les militaires français de l'armée allemande et la hongrie pendant la seconde guerre mondiale

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Les militaires français de l’armée alle- mande et la Hongrie pendant la Seconde Guerre mondiale 1 Krisztián Bene Docteur en histoire. Maître-assistant Directeur du Département d’Études françaises et francophones Université de Pécs Grande puissance européenne dont l’influence est considérable dans l’évolution poli- tique, économique et culturelle du continent, certains chapitres de son histoire demeure- ment encore relativement dans l’ombre. Par exemple, la participation militaire française dans la Seconde Guerre mondiale, malgré le travail de quelques historiens renommés 2 , est caractérisée par l’intérêt presque exclusif porté aux combats des Forces francaises libres et à ceux de la Résistance intérieure. Cependant, la participation militaire française dans la Seconde Guerre mondiale n’est pas si univoque. À peine un pour cent des qua- rante millions de Français se range du côté de la résistance armée, tandis qu’un autre pour cent de cette même population opte pour la collaboration avec l’occupant. Dans le camp de ces derniers, on trouve de nombreuses personnes qui prennent directement les armes pour lutter aux côtés des Allemands. Le nombre de ces collaborationnistes « jusqu’au- boutistes » est difficile à définir avec précisions et ne peut être qu’estimé. Il est de l’ordre de quarante 3 à soixante mille 4 personnes. C’est-à-dire un effectif absolument comparable avec celui des FFL pour sa part estimé entre cinquante et soixante-dix mille individus 5 . Si l’objectif de la présente étude n’est pas d’aborder en détail la collaboration mili- taire française, il est néanmoins nécessaire de donner une image générale de ce phéno- mène. Cette introduction est indispensable afin de pouvoir analyser les relations entre les différentes formations françaises luttant pour la cause allemande, et la Hongrie au sens 1 Cette recherche a été subventionnée par l’Union européenne et l’État de Hongrie et co-financée par le Fonds social européen dans le cadre du National Excellence Program. TÁMOP 4.2.4.A/2-11- 1-2012-0001. Elaboration and operating an inland student and researcher personal support system convergence program (This research was supported by the European Union and the State of Hun- gary, co-financed by the European Social Fund in the framework of National Excellence Program TÁMOP 4.2.4. A/2-11-1-2012-0001. Elaboration and operating an inland student and researcher personal support system convergence program). 2 Citons principalement Jean-Pierre Azéma, Jean-Paul Brunet, Michèle et Jean-Paul Cointet, Pierre Giolitto, Pascal Ory, Robert Paxton ou Henry Rousso. 3 Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Éditions du Seuil, Paris, 1995, page 442. 4 Carrard Philippe, Nous avons combattu pour Hitler, Armand Colin, Paris, 2011, page 9. 5 Muracciole Jean-François, Les Français libres. L’autre Résistance, Éditions Tallandier, Paris, 2009, page 36.

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Les militaires français de l’armée alle-mande et la Hongrie pendant la

Seconde Guerre mondiale 1

Krisztián BeneDocteur en histoire. Maître-assistant

Directeur du Département d’Études françaises et francophonesUniversité de Pécs

Grande puissance européenne dont l’influence est considérable dans l’évolution poli-tique, économique et culturelle du continent, certains chapitres de son histoire demeure-ment encore relativement dans l’ombre. Par exemple, la participation militaire française dans la Seconde Guerre mondiale, malgré le travail de quelques historiens renommés 2, est caractérisée par l’intérêt presque exclusif porté aux combats des Forces francaises libres et à ceux de la Résistance intérieure. Cependant, la participation militaire française dans la Seconde Guerre mondiale n’est pas si univoque. à peine un pour cent des qua-rante millions de Français se range du côté de la résistance armée, tandis qu’un autre pour cent de cette même population opte pour la collaboration avec l’occupant. Dans le camp de ces derniers, on trouve de nombreuses personnes qui prennent directement les armes pour lutter aux côtés des Allemands. Le nombre de ces collaborationnistes « jusqu’au-boutistes » est difficile à définir avec précisions et ne peut être qu’estimé. Il est de l’ordre de quarante 3 à soixante mille 4 personnes. C’est-à-dire un effectif absolument comparable avec celui des FFL pour sa part estimé entre cinquante et soixante-dix mille individus 5.

Si l’objectif de la présente étude n’est pas d’aborder en détail la collaboration mili-taire française, il est néanmoins nécessaire de donner une image générale de ce phéno-mène. Cette introduction est indispensable afin de pouvoir analyser les relations entre les différentes formations françaises luttant pour la cause allemande, et la Hongrie au sens

1 Cette recherche a été subventionnée par l’Union européenne et l’État de Hongrie et co-financée par le Fonds social européen dans le cadre du National Excellence Program. TÁMOP 4.2.4.A/2-11-1-2012-0001. Elaboration and operating an inland student and researcher personal support system convergence program (This research was supported by the European Union and the State of Hun-gary, co-financed by the European Social Fund in the framework of National Excellence Program TÁMOP 4.2.4. A/2-11-1-2012-0001. Elaboration and operating an inland student and researcher personal support system convergence program).2 Citons principalement Jean-Pierre Azéma, Jean-Paul Brunet, Michèle et Jean-Paul Cointet, Pierre Giolitto, Pascal Ory, Robert Paxton ou Henry Rousso.3 Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Éditions du Seuil, Paris, 1995, page 442.4 Carrard Philippe, Nous avons combattu pour Hitler, Armand Colin, Paris, 2011, page 9.5 Muracciole Jean-François, Les Français libres. L’autre Résistance, Éditions Tallandier, Paris,‎ 2009, page 36.

large. On peut identifier au moins quatre domaines importants où les collaborationnistes militaires français rencontrent des citoyens hongrois en Hongrie, en France et ailleurs en Europe centre-orientale. La présentation de ces différentes interactions peut certainement contribuer à la meilleure connaissance des relations militaires franco-hongroises au XXe siècle.

La collaboration militaire française pendant la seconde Guerre mon-diale

En dépit de la méconnaissance de l’activité des Français qui luttaient au sein du camp allemand après la défaite militaire de 1940, ce phénomène mérite d’être approfondi. Des soldats français portant l’uniforme allemand étaient effectivement présents un peu partout en Europe.

Le nouveau régime politique installé à Vichy à l’été 1940 mène très vite une politique conciliatrice avec le Reich allemand, néanmoins le projet puis la mise en œuvre effec-tive de la collaboration militaire sont une initiative des partis collaborationnistes, surtout d’extrême-droite, siégeant à Paris. Ces formations politiques font des efforts considéra-bles pour essayer d’obtenir les faveurs allemandes en lançant l’idée de l’établissement d’une unité militaire antibolchevique. Cette troupe spéciale qui porte le nom de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) est créée en juillet 1941 6.

Cette initiative surprenante est acceptée par les gouvernements français et allemand, mais elle ne rencontre qu’un succès limité au sein de la population française. Cet échec se traduit par le faible nombre des volontaires. Malgré les efforts de recrutement engagés par les partis politiques, on ne compte que 13 400 engagements pour la Légion antibol-chevique. Ce mince résultat est encore affecté par le résultat des visites médicales obli-gatoires qui ne permettent de ne déclarer que 5 800 hommes aptes au service. La grande majorité des candidats sont écartés pour des raisons de santé et des antécédents judiciaires douteux 7. Il semble bien que la plupart des volontaires sont surtout motivés que par la solde généreuse versée par l’armée allemande. Pour cette raison, leur combativité restera toujours douteuse. Ceux qui ne sont pas éliminés sont dirigés vers le camp d’instruction de Deba (Dembica en polonais) en Pologne occupée. Le premier contingent, suivi par plusieurs autres groupes peu de temps plus tard, y arrive en septembre 1941 8.

Ces volontaires constituent le 638e régiment d’infanterie de la Wehrmacht. En raison du changement de la situation sur le front de l’Est, ces hommes ne sont dotés qu’une instruction hâtive et incomplète avant d’être obligés de monter en première ligne pour participer aux combats devant les portes de Moscou 9. Les soldats français relèvent une unité bavaroise et occupent des postes de combat devant la capitale soviétique à la fin

6 Jäckel Eberhard, La France dans l’Europe de Hitler, Fayard, Paris, 1968, page 263.7 Service historique de la défense (SHD) 2 P 14. Divers rapports.8 Dupont Pierre Henri, Au temps des choix héroïques, L’Homme libre, Paris, 2002, page 85. 9 Larfoux Charles, Carnet de campagne d’un agent de liaison. Russie hiver 1941-1942, Éditions du Lore, Paris, 2008, pp. 15-16.

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du mois de novembre. Ensuite, ils participent à la dernière offensive de grande enver-gure allemande lancée pour prendre Moscou le 1er décembre et qui se solde par un échec sanglant 10. Le manque de résultats tangibles et les pertes importantes subies (50 morts, environ 600 blessés et malades) obligent le commandement allemand à relever la Légion française. Elle doit quitter la première ligne pour recevoir une instruction supplémentaire dans un autre camp d’entraînement en Pologne occupée 11.

Au cours du printemps 1942, l’unité française est donc installée dans le camp de Kruszyna où elle doit être réorganiser, une dépolitiser et épurer ainsi que recevoir une instruction militaire nécessaire 12. Pendant l’été, les deux bataillons français contrôlés et dirigés par des états-majors de liaison allemands (EMLA) sont déployés séparément en Russie et en Biélorussie. Selon les nouveaux ordres, ils participent aux opérations lancées contre les partisans au lieu du combat en première ligne 13. Bien que cette mission soit peu glorieuse et très dangereuse, les Français développent des méthodes de combat efficaces contre les partisans qui subissent de grandes pertes. Même le commandement allemand reconnaît et récompense la Légion en autorisant la reconstitution du régiment français à trois bataillons au mois d’octobre 1943. Par conséquent, à partir de la fin de l’année 1943, tous les soldats de la Légion luttent ensemble en Biélorussie 14. Toutefois, la lutte est plus coûteuse en hommes dans cette région quadrillée par des groupes de partisans bien équipés et mordants. Face aux pertes importantes subies dans la première moitié de 1944, l’unité doit être relevée en juin. Malgré l’ordre de retraite reçu à la fin du mois, la Légion participe aux luttes défensives menées contre les troupes de l’Armée rouge en pleine offensive. Devant la supériorité numérique soviétique, les soldats français arrêtent pourtant l’avance des unités soviétiques pendant presque deux jours 15. Cette victoire éphémère coûte en revanche très cher à la Légion. Elle subit de graves pertes qui contri-buent à la dissolution du régiment dont les soldats sont versés d’office à la Waffen-SS en août 1944 16.

à l’été 1943, l’Allemagne nazie entame des négociations avec le gouvernement fran-çais pour obtenir son autorisation au recrutement de volontaires dans la Waffen-SS. Le potentiel humain français, et celui des autres pays occupés, doit combler les vides dans les rangs des forces armées allemandes après quatre années de combats 17. Le 22 juillet 1943, les Français sont autorisés à s’engager dans l’organisation allemande et le recrutement commence aussitôt. La propagande allemande, basée sur le prestige de cette formation militaire d’élite, connaît un certain succès. Plusieurs milliers de jeunes Français s’enga-

10 Brunet Jean-Paul, Jacques Doriot. Du communisme au fascisme, Balland Paris, 1986, pp. 372-373.11 Bundesarchiv Militärarchiv (BAMA) RH 26-211/43b. Rapport du 27 juin 1942 sur la LVF.12 Broche François, L’armée francaise sous l’Occupation. La dispersion, Presses de la Cité, Paris, 2002, page 218.13 Rusco Pierre, Stoï ! 40 mois de combats sur le front russe, Avalon, Paris, 1988, pp. 32-25.14 Labat Éric, Les places étaient chères, Éditions du Lore, Paris, 2006, pp. 184-185.15 Saint-Loup, Les Volontaires, Presses de la Cité, 1963, pp. 445-446.16 Delarue Jacques, Trafics et crimes sous l’Occupation, Fayard, Paris, 1968, pp. 232-233.17 Mounine Henri, Cernay 40-45, Éditions du Polygone, Ostwald, 1999, pp. 244-249.

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gent dans les bureaux de recrutement récemment ouverts en France et en Allemagne 18. Ces volontaires sont envoyés au camp d’instruction de Sankt Andreas, en Alsace, puis en Bohême pour recevoir un entraînement militaire sérieux de presque une année 19.

Les premiers candidats jugés aptes au service – environ un milliers d’hommes – for-ment le Ier bataillon de la brigade d’assaut française de la Waffen-SS. Cette unité est en-voyée en Galicie à la fin du mois de juillet 1944 où l’Armée rouge vient de commencer sa grande offensive d’été. Les armées allemandes ont donc besoin de tous les renforts dispo-nibles pour essayer d’arrêter cette attaque particulièrement féroce 20. Le bataillon français attaché à la 18e division de grenadiers SS « Horst Wessel » doit réaliser une contre-attaque destinée à repousser l’ennemi dans le secteur de la voie ferrée Sanok-Krosno 21. Entre les 10 et 15 août, cette opération est accomplie avec succès et l’unité est envoyée dans la région de Mielec, située à une centaine de kilomètres au nord-ouest. La division y occupe des positions défensives menacées par l’offensive soviétique qui débute le 20 août. Mal-gré leur défense acharnée, les soldats français subissent une défaite écrasante au cours de cette opération. L’unité perd plus de 80% de son effectif initial 22.

Les survivants et les nouvelles recrues sont dirigés en Allemagne pour former une nouvelle formation portant désormais le nom de 33e division de grenadiers SS « Char-lemagne ». Elle est déployée en Poméranie en février-mars 1945 contre les troupes so-viétiques. Son bilan est désastreux : l’unité mal instruite et mal équipée est pratiquement anéantie au cours de combats inégaux 23. Les rares survivants luttent lors de la défense de la capitale allemande, deux mois plus tard. Quatre soldats de l’unité sont d’ailleurs déco-rés par la Croix de chevalier de la Croix de fer pour leurs faits d’armes particuliers 24.

Dans ce paysage, il ne faut pas oublier les membres d’une organisation collabora-tionniste établie en France, la Milice française dont l’activité sera abordée plus en détail ci-dessous. Cette formation méprisée par la population est armée par les Allemands. Elle fonctionne comme une police auxiliaire de l’occupant pour découvrir et éliminer les ré-sistants 25. L’activité de ses membres entraîne l’arrestation, la déportation ou l’exécution de plusieurs milliers de Français pendant les années de la guerre. Par sa brutalité, la Mi-lice devient une organisation « détestée par l’administration et haïe par la population » 26. Même Pétain qui soutient au début la Milice exprime son mécontentement dans une lettre

18 Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, op. cit., page 441.19 Deloncle Luc, Trois jeunesses provençales dans la guerre, Dualpha, Paris, 2004, page 86.20 Ory Pascal, Les collaborateurs 1940-1945, Seuil, Paris, 1976, page 267.21 Costabrava Fernand, Le soldat baraka. Le Périple européen de Fernand Costabrava, Panzergre-nadier de la Brigade Frankreich, sans éditeur, Nice, 2007, page 74.22 Bayle André, Des jeux olympiques à la Waffen-SS, Éditions du Lore, Paris, 2008, page 143.23 Saint-Loup, Les Hérétiques, Presses de la Cité, 1965, page 249.24 Krätschmer Ernst-Günther, Die Ritterkreuzträger der Waffen-SS, Verlag K. W. Schütz, Preus-sich Oldendorf, 1982, page 412.25 Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, op. cit., page 450.26 Rousso Henry, Un château en Allemagne. La France de Pétain en exil, Sigmaringen 1944-1945, Seuil, Paris, 1980, page 171.

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adressée au chef du gouvernement : « […] je ne puis tolérer plus longtemps l’activité milicienne sous sa forme actuelle » 27.

La Milice française et les membres hongrois de la Résistance

Pétain annonce dès le 5 janvier 1943 la naissance d’une nouvelle organisation, sous le nom de Milice française. Le décret officiel qui la reconnaît d’utilité publique et approuve ses statuts ne voit le jour que le 30 janvier 28. Bien que la nouvelle association soit théo-riquement sous l’autorité du chef du gouvernement, le pouvoir est dans la main de son secrétaire général, Joseph Darnand. Les objectifs du mouvement sont les suivants : l’éta-blissement d’un nouveau régime basé sur le nationalisme et le socialisme, l’intégration de la France à l’Europe nouvelle 29. Le soutien apporté par le gouvernement à l’organisation s’explique par la volonté des autorités françaises d’obtenir une force policière mobilisa-ble pour satisfaire les exigences allemandes et assurer le maintien de l’ordre 30.

Il demeure des incertitudes quant à l’effectif de la Milice. Le nombre des fiches d’ins-cription dépasse 29 000 31, mais le nombre des membres actifs n’est que 15 000 dont seuls 3 à 4 000 appartiennent à l’Avant-Garde, l’aile armée de l’organisation. Ces chiffres sont décevants pour la direction de la Milice qui attendaient des inscriptions en plus grand nombre. Les idées radicales n’attirent pas les Français malgré le fait qu’on essaye d’in-corporer les prisonniers de guerre, et même certains criminels incarcérés 32.

à ses début, l’activité de la Milice se limite à la propagande. On lance des journaux, on distribue des tracts, des affiches et on organise des expositions, des réunions et des conférences. Ces efforts sont considérables, mais les résultats sont faibles 33. On consacre aussi de grands efforts à la lutte contre les « mauvais Français », notamment les résis-tants et les gaullistes. Faute d’armes, les miliciens ne sont pas en mesure de lancer des opérations autonomes contre ceux-ci, mais leur connaissance de terrain leur permet de les identifier et ils n’hésitent pas à partager ces informations avec leurs alliés allemands. Par la suite, ils participent aux arrestations et aux interrogatoires. Leur comportement est souvent cruel, les tortures sont quotidiennes qui contribue à la déportation et àl’exécution d’un nombre d’interrogés 34.

L’efficacité de l’intervention des miliciens contre la Résistance est freinée par le man-que d’armes dont la livraison est refusée par le gouvernement français. En 1943, ce pro-blème devient urgent parce que la Résistance commence à s’attaquer directement à la Mi-lice et réalise une série d’attentats contre les miliciens. L’armement de la Milice semble

27 Noguères Louis, Le véritable procès du Maréchal Pétain, Fayard, Paris, 1955, page 656.28 Lambert Pierre-Philippe, Le Marec Gérard, Organisations, mouvements et unités de l’état fran-çais, Vichy 1940-1944, Grancher, Paris, 1992, page 127.29 AN F 60 1675. Les Nouveaux Temps du 3 février 1943.30 Cointet Jean-Paul, Pierre Laval, Fayard, Paris, 1993, page 428. 31 BAMA N 756/201. Die Kameradschaft : Die Europäischen Freiwilligen, page 3.32 Marcilly Jean, L’heure de la terreur Limousin in Historia, hors-série n°40, 1975, page 61.33 Ibidem.34 Giolitto Pierre, Histoire de la Milice, Perrin, Paris, 1997, pp. 236-238.

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d’être une nécessité absolue. Darnand se met d’accord avec la Waffen-SS allemande. En échange de la livraison d’armes – surtout des armes alliées parachutées et réquisitionnées par les autorités allemandes – une partie des miliciens doit joindre l’organisation alleman-de. Darnand lui-même prête serment de fidélité à Hitler 35. Désormais équipée, la Milice lance une offensive contre la Résistance et devient la formation policière et paramilitaire la plus redoutée et la plus haïe du régime de Vichy 36. Son influence devient plus impor-tante après le 30 décembre 1943, date à laquelle Darnand est nommé Secrétaire général au maintien de l’ordre, ouvrant la porte à une impunité totale pour les miliciens 37.

La situation change après le débarquement des alliés en Normandie le 6 juin 1944. Darnand mobilise toute la Franc-Garde pour la faire participer à la défense du pays 38. Les membres volontaires de cette formation ne sont toutefois utilisés que contre les résistants et toujours sous l’autorité des unités policières allemandes 39. Une fois la France perdue pour la Milice, Darnand ordonne aux membres de l’organisation de quitter le pays et degagner l’Allemagne avec les troupes allemandes que battent en retraite 40. De très nom-breux miliciens, craignant à juste titre la vengeance de la population, quittent la France en subissant les attaques de la Résistance qui détruit d’ailleurs plusieurs convois miliciens 41. Finalement, environ 10 000 personnes (6 000 miliciens, 4 000 femmes et enfants de leurs familles) arrivent en Allemagne en septembre 1944 42.

La France, terre d’immigration depuis le milieu du XIXe siècle, a accueilli au cours de l’entre-deux-guerres un nombre toujours croissant de Hongrois. Beaucoup d’entre eux quittent effectivement à cette époque la Hongrie pour des raisons politiques et choisissent l’Hexagone comme nouvelle patrie. Pour ces hommes qui professent majoritairement une inclinaison pour les doctrines socialistes, la France semble un lieu idéal du point de vue politique et économique. On estime leur nombre à trente mille au début de la Seconde Guerre mondiale 43. Ils sont majoritairement concentrés dans les régions industrielles de la France. La capitale est en effet un terrain idéal pour les intellectuels. 20% des Hongrois sont installés dans le département de la Seine. Ils publient plusieurs journaux pour diffu-ser leurs idées et envoient plusieurs centaines de volontaires combattre dans les Brigades internationales lors de la guerre d’Espagne 44.

35 AN F 1 A 3747. Procès-verbal, novembre 1943.36 D’Orcival François, « Les Français contre les Français : la Milice » in Les Grandes énigmes de l’Occupation, Crémille, Genève, 1970, pp. 55-56. 37 AN F 60 1675. France du 31 décembre 1943.38 AN F 1 A 3766. Mobilisation de Franc-Garde.39 AN F 60 1675. France Libre du 26 juin 1944.40 AN 3 W 140. Procès-verbal d’interrogation de Darnand du 20 juillet 1945. 41 Rousso Henry, Pétain et la fin de la collaboration, Éditions Complexe, Paris, 1984, page 175.42 AN F 7 15300. Procès-verbal du 2 décembre 1946 de Jean Bassompierre.43 Godó Ágnes, Magyarok az európai népek antifasiszta harcában, Zrínyi Katonai Kiadó, Buda-pest, page 19.44 Pécsi Anna, « Magyar ellenállók és partizánok Franciaország és Belgium antifasiszta küzdel-meiben » in Fegyverrel a hazáért, Kossuth Kiadó-Zrínyi Katonai Kiadó, Budapest, 1980, pp. 285-288.

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Après l’éclatement de la guerre, le nombre des Hongrois engagés volontairement dans l’armée française est relativement élevé : 3 000 citoyens hongrois se présentent dans les bureaux de recrutement à l’automne 1939. Leur plupart sont affectés aux 21e, 22e et 23e régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE) dans lesquels ils luttent avec acharnement jusqu’à la défaite française 45.

Les Hongrois sont parmi les premiers qui décident de participer au combat contre l’occupant lors d’une réunion clandestine dans la forêt de Saint-Cloud en juillet 1940. Cette décision est liée à l’existence du Mouvement des ouvriers immigrés (MOI), créé entre les deux guerres, qui facilite l’organisation d’une activité clandestine à ses débuts strictement non combattante 46. L’élargissement et les succès de la Résistance en 1943 permet l’établissement du Mouvement pour l’indépendance hongroise (ou MIH, Magyar Függetlenségi Mozgalom) à l’été 1943. Cette organisation regroupe tous les Hongrois de France qui ont l’intention de lutter pour la libération de la France et de la Hongrie. L’influence communiste reste toujours considérable en son sein. La popularité du MIH est tellement grande qu’il peut établir 70 nouveaux groupes entre juin 1943 et juin 1944. Le nombre des membres actifs de cette organisation est estimé à 1 000 personnes, mais celui des sympathisants était certainement beaucoup plus important 47.

L’activité des Hongrois dans la capitale est très intense dès les premiers moments de l’Occupation. On compte environ vingt groupes clandestins à Paris en 1941. Dès septem-bre 1940, deux Hongrois sont arrêtés pour participation dans une action de sabotage. En novembre 1943, la Gestapo arrête 200 résistants à Paris dont 23 sont condamnés à mort dans le cadre du procès Manouchian (d’après le nom du chef de ce groupement, Missak Manouchian, un résistant d’origine arménienne). L’occupant cherche à démontrer par l’intermédiaire d’un procès largement médiatisé que les résistants sont des terroristes étrangers. Les accusés sont exclusivement des membres étrangers de la Résistance. Parmi les condamnés, on trouve trois Hongrois : József Boczor, Tamás Elek, Imre Békés qui sont exécutés avec leurs camarades le 21 février 1944 48.

97 résistants hongrois participent régulièrement aux actions armées contre l’occupant dont 33 luttent sous les ordres directs des Francs tireurs et partisans français (FTPF). Le MIH crée plusieurs groupes spéciaux dont le nombre exact est inconnu, mais on sait qu’il y a 20 dans un seul arrondissement de Paris. On peut donc supposer que plusieurs centaines de résistants hongrois sont présents. Ces derniers participent activement à la libération de Paris 49.

