le château aventureux et l’architecture céleste

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Colloque Architectures célestes. Barcelone. Septembre 2006. Le Château aventureux et l’architecture céleste. Le mystère du Graal affirme au cours des siècles, une présence, mais la présence d’un non dicible, d’un indicible qui exige cependant d’être questionné (…) tant de fois signalée chez les Celtes, chez les Iraniens, les Latins, les Grecs, les Arabes et bien entendu dans le corpus de l’Occident chrétien.. c’est quelque chose apporté du Ciel sur Terre ". Gilbert Durand," Beaux Arts et Archètypes, la religion de l’Art, Paris, PUF, 1989. Résumé. Au cœur de la quête du Graal du roman arthurien, apparaît le mythe du Château Aventureux vers lequel convergent les trois chevaliers au cœur pur dont un seul d’entre eux, Galaad, fils de Lancelot du Lac, contemplera les mystères ineffables. Archétype du centre de l’Univers qui y prend naissance, c’est là que la voie de la hiérophanie s’effectue, là où les trois niveaux cosmiques sont communicants (Terre, Ciel, Régions inférieures). Du point de vue d’une anthropologie du sacré, cet archétype révèle le système du monde. Nous appuyant sur les modes de compréhension de l’anthropologie durandienne, nous montrerons que l’architecture céleste du Château Aventureux doit son universalité à une double origine : orientalo-iranienne et occidentalo-celtique. Mots clés : château aventureux, imaginaire ascensionnel ou mystique, axe cosmique, sacré, héros arthurien.

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Colloque Architectures célestes.

Barcelone.

Septembre 2006.

Le Château aventureux et l’architecture céleste.

Le mystère du Graal affirme au cours des siècles, une présence, mais la présence d’un

non dicible, d’un indicible qui exige cependant d’être questionné (…) tant de fois signalée

chez les Celtes, chez les Iraniens, les Latins, les Grecs, les Arabes et bien entendu dans le

corpus de l’Occident chrétien.. c’est quelque chose apporté du Ciel sur Terre ". GilbertDurand," Beaux Arts et Archètypes, la religion de l’Art, Paris, PUF, 1989.

Résumé.

Au cœur de la quête du Graal du roman arthurien, apparaît

le mythe du Château Aventureux vers lequel convergent les

trois chevaliers au cœur pur dont un seul d’entre eux,

Galaad, fils de Lancelot du Lac, contemplera les mystères

ineffables.

Archétype du centre de l’Univers qui y prend naissance,

c’est là que la voie de la hiérophanie s’effectue, là où les

trois niveaux cosmiques sont communicants (Terre, Ciel,

Régions inférieures).

Du point de vue d’une anthropologie du sacré, cet archétype

révèle le système du monde.

Nous appuyant sur les modes de compréhension de

l’anthropologie durandienne, nous montrerons que

l’architecture céleste du Château Aventureux doit son

universalité à une double origine : orientalo-iranienne et

occidentalo-celtique.

Mots clés : château aventureux, imaginaire ascensionnel ou

mystique, axe cosmique, sacré, héros arthurien.

Sommaire.

Le motif du château aventureux dans les romans arthuriens,

Le conte du Graal de Chrétien :

Perceval au château aventureux

Gauvain au Palais de la Merveille,

Le chevalier à la charrette :Lancelot au Palais de la

Merveille.

Le roman en prose : Lancelot, Galaad au château du riche

Roi Pêcheur.

Interprétations : Orient et Occident, origines.

Conclusion.

Le motif du château aventureux dans le roman

arthuriens

Perceval au château aventureux

Dans le roman de Chrétien1, Perceval (v 2984) au cours de sa

quête arrive près d’une rivière au pied d’un belvédère, il

regarde ce cours d’eau rapide et profond , longe la rive

jusqu’à une falaise rocheuse qui venait battre le courant de

la rivière,, il voit une barque qui descend , l’homme

installé à la proue pêche à la ligne , Perceval demande à

passer : remontez par cette faille ménagée dans la roche, et quand vous

arriverez en haut, vous verrez devant vous, dans un vallon, une maison où

j’habite avec rivière et bois à proximité ».1 Nous utilisons comme sources, les éditions de référence soit : la Quête duGraal parue chez Gallimard, collection de la Pléiade, 3t. et, pour leLancelot en prose, la collection Lettres Gothiques parue en Livre de Pocheainsi que le manuscrit du Mans du 13ème siècle la Quête du Grand saintGraal, auquel nous avons accès.

Perceval avance . Alors, il voit apparaître devant lui,

dans un vallon, le sommet d’une tour. « On n’aurait jamais trouvé

d’ici jusqu’à Beyrouth une tour aussi belle ni bien construite ».

