures nécessaires pour assurer [son] application » (43) se soustrait au bénéfice de l’effet direct en même temps qu’elle crée une obligation particulière. Autrement dit, un motif conduisant la juridiction de l’Union à conclure au défaut d’effet direct d’une prescription conventionnelle —

(40) Pour exemple, l’article 16 du code anti-dumping de 1979 stipule ainsi que doivent être édictées « toutes les mesures nécessaires, de caractère général ou particulier, pour assurer, au plus tard à la date où ledit accord entrera en vigueur en ce qui le concerne, la conformité de ses lois, règlements et procédures administratives avec les dispositions dudit accord, dans la mesure où elles peuvent s’appliquer à la partie en question ». L’article 18-4 du code anti-dumping de 1994 indique de son côté que « [c]haque Membre prendra toutes les mesures nécessaires, de caractère général ou particulier, pour assurer, au plus tard à la date où l’Accord sur l’OMC entrera en vigueur pour lui, la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec les dispositions du présent accord, dans la mesure où elles pourront s’appliquer au Membre en question ».

(41) La Cour juge ainsi qu’« une stipulation d’un accord conclu par l’Union et ses États membres avec des États tiers doit être considérée comme étant d’effet direct lorsque, […] elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exé-cution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur », in C.J.U.E., 8 mars 2011, aff. C-240/09, Lesoochranárske zoskupenie VLK, point 44 ; C.J.C.E., 12 avril 2005, aff. C-265/03, Igor Simutenkov c. Ministerio de educación y cultura et Real Federación Española de Fútbol, Rec. p. I-2579, point 21.

(42) C.J.U.E., 15 mars 2010, aff. C-135/10, Società Consortile Fonografici (SCF) contre Marco del Corso, point 47, com. J.-S. BerGé, « Les mots de l’interaction : compé-tence, applicabilité et invocabilité », J.D.I., 2012, pp. 1005-1020.

(43) Par exemple, l’article 23, paragraphe 1 du Traité WPPT, in Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, approuvés au nom de la Com-munauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, J.O., L 89, p. 6.

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l’existence d’une clause d’adaptation impérative du droit interne (44) — génère corrélativement une présomption en faveur de l’invocabilité de mise en exécution. L’indice de sa conditionnalité est alors concurremment celui de sa faculté à produire des obligations particulières (45).

En outre, ce type de stipulation prédispose le législateur de l’Union à édicter des normes leur donnant exécution. À titre d’illustration, l’article 3, paragraphe 1 de la Convention d’Aarhus, qui stipule que « [c]haque Partie prend les mesures législatives, réglementaires ou autres nécessaires, y com-pris des mesures visant à assurer la compatibilité des dispositions donnant effet aux dispositions de la présente Convention… », crée une obligation particulière qui prédisposa le législateur de l’Union à lui donner exécution par le biais du règlement 1367/2006. La lettre de la Convention d’Aarhus se trouve ainsi aux sources de la consécration de son invocabilité de mise en exécution. Dans le même sens, l’existence de législations communautaires de mise en exécution des codes anti-dumping procède de l’obligation que ces derniers faisaient peser sur leurs parties d’adapter leur droit interne afin de refléter la teneur desdits accords. En définitive, la lettre des traités ne constitue indéniablement pas le critère déterminant de l’invocabilité de mise en exécution comme c’est le cas pour la reconnaissance de leur effet direct. Elle n’en exerce pas moins une influence directe sur l’applicabilité de la jurisprudence Nakajima en ce qu’elle conditionne l’existence d’une obligation particulière et incline le législateur à la mettre en œuvre.

L’acte porteur de la norme contrôlée doit se donner pour objet l’exécution de cette obligation particulière. Cette condition, proche de celle de l’intention examinée ci-dessus, s’en distingue simplement en ce que la simple volonté du législateur de s’acquitter de ses obligations générales de droit interna-tional ne la satisfait pas. Il est encore nécessaire que certaines prescriptions spécifiques entretenant un lien avec la norme invoquée soient désignées par l’acte attaqué. Depuis l’arrêt Petrotub, il est établi que lorsqu’une des

(44) Cette corrélation entre conditionnalité et obligation particulière ne se retrouve pas si la prescription dépourvue d’effet direct n’adresse pas aux parties contractantes un ordre de mettre leur législation en conformité avec leurs obligations conventionnelles. Par exemple l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto par lequel ses parties « cherchent à limiter ou à réduire les émissions de certains gaz à effet de serre provenant des com-bustibles de soute utilisés dans les transports aériens » est jugé dépourvu d’effet direct en raison de sa conditionnalité dans l’arrêt Air Transport association of America. Pour autant il ne saurait être considéré comme générateur d’une obligation particulière en tant que son défaut d’effet direct n’est pas déduit d’une clause impérative d’adaptation du droit interne. C.J.U.E., arrêt du 21 décembre 2011, aff. C-366/10, The Air Transport Association of America e.a., point 77.

(45) Pour une mise en application de cette théorie, voir infra I-B.

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dispositions de l’acte manifeste l’intention de mettre en œuvre la norme de référence appréhendée comme une obligation particulière, celle-ci est logiquement réputée invocable (46). De manière semblable, dans l’arrêt Vereniging Milieudefensie, la juridiction de l’Union observe d’abord que « le considérant 18 du règlement no 1367/2006 se réfère expressément à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ». Elle ajoute à titre d’indice complémentaire qu’« il ressort de la jurisprudence de la Cour que […] le règlement no 1367/2006 a pour objet de mettre en œuvre les stipu-lations de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus en ce qui concerne les institutions de l’Union » (47). Ici, la législation de l’Union ne témoigne pas d’une simple volonté de donner exécution à des obligations internationales indéterminées, elle marque bien au contraire une intention de concrétiser une obligation spécifique de la Convention d’Aarhus, aux fins de lui donner des effets internes. Le règlement 1367/2006 donne exécution à une obligation particulière — le droit d’accès à la justice environnemen-tale — dont le requérant peut dès lors se prévaloir en application de la jurisprudence Nakajima.

L’exécution intentionnelle d’une obligation particulière par le législateur permet donc de conclure à l’invocabilité de mise en exécution des accords internationaux dépourvus d’effet direct. Il est certes légitime de s’interroger sur les logiques de cette jurisprudence. Rien ne justifie que le principe de primauté des traités ne déploie ses effets que dans les hypothèses de contestations des actes leur donnant exécution (48). Conférer au législateur le pouvoir de déter-miner l’invocabilité du droit conventionnel ne paraît guère plus défendable. Mais force est de reconnaître que cette jurisprudence dynamise l’accession du droit conventionnel au rang de paramètre de la légalité de l’Union. En écartant l’effet direct des critères conditionnant l’aptitude des stipulations convention-nelles à s’ériger en norme de référence, l’invocabilité de mise en exécution permet la sanction des méconnaissances des éléments conventionnels de la légalité non porteurs de droits. Cependant, les conditions d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima ont longtemps été présentées comme limitant de facto son champ d’application aux accords anti-dumping conclus sous l’égide

(46) Par exemple une disposition du préambule du règlement attaqué, in C.J.C.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA c. Conseil, Rec. p. I-79, point 55.

(47) Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieude-fensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 58 ; la jurisprudence à laquelle il est fait référence est l’arrêt Lesoochranárske, C.J.U.E., 8 mars 2011, aff. C-240/09, Lesoochranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky.

(48) Voir le propos de la professeure Marie Gautier, in M. GauTier, « L’effet direct des Conventions internationales », R.F.D.A., 2012, pp. 560-571 (564).

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de l’OMC. La promotion du droit à la légalité qu’elle portait en germe s’en trouvait réduite. La jurisprudence Vereniging Milieudefensie bouleverse ici les perspectives. L’extension explicite du champ d’application matériel de l’invocabilité de mise en exécution à l’ensemble des accords liant l’Union européenne offre aux justiciables la garantie de l’utilité de la sollicitation de la jurisprudence Nakajima pour tout accord dépourvu d’effet direct.

ii. — l’extension du champ d’application matériel de l’invocabilité de mise en exécution