L’activité des groupes de résistants hongrois de la zone libre est dirigée par le MIH. Ce réseau s’étend à neuf villes de la zone, notamment Grenoble, Toulouse, Lyon, Mar-

45 Montagnon Pierre, La Légion étrangère de 1831 à nos jours, Pygmalion, Paris, 1999, pp. 211-215.46 Godó Ágnes, Magyarok az európai népek antifasiszta harcában, op. cit., pp. 20-21.47 Pécsi Anna, « Magyar ellenállók és partizánok Franciaország és Belgium antifasiszta küzdelmei-ben », op. cit., pp. 257-258.48 Hadtörténeti Levéltár (HL) Tgy. 292. d. 3065. 49 Filyó Mihály, Magyarok az európai antifasiszta ellenállási mozgalmakban, Móra Ferenc Könyv-kiadó, Budapest, 1980, pp. 61-66.

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seille, Montpellier, Nice, Bordeaux. Dans un premier temps, ces résistants s’occupent des collectes de provisions en faveur des combattants de la guerre civile espagnole gardés dans les camps d’internement. Plus tard, ils organisent la fuite de plusieurs douzaines de combattants hongrois des camps des Millets et de Vernet. Ces combattants hongrois, fran-çais et d’autres nationalités 50, majoritairement communistes, sont munis de documents d’identification et participent à l’activité clandestine de la Résistance. Ils constituent un renfort considérable, car ils sont majoritairement des vétérans de la guerre d’Espagne 51.

Selon les recherches réalisées dans le domaine, le nombre des Hongrois des différents détachements du MIH peut être estimé à mille personnes. Cependant, le nombre de ceux qui rejoignent d’autres unités de la Résistance ou qui supportent l’activité clandestine d’une manière indirecte est bien plus élevé. Le prix de cette participation est relativement élevé. On connaît les noms de 112 Hongrois qui sont tombés dans la lutte contre les trou-pes d’occupation. Leur mémoire est d’ailleurs conservée par une une plaque commémo-rative inaugurée à la Maison hongroise de Paris le 6 mai 1948 52.

La Légion des volontaires français et les troupes hongroises sur le front de l’Est

Outre les troupes de la LVF mentionnées plus haut, il existe aussi des troupes d’oc-cupation hongroises sur les arrières du front de l’Est. Leur histoire commence à la fin de l’année 1941 quand les éléments du corps d’armée rapide (magyar gyorshadtest) et du VIIIe corps d’armée hongrois qui a participé aux opérations du groupe d’armées sud du 1er juillet au 15 novembre 1941 sont rapatriés et remplacés par des troupes d’occupation. L’état-major hongrois offre cinq brigades d’infanterie à l’Allemagne nazie pour contri-buer à l’effort de de guerre. Ces unités arrivent en Ukraine en octobre 1941. Les 121e et 124e brigades sont envoyées à Vinnytsia, tandis que les 102e, 105e et 108e brigades sont détachées à Berditchev, dans l’ouest de l’Ukraine 53. L’effectif de ces troupes est approxi-mativement de 40 000 hommes placés sous les ordres du commandement du groupe d’oc-cupation hongrois établi le 6 octobre à Vinnytsia. Ces brigades sont nommées divisions d’infanterie légères à partir du 12 février 1942, mais leur force combattante reste très faible. Les compagnies n’ont que deux sections au lieu de quatre et les divisions ne sont composées que de six bataillons au lieu de neuf. En plus, leur armement est obsolète et faible, car elles ne disposent d’aucune arme lourde. Même, les mitrailleuses font souvent défaut. La puissance de feu de ces troupes est médiocre et nettement inférieure à celle des groupes de partisans souvent bien mieux équipés 54.

En février 1942, les troupes hongroises sont regroupées en deux grandes unités : le commandement du groupe d’occupation de l’Ouest avec les 121e et 124e divisions légè-

50 HL. Pers. 113/a. Németh József katonai iratai ; HL. HM. 1947. eln. 204.193.51 Godó Ágnes, Magyarok az európai népek antifasiszta harcában, op. cit.,page 21.52 Ibid., page 25.53 Szabó Péter, Don-kanyar, Corvina, Budapest, 2001, page 11.54 Sipos Péter, Magyarország a második világháborúban, Lexikon A-Zs, Petit Real, Budapest, 1997, page 283.

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res, à l’ouest du fleuve Dniepr, tandis que le commandement du groupe d’occupation de l’Est (les 102e, 105e et 108e divisions) est positionné à l’est du fleuve. Dans la zone de la première, l’activité de partisans est minimale jusqu’en 1943. Cependant, la seconde doit affronter un ennemi nombreux et farouche dans la région de Briansk. Aux environs de cette grande ville soviétique, plusieurs dizaines de milliers de soldats ayant appartenu auparavant à l’Armée rouge optent pour la continuation de la lutte dans les rangs des partisans. Ces forces dirigées directement depuis Moscou forment vingt-six unités qui peuvent aligner approximativement cent-trente compagnies en 1941. Ces troupes bien armées dominent solidement la région de Briansk et infligent des pertes importantes aux armées d’occupation. Le commandement militaire de la région essaie bien de lancer des opérations de ratissage, mais il doit se contenter du contrôle des lisières méridionales des forêts de Briansk pour assurer la protection des lignes de ravitaillement de la Wehr-macht 55.

La 105e division légère débarque en Ukraine en novembre 1941 pour relever la 202e brigade d’infanterie allemande aux environs de Tchernigov. L’unité hongroise, en coo-pération avec de petites unités allemandes, doit contrôler un territoire de 46 000 km² où dix mille partisans sont présents selon le service de renseignements allemand. Selon les rapports, plusieurs grandes opérations sont lancées contre les villages suspects, mais celles-ci suivent en général les attaques soviétiques causant des pertes sensibles. Elles apparaissent donc plutôt comme des actions de représailles peu efficaces que comme des opérations militaires utiles 56.

L’efficacité de ces opérations anti-partisans est tellement mince qu’au printemps 1942 les troupes d’occupation hongroises doivent demander l’aide de la 2e armée hongroise récemment arrivée dans la région avant son déploiement dans les combats autour de Sta-lingrad 57. L’issue des combat exerce une certaine influence sur les événements, car en repoussant les partisans ces troupes fraîches leur infligent des pertes importantes 58.

Pendant l’été et l’automne 1942, le commandement allemand lance une série d’opéra-tions de grande envergure contre les partisans dans la région de Briansk avec l’utilisation de toutes les forces disponibles de la zone. Par conséquent, on utilise, entre autres, les troupes françaises et hongroises stationnées dans la région. Les premières sont les quatre compagnies du IIIe bataillon de la LVF, tandis que les dernières sont les 102e, 105e et 108e divisions légères de l’armée hongroise. Les opérations Dreieck, Viereck et Eule auxquel-les participent ces unités ne donnent que des résultats médiocres 59.

