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LES PARLERS JEUNES

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Cahiers de Socio Linguist i Que 9

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Page 1: Cahiers de Socio Linguist i Que 9

LES PARLERS JEUNES

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Cahiers de Sociolinguistique Dirigés par Francis MANZANO et Philippe BLANCHET

Comité de lecture des Cahiers de Sociolinguistique : Philippe Blanchet (Rennes 2), Francis Favereau (Rennes 2), Monica Heller (Toronto), Fernande Krier (Rennes 2), Jean-François Le Dû (Brest), Christian Leray (Rennes 2), Jean-Yves L’Hopital (Rennes 2), Francis Manzano (Rennes 2), Jean-Baptiste Marcellesi (Rouen), Henriette Walter (Rennes 2).

Émanant d’un groupe de chercheurs en sociolinguistique romane de l’université de Rennes 2, les Cahiers de Sociolinguistique ont pour premier objectif de faire connaître les recherches en cours sur les situations de contacts de langues, notamment dans l’espace francophone, en y incluant le territoire français (langues régionales ou d’origine). Ceci amène au second objectif : assurer la rencontre de différents courants constitutifs de la sociolinguistique contemporaine. Volumes thématiques Chaque numéro est conçu et dirigé par un ou plusieurs enseignants-chercheurs du groupe.

Déjà parus :

� N°1 Langues et parlers de l’Ouest, Pratiques langagières en Bretagne et Normandie. Sous la direction de F. MANZANO, 188 pages, 80 francs., 1996, rééd. 1997. � N°2-3 Vitalité des parlers de l’Ouest et du Canada francophone à la fin du XXème siècle. Sous la direction de Francis MANZANO, 451 pages. 150 francs, 1997. � N°4 Langues du Maghreb et du Sud Méditerranée. Sous la direction de F. MANZANO, textes recueillis par F. KRIER et F. MANZANO, 171 pages. 80 francs, 1988-1999. � N°5 Histoires de vie et dynamiques langagières. Sous la direction de Ch. LERAY et C. BOUCHARD, 218 pages. 95 francs 2000. � N°6 Sociolinguistique urbaine. Sous la direction de T. BULOT, C. BAUVOIS et P. BLANCHET, 163 pages, 15 euros, 2001. � N°7 Langues en contact, Canada, Bretagne. Sous la direction de Ch. LERAY et F. MANZANO, 196 pages, 13 euros, 2002. � N°8 Langues, contacts, complexité. Perspectives théoriques en sociolinguistique. Sous la direction de P. BLANCHET et D. De ROBILLARD, 324 pages, 18 euros, 2003.

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Sous la direction de

Thierry Bulot

LES PARLERS JEUNES PRATIQUES URBAINES ET SOCIALES

Cahiers de Sociolinguistique n°9

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E R E N N E S

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Mis en page sous la responsabilité des Cahiers de Sociolinguistique

� Presses Universitaires de Rennes et Cahiers de Sociolinguistique

ISBN 2-7535-0077-0

Dépôt légal : second semestre 2004

Achevé d’imprimer par le Service de reprographie de l’université de Rennes 2

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PRÉSENTATION LES PARLERS JEUNES, LE PARLER DE / DES JEUNES

Au départ de ce volume fut la volonté de chercheurs de confronter leurs

points de vue sur un objet social suscitant controverses et passions, gloses et conceptualisation diverses, dictionnaires et glossaires… les parlers jeunes, et cela dans des contexte et lieu institutionnels particuliers et au demeurant peu habituels pour des sociolinguistiques et pour une telle thématique : les 16ème Rencontres Internationales de l’Audiovisuel Scientifique qui se sont tenues au Pavillon de l’Arsenal (Paris), le 15 octobre 2002. A l’instigation de Bernard Légé (CNRS Images/Média) puis sous notre responsabilité scientifique, il s’était alors agi d’organiser une Table Ronde à dominante sociolinguistique1, et à tout le moins (car tous n’étaient pas de ce champ disciplinaire) avec des chercheurs ou des enseignants-chercheurs engagés conjointement sur l’approche langagière de l’objet même comme, bien entendu, des locuteurs concernés (ceux que l’on dit « jeunes » ou qui se construisent tels) et sur la problématisation –peu ou prou– du terrain urbain, de la ville2.

Cette rencontre a donné lieu à de multiples échanges préalables et continus qui ont, de notre avis, fortement marqué un fonctionnement propre à faciliter la réflexion et que nous avons tenté de reproduire pour ce volume ; chacune des présentes contributions s’est certes voulue individuelle et spécifique mais s’est construite dans la connaissance des autres textes, des autres propositions. On remarquera que les participants à la Table Ronde du 15 octobre 2002 ne sont pas

1 La Table Ronde fut ainsi présentée : « Tantôt perçu comme une menace par les tenants d’une

langue française immobile, tantôt présenté comme le creuset des nouveaux usages langagiers, le « parler des jeunes » rend compte de la mise en spectacle d’une réalité socio-langagière nécessairement plus compliquée. Il importe d’aborder le parler des jeunes comme il convient, c’est-à-dire à la fois comme un mouvement générationnel posant la différence par l’affirmation des identités, et à la fois comme un lieu symbolique où se jouent les minorations sociales. Il n’est en effet jamais vain de rappeler que le langagier (la langue et son usage) est et crée le lien social et, qu’à ce titre tout groupe de jeunes qui produit des énoncés étiquetés « jeunes » renvoie à la société la complexité des tensions en cours ; mais il démontre aussi une réelle compétence à construire du lien par la connaissance montrée du système linguistique (le cryptage suppose la connaissance des unités à crypter). » 2 La reconnaissance de la problématique n’est bien sûr pas très récente dans les Sciences Humaines

et Sociales. Pour preuve, le numéro 81(daté de 1994) du Courrier du CNRS consacré à la ville (de fait au P.I.R.-Villes) comprend l’entrée « La ville et les jeunes » (Blöss, 1994), mais ni figure aucun article consacré au langage (et / ou aux langues) qui ne soit signé par un (socio)linguistique. C’est une sociologue qui signe l’article « Espace et langage ».

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THIERRY BULOT

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tous réunis ici (car il ne s’agissait pas de produire des Actes, mais bien de continuer la réflexion et le mouvement engagé à ce moment) mais que d’autres travaux sont venus compléter, étendre, peut-être dynamiser plus encore les premiers débats.

C’est probablement ce qui caractérise le mieux ce volume : l’interdiscursivité, tant pour ses auteur(e)s que pour la discussion commencée, amorcée avec d’autres approches théoriques et explicatives, toutes aussi légitimes a priori, d’une part et, d’autre part avec des terrains, inédits voire ignorés des lectures à faire, questionnant particulièrement les conceptualisations en cours et qui semblent valoir pour toutes les situations « urbaines » et ou « jeunes ».

Le 15 octobre 2002 ont ainsi été soumises à débat des interventions portant sur respectivement la partielle et/ou pseudo-arabité des « parlers jeunes » (Kheira Séfiani), les spécificités interactionnelles des parlers dits jeunes, voire plus simplement de « jeunes » (Cyril Trimaille), la relativisation des approches et descriptions existant par la confrontation avec les parlers des jeunes Réunionnais (Gudrun Ledegen) qui pour certains peuvent être dits ruraux et, enfin une réflexion plus globale sur les rapports entre identité, ville et parlures jeunes (Bernard Lamizet). La discussion, pour sa part, fut articulée sur deux grands thèmes globaux3 : renvoyant pour l’un aux réflexions à mener sur la nature même des « parlers jeunes » –vite reformulés en « parlers de ou des jeunes » pour ce qui est des pratiques socio-langagières des locuteurs– en tant que concept à la fois analytique et synthétique, et pour le second à des considérations plus citoyennes portant sur « le vivre ensemble » ou pour le moins sur des pistes d’interventions sociolinguistiques qui constituent, au final, un réel programme et de recherche et d’action :

��Parler jeune : les limites et l’étendue du concept ? ��La question des identités ��Le problème politique de la représentation des identités ��Parler jeune et culture jeune ��Interaction et dynamique sociale

D’une part, et, d’autre part, ��Aménagement de l'espace urbain et institution d'espaces publics de

débat et d’activités culturelles. ��Politique de la ville et question politique de la solidarité ��Parler (de) jeune et projet de ville ��Les médias urbains sont-ils ouverts aux jeunes ? Les jeunes

disposent-ils de médias d'expression et de parole ? Pour l’heure, le volume comprend six contributions distinctes, consacrées

aux « parlers (de) jeunes » et doublement axées sur d’abord des études de cas, qui, sans délaisser une nécessaire dimension théorique, font état de terrains remarquables par le questionnement et la mise à distance que leurs étude et approche impliquent quant à l’objet de recherche. En France « métropolitaine »,

3 Que l’on retrouve comme un fil rouge dans cette livraison des Cahiers de Sociolinguistique.

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PRÉSENTATION

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les « parlers (de) jeunes » sont souvent abordés sous l’angle de l’immigration, des contacts de langues qui en résultent, de l’urbanité… les jeunes de L’Île de La Réunion sont en train de s’approprier pour le moins les représentations sociolinguistiques des parlures jeunes (Gudrun Ledegen) ; une telle dynamique impose de changer de regard, de perspective, et d’envisager, sur le terrain parisien, le modus operandi de l’innovation lexicale (Zsuzsanna Fagyal) : quelle est l’action des médias sur la production même de ce que l’on nomme le « parler jeune » ? L’intérêt, entre autres, de la dernière contribution centrée sur les corpus, est de questionner l’ethnocentrisme latent de toute conceptualisation et modèle descriptif : certes les jeunes de Ceuta ont un « parler jeune » remarquable du point de vue linguistique (Ángeles Vicente) mais qui, ne relevant pas d’une situation sociolinguistique semblable à celle qui est donnée à percevoir en France, ne génère pas les mêmes faits représentationnels ; certes il s’agit encore d’identité, mais surtout d’une urbanité langagière spécifique et déterminante. ; et ensuite des réflexions théoriques menant d’abord à considérer, en posant l’espace comme une donnée socio-sémiotique, les rapports complexes entre représentations identitaires et espace public (Bernard Lamizet), puis à interroger la notion, la catégorisation (voire la conceptualisation) même de « jeunes » en sociolinguistique (Cyril Trimaille) et finalement à questionner pour la sociolinguistique urbaine - via la thématique du volume - l’urbanité langagière et la mémoire sociolinguistique (Thierry Bulot).

Le volume se termine par une bibliographie générale qui reprend la totalité

des items cités dans les articles et qui fait également état (en cela elle se veut thématique) des publications relatives aux « parlers jeunes ». Puisse-t-elle être, malgré ses inévitables imperfections, un outil de travail efficace pour les chercheurs du domaine !

Thierry Bulot [email protected]

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Gudrun Ledegen Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications

dans les espaces créolophones et francophones (L.C.F.) U.M.R. 8143 du C.N.R.S.

Université de La Réunion (France)

« LE PARLAGE DES JEUNES »1 À LA RÉUNION BILAN ET PERSPECTIVES2

��INTRODUCTION

Depuis maintenant 5 ans, des recherches sont menées sur les « parlers jeunes » réunionnais au sein du Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications dans les espaces créolophones et francophones (L.C.F. – UMR 8143 du C.N.R.S.). Elles révèlent que les « parlers jeunes », pratiques identitaires en émergence, se présentent comme un mélange de créole, de français (plus particulièrement « jeune » et familier) et de quelques termes anglais, et sont avant tout attestés en milieu lycéen.

Dans cet article, je propose de faire un bilan de ces recherches, portant sur les représentations des jeunes d’une part et sur leurs pratiques d’autre part. Pour donner à voir ces pratiques diverses du français et du créole, et de leur mélange, je présenterai des exemples venant de l’oral non surveillé d’une part et de l’écrit (B.D. réunionnaise 3 ) d’autre part, exemples qui viennent questionner nos recherches. Ensuite, je m’interrogerai, à la lumière d’anciens corpus de 25 ans d’âge, sur les particularités des parlers jeunes réunionnais : la syntaxe, le lexique

1 Ce titre a été inspiré par un détail trouvé dans la B.D. Totoss’ your mother : il y figure en titre

d’un livre posé sur le bureau du personnage principal (Shovel Tattoos, 2003 : 11). 2 Lors de la tenue de la table ronde, un court métrage réalisé dans le cadre du festival du film

étudiant a été projeté parce qu'il mettait en exergue un usage ludique et fort original des langues créoles et françaises. Je vous invite à le découvrir ainsi qu'une brève analyse le concernant sur le site du Laboratoire de recherche sur les langues, textes et communications dans les espaces créolophones et francophones (LCF - UMR 8143 du CNRS - Université de la Réunion) : http : //lcf-cnrs.univ-reunion.fr/ 3

Je voudrais remercier ici très chaleureusement Serge Huo-Chao-Si et Appollo, auteurs réunionnais de bandes dessinées, pour m’avoir permis de reproduire intégralement les aventures de Caca Moustique (expression réunionnaise signifiant ‘taches de rousseur’), une parodie « jeune » du Petit Chaperon Rouge (cf. Annexe 1).

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GUDRUN LEDEGEN

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et les emprunts seront passés en revue et ces domaines seront confrontés à des recherches métropolitaines sur les pratiques linguistiques des jeunes.

��HISTORIQUE DE LA RECHERCHE RÉUNIONNAISE SUR LES « PARLERS JEUNES »

��Des représentations …

Les « parlers jeunes » réunionnais constituent un de nos axes de travail au sein du Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications dans les espaces créolophones et francophones, depuis 1998. Une pré-enquête, menée en 1998 par C. Bavoux (2000), examinait les représentations d’un éventuel « parler jeune » auprès de collégiens, de lycéens et d’étudiants universitaires, et a mis en lumière que cette pratique identitaire en émergence se présente comme un mélange de créole, de français (plus particulièrement « jeune » et familier) et de quelques termes anglais4, et s’atteste avant tout en milieu lycéen. Ensuite, une recherche collective au sein de notre laboratoire a mené à un numéro thématique consacrée aux « parlers jeunes » réunionnais dans la revue TRAVAUX ET DOCUMENTS (Ledegen, 2001a) : dans ce numéro est mis en lumière que c’est dans un contexte sociologique (Wolff, 2001) et sociolinguistique (Bavoux, 2001a) particulier que la catégorie « jeune », avec ses « parlers jeunes », a vu tout récemment le jour à la Réunion. En effet, l’émergence toute récente de la catégorie « jeune » à la Réunion se fait dans un contexte sociologique tout spécifique et doit être saisie à l’aide de repères ayant trait autant à la démographie, à la massification scolaire, à l’urbanisation qu’au développement de l’espace médiatique (Wolff, 2001). En termes sociolinguistiques, ces pratiques linguistiques nouvelles illustrent l’évolution de la diglossie (Bavoux, 2001a) et se répandent avec l’urbanisation, qui instille par la mobilité une modification de la sociabilité (Rémy & Voyé, 1992 ; Ledegen, 2001b) ; les « parlers jeunes » réunionnais, plus particulièrement leur caractère mélangé, attestent – pensons-nous – du dépassement du clivage diglossique ; en effet, le français familier, absent du paysage sociolinguistique des générations précédentes, commence à être approprié par les jeunes et employé par eux dans les situations de communication identitaires, familières et ludiques.

Cette première phase d’analyses, axées principalement sur les représentations linguistiques, a été ensuite complétée par un travail d’enregistrement et d’analyse de corpus oraux « ordinaires ».

��… aux pratiques effectives

Dans le cadre du projet « Les pratiques langagières des jeunes Réunionnais (à l’école et entre pairs) », subventionné par la Délégation Générale à la Langue Française et des Langues de France, l’équipe de la Réunion s’est concentrée sur l’enregistrement des pratiques effectives, non ou peu surveillées, prises sur le vif. Ces investigations ont permis de cerner les « parlers jeunes » dans leur diversité 4 Parallèlement Régine Dupuis (2000) a mené une pré-enquête auprès de groupes de musique rock,

rap et maloya du sud de l’île de la Réunion, qui a mis à jour que le mouvement rap réunionnais est le seul à produire des mélanges linguistiques dans ses textes, à l’instar des groupes métropolitains. Elle a continué ses recherches en se consacrant à l’analyse de ce mouvement dans l’île (Dupuis, 2002).

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linguistique, mais aussi dans leurs caractéristiques « ordinaires », au-delà des aspects les plus visibles socialement.

Différents corpus ont été établis : des conversations spontanées entre pairs chez les 15-30 ans (Bavoux, 2002), des émissions de radio ciblées sur un public jeune (Ledegen, 2002), des textes de rap plus ou moins improvisés, ainsi que des joutes verbales (Dupuis, 2002), des corpus spontanés dans 4 lycées professionnels (Wharton & Tupin, 2002). L’analyse de ces corpus révèle les tendances suivantes dans les pratiques des jeunes : • la langue haute, le français, sert à parler d’amour, la langue basse, le

créole, s’emploie pour la plaisanterie ou la gaudriole : ci-dessous un exemple de gaudriole, les allusions sexuelles en créole s’opposant au style romantique en français :

- mon chéri : me manque : : / mon chéri : me manque - la ou la anvi d(e) koké ou la : : [rire] - quelle vulgarité : : (Bavoux, Le sandwich, l. 67-68)

- là, t’as envie de baiser

Ou encore, lors d’un jeu de joute verbale par SMS interposés, l’animateur radio réagit ainsi, à la « vanne » « oté amoin pareil in rakèt tortue » [‘hé je suis comme une ‘raquette tortue’5’] :

« non mais franchement : / finn vu out gèl koué // ton gèl pareil in korné la glas : / koinsé // ant le dan in chyen // la di koma : // ou tèt // la grandi ant deux galets : / la di koma : ou tèt pareil in gros citrouy » (Ledegen, 2002, Radio Contact, p. 12, l. : 10-15)

(non mais franchement : / tu as vu ta gueule quoi // ta gueule est comme un cornet de glace : / coincé // entre les dents d’un chien // je le dis comme ça : // ta tête // a grandi entre deux galets : / je le dis comme ça : ta tête est comme une grosse citrouille)

• A l’inverse, on atteste des productions où le français et le créole ont la même fonction dans le même contexte énonciatif ; l’animateur de Radio Contact, dont il vient d’être question, relance le jeu de « vannes » souvent aussi en français, passant d’une langue à l’autre dans une même interaction :

« mais par cont(re) je vais lire quand même ta blague / Gaëlle / alors / ou jou football avec le balon baskèt / sé- / non / sérieux c’est vrai / (musique) / et tu sais avec quoi tu joues au rugby toi / (musique) non tu veux vraiment savoir avec quoi tu joues au rugby non mais franchement / putain avec une balle de golf / voyons / mais t(u) es conne ou quoi / on joue pas au rugby avec une balle de golf voyons : / (musique) / je plaisante Gaëlle / OK ? / (rires) » (Ledegen, 2002, Radio Contact,

(tu joues au football avec le ballon de basket [c’est la vanne que Gaëlle lui envoie par SMS])

5 Une variété de cactus.

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GUDRUN LEDEGEN

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p. 6, l. : 5-11) On peut voir dans ces pratiques des indices du dépassement de la diglossie.

• On trouve aussi des indices de diffusion d’une norme exogène sur NRJ quand un auditeur réunionnais dit : « tu peux dire aux pauvres marmailles de plus mettre du linge de marque » et se fait « corriger »6 par l’animateur de l’émission, diffuseur d’une norme jeune exogène : « De plus se fringuer avec des vêtements de marque » (Ledegen, 2002, NRJ 3, p. 2, l. 11-12) (je souligne). • Le procédé de verlanisation quant à lui renvoie strictement à une norme

exogène et s’avère non productif : seulement quelques emprunts de formes verlanisées, comme teuf, pineco, zicmu … circulent, et une seule création frinca [frinka] (verlan de cafrine, ‘petite amie’) a été signalée.

• A l’inverse, on atteste des indices d’émergence d’une norme endogène : tantine est préféré à meuf. On note le dynamisme de la dérivation sur des bases endogènes : tantine> tantine la roue (‘fille qui aime les garçons à voiture’), tantine lycée (‘lycéenne’) et gars > gars la kour (‘jeune du coin’). Enfin, on atteste une régionalisation de la norme centrale jeune : gars devient un mot créole emblématisé (oté les gars !, ‘hé, les gars’), et remplace les anciens boug et bonom (Bavoux, 2002).

• Enfin, la confrontation de nos recherches sur les représentations et celles qui viennent d’être résumées sur les pratiques des jeunes Réunionnais, a mis en avant deux profils contrastés de « jeunes » : celui du diglotte insécurisé qui établit un lien d’exclusion entre l’endogène et l’exogène, et celui du bilingue sécurisé dont la langue inclut tous les parlers exogènes et endogènes dont il dispose ; beaucoup de jeunes se situent naturellement entre ces deux extrêmes théoriques (Wharton, 2002).

��QUELQUES EXEMPLES

Afin d’illustrer les recherches qui viennent d’être résumés, je présente ici l’analyse de deux corpus de pratiques « jeunes ». Le premier réunit des conversations orales entre pairs ; il présente l’intérêt de contenir des pratiques « ordinaires » des mêmes jeunes, majoritairement des bilingues sécurisés, dans différentes situations d’interlocution. Le second présente deux versions d’une même B.D. réunionnaise à 12 ans d’intervalle, versions qui contiennent des éléments de « parlers jeunes », en français pour la première version et en créole pour la seconde.

��Pratiques orales « ordinaires »

Le corpus Djembé est constitué de paroles prises sur le vif lors de rencontres avec des artistes de musique participant à la préparation et à l’enregistrement du programme télévisé « jeune » Djembé, par une enquêtrice de leur âge (non présentée comme telle) ou lors de discussions entre pairs. Ces discussions de groupe se sont avérées méthodologiquement très efficaces parce que « la présence de pairs [a dissuadé] les témoins d’utiliser un autre style que

6 On peut en effet opposer la radio locale Radio Contact à NRJ comme le « melting-pot

linguistique » réunionnais à l’« assimilation à la métropole » (Ledegen, 2002a et b).

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celui qui leur est le plus habituel » (Auger, 1997 : 153). De plus, la diversité des enregistrements nous permet de cerner le répertoire linguistique de quelques jeunes : ainsi, certains extraits constituent des moments d’interview avec l’enquêtrice, d’autres sont des discussions plus libres avec elle (cf. extrait 6 dans l’Annexe 3) et enfin, d’autres sont enregistrés à l’insu des jeunes ; dans le feu des discussions et des déplacements de l’enquêtrice, les jeunes musiciens ne se savent en effet pas toujours enregistrés (cf. extrait 8 dans l’Annexe 3).

Les interactions se passent presque exclusivement en créole. Le corpus révèle que ces différents artistes de musique, jeunes et branchés, parlent créole entre eux, lors de leurs discussions informelles, ainsi qu’avec l’enquêtrice qui s’est très bien fondue dans le décor de la préparation de l’émission télévisée. Le créole est en effet encore beaucoup utilisé à la Réunion7, autant par les jeunes que par les anciens8.

Le français s’avère de mise lors de discussions avec l’enquêtrice quand l’enquêté vient de métropole, ou encore quand la discussion prend des allures d’interview : après une discussion plutôt informelle en créole, l’enquêtrice pose la question suivante « et / mais zot tout ([tut]) la / zot néna ant quel âge et quel âge / zot » (‘et / mais vous tous là / vous avez entre quel âge et quel âge / vous ?’), et elle se fait répondre en français « ben moi j’ai 27 ans / et puis / bon / ils doivent avoir 25 / 23 / 25 / 25 / 22 ». Ainsi, l’enregistrement révèle des discussions assez spontanées, même si les conversations avec l’enquêtrice, personne qui leur est inconnue, ne sont généralement pas des interactions totalement « naturelles ».

L’analyse de ces interactions révèle que ces locuteurs emploient assez peu de termes d’origine anglaise, ou relevant du français familier ou « jeune » ; pour la première catégorie, on n’atteste que l’incontournable « yes I » ; pour la seconde, ce corpus a ceci de particulier que les termes attestés sont, à côté de l’ordinaire « truc », ou bien très familiers, voire vulgaires, comme « connerie », « fait chier », « putain de bordel de merde de chiasse », ou bien sont des procédés très à la mode, comme la troncation dans « instrus » (‘instruments’), la tournure « trop + adj. » (‘très + adj.’), l’expression hybride « tu wa »9 et enfin le verlan : « téci » et « turevoi ».

Ce dernier procédé – que ce corpus est presque le seul à révéler parmi ceux que nous avons réunis jusqu’alors – est employé lors d’une discussion où il 7 Plus qu’en Martinique en tout cas : « […] c’est l’une des différences entre la Réunion et la

Martinique, je crois que le créole est vraiment une langue maternelle à la Réunion pour autant que je m’avance sur cette situation-là. Je veux dire la plupart des petits Réunionnais baignent dans un milieu créolophone fort, la plupart des petits Martiniquais baignent dans un milieu mixte où il y a plus de français proféré que de créole. Autrement dit un petit Martiniquais qui naît aujourd’hui en l’an 2000, et ceci depuis 25 ou 30 ans, il entend plus de français que de créole. » (Prudent, 2003 : 133) 8 La publicité est d’ailleurs souvent en créole, autant pour vanter les mérites du terroir que pour

s’adresser aux jeunes : ainsi, l’an dernier le basketteur Jackson Richardson était à l’affiche d’une publicité pour la téléphonie sans fil ; on lui demandait « Koman i lé, Jackson ? » [‘Comment ça va, Jackson ?’], et il répondait « Lé mobile ! » [‘Je suis mobile’], jouant ainsi sur les sens ‘téléphone portable’, ‘mobile sur le terrain de basket’, et ‘dans le coup’. Tandis qu’« un adolescent qui parlerait cauchois [dialecte du pays de Caux, près de Rouen] pour vanter les mérites de son portable n’est pas près de se voir dans un spot publicitaire » (Bulot, 2001d : 117). 9 Les locuteurs jouent, à côté des formes « tu vois » ou « ou wa », avec la co-présence d’un

pronom français et d’un verbe créole.

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GUDRUN LEDEGEN

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s’avère que ces artistes ne l’apprécient guère, et ils le tournent en dérision dans des imitations de parler de banlieue. Pourtant, ils en revendiquent en même temps l’usage : ainsi frinca est une création locale, et ils se sont appropriés téci pour créer le nom de leur groupe A.R.T., ‘Aérosol Rap Téci’10. Ainsi, le verlan, un des aspects lexicaux novateurs des « parlers jeunes » métropolitains par rapport aux époques antérieures (Conein & Gadet, 1998 : 115), se révèle très peu attesté dans les corpus médiatisés11 ou informels réunionnais que nous avons pu réunir. La grande majorité des éléments de verlan attestés semble empruntée et intégrée au(x) « parler(s) jeune(s) » réunionnais plutôt qu’employés de façon productive (Ledegen, 2001b). C’est qu’ont signalé B. Conein et F. Gadet pour les parlers jeunes métropolitains : « la chose essentielle à noter sur le verlan est à quel point il fait clivage, entre locuteurs qui l’utilisent de façon créative […], et d’autres qui ne font qu’utiliser des termes répandus, ce qui ne les différencie pas des adultes ayant adopté quelques termes comme ripou » (1998 : 116). Les jeunes Réunionnais appartiennent donc surtout à cette seconde catégorie.

Enfin, pour ce qui est des termes créoles et/ou français réunionnais « jeunes », ils en utilisent fréquemment (une expression toutes les deux minutes (10/17’)). Les termes attestés appartiennent à deux catégories distinctes : ils sont, pour 4 des 10 attestés des emprunts de français « jeune » en créole : « affol », « koué », « ou wa », « li shoot ». Les 6 termes restants sont du créole « jeune » et branché : « bel », « bèz », « bour », « frinca », « kalité », « kouyon », « totoch » (en tant que verbe)12. Cette dernière catégorie est très présente dans le corpus Djembé 8, le plus informel d’entre tous, où deux amis discutent de basket (cf. Annexe 3).

Les pratiques « ordinaires » réunies ici se résument donc par les trois traits suivants : le créole majoritaire, du français très familier et dans ces deux langues des termes et/ou tournures « branchés », mais très peu de verlan et d’anglais. Il sera intéressant de continuer à creuser la piste du français très familier, fréquent dans les pratiques informelles analysées ici. S’agirait-il d’une deuxième phase dans l’appropriation de ce registre (ces jeunes voulant se démarquer de la génération précédente qui maîtrise déjà le français familier), d’une influence des textes rap qui se révèlent parfois « crus », d’un trait idiolectal propre aux groupes de jeunes musiciens qui étaient en représentation sur ce plateau d’enregistrement, et se trouvaient pendant certains enregistrements exclusivement entre garçons ? Pour le savoir, je travaille actuellement à l’analyse d’autres corpus naturels de jeunes dans des situations diverses, en m’intéressant au répertoire verbal des locuteurs, aux différents pôles de leur univers linguistique : le pôle « famille », le pôle « quartier », le pôle « pairs », … (cf. Liogier, 2002 : 52).

10

N : nou sé par rapport A.R.T. / donc sa fé téci / si nou mèt cité sa fé pas A.R.T. / ça fait A.R.C. ([a Ε si]) (‘nous c’est par rapport à A.R.T. / donc ça fait téci / si on met cité ça fait pas A.R.T. / ça fait A.R.C.’). 11

L’écoute sur My NRJ de dédicaces écrites par les auditeurs et lues à l’antenne par les animateurs, en révèle quelques rares autres (4 sur 3 heures d’émission) : tepos [t∂po] (‘potes’) (employé 2x), pinecos [pinko] (‘copines’) de la part d’auditeurs et c’est tipar (‘parti’) de la part de l’animateur. 12

Je signale que les termes bèz (‘tromper’), bour (‘se faire gronder’) et kouyon (‘idiot’) ne sont pas vulgaires en créole réunionnais : les deux premiers sont des survivances dialectales, le dernier, d’un usage généralisé, a perdu toute valeur triviale (Chaudenson, 1974 : 703, 712 et 934).

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Regardons maintenant le second exemple, venant du monde de l’écrit. ��Les pratiques écrites de B.D.

Une nouvelle source de données qui renseigne beaucoup est constituée des bandes dessinées réunionnaises qui s’adressent en grande partie aux publics jeunes et sont donc partiellement un reflet – certes stéréotypé et/ou exagéré – des pratiques « jeunes ». Les B.D. constituent un des vecteurs de transmission du français familier, en plus des journaux lycéens, des médias en général13 … (cf. Ledegen, 2002b : 135-136).

Je présente ici une analyse d’une B.D. dont les textes (i.e. le discours des personnages et la narration) renferment des éléments de « parlers jeunes » réunionnais ; dans le cadre de ce travail, il est intéressant d’avoir disposé de deux versions d’une même histoire, i.e. une première version datant de 1988 et qui est écrite en français, et une version parue en 2000 écrite en français pour la narration et en créole pour les discours des personnages. Cette comparaison de deux versions d’une même B.D. écrites à 12 ans d’intervalle renseigne sur les pratiques de jeunes en français de 1988 et en créole de 2000, et révèle le travail de réécriture qui a été effectué pour mettre le texte en adéquation avec le public – entre autres « jeune » – 12 ans plus tard.

La première version14 date de 1988 ; elle est écrite entièrement en langue française, et autant la narration que les discours des personnages sont agrémentés de quelques traits de morpho-syntaxe, de prononciation, et de lexique relevant du français « ordinaire » ou familier, voire « jeune » de cette époque-là :

- morpho-syntaxe : 3 omissions du ne de la négation autant dans le texte du commentaire (on savait pas – personne savait) 15 que dans le discours du personnage (t’aurais pas dû) ;

- prononciation : omission du u de tu avant voyelle : t’aurais pas dû ; t’as bien changé ; et chute du e muet : P’tit [Chaperon Rouge] (2x) ;

- lexique : les termes familiers et/ou ‘jeunes’ balles (100 ~) ; bécane ; bouffe ; con (2x) ; crécher ; flip (faire un) 16 ; fric ; meule17 ; mob ; pousser en meule18 ; se planter ; se taper ; vieille (la ~) ; et l’expression : (adj.) comme pas deux 19 . Quelques traces d’anglais aussi : Cagnard 20 of le Barachois 21 ; okay. Cagnard est le seul terme réunionnais22 appartenant au monde des jeunes.

13

En effet, les deux auteurs n’ont pas participé aux journaux lycéens et n’étaient pas encore partis en métropole à cette date-là ; le français familier était donc présent dans l’île et employé de façon productive par ces deux auteurs de B.D. 14

Cf. la reproduction du texte intégral en Annexe 2. 15

Un seul ne est attesté dans la narration : ‘il n’en reste plus que le Jardin de l’Etat’, plus spécifiquement dans un commentaire pseudo-historique entre parenthèses dans la narration. 16

Jouer une partie de flipper. 17

Mobylette ou moto. 18

Faire la course en cyclomoteur. 19

Qui se dirait aujourd’hui radin de chez radin (Gadet, 2003 : 2). 20

Paresseux, voyou, délinquant (Beniamino, 1996 : 82-83). 21

Le front de mer de Saint Denis, la capitale. 22

Samoussas et carri étant des termes culinaires et le Chaudron, le Barachois et St Gilles des toponymes réunionnais.

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Ainsi, il est intéressant de noter que le français « ordinaire », familier et jeune, s’attestaient déjà parmi la jeunesse réunionnaise de 1988, la génération précédant l’actuelle.

La deuxième version23 date de 2000 ; les dialogues y sont en créole et la narration en français soutenu (à la différence de la première version où dialogues et narration étaient en français familier). Plus que d’une traduction de la première version, il s’agit d’une véritable réécriture pour le public de 2000. Les dialogues foisonnent d’éléments actuellement attestés dans les « parlers jeunes » réunionnais :

• les emprunts au français familier et/ou « jeune » : - affole pas 24 : t’affoles pas - bandé : bandant - boustère : bouster25 - gâté : pourri - goûte à moin : goûte-moi ça - goûte qqch : prends ça ; goûte-moi ça - koué ? : quoi ? - lé booon : c’est boooon ; cause toujours (2x) - ou fais rire mon guèle26 !!! : je me fends la gueule !!! - pa comprend un merde : pas comprendre une merde - pousser : pousser27, faire la course - rent’ su moin : me rentrer dedans - trop + adj. : très + adj. - valab’ : valable, génial

• les expressions réunionnaises « jeunes » : - donn un lastik : donner un élastique, i.e. semer qqu. (en course) - gingn’ un lastik : gagner un élastique, i.e. se faire semer (en course) - mette l’effet : ressentir l’effet de la drogue - queeel !! : quoi / merde !! - quel train ??! : quelle affaire ??! - tantine : fille, nénette - té ! : hé !

- whex : expression, signifiant ‘ouais, oui’, lancée par l’humoriste réunionnais Thierry Jardinot. - zamalé28 : qui a fumé du zamal, i.e. du chanvre indien.

• les insultes : - bel loup la peau : gros loup de mes couilles - gros loche : gros mou

23

Cf. l’Annexe 1 pour la reproduction de la B.D., précédée du texte intégral et de sa traduction. 24

Comme le créole réunionnais ne dispose pas d’une orthographe standardisée, plusieurs systèmes (étymologisant, phonético-phonologique …) coexistent. Les auteurs utilisent ici une orthographe plutôt étymologisante. Dans leur dernier album, La grippe coloniale (2003), ils emploient la graphie Tangol, phonético-phonologique. 25

Mob ou meule dans la version de 1988. 26

Probable jeu avec l’expression créole fé rir la bous : ‘amuser’ (littéralement ‘faire rire la bouche’), et l’expression française se fendre la gueule. 27

Se disait pousser la meule dans la version de 1988. 28

Signalé comme Moderne dans Beniamino (1996 : 291).

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- gros zèf : gros con - makro : salaud - moukat : merde - spèce couillon : espèce de couillon - spèce makro : espèce de salaud - ti graine touffé : petite graine étouffée, avorton - ti moukat-là : la petite merde - totoche ton moman’d moto : putain de bordel de moto Comme le montrent ces listes, les auteurs ont utilisé un arsenal

impressionnant d’insultes dans les discours entre le Petit Chaperon Rouge et le Grand Méchant Loup, donnant à la version moderne et « jeune » de ce conte des allures de joute verbale. Remarquons toutefois qu’aucune de ces insultes n’est particulièrement « jeune », R. Chaudenson les répertorie déjà en 1974 dans Le lexique du parler créole de la Réunion, mais c’est son usage exagéré, dès les premiers contacts, qui est un des ressorts humoristiques de cette parodie.

Les termes « jeunes », qu’ils soient réunionnais ou visiblement empruntés au français familier et aux « parlers jeunes » métropolitains, contribuent eux aussi très fortement à la construction linguistique de cette parodie, à son inscription dans le monde « jeune » réunionnais de l’an 200029. Notons que les termes de français familier et « jeune » sont empruntés, sans modifications sémantiques majeures, et créolisés. Puis, parmi les termes réunionnais répertoriés ici comme « jeunes », figurent certes d’une part des termes qui désignent des realia plutôt « jeunes » : mett’ l’effet et zamalé font référence au monde des drogues illicites, qui sont consommées par des jeunes ; donn et gingn’ un lastik font référence aux courses en moto ou en voiture qui relèvent plutôt d’occupations de jeunes ; d’autre part, on atteste des expressions qui sont en partage – avec le même sens et le même emploi – dans toute la société réunionnaise (quel !, tantine, té, train). Au vu de cette dernière catégorie, on peut donc s’interroger sur les particularités des « parlers jeunes » réunionnais, interrogation qui sera le sujet du point suivant.

��BILAN

Des recherches menées sur des enregistrements datant d’il y a 25 ans m’ont permis de cerner que certaines tournures syntaxiques, catégorisées comme « jeunes » parce qu’interprétées comme des emprunts aux parlers jeunes métropolitains, étaient en fait attestées de longue date. Ce constat pour la syntaxe m’a permis de faire un retour sur les listes de lexique pour saisir ce qui particularise véritablement les « parlers jeunes » réunionnais (cf. aussi la remarque au dernier point) : en effet, ces listes recèlent beaucoup de mots créoles qui sont aussi employés par les adultes, et des mots de français familier et « jeune », ne présentant pas de spécificité réunionnaise. Enfin, par comparaison avec les recherches menées par F. Gadet (2003) sur les « parlers jeunes » métropolitains, je tenterai de cerner les particularités des « parlers jeunes » réunionnais en ce qui concerne tout particulièrement les emprunts.

29

Une étude en cours analyse les pratiques et représentations linguistiques de jeunes en partant des rituels de salutations ; elle prend, entre autres méthodes, appui sur une réécriture en version actuelle de la B.D. Caca Moustik (A. Fontaine, mémoire de maîtrise).

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��Syntaxe

Un travail de recherche sur d’anciens corpus30 a mis à jour que certaines tournures interprétées au premier abord comme des emprunts aux « parlers jeunes » métropolitains étaient déjà attestées dans les années ’70. Il en est ainsi pour « ou wa », employé par Mme R, une dame de la cinquantaine de la Plaine des Grègues : « moin la pa konu koué moin la di / èskuz amoin / ou wa » [‘je ne savais pas ce que je disais / excuse-moi / tu vois’] (Corpus ‘Plaine des Grègues’31, Mme R., 1978, p. 15). De plus, il était déjà très productif : 19 des 35 ou employés par Mme R. le sont dans cette expression en particulier. Il en est de même pour l’expression « je sais pas », prononcé [�epa], qui semblait particulièrement « jeune » à mes yeux :

Enquêteur : enfin [�e] pas i i i dépend peut-être des jeunes parce que mi suppose que suppose que mi fasse azot écoute azot des bandes de ke nou la enregistré imaginons hein [‘enfin je sais pas ça ça ça dépend peut-être des jeunes parce que je suppose que suppose que je vous fasse écouter des bandes de que nous avons enregistrés imaginons hein’] (Corpus ‘Atlas’, M. & Mme R., 1978, p. 1).

Toutefois, je pense qu’on peut avancer qu’aujourd’hui cette expression se comporte souvent comme une seule unité, en quelque sorte un emprunt intégré au créole :

Jeune qui ne se sait pas enregistré : dan deux trois lékip : / dan deux trois lékip : an […] / défoi : deux trois zèn lékip : […] / an finn d(e) kont : / mi koné pa moin : : / [�e] pa lé ga lé pa motivé : : / mais [�e] pa moin : / le jour la : : pff : : / nou la fé trois tour : : [‘dans certaines équipes / dans certaines équipes en / des fois certaines jeunes équipes / en fin de compte / je sais pas moi / je sais pas si les gars sont pas motivés / mais je sais pas moi / ce jour là pff / on a fait trois tours’] (Bavoux, 2002, « Le football », p. 15).

La présence après l’expression [Σepa] du pronom créole moin en dislocation à droite atteste de cette hybridation.

��Lexique

Pour ce qui est du lexique, l’analyse des listes de mots et d’expressions obtenus lors des enquêtes et enregistrements précédents révèle aussi que peu de termes sont exclusivement « jeunes ». Il s’agit des 9 termes suivants : les dépréciatifs pièg (‘faible, nul’) et spécifiquement pour les filles errèr (‘moche,

30

Dans les années ’70, dans le cadre de la constitution de l’Atlas Linguistique de la Réunion, de nombreux enquêtes et entretiens ont été menés par C. Barat, enquêteur réunionnais. Parallèlement, dans un des lieux d’enquête, une recherche à l’aide d’entretiens semi-dirigés fut menée par N. Gueunier, métropolitaine. La confrontation de ces deux corpus donne dans un premier temps de précieuses informations sur les pratiques linguistiques : le fonds commun entre ces deux situations est révélateur d’informations sur le créole acrolectal d’il y a 25 ans, jusqu’alors peu étudié. Cette comparaison nous renseigne aussi sur les attitudes et représentations linguistiques des enquêtés dans ces deux situations. 31

Corpus ‘Atlas’ désigne les entretiens menés en 1978 par C. Barat dans toute l’île et Corpus ‘Plaine des Grègues’ réunit ceux réalisés la même année par N. Gueunier à la Plaine des Grègues.

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mocheté’), séguesse 32 (‘fille’), steack (‘fille’), viande (‘fille’) ; les appréciatifs botte (‘meilleur’) et concernant le chanvre indien bon (‘la meilleure qualité de chanvre indien’) et kalité (‘chanvre indien’) ; l’expression pa la ek sa (‘je m’en fiche’)33. Ils ne sont pas attestés dans l’ouvrage de R. Chaudenson (1972), ni dans les dictionnaires de créole d’A. Armand (1987) et de D. Baggioni (1987), ou de français régional de M. Beniamino (1996) et il est donc fort probable qu’ils soient récents34.

En effet, parmi les mots donnés comme « jeunes » par les enquêtés, figurent beaucoup de mots et expressions qui sont créoles et employés par les parents et grands-parents. Seul le critère de la fréquence 35 ferait ici que ces mots soient « jeunes » et il nous faut donc procéder à des mesures. Il en va de même pour les emprunts au français familier et/ou « jeune » : ces mots et expressions sont repris avec le même sens ; ils constituent donc bel et bien des mots « jeunes » pour la deuxième catégorie (français « jeune ») mais non spécifiques de la Réunion ; et pour la première catégorie (français familier), elle n’est pas exclusivement « jeune » non plus étant donné qu’elle est déjà attestée dans les B.D. de 1988 (cf. Les pratiques écrites de B.D., plus haut) et sont donc en partage avec les générations précédentes. Elle atteste surtout que le registre familier est maintenant occupé par les deux langues créole et française, tandis que pour les anciens et pour beaucoup de parents, seul le créole remplit cette fonction.

Il y a donc peu de créations lexicales attestées dans nos enquêtes et enregistrements. Je voudrais avancer ici une hypothèse explicative de ce phénomène : peut-être ce phénomène est-il dû au fait que par leurs pratiques mélangées, les jeunes se différencient, voire cachent leurs mots (fonction cryptique), de deux publics différents : d’une part, face aux métropolitains, adultes et jeunes, ils mettent en avant la spécificité réunionnaise par le créole36 et d’autre part, face à leurs parents et aux anciens, ils emploient un français « jeune » et 32

S’atteste en – viendrait du ? – créole mauricien et seychellois. Cet exemple attesterait d’une circulation de termes entre les différents créoles de la zone Océan Indien. 33

Cette expression récemment apparue traduit la sociabilité de l’anonymat, l’indifférence aux autres découverte au lycée. Une scène musicale pour un public jeune à St Denis porte d’ailleurs comme nom « Palaxa ». 34

Les dictionnaires n’attestant jamais de toutes les formes rencontrées, on voit ici l’utilité de la constitution de grands corpus oraux, comme Valirun (Variétés Linguistiques de la Réunion), sauvant et transcrivant d’anciens enregistrements. Valirun est une banque de données orales numérique sur la langue créole et française à la Réunion dont j’ai posé les jalons il y a 3 ans, avec le parrainage de M. Francard (Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique) et son équipe Valibel (Variétés Linguistiques de Belgique). Ce « grand corpus oral » réunit des documents sonores et les transcriptions, qui illustrent la variété des façons de parler dans la communauté réunionnaise, et permet d’étudier la langue créole et française dans ses aspects linguistiques et extra-linguistiques, en mettant en valeur la variété. 35

Dans le même ordre d’idées, il existe des spécificités d’emploi par la fréquence dans le français de Belgique, par ex. l’adverbe fort est « employé couramment alors qu’il est plutôt rare en France, surtout dans l’usage parisien qui lui préfère très » (Klein & Lenoble-Pinson, 1997 : 204). 36

Dans le questionnaire de C. Bavoux (2000), on trouve souvent les réponses suivantes, de la part d’élèves métropolitains récemment arrivés, comme « je ne peux pas vous en [des exemples] donner, puisque je ne sais pas encore parler créole ». De plus, une formation portant sur la sociolinguistique et les « parlers jeunes » que j’ai pu donner au Greta devant un public de policiers, m’a appris que les jeunes jouent beaucoup de la langue créole devant les nouveaux fonctionnaires récemment arrivés.

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familier, qui est souvent encore choquant pour les premiers et obscur pour les seconds. En effet, l’analyse de P. Fioux portant sur les « nouveaux écoliers » de l’école primaire de l’entre-deux-guerres et les « écoliers de la continuité » montre que les seconds viennent de familles dans lesquels le français avait déjà pénétré et pratiquaient volontiers le français à l’oral lors des entretiens menés pour établir l’histoire de l’« école longtemps ». Les premiers ont eu un apprentissage du français essentiellement centré sur l’écrit et pratiquent fort peu le français à l’oral ; leurs connaissances du français familier sont forcément restreintes 37 , permettant ainsi aux jeunes d’en faire « leur langue ».

Ainsi, le phénomène des « parlers jeunes » est encore récent à la Réunion, et les jeunes activent la fonction cryptique dans leurs deux langues, soit deux facteurs qui peuvent expliquer le petit nombre de créations lexicales.

��Particularismes et emprunts

F. Gadet dresse un bilan des études sur les « parlers jeunes » : elle souligne que le phénomène « langue des jeunes » est signalé partout dans le monde, mais, à la différences des autres langues, européennes et autres, où il s’agit d’un argot, « le français semble touché jusque dans sa structure » (Gadet, 2003 : 2) :

« Il y a quelques particularités phoniques dans l’intonation et le rythme, dans la prononciation de consonnes, ou la multiplication par le verlan de syllabes en [œ] ou [ø] (meuf, relou), qui modifie l’apparence phonique. Pour le grammatical, seules sont vraiment « jeunes » la dissimulation de la morphologie (bédav, tu me fais ièche, je lèrega, secaoit38) ; et les formules figées comme le modèle riche de chez riche venu de la publicité, qui permet des X de chez X à valeur superlative. Mais la particularité essentielle réside dans le lexique, où toutefois les procédés demeurent ceux de la langue commune : emprunt (à l’arabe, à des langues africaines, à l’anglais) ; troncation initiale, comme dans leur pour contrôleur, éventuellement rédupliqué en leurleur ; sinon, les métaphores (galère). Et surtout le verlan, bien sûr » (Gadet, 2003 : 2), qui se révèle « typique de la région parisienne » (Gadet, 2003 : 3). Si on compare avec les données obtenues à la Réunion, on se rend compte

que ces particularités phoniques sont très peu présentes (un minimum auprès des groupes de rappeurs), qu’il n’y a pas de morphologie dissimulée pour les emprunts, que le verlan n’est pas productif. Quant aux emprunts, il est à noter qu’on en atteste très peu dans les « parlers jeunes » à la Réunion, à la différence de ce qui se constate en métropole : « Les différences par rapport à l’argot traditionnel et à l’ancien français populaire résident dans l’intensification des emprunts et la diversification des sources » (Gadet, 2003 : 2). On peut s’étonner de cette absence d’emprunts dans une société où on atteste une grande diversité des langues : français et créole, certes, mais aussi les langues de Mayotte, shimaoré et shibushi, les langues des Comores, shimasiwa et swahili, le malgache,

37

Par exemple, une étudiante de DEUG II de Lettres Modernes, lors d’un exposé sur la variation diaphasique, raconte que l’expression ça schlingue n’était pas compris par ses grands-parents. 38

Respectivement un « faux verbe tsigane [signifiant ‘fumer’] construit à partir de bédo (‘joint’) » (Goudaillier, 2001 : 61) et le verlan de chier, galère et casse-toi ([kastwa]>[kas�twa]>[s�kawat]>[sekawat]) Goudaillier, 2001 : 251).

Laura
Highlight
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le gujarâtî, le mandarin … ainsi que des langues ancestrales utilisées dans le cadre religieux (arabe coranique, mandarin, langues indiennes …). Elles ne se retrouvent pas mélangées dans les pratiques jeunes (sauf pour le français et le créole) ; ceci se comprend pour les langues ancestrales qui sont cantonnées aux pratiques religieuses et ne constituent que peu des langues d’interlocution. Il en est de même pour le gujarâtî qui se pratique dans des cercles familiaux et commerciaux restreints, et le mandarin qui est pratiqué uniquement par les anciens. Enfin, les langues de Madagascar, de Mayotte et des Comores sont exclusivement employées par leurs locuteurs, qui forment les toutes dernières vagues d’« immigration » (au sens générique, Mayotte étant française), et appartiennent souvent aux classes pauvres de la Réunion envers lesquels existe un certain racisme social (Bédier-Roux, 2000). De plus, les jeunes de ces pays, quand ils veulent s’intégrer par la pratique de « parlers jeunes » jouent probablement la carte de l’assimilation par la pratique du créole et du français, et non celle de la différenciation. Ainsi, les « parles jeunes » réunionnais révèlent que le melting-pot « jeune » réunit surtout les langues française et créole, et qu’il n’y a pas (encore ?) de « parler véhiculaire interethnique » (Billiez, 1990) réunionnais.

��CONCLUSION

Dans cet article, j’ai résumé les analyses précédentes qui partaient à la recherche des « parlers jeunes » réunionnais, attesté les principales avancées effectuées, et exemplifié ces recherches avec des exemples oraux et écrits : le corpus Djembé a illustré les pratiques « ordinaires » créoles relevées avec du français très familier, et les deux versions de Caca Moustique ont permis d’attester du français familier en 1988 d’une part, et de s’interroger sur les termes donnés pour « jeunes » d’autre part. Partant de cette interrogation, l’analyse de la syntaxe, du lexique et des emprunts m’a permis de mettre le doigt sur les limites des recherches entreprises : en effet, après une phase plutôt quantitative où nous avions réuni des « parlers jeunes », l’heure était à la phase qualitative où je me se suis posé la question de ce qui particularise les « parlers jeunes » réunionnais, dans la société réunionnaise d’une part et par rapport au modèle métropolitain d’autre part. Au terme de ce bilan, je voudrais présenter les perspectives de recherche, qui continueront à explorer les particularités des « parlers jeunes » et leur créativité.

Actuellement mes recherches portent sur une enquête à grande échelle sur les représentations et pratiques déclarées : comme les analyses des enregistrements datant d’il y a 25 ans ont montré que ce que les jeunes présentent comme des termes ou des tournures « jeunes » s’avère souvent employé de façon toute aussi productive et avec la même signification par leurs parents et grands-parents, je donnerai la parole aux jeunes ainsi qu’aux anciens pour cerner les particularités des pratiques « jeunes ». Mesurant le parallèle possible entre l’évolution des situations linguistiques dans la région de Vannes et à l’île de la Réunion, j’ai pris modèle sur une enquête de P. Blanchet (2001), qui a cerné l’évolution d’une langue et de ses pratiques « en temps apparent » puisqu’il a comparé :

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« les pratiques vivantes de personnes nées sur environ un siècle39

[…] à Vannes et dans sa proche région, lieu dont les habitants autochtones ont connu un changement massif de pratiques linguistiques entre les générations [enquêtées] (marginalisation diglossique progressive des langues régionales – breton et gallo – qui sont encore « maternelles » pour les anciens, et appropriations diverses du français dominant avec création d’un « français régional » au contact des langues locales) » (2001 : 59-60).

Un pan de cette recherche sera consacré à l’approfondissement des profils théoriques que sont le diglotte insécurisé et le bilingue sécurisé ; un autre pan important s’attachera aux communautés linguistiques comorienne, malgache, mahoraise et créolophones de la zone Océan Indien (cf. note 32) … : ces enquêtes et enregistrements de corpus oraux combleront en partie les lacunes de nos investigations antérieures, et permettront de cerner les différentes façons de parler des jeunes des ethnies nouvellement implantées (dont ils disposent sûrement, même s’ils ne les montrent guère dans les cours de récréation et avec les autres).

A côté de l’analyse de corpus naturels de jeunes dans des situations diverses, afin de cerner leur répertoire verbal et d’étudier les différents emplois de français familier, afin de suivre l’évolution de la diglossie à la trace, je réunis, dans la base Valirun, des corpus autant écrits qu’oraux pour capter la créativité linguistique des jeunes ; une certaine liberté morphologique s’atteste en effet à l’écrit (B.D., littérature) sous la plume d’adultes, et il me semble que les « parlers jeunes » sont un terreau propice pour des créations néologiques, même éphémères ou sous la forme d’hapax. A la Réunion, on ose40, à mon avis, d’autant plus créer que les frontières entre les deux langues française et créole sont floues (Ledegen, à paraître). En effet, le phénomène de l’interlecte41 (Prudent, 1981 et 1984) en tant que jeu entre les deux langues en présence s’atteste aussi à la Réunion (Ledegen, 2003). Par exemple, le morphème –age (‘l’action de’) inspire fortement à la Réunion : dans la B.D. Totoss’ your mother, s’attestent les termes dessinage42 et parlage. Puis, dans un premier roman, P.-L. Rivière, auteur dramatique, se livre aussi à un jeu morphologique créant boudage, câlinage, consolage, essayage (pour ‘essai’), graffinage (‘égratignure’), pariage, ricanage, et traficage. Seul le

39

Il a interrogé deux classes d’âge 10/15 ans et 60/75 ans et des informateurs à fort enracinement local pour que d’autres paramètres ne viennent pas interférer avec celui de l’âge. 40

Néerlandophone d’origine, j’ai baigné dans un autre environnement linguistique qu’un francophone : en néerlandais, ma langue maternelle, le locuteur a beaucoup de liberté morphologique : un mot n’y a pas forcément besoin d’être dans le dictionnaire pour exister, tandis qu’en français le carcan morphologique est très fort. H. Walter illustre à merveille cette attitude : « De nos jours, c’est notre propre attitude devant notre langue, qui étonne les étrangers lorsqu’ils nous entendent ajouter, après certains mots que nous venons de prononcer : « Je ne sais pas si c’est français », ou même « Excusez-moi, ce n’est pas français ». Cette phrase est si courante chez nous qu’elle n’étonne que les étrangers, surpris, par exemple, qu’un Français se demande si taciturnité ou cohabitateur sont des mots français. En effet, dans les langues voisines, les usagers fabriquent des mots à volonté sans que personne n’y trouve rien à redire, à condition qu’ils se fassent comprendre. Le Français au contraire ne considère pas sa langue comme un instrument malléable, mis à sa disposition pour s’exprimer et pour communiquer. Il la regarde comme une institution immuable, corsetée dans ses traditions et quasiment intouchable. » (Walter, 1988 : 18). 41

Les productions interlectales ne se rattachent ni véritablement au créole ni véritablement au français, mais à cet espace créatif qu’est l’interlecte, cet « ensemble de paroles qui ne peuvent être prédites par une grammaire de l’acrolecte ou du basilecte » (Prudent, 1981 : 31). 42

« Aucun animal n’a été blessé durant le dessinage de cet album … » (Shovel Tattoos, 2003 : 69).

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mot pariage est aussi attesté en créole, où le morphème –age est fréquent. Cette créativité, audacieuse quand on connaît le poids de la norme de la langue française, mérite toute notre attention.

Tout comme les « parlers jeunes » réunionnais. Même si le bilan critique présenté ici mène à une réduction de l’étendue linguistique des « parlers jeunes », il a aussi ouvert de nouvelles perspectives sociolinguistiques enthousiasmantes dans le champ de l’interculturel d’une part, de la créativité à mon avis spécifique aux zones créolophones grâce à l’interlecte d’autre part, et enfin en ce qui concerne l’approche quantitative de l’originalité des « parlers jeunes » réunionnais.

A suivre …

Gudrun Ledegen [email protected]

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��ANNEXES

��Annexes 1 : Caca Moustik (texte) Huo-Chao-Si & Appollo, 2000, « Caca Moustik », Le margouillat, n°2, p.p. 3-8. La bande dessinée, reproduite intégralement avec l’accord de ses auteurs Serge Huo-Chao-Si & Appollo, figure après les tableaux de traduction et d’explicitation. Traductions et commentaires

Caca de Moustique

43

Ci-dessous sont repris les textes (paroles et narration) de la B.D. qui est reproduite en fin de cette Annexe 1 ; les chiffres en début de chaque cellule indiquent les pages et les cases : 1.3. = page 1, case 3. Les italiques signalent les répliques relevant du registre familier et/ou de « parler(s) jeune(s) ».

Texte d’origine Traductions et commentaires 1.1. Il y a bien longtemps de cela, vivait au Chaudron une jeune fille qui s’appelait le Petit Chaperon Rouge, mais que tout le monde appelait Caca Moustik. Tous les premiers samedis du mois, elle devait amener sa mère-grand quelques samoussas 44 et une bière dodo45… Mère de Caca Moustik : Caca Moustik ! Caca Moustik ! Caca Moustik

(désormais C.M.) :

Totoche46 ton moman’d moto47 !

[le Chaudron est un quartier ‘chaud’ de la ville de St Denis, la capitale] Putain de bordel de moto !

1.2. Mère de C.M. : Caca Moustik ! Allez emmène ça pou mémé !!! C.M. : Moin na point l’temps ! Moin lé occupé !

Caca Moustik, va amener ça à Mémé. J’ai pas le temps ! Je suis occupée !

1.3. Bruitage : Zok 48 ! [elle frappe C.M.] Mère de C.M. : Et pou ça, ou na l’temps ??!

Et pour ça, t’as le temps ??!

1.4. C.M. : Lé booon ! Mi ça va ! Affole pas ! …

C’est boooon ! J’y vais ! T’affoles pas ! …

43

Expression créole désignant les taches de rousseur. 44

Petit beignet frit dans l’huile, de forme triangulaire, rempli d’une farce pimentée, consommé à l’apéritif (Beniamino, 1996 : 256). 45

La bière locale. 46

« totoch », ‘sexe féminin’, est un mot polysémique utilisé autant en interjection ou mot-stop (cf. ‘putain’) qu’en insulte. 47

Comme le créole réunionnais ne dispose pas d’une orthographe standardisée, plusieurs systèmes (étymologisant, phonético-phonologique …) coexistent. Les auteurs utilisent ici une orthographe plutôt étymologisante. Dans leur dernier album, La grippe coloniale (2003), ils emploient la graphie Tangol, phonético-phonologique. 48

Bruitage : zok, de gingn un zok : ‘se prendre un coup’.

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2.1. Mère-grand habitait loin du Chaudron par delà la vaste forêt, (forêt domaniale dont il ne reste que le Jardin de l’Etat), dans le fonds de la rivière St Denis. Et la route était pleine de dangers …

2.2. … Comme la présence du grand méchant loup, jeune désoeuvré en partie zamalé pour qui la délinquance était le seul remède à l’oisiveté.

[zamalé : qui a fumé du zamal, i.e. du chanvre indien]

2.3. Grand Méchant Loup (désormais G.M.L.) : Mi mangerai bien un bon cari « Ti Chaperon Rouge » astèr !!

Je mangerai bien un bon cari « Petit Chaperon Rouge » aujourd’hui !!

2.4. G.M.L. : Ah-là mon quatre heures !!

Ah voilà mon quatre heures !!

2.5. G.M.L. : Té ! Ou ça oussava49 ???

Hé ! Où tu vas ???

2.6. P.C.R. : I r’gard pas ou ! Spèce makro !

Ça te regarde pas ! Espèce de salaud !

2.7. G.M.L. : Quel train ??! La pas un ti tantine comme ou issa rent’ su moin comsa !!!

Quelle affaire ??! C’est pas une petite nénette comme toi qui va me rentrer dedans comme ça !!!

3.1. P.C.R. : Ou fais pas peur à moin, bel loup la peau ! G.M.L. : Ma apprend’ à ou lo respect ti graine touffé !

Tu me fais pas peur, gros loup de mes c… ! Je vais t’apprendre le respect, petite graine étouffée !

3.2. G.M.L. : Té ! Kossa ou néna dan’ out bertel ? Mais … la bière èk samoussas !!! Trop valab’ !!

Hé ? Qu’est-ce que tu as dans ton bertel50 ? mais … de la bière et des samoussas !!! Trop valable51 !!

3.3. P.C.R. : Rend’ mon dodo makro !! Ah-là pou ou !

Rend-moi ma dodo, salaud ! Voilà pour toi !

3.4. P.C.R. : Mon mémé i attende à moin dan’ fonds la rivière dan’ dix minutes. G.M.L. : Aïe mon zèf i fait mal !!! Di minites !! Queeel !! …

Ma mémé m’attend dans le fond de la rivière d’ici dix minutes. Aïe ! ma c… me fait mal !!! Dix minutes !! Quoi52 !! …

3.5. G.M.L. : … Ek ton vilain boustère gâté ?!! Ou fais rire mon guèle53 !!! P.C.R. : Koué ?

Avec ton vilain bouster pourri !!! Je me fends la gueule !!! Quoi ?

3.6. P.C.R. : Viens pousser si ou Viens pousser 56 si tu veux !!!

49

Clin d’œil à un groupe de musique réunionnais Oussa nou sava ? 50

Sac à dos en feuilles de vacoa tressées. 51

Génial. 52

Peut signifier aussi merde. 53

Probable jeu avec l’expression créole fé rir la bous : ‘amuser’ (littéralement ‘faire rire la bouche’), et l’expression française se fendre la gueule.

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veux !! L’intéressant !! Arrête fait le vert54 don !!! Dernier i arrive la case mémé (33, rue de la boulangerie) lé un moukat55 !!

L’intéressant !!! Arrête donc de faire l’intéressant !!! Le dernier arrivé à la case de Mémé (33, rue de la boulangerie) est une merde !!!

3.7. G.M.L. : Si mi gingn’, mi boire out’ dodo ! P.C.R. : Lé bon ! … Ou sa gingn’ un lastik, oui !!

Si je gagne, je boirai ta dodo ! C’est bon ! … Tu vas gagner un élastique57, oui !!

4.1. P.C.R. : [en pensées] Gros zèf! G.M.L. : 1. Donne à li un lastik 2. gingn’ la course 3. mange le mémé 4. boire le dodo …

Gros con ! 1. Je lui donne un élastique, 2. je gagne la course, 3. je mange la mémé, 4. je bois la dodo …

4.2. G.M.L. : 5. mange ti moukat-là 6. vole son rétrovisèr bandé 58 7. rent’ mon case 8. mette l’effet.

5. je mange la petite merde, 6. je lui vole son rétroviseur bandant, 7. je rentre chez moi, 8. je mets de l’effet59.

4.3. P.C.R. : [en pensées] Samoussas moman lé pas mauvais …

Les samoussas de maman sont pas mauvais …

4.4. P.C.R. : [en pensées] Bon … lé l’heure pou aller … sans presser

Bon … c’est l’heure pour y aller … sans se presser

4.5. G.M.L. : [en pensées] : Whex ! A moin premier !!

Whex60 ! Je suis le premier !!!

4.6. G.M.L. : Na’ d’moune ?? Na point personne ??

Y a du monde ?? Y a quelqu’un ??

4.7. Mère-grand : Kissa ça ??! Kissa i lé ??! G.M.L. : Caca Moustik ! Mère-grand : Tire la bobinette et la chevillette cherra. G.M.L. : Koça ? G.M.L. : [en pensées] Mi comprends pas un merde … Mi rente quand même …

C’est qui ??! Qui est là ??! Caca Moustique ! Quoi ? Je comprends pas une merde… je rentre quand même.

4.8. G.M.L. : Goûte mon chevillette !

Goûte ma chevillette !

4.9. Mère-grand : Aaaah ! 5.1. P.C.R. : Té grand-mère ! A cause ou néna belles yeux ??!! G.M.L. : Heu … c’est pour mieux voir, Caca Kodèn’ … P.C.R. : Té grand-mère ! A cause ou

Hé grand-mère ! Pourquoi tu as de grands yeux ??!! Heu … c’est pour mieux voir, Caca Codène61 …

54

Arèt fé le dos vert : faire son intéressant (‘dos vert’ désignant le poisson ‘macreau’). 55

Insulte très grave (tandis que le verbe moukaté, moucater en français régional, signifie ‘plaisanter gentiment’). 56

Faire la course en cyclomoteur (se disait pousser en meule dans la version de 1988). 57

Semer quelqu’un. (en course) 58

Lé bandé se dit aussi lé totoche (cf. note 46). 59

Fumer du zamal, du chanvre indien, ressentir son effet. 60

Expression, signifiant ‘oui, ouais’, lancée par l’humoriste réunionnais Thierry Jardinot. 61

Autre terme signifiant ‘taches de rousseur’ ; vient du plumage piqueté du ‘coq d’Inde’.

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néna grands pattes ??! G.M.L. : Hé bien … pour mieux marcher, Caca Moustik !!

Hé grand-mère ! Pourquoi tu as de grandes pattes ??! Et bien … pour mieux marcher, Caca Moustique !!

5.2. P.C.R. : … Et à cause ou néna belles dents, comsa ??! G.M.L. : Alors … voilà … mon dent i pousse !! … P.C.R. : Non, spèce couillon ! Pou mieux mange à moin !!

Et pourquoi tu as de grandes dents comme ça ??! Alors … voilà … mes dents elles poussent !! … Non espèce de couillon ! Pour mieux me manger !!

5.3. G.M.L. : Lé vrai !! Attende mi attrape à toué !! Ma voir si ou continues faire out’ l’intéressante ! P.C.R. : Viens à ou gros loche !!

C’est vrai !! Attends que je t’attrape !! On va voir si tu continues à faire ton intéressante ! Viens donc, gros mou62 !!

5.5.P.C.R. : Goûte à moin ! Bruitage : Zok

63 !

Goûte-moi ça ! Vlan !

5.6. P.C.R. : Bon … astèr mi sa gingn’ le bien mémé !!! (lé meilleure que gagne loto !) … Et ou la couillonisse !! Mi crois qu’ou ça rente la geole direct !!!

Bon … maintenant je vais gagner les biens de Mémé !!! (c’est mieux que de gagner au loto) … Et toi la bêtise !! Je crois que tu vas rentrer direct en geôle !!!

6.1. La compagnie de gendarmerie de la Redoute arriva et prit la déposition du Petit Chaperon Rouge … on constata le meurtre de la grand-mère par le grand méchant loup (dont les antécédents judiciaires étaient connus). FIN

6.2. EPILOGUE Il fut incarcéré et condamné pour violation du domicile, conduite sans casque homologué, homicide involontaire sur personne à charge de plus de 75 ans. La peine requise fut de 377 ans et de deux semaines de prison ferme. [En bas de l’image montrant le loup en cellule : Prison de Saint-Denis (rue Juliette Dodu)]

6.3. Caca Moustik toucha l’héritage de la grand-mère. Elle acheta une Ducati 900 Mostro avec laquelle elle s’écrasa, une nuit de pluie, contre un tétrapode, route du

PCR = abréviation de Petit

62

Timoré 63

Cf. note 48.

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littoral, après un vol plané de plus de 200 mètres. [Sur la tombe : PCR (dit Caca Moustik) 1988-2000] [En bas de l’image montrant la tombe : Cimetière du Chaudron]

Chaperon Rouge ; probable clin d’oeil aussi au Parti Communiste Réunionnais 1988-2000 : clin d’œil aux dates des deux versions ‘Il était une fois’ et ‘Caca Moustik’.

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��Annexe 1 : Caca Moustik (document)

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��Annexe 2 : Première version de Caca Moustik datant de 1988

Huo-Chao-Si & Appollo (mai 1992). « Il était une fois », Le cri du margouillat, n°9, p.p. 11-16.

Cette première version de Caca Moustik se présente entièrement en français. Ci-dessous figurent les textes (narration et discours) de la B.D., avec entre crochets droits ([ ]) des commentaires explicatifs qui permettent de palier l’absence d’images, et un signalement en italiques des termes familiers et/ou jeunes.

Page 11 : Case 1 : Il était une fois, quelque part du côté du Chaudron 64 , un petit garçon qu’on nommait le Petit Chaperon Rouge et on savait pas pourquoi, vu que personne savait ce qu’est un chaperon (mais c’est comme ça pour l’histoire) … Page 12 : Case 1 : Or donc, le Petit Chaperon Rouge avait une vieille grand-mère qui était très très riche mais avare comme pas deux, et chaque matin, il lui amenait 2 samoussas65 pour le midi et il avait 100 balles pour faire un flip66 ! … Petit Chaperon Rouge : � � de bécane ! Case 2 : … Mais l’ennui, c’est que pour aller du Chaudron où il habitait jusqu’au fond de la rivière de Saint-Denis où créchait la vieille, il devait traverser une ténébreuse forêt en mob (cette forêt a aujourd’hui disparu, il n’en reste plus que le Jardin de l’Etat)… Petit Chaperon Rouge : Aah ! [il a fini de réparer sa mobylette] Case 3 : … Et dans cette terrible forêt, se trouvait le grand méchant loup, qui était en fait, un prisonnier évadé du zoo municipal. Case 4 : Grand Méchant Loup : Je me taperai bien un carri67 « P’tit Chaperon Rouge » aujourd’hui !! [Sur son T-shirt : Cagnard68 of le Barachois69] Case 5 : Grand Méchant Loup : Hin ! Hin ! Quand on parle du loup, on voit sa queue ! Page 13 : Case 1 : Grand Méchant Loup : Hep ! Petit Chaperon Rouge : ?! Case 2 : Grand Méchant Loup : [en pensées] Rusons …

64

Le Chaudron est un quartier ‘chaud’ de la ville de St Denis, la capitale. 65

Petit beignet frit dans l’huile, de forme triangulaire, rempli d’une farce pimentée, consommé à l’apéritif (Beniamino, 1996 : 256). 66

Faire une partie de flipper. 67

Plat qui accompagne le riz, composé de viande ou de poisson, de légumes, d’oignons, d’ail, de tomates (Beniamino, 1996 : 89). 68

Paresseux, voyou, délinquant (Beniamino, 1996 : 82-83). 69

Le front de mer de Saint Denis, la capitale.

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Grand Méchant Loup : Euh … dis-moi petit, ça te dirait de pousser en meule70 jusqu’à chez ta grand-mère à qui tu emmènes 2 samoussas ? … Hein ? Dis. Case 3 : Petit Chaperon Rouge : Whaa eeeh, dis lui … tu me prends pour … Case 4 : Petit Chaperon Rouge : … un con … Case 5 : Petit Chaperon Rouge : Ah, ouais ! Ouais ! Je prends le chemin le plus long, comme ça tu pourras arriver avant m… euh… comme ça tu iras aussi vite que moi, vu que j’ai un kit 75 ! Grand Méchant Loup : Ah ouais. Ah ouais. Grand Méchant Loup : [en pensées] Hin ! Hin ! Ça marche ! Case 6 : Petit Chaperon Rouge et Grand Méchant Loup : [en pensées] Quel con !! Page 14 : Case 1 : Un peu plus tard … mais pas trop. Grand Méchant Loup : Hou ! Hou ! Mère-grand ! C’est moi, le P’tit Chaperon Rouge !! Mère-grand : Le mot de passe ?! Grand Méchant Loup : Tire ta mobylette et ta cheville se tordra. Mère-grand : Entre ! Case 2 : Mère-grand : Mais ! … T’as bien changé, Chaperon Rouge !! … Je me … Aaaaaah !! Grand Méchant Loup : [Bruitage] Crunch !! Miam ! Bouffe ! Case 3 : Un peu plus tard … mais trop Petit Chaperon Rouge : Hou ! Hou ! Grand Méchant euh Mère-grand !! C’est moiii ! Grand Méchant Loup : Entre ! Petit Chaperon Rouge : Le mot de passe ? Tire ta mobylette et ta cheville se tordra. Grand Méchant Loup : Entre !! Page 15 : Case 1 : Petit Chaperon Rouge : Oh, dis-moi, grand-mère, pourquoi as-tu de si grands yeux ? Grand Méchant Loup : C’est pour mieux voir, mon petit. Petit Chaperon Rouge : Pourquoi as-tu de si grands pieds ? Grand Méchant Loup : C’est pour mieux marcher, mon petit. Case 2 : Petit Chaperon Rouge : Pourquoi as-tu de si grandes dents ? Grand Méchant Loup : C’est parce que j’ai les dents qui poussent. Petit Chaperon Rouge : Non, imbécile, c’est pour mieux me manger ! Case 3 : Grand Méchant Loup : Eh. Eh. T’aurais pas dû, Petit Chaperon Rouge car j’avais oublié, je vais te manger ! Petit Chaperon Rouge : J’aimerais bien voir ça.

70

Faire la course en cyclomoteur.

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Case 4 : Grand Méchant Loup : Pourquoi ? Case 5 : Petit Chaperon Rouge : Pour ça !! [Il lui frappe sur la tête avec une clé anglaise] Case 6 : Petit Chaperon Rouge : Okay, … maintenant que tu m’as bien servi, je vais pouvoir toucher le fric de l’héritage, et toi, pauvre pomme, tu vas aller en prison. Yerk yerk. Page 16 : Case 1 : Et la compagnie de gendarmerie alpine, postée à St Gilles, arriva. On écouta la déposition du Petit Chaperon Rouge, et on constata le meurtre de la grand-mère par le grand méchant loup. FIN Case 2 : EPILOGUE Le grand méchant loup fut incarcéré pour violation de domicile et meurtre involontaire, il fut condamné à 377,3 ans de prison ferme. Case 3 : Le Petit Chaperon Rouge toucha l’héritage, il s’acheta une 900 centimètres cubes avec laquelle il se planta un soir de pluie. Tout le monde le pleura, mais c’est bien fait pour lui. Case 4 : Et les deux gendarmes furent récompensés, on les envoya à la compagnie de maître nageur sauveteur de St Pierre et Miquelon. © Huo-Chao-Si & Appollo 1988

��Annexe 3 : préparation de l’émission « Djembé » (RFO), 16/10/01

Légende : Participants : Enregistrement effectué par S : JF, 22 ans, Réunionnaise A : Réunionnais, chanteur, 25 ans K : Réunionnais, chanteur, 22 ans L : Réunionnais, chanteur 23 ans M : Réunionnais, musicien, 22 ans N : Réunionnais, chanteur, 27 ans TZ : métropolitain, chanteur, 26 ans Les traductions figurent en note de fin de document Conventions de transcription : en gras : énoncés en créole, graphiés selon le Dictionnaire kréol rénioné/français d’A. Armand (1987) ; réunis par accolade : transcriptions « flottantes » (Ledegen 2003) pouvant relever du créole comme du français ; si la deuxième ligne se présente entre parenthèses l’interprétation semble peu plausible ; pas de ponctuation, les pauses étant indiquées par / (courte pause) et // (pause plus longue) ; seul le point d’interrogation sert à indiquer les interrogatives sans mot interrogatif (cf. extrait 8, ligne 5) ; pas de majuscules, si ce n’est pour les noms propres ; XXX : mot(s) non compréhensible(s) ; « : » note un allongement de consonne ou de voyelle.

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Extrait 6 : Discussion avec l’enquêtrice 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28

TZ c’est quoi ? (bruit voitures) ça va ? A ça va TZ banna lé avec nou zot ?1 A kisa ?2 ? tout le monde TZ tout le monde alors : N ben / ali3 c’est : // un rappeur / un responsable aussi MLK (bruits) S zot lé kombyen dans vot(re) association ?4 N MLK / je sais pas S MLK / zot lé kombyen dans l’association ?5 A euh : : // néna à peu près 6 employés / �6 gars i travay pour 6 // non 3 / 3 / �6 gars i(ls) travaillent pour 6 ouais 6 / emploi jeune ou CEC / et puis euh : // voilà sinon sa na de groupe i vien �i fé �(i(l) �parti d(e) Mouvman la Kour / tout ça (chant)6 �fait partie d(e) Mouvman la Kour) S zot i kwa / zot i aid lé group a démaré / kosa zot i fé ?7 A nou esay8 / �c’est difficile �sé difisil L i fo démar nou déjà9 / d’abord A non mais ici / ouais mais ici / c’est-à-dire ici la / la plupar dé producteurs i sa di aou koma / ouais ou arriv avec un texte là / ou bien ça une p(e)tite musique / un p(e)tit peu underground / ou hardcore / rap koué / banna i : / j(e) sais pas10 koman explik aou sa / banna i fé en sorte que le tex(te) lé transformé voilà / que la musique lé transformé voilà / fé in zouk love11 S oui / la censure A fé in zouk love ou in ragga / pour fèr march le nafère / patati patata / et puis12 N zot i voi ke le koté : / c’est ça hein ? // banna i rod ke le koté : 13 A le fric N banna i rod le koté : 14 A ben / les gars i arriv avec 300 francs / zot i fé zot morceau et p(u)is voilà : / kol dé taf / XXX / ma fil aou aprè // kol dé taf té15

Notes de traduction 1 ils sont avec nous ? 2 qui ça ? 3 lui 4 vous êtes combien dans votre association ? 5 vous êtes combien dans l’association ? 6 euh : : // il y a à peu près 6 employés / 6 gars qui travaillent pour 6 // non 3 / 3 / ouais 6 / emploi jeune ou CEC / et puis euh : // voilà sinon il y a des groupes qui viennent qui font partie d(e) Mouvman la Kour / tout ça 7 vous quoi / vous aidez les groupes à démarrer / qu’est-ce que vous faites ? 8 on essaye 9 il faut qu’on démarre déjà

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10 [Σepa] 11 non mais ici / ouais mais ici / c’est-à-dire ici la / la plupart des producteurs ils vont te dire comme ça / ouais arrives avec un texte là / ou bien une petite musique / un petit peu underground / ou hardcore / rap quoi / eux ils / j(e) sais pas t’expliquer ça / eux ils font en sorte que le tex(te) soit transformé voilà / que la musique soit transformé voilà / ils font un zouk love 12 ils font un zouk love ou un ragga / pour faire marcher les affaires / patati patata / et puis 13 eux ils ne voient que le côté : / c’est ça hein ? // eux ne cherchent que le côté : 14 eux ils cherchent le côté 15 ben / les gars ils arrivent avec 300 francs / tu fais ton morceau et puis voilà : / file-moi une taffe / XXX / je t’en passe après // file-moi deux taffes hé Extrait 8 : Discussion sur le basket entre amis 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

A �le ballon revyen / le gars i fé son ti hein hein / XXX / li shoot / la béz dé ballon su la �le ballon revient / le gars i(l) fait son p(e)tit hein hein / tèt le gars / la kalm in ptit peu1 K banna i XXX2 A hein K na des masses préparation ?3 A hein ? K non mais en plus / non seulement li lé gardien4 / mais ils ont réussi à avoir le meilleur : / Lucky / je me rappelle plus comment i apèl5 / Brown / XXX Brown / et il est trop dangereux A ouais / Batir : / ouais / ces gars-là ma besoin attan dans BR là XXX6 K kisa ?7 A XXX Batir / sé pa koué / Batir : / Batir : / Batir : / li joué / li joué Duke8 / li joué avec / euh9 K si si / si mi voi hm10 A li joué avec le ti blond là / aussi là / ou wa / Mickael Nevy11 K hm hm A té les gars na kalité / pff / fondamentaux / lé impressionnant kouyon : 12 K hein A hein là / sa même // néna ali / et pi / en fin de cont ces trois-là i XXX / i totoch sérieux // na in fois blanc-là moné // (bruits) li na une main : / kouyon / en fin de kont lavé in blok devan li / ou wa / son kor la bat dedan / ou wa / li la pa soté kom : / kom Carter / desu / le gars / ou wa / mais li gaign ramèn son bras quand même / si la pointe / ou wa / sa la fé que son bras té XXX / té devan koma / vlann / té / son papa la bèz / XXX / son papa lé entreteneur / ou wa / (onomatopée) / (rires) XXX les gars té affol : / hein / pff //13 K té kan mi voi la différence niveau / i pé avoir / ant in ti boug kom nou là / pff // est-ce qu’in jour / in gars la Réunion i gaingneré fèr / zafèr NBI XXX14 A NBI / non // K la taille / le physique / na ryen a vwa15

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Notes de traduction 1 le ballon revient / le gars il fait son petit hein hein / XXX / il shoote / il a lancé deux ballons sur la tête du gars / ça l’a calmé un petit peu 2 ils 3 il y a des masses de préparation ? 4 non seulement il est gardien 5 comment il s’appelle 6 c’est ce gars-là dont j’ai besoin que j’attends dans le BR là XXX 7 qui ça ? 8 [djuk] 9 XXX Batir / je sais pas quoi / Batir : / Batir : / Batir : / il jouait / il jouait Duke / il jouait avec / euh 10 si si / si je vois hm 11 il jouait avec le petit blond là / aussi là / tu vois / Mickael Nevy 12 hé les gars ils ont la qualité / pff / fondamentaux / c’est impressionnant putain 13 hein là / ça // il y a lui / et puis / en fin de compte ces trois-là ils XXX / ils assurent sérieux // une fois il y avait les blancs-là qui menaient // (bruits) il avait une main / putain / en fin de compte il y avait un bloc devant lui / tu vois / son corps s’est lancé dedans / tu vois / il n’a pas sauté comme / comme Carter / sur / le gars / tu vois / mais il a pu ramener son bras quand même / sur la pointe / tu vois / ça a fait que son bras était XXX / était devant comme ça / vlan / hé / son papa les a baisés / XXX / son papa est entreteneur / tu vois / (onomatopée) / (rires) XXX les gars étaient affolés / hein / pff // 14 hé quand je vois la différence de niveau / qu’il peut y avoir / entre in petit bonhomme comme nous là / pff // est-ce qu’un jour / un gars de la Réunion il arrivera à faire / le truc NBI XXX 15 ç’a rien à voir

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Zsuzsanna Fagyal French Department

University of Illinois at Urbana-Champaign (E.U.A.)

ACTION DES MÉDIAS ET INTERACTIONS ENTRE JEUNES DANS UNE BANLIEUE OUVRIÈRE DE PARIS

REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE

��INTRODUCTION

Le lexique constitue sans doute l’aspect linguistique le mieux connu des parlers populaires1 en France. Le verlan, les formes d’argot et les jeux de langue constituent désormais des objets d’analyse habituels dans les grammaires, et sont des moyens d’expression fréquemment exploités à des fins artistiques dans de nombreux films et romans. Il ne faut donc pas s’étonner que ce sujet continue d’alimenter les travaux des linguistes et des chercheurs en sciences sociales. Mais l’abondance relativement récente des dictionnaires (Goudaillier, 1997, 2001), des traités sur l’argot de l’école (Seguin, Teillard, 1996), des ethnographies (Lepoutre, 1997; Tétrault, 2003), des rapports d’enquêtes linguistiques (Doran, 2002, Pagnier, 2003, Fagyal, 2003 a, b), et des articles de revues spécialisées (Azra, Cheneau, 1994; Méla, 1988, 1997; Antoine, 1998) signale aussi qu’un public assez large partage désormais l’intérêt des spécialistes. Inévitablement, peut-être, dans cette multitude de publications on trouve aussi des travaux superficiels qui se contentent de dresser l’inventaire des dernières innovations lexicales hors contexte, rappelant des ouvrages similaires destinés à la consommation des masses dans d’autres pays (les traités sur le vocabulaire des Noirs américains (Smitherman, 1994), le lexique des adolescents (Dalzell, 1996), l’argot des prisons (Encinas, 2001) aux États-Unis et ailleurs.) Mais, au-delà du sensationnalisme que l’on reproche à ces ouvrages, leur existence même est un signe d’intérêt général que l’on ne peut ignorer. On se demande, en revanche, d’où vient cette fascination pour les mots ?

1 On réfèrera par ce terme à l’ensemble des variétés langagières urbaines (argots, jargons de

métiers, français populaire, français vulgaire) pratiquées par ou attribuées aux groupes marginaux et aux couches sociales modestes. A propos des variétés dites populaires du français contemporain voir, entre autres, les travaux de F. Gadet (1998) et A. Valdman (2000).

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On pourrait penser d’abord au caractère saillant des phénomènes lexicaux par rapport à d’autres phénomènes langagiers, car « Pour la plupart des locuteurs les changements les plus perceptibles dans la langue concernent les mots et leurs significations » (Posner, 1997 : 143). Ainsi, les modifications les plus faciles à percevoir dans sa propre langue seraient les mots nouveaux et les mots « de l’Autre », c’est-à-dire les mots et les expressions des groupes auxquels on n’appartient pas, et que l’on observe, pour ainsi dire, « de l’extérieur ». Les changements qui frappent le vocabulaire de tous les jours sont rapides et plus faciles à déceler que, par exemple, les changements phonétiques. On ne manque pas d’exemples d’expressions branchées qui tombent en désuétude en l’espace de quelques années, et sont régulièrement remplacées par d’autres encore plus à la mode, alors que les changements de prononciation peuvent prendre plusieurs générations à se manifester. Les changements lexicaux, bien que saillants et rapides, sont aussi éphémères et largement imprédictibles. Les historiens de la langue parviennent à y voir certaines régularités 2 , sans pour autant parler de principes ou de lois, mais la plupart des sociolinguistes considèrent que les mécanismes du renouvellement du vocabulaire s’apparentent plutôt à des variations aléatoires3 » (Labov, 2001 : 13). Ainsi, il serait impossible de prédire « quels mots possèdent une meilleure chance de survie, si certaines abréviations persisteront, et si, à un moment de l’histoire, le lexique s’élargira ou rétrécira 4 » (idem : 13-14), alors que d’autres changements structurels dans la langue obéiraient à des principes plus réguliers. L’opinion de Darwin, selon qui le goût des hommes pour la mode et les nouveautés est à ajouter à la liste des causes de ‘la sélection naturelle des mots’ est souvent citée5.

Mais l’attention particulière portée au lexique des parlers populaires dépasse le cadre des explications purement linguistiques : il s’agit, me semble-t-il, d’un phénomène de société lié à — si ce n’est créé par — l’action des médias.

Par la suite, je présenterai l’hypothèse que pendant plusieurs décennies, les médias ont sélectionné, de façon plus ou moins consciente mais systématique, certains aspects langagiers saillants, surtout lexicaux, pour les présenter comme les composantes d’une variété langagière indépendante attribuée à la jeunesse multiethnique des banlieues ouvrières des grandes villes. Ensuite, sur la base de notes et d’enregistrements issus d’une enquête de terrain dans une banlieue ouvrière de Paris (Fagyal, 2003 a, b), je tâcherai de montrer que cette action des médias a eu une influence sur les représentations et les comportements langagiers des adolescents concernés. Je terminerai par plusieurs cas d’innovation lexicale

2 Les grands changements culturels dans l’histoire des sociétés sont souvent évoqués comme

explications du grand nombre de nouveaux mots et d’expressions empruntés ou créés à ces moments-là dans la langue (Hock, 1991). La néologie « raconte l’histoire d’une société et de sa langue » selon J. Pruvost et J-F. Sablayrolles (2003 : 29). 3 « As far as words are concerned, the replacement of vocabulary seems to have many of the

characteristics of random variablity » (Labov, 2001 : 13). 4 « […] which words have a better chance of surviving and which do not, whether abbreviations

will persist, and whether at a given time the vocabulary will expand or contract. » (Labov, 2001 : 13-14) 5 « To these more important causes of the survival of certain words, mere novelty and fashion may

be added ; for there is in the mind of man a strong love for slight changes in all things. » (Charles Darwin cité dans Labov, 2001 : 14).

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spontanée dont j’ai été témoin ou qui m’ont été relatés par des jeunes informatrices. Ces cas me permettront de présenter quelques hypothèses concernant l’émergence des innovations dans un contexte interactionnel réel. Les conclusions appelleront à un engagement plus poussé de la part du chercheur : à la nécessité de s’opposer aux simplifications à outrance des faits de langue dans les médias, et à l’importance de mener des enquêtes par immersion plus longues où l’observation participante non directive est privilégiée.

��L’ACTION DES MÉDIAS

��Dénommer, diffuser et légitimer

Alors qu’il serait impensable qu’un biologiste s’informe dans les journaux des détails techniques des expériences menées dans son laboratoire, il est fréquent pour un linguiste d’être confronté, dans les colonnes des magazines et des quotidiens, à des analyses prétendument linguistiques6 de son sujet de recherches.

C’est, par exemple, à travers une prolifération d’étiquettes collées à un petit inventaire de mots non standard que la presse informe spécialistes et non initiés de l’existence d’une variété du français parlé par les jeunes des quartiers ouvriers de Paris. Selon Le Monde il s’agirait d’un « patois » appelé « la langue des keums » (le 2 septembre 1995), d’un « parler des cités » (le 18 janvier 1996), d’une « langue des rues et des cités » (le 13 février 1996), d’un « néofrançais » (le 20 août 1997), de la « tchatche » et du « bagout » (le 22 janvier 1999). Selon certains linguistes rejoignant ce jeu des dénominations, cette ou ces variétés — les étiquettes ne permettent pas de trancher — constitueraient une « parole explosive », un « français dynamite » (Hagège, 1997 : 3), une « déstructuration linguistique » (Goudaillier, 1997 : 10) en réponse à l’exclusion sociale subie par la population qui la parle.

L’ennui est qu’on manque de preuves empiriques pour conclure qu’il s’agit d’un parler « à part » : « toutes ces dénominations supposent qu’il existe une variété de français sans que des études empiriques ne confirment que les variables recueillies s’organisent en une « variété », (Pagnier, 2003 : 133). Dans le français parlé par les jeunes « des banlieues » on trouve à la fois des traits novateurs, dont la prosodie (Fagyal, 2003 a, b) ou le consonantisme (Armstrong, Jamin, 2002), et des traits typiques, dont les procédés de formation lexicale, les structures syntaxiques, et même les mots souvent donnés comme nouveaux, mais qui existent ou existèrent auparavant en français (cf . infra) :

Sauf pour quelques traits saillants, il n’y a donc pas de « langue populaire des jeunes » : ce qui est en cause n’est pas massivement une question de langue, mais des modalités d’interaction. Il est donc indispensable de pratiquer davantage d’enquêtes d’envergure (sans négliger les différences géographiques) réunissant des corpus saisis dans des situations d’interactions réelles (Conein, Gadet, 1998 : 116).

Autrement dit, à part certaines innovations phonologiques et lexicales —

dont les médias ont pu, en effet, prendre connaissance auprès des linguistes qu’ils 6 H. Boyer parle de « journalisme linguistique » à ce propos qui, selon lui, « serait un trait culturel

bien français » (1994 : 85).

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citent — il est probable que le français parlé par les jeunes « des banlieues » ne soit pas un parler distinct du français populaire qui n’a vraisemblablement jamais cessé d’être pratiqué dans les quartiers ouvriers. Aussi remarquable qu’il puisse paraître aux yeux de la bourgeoisie de la capitale, le présenter comme s’il était quelque chose de fondamentalement nouveau constitue donc un montage de certains faits isolés en une fausse image générale.

Les mécanismes de ce processus de ‘montage’ sont bien décrits, entre autres, par Bourdieu (1996) à propos du traitement de l’information à la télévision. Tout commence par l’acquisition de « l’information » qui n’est, en fait, qu’une pâle copie des faits, « de l’information sur l’information » (idem : 27) dès le départ, car le journaliste prend connaissance indirecte (non pas par enquête ou expérience personnelle) de certains faits concrets auprès des « experts ». L’usage de sources indirectes d’information est souligné par Bourdieu : « Si on se demande, question qui peut paraître un peu naïve, comment sont informés ces gens qui sont chargés de nous informer, il apparaît que, en gros, ils sont informés par d’autres experts » (1996 : 26). Ensuite, en raison de nombreuses contraintes, y compris le règne de l’audimat dont même la presse écrite ne serait plus exempte (idem : 60), le journaliste opère un choix qu’il applique à chaque sujet qu’il traite : il met l’accent sur l’aspect du « jamais vu », le côté de « phénomène inouï » des faits (idem : 49). Une fois formulée de cette façon, « l’information » est publiée, et elle commence à circuler. Mais comme les journalistes sont, eux aussi, pris dans une « circulation circulaire », affirme Bourdieu non sans cynisme, les informations qu’ils nous communiquent ont la tendance à être répétées, reproduites à l’infini :

[ils] se lisent les uns les autres, se voient les uns les autres, se rencontrent constamment les uns les autres dans les débats où l’on revoit toujours les mêmes, [ce qui] a des effets de fermeture et, il ne faut pas hésiter à le dire, de censure aussi efficaces — plus efficaces, même, par ce que le principe en est plus invisible — que ceux d’une bureaucratie centrale… (p. 26).

Selon mon interprétation, ce mécanisme mène ensuite à la formation des

stéréotypes, « des objets standardisés dans le domaine culturel » (Amossy, 1991 : 21). Le discours des médias sur la « nouvelle variété » du français parlé dans « les banlieues » me semble avoir subi le même sort. On rejoint ici l’analyse de H. Boyer (1997) qui présente l’argument selon lequel l’usage conscient, et de plus en plus répandu, de mots attribués à ce parler amena à leur diffusion plus large, et contribua par conséquent à légitimer et à codifier la « variété » que ces mots étaient censés représenter. L’usage stéréotypé, pour ne dire caricatural, du verlan comme marque identitaire est désormais largement pratiqué même par les célébrités politiques cherchant à se donner, pour le temps de prononcer un mot en verlan, une certaine aura de liberté et d’anticonformisme associée à ce parler

7.

Fasciné par la découverte « d’un nouveau français », le public est captivé, et l’entreprise commerciale motivant les actions des médias est accomplie. On a

7 Selon Eckert (2003) l’usage des mots non standard, slang words, par les personnes extérieures au

groupe ne signale pas l’adoption de ces mots dans le lexique de référence, mais l’aspiration du locuteur à emprunter une certaine image socioculturelle associée à ces mots.

Laura
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donc l’impression d’un Effet Pygmalion : le français des jeunes des banlieues existe comme « variété » du français dans la conscience collective des locuteurs par la diffusion des mots dont on affirme qu’ils proviennent d’un tel parler.

��Un travail ‘historique’ sur le discours

Mais contrairement à ce que retiennent les modèles sémiologiques à propos de la formation des stéréotypes, l’image médiatique du « néofrançais » des jeunes des banlieues, bien que fabriquée aussi, n’est pas « un modèle collectif figé » que l’on ferait « monotonement circuler dans les esprits et les têtes » (Amossy, 1991 : 21-22). On s’aperçoit que le discours s’est quelque peu modifié dans le temps. Les articles de presse et les reportages publiés depuis le début des années quatre-vingt sur ce sujet ne laissent aucun doute : il y eut, en effet, différentes « périodes de médiatisation » (voir aussi Boyer, 2001 : 77).

Les changements concernent principalement le ‘casting’, c’est-à-dire l’attribution du rôle de l’innovateur à un groupe ou un acteur social plutôt qu’à un autre. Le discours sur les phénomènes langagiers n’a pas beaucoup changé : il y a plus de vingt ans, depuis l’enquête de terrain de Christian Bachmann (Bachmann et Basier, 1984), la première menée par un linguiste

8, c’est toujours le lexique, et

plus particulièrement le verlan qui est présenté comme trait emblématique de cette « variété ».

L’un des premiers articles de presse consacré au verlan Le jeune tel qu’on le parle, paru en 1982 dans le Nouvel Observateur, adopte le point de vue de l’adulte curieux mais complaisant vis-à-vis de l’émergence des néologismes chez les jeunes générations paraissant toujours ‘incompréhensibles’ à la génération de leurs parents : "Depuis toujours, les jeunes se plaignent d'être incompris. On peut leur retourner le reproche de se montrer incompréhensibles." Comme le suggère la métonymie dans le titre (Le jeune), l’âge est l’unique catégorie sociale retenue pour identifier les locuteurs qui parlent cette « variété ». Il s’agit donc de changements banals du lexique d’une génération à l’autre. La même année, le Magazine Lire adopte la même approche et le même ton plutôt plaisant pour sa couverture : « Soyez branchés ! Les mots à la mode »

9.

Mais cette vision d’un conflit générationnel s’estompe progressivement par la suite, cédant la place à des discours plus sombres sur le langage de « certains » jeunes. D’autres dimensions sociales émergent, en plus de l’âge. D’abord, la « variété » que l’on venait de découvrir devient le langage des jeunes des couches sociales « défavorisées », donc les plus touchées par la pauvreté et le chômage. La dimension des conditions sociales

10 apparaît donc dans le discours. Mais très vite,

par la suite, le « néofrançais » se voit attribué à une jeunesse, certes pauvre, mais surtout multiethnique et multilingue : vers le milieu des années quatre-vingt-dix une troisième dimension, celle de l’ethnicité, fait son apparition dans les discours

8 J. Boutet (communication personnelle)

9 On ne sélectionne ici que quelques-uns des articles de journaux et de magazines parus sur ce sujet

(voir aussi L’Express, Le Figaro…et d’autres.) 10

Dans la mesure où de nombreux sociologues avaient signalés le refoulement du concept de ‘classe sociale’ dans les débats publics de ces vingt dernières années, on évite d’utiliser ce terme ici (voir à ce propos Bosc, 2003).

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médiatiques sur le français des banlieues11

. Le lexique des jeunes des banlieues n’est plus l’emblème d’une jeunesse française mal comprise par les générations précédentes, ou celui des adolescents chômeurs de longue durée, mais un langage propre aux habitants des cités-ghettos où grandit une génération d’enfants issus de l’immigration. H. Boyer, aboutissant à des conclusions similaires, les résume ainsi :

Mais alors que dans les années 1980 le français des jeunes générations se présentait semble-t-il comme une parlure générationnelle très « convenable » d’un point de vue néologique, dans les années 1990 il a tendu à développer sa composante (dominante) périphérique, ethnoculturelle… (Boyer, 2001 : 76).

A la question de savoir qui sont, plus précisément, ces habitants des cités

qui pratiqueraient ce « nouveau » langage, les réponses varient considérablement. On croit aussi déceler la mise en place de certains stéréotypes. Dans un article intitulé « Les jeunes des cités ont inventé leur propre langage » (Le Monde, le 2-9-1995), la journaliste Catherine Genin relate l’existence d’un parler « qui n’est ni une mode ni un simple argot », mais « un dialecte difficilement compréhensible par le profane », truffé de verlan et parlé par des adolescents mâles (« langue des keums ») qui se seraient « bricolé une culture à eux parce qu’ils se sentaient déconnectés de l’univers culturel des classes moyennes ». Bien que la journaliste cite des experts tout à fait crédibles en la matière, ‘le montage’ quelque peu exagéré des faits laisse un sentiment de malaise au lecteur qui se demande s’il s’agit du français tout court… A noter également l’ébauche d’un futur stéréotype, encore incomplet et esquissé en finesse ici, mais qui sera amplifié pendant les années qui viennent : celui de l’adolescent mâle d’origine nord-africaine, le « Beur »12, qui se voit attribuer le rôle de l’innovateur principal en matière de langage (« Les jeunes Maghrébins demeurent […] les pionniers en matière d’innovation linguistique »).

A peine un an plus tard, la même journaliste, dans le même quotidien (Le Monde, le 18-1-1996), change son fusil d’épaule. Citant à nouveau des experts crédibles, elle explique cette fois que « la langue pratiquée dans les banlieues », qu’elle attribue maintenant à l’ensemble de la cité (« le parler des cités »), « n’est pas un dialecte à part », mais le français populaire des jeunes. L’âge et la dimension d’un conflit social sont toujours présents (« le parler cités épate les bourgeois »), mais le stéréotype ethnique et sexiste a disparu.

Les hésitations et les contradictions de ce type ne sont pas rares, et reflètent bien le ‘travail’ sur les représentations véhiculées dans les discours médiatiques. Leur évolution future reste à découvrir, mais on peut dès maintenant établir un bilan provisoire : en l’espace d’un peu plus de vingt ans, le discours médiatique

11

Sociologues et ethnologues signalent une tendance générale à l’ethnicisation des rapports sociaux (Schwartz,1990 ; Beaud, Pialoux, 1999 ; Rinaudo, 1999).

12 Récemment, le stéréotype du « Beur », innovateur principal en matière de langage,

semble inclure aussi des références à la musique rap, souvent attribuée aux jeunes d’origine maghrébine. Mais contrairement aux États-Unis, ni le rap, ni le hip-hop français « n’ont commencé dans la rue » (Lapassade, Rousselot, 1991 : 10) : les deux ont été importés par les médias (Cannon, 1997).

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sur « le français parlé par les jeunes des banlieues » a intégré quatre dimensions sociales cruciales dans l’usage de la langue : l’âge, le sexe, l’ethnicité et de ce qui reste du concept de la ‘classe’ sociale

13. Trois d’entre elles (l’âge, le sexe et

l’ethnicité) sont des caractéristiques peu malléables. Ceci, me semble-t-il impose la plus grande vigilance face aux stéréotypes dont les locuteurs concernés pourraient avoir du mal à se défaire.�

��LA RÉACTION DES JEUNES

��Les représentations de qui ?

On sait qu’au collège — et peut-être même avant — les jeunes « des banlieues » maîtrisent un répertoire riche de pratiques sociales typiques de leur âge et de leur milieu social, et qu’ils se montrent particulièrement sensibles à ce qui les distingue des autres, et les unit au reste de la société (Lepoutre, 1997). Les observations que j’ai effectuées pendant mon enquête de terrain (voir ci-dessous) m’ont convaincue aussi qu’il s’agit de consommateurs ardents d’images et de discours diffusés à la télévision, et dans les magazines adressés aux jeunes. Il n’est donc pas impossible que les représentations de ces enfants sur « le langage qu’ils parlent », et dans une certaine mesure leurs comportements langagiers aussi, reflètent l’influence de la médiatisation dont ils sont l’objet.

Les résultats des enquêtes de terrain récentes semblent confirmer cette hypothèse en s’appuyant sur des propos formulés par les jeunes dans des entretiens : les jeunes affirment, pour ne pas dire revendiquent, parler « leur langage à eux ». Ainsi, l’enquête de C. Doran (2002) dans les grands ensembles de la ville Les Salières (banlieue Sud de Paris) en présente de nombreux témoignages précieux. Les propos recueillis montrent que c’est surtout le maintien du stigmate de l’immigré que les adolescents reprochent aux médias :

D : moi j’ai de la chance je suis pas étiquetée marocaine… mais ma sœur mon frère et tout… et ben ils écopent de la réputation… que la plupart des médias accordent à notre communauté… ce qui fait que nous on est des sauvages… on est des dealers… on est des drogués… on est des prostituées… je continue ou je m’arrête ? (Interview 2, Dalila, p. 3, Doran, 2002 : 201-202, soulignements SF)

En revanche, il me semble qu’il faut être très prudent de ne pas prendre pour

argent comptant tous les propos des adolescents concernant « leur » langage « à eux ». Dans l’exemple suivant, Nassir, un jeune Beur, s’exprime sur le langage qu’il parle dans son groupe d’amis :

N : …personnellement des fois on parle anglais euh… on va dire ‘viens vas-y on y go’ euh… il y a des mots anglais qui reviennent et […] il y a plusieurs mots qui… qu’on peut introduire dans une phrase […] ça va quoi la phrase elle est quand on – elle est quand même compréhensible… et ça – ça fait bien quoi (Interview, Nassir, p. 7, Doran, 2002 : 185, soulignements SF)

13

voir notes 10 et 11

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Les propos de Nassir sont interprétés comme une illustration des discours tenus par « des jeunes qui signalent leur possession du ‘code local’ et expriment leur fierté dans les divergences créatives de celui-ci du standard14 » (Doran, 2002 : 185). Mais on s’aperçoit que l’expression que Nassir donne comme innovatrice, l’hybridation on y go, n’est pas du tout « local » proprement dit; elle est courante dans le français familier de la capitale, donc dans la communauté linguistique plus large. L’expression n’est effectivement pas du français ‘standard’ des dictionnaires, mais elle s’entend couramment même chez les moins jeunes des classes moyennes parisiennes. D’autres hybridations, par exemple les suffixations du type ‘mot de base + suffixe –man’ (ex. bledman), constituent une surprise dans la mesure où il s’agit de produits d’hybridation « inattendus » avec l’anglais, mais ces mots font tous appel à des procédés de formation lexicale attestés15 déjà du temps où les puristes dénoncèrent pour la première fois la naissance du franglais (Etiemble, 1973). Les recherches de S. Lafage (1998) sur le langage des backromans, les jeunes vivant dans les rues et le port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, témoignent aussi de beaucoup d’hybridations de ce type. Il n’y a donc pas lieu de considérer de tels mots typiques d’une seule « variété » du français, car ils peuvent émerger dans différentes situations de contact de l’anglais avec d’autres langues.

Mais bien que l’on ne puisse pas se servir de tels exemples pour délimiter une variété du français d’une autre, on doit souligner, et c’est un point important, que l’existence d’un procédé de formation lexical dans d’autres variétés du français n’exclut pas la réception des mots qui en résultent comme innovateurs par les jeunes. Tout comme Nassir qui, visiblement, ignore à quel point l’expression on y go est courante dans les registres familiers du français, les bacromans du port d’Abidjan, si conscients du statut non standard16 de leurs expressions, pourront considérer celles-ci comme innovatrices aussi (voir la définition de ‘innovation lexicale’ par la suite). Alors la question se pose : qu’est ce qui est du « code local », et qu’est-ce qui n’est pas ? Qu’est-ce qui est ‘innovateur’ ou ‘nouveau’ dans le français, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Lorsque les jeunes nous parlent du caractère unique de « leur langage », ne sont-ils pas en train de nous renvoyer leur propre image médiatique d’innovateurs marginaux soigneusement montée et désormais largement connue par le public ? Ces fameuses ‘innovations’ lexicales existent-elles réellement ou elles sont simplement perçues comme telles par les jeunes ayant peu d’accès à d’autres milieux sociaux ?

Il me semble que les enquêtes sociolinguistiques actuelles auront du mal à répondre à ces questions. En dépit de leurs composantes ethnographiques plus ou moins prononcées, ces enquêtes se basent encore essentiellement sur des échanges dans lesquels le but qu’a le chercheur de s’informer sur les pratiques langagières est bien connu par les participants. Or, aussi intimes que ces conversations puissent être, elles nous apprennent peu des comportements langagiers des interviewés entre eux. Elles comportent, en revanche, le risque de nous 14

« In calling it ‘their’ language, youths signaled their sense of ownership of the local code, and in fact expressed pride in its creative divergences from the ‘standard’ language » (Doran, 2002 : 185). 15

voir à ce propos la citation ci-dessus de B. Conein et F. Gadet 16

au sens où l’entend Bourdieu parlant de « la langue légitime », du « français imposé comme langue officielle » (1982 : 30)

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communiquer des représentations élaborées par les jeunes pour l’occasion d’un moment d’attention de la part d’un inconnu exotique. En guise d’illustration de ce problème, voici le tout premier échange noté avec Josette I.

17, une élève de

quatrième, personnage central d’un groupe de jeunes filles que j’ai suivi pendant mon enquête. L’échange témoigne de la distance sociale qui nous sépare (en âge, entre autres), mais aussi de l’exotisme que ma présence signifiait pour ces jeunes au début de l’enquête (J = Josette, E = enquêtrice).

J : Madame, vous êtes américaine? E : Oui… ? J : Et ben on va s’entendre ! [rire général dans le groupe]

[note du matin du 8 mai 2001, devant l’école] Il n’est, bien évidemment, pas question de suggérer que ce dont les jeunes

nous font part dans des conversations et des entretiens dirigés sont sans valeur. Au contraire, il me semble que la richesse des réflexions recueillies dans les entretiens est si grande que l’on en oublie parfois certaines précautions ou limitations méthodologiques.

��Les mots de qui ?

��Définitions

L’innovation lexicale paraît, au prime abord, un concept intuitif : ‘innover’ au sein du lexique signifie ‘créer’ des nouveaux mots. Mais comment interpréter ‘créer’ et ‘nouveau’ ? ‘Créer’ peut être synonyme de ‘former’ des mots à l’aide de processus de formation lexicale connus, il peut signifier ‘emprunter’ des mots entièrement nouveaux d’une langue étrangère ou alors ‘inventer’ un sens à un signifiant déjà existant dans la langue. Parallèlement, on peut se demander à quel point, et surtout pour qui ‘nouveau’ représente une nouveauté dans le lexique ? Nassir avait-il ‘raison’ de considérer l’expression on y go innovatrice simplement parce qu’il ignorait l’étendu de son usage dans la communauté plus large ?

Il me semble que d’un point de vue interactionnel, et ce sera le seul point de vue adopté par la suite, la réponse est positive. L’expression est nouvelle, et donc ‘propre au groupe’, si elle est perçue comme telle par le groupe. C’est précisément cette interprétation de ‘la nouveauté’ qui permet aux innovateurs, par exemple aux meilleurs utilisateurs du verlan (voir le locuteur Saïd dans Méla 1988)), ou aux plus brillants des vanneurs (voir Lepoutre, 1997) de se distinguer de leurs pairs. Que la forme ‘verlanisée’ d’un mot existe dans d’autres cités importe peu si, dans l’interaction entre les jeunes, son usage frappe par son caractère nouveau et insolite, et par conséquent garantit à son ‘inventeur’ hic et nunc, ici et maintenant, un gain de prestige immédiat par rapport aux autres.

Dans cet article, le terme ‘innovation lexicale’ référera donc à l’usage d’une unité lexicale attestée ou non dans la communauté linguistique18 dans l’acception

17

Chaque élève est cité par un pseudonyme qui lui fut attribué lors de l’analyse du corpus. 18

L’unité lexicale n’apparaît pas dans les dictionnaires, et/ou elle n’est pas employée par des locuteurs non membres du groupe des jeunes en question.

Laura
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qu’elle possède dans les extraits présentés, mais dont le signifiant, le signifié ou les deux sont perçus comme une nouveauté dans le groupe des jeunes qui l’emploie. L’invention d’un mot tout nouveau ou la remotivation ‘in situ’ du sens d’un mot existant passera donc pour un acte d’innovation dans la mesure où l’expression est reçue comme innovatrice dans le groupe (ce qui rentre, du reste, dans la définition des néologismes par J. Pruvost et J-F. Sablayrolles, 2003 : 3). ‘Innovation’ renvoie donc à l’emploi ‘hic et nunc’, ici et maintenant, d’une expression, et non pas à l’étymologie ou l’acception générale de celle-ci. On se limitera parfois à une seule occurrence, mais l’émergence de cette occurrence sera observée ‘in situ’ : le mot est enregistré, noté par l’enquêtrice, ou encore rapporté par un autre locuteur dans le contexte où il a émergé. Dans tous les cas, l’effet de nouveauté est perçu par le groupe.

��L’enquête

Lors de mon enquête de terrain dans un collège multiethnique à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), j’ai été confrontée dès le premier jour au biais que comportait l’approche directe de ce milieu social (voir l’échange ci-dessus avec Josette). Tout d’abord, il fallait me débarrasser du statut de l’inconnu exotique pour avoir la moindre chance d’observer des comportements langagiers à peu près naturels chez les adolescents. Autrement dit, pour recueillir des « données » linguistiques, ma présence ne devait pas susciter d’intérêt particulier. Parallèlement, j’ai dû chercher à ne pas diriger les interactions dans lesquelles je me trouvais pour laisser certains comportements et commentaires émerger spontanément. La tâche était si dure que j’ai décidé de mener une enquête en partie ‘couverte’19.

Mon approche consista à me présenter en tant qu’étudiante américaine préparant un mémoire universitaire sur les pratiques et les représentations sociales des enfants d’origine multiethnique et multilingues en France et aux États-Unis. J’ai décidé de ne pas révéler aux jeunes que je notais et j’enregistrais non seulement ce qu’ils disaient sur leurs activités quotidiennes et leurs projets de l’avenir, mais aussi la façon dont ils le disaient, et surtout ce qu’ils laissaient entendre sur leur « langage à eux ». En deux ans d’enquête, je n’ai posé des questions directes sur la façon dont ils voient leur langage que lorsque quelqu’un d’autre avait abordé le sujet20. Je n’ai assisté qu’à quelques cours, et seulement quand j’y étais invitée par les élèves ou, plus rarement, par les professeurs. Grâce à la distance que j’ai réussi à maintenir vis-à-vis des « profs », la plupart des collégiens ont fini par m’accepter comme un élément habituel et sans grand intérêt des temps de leurs récréations. Tuteur d’anglais ‘hors programme’, ils pouvaient s’adresser librement à moi avec leurs devoirs, leurs difficultés, et parfois même avec leurs problèmes. L’enquête de terrain fut réalisée en six sessions d’observation d’une durée variable de deux à huit semaines entre mai 2000 et décembre 2002. Je n’ai enregistré des entretiens dirigés que vers la fin de

19

Je remercie tous ceux qui m’ont aidée à mettre en place et à mener à terme cette enquête où aucune décision n’a dû être prise au hasard. Je suis particulièrement redevable à mes collègues ethnologues et linguistes pour leurs suggestions, au personnel et au corps enseignant de l’école pour leur aide et leur patience. 20

L’entretien du 29 mai 2001 avec Lola, une surveillante, constitue une exception (cf. ci-dessous).

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l’enquête, et sur le conseil des ethnologues, j’ai passé le reste du temps à observer et à prendre des notes.

��Le regard des autres

Il était frappant de voir, dès le début de l’enquête, à quel point certains jeunes, et surtout jeunes filles, étaient conscients de leur image de locuteurs ‘non standard’. Ayant suivi, et plus tard lié une amitié avec plusieurs membres du groupe de Josette, j’ai eu l’occasion de noter, entre autres, les réactions qu’elles m’attribuaient au sujet de leur langage. A la suite d’un échange d’injures avec ‘le chef’ d’un autre groupe de filles quittant l’école en fin de journée je note ceci21 (A = la jeune fille de l’autre groupe, J = Josette, E = enquêtrice. Les assimilations et les chutes de segments sont transcrites pour rester le plus fidèle possible à la prononciation des locuteurs.) :

A : eh, Josette ! J : ta gueule, toi ! A : ferme ta gueule, toi, pute ! J : ta gueule, conasse ! A : sale pute ! [l’autre groupe s’éloigne] A : on parle mal, Madame, hein … très mal. E : [geste d’indifférence] J : et on n’est pas la caillera… la caillera c’est pire ! E : c’est quoi la caillera ? J : ça veut dire racaille… vous connaissez… c’est un mot à nous… [approbation générale par d’autres dans le groupe] E : connais pas… c’est mauvais ? J : très mauvais, Madame … les écoutez pas, ceux-là…sont très mauvais [note de l’après-midi du 4 mai 2001, devant l’école]

Le jugement que Josette m’attribue envers son langage (On parle mal,

Madame, hein ? Très mal) montre bien qu’elle a un sens aigu du regard que les ‘gens de l’extérieur’ peuvent avoir sur la vulgarité du rituel d’insultes qui venait d’avoir lieu. Tout en s’appropriant le mot caillera comme un mot de sa communauté (C’est un mot à nous), Josette cherche à se justifier et à se distancer (Les écoutez pas, ceux-là) des pires éléments de cette même communauté, parlant un langage qu’elle trouve encore pire que le sien. C. Doran (2002) fait également état de jeunes filles musulmanes qui gardent leur distance par rapport à un langage vu comme inapproprié pour une jeune fille, et ne jouissant d’aucun prestige ouvert en dehors de la communauté locale22. Beaucoup de jeunes filles dans mon enquête

21

L’ordre exact des injures dans cet échange est reconstruit de mémoire. D’autres échanges ont été notés aussi rapidement que possible pour ne pas oublier les détails. Cette technique qui m’a été suggérée par les ethnologues caractérise toute la partie qualitative de l’enquête. 22

Selon les conclusions actuelles concernant le comportement des femmes vis-à-vis des changements linguistiques, les femmes auraient tendance à adopter, et même à mener, les changements en cours lorsque ceux-ci jouissent d’un prestige ouvert dans la communauté plus large. Elles sont, en revanche, moins nombreuses à utiliser des traits langagiers « locaux » non reconnus ou stigmatisés par ailleurs (voir le chapitre ‘The gender paradox’ dans Labov, 2001).

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possèdent le même profil. Mais notons que Josette ne semble pas être de celle-ci. Elle ne se sent pas visée personnellement par le regard externe qu’elle m’attribue. Comme le signalent les approbations des autres dans l’extrait, elle représente la voix du groupe, ce qui expliquerait l’usage du pronom on (on parle mal) au lieu du pronom personnel je qui serait pourtant plus approprié ici, car personne, à part elle, n’a adressé la parole aux membres du groupe rival qui venaient de passer. Josette parle donc ‘en général’. Il m’a souvent paru que son statut de leader du groupe s’accompagnait de cette contrainte d’assurer ‘les relations publiques’ avec les gens extérieurs. Elle semble parfaitement savoir ce que ‘l’Autre’ connaît des comportements langagiers de sa communauté dont elle se charge d’être le porte-parole. En niant la connaissance du mot caillera, je cherchais à me distancier de cet ‘Autre’, ce qui n’était pas difficile pour une étrangère.

��Le prétendu « code local »

Un autre personnage central du même groupe Nicole M., une jeune fille d’origine congolaise, se chargea aussi de m’initier, une ou deux fois, au « code local » de sa communauté. L’échange suivant eut lieu dans une salle de classe, la seule fois où, avec l’autorisation du professeur, j’ai été invitée à rejoindre le groupe à un cours de chant. J’ai eu l’honneur d’assister aux derniers préparatifs d’un spectacle de fin d’année dont les détails devaient encore être gardés secrets devant les autres élèves de l’école. Assise au fond de la salle pour ne pas créer de distraction, je me fais brusquement interpeller par Nicole qui, comme je l’apprends plus tard, venait d’utiliser « une expression locale » pour exprimer son contentement à sa voisine. Elle a dû se souvenir de mon ignorance en la matière23 à ce moment-là, d’où l’échange que j’ai noté sur les lieux (N = Nicole, E = enquêtrice, P = professeur de chant) :

N : c’est de la balle Madame c’est de la balle ! E : [regard perdu, ne comprenant rien] N : c’est de la balle ça veut dire c’est génial… c’est les Quat’-Mille

24 pour vous

Madame ! E : les Quat’ Mille ?! N : ouais… P : elle veut dire que c’est une expression qu’ils ont là-bas aux Quat’-Mille E : ah bon ? N : ouais… on en a plein… les Français savent pas c’ que ça veut dire ! [note du matin du 10 mai 2001, en salle de cours]

Ne connaissant pas cette expression, j’ai décidé de mener une mini-enquête dans mon entourage. J’ai commencé par le professeur de musique qui a confirmé l’interprétation de Nicole : selon lui il s’agissait d’une expression née et utilisée dans « les cités ». A la question de savoir dans laquelle (il y a plusieurs cités à La 23

Nicole n’était pas présente lors de la scène d’insulte où ‘ mon ignorance’ à propos du mot caillera s’est manifestée pour la première fois. Le fait qu’elle était au courant indique qu’à peine un mois après l’incident, ma réputation ‘d’étrangère totale ’ était solidement ancrée. 24

La cité des Quatre-Mille est la plus connue de La Courneuve depuis les émeutes des années 1980. Elle constitue l’objet de l’ethnographie de D. Lepoutre (1997).

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Courneuve), le professeur n’avait pas de réponse à me donner. Il ajouta, néanmoins, que les nouveaux mots « se transmettent vite ici ». Le même jour, j’ai interrogé environ trente autres locuteurs français à l’école, à une soirée de travail et dans ma belle-famille. La plupart d’entre eux affirmaient avoir déjà entendu, mais n’avoir encore jamais utilisé cette expression. En revanche, pratiquement tous, tout âge confondu, savaient ou devinaient qu’il s’agissait d’une expression positive.

Est-ce que c’est de la balle appartient donc au ‘code local’ des jeunes des Quatre-Mille ? La réponse est négative, car si l’expression n’appartenait qu’à la cité de Nicole, une poignée de Français des classes moyennes choisis au hasard n’en possèderaient pas une connaissance passive. Est-ce que l’expression peut être en train de transiter de la cité vers la communauté plus large ? Là encore, toute réponse reste largement spéculative. Il y a, en effet, des mots et des dénominations propres aux habitants d’une cité, et même d’un endroit dans la cité.25 Les habitants de la partie Nord des Quatre-Mille possèdent, par exemple, des toponymies différentes de ceux des habitants de la partie Sud pour désigner les mêmes lieux (Lepoutre, 1997 : 50), ce qui permet aussi d’envisager que des « expressions » figées du type c’est de la balle ne soient utilisées, du moins au départ, que dans une seule cité. (Un exemple communiqué plus loin semble, du reste, soutenir cette conclusion.) Mais les précautions s’imposent, car on trouve aussi beaucoup de représentations mythiques chez les jeunes à propos de leurs cités, comme celle qui établit, par exemple, un lien général entre l’insécurité et la géographie du quartier : « Comme aux États-Unis, c’est pareil, les quartiers chauds, ils sont au nord » (idem). Donc les réalités et les mythes à propos des usages dans la cité ne sont jamais très loin. Selon les ethnologues, cet investissement mental dont la cité fait l’objet de la part des adolescents s’explique par leur enracinement profond dans le quartier qui « constitue un support majeur de l’identité adolescente » (Lepoutre, 1997 : 43, citant C. Bachmann).

Nicole, en affirmant que l’expression en question vient des Quatre-Mille (C’est Les Quat’-Mille), peut donc tout autant nous informer d’une innovation lexicale en processus réel de transmission vers le français familier, qu’attribuer à sa communauté, ‘par défaut’, une expression unique mais dont les origines sont incertaines ou devenues obscures. L’essentiel est que les innovateurs — réels ou fictifs — sont les mêmes dans les deux cas : les jeunes du « quartier ».

La fierté d’être ‘une mine d’idées nouvelles’, pour ne pas dire la revendication d’un tel statut, s’appuie certes souvent sur le langage, mais aussi sur tout élément entrant dans la construction de l’identité d’un adolescent : vêtements, coiffure, etc.. Ainsi, la plupart des jeunes filles avec qui j’ai eu l’occasion d’interagir croyaient fermement que leur habillement représentait « la mode des banlieues » copiée dans « d’autres quartiers ». Par exemple, la redingote de jeans délavé et les pantalons très larges (appelés baggis du mot anglais bag ‘sac’) avec des inscriptions chinoises brodées sur une jambe étaient si massivement portés par les jeunes filles au printemps 2001 que le professeur de musique, qui avait une bonne relation avec le groupe de Josette, m’a raconté qu’un jour il avait initié une

25

La journaliste Catherine Génin (Le Monde, le18-1-1996) cite les propos de A. Bégag qui compare les différences d’usage du français d’une cité à l’autre à celles « des vallées patoisantes ».

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conversation en classe sur ce qu’il appelait « l’uniformisation vestimentaire » chez les jeunes filles du collège. Quelques jours plus tard, il a pu assister, dit-il, à une véritable transformation autour de lui : une bonne parties des jeunes filles commençaient à porter des vêtements extravagants26. Quant à la prétendue « mode des banlieues » copiée ailleurs, elle s’est également avérée un mythe, car il a suffi d’errer dans les quartiers des Halles pendant la même période pour voir exposés dans les vitrines de Benetton, entre autres, les mêmes tissus et les mêmes vêtements que les jeunes filles prétendaient être les seules à porter. En revanche, une visite-éclair avec Lola et une autre surveillante de l’école un après-midi au marché d’Aubervilliers, l’une des sources d’habillement pour les jeunes filles de la cité, m’a permis de voir une grande quantité d’imitations de vêtements de marque !

Il me semble, donc, que « le code local » langagier, vestimentaire ou autre des jeunes des banlieues est, en grande partie, une fiction. Mais c’est une fiction qui est entretenue par la perception des usages locaux comme des usages singuliers, propres au groupe. Les motivations d’une telle perception peuvent être nombreuses. Le désir de se faire remarquer, ‘the urge to stand out’, est apparemment si fort à cet âge-là qu’il serait étonnant qu’un adolescent que l’on dit porteur d’une mode ou d’une variété langagière « toute nouvelle » refuse d’endosser une telle assignation ! La revendication du statut de l’innovateur pour des raisons identitaires, telles que la révolte contre une injustice sociale ou la perception d’un isolement social réel, comme beaucoup d’auteurs le pensent, reste également probable. Dans les deux cas, l’adolescent chercherait-il à maximiser son capital symbolique sur un marché trop volatile des biens culturels ? La question reste ouverte.

L’important, il me semble, est de chercher à comprendre les mécanismes de l’émergence et de la transmission de ces ‘innovations’. H. Boyer (2001) suggère, à ce propos, que dès que les dernières innovations lexicales non standard deviennent d’usage courant, les groupes tenant à signaler leur marginalité par des moyens linguistiques éprouveraient le besoin d’innover à nouveau. A cela, on doit ajouter qu’il s’agit vraisemblablement d’une « boucle » : la transmission des innovations fonctionne aussi dans le sens inverse, car les jeunes ne sont pas nécessairement toujours les innovateurs. Les médias, comme on l’a vu plus loin, mais aussi les industries de la musique, de la mode, des textiles… etc. cherchent, à leur tour, à offrir des ‘montages d’idées innovatrices’, mind candy for a hungry public (Eckert, 2003 : 116) à leurs principaux consommateurs : les jeunes des milieux populaires. Et ce processus de transmission continue dans les deux sens tant que les médias sont vus et lus par les jeunes, et tant que les adolescents éprouvent le désir de se distinguer… à l’infini.

��Innovations spontanées

Le problème actuel avec cette hypothèse est qu’on sait très peu des mécanismes d’innovation au sein des groupes d’adolescents. On arrive, comme j’ai tâché de le montrer, à retracer le « montage » d’une certaine image des faits

26

J’ai vu, moi-même, des combinaisons tout à faire hors du commun, comme par exemple un fichu de gitanes noué autour des hanches et au-dessus des jeans roses ! [note à propos de la tenue de Farah T., élève de troisième année et amie de Josette I., en juin 2002]

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dans les médias, mais on ne sait pas si une « contrainte d’innover » existe réellement, et si oui, quels en sont les mécanismes. Pourtant les questions ne manquent pas : Comment les mots émergent-ils? Quelles sont les sources des innovations ? Est-ce que le plurilinguisme urbain est une condition préalable à l’émergence d’un grand nombre de nouveaux vocables non motivés dans la langue de la majorité unilingue ? Qui initie et rejette les innovations au sein du groupe, et pour quelles raisons ?

Les exemples suivants d’innovations spontanées qui m’ont été communiqués ou que j’ai vu émerger moi-même lors de mon enquête n’apportent, bien évidemment, aucune réponse définitive à ces questions. Je les communique ici pour entamer la discussion sur l’émergence des innovations lexicales dans quelques contextes interactionnels réels, ce qui est bien peu pour pouvoir en tirer des conclusions générales. Contrairement à certaines idées reçues qui pourraient faire apparaître les innovations comme les résultats d’un processus créatif valorisant pour son ‘créateur’, les innovations qui suivent paraîtront probablement banales, ou au contraire trop bizarres, et donc dignes de disparaître dans l’oubliette du temps. Mais c’est précisément là, leur intérêt : elles permettront peut-être de bousculer certaines idées reçues.

��Mots « obsolètes »

Les sources possibles des innovations lexicales m’ont paru très variées, mais parmi les exemples que j’ai pu relever sur le terrain, les plus nombreux impliquaient des mots inventés ou d’origine étrangère 27 , ainsi que des mots existants mais soit devenus obsolètes, soit inconnus des jeunes qui croyaient donc les avoir inventés.

L’échange suivant présente un cas où le nom d’une marque de boisson qui n’est plus commercialisée en France, mais dont les moins jeunes se souviennent encore bien, est reprise dans un sens tout à fait différent de l’original. L’exemple suivant m’est rapporté par Lola, une étudiante de 20 ans d’origine multiethnique qui travaillait deux fois par semaine comme surveillante à l’école, et qui faisait aussi du tutorat pour les élèves d’école élémentaire dans la cité des Quatre-Mille28. Lola est la seule personne que j’ai interviewée directement au sujet du langage des élèves, car elle n’appartenait plus à la tranche d’âge des jeunes dont les comportements langagiers m’intéressaient en premier lieu. Sa maturité et son statut de personnage à la fois intérieur et extérieur au milieu du collège m’ont beaucoup guidée dans mes observations (E = enquêtrice, L = Lola, # = pause courte, […] = distractions hors sujet).

E. et c’est vrai qu’il y a des expressions qui sont typiquement des Quat’-Mille ou d’autres cités comme ça ? L : ouais chais pas # ouais ouais # je pense que ouais parce que par exemple je sais que les expressions qu’on emploie dans mon quartier # ben tu sais ici on emploie pas les mêmes quoi

27

Ne parlant pas de langues africaines ou asiatiques, il ne m’était pas toujours facile de savoir s’il s’agissait de l’un ou de l’autre. 28

C’est avec elle que j’ai visité une ou deux fois la cité des Quatre-Mille (où je n’ai pas fait d’observations, ni d’enregistrements.)

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E : les quoi par exemple ? L : pffff ! ça chais pas E : ça c’est marrant alors # tout le monde dit qu’ ça existe mais quand je demande un exemple c’est difficile … L : oui c’est dur franchement chais pas E : oh ben quand tu pourras y penser… L : par exemple chais pas par exemple une fois j’ parlais avec une p’tite et tout # et puis elle m’ dit ouais # il a fait ça brut de pomme # mais j’ dis ça veut dire quoi ça brut de pomme # elle dit ben ça veut dire vite fait # tu vois E : brut de pomme c’est pas une boisson ? L : si c’est une boisson en plus # tu vois j’ dis c’est quoi ça # et elle m’ dit ça veut dire vite fait E : ah oui ? et elle était d’où ? L : elle habite aux Quat’-Mille aussi # elle habitait au Mail29 j’crois parce que j’ai eu aussi sa p’tite sœur dans mon centre […] L : tu vois il y a des # il y des p’tites expressions comme ça quoi # mais j’ vois ouais quand j’ suis arrivée ici i’ sortaient des expressions que # oui que nous on dit pas # pourtant je suis jeune moi aussi… [enregistrement, entretien avec Lola le 29 mai 2001]

La remotivation du sens de Brut de pomme, une marque de jus de pomme

maintenant largement remplacée par Minute Made, donc un mot potentiellement obsolète pour les plus jeunes, illustre bien que les innovations lexicales ‘du moment’ peuvent, littéralement, s’inspirer de tout et de n’importe quoi. La petite fille d’école élémentaire ne connaissait probablement plus la marque, mais elle a pu encore en lire le nom ou l’entendre mentionner dans certains contextes30. Alors qu’il y a peu de chance que cette ‘innovation’ quitte le groupe de la petite fille et soit reprise par une communauté plus large, on connaît des exemples qui ont eu un succès remarquable. Certains mots du vieil argot parisien, dont clope (f.) pour cigarette (f.) et tune (f.) pour argent (m.) semblent n’avoir jamais quitté le langage jeune depuis le temps où ils ont été repris par le français populaire31, alors que d’autres sont rescapés des temps aussi lointains que celui de Villon32, perçus et réutilisés dans les parlers populaires comme dernières innovations lexicales.

Le langage des jeunes en France n’est pas le seul à ‘ recycler ’ les éléments du passé tombés dans l’oubli. Dans le parler des jeunes lycéens de la région de Londres, par exemple, A.-B. Strenström et ses collègues (2002 : 158) observent la réapparition de l’adverbe well devant une variété d’adjectifs (‘well nice’ bien gentil, ‘well funny’ bien drôle) où l’anglais britannique contemporain ‘standard’

29

Un bâtiment appelé mail de Fontenay dans les Quatre-Mille Sud (voir Lepoutre, 1997 : 54). 30

Que le nom de la marque « Brut de pomme » ait pu être motivé par « brut de décoffrage et assimilés », une expression existante dans la langue, n’a aucune incidence sur l’effet de nouveauté que le sens nouveau de l’expression produit dans la situation d’interaction. 31

Selon A. Valdman (2000), le français populaire a intégré les différentes formes d’argot qui caractérisait à l’époque les populations marginales de la capitale. 32

D’après F. Gadet (communication personnelle).

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n’autorise pas son usage33. Mais l’extension ‘innovatrice’ de la portée syntaxique de well à tous les adjectifs fut une pratique linguistique courante au XVIIIè siècle, progressivement tombée en désuétude, et revigorée actuellement dans les parlers jeunes.

A part les mots anciens, l’élargissement du sens de certaines expressions courantes, souvent par un malentendu, semble également constituer une source d’innovation. L’échange suivant a été enregistré un mercredi34 devant le collège, peu après la sortie des classes, en compagnie de Josette, Farah et un petit cortège des filles du groupe. Trois garçons de cinquième d’un autre collège de La Courneuve sont, apparemment, venus rencontrer quelques-unes des filles, mais sans succès. En compensation, ils cherchaient à attirer l’attention de Josette qui tolérait mal que ces « petits » cherchent à la provoquer (G = chef du groupe des garçons, J = Josette) :

G. elle est où Cynthia ? J : chais pas… va là-bas, toi… [échanges divers pendant quelques secondes] G : ouais mais elle est où… [chevauchements de voix ] elle a disparu cul sec ! [enregistrement, échanges spontanés le 9 mai 2001]

L’expression cul sec surprend dans ce contexte, car elle subit une extension sémantique par rapport à son sens original qui est : faire cul sec en buvant, donc vider le verre d’un trait, boire d’un seul coup. On peut, certes, disparaître d’un trait ou complètement, si on préfère un autre synonyme, mais on disparaît rarement cul sec ! La plus petite ‘remotivation sémantique’ peut donc servir de moyen pour distinguer son usage langagier des autres, et par conséquent donne une chance à la « nouvelle » expression d’être adoptée par le groupe.

Un autre exemple de ce type a émergé lorsque j’ai assisté à l’emploi du mot ringard dans un sens différent de son sens attesté dans les dictionnaires. Le ‘ lancement ’ même du mot remonte à un échange court dont je n’ai gardé qu’une trace dans ma mémoire, mais que j’ai eu avec Farah à propos de nos manières de s’habiller. Lors d’une récréation, je lui ai fait remarqué que, contrairement à elle, j’étais toujours habillée de façon peu originale. Pour faire passer cette idée, j’ai utilisé le mot ringard avec une connotation négative, donc synonyme de démodé, médiocre, sans valeur (Le Petit Robert 1988 : 1719). Comme Farah n’a fait aucun commentaire à ce moment-là, je ne me suis pas rendu compte qu’elle ne connaissait probablement pas le mot. Je l’ai compris, en revanche, le même jour ou le lendemain quand j’ai noté ses propos adressés à Sabine, B., sa meilleure amie (F = Farah ; S = Sabine) :

F. et ça tu trouves ringard ça ? S : ouais, c’est chouette… ça t’ va bien !

33

L’adverbe well peut modifier des constructions adverbiales (‘well in advance’ bien en avance), des participes passés ou des d’adjectifs participiaux (‘well equipped’ bien équipé, well qualified’ bien qualifié/ formé). 34

Le mercredi, la sortie des classes se faisait à midi. Les élèves n’avaient pas cours dans l’après-midi.

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[note du 27 juin 2001]

Selon une interprétation possible35, Farah aurait accordé un sens positif à l’adjectif ringard dont elle ignorait le sens exact. Vraisemblablement grâce à mon prestige au sein du groupe, elle l’aurait interprété comme valorisant, et donc l’aurait appliqué à elle-même et à d’autres membres du groupe. Ce qui semble soutenir cette interprétation est l’observation, malheureusement très courte, que j’ai pu faire par la suite : le mot a circulé au sein du réseau d’amies de Farah dans la même connotation positive que j’ai observée pour la première fois (ci-dessus). Je l’ai entendu une fois de Farah dans un échange avec d’autres membres du groupe de Josette [28-6-01], et une fois de Sandra, une autre amie de Farah, discutant avec une jeune fille extérieure au groupe [29-6-01]. L’année scolaire ayant pris fin peu après, je n’ai pas pu continuer à retracer l’évolution du mot au sein du réseau.

��Mots « étrangers »

L’une des caractéristiques principales de la « variété » du français parlé par les jeunes des banlieues seraient les emprunts des différentes langues étrangères parlées par les élèves. Il est vrai que certains mots venus de l’arabe, par exemple, étaient d’usage courant dans le collège, et que je les ai vite assimilés moi-même36, mais il m’était souvent difficile de classifier les mots que je ne connaissais pas. S’agissait-il d’emprunts ou de mots inventés par les élèves à l’occasion d’une vanne ou d’un rituel de « drague » ?

Je ne saurai vraisemblablement jamais la vérité à propos du mot central de l’échange suivant que j’ai enregistré le même jour où trois garçons extérieurs du collège sont venus rencontrer quelqu’un du groupe de Josette (voir l’échange à propos de Cynthia ci-dessus). De plus en plus frustrés d’être ignorés par les jeunes filles, le leader du groupe des garçons a entrepris de capter l’attention de Josette. L’extrait suivant dure pendant plus de cinq minutes pendant lesquelles le mot doumba37 est lancé à multiples reprises par le chef des garçons. Le mot est repris et répété par les autres garçons, ensuite oublié pendant quelques secondes, et à nouveau relancé par le chef des garçons. Me trouvant juste à côté, en train d’enregistrer, ce schéma répétitif dans l’interaction finit par m’intriguer. Je pose donc la question qui ouvre l’échange suivant, ne comprenant que plus tard que Josette cherchait à éviter de commettre cette erreur depuis plusieurs minutes (E = l’enquêtrice, G = un garçon, C = le chef du groupe des garçons, J = Josette) :

[…]

E. c’est quoi doumba ? C : doumba ça veut dire cochonne G : ça veut dire quoi comment tu dis ça ?

35

Je remercie l’un des lecteurs de cet article qui m’indique une interprétation concurrente : il se peut que Farah ait utilisé ringard dans un sens positif, parce qu’elle trouvait mon style vestimentaire rétro, baba cool, donc démodé mais tout de même digne d’appréciation. 36

Il s’agit, entre autres, de ‘cochon’ halouf, répertorié aussi par B. Seguin et F. Teillard (1996). 37

N’ayant jamais réussi à retrouver le sens de ce mot, j’adopte ici l’orthographe qui me paraît la plus proche de la prononciation du mot.

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E. oui traduisez-le-moi [obscénités, divers échanges, chevauchements] C : doumba yakawa [échanges à propos du meilleur collège à La Courneuve que chaque affirme être le sien] C : attention à ton slip ! [pas de réponse des filles] C : vous prenez votre douche ? J : ha cochon ! C : combien d’années ? G : combien de fois, tu veux dire ! C : d’année, moi, j’dis ! Combien d’ fois ? J : une fois C : mais tu l’as pris ! J : une fois C : mais tu l’as pris ! J : ben ouais moi j’ suis pas comme certains esclaves là…. pas tous les jours… C : mais tu l’as pris… réponds à ma question ! J : ha ça m’énerve ! C : mais combien de fois ? J : ouais une fois C : à poil ou en maillot d’ bain ? J : vas-y toi ! C : mais réponds ! J : va là-bas ! C : à poil ou en maillot d’ bain ? G : …qu’elle a beaucoup d’ poil… J : [hurlant] mais vas-y… vas-y va parler là-bas tu m’énerves ! C : doumba yakawa

[échanges de vannes entre d’autres membres des deux groupes] […]

[enregistrement, filles et garçons le 9 mai 2001] On comprend, grâce au contexte où il émerge, que le sens et l’origine du

mot doumba importent peu : c’est plutôt le rôle que le mot joue dans l’interaction entre les deux groupes qui retient notre attention. Qu’il soit emprunté ou inventé, qu’il signifie cochonne (au féminin !) ou non, le mot sert d’appât pour accaparer l’attention des filles. Le déroulement de l’interaction en témoigne fort bien : dès que le « harcèlement » avec ce mot, inconnu de tous sauf du chef du groupe des garçons (!), parvient à capter l’attention de quelqu’un dans le groupe des filles (la mienne, dans ce cas), les barrières de communication entre les deux groupes sont franchies. Bien que Josette se soit longtemps tenue à l’écart, se gardant bien de réagir aux vannes des garçons, ma question innocente à propos du sens du mot inconnu a permis aux garçons d’entrer en interaction avec le groupe. Hésitante de s’engager dans l’interaction, Josette savait probablement que les garçons cherchaient à « se payer la tête » de quelqu’un dans le groupe, cherchant à la couvrir d’un déluge de vannes et d’insinuations sexuelles. La nature essentiellement cryptique des mots étrangers ou inventés 38 peut donc être mobilisée au profit du locuteur dans les rituels d’injures et de vannes dont se revendique l’interaction précédente. De tels mots constituent une menace potentielle contre ‘la face’ de l’interlocuteur (Brown, Levinson, 1987) qui, 38

y compris des mots verlanisés inconnus pour l’interlocuteur.

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ignorant leur sens, peut les voir déployés à son insulte ou ridicule. Néanmoins, la plupart des ‘innovations’ de ce type ne survivent probablement pas aux situations de joutes oratoires (Lepoutre, 1997) ou de ‘drague’ dans lesquelles elles émergent. Les insérer dans un simple inventaire de mots ou un dictionnaire « typique » aux parlers des jeunes des banlieues me semble donc moins révélateur que de chercher à découvrir leur rôle dans les situations d’interaction réelles.

��CONCLUSION

Contrairement à l’image schématisée que les médias et certains travaux des linguistes nous offrent à propos des néologismes attribués aux ‘jeunes des banlieues’, les cas réels d’innovation lexicale paraissent hétéroclites et souvent arbitraires. Ils se nourrissent de mots réels et fictifs, désuets et parfois mal compris, donc d’un répertoire riche de mots « bien français », et s’inscrivent dans un ensemble d’activités langagières caractérisant les groupes et les individus. Comme le suggèrent les cas présentés ci-dessus, les innovations font partie de ce que J. Billiez et C. Trimaille (2001 : 116) appellent « un processus permanent de redifférenciation » des individus au sein du groupe et vis-à-vis d’autres groupes. Pour les locuteurs croyant utiliser des expressions « bien à eux », les ‘innovations’ signifient une solidarité envers le groupe et une distinction par rapport à la communauté linguistique plus large. Pour d’autres, les mots innovateurs deviennent un outil de manipulation ou, au contraire, une menace potentielle dans les interactions comme les rituels d’injures ou de drague. Les ‘innovations’ sