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Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ? Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 143-150 143 Depuis le début des années 1990, le prieuré de Souvigny fait régulièrement l’objet d’interventions archéologiques, tant préventives 1 que program- mées 2 . L’accumulation des données récentes permet aujourd’hui de préciser quelque peu le contexte antérieur à l’implantation des moines, sur lequel on possédait jusqu’à 2006 très peu d’informations tex- tuelles et archéologiques (Chevalier et al. 2011, p. 18, 20). Un de ces nouveaux éléments est la présence importante de sépultures en cercueils monoxyles remontant à cee période charnière de l’histoire du prieuré clunisien. 1 Surveillances de travaux, fouilles et sondages conduits par l’Afan, l’Inrap puis le Service d’archéologie préventive du département de l’Allier (Sapda) créé en 2008. 2 Opérations menées dans l’église priorale et alentour par des équipes de l’université Blaise-Pascal de Cler- mont-Ferrand entre 2001 et 2008. Une charte du cartulaire de Cluny aeste qu’un fidèle de Guillaume le Pieux, fondateur de Cluny, fait don à l’abbaye de sa villa de Souvigny en 915/920. Le territoire concédé recouvre entre autres une église dédiée à saint Pierre (Bernard, Bruel 1876, I, n° 217, p. 206-207 ; Maquet 2006, p. 324-329). Une confirmation et un complément d’information sont apportés par deux chartes de 950 et 954, qui font état d’un premier « déguerpissement » resté lere morte et renouvelé quatre ans plus tard par le des- cendant du donateur, sa femme et leurs enfants (Maquet 2006, p. 329-331). L’acte de 954 fournit une dernière précision concernant l’église à laquelle est alors adjoint un manse. Rien n’indique que les moines se soient établis sur place dès la donation et le déguerpissement solennellement confirmé par deux fois prouve même le contraire (Maquet 2006, p. 334-335). Les constructions en bois et en pierre de la villa offerte à Cluny Entre 2004 et 2007, des vestiges de constructions en bois appartenant probablement à la villa ou au monastère primitif ont été étudiés (Chevalier et Laurent Fiocchi * , Pascale Chevalier ** , Olivier Lapie *** Mots-clés : Souvigny, cercueils monoxyles, époque carolingienne, haut Moyen Âge. Résumé : On connaît 15 cercueils monoxyles du X e s. dans la villa antérieure au prieuré clunisien de Souvigny. Le substrat argileux a favorisé leur conservation. Leur disposition autour de l’église permet de préciser le plan du bâti- ment ; six de ces contenants réalisés dans des chênes vieux de 250 ans, sont datés par dendrochronologie de 938-950. Ils renseignent tant sur les modes d’inhumation que sur l’environnement boisé du site. L’analyse taphonomique de deux cercueils intacts témoigne d’une décomposition baignée d’eau en mouvement. Key-words : Souvigny, log coffins, Carolingian period, early Middle Ages. Abstract : Fiſteen 10 th century log coffins are known in the villa prior to the cluniac priory of Souvigny. The clayey substratum favored their preservation. Their arrangement around the church is useful to specify the plan of the building itself ; six of these coffins made of 250-years-old oaks, are dated from 938-950 by dendrochronology. They inform as much about the burial modes as on the wooded environment of the site. The taphonomic analysis of two intact coffins testifies about a decomposition bathed in moving water. * Archéologue contractuel. ** Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2, UMR 5594-ARTeHIS, Dijon. *** Anthropologue contractuel. Les cercueils monoxyles du milieu du X e s. à Souvigny (Allier)

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Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ?

Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 143-150

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Depuis le début des années 1990, le prieuré de Souvigny fait régulièrement l’objet d’interventions archéologiques, tant préventives1 que program-mées2. L’accumulation des données récentes permet aujourd’hui de préciser quelque peu le contexte antérieur à l’implantation des moines, sur lequel on possédait jusqu’à 2006 très peu d’informations tex-tuelles et archéologiques (Chevalier et al. 2011, p. 18, 20). Un de ces nouveaux éléments est la présence importante de sépultures en cercueils monoxyles remontant à cette période charnière de l’histoire du prieuré clunisien.