55 Ungváry Krisztián, A magyar megszálló alakulatok Ukrajnában in Nagy Képes Millennium Hadtörténet, Rubicon-Aquila-Könyvek, Budapest, 2000, page 405.56 Ungváry Krisztián, A magyar honvédség a második világháborúban, Oriris, Budapest, 2005, pp. 132-135.57 Szabó Péter, Számvéber Norbert, A keleti hadszíntér és Magyarország 1941-1943, Puedlo Kia-dó, Budapest, 2003, page 133.58 Szabó Péter, Don-kanyar, op. cit., pp. 72-75.59 BAMA RH 26-221/43b. Ordre de bataille du juillet 1942 du 638/III ; BAMA N 756/201. 8. Fran-zösische SS-Freiwilligen Sturm-Brigade, page 4.

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Les troupes hongroises ont pour mission de détruire les villages dans la zone désignée et d’évacuer ls populations vers des camps établis par les autorités allemandes. Lors de ces actions, plusieurs dizaines de milliers de civils doivent quitter leur domicile, souffrant beaucoup des conséquences de cette déportation. Ainsi, les hommes âgés de 15 à 60 ans sont systématiquement envoyés vers des camps de prisonniers car considérés comme les complices des partisans. Les rapports annoncent la destruction de plusieurs milliers de partisans, mais le nombre des armes capturées ne semble pas corroborer ces chiffres très cartainement et volontairement gonflés 60.

à la fin de l’année, le commandement allemand reconnaît que les forces disponibles ne sont pas suffisantes pour garantir la sécurité de toute la région. Par conséquent, les troupes sont concentrées pour la défense des voies de ravitaillement qui semble la seule mission plus ou moins réalisable contre les puissantes concentrations de partisans 61. Au printemps 1943, une partie des troupes d’occupation, c’est-à-dire une grande partie des forces françaises et hongroises, sont dirigées sur la rive de la Desna où elles doivent pré-parer la défense de leurs positions par la construction de fortifications 62. Si le bataillon français passe un séjour relativement calme sur ses nouvelles positions 63, les troupes hongroises subissent des offensives de grande envergure lancées par les partisans et les troupes régulières. Le 34e régiment d’infanterie hongrois est pratiquement anéanti au dé-but de mars après que 90 chars soviétiques ont déferlé sur ses postes de combat 64.

Au même moment, le groupe d’armées centre se prépare pour lancer sa grande opé-ration offensive de l’été, l’opération Zitadelle (« Citadelle ») pour éliminer une poche dans la région de Koursk. Le commandement a l’intention d’assurer les arrières du front et par conséquent d’éliminer les grandes concentrations de partisans. Ainsi, il lance une opération d’encerclement de grande envergure (avec sept divisions dont deux blindées) au sud de Briansk. L’opération, qui se déroule entre le 16 mai et le 6 juin connaît une issue incertaine. On relève 1 584 partisans tués, 1 568 prisonniers, 869 déserteurs et 20 camps détruits, ce qui permet de réduire l’activité des partisans pour un certain temps. Néanmoins, la majorité des partisans a pu quitter le secteur pour mieux revenir plus tard et poursuivre la lutte 65.

Si on cherche à établir le bilan de l’activité des troupes francaises et hongroises en 1942 et 1943, on peut conclure que ces opérations sont loin d’être efficaces contre un en-nemi plus nombreux et mieux équipé. Par conséquent, ces unités ne peuvent pas réduire significativement la combativité des partisans de la région, ce qui contribue indéniable-ment à la détérioration de la situation militaire sur le front de l’Est.

60 Ungváry Krisztián, A magyar honvédség a második világháborúban, op. cit., pp. 142-144.61 BAMA RH 26-221/39. Ordre de bataille du 1er novembre 1942 de la 221e division de sécurité.62 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 42.63 Rusco Pierre, Stoï ! 40 mois de combats sur le front russe, op. cit., page 75.64 Ungváry Krisztián, A magyar honvédség a második világháborúban, op. cit., page 213.65 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 42.

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Les troupes franco-hongroises de la Waffen-SS en Galicie

La grande offensive de l’Armée rouge lancée le 22 juin 1944 dans le cadre de l’opé-ration Bagration entraîne l’effondrement du groupe d’armées centre qui perd la majorité de ses effectifs. Dans la seconde phase de cette opération, le 1er front ukrainien lance son attaque en Ukraine le 13 juillet avec soixante divisions, mille blindés et trois mille canons 66. Ces troupes percent le front affaibli de l’armée allemande, prennent la ville de Lemberg le 27 juillet et continuent leur progression vers l’ouest 67. Dans cette situation confuse et difficile, le commandement allemand du secteur a besoin de tous les renforts possibles. C’est la situation qui explique le déploiement des unités française et hongroise dont ni l’organisation, ni l’instruction ne sont encore achevées.

La 18e division de grenadiers « Horst Wessel » de la Waffen-SS formée majoritai-rement des citoyens hongrois (Volksdeutche) est particulièrement squelettique, car elle ne peut aligner que quelques éléments de ses effectifs théoriques. Ce groupe de combat hâtivement créé arrive en Galicie au début de juillet et participe aux combats défensifs à partir du 23 au sud-ouest de la ville de Sanok 68.

Par conséquent, l’arrivée du renfort français (le Ier bataillon de l’unité francaise de la Waffen-SS) est très attendue au front. La troupe quitte le camp d’instruction le 30 juillet par le train et arrive en Galicie le 5 août. Cette formation est constituée d’une compagnie d’état-major, de trois compagnies de grenadiers et d’une compagnie lourde dotée de trois pièces antichars motorisées de 75 mm avec un effectif d’environ mille soldats 69.

Le 10 août, les 1re et 2e compagnies françaises doivent relever des unités allemandes qui occupent des postes de combat en première ligne. Elles subissent des pertes sensibles (une dizaine de morts pour une soixantaine de blessés) lors d’un bombardement inattendu de l’artillerie soviétique qui surprend et choque les volontaires français 70.

Le commandant prépare une contre-attaque pour le 12 dans laquelle les Francais se voient confier le rôle principal. Ils ont pour mission d’atteindre les objectifs désignés avec l’appui des unités des 18e et 96e divisions 71. L’offensive lancée vers midi obtient des résultats impressionnants : les troupes françaises prennent les villages de Pielnia et de Dudynce. Ce succès permet la poursuite de l’attaque le lendemain par les deux régiments de grenadiers germano-hongrois qui réalisent un progrès important 72.

