Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de rick moody

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ÉPISODES CHRONIQUES : LA MALADIE DANS LA FICTION DE RICK MOODY Sophie Chapuis Belin | « Revue française d’études américaines » 2015/2 N° 143 | pages 22 à 33 ISSN 0397-7870 ISBN 9782701194936 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2015-2-page-22.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sophie Chapuis, « Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de Rick Moody », Revue française d’études américaines 2015/2 (N° 143), p. 22-33. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle - - 195.221.71.48 - 03/05/2016 13h09. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle - - 195.221.71.48 - 03/05/2016 13h09. © Belin

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ÉPISODES CHRONIQUES : LA MALADIE DANS LA FICTIONDE RICK MOODYSophie Chapuis

Belin | « Revue française d’études américaines »

2015/2 N° 143 | pages 22 à 33 ISSN 0397-7870ISBN 9782701194936

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2015-2-page-22.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sophie Chapuis, « Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de Rick Moody », Revuefrançaise d’études américaines 2015/2 (N° 143), p. 22-33.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de Rick Moody

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In Rick Moody’s fiction, children, teenagers and more generally descendants, are systematically plagued with physical or mental troubles. Their dys-functioning bodies point less at their future extinction than the original family corruption they proceed from. We thus argue that the temporality of illness is to be reconsidered, morbidity being thus not a prelude to mortality.

La fiction de Rick Moody est peuplée de personnages dont le corps et l’âme dysfonctionnent. La liste des protagonistes malades ou victimes

d’un trouble est longue et se compose en majorité d’enfants et d’adolescents. Souffrant de désordres psychiques, de pathologies incurables, ces person-nages sont parfois marginaux et secondaires à l’intrigue. Toutefois, c’est leur présence systématique qui est à l’origine de notre réflexion1. Ce taux élevé de morbidité nous invite en effet à examiner le rôle de ces personnages qui ne font pratiquement jamais l’objet d’un développement narratif mais qui apparaissent, de façon épisodique mais néanmoins chronique, au détour d’un paragraphe. Ceux qui n’ont pour seule raison d’être qu’une santé déficiente ont souvent contracté leurs maux dès la naissance. Dans la fiction de Moody,

1. Bien que la maladie soit centrale dans certains romans comme Purple America, nous limiterons ici autant que possible notre champ d’études aux enfants, adolescents et descendants dont les maladies ne sont que marginalement mentionnées. Pour une étude plus complète de la maladie dans Purple America, voir l’article de Pascale Antolin, « Les corps dé-composés de Rick Moody dans Purple America » publié en 2001 dans les annales du CRAA.

mots-clés

Rick Moody, maladie, mort, accident, corps, famille, contamination, morbidité

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on est malade car on naît malade. Le trouble physique ou mental est un pré-alable, voire un prérequis au récit, mais il n’en fait que très rarement l’objet. En d’autres termes, la maladie appartient à la structure du récit car elle est toujours déjà là.

Comment expliquer cette attirance pour la morbidité et a fortiori la mort ? L’auteur britannique Zadie Smith propose un élément de réponse dans sa préface à une anthologie de nouvelles américaines intitulée The Burned Children of America2. Selon Smith, la mort fait son retour dans la fiction américaine après avoir été niée pendant des années par l’industrie publicitaire en raison de son caractère proprement anti-américain :

Death is sort of an affront to American life. It’s so anti-aspirational. No matter what you do, how hard you work, how good you are, it seems like you can’t avoid it. It’s not interested in your rights or freedoms. It just wants to return you to where you came from. (Smith xvi)

La mort gagne du terrain et occupe des territoires dont elle avait jusqu’alors été exclue. Pour le dire à la façon du philosophe Damien le Guay, « la mort se venge3 ». Après avoir été moquée, parodiée ou tenue à distance, elle refait surface. La fiction de Moody est-elle pour autant tournée vers la mort ? Si la maladie fait inévitablement envisager celle-ci comme un horizon probable, il nous semble toutefois qu’elle renvoie moins vers la mort que vers la naissance. Ainsi s’expliquerait la prolifération d’enfants malades, de corps viciés dès la naissance, de troubles qui s’héritent d’une génération à l’autre.