1 Surveillances de travaux, fouilles et sondages conduits par l’Afan, l’Inrap puis le Service d’archéologie préventive du département de l’Allier (Sapda) créé en 2008.

2 Opérations menées dans l’église priorale et alentour par des équipes de l’université Blaise-Pascal de Cler-mont-Ferrand entre 2001 et 2008.

Une charte du cartulaire de Cluny atteste qu’un fidèle de Guillaume le Pieux, fondateur de Cluny, fait don à l’abbaye de sa villa de Souvigny en 915/920. Le territoire concédé recouvre entre autres une église dédiée à saint Pierre (Bernard, Bruel 1876, I, n° 217, p. 206-207 ; Maquet 2006, p. 324-329). Une confirmation et un complément d’information sont apportés par deux chartes de 950 et 954, qui font état d’un premier « déguerpissement » resté lettre morte et renouvelé quatre ans plus tard par le des-cendant du donateur, sa femme et leurs enfants (Maquet 2006, p. 329-331). L’acte de 954 fournit une dernière précision concernant l’église à laquelle est alors adjoint un manse. Rien n’indique que les moines se soient établis sur place dès la donation et le déguerpissement solennellement confirmé par deux fois prouve même le contraire (Maquet 2006, p. 334-335).

Les constructions en bois et en pierre de la villa offerte à Cluny

Entre 2004 et 2007, des vestiges de constructions en bois appartenant probablement à la villa ou au monastère primitif ont été étudiés (Chevalier et

Laurent Fiocchi*, Pascale Chevalier**, Olivier Lapie***

Mots-clés : Souvigny, cercueils monoxyles, époque carolingienne, haut Moyen Âge.

Résumé : On connaît 15 cercueils monoxyles du Xe s. dans la villa antérieure au prieuré clunisien de Souvigny. Le substrat argileux a favorisé leur conservation. Leur disposition autour de l’église permet de préciser le plan du bâti-ment ; six de ces contenants réalisés dans des chênes vieux de 250 ans, sont datés par dendrochronologie de 938-950. Ils renseignent tant sur les modes d’inhumation que sur l’environnement boisé du site. L’analyse taphonomique de deux cercueils intacts témoigne d’une décomposition baignée d’eau en mouvement.

Key-words : Souvigny, log coffins, Carolingian period, early Middle Ages.

Abstract : Fifteen 10th century log coffins are known in the villa prior to the cluniac priory of Souvigny. The clayey substratum favored their preservation. Their arrangement around the church is useful to specify the plan of the building itself ; six of these coffins made of 250-years-old oaks, are dated from 938-950 by dendrochronology. They inform as much about the burial modes as on the wooded environment of the site. The taphonomic analysis of two intact coffins testifies about a decomposition bathed in moving water.

* Archéologue contractuel.** Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2, UMR

5594-ARTeHIS, Dijon.*** Anthropologue contractuel.

Les cercueils monoxyles du milieu du Xe s. à Souvigny (Allier)

Les cercueils monoxyles du milieu du Xe s. à Souvigny (Allier)

Laurent Fiocchi, Pascale Chevalier, Olivier Lapie

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al. 2011, p. 18 et 20). L’une, située au sud-ouest de l’église Saint-Marc, est datée par 14C entre 550 et 620. Devant la façade occidentale du prieuré, deux autres, dont une cuisine, appartiennent aux VIIIe-IXe s.

Divers autres vestiges de la villa ont été obser-vés : deux fossés parallèles, l’un excavé avant le VIIIe s., le second plus large constituant probable-ment une limite importante de la partie résiden-tielle du domaine vers l’ouest ; un bâtiment en pierre quadrangulaire (manse cité en 954 ou rési-dence de la villa ?) ; un ensemble épars de maçonne-ries détruites par la nef de la priorale de la seconde moitié du Xe s. En associant ces tronçons de murs de même nature et technique de construction qui des-sinent le plan d’une ancienne construction maçon-née quadrangulaire sous le vaisseau central de la nef romane, des maçonneries retrouvées en 2006-2007 et d’autres mises au jour par René Moreau en 19293, nous restituons une abside semi-circulaire, d’un diamètre interne de 6,87 m, pour un bâtiment

3 Archives inédites Mouret, Moreau et Génermont, SDAP Allier.

de plan basilical classique (fig. 1). La fonction reli-gieuse paraît confirmée par une inhumation d’im-mature  ad  sanctos, près des reliques que contenait l’autel de cet état inconnu jusqu’ici de l’église Saint-Pierre. La nef unique carolingienne serait large de 8,50 m dans œuvre pour une longueur maximale de 19 m. L’emprise est proposée en fonction de la disposition des sépultures contemporaines ou immédiatement postérieures, d’un radier de sol et du négatif d’une construction sur poteaux de bois, ce dernier aménagement pouvant correspondre à une sorte de parvis (à auvent ?).

Un des problèmes soulevés est celui des dimensions de l’église qui induisent une communauté, paroissiale ou monastique, plus qu’une chapelle privée, et ce, avant l’arrivée effective des moines à Souvigny. La chronologie resserrée des évènements doit être cherchée dans les chartes de 950 et 954, confirmations de leur propriété aux moines de Cluny faisant suite au double « déguerpissement » des descendants du fondateur. Ils peuvent aussi faire écho aux inhumations et à l’édification de l’église, si l’on admet que ces laïcs ont tenté de se réapproprier

665.710 665.720 665.730 665.740 665.750 665.760 665.770 665.780 665.790

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170.920

170.930

ExistantRestitué

Inhumations en sarcophage monoxyle

N

0 20 m

ex. 1990

If430Ie413

Ib215

Ic129

Ib434

Ib421

Id432

Id433Id436

Id351

Ib427

Fig. 1 - Plan du site au milieu du Xe s. (L. Fiocchi).

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les terres en marquant l’espace par un édifice de culte et un cimetière assez privilégié. Église, manse et villa de la donation semblent donc former un ensemble assez dense, avec un espace funéraire situé à proximité immédiate du lieu de culte.

L’espace funéraire de la première moitié du Xe s. et les cercueils monoxyles

Pour étayer l’identification du bâtiment à abside comme édifice cultuel et établir son emprise, notam-ment son développement en longueur vers l’ouest, nous nous sommes appuyés, comme on le fait dans la majorité des cas similaires de cette époque, en l’absence d’installations liturgiques conservées, sur son environnement funéraire (Zadora-Rio 2005). Cet ensemble cohérent d’inhumations appartenant à la première moitié du Xe s. est composé de quinze cercueils monoxyles, que côtoient huit à douze autres sépultures en coffrage de bois4. Les fosses des inhumations les plus anciennes sont aménagées dans des niveaux argileux qui ont permis le main-tien des conditions d’humidité indispensables à la conservation du bois. Ces tombes se répartissent sur une surface de près de 6500 m2, correspondant au sous-sol de l’actuelle église priorale, mais aussi à ses abords nord, ouest et sud (fig. 1).

Les coffrages, en bâtière, sont constitués de trois à cinq pièces de bois. Le bon état de conservation de quelques-uns permet de restituer leur mode d’amé-nagement. Une fois la fosse creusée, la planche de fond, d’une largeur de 60 cm en moyenne, y était disposée. Les deux planches de couverture étaient mises en place verticalement le long des parois de la fosse, ainsi que les petites planches de tête et de pied lorsqu’elles existent. Après le dépôt du défunt, les planches latérales étaient rabattues sur la dépouille, afin de former une couverture à deux pans (fig. 2). La fosse était ensuite comblée de terre.

Les cercueils monoxyles ont été façonnés à partir d’un seul fût dans lequel sont taillés le couvercle et la cuve. Cette dernière, massive, se compose des deux tiers du diamètre du tronc. L’épaisseur plus fine des couvercles explique leur mauvaise conservation, avec un bois composé pour majorité d’aubier, plus enclin à la décomposition. La disparition du couvercle peut aussi témoigner d’une réutilisation du contenant funéraire, comme cela est couramment observé pour les sarcophages en pierre. Ainsi, trois cas de réemploi de cercueils monoxyles sont reconnus sous l’église romane et

4 Ces sépultures, dont nous n’avons en 2006 obser-vé qu’un seul exemplaire non fouillé, ont pour toutes les autres été mises au jour en 2009-2010 par S. Liegard (Sapda) ; elles sont encore en cours d’étude (Liégard S., Fourvel A. dans Chevalier et al. 2011, p. 55-56).

seule une des trois cuves a été déplacée. Le milieu relativement humide de Souvigny a garanti un très bon état de conservation de ce type de contenant et, sur un ensemble de quinze exemplaires mis au jour ou inventoriés5, nous avons pu distinguer trois types présentant des creusements à fond plan ou concave (fig. 3A) et des logettes céphaliques

5 Un au début du XIXe s. (Alary 1851, p. 255), un deu-xième en 1935 (Génermont 1936, p. 271-272) et un troi-sième en 1990, dans la cour du prieuré du XVIIe s. (Jur-quet 1991 ; Chevalier et al. 2008, p. 56). Onze exemplaires ont été observés ou fouillés en 2006 et 2007, un dernier en 2009.

Fig. 2 - Reconstitution d’un cercueil monoxyle et d’un coffrage en bâtière (A. Fourvel).

Laurent Fiocchi, Pascale Chevalier, Olivier Lapie

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de morphologies variées (fig. 2, 3B et C). Une autre particularité concerne la présence d’un trou quadrangulaire de 10 cm de côté dans une des cuves (fig. 3D). Si la question du remploi de la pièce de bois se pose, il est plus probable que cet aménagement ait été destiné à faciliter l’évacuation des liquides de décomposition.

Le traitement extérieur des cercueils procède d’un simple émondage avec l’utilisation, dans l’évi-dage de la cuve, d’outils tels que la doloire et l’her-minette. Un seul exemplaire présente un équarris-sage de la bille. Cet aspect est intéressant à noter puisque c’est le diamètre plus large de la bille ori-ginelle, de plus de 60 cm contre 50 cm en moyenne, qui a nécessité une préparation plus aboutie afin d’obtenir des dimensions similaires.

Ces cercueils ont été fabriqués dans des grumes de chênes comptant tous environ 250-300 ans d’âge à l’abattage, datés de la décennie 940-950 par den-drochronologie6 pour les six d’entre eux fouillés en 2006-2007 et de 938 pour celui qui a été mis au jour en 19907 (fig. 4).

L’utilisation de cercueils monoxyles est connue sur deux autres sites de la région, Gipcy8 et Saint-Germain-des-Fossés (Corrocher et al. 1999), mais pour des périodes un peu plus anciennes. Le Xe s.

6 Étude du CEDRE de Besançon. 7 Archéolabs, 1993, ARC94/R1151D/2-3.8 Découverte inédite par M. Blanchet en 1984 lors de

travaux d’assainissement.

B

A

D

C

Fig. 3 A - Coupe retournée de la cuve du cercueil Id433 ; B : cuves complètes des cercueils Id432 et Id433 ; C : logette céphalique du cercueil Id432 ; D : trou percé au fond de la cuve de Id433 (clichés L. Fiocchi).

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paraît être localement la limite chronologique finale de ce type de contenant funéraire.