L’arrêt Vereniging Milieudefensie permet enfin à la jurisprudence Naka-jima d’accéder pleinement à la dignité d’arrêt de principe. Jusqu’alors, son application aux seuls codes anti-dumping, dont le défaut d’effet direct (49) neutralisait la justiciabilité de « règles nouvelles et détaillées » (50), laissait penser qu’elle ne serait jamais qu’une solution d’espèce. La reconnaissance de l’invocabilité de mise en exécution de la Convention d’Aarhus sous-trait cette dimension casuistique de la doctrine de la mise en exécution en étendant son champ d’application matériel. Le Tribunal consacre ainsi la sujétion de l’ensemble du droit conventionnel de l’Union européenne à la doctrine de la mise en exécution (A). Ce nouvel élan pourrait élever de nombreuses prescriptions conventionnelles dépourvues d’effet direct au rang de paramètre de la légalité de l’Union (B).

a . — le Bloc De convenTionaliTé De l’union, suJeT De l’invocaBiliTé De mise en exécuTion

Dans l’arrêt Chiquita Brands, le Tribunal de première instance soulignait que, « s’agissant de recours introduits par des particuliers, la Cour et le Tribu-nal n’ont pas appliqué le principe issu de l’arrêt Nakajima dans un contexte autre que celui du contrôle, par voie incidente, de la conformité des règlements de base antidumping par rapport aux dispositions des codes antidumping de 1979 et de 1994 » (51). Sans s’aventurer à adopter une position définitive, la juridiction de l’Union ne manifestait pas l’intention d’étendre le champ

(49) C.J.U.E., 27 septembre 2007, aff. C-351/04, Ikea Wholesale Ltd c. Commissioners of Customs & Excise, Rec. p. I-7723, point 29.

(50) C.J.U.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA c. Conseil, Rec. p. I-79, point 55.

(51) Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 118.

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d’application matériel de l’invocabilité de mise en exécution à l’ensemble du droit conventionnel. Elle remarquait que « hors de ce contexte particulier du contentieux antidumping, la Cour et le Tribunal ont rejeté l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt Nakajima » (52). Par suite, les juridictions de l’Union européenne dénièrent tour à tour l’invocabilité de mise en exécution des décisions de l’Organe de règlement des différends de l’OMC prises dans le cadre du contentieux de la banane en soutenant que l’« obligation d’assurer la conformité de mesures internes par rapport aux engagements internatio-naux issus des accords de l’OMC revêt indéniablement un caractère général qui contraste avec les règles des codes antidumping » (53).

La question de savoir si la jurisprudence Nakajima se trouvait de facto réduite aux codes antidumping du GATT suscitait donc de réelles interro-gations dont la doctrine se faisait le relais (54). Il était en ce sens allégué par l’avocat général Tizzano que la référence à la jurisprudence Nakajima était devenue une formule incantatoire psalmodiée lors de tout contentieux sollicitant l’application d’un produit juridique international, alors même que cette « jurisprudence [fut] rendue dans un contexte différent » (55). Ce doute était alimenté par une jurisprudence réservant les hypothèses d’application de l’invocabilité de mise en exécution aux litiges où se trouvaient sollicités les codes anti-dumping du GATT (56), son applicabilité ayant été refusée à

(52) Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 120.

(53) Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 161 ; C.J.C.E., 1er mars 2005, aff. C-377/02, Van Parys contre Belgisch Interventie- en Restitutie bureau, Rec. p. I-1465, point 52.

(54) M. Bronckers, P.-J. kuiJper, « WTO Law in the European Court of Justice », CMLRev, 2005, pp. 1313-1355 (1325-1327) ; R. holDGaarD, External relations law of the European community : legal reasoning and legal discourse, Wolters Kluwer Law and busi-ness, Austin, 2008, p. 319 ; A. arcuri et S. poli, « What price for the Community enforce-ment of WTO law ? », Florence, European University Institute, EUI working paper, 2010, http://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/13534/LAW_2010_01.pdf ? sequence=3, p. 9.

(55) A. Tizzano, conclusions sur C.J.C.E., 1er mars 2005, aff. C-377/02, Van Parys c. Belgisch Interventie- en Restitutie bureau, Rec. p. I-1465, point 96.

(56) C.J.C.E., 7 mai 1991, aff. C-69/89, Nakajima All Precision Co. Ltd c. Conseil, Rec. p. 1689 ; Tribunal de première instance, 27 janvier 2000, aff. T-256/97, Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC) c. Commission des Communautés européennes, Rec. p. II-101 ; C.J.C.E., 9 janvier 2003, aff. C-76/00, Petrotub SA et Republica SA c. Conseil, Rec. p. I-79 ; Tribunal de première instance, 28 octobre 2004, aff. T-35/01, Shan-ghai Teraoka Electronic Co. Ltd c. Conseil de l’Union européenne, Rec. p. II-3663.

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de nombreuses reprises dans le cadre des autres accords OMC (57). L’obser-vateur de la jurisprudence de l’Union ne pouvait dès lors, avant que ne soit prononcé l’arrêt Vereniging Milieudefensie, que faire montre d’une prudente retenue, si ce n’est d’un certain scepticisme, à l’endroit de l’application de la jurisprudence Nakajima à la Convention d’Aarhus.

Le Tribunal conclut pourtant qu’en considération de l’invocabilité de mise en exécution, il lui appartient « de vérifier la validité de la disposition dont l’illégalité a été excipée par les requérantes au regard de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus » (58). Cet arrêt ôte donc toute pertinence à l’analyse de la jurisprudence Nakajima en termes de solution d’espèce. La juridiction de l’Union intègre en effet la Convention d’Aarhus au champ d’application de l’invocabilité de mise en exécution sur le fon-dement de sa prévalence sur le droit dérivé (59). Ce faisant, elle assujettit à la doctrine de la mise en exécution l’ensemble du droit conventionnel bénéficiant de la primauté sur le droit dérivé au titre de l’article 216, ali-néa 2, TFUE. Le Tribunal donne de cette manière un nouvel élan à la solution Nakajima.

Les requérants et leurs conseils, désormais assurés que l’invocabilité de mise en exécution n’est pas réservée aux codes anti-dumping, ne seront plus dissuadés de solliciter l’application des accords internationaux dépourvus d’effet direct dans leurs contestations de la légalité des actes juridiques de l’Union les mettant en œuvre.

(57) C.J.C.E., 23 novembre 1999, aff. C-149/96, République du Portugal c. Conseil de l’Union européenne, Rec. p. I-7379, point 49 ; C.J.C.E., 20 septembre 2003, aff. C-93 et 94/02, Biret international SA & Establishment Biret SA c. Conseil, Rec. p. I-497, point 53 ; C.J.C.E., 1er mars 2005, aff. C-377/02, Van Parys c. Belgisch Interventie- en Restitutie bureau, Rec. p. I-1465, point 40 ; C.J.U.E., 10 novembre 2011, aff. C-319/10, X c. Inspecteur van de Belastingsdienst et Y et X BV c. Inspecteur Van de Belastingdienst, points 38-39.

(58) Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieude-fensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 59.

(59) Le Tribunal de l’Union déduit l’opportunité de l’examen des conditions d’appli-cabilité Nakajima du fait que « [l]a convention d’Aarhus a été signée par la Commu-nauté européenne et a ensuite été approuvée par la décision 2005/370/CE […]. Partant, les institutions sont liées par cette convention, laquelle bénéficie de la primauté sur les actes communautaires dérivés. Il s’ensuit que la validité du règlement no 1367/2006 peut être affectée du fait de son incompatibilité avec la convention d’Aarhus », in Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 52.

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B . — les nouveaux horizons De l’invocaBiliTé De mise en exécuTion

L’invocabilité de mise en exécution de la Convention d’Aarhus laisse préfigurer la multiplication des engagements internationaux justiciables devant la Cour de justice l’Union. Nombre d’accords dépourvus d’effet direct pourraient en effet accéder à l’invocabilité au titre de la doctrine Nakajima.

Il convient tout de même de déplorer, à titre liminaire, que la recon-duite de la conditionnalité de l’exécution d’une « obligation convention-nelle particulière » laisse les règles OMC (hors l’hypothèse spécifique du code anti-dumping) à l’écart du cercle du droit conventionnel susceptible de s’élever au rang de norme de référence (60). Un assouplissement des conditions d’applicabilité de l’invocabilité de mise en exécution, calqué sur la jurisprudence Racke qui n’exige pas l’établissement d’une obligation coutumière particulière (61), eut en effet permis de reconnaître aux règles OMC cette qualité de paramètre de la légalité du droit de l’Union qui lui fait défaut. Les réticences de la Cour à calquer le régime de l’invocabilité du droit conventionnel sur celui de la coutume sont d’autant plus regret-tables que, dans l’affaire Air transport association of America, les effets de l’invocabilité simplifiée du droit coutumier ont nettement été circonscrits. La grande chambre a ainsi confirmé la règle dégagée dans l’arrêt Racke selon laquelle « dès lors qu’un principe du droit international coutumier ne revêt pas le même degré de précision qu’une disposition d’un accord inter-national, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de

(60) La Cour de justice affirme ainsi dans l’affaire Chiquita Brands que « ni le GATT de 1994 ni l’AGCS n’imposent à leurs signataires une obligation d’adaptation de leur droit national équivalente à celle prévue à l’article 16, paragraphe 6, sous a), du code antidum-ping de 1979 et à l’article 18, paragraphe 4, du code antidumping de 1994 », in Tribunal de première instance, 3 février 2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Commission, Rec. p. II-315, point 160.

(61) En l’espèce, la Cour admettait que le règlement (CEE) no 3300/91 du Conseil, du 11 novembre 1991, suspendant les concessions commerciales prévues par l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la république socialiste fédé-rative de Yougoslavie avait été « pris en application » des principes de droit international coutumier portant sur la cessation et la suspension des relations conventionnelles en rai-son d’un changement fondamental de circonstances. La juridiction de l’Union n’établissait pourtant pas l’aptitude de ces principes coutumiers à générer des obligations particulières. C.J.C.E., 16 juin 1998, aff. C-162/96, A. Racke GmbH & Co. c. Hauptzollamt Mainz, Rec. p. I-3655, point 48, com. A. BerramDane, « L’application de la coutume internatio-nale dans l’ordre juridique communautaire », ces Cahiers, 2000, pp. 253-279 ; E. leray, « L’intégration du droit international coutumier dans l’ordre juridique communautaire », JCP G, 1999, p. 10022.

l’invocaBiliTé nakaJima 705

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savoir si les institutions de l’Union, en adoptant l’acte en cause, ont commis des erreurs manifestes d’appréciation quant aux conditions d’application de ces principes » (62). Cette limitation à un contrôle d’intensité minimale encadre la marge d’appréciation du juge appelé à contrôler la conformité du droit interne (63) à l’aune d’une norme coutumière imprécise. Transpo-sée à l’hypothèse Nakajima, cette solution permettrait à la juridiction de l’Union de rendre hommage à la logique en favorisant l’invocabilité des règles non génératrices d’obligations particulières (64), tout en tirant les conséquences de leur faible force invalidante en limitant les cas d’annula-tion aux erreurs manifestes d’appréciation. Autrement dit, l’aptitude d’une norme conventionnelle à générer des obligations particulières n’influerait plus sur sa justiciabilité mais sur l’intensité du contrôle de validité opéré sur son fondement. Aussi longtemps que la Cour refusera d’assouplir de cette manière les conditions d’invocabilité du droit conventionnel, l’absence d’obligations particulières dans le droit de l’OMC neutralisera sa propension à s’ériger en paramètre de la légalité des actes de l’Union.

Au-delà du cas particulier de droit de l’OMC, l’effectivité des accords internationaux liant l’Union devrait être promue par la jurisprudence Vere-niging Milieudefensie. À titre d’illustration, le Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ci-après, OMPI) sur les interpréta-

(62) C.J.U.E., 21 décembre 2011, aff. C-366/10, Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc., United Airlines Inc. c. Secretary of State for Energy and Climate Change, point 110 ; C.J.C.E., 16 juin 1998, aff. C-162/96, A. Racke GmbH & Co. c. Hauptzollamt Mainz, Rec. p. I-3655, point 52.

(63) La jurisprudence ATAA limite toutefois la possibilité de se prévaloir d’une pres-cription coutumière imprécise en qualité de norme de référence à l’hypothèse du contrôle de la légalité d’un acte « susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit de l’Union ou de créer dans son chef des obligations au regard de ce droit », C.J.U.E., 21 décembre 2011, aff. C-366/10, Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc., United Airlines Inc. c. Secretary of State for Energy and Climate Change, point 107. Cette condition suscite une réelle perplexité dans la mesure où il n’apparaît guère justifié de soumettre le droit des justiciables de se prévaloir d’une norme internationale au lien de droit existant entre lui et l’acte attaqué. Voir en ce sens, I. Bosse plaTière, C. flaesch-mouGin, « La Cour précise si et dans quelle mesure le droit international conventionnel et coutumier peut être invoqué directement par une personne physique ou morale aux fins de contester la validité d’un acte de l’Union », R.T.D.E., 2012, pp. 247-251 (250) ; V. correia. L’Union européenne et l’ordre international de l’aviation civile. La contribution de l’Union européenne aux évolutions contemporaines du droit aérien international, Thèse, Université Bordeaux IV, 2012, p. 815.

(64) Cette exigence logique s’impose si l’on admet que « l’imprécision de la prescrip-tion n’en supprime pas le caractère normatif », in G. veDel, « La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in Colloque du bicentenaire : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, PUF, Paris, 1989, p. 55.

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tions et exécutions et les phonogrammes (65) (ci-après, Convention WPTT) pourrait tirer bénéfice de l’invocabilité de mise en exécution. La Cour de justice a en effet noté dans l’affaire Società Consortile Fonografici que les parties contractantes de la Convention WPPT s’engageaient, au titre de son article 23, paragraphe 1, « à adopter, en conformité avec leur système juridique, les mesures nécessaires pour assurer son application » (66). Cette prescription a pour effet de rendre conditionnelles l’ensemble des stipula-tions de la convention WPPT qui s’en trouvent, en vertu de la jurisprudence Demirel (67), « dépourvues d’effet direct dans le droit de l’Union » (68). Dans la mesure où cette même prescription permet d’inférer sa capacité à générer des obligations particulières (69), le simple constat de l’intention du législateur de donner exécution à certaines d’entre elles permettrait de lui appliquer la jurisprudence Nakajima. En conséquence, la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voi-sins dans la société de l’information, dont l’édiction vise, aux termes du préambule, « à mettre en œuvre » et à « se conformer » (70) au Traité de l’OMPI, devrait pouvoir voir sa légalité contrôlée à l’aune de la Convention WPPT. La jurisprudence Vereniging Milieudefensie permet donc de conférer une invocabilité à des accords internationaux dont le défaut d’effet direct est déduit de leur incomplétude. En somme, le caractère conditionnel de certaines normes conventionnelles, lorsqu’il est déduit d’une clause impé-rative d’adaptation du droit interne, favorise leur invocabilité à l’encontre des actes les concrétisant dans l’ordre juridique de l’Union.

(65) Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, J.O., L 89, p. 6.

(66) C.J.U.E., 15 mars 2011, aff. C-135/10, Società Consortile Fonografici (SCF) c. Marco del Corso, point 47.

(67) C.J.C.E., 30 septembre 1987, aff. 12/86, Meryem Demirel c. ville de Schwäbisch Gmünd, Rec. p. 3719, point 14 ; voir aussi C.J.C.E., 15 juillet 2004, aff. C-213/03, Syndicat professionnel coordination des pêcheurs de l’étang de Berre et de la région c. Électricité de France (EDF), Rec. p. I-7357, point 38 ; C.J.U.E., 8 mars 2011, aff. C-240/09, Lesoo-chranárske zoskupenie VLK, point 44 ; C.J.U.E., 21 décembre 2011, aff. C-366/10, The Air Transport Association of America e.a., point 55.

(68) C.J.U.E., 15 mars 2011, aff. C-135/10, Società Consortile Fonografici (SCF) c. Marco del Corso, point 48.

(69) Il s’agit de la condition de l’intention, voir supra I-A. (70) Directive (CE) no 2001/29 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001

sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O., L 167, 22 juin 2001, pp. 10-19, considérants 15 et 61 du préambule.

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Par ailleurs, la doctrine de la mise en exécution paraît avoir influencé ces dernières années d’autres solutions contentieuses. Ce fut notamment le cas devant le Tribunal de la fonction publique dans le cadre de litiges opposant les institutions de l’Union à leurs agents soulevant une question de compatibilité entre deux règles de droit dérivé. Une directive de l’Union adressée aux États membres porteuse d’obligations particulières peut désormais être invoquée par des fonctionnaires communautaires à l’encontre d’actes institutionnels d’organisation interne ayant pour objet de lui donner exécution. La juridiction de l’Union reprend les conditions d’applicabilité de l’invocabilité de mise en exécution lorsqu’elle estime, dans l’arrêt Laleh Aayhan, qu’« une directive pourrait […] lier une institution quand celle-ci a […] entendu donner exécu-tion à une obligation particulière énoncée par une directive ou encore dans l’occurrence où un acte de portée générale d’application interne renvoie, lui-même, expressément aux mesures arrêtées par le législateur communautaire en application des traités » (71). On retrouve ici la logique de la jurisprudence Nakajima calquée à un rapport de compatibilité entre deux normes de droit dérivé. Dès lors que se trouve établie l’intention d’une institution de donner exécution à une obligation législative particulière par le moyen d’un acte de droit dérivé, la première peut être érigée en paramètre de la légalité du second sans que ne soit au préalable établi son effet direct. Il est vrai que le champ des règles susceptibles d’être contestées sur le fondement de la doctrine de la mise en exécution reste ici cantonné aux actes d’organisation interne des institutions de l’Union. Il n’en est pas moins remarquable que la jurisprudence Nakajima semble avoir été le souffle inspirateur de cette promotion de l’invo-cabilité autonome de l’effet direct dans le contentieux de la fonction publique.

L’invocabilité Nakajima a donc vu sa vitalité renouvelée par la jurispru-dence Vereniging Milieudefensie. La possibilité d’obtenir la sanction des violations de prescriptions conventionnelles dépourvues d’effet direct est désormais ouverte lorsque les autorités normatives de l’Union exécutent leurs obligations internationales. À cet égard, il n’est pas anodin de relever qu’en l’espèce, la disposition contestée du règlement 1367/2006 est jugée contraire à la Convention d’Aarhus en application de la doctrine de la mise en exécution, et la décision le concrétisant conséquemment annulée (72).

(71) Tribunal de la fonction publique, arrêt du 30 avril 2009, aff. F-65/07 et F-8/08, Laleh Aayhan e.a. et Colette Renier c. Parlement européen, point 116 ; voir aussi Tribunal de la fonction publique, 4 juin 2009, aff. F-134/07 et F-8/08, Vahan Adjemian e.a. c. Commission des Communautés européennes, point 92.

(72) Le Tribunal juge ainsi que « l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, en ce qu’il limite la notion d’« actes » de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus aux seuls « acte[s] administratif[s] », définis à l’article 2, paragraphe 1, sous g), du même

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Le droit à la légalité conventionnelle se trouve donc promu par le Tribunal. Aussi, les institutions de l’Union européenne devront à l’avenir redoubler de précaution dans le travail d’adaptation de leur ordre juridique à son environnement international (73).

règlement comme des « mesure[s] de portée individuelle », n’est pas compatible avec l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus », in Tribunal de l’Union européenne, 14 juin 2012, aff. T-396/09, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, point 69.

(73) L’arrêt Vereniging Milieudefensie étant l’objet de pourvois (cf. note 16 supra), la pérennité de cette conclusion est suspendue à la confirmation par la Cour de justice de la solution adoptée par le Tribunal de l’Union européenne.

l’aRRêt de la coUR conStitUtionnelle tcHèQUe dU 31 janVieR 2012,

leS reTraiTes slOVaQues XVii : le pRincipe de l’égalité de

tRaitement — Un motif de ReBellion contRe la coUR de jUStice

de l’Union eURopéenne ?

par

Jiří ZEMÁNEKProfesseur Jean Monnet — Droit de l’Union européenne

Université Charles de Prague

Sommaire

I. — IntroductIon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 710

II. — Le cadre jurIdIque InItIaL de L’affaIre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 713

A. — les réGimes posT-féDéraux De reTraiTe « inJusTes » . . . . . . . . . . . . . . 713

B. — le confliT Des JuriDicTions suprêmes sur la soluTion « européenne » recevaBle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715

C. — l’enTrée en scène De la cour De JusTice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 716

D. — les réponses De la cour De JusTice aux quesTions préJuDicielles posées Dans l’affaire Landtová . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 718

III. — Le corps de L’affaIre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 719

A. — la réacTion imméDiaTe Des auToriTés Tchèques face à l’arrêT De la cour De JusTice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 719

B. — le Besoin De la cour consTiTuTionnelle De se DisTancer par rapporT à l’arrêT De la cour De JusTice : le conTexTe facTuel De l’affaire Les retraites sLovaques Xvii . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 720

C. — la Décision De la cour De JusTice consiDérée comme un acTe uLtra vires : les arGumenTs-clés De la cour consTiTuTionnelle . . . . . . . . . . . . 721