Cet article vise à montrer que, chez Moody, la morbidité est rarement un prélude à la mortalité. La première partie propose un repérage du motif struc-turant que représente l’enfant ou l’adolescent malade à travers différentes œuvres de Rick Moody. Ce repérage vise à mettre en évidence que la maladie est un principe de composition qui sous-tend l’ensemble de l’œuvre. Il s’agit ensuite d’étendre notre observation non plus au seul personnage marginal du malade, mais à la maladie qui, par effet de contagion, est elle-aussi traitée de

2. The Burned Children of America est un recueil de 19 nouvelles publié pour la première fois en Italie en 2001 par Marco Cassini et Martina Testa. Dirigé par Dave Eggers, le recueil se présente comme une anthologie de nouvelles contemporaines américaines. On peut y lire des textes de Rick Moody, Jeffrey Eugenides, David Foster Wallace, Jonathan Lethem ou encore George Saunders. Republié deux ans plus tard, l’ouvrage est alors augmenté d’une préface de Zadie Smith dans laquelle elle s’interroge sur l’obsession de certains jeunes auteurs américains, principalement blancs et issus de milieux aisés, pour la mélancolie, la tristesse et la mort. « The community described in these stories (and the people who wrote them) is nothing if not privileged, educated, lucky, rich, most often Wasps, American » (Smith xv).

3. « Cette négation de la mort – négation systématique, volontaire, et constante – conduit à un « retour du refoulé ». La mort se venge. Elle ne se venge pas seulement sur les mourants et leur entourage qui vivent de plus en plus mal cet abandon. Elle se venge aussi sur les vivants, de plus en plus incapables d’intégrer la mort dans la vie. » (Le Guay, 18)

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manière marginale. Elle ne fait ni l’objet d’un discours scientifique, ni d’un récit empreint de souffrance ou de compassion. La maladie s’écrit comme un texte sur des corps qu’il faut alors déchiffrer car, transmise en héritage, elle fait affleurer le récit familial. Objet de diagnostics en tous genres, le corps malade est enfin le réceptacle d’un récit national, les personnages se faisant porteurs d’une histoire qui ne leur appartient pas toujours mais qui force le passage et fait surface dans un texte d’une grande plasticité.

la maladie : principe de compositionLa maladie de l’enfant ou de l’adolescent est érigée en principe de com-

position dès l’une des toutes premières nouvelles de Rick Moody intitulée « A Good Story », publiée en 1995 dans le recueil The Ring of Brightest Angels Around Heaven. Dans ce court texte qui se présente comme une liste de huit règles d’écriture, le narrateur recense les éléments contribuant à la réussite de ce qui, comme le titre de la nouvelle l’annonce d’emblée, constitue une bonne histoire. La présence d’un enfant affecté ici d’un trouble moteur se trouve plus précisément dans le troisième commandement relatif aux personnages secondaires qui doivent, selon le narrateur, comprendre entre autres un père malade et un fils atteint de paralysie cérébrale :

3) A cast of subsidiary characters including a) his father with gout and arthritis, older than he was once, thinning white hair, a vigorous walker in warmer months—gout permitting—an Episcopalian and a conservative […] c) the disappointed guy with the disabled son, the son who has cerebral palsy.

(115)

L’enfant malade est doublement désigné par l’article « the » dont la valeur anaphorique fait implicitement écho à une quantité d’autres enfants souffrant potentiellement de troubles similaires dans l’œuvre de Moody. L’expression « the son who has cerebral palsy » présente l’enfant malade comme un personnage type duquel pourront se décliner des variations à répétition. Ancré structurellement dans le schéma narratif, le trouble, qu’il soit physique ou mental, peut alors légitimement susciter chez le lecteur une attente tant il se fait systématique.

Personnage d’emblée vicié, l’enfant malade ne fait l’objet d’aucune compassion et ce n’est qu’incidemment que la maladie est évoquée. Elle est mentionnée au passage, présentée comme secondaire, tout comme le person-nage qui en est victime. Mise en défaut systématique de la santé de l’enfant ou de l’adolescent, elle n’a rien d’un épisode exceptionnel. Son caractère chronique l’inscrit dans le banal et l’ordinaire si bien qu’elle devient néces-sairement l’attribut principal de son sujet.

Dans la nouvelle « The Preliminary Notes », également publiée en 1995 dans le même recueil, Peter, âgé de 13 ans, représente l’archétype de l’enfant

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malade. L’allusion à son trouble est immédiate car constitutive de son iden-tité : « Mrs Rodale had a boy, Peter, 13, with Hodgkin’s disease, and she had a daughter, Marylinne, 11, and she had a cat, Pussywillow, but there was no mention of a husband […] » (RBAH 21). Que Peter souffre de la maladie de Hodgkin et que sa mère possède un chat sont deux informations mises sur le même plan, l’absence de hiérarchisation contribuant à banaliser la maladie évoquée par une simple allusion. La mise en incise du complément du nom, « with Hodgkin’s disease », renforce ainsi l’efficacité de ce détail qui se place en seconde position après l’âge de l’enfant. Ainsi l’identité du garçon est-elle rapidement déclinée, son trouble constituant une de ses propriétés essentielles.

Souvent anonyme, l’enfant ou l’adolescent malade hante les textes de Moody en surgissant de manière systématique, sa seule mention suffisant à ressusciter les troubles de beaucoup d’autres personnages secondaires. Dans la nouvelle « Boys »4 publiée en 2001 dans le recueil Demonology, le nom de la maladie de la petite sœur, elle-même anonyme, n’est pas mentionné, alors même que son trouble est présenté comme familier, renvoyant à une information dont le lecteur aurait eu connaissance tacitement : « Boys enter the house, kiss their mother, she explains the seriousness of their sister’s difficulty, her diagnosis. » (Dem 242) Le diagnostic demeure inconnu mais le mal de l’enfant, secondaire du point de vue de l’intrigue, est néanmoins constitutif du schéma narratif. Le possessif « her » revêt la même valeur ana-phorique que l’article « the » dans l’exemple précédent, il renforce l’idée que la maladie relève d’un élément familier auquel il aurait déjà été fait allusion précédemment. Les italiques détachent visuellement cette information et ont presque une valeur citationnelle, comme si le lecteur avait une connaissance préalable de ce diagnostic.

La nouvelle « Boys » est intéressante à plus d’un titre car elle repose tout entière sur l’anaphore et le principe de répétition. La proposition « Boys enter the house » se décline en série sur sept pages. Elle est la structure matricielle qui confère au texte un rythme lancinant. La nouvelle s’ouvre par cette anaphore qui se fait singulièrement cataphore : « Boys enter the house, boys enter the house. » (Dem 239) Cette formule initiale génère autant le récit qu’elle l’obs-true, sa répétition empêchant dans cette phrase liminale tout déploiement syntaxique et temporel. Le temps se suspend dans une formule qui fige les enfants sur le seuil de la porte, alors même que celle-ci inaugure à chaque fois une nouvelle étape de leur vie. De la naissance des frères jumeaux à la mort de leur père, la marche du temps est moins dynamique que statique,

4. La nouvelle, publiée dans le recueil Demonology, se caractérise par le rythme lancinant généré par l’anaphore « boys enter the house » qui structure, avec une impeccable régularité, le destin de deux frères jumeaux.

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freinée par un présent simple à valeur de répétition. Comme le suggère son titre « Boys », la nouvelle a un caractère très générique et c’est en cela qu’elle peut à bien des égards être rapprochée de « A Good Story ». Ces deux textes concentrent, dans l’efficacité de leur développement, les éléments qui consti-tuent la moelle du schéma narratif tel qu’il est déployé par Moody dans son œuvre.

Parce que structurelle, la maladie peut alors être envisagée comme un « accident ontologique », au sens où l’entend la philosophe Catherine Malabou5. La maladie n’est pas l’irruption du spontané, de l’inattendu et de l’accidentel. En ce sens, elle n’est pas un accident de parcours, ou si elle en est un, elle est un « accident ontologique ». Ce renversement tem-porel n’est pas sans conséquence puisqu’il propose d’envisager la maladie moins comme une rupture que comme « l’accomplissement d’une desti-née » (Malabou 44), la maladie et l’accident survenant ainsi de manière « logique et biologique » (Malabou 33). C’est bien la porosité permanente des concepts d’accident et de maladie qui nous autorise à envisager l’un et l’autre comme ontologiques et a fortiori constitutifs d’un schéma narratif matriciel. Il est donc rare que la maladie survienne, s’attrape, elle est un épisode chronique au sens où sa manifestation est l’irruption d’une poten-tialité jusque-là en sommeil.

Récurrente et marginale à la fois, la maladie n’est pas synonyme de souffrance car Moody ne met pas en scène un patient aux prises avec son mal. Les maux sont effleurés dans des listes qui n’en finissent pas de proposer des diagnostics à foison. C’est la raison pour laquelle elle peut revêtir parfois un caractère hyperbolique : elle fait périr des enfants au détour d’une digression, ses symptômes sont souvent exagérés. Sa prolifération multiplie l’interpréta-tion de ses diagnostics mais la guérison n’est jamais une option. La maladie se donne à lire comme un texte inscrit sur des corps qu’il faut déchiffrer, des corps altérés où se loge une histoire familiale à recomposer.

2. d’un corps à l’autre : contagion morbide

C’est dans les corps malades que se laisse deviner une histoire tour-mentée, tout mal s’inscrivant dans un réseau toujours plus large de troubles. Les maladies se propagent d’un texte à l’autre tout comme elles s’héritent d’une génération sur l’autre. À ce titre, les images de transmission et de

5. Nous reprenons le titre de son essai publié en 2009, Ontologie de l’accident, essai sur la plasticité destructrice, dans lequel la philosophe nous invite à ne pas penser l’accident comme survenant de manière spontanée, inattendue. En effet, réactivant sa définition aristotélicienne souvent méconnue, Catherine Malabou l’envisage comme une propriété essentielle et ontolo-gique.

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contaminations sont nombreuses, le morbide s’inscrivant directement dans la chair. Dans The Black Veil, l’autobiographie fictive que Moody Rick publia en 2002, le narrateur s’inquiète de contracter les mêmes troubles psychiques que sa grand-mère mais, qu’ils soient physiques ou mentaux, les désordres semblent congénitaux : « When I was a kid, I thought the difficulties that brought you to the psychiatric hospital were communicable. […] My mother said to us, Come on in and say hello to your grandmother. But I didn’t want to catch what she had and I did » (BV 187). On notera que la maladie mentale est envisagée comme une maladie transmissible par un élément pathogène, ce qui contrevient à tout discours scientifique plausible. C’est sur le fantasme d’un virus se propageant d’un corps à l’autre que reposent principalement les images de contagion morbide.

Les maux communiquent dans la mesure où ils se diffusent par contamination, tissant ainsi le lien familial d’une génération à l’autre. Les dysfonctionnements physiques du narrateur, ses maux de ventre qu’on sait chroniques dans le roman, l’inscrivent alors dans une chaîne de pathologies qui le lie viscéralement à son passé familial. Trouble psychique hérité de la grand-mère, trouble physique hérité du père, la maladie cimente le sentiment d’appartenance familiale. Le narrateur reconnaît, d’ailleurs, que l’héritage d’un trouble identique à celui de son père renforce leur relation : « It was an early bonding experience. » (BV 18)