Et le roman nous décrit cette tour : « elle était carrée, faite de

roche bise, avec des tourelles sur son enceinte. La grande salle se trouvait devant

la tour et les galeries d’entrée, sur le devant de la salle ». Le jeune homme

descend , passe le pont-levis, le franchit . Quatre jeunes

gens l’attendent, le désarment, l’habillent d’un manteau

d’écarlate flambant neuf puis le conduisent jusqu'aux

galeries. Et le roman d’ajouter « sachez qu’on n’en aurait pas trouvé

d’aussi belles jusqu’à Limoges en chevauchant bien ».

Il arrive devant le seigneur du lieu vêtu de noir, devant

un feu qui brûlait entre quatre colonnades, le manteau de la

cheminée est en airain. Son hôte lui remet un épée au

pommeau d’or le meilleur d’Arabie ou de Grèce , au fourreau

brodé à la mode de Venise. La salle était éclairée par un

grand luminaire portant autant de chandelles qu’on peut en

mettre dans une habitation. Commence alors une étrange

procession : un jeune homme sort tenant une lance blanche

qui saigne, il passe entre le feu et le lit où Perceval et

son hôte sont assis, puis deux jeunes gens arrivent tenant

des chandeliers en or fin décorés d’émaux avec 10

chandelles, suit un graal tenu par une demoiselle qui

s’avançe avec les jeunes gens, belle, élégante et parée avec

goût. « Quand elle fut entrée dans la salle en tenant le graal, dit le

texte, Après cette demoiselle une si grande clarté se répandit que le

chandelles perdirent de leur clarté comme font les étoiles quand se lève le soleil

ou la lune ». Arrive ensuite une autre demoiselle qui tient un

tailloir en argent. « Le graal était d’or pur et fin, on y voyait des pierres

précieuses de plusieurs sortes, les plus riches et les plus chères que l’on puisse

trouver en mer ou sur la terre car les pierres du graal surpassaient toutes les

autres , sans aucun doute » (v 3232).

On connaît la suite, Perceval n’ose poser aucune question à

son hôte sur la signification de ce cortège céleste. Il

passe la nuit au Palais Aventureux, dédaigne la demoiselle

qui vient honorer sa couche et se retrouve le lendemain,

seul au milieu des prés, tandis que le château et le palais

ont disparu, comme si le charme s’était rompu…

Gauvain au château de la Merveille.

Le Conte du Graal de Chrétien présente une autre vision du

château de l'au delà, il a nom château de la Merveille ou

château aux demoiselles, c'est le lieu de résidence des

Reines Mortes, ce qui signifie clairement son appartenance

céleste. Après sa rencontre avec la Maligne Demoiselle,

Gauvain s'en va par des forêts sauvages et solitaires ; il

arrive dans une campagne découverte devant une rivière

profonde si large que « ni fronde, ni mangonneau, ni perrière n'avaient

pu atteindre l'autre rive pas plus qu'arbalète ne saurait lancer son trait jusque

là » (v 7232). Et le roman de décrire le château : il est

construit sur une falaise, sa robustesse et sa richesse en

ont fait la plus riche forteresse qui aie été vue par les

hommes. Sur un rocher naturel, a été construit un palais de

marbre brun. On y voit bien 500 fenêtres, toutes occupées

par des dames et des demoiselles qui regardent devant elles

les prés et les vergers fleuris (v 7247). Les demoiselles

sont vêtues de satin, pour la plupart, de tuniques aux

couleurs variées, de robes de soie brodées d'or. Aux

fenêtres, elles montrent leurs visages gracieux et leurs

corps radieux « visibles à l'extérieur depuis la ceinture » (v 7256).

Suit alors un épisode de défi chevaleresque dont Gauvain

sort victorieux, puis une embarcation le conduit au château.

Passant la nuit chez le nautonier, il apprend que le château

est gardé par 500 arcs et arbalètes et qu'une dame de très

haut lignage y est venue s'y retirer. avec sa fille et la

fille de sa fille. Quant à la grande salle du château, elle

est bien protégée grâce à un art magique. Un savant en

astrologie, que la reine a amené avec elle, a installé dans

ce château « d'étranges merveilles dépassant tout ce que vous avez pu

entendre », et « aucun chevalier couard n'y peut survivre ». Suit alors

la description des gardes: 500hs assurent le service armé:

100 sans barbe ni moustaches,

100 commencent à en avoir,

100 rasent ou taillent leur barbe,

100 ont le poil plus blanc que laine,

100 sont grisonnants.

Il y a aussi des dames âgées qui n'ont ni mari ni seigneur

et qui tiennent compagnie aux deux reines. Toutes attendent

le chevalier qui les gouvernera et donnera aux dames des

seigneurs.

Gauvain annonce qu'il va rompre l'enchantement et monte sur

son palefroi, ils arrivent au pied d'un escalier sur la

façade du palais, rencontrent un estropié qui porte une

jambe artificielle en argent, l'entrée du palais est très

haute, ses portes riches et belles, tous les gonds et les

gâches sont en or fin. Une porte est en ivoire sculpté en

surface, une autre en ébène, chacune est ornée de pierres

précieuses. Le sol du palais est fait de carreaux verts,

vermeils, violets et bleus. C'est un bel ouvrage, poli à la

perfection, au milieu de la salle du palais, un lit tout en

or aux cordages en argent ; à chaque nœud du sommier est

suspendue une cloche, sur le lit une couverture en soie,

chaque colonne du lit est surmontée d'une escarboucle qui

répand une plus grande clarté que celle de 4 cierges

allumés. Il repose sur des têtes grotesques aux joues

grimaçantes munies de 4 roues si rapides et mobiles qu'un

seul doigt les meut. Le palais a 400 fenêtres fermées et 100

ouvertes.

Gauvain veut s'asseoir sur le Lit de la merveille, le

nautonier le met en garde : ce sera au péril de sa vie, il

le fait, commencent alors divers enchantements: les cordes

font entendre un gémissement, les clochettes sonnent, toutes

les fenêtres s'ouvrent, une volée de flèches s'abat sur lui,

dont certaines le blessent, un lion bondit pour l'attaquer,

Gauvain lui tranche la tête.

Arrivent alors des jeunes gens qui se mettent à son service

, et une jene fille entre dans la salle belle et séduisante

avec un diadème d'or sur sa tête, ses cheveux étaient blonds

comme l'or, sa face blanche rehaussée d'une enluminure de

pure couleur vermeille, et d'autres jeunes filles très

belles ainsi qu'un jeune homme richement vêtu, tous font

allégeance à Gauvain. On le vêt d'hermine. Le nautonier lui

apprend alors qu'il ne pourra jamais ressortir du château

Gauvain est triste. Paraissent les reines mortes. Suit alors

un étrange interrogatoire au cours duquel la reine le

questionne sur son appartenance à la maison d'Arthur et lui

fait donner maints détails sur les personnages passés et

présents de cette cour, comme si elle les avait tous bien

connus. Il dîne ensuite en compagnie de 150 jeunes filles.

Après un nouveau défi et l'arrivée de la maligne

demoiselle , Gauvain s'évade en se jetant au milieu du Gué

périlleux et regagne la terre ferme.

Un chevalier de rencontre lui révèle le sens des ce qu'il

vient de vivre, la reine rencontré est Ygerne, la mère

d'Arthur, l'autre sa propre mère et la jeune fille, sa sœur.

La château se nomme La Roche de Champguin, "on y trouve maintes

bonnes étoffes vermeilles et couleur sang, ainsi que du drap d'écarlate".

De retour au château, Gauvain rencontre sa sœur au lit de

la Merveille et lui rapporte une petite émeraude" du pays de

l'autre rive ".

Lancelot au palais de la Merveille dans Le Chevalier à la

Charrette de Chrétien de Troyes.

Le Château de la Merveille voit concrétiser en la

parachevant la quête héroïque de Lancelot en même temps

qu'elle apporte de précieuses informations sur la fonction

qu'il occupe dans le roman. Arrivés à l'heure de basses

vêpres, devant un château très puissant, Lancelot (qui se

fait porter en charrette pour répondre à une injonction de

sa dame) et ses compagnons (Gauvain et un nain) rencontrent

la plus belle demoiselle de la contrée, une pucelle. Elle

les invite et leur fait préparer deux lits mais jette un

interdit sur le troisième " où ne saurait prendre de repos que celui

qui l'a mérité, sauf à le payer très cher ".

Lancelot ne tient pas compte de l'interdit. A minuit, une

lance au pennon enflammé jaillit comme foudre " qui faillit le

clouer au lit où il gisait ". Lancelot l'esquive, éteint le feu,

prend la lance puis se recouche. Au matin, les chevaliers

voient passer un cortège de deuil mené par la reine. Ils se

lancent à sa poursuite. Parvenus à un carrefour, ils

rencontrent une demoiselle qui leur apprend que ce cortège

est celui de Méléagant, fils de Baudemagu, roi de Gorrre,

qui emmènent la reine prisonnière. Lancelot "oublie qui il est"

et entre dans une profonde songerie dont il ne sortira que

pour combattre à son avantage un chevalier gardien d'un gué.

Cette nouvelle aventure s'achèvera en un moutier où le

chevalier Lancelot trouve un moine qui le conduit dans un

cimetière renfermant des tombes, sur celles-ci, les noms de

nombreux chevaliers d'Arthur. Une grande tombe est au

centre, dont la dalle ne fut jamais soulevée par force

humaine. Lancelot s'en saisit et la lève facilement,

délivrant ainsi les prisonniers de ce royaume "d'où nul

n'échappe". Il a vaincu le signe même de la mort, effort

symbolique qui montre les capacités du héros à passer d'un

monde à l'autre, et encore des chevaleries terrestres aux

chevaleries célestes marquées par le moine. Ses nouveaux

passages seront dés lors spirituels.

Il apparaîtra également dans le récit consacré à la « Queste

del saint Graal », partie d’un autre roman arthurien, l'immense

Lancelot en Prose ou corpus Lancelot Graal, postérieur de

quelques quarante ans au roman de Chrétien, lequel campe

aussi le château aventureux comme lieu de séjour céleste.

Lancelot dans la Quête del Saint Graal.

Lancelot, au terme de son errance, arrive devant un castel

de belle apparence. Le texte précise que derrière le château

une « porte restait ouverte nuit et jour qui donnait sur l'eau ». Deux lions

en gardent l'entrée. Lancelot met l'épée à la main mais une

main enflammée venue du ciel le désarme. Il passe alors

entre les lions et remonte la maîtresse rue jusqu'au Castel,

en gravit les degrés sans rencontrer ni homme ni femme et

entend une voix qui célèbre " gloire et louange au père des cieux". La

porte s'ouvre et, dans une grande clarté, le Saint Graal lui

apparaît servi par des anges. Un vieillard célèbre la messe

et élève le Graal , au moment de la consécration. Au dessus

des doigts du prêtre Lancelot voit trois hommes, dont deux

d'entre eux remettent le plus jeune aux mains du prêtre qui

en semble accablé.

Lancelot vole à son secours mais est expulsé et reste

inanimé 24 jours et 24 nuits : "j'ai vu de si grandes et si heureuses

nouvelles que ma langue ne saurait les redire car n'étant pas chose terrestre

mais chose spirituelle». Demeurant au château il verra le Graal

couvrir les tables de mets abondants. Mais Lancelot n'achève

pas, on le remarque, le aventures du Graal et ne mène pas la

Quête à son terme. Il en ira autrement de son fils Galaad.

Galaad au Château aventureux.

Parvenu au terme de sa propre quête, Galaad retrouve

Perceval et Bohort et tous trois chevauchent longtemps pour

parvenir au château de Corbenic.

" Quand le roi le reconnut, leur joie à tous fut grande, car ils savaient bien que

leur venue marquait la fin du castel, qui avait tant duré ". A l'heure de

vêpres, au milieu d'un grand vent, une voix d'au delà se

fait entendre: « que ceux qui ne doivent pas s'asseoir à la table de Jésus

Christ s'en aillent, car voici le temps où les vrais chevaliers vont être nourris de

céleste nourriture". Restent alors Pellés, Eliézer son fils, une

pucelle nièce du roi , la plus religieuse, et viennent alors

neuf chevaliers armés , trois gaulois, trois irlandais,

trois danois, tous s'inclinent devant Galaad, le conviant à

s'asseoir. On voit alors sortir d'une chambre un lit de bois

porté par les demoiselles où gît un prud'homme couronné.

Tous sortent.

Galaad reste seul, il lui est alors révélé qu'il s'agit de

Joséphé le premier évêque, mort depuis 300 ans, que Notre

Seigneur consacré en la cité de Sarraz au palais spirituel.

Suit alors le cortège du Graal : un cierge, une toile de

soie vermeille, une lance qui saigne et que l'on tient au

dessus du Saint Vase. Joséphé prend une hostie dans le Vase

et une figure d'enfant apparaît descendant du ciel. La messe

dite, Joséphé vient donner un baiser à Galaad et l'on voit

sortir un homme dont les pieds et les mains saignent. Galaad

a alors connaissance du Saint Graal et à la question qui lui

est posée de savoir où il sera le lendemain, il répond: "en

la cité de Sarraz au palais spirituel". Galaad guérit alors le Roi

Méhaignié avec le sang de la lance et les trois compagnons

sortent pour gagner la mer où les attend la nef de l'épée à

l'étrange baudrier. Le Saint Graal s'y trouve, ils montent à

bord. Galaad annonce alors sa mort ) ses compagnons, il se

couche dans le lit où se trouve la table d'argent qui porte

le Saint Graal recouvert d'une soie vermeille, il y dort

longtemps. Quand il s'éveille, il voit la Cité de Sarraz,

une voix leur enjoint de sortir de la nef et portant la

table d'argent en la Cité et de ne pas la poser avant d'être

au Palais Spirituel. Un an après, Galaad devient le seigneur

du pays, et verra, au Palais Spirituel, les mystères du

Saint Vase. Il mourra après en avoir contemplé les

merveilles.

. . .