66 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 93.67 BAMA N 756/201. Rapport de la Wehrmacht sur la 33e division Charlemagne, page 2.68 Tieke Wilhelm, Rebstock Friedrich, ...im letzten Aufgebot. Die Geschichte der 18. SS-Freiwilli-gen-Panzergrenadier-Division Horst Wessel, Nation Europa Verlags, Coburg, 2000, pp. 16-29.69 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 90.70 Bayle André, Des jeux olympiques à la Waffen SS, op. cit., page 113.71 BAMA N 756/201. 8. Französische SS-Freiwilligen Sturm-Brigade, page 14.72 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 94.

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La dernière phase de l’offensive a lieu le 15. Son objectif principal est la prise de Pi-sarowce, le long de la voie de chemin de fer Sanok-Krosno. La possession de cette ligne de communication revêt une importance stratégique et détermine le succès de l’opération pour les troupes allemandes du secteur. Grâce à l’action réussie du groupe de combat improvisé, la brèche créée dans les lignes allemandes est colmatée, le risque de l’effon-drement des troupes allemandes est écarté. Les unités franco-hongroises sont relevées en première ligne, leur place est occupée par des troupes de la Wehrmacht 73.

Après ce baptême de feu qui coûte cher, les unités de la division sont regroupées et di-rigées vers un autre secteur du front où la situation militaire nécessite l’utilisation urgente de renforts. Les troupes embarquées dans les camions de la division sont transportées dans la région de Radomysl Wielki, à une centaine de kilomètres au nord-ouest, pour renforcer le LIXe corps de la 17e armée 74. Les éléments de ce corps d’armée occupent des positions défensives au sud de la ville de Mielec, le long de la rivière Wisloka 75.

Les survivants des combats de Sanoc, les bataillons de la « Horst Wessel » et le ba-taillon français, auquel manque environ l’effectif d’une compagnie (20 morts et 110 bles-sés), occupent des positions le long de la Wisloka au soir du 18 août. La mission confiée au groupe de combat, notamment la défense de la berge contre une éventuelle offensive soviétique, semble très difficile. La formation doit assurer la défense d’une ligne de plu-sieurs dizaines de kilomètres contre un adversaire plus nombreux qui peut facilement franchir la rivière en été 76.

Les soldats français et hongrois ont peu de temps pour occuper leurs nouveaux postes de combat, car l’offensive soviétique débute le 20 août. Toutes les troupes de la division sont sévèrement accrochées par des formations soviétiques supérieures en nombre. Face à la menace de l’isolement des troupes allemandes du secteur, le groupe de combat est obligé de décrocher et de battre en retraite pendant la nuit. Finalement, l’opération se solde par un succès, mais le prix à payer est élevé : les unités de la Waffen-SS perdent une partie importante de leur effectif pendant cette percée nocturne 77.

Les combattants sont regroupés à cinq kilomètres au sud, autour des villages de Na-goszyn, de Brzeskie et de Dabrowka où ils occupent de nouvelles positions défensives de fortune. En raison du nombre élevé de soldats isolés de leurs unités pendant les évé-nements confus de la nuit et qui errent dans la campagne, l’effectif disponible pour la défense de ces villages n’est que dequelques centaines d’hommes. Les villages sont atta-qués continuellement par l’infanterie soviétique appuyée par l’artillerie. à 19 heures, les soldats commencent le repli vers les villages de Mokre et de Zassow, à deux kilometres au sud-ouest, où ils doivent continuer la lutte 78.

73 BAMA N 756/201. 8. Französische SS-Freiwilligen Sturm-Brigade, page 14.74 BAMA N 756/201. Rapport de la Wehrmacht sur la 33e division Charlemagne, page 3.75 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 95.76 Bayle André, Des jeux olympiques à la Waffen SS, op. cit., page 132.77 Dupont Pierre Henri, Au temps des choix héroïques, op. cit., pp. 226-227.78 Ibid., pp. 228-229.

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La pénurie d’hommes est telle que le groupe de combat déploie même le personnel non combattant (chauffeurs, secrétaires, téléphonistes, etc.) pour tenir sa position, sous le feu intense de l’artillerie soviétique depuis l’aube. Les attaques soviétiques réalisées par l’infanterie bénéficient de l’appui des blindés qui causent de nouvelles pertes importantes pour la formation déjà décimée. Malgré cette situation extrêmement difficile, le reste de la division tient ses positions jusqu’au soir, moment où les Français reçoivent l’ordre de se replier sur un point de rassemblement désigné derrière la première ligne 79. Pour eux, la campagne est terminée, l’unité est relevée. Le bataillon français perd 90 morts (dont 5 officiers), 660 blessés (dont 7 officiers) et 40 disparus (dont 2 officiers). Le 23 août, il n’aligne plus que 210 hommes, majoritairement des blessés légers 80.

La situation des deux régiments de grenadiers est aussi très difficile, mais ils restent en mesure de tenir leurs dernières positions autour de Mokre et de continuer le combat même après la relève des restes de l’unité française. Le 23 août, les unités soviétiques continuent leur attaque vers le village de Debica où les bataillons de grenadiers com-mandés par Riepe et Hoyer les arrêtent dans un combat acharné. Ce fait d’arme est rendu possible grâce à la contre-attaque des chars de la 24e division blindée allemande lancée vers 19h30 dans le secteur. Le lendemain, de nouvelles unités allemandes arrivent pour renforcer les positions tenues par la division « Horst Wesse ». On trouve alors dans le secteur la 1136e brigade de grenadiers et le 1070e régiment de grenadiers. La défense est solide et les troupes peuvent même, le 25, lancer des contre-attaques face à des Soviéti-ques bloqués dans leur progression. Ces efforts incitent l’Armée rouge à cesser ses atta-ques contre les positions tenues par la division et à orienter ses tentatives plus à l’ouest en direction de troupes allemandes moins solides. Après une période plus calme entre les 26 et 29 août, la division est relevée et regroupée autour du village de Tarnov le 30. Le bilan du déploiement de l’unité en Galicie est là encore très lourd. La formation perd environ la moitié de son effectif. Un de ses bataillons qui avait commencé la campagne avec 981 hommes, dont 514 combattants, ne compte plus que 227 combattants à la fin du mois d’août. Malgré ces pertes élevées, les survivants n’ont pas le loisir de se reposer. Les restes de l’unité forment un nouveau groupe de combat sous les ordres du colonel Ernst Schäffer, commandant du 40e régiment de grenadiers, bientôt déployé dans les combats de Slovaquie contre les partisans slovaques lors du soulèvement national en septembre et octobre. Pendant ce temps, l’état-major de l’unité s’installe en Hongrie pour regrouper et préparer la division à la défense de la capitale hongroise 81.

Les volontaires français de la NSKK en Hongrie

La Nationalsozialistisches Kraftfahrkorps ou « Corps national-socialiste de transport motorisé » (NSKK) est une organisation paramilitaire créée en 1931 dans le cadre du parti national-socialiste. Elle regroupe les conducteurs, les motocyclistes et les mécaniciens du parti national-socialiste et est responsable des transports et des liaisons. Après la prise du

79 Costabrava Ferdinand, Le soldat baraka. op. cit., pp. 153-155.80 BAMA N 756/201. 8. Französische SS-Freiwilligen Sturm-Brigade, page 15.81 Tieke Wilhelm, Rebstock Friedrich, ...im letzten Aufgebot. op. cit., pp. 46-49.

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pouvoir par Hitler, elle intègre tous les membres des clubs automobiles ou motocyclis-tes d’Allemagne 82. L’organisation, qui connaît une augmentation d’effectif considérable, regroupe déjà plus de 500 000 hommes dans le cadre de 28 divisions (100 régiments) à la veille de la guerre. Après l’éclatement de la guerre, ces hommes sont versés aux unités de l’armée allemande. La NSKK rencontre donc une pénurie d’homme qu’elle cherche à combler en recrutant à l’étranger. Ces volontaires non-allemands, après une formation technique, constituent des unités de la NSKK, placées sous le commandement de la Luftwaffe. Elles sont chargées du transport du ravitaillement jusque sur les arrières du front 83.

Si on dénombre des engagements individuels dès le début de l’Occupation, le recru-tement officiel en faveur d’une unité française de la NSKK ne commence qu’en juillet 1942. Le nombre des engagés est relativement élevé. Il est généralement estimé à 2 000 ou 2 500 hommes 84. Philippe Burrin évoque le chiffre de 3 000 hommes en juin 1943 (avec un déchet important) 85. Certaines sources mentionnent même 5 000 Français au sein de la NSKK-Motorgruppe Luftwaffe 86. Les volontaires français doivent subir une visite médicale d’incorporation relativement stricte 87 avant d’être dirigés pour instruction à Vilvorde, dans la banlieue nord de Bruxelles, à dix kilomètres de la capitale belge 88.

Ces Français forment le 4e régiment de la NSKK (NSSK Regiment 4) qui regroupe deux groupes de transport, chacun composés de deux, trois ou quatre compagnies. Les compagnies comprennent 10 à 12 colonnes de 12 véhicules. Les véhicules sont conduits par un conducteur et protégés par un convoyeur doté d’un armement français issu des prises de la campagne de 1940 89.

à la fin de l’année 1944, le régiment est dirigé au Danemark pour être réorganisé après les pertes subies lors de ses missions. Une partie du Ier groupe est envoyé en Hon-grie à la fin de février 1945 où elle n’arrive que plusieurs semaines plus tard. Les soldats sont déployés contres les unités de l’Armée rouge en tant que des chasseurs de chars au nord et à l’ouest du lac Balaton 90. Les rares survivants de cette mission de sacrifice se replient en Autriche où ils se rendent aux troupes alliées 91. L’autre groupe devait initia-lement rejoindre le premier, mais son déplacement, freiné par les bombardements, est

82 Delatour François, « Le combat fou des SS français » in Historia, hors-série n°40, 1975, page 153.83 Littlejohn David, Foreign Legions of the Third Reich, vol. 1, James Bender Publishing, San Jose, 1981, page 161.84 Institut d’histoire du temps présent (IHTP) 72 AJ 258, 232 14. Soldats français sous uniformes allemands, 1941-1945, page 8.85 Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, op. cit., page 442.86 BAMA N 756/201. Die Kameradschaft : Die Europäischen Freiwilligen, page 3.87 Costabrava Ferdinand, Le soldat baraka, op. cit., page 45.88 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 67.89 Ibid., page 68.90 Delatour François, « Le combat fou des SS français », op. cit., page 153.91 BAMA RS 3-33/3. Dokumentation über die Beteiligung französischer Freiwilliger auf deutscher Seite im Weltkrieg 1939-1945, page 68.

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tellement lent qu’il termine finalement la guerre en Autriche, dans la région de Salzbourg, sans participer à d’autres combats 92. Cette unité paramilitaire utilisée en première ligne seulement en raison de la situation militaire désespérée ne joue qu’un rôle mineur dans les opérations en Hongrie.

***

Bien que la présence des soldats français en Hongrie, tout autant que leurs relations avec les Hongrois pendant la Seconde Guerre mondiale, demeurent méconnus et oubliés, parce qu’indéniablement périphériques dans cet immense conflit, ces rapports militaires constituent un chapitre intéressant et probablement unique de l’histoire entre les deux pays.

92 Forbes Robert, Pour l’Europe, les volontaires français de la Waffen-SS, Editions de l’Aencre, Paris, 2005, pp. 233-235.

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table des matières

Présentation 5

Études 7

Discours d’ouverture de M. Ferenc Fischer 9“You should try to hurt Archduke John”. The French strategic and operational plans in Hungary in 1809

Par István Nagy-Luttenberger 11Nostalgie ou commémoration ? La représentation du passé glorieux dans le Voyage du duc de Raguse

Par Géza Szász 25La coopération militaire de la France avec ses partenaires en Europe centrale pen-dant l’entre-deux-guerres

Par István Majoros 37Territories in Anatolia under French Occupation and Turco-French Relations, 1918-1923

Par Emre Saral 51From Budapest to Paris. The memory of a Turkish diplomat

Par Péter Oláh 63Juin 1940 : du sauvetage des soldats polonais pris au piège de l’immense cul-de-sac breton

Par Lech Maliszewski 69Les militaires français de l’armée allemande et la Hongrie pendant la Seconde Guer-re mondiale

Par Krisztián Bene 83La littérature de la Résistance intérieure française en Hongrie

Par Adrián Bene 99

Varia 109

Une « guerre » franco-française : Robert Brasillach et François MauriacPar Krisztián Bene 111

Les services de renseignement militaires hongrois aux derniers jours de la Seconde Guerre mondiale

Par Ferenc Dávid 123

Comptes rendus 131

Index nominum 143