Ce corps-fardeau porte les traces d’une histoire familiale qui s’écrit dans la chair : « Do you ever get the feeling that the history of your family is some-how written on your body? » (BV 143), s’interroge le narrateur de The Black Veil. Les dysfonctionnements corporels procèdent d’une souillure originelle qui, dans le roman, prend racine dans la corruption d’une histoire fami-liale. The Black Veil, dont le titre rappelle celui de la nouvelle de Nathaniel Hawthorne, « The Minister’s Black Veil », repose sur le lien supposé de la famille Moody au révérend Joseph Moody, personnage qui, apprend-on dans la première note de la nouvelle de Nathaniel Hawthorne, inspira à l’écrivain son personnage du révérend Hooper6. Le narrateur s’inscrit ainsi dans une lignée criminelle, le révérend ayant accidentellement causé la mort d’un de ses camarades à l’adolescence. En se créant une parenté (qui s’avère fantas-mée7) avec le protagoniste de Nathaniel Hawthorne, le narrateur se rend cou-pable par procuration d’un crime originel qu’il ne semble pas pouvoir expier

6. On rappellera que si le pasteur porte un voile noir qui lui vaut le surnom de Joseph « Handkerchief », c’est parce qu’à l’adolescence, il a tué accidentellement un de ses camarades à la chasse.

7. A l’issue du roman, le narrateur reconnaît que son périple dans le Maine, à la recherche de ses ancêtres, ne lui a pas permis d’établir un quelconque lien entre sa famille et celle de Joseph Moody, le pasteur qui inspira à Hawthorne sa nouvelle.

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et c’est sur son corps accablé de multiples désordres que peut se lire ce récit originel : « I had thought, since I believed that I was related to Handkerchief Moody, that there was a genetic inclination that had been preserved across the centuries, a vulnerability, an insight, a recoiling, a burden » (BV 285). Le narrateur emprunte d’ailleurs au vocabulaire de la maladie lorsqu’il évoque son projet d’histoire familiale : « [M]y book and my life are written in fits, more like epilepsy than like narrative » (BV 8). C’est donc moins la maladie que le corps qui fait récit puisque c’est par crises et accès qu’il libère, par intermittence, l’histoire familiale.

L’entreprise autobiographique de The Black Veil repose entièrement sur la manipulation narrative, si bien que la contamination familiale procédant d’un crime originel se change en une contamination d’ordre symbolique mettant aux prises histoire familiale et histoire nationale. Le crime familial devient alors le crime originel de toute une nation dont la culpabilité s’écrit en toutes lettres à la fin du roman. La coda de The Black Veil égrène une litanie d’expressions dérivées de l’adjectif black. Décliné à l’infini, le terme se déverse comme une bile noire qui, pour la première fois, est libérée du corps physique pour s’épancher dans le corps du texte, transformant les cinq dernières pages en une immense tache noire qui trahit un désordre, un trouble dont le diagnostic demeure toutefois dissimulé par cet obscurcissement final8. Dans cette ultime condamnation de la noirceur d’âme que le narrateur juge proprement américaine, la conflagration entre le corps individuel et le corps collectif est manifeste, la superposition du familial et du national s’étant par ailleurs déjà laissée apercevoir au fil du roman. On pourra notamment se réfé-rer aux interrogations qui assaillent le narrateur quant à l’origine des maux qui le tourmentent depuis l’enfance :

Did I have a disease of guilty conscience then? A disease of hopelessness? A seizure disorder, in which the very light was offensive to me? A disease of compulsion, by which I attempted to avoid all these things? A sinister history? A lack of faith? A distrust of my nation? A distrust of all people?  (202)

Dans cette tentative de classification nosologique transparaît l’effort vain de mettre un nom sur les troubles qui le poursuivent car l’accident ori-ginel du pasteur, qu’il soit ou non lié à la famille, est à la racine d’un mal incurable. L’homicide commis par l’ancêtre fantasmé pourvoit le corps d’une histoire qui se lit dans les stigmates d’une chair viciée. Le corps se fait lieu de punition, réceptacle d’un châtiment somatisé.

8. À titre d’exemple, voici quelques-unes des variations sur l’adjectif black: « [T]he blackness of black Americans, imported from sub-Sahara Africa, first into the West Indies by the Spanish and later by the British monarchy […] the blackness of Martin Luther King Jr., the blackness of Malcolm X […] the black rain of Hiroshima and Nagasaki […] the real American color is black, primordial, eternal, heartless, infinite, full of sorrow » (BV 301-302).