Pour résumer la description de ces châteaux de l’au delà :

ils sont riches, puissants, inaccessibles, bâtis sur le roc,

surmontés d’une haute tour, environnés d’une eau hostile

très difficile à franchir par des moyens humains. Il sont

défendus par des interdits et gardés par des lions, ou des

chevaliers hostiles, il s’y produit des épreuves auxquelles

les héros doivent échapper. Leur séjour y est au demeurant

très agréable, servi par des demoiselles gracieuses et

dévouées aux héros, habités par des personnages disparus du

monde vivant. Il s’y déroule d’étranges rites sacrés et les

héros peuvent y recevoir, s’ils le méritent l’illumination

après la contemplation de figures célestes. Leurs noms mêmes

indiquent leur nature différente, étrangère au contexte dans

lesquelles les héros arthuriens évoluent habituellement :

Palais de la Merveille, Château Aventureux, Palais Spirituel, Corbenic, cité de

Sarraz... Nous sommes bien là dans un « inter monde » remplis

d’intersignes dont il nous reste à envisager les origines.

Interprétation : Le château aventureux et le palais

spirituel.

Ces récits mettant en scène dans les romans étudiés, celui

de Chrétien et Le Roman en prose, le château aventureux ont

plusieurs points communs.

D'abord le château est décrit dans son architecture comme

céleste, en témoigne la description des tours, et en même

temps proche des eaux qu'il faut aux héros franchir pour

changer de rive aborder l'autre pays, accéder au palais

spirituel.

On retrouve bien ici la conjonction des régimes de l'image

décrits par Gilbert Durand, héroïque quand l'architecture

guerrière vient souligner les exploits guerriers (les défis)

des héros partis en quête, en errance, et leur accès au

mystères que le passage des eaux vient euphèmiser. Le climat

du régime nocturne des images entre ici en résonance avec la

mystique qui se dégage des récits.

La quête du Graal n'est pas tant quête terrestre que

céleste et les architectures, les dispositions des espaces

visités par les héros ne peuvent que le souligner.

Philippe Walter a bien montré2 que le palais où se rend

Gauvain dans le Conte du Graal est une résidence immergée

tandis que la maison du roi pêcheur se trouve dans un val

auquel on peut accéder après avoir traversé un fleuve que

n'enjambe aucun pont.

Pour Perceval, il montre qu'il n'existe pas plus de moyen

matériel d'accéder à la demeure mystérieuse du roi pêcheur.

La maison apparaît mystérieusement dans un vallon à

2 Walter Philippe, Perceval, le pêcheur et le graal, Imago, 2004, p.206 sq.

proximité tandis que le paysage terrestre se transforme

magiquement en paysage aquatique. Ceci renvoie pour lui à

une mémoire archaïque, en fait un vieux récit celtique

exploité par Chrétien de Troyes. Si le roi pêcheur ne peut

se porter sur ses jambes, est-ce pare qu'il est anguipède? a

un corps en forme de poisson ? Pour lui l'Ile du Saumon et

la maison du roi pêcheur sont les deux variantes d'un lieu

de l'Autre Monde où l'on en pénètre que difficilement par

une entrée étroite et où se déroule un rite particulier

autour du repas.

Le texte renvoie pour lui à la sagesse celte et à la

connaissance dont le saumon est le symbole, celui de

l'acquisition de la science sacrée conférée par le roi

pêcheur (fonction sacerdotale, initiatique).

Le mythe de Lancelot, tel que nous l’avons étudié ailleurs3,

s’inscrit d’abord dans un espace et dans un temps mythiques

qui participent de sa fondation en tant que héros des

passages.

Pour ce qui est de ses chevaleries terrestres, elles sont

bien terminées puisque Lancelot finira dans une tour,

prisonnier sur parole. Sa prison, qu’il regagne aprés

d’ultimes combats, où il triomphe anonyme, ne préfigure-t-

elle pas son abandon du monde terrestre? Dans le roman en

prose, il embrassera la vie religieuse en se retirant dans

un moutier parés l’écroulement des chevaleries arthuriennes.

La Tour, chez Chrétien, n’est-elle pas située au royaume de

Gorre (ou de Voire, Ile de Verre d’où nul n’échappe, Sid?).

Cet épisode, préparé par celui du château fée, est introduit

3 Bertin Georges, La quête du Saint Graal et l’imaginaire, Corlet, 1997.

par celui où Lancelot triomphe des enchantements. On voit

deux images du chevalier s’imposer dans ces passages:

- celle du champion, du guerrier combattant, vainqueur des

éléments, des chevaliers félons et des animaux monstrueux,

mais on remarquera que ces actions héroïques ne sont ni

gratuites ni aveugles, qu’elles participent sans doute

encore de la première fonction, car justicières lorsqu’il

s’agit de défendre l’honneur Arthur et de punir des

outrances,

- celles du magicien, capable de se jouer des enchantements

du lit de la Merveille, qui reçoit des signes du ciel (le

nom sur la pierre tombale, le bouclier ressoudé) lesquels

marquent bien son statut d’intermédiaire, de passeur,

d’exécutant du plan divin.

Première et deuxième fonction sont ici indissolublement

liées et l’on voit que les romanciers n’entendent pas priver

les représentants de la première fonction des valeurs de la

deuxième.

La dominante mystique présente un ensemble de rencontres

avec des personnages sacrés au coeur de Nature, au Château

aventureux au milieu des eaux, domaine du riche roi

pêcheur ; elle nous semble analyser un régime d'images

nocturnes marqué par le réalisme sensoriel, prolongeant le

temps de la grotte aquatique. Il est repris par celui de la

coupe, dans lequel les principes d'analogie et de confusion

jouent à plein. Les origines aquatiques de Lancelot sont,

tout au long du roman des Enfances, redoublées par divers

épisodes des passages de l’eau.

Le château du riche roi pêcheur lui-même est sis au milieu

d’une île et l’on n’y accède que par mer. On y retourne et

on en revient comme le flux y porte les héros et comme il

finit par les emporter en l’Ile d’Avalon. La figure du temps

s’ordonne ici au cycle, elle est soulignée par les

généalogies qui conduisent Lancelot et, après lui, Galaad, à

réaliser la Quête.

Du point de vue d’une anthropologie du sacré, cet archétype

révèle le système du monde, soit :

1) un lieu sacré qui constitue une rupture dans

l’homogénéité de l’Espace : c’est ce que souligne Philippe

Walter quand il insiste sur la rupture de continuum spatio

temporel impliqué par les descriptions dans l’accès au

château aventureux ou au palais de la merveille (il

n’existe pas de pont, ni de bateau, il faut s’engager dans

un val sans retour, profiter d’une anfractuosité), comme le

fait que les chevaliers qui s’y exercent doivent d’une

certaine façon se défaire de leurs réflexes chevaleresques

(l’interdiction faite de combattre les armes à la main).

L'atmosphère de merveilleux qui baigne les descriptions

contenues dans ces romans ne doit pas conduire à en négliger

la haute valeur, non seulement symbolique, mais mystique. La

terre de Sarraz n'est pas une terre imaginaire ; c'est une

terre imaginale, pour reprendre l'adjectif forgé par Henry

Corbin, la terre d'émeraude que le soufisme iranien appelle

Hurqalya, élément essentiel de l'élaboration du mythe du

Graal. Le palais du prêtre Jean des récits ésotériques

soufis « où nul manger ni boire n'y est appareillé" sinon en une

écuelle, un gril et un tailloir, ressemble de bien près au

château du Roi-Pêcheur du Conte du Graal de Chrétien de

Troyes, où Perceval assiste au cortège où se succèdent la

lance qui saigne, le Graal et le tailloir d'argent. Le

pilier occupe le centre du palais et d'où, par la grâce de

Dieu, sourdent une eau et un vin qui rassasient ceux qui en

boivent. Il rappelle exactement le pilier dans lequel, selon

le Roman en prose, Joseph d'Arimathie  fut enfermé par les

Juifs et où il survécut sans eau ni nourriture par la seule

vertu du Graal. Quant à cette table où toutes viandes "sont

appareillées par la grâce du Saint Esprit", n'est-elle pas la

préfiguration parfaite de la Table Ronde telle qu'elle fut

instituée par Joseph d'Arimathie et perpétuée par le roi

Arthur ?

Les points de rencontre sont si nombreux et parfois si

précis qu'on ne peut se permettre d'omettre, non seulement

de lire, mais de méditer sur ces textes dont la poésie sert

magistralement l'imagination du lecteur. Les perspectives

ouvertes par les multiples éléments qui y sont répandus à

profusion transcendent le temps, l'espace, cette vision

linéaire dans laquelle nous contraint l'histoire des hommes.

Le Royaume qui s'ouvre à nous n'est pas de ce monde. Le

Saint Palais qui en fait l'âme est, par la grâce de Dieu,

chambre de paradis pour l'enfant à venir, "prêtre selon l'autel et roi

selon justice et droiture", prêtre-roi selon l'ordre de

Melchisedech ? Il s’agit bien d’un intermonde spirituel,

d’une cité métaphysique, espace en pointillés réunissant

Orient et Occident et qui organise cette correspondance en

un vaste archipel, comme l’a établi Mireille Segos4. Il est

surtout paradis personnel, et la quête des héros arthuriens

est aussi celle de l’individuation5.

2) une ouverture qui symbolise cette rupture, lieu de

passage, : le domaine où les héros pénètrent est régi par

4 Segos Mireille, BBSIA, 2003, p. 489.5 Bertin Georges, La pierre et la graal, Vega, 2006.

les demoiselles, qui font entrer le chevalier dans un

lieu de douceur et de luxe, un véritable paradis, où vie

et mort, souvenirs et projets n’ont plus court. Ce sont

encore elles qui emmènent les héros arthuriens vers le

SID des celtes (Avalon), ou encore la cité de Sarraz,

leur dernière demeure. La rupture est ici double, avec

l’univers organisé par les rites chrétiens qu’ils ont

connu jusqu’ici et la référence explicite à la fois aux

traditions celtes mais encore à la Tradition orientale,

celle des récits visionnaires, soit la terre de Hurqâlya

et ses cités.

3) une communication avec le Ciel exprimée par des images

(Axis Mundi, pilier, échelle, montagne, arbre) : c’est la

fonction de ces châteaux érigés sur une falaise qui se

dressent face au ciel et dont les constructions viennent

surdéterminer la fonction ascensionnelle (tour magnifique

et audacieuse). Nous constatons qu’elle est ici

euphémisée par le contexte. Alain Labbé6 a bien développé

ce point de vue dans un article sur les formes et figures

du château du Graal, quand il montre que ce roman montre

des dispositions particulières de l’espace castral au

regard des schémas usuels du temps. Si en général la

salle est à l’étage, elle est dans Perceval directement

accessible de plain pied. Après être entré à cheval

directement dans la cour (on retrouve aussi cette

disposition dans d’autres romans arthuriens), il voit

dans l’ordonnancement axial loges > salle > tours une

organisation plus ecclésiale que castrale, ce qui

montrerait la fonction symbolique de ces lieux voués à

6 Labbé Alain, Formes et figures du château du Graal, in BBSIA, 194, p 413.

l’élévation des âmes. La description du foyer central aux

quatre colonnes d’airain est ainsi celle d’un ciborium,

« salle quarree autant longue comme lee » (en langage

compagnonnique on parlerait d’un carré long), s’écarte du

type médiéval courant « un plan centre dans lequel les loges forment

comme le portique d’un paradisos, l’implicite martyrium abritant la

mystérieuse sacralité du graal et de la lance ». Et d’en référer à

Georges Dumézil ans cette coordination des deux fonctions

ecclésiale (le paradisos) et guerrière (la tour).

Ces récits de l’Ascension céleste sont aussi à mettre en

relation avec les représentations eschatologiques des

récits d’Avicenne et de Sohravardi dont Henri Corbin nous

a révélé que les traductions avaient cours dans

l’occident médiéval dés le, 13ème siècle7. Comme les héros

arthuriens , les prophètes ou pélerins participent à une

ascension mystique qui les conduit jusqu’aux mystères du

9ème ciel où il connaissant la conjonction de L’Esprit

saint avec leur âme. (Nous retrouvons cette redondance du

chiffre neuf, celui de l’initiation dans la Quête del

Saint Graal). Comme l’oiseau avicennien, l’exilé

sohravardien, Galaad est un pèlerin qui ne marche plus

seul, il est en compagnie du messager du roi, de guides…

Le Château céleste est le lieu de cette initiation, il

est monde intermédiaire situé entre le cosmos physique et

le monde des pures intelligences, désigné, chez

Sohravardi, comme l’Orient intermédiaire. C’est le monde

où s’opère la transmutation de toutes choses en symboles

à la fois autonomes et transcendants. Les familiers du

Roi sublime y habitent des cités, (la cité de Sarraz)

occupent de hauts châteaux et des édifices magnifiques,

7 Corbin, Henri, Avicenne et le récit visionnaire, Berg, 1973.

plus solides que le diamant. Comme les héros orientaux,

les occidentaux « ont reçu le pouvoir de contempler le palais le plus

élevé et de se tenir autour »8.

4) ceci nous conduit directement vers le Centre du monde,

axe cosmique autour duquel le Monde s’étend, (la Montagne

cosmique, la pays le plus haut, le Golgotha, la Kaâba, le

Mont Aventureux), ce qui fait que les Villes saintes sont

centre du monde, que les Temples sont des répliques de la

montagne cosmique, que les fondements des temples plongent

dans les régions inférieures. La présence de l’eau noire,

rugissante et des cavernes qui entourent les châteaux

célestes viennent là encore en manifester la présence, il

n’existe pas, dans le roman arthurien, de solution de

continuité entre le monde souterrain et le monde céleste.

Dans le roman arthurien, l’espace aventureux est valorisé

dans un vision du monde centripète; relavant du chaos il

devient cosmos harmonieux9, et les épreuves accomplies pour

le franchissement de ces espaces par les héros accédant en

des pays en manque de souverains, revisitent l’organisation

de l’espace temps quand Gauvain en devient le roi et Galaad

le roi prêtre, forme achevée de l’ordre indo européen. On

pourrait aussi avec Michel Pastoureau, gloser sur la

redondance de la couleur rouge dans ces scènes, couleur dont

il nous a montré ce qu’elle avait à voir avec la

souveraineté.

Conclusion.

8 Ibidem, p. 163.9 Voicea Mihaela, La déconstruction de l’espace dans le cycle du Lancelot Graal, BBSIA, 2003, p. 503

Le récit mythique arthurien comme les récits celtes ou

orientaux sont des récits symboliques, les espaces qu’ils

mettent en scène « lieux singuliers, multiples et vécus. Ces espaces

singuliers sont fondés sur une étendue spirituelle, un « lieu pour l’imagination,

espaces profonds, intermédiaire entre le monde des formes immuables et le

monde sensible où les choses sont vouées à périr. Ils déterminent, comme l’a

écrit Magali Humeau, les « temps » de tout récit, temps sempiternel, temps sans

fin puisque voués à la répétition de la récitation ou de la relecture, (…) temps

mythiques comme ces espaces mythiques dont il s’agit désormais. Elle rappelle

que Gilbert Durand réconcilie le temps avec l’imaginaire : un « temps retrouvé »,

recommencement, récit, fondateur du mythe et que ce temps du mythe mène à

un espace que Durand place désormais comme seconde forme a priori de la

fantastique10 ».

Fonction du mythe qui consiste à se dresser en ces endroits

comme force subjective face à des futurs hypostasiés, face

aux terreurs de l’histoire. Et nous avons souligné le « non

où » de ces architectures célestes que sont les châteaux du

graal.

Car, écrit encore notre collègue Frédérique Lerbet Sereni,

« le mythe est une histoire vraie, en ce sens qu’ « il décrit (...) l’irruption du sacré

qui fonde réellement le Monde et qui le fait tel qu’il est aujourd’hui... Ce

particulier de l’universel, et, réciproquement, l’universel « ontologique » nous

atteint nous, lecteur du 21ème siècle, parce que le mythe a cette particularité de

transcender l’histoire particulière, généalogiquement particulière de chaque

situation, pour atteindre chacun. A la fois il nous atteint hors contexte et nous

permet de re penser nos sensibilités et nos connaissances dans leur contexte

actuel.

C’est le nouage de l’imaginaire et du symbolique incarné dans des êtres non-

réels, qui, peut-être, contribue à nous construire dans notre réalité vibrante.11 »

10 Humeau Magali, L’espace/temps dans l’enseignement du dessin technique, communication au CRAI, Angers, 2004.11 Lerbet Frédérique, Mythe et Education, à paraître Dervy.

Et nous rejoindrons ici le philosophe René Guénon12: « quand

les traditions se réfèrent à ces ailleurs où perdurent les mainteneurs de La

Tradition, écrivait-il dans Le Roi du Monde, elles ne font pas autre

choses que d’affirmer qu’aucune entreprise humaine, culture, civilisation, ne peut

apparaître ni se maintenir sans un minimum de référence à la problématique qui

constitue la figure de l’homme ».

Alors, le château aventureux figure d’une architecture

céleste, certes, mais dans la mesure où c’est bien de la

construction de notre temple intérieur qu’il s’agit, est le

symbole et la figure récurrente et pérenne de l’aspiration

« célestielle » du pèlerin de l’absolu qui sommeille en

chacun.

Bibliographie sommaire.

BERTIN Georges, La Pierre et le Graal, Paris, Vega, collection

Horizons initiatiques, 2006.

BERTIN Georges, La Quête du Saint Graal et l'Imaginaire, Condé-sur-

Noireau, Ch. Corlet, 1997. Préface de Gilbert Durand.

Chrétien de TROYES, Le Chevalier de la charrette, édition bilingue

de A. Foulet et Karl O. Uitti, Paris, Bordas, Classiques

Garnier, 1989.

Corbin, Henri, Avicenne et le récit visionnaire, Berg, 1973 ;

Durand Gilbert, Science de l’homme et Tradition, Paris, Berg

International, collection l’Ile Verte, 1979.

Guenon René, Le roi du monde, Paris, Editions

traditionnelles, 1950.La Légende arthurienne et la Normandie, sous la direction de J.-Ch.

PAYEN, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1983.12 Guenon René, Le roi du monde, Paris, Editions traditionnelles, 1950.

Les romans de la Table Ronde, la Normandie et au delà, sous la direction de

Michel Pastoureau, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1987.

La quête du Graal, Paris, Gallimard, La Pleiade, 3t. 1998-2003.

MARX Jean, La Légende arthurienne et le Graal, Paris, P.U.F., 1952.

Walter Philippe, Perceval, le pêcheur et le Graal, Imago, 2004.

Georges Bertin.

Angers, Prats de Mollo, Lugnasad, 2006.