L’essence employée est le chêne, comme pour les coffrages en bâtière, mais également les bois de nombreuses constructions utilitaires (fouilles 2009-2011, Chevalier et al. 2011, p. 18, 20). Les mesures des cercueils monoxyles, des planches et des assem-blages architecturaux attestent de l’usage d’arbres de dimensions sensiblement proches durant cette même période et témoignent de l’environnement forestier de Souvigny. D’ailleurs, il n’est pas impos-sible que le nom même du lieu dérive du mot sylva (forêt en latin). Si l’on en croit la charte de fonda-tion, le site devait être environné de prairies et de champs cultivés, mais la présence à proximité de massifs forestiers, aujourd’hui disparus, est plus que probable.

Les cercueils monoxyles complets : morpholo-gie et taphonomie

Afin d’extraire le maximum d’informations de ces cercueils monoxyles dont la rareté fait une source documentaire unique, nous avons mis en place une méthode de fouille adaptée, conduite en 2006 par Olivier Lapie (4 exemplaires ; Chevalier et al. 2007) et en 2007 par Audrey Baradat (1 exemplaire). Tou-tefois, les cinq sépultures, contenant des individus adultes dont une femme, n’ont pas été fouillées de la même manière. En effet, les couvercles de trois des cercueils (Id432, Id433 et Id351) avaient disparu et leurs cuves, sûrement remployées ou même dépla-cée pour le n° Id351, ont été découvertes lors de la progression stratigraphique. Les deux exemplaires ayant conservé leur couvercle (Ib427 et Ib434) ont été repérés en 2006. Cependant, tous, y compris ceux qu’on a simplement aperçus (Ib421, Ie413, If430, Ib215 et Ic129), étaient identifiables par la forme bombée qui apparaissait dans la matrice sédimen-taire, avec dans certains cas, un vide courbe créé

au-dessus par la rétraction ou l’effondrement de la couverture. Pour les exemplaires sans couvercle, la fouille a été menée sans dispositif particulier ; pour les deux cercueils complets installés dans une fosse très étroite, elle n’a été possible qu’avec un système d’étayage, tant lors du dégagement des couvercles que lors de l’examen de leurs contenus une fois les couvercles prélevés. Nous limiterons l’analyse taphonomique à ces deux derniers.

Ces deux cercueils (Ib427 et Ib434), situés sous la première travée du bas-côté externe nord de la prio-rale romane (fig. 1), étaient presque intacts, encore dotés de leur couvercle. Leur fouille fut complexe, tant les remontées d’eau et leur volume important, environ 200 litres par sépulture, transformèrent le sédiment du remplissage en un véritable magma argileux. Ce problème mis à part, leur analyse se révéla relativement simple, grâce à la bonne conser-vation du contenant et des restes humains.

Installé pour partie dans le comblement d’un fossé carolingien, le cercueil Ib427 fut mis en place dans une fosse extrêmement étroite, ne libérant pas plus de 5 cm autour des parois (fig. 5A). La cuve mesure 1,88 m de longueur pour une largeur externe comprise entre 34 et 45,8 cm. Ses parois très fines (épaisseur de 2 cm environ, fig. 6) caractérisent un travail particulièrement soigné qui n’a pu être réalisé que sur un bois encore vert, ayant la malléa-bilité nécessaire. La longueur du couvercle s’adapte parfaitement aux dimensions de la cuve, mais les deux éléments ont été rompus à l’ouest lors du creu-sement de la tranchée de fondation du mur ouest de l’église romane. Un seul individu, un homme adulte, est installé dans la sépulture. Le squelette, qui n’a conservé qu’une relative cohérence anatomique, est dans l’ensemble très perturbé (fig. 5B).

La tranchée de fondation a causé le déplace-ment du bloc crânio-facial le long du bord gauche et perturbé la ceinture scapulaire, déplaçant la cla-vicule gauche. De nombreux indices témoignent du dépôt du corps sur le dos, notamment l’apparition en face antérieure du rachis cervical et thoracique. La colonne vertébrale est le siège de nombreux remaniements, de même que les côtes, verticalisées. Les scapulas, en face antérieure, ont glissé au fond de la cuve, mais c’est là un mouvement naturel. Il est possible de restituer la position des membres supérieurs même si l’humérus gauche a effectué une rotation complète ; ce mouvement s’explique d’ailleurs logiquement par la concavité du fond du contenant étroit.

La position des membres supérieurs, disloqués aux coudes et dont carpes et métacarpes sont dépla-cés, indique une flexion des avant-bras en prona-tion, les mains reposant sur l’abdomen. La ceinture pelvienne n’est plus en place, le sacrum a migré

N° cercueil Conservation Datation

Ex. de 1990 vestiges d’écorce abattage au printemps 938

Ib427 sans aubier dernier cerne : 895 AD

Ib434 913 à 960 AD maximum

Id432 sans aubier dernier cerne : 894 AD

Id433 13 cernes d’aubier dernier cerne d’aubier : 936 AD937 < abattage < 963 AD (pic de probabilité entre 940 et 950)

Id436 sans aubier dernier cerne : 907 AD

Fig. 4 - Récapitulatif des datations dendrochronologiques des cercueils monoxyles.

Laurent Fiocchi, Pascale Chevalier, Olivier Lapie

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A

B

Fig. 5 - Le cercueil Ib427 avec son couvercle (A) et pendant la fouille (B ; clichés L. Fiocchi).

Fig. 6 - Coupe de la cuve Ib427 (cliché L. Fiocchi).

Fig. 7 - Coupe au pied de la cuve Ib434 (cliché L. Fiocchi).

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au niveau de la tête fémorale gauche et les coxaux ont aussi bougé (inversion du coxal gauche, dépla-cement en amont du coxal droit). Des phénomènes de rotation s’observent aussi sur les membres infé-rieurs, en extension. Si la fibula gauche est restée en vue antérieure, le fémur et le tibia se présentent en vue postérieure, alors que le membre symétrique est en vue antéro-latérale droite et que la fibula a glissé sous le tibia. Les pieds, initialement dressés contre la paroi, se sont intégralement disloqués et certains os ont migré en amont entre les tibias. Le squelette présente donc les caractéristiques d’une décomposition du corps en espace vide avec des mouvements imputables à la forme de la cuve.

Situé au sud du précédent, le cercueil Ib434 pos-sède de remarquables similitudes avec lui. Il nous semble intéressant d’axer l’analyse sur la comparai-son entre ces deux exemplaires. La paroi sud de la cuve mesure comme précédemment 1,88 m, la paroi nord est un peu plus longue (1,92 m), et le pied plus massif (fig. 7). La largeur est sensiblement la même tout comme la finesse des parois. L’étroitesse de la fosse et du cercueil soulignent, comme pour Ib427, la volonté d’adapter le contenant à son contenu. L’implantation du cercueil dans le comblement du fossé carolingien se fait quasiment au même niveau et l’on retrouve à l’ouest la perturbation due à la tranchée de fondation qui a coupé la fosse.

Le crâne du défunt, toujours un homme adulte, a ici aussi été déplacé par la tranchée, mais cette fois la tête a basculé du côté droit (fig. 8). La mandibule est en vue latérale gauche. La forme de la cuve a entraî-né des phénomènes taphonomiques semblables avec dislocation du rachis et effondrement du grill costal. Les scapulas, qui ne sont plus non plus en connexion avec les humérus, sont en revanche ici

dressées à la verticale. Les membres supérieurs sont dans une position différente de ceux de l’indi-vidu précédent, les humérus n’ont pas bougé, mais à droite on constate une position peu fréquente, en tous cas pour cette période : le membre droit est hyperfléchi, position maintenue par l’étroitesse du cercueil, et la main repose sur l’épaule homo-latérale. À gauche, l’importance des mouvements de l’ensemble de l’avant-bras rend périlleuse toute hypothèse de restitution de la position ; le radius et l’ulna sont à l’emplacement attendu, mais le coxal a migré jusqu’au tibia. Le coxal droit repose contre la paroi sud : le déplacement en aval de la ceinture pelvienne est plus important que dans le cercueil Ib427. En ce qui concerne les membres inférieurs, la ressemblance avec le monoxyle voisin est égale-ment frappante : à l’exception de la fibula gauche, les os ont effectué une rotation complète et appa-raissent en vue postérieure. Enfin, les deux pieds, à l’origine appuyés verticalement contre la paroi, ont basculé en amont lors de la décomposition.

Cette seconde sépulture, au contenant morpho-logiquement très proche, révèle donc un mode de décomposition similaire influencé par les mêmes facteurs, notamment la présence de l’eau. Nous nous trouvons face à un exemple typique de ce que l’on peut attendre de l’ordonnancement – ou plutôt du désordre – des ossements en espace vide, dans une cuve de forme ovale à fond concave (fig. 5B, 7).

Le bois dans la tombe, « unité de mesure » de l’évolution du couvert forestier ?

Pour le Xe s., l’épaisseur et la largeur des planches employées dans la confection des coffrages, comme celles retrouvées au fond des fours à chaux du troi-sième quart du Xe s. mis au jour dans l’église Saint-

Fig. 8 - Le cercueil Ib434 pendant la fouille (cliché L. Fiocchi).

Laurent Fiocchi, Pascale Chevalier, Olivier Lapie

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Pierre (Chevalier et al. 2008), attestent d’une coupe sur des billes de bois d’un diamètre similaire à ceux utilisés dans la construction et dans la confection des quinze sarcophages monoxyles. La mauvaise conservation du bois dans les sépultures posté-rieures au Xe s., dans le cas d’inhumations en espace vide, peut être dû soit à une moindre épaisseur des planches, soit à la mise en œuvre d’essences plus tendres, comme les résineux. À Souvigny, l’ensemble des bois étudiés jusqu’à présent, dans la construc-tion ou dans les sépultures, est toujours le chêne. Par conséquent aucune donnée archéologique ne permet de suggérer que les tombes postérieures utilisaient une essence différente. La forte épais-seur des planches dans les contenants funéraires du Xe s. en a assuré la bonne conservation. Dès lors, l’absence des vestiges de bois pour les inhumations postérieures, alors même que la décomposition du corps en espace vide a pu être attestée, pourrait s’expliquer non par une essence différente mais par une moindre épaisseur des planches. Si le diamètre des arbres détermine autant la largeur que l’épais-seur des planches, il serait opportun de réfléchir aux relations qui ont pu exister entre la gestion du couvert forestier, la dimension des bois et leur mise en œuvre dans les sépultures et bien sûr dans les

constructions. Alors qu’à partir du XIe s., l’archéolo-gie constate un changement dans les modes d’inhu-mation avec, entre autres, une disparition des cer-cueils monoxyles et la mise en œuvre des coffrages mixtes, les études linguistiques font, quant à elles, état de l’apparition de nouvelles terminologies inté-ressant les forêts9 et leurs formes d’exploitation. La multiplication des toponymes pour désigner la plu-ralité des exploitations forestières pourrait refléter de nouvelles dispositions répondant à l’état des res-sources sylvestres. C’est le cas notamment des essar-tages, souvent évoqués dans les études historiques et archéologiques. Il serait nécessaire d’approfondir la question de la tombe comme « unité de mesure » des modifications environnementales.

En passant de l’individu au contenant, si la sépul-ture est le reflet de la structure sociale du monde des vivants, le contenant en bois qui accompagne le défunt devient lui aussi un des reflets de son envi-ronnement naturel.

9 D’après Jean-Pierre Chambon, communication res-tée inédite aux Journées  clunisiennes organisées à Souvi-gny (Chevalier et al. 2006).

Bibliographie

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