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Dans The Ice Storm, roman paru en 1994, le lien direct entre le corps malade et le corps puni est d’autant plus fort que le narrateur s’amuse à décrire les remèdes familiaux comme étant de véritables châtiments. C’est de nouveau le corps de l’enfant ou de l’adolescent qui en premier lieu s’en trouve victime :

And there was a history of corporal punishment among the Hoods. There was a locus for punishment. It started with Paul. Paul was often a sickly child, out most of his kindergarten year at East School, with various infections and ailments. […] Paul howled in the earliest morning hours, calling into question his short life. […] This much was family lore. Elena had developed the habit, during this period, of taking Paul’s temperature anally. […] This practice persisted, until Paul came to see his mother’s approach—the mysterious darkness into which she plunged her medical instrument—as the cure itself, bringing with it a legitimation of his distress.

(236)

Au-delà de l’aspect comique des dernières lignes de l’extrait, il apparaît ici clairement que le corps de l’enfant est un lieu qui, souillé dès l’enfance, abrite une multitude de maux transmis en héritage. Leurs noms ne sont pas même évoqués car c’est moins leur identification que leur récurrence qui importe. La guérison est exclue, quant au remède, il semble davantage encourager le mal puisqu’il est vécu comme une punition corporelle. Dans les deux romans, les corps sont, de manière générale, condamnés par une histoire familiale qui, dès la naissance, fait de la maladie une norme. On n’est en ce sens guère éloigné de l’interprétation tragique de la maladie qu’évoque Susan Sontag dans La Maladie comme métaphore. Elle rappelle que, dans L’Iliade et L’Odyssée, « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession démoniaque, ou résultat de causes normales. Les Grecs y voyaient une péripétie gratuite ou méritée (faute individuelle, transgression collective, crime commis par les ancêtres de la victime) » (Sontag 55). Il ne s’agit pas de lire l’œuvre de Moody à travers un prisme tragique mais d’identifier la mala-die comme un motif hérité de celle-ci. Procédant d’une faute morale commise par le passé, elle semble vouée à contaminer toute descendance.

C’est la raison pour laquelle enfanter est souvent assimilé à un crime, comme cela s’observe dans le roman Purple America paru en 1997. Le protagoniste, Dexter Raitliffe, est adulte, mais le dernier chapitre opère un retour en arrière : en guise de coda, figure une lettre de son père destinée à sa mère, datant d’avant la naissance du personnage principal. La lettre nous ramène en 1946, année où le père, après avoir participé à la mise au point de la bombe atomique, décide de quitter sa mission dans le Pacifique, résolu à soulager sa conscience coupable auprès de son épouse. Dans cette lettre finale, il confesse l’ultime crime qu’il est prêt à commettre, avoir un enfant :

I don’t want to do it anymore, Billie. I want to get as far from the Pacific as I can. I want to get out of this business. I want to spend time with you. I want to drink Irish coffee

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on the porch. I want to visit amusement parks. I want to get rid of our radio. I want a daughter or a son. Will you be a partner in all these crimes? 

(PA 298)

C’est précisément parce que la lettre du père figure à la fin du roman que l’évocation d’une naissance criminelle prend tout son sens. Comme le souligne Kenneth Millard dans son article consacré à Purple America, « the sins of the fathers are visited upon the sons » (Millard 260). La faute du père rejaillit sur le fils, sa culpabilité prenant chez Dexter la forme de troubles physiques. C’est d’ailleurs non sans ironie que le prénom du fils Dexter est abrégé en Hex, onomatopée qu’il est plus simple de prononcer pour celui qui souffre d’un trouble persistant de la communication. Comme le rappelle Pierre-Yves Pétillon dans un article consacré à Purple America, Hex est le « le masculin de sorcière » (Pétillon 60) et, en tant que verbe, il signifie également « jeter un sort ». Hex n’est autre que le surnom de celui qui a été victime d’une malédiction. Hex est donc littéralement maudit car il « dit mal ». Tout son être porte, depuis sa naissance, le poids d’une souillure originelle, celle d’un père ayant pris part aux essais de la bombe atomique. Comme dans The Black Veil, la faute d’un parent semble directement avoir des séquelles physiques sur la descendance et, cette fois-ci, c’est au père qu’elle est directement imputable. La corrélation entre la culpabilité du père et les maux qui assaillent le corps de son fils ne repose pas sur de simples conjectures, le roman s’efforce de créer des échos entre ce corps qui dysfonc-tionne et les dysfonctionnements du corps familial, symptomatiques, par voie de métaphore, du corps national.

Dans le roman The Diviners paru en 2005, le même lien entre le corps individuel et le corps collectif est explicité. Pour expliquer les ulcères à repetition d’une jeune alcoolique, le narrateur avance l’hypothèse suivante : « Her father had an ulcer, her brother, everyone ulcerated, that was just part of being American, you bled internally, you oppressed other countries, outside you looked great. » (Div 49) Le lien entre histoire criminelle et châtiment corporel est ici renforcé au point que la contamination se fait endémique, se propageant métaphoriquement d’un corps à l’autre, qu’ils soient réels ou symboliques.

Conclusion Dans la fiction de Rick Moody, la maladie se déploie dans une tempo-

ralité singulière : contractée dès l’origine, elle se déploie dans un présent qui exclut du récit la guérison autant que la mort. Si la maladie rappelle néces-sairement la précarité des corps, la perspective de la mort est le plus souvent déjouée ou, quand il arrive qu’elle survienne, elle se produit pudiquement dans le hors-texte. Nous évoquions pour commencer la nouvelle « Boys »

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Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de Rick Moody

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dans laquelle la petite sœur et sa maladie demeurent anonymes. Ce n’est qu’au détour d’une phrase que ce personnage emblématique semble dispa-raître : « Boys enter the house weeping and hear weeping around them. Boys enter the house, embarrassed, silent, anguished, keening, afflicted, angry, woeful, griefstricken. » (Dem 243) Rien ne nous confirme son décès, si ce n’est l’adjectif griefstricken. Les italiques font visuellement vaciller le texte, et c’est cette légère altération qui nous invite à conclure au décès probable de la petite sœur. La mort est un horizon qui appartient rarement au texte et c’est par conséquent la définition même de la santé qui s’en voit bouleversée. Être en bonne santé, c’est ne pas être malade, autrement dit, vivre dans un état de sursis tandis que la maladie se déploie quant à elle dans une forme de stase. La morbidité ambiante déloge ainsi la mortalité, tenant à distance toute perspective de clôture. C’est sans doute la raison pour laquelle la mort est refusée à ceux qui la convoitent car elle est systématiquement mise en échec9.

Bien qu’elle soit parcourue par l’accident, la maladie et a fortiori la mort, l’œuvre de Moody n’en est pas moins pleine de vitalité, la survie des corps étant l’enjeu principal. On comprend alors le lien particulier qui unit Rick Moody à l’écrivain Stanley Elkin, auteur entre autres de The Magic Kingdom (1985), dont Moody signe la préface dans sa réédition parue en 2000. Chez Elkin, il n’y ni compassion ni apitoiement sur le sort de sept enfants malades, tous en phase terminale, que l’auteur réunit pour un der-nier voyage au Royaume enchanté de Disney, en Floride. En introduisant ces corps malades dans un univers qui n’envisage ni la mort ni le temps qui passe, Elkin contamine ce royaume enchanté et renverse totalement la rela-tion entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Les enfants deviennent les créatures extraordinaires sur lesquelles les visiteurs du parc se retournent tandis que les attractions, si ordinaires pour les uns, peuvent provoquer, chez d’autres, des émotions mortelles. C’est cette inscription de la maladie dans le banal et l’ordinaire qu’admire notamment Rick Moody dans sa préface :

But Elkin’s tactic was more persuasive and much more heartrending in The Magic Kingdom: to assemble one of the most afflicted and poignant casts of sufferers ever in the English-language novel and to deny them, unilaterally, the merest expression of self-pity, to make them questing, eager, joyful, randy, enthusiastic, and doomed.

(Moody in Elkin, ix)

Comme chez Elkin, la prolifération des maladies confère une puissance satirique aux textes de Rick Moody. Nous privant d’un discours scientifique plausible, l’auteur accable ses personnages de maux qui leur échappent

9. On pourra citer notamment le suicide raté de Lane dans Garden State (1992). Sa chute, qu’il espère mortelle en se jetant du haut d’un immeuble, se transforme en une simple chute fonctionnant alors comme un ressort purement comique.

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totalement et ne font l’objet d’aucun diagnostic fiable. Dans nombre de ses romans, on rit d’une Amérique hypocondriaque dont le régime alimentaire le plus sain est celui des médicaments. Moody se joue de cette obsession proprement américaine par exemple lorsqu’il met en scène deux adolescents dans The Ice Storm qui, imitant leur parents, décident de faire une orgie de médicaments. La réticence de l’un fait dire à l’autre : « What are you, un-American ? » (98)

La question posée rejaillit sur toute l’œuvre de Moody car c’est de cette obsession de santé que Moody prend le contrepied, en dressant le portrait d’une Amérique rongée par un mal endémique. Pour autant, on se gardera de conclure que la prolifération des maladies contribue à réintroduire la mort dans la fiction américaine. En effet, la maladie est moins mortelle que vitale. Elle pointe moins vers la mort que vers la naissance, elle impose un retour nécessaire vers l’origine pour tenter de comprendre les racines du mal.

ouvrages Cités

Antolin, Pascale. « Les corps dé-composés de Rick Moody dans Purple America ». L’Hétérogène et l’hétéroclite dans la littérature, les arts et les sociétés d’Amérique du Nord. Dir. Christian Lerat & Yves Charles Grandjeat. Annales du CRAA n°26. Pessac : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, (2001) : 69-80.

Elkin, Stanley. The Magic Kingdom (1985). Champaign : Dalkey Archive Press, 2000.

Hawthorne, Nathaniel. « The Minister’s Black Veil » in Tales and Sketches; A Wonder Book for Girls and Boys; Tanglewood Tales for Girls and Boys. (1837-1864). Dir. Roy Harvey Pearce. New York : Literary classics of United States, 1982.

Le Guay, Damien. Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ? Paris : Les Éditions du Cerf, 2003.

Malabou, Catherine. Ontologie de l’accident, essai sur la plasticité destructrice. Paris : Léo Scheer, 2009.

Millard, Kenneth. « Rick Moody’s Purple America: Gothic Resuscitation in the Nuclear Age ». Texas Studies in Literature and Language. 47.3 (Automne 2005) : 253-268.

Moody, Rick. Garden State (1992). Londres : Faber and Faber, 2002.

—. The Ice Storm (1994). Londres : Abacus, 2008.

—. The Ring of Brightest Angels around Heaven (1995). New York : Little, Brown and Company, 2003.

—. Purple America (1997). New York : Little, Brown and Company, 1998.

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Épisodes chroniques : la maladie dans la fiction de Rick Moody

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—. Demonology (2000). New York : Little, Brown and Company, 2002.

—. « Introduction ». Stanley Elkin. The Magic Kingdom (1985). Champaign : Dalkey Archive Press, 2000.

—. The Black Veil: A Memoir with Digressions (2002). Londres : Faber and Faber, 2004.

—. The Diviners. New York : Little, Brown and Company, 2005.

—. The Four Fingers of Death. New York : Little, Brown and Company, 2010.

Pétillon, Pierre-Yves, « Arias de l’hypertexte : Rick Moody ». Revue française d’études américaines. 94 (Décembre 2002) : 57-62.

Sontag, Susan, La Maladie comme métaphore. 1977. Paris : Éditions du Seuil, 1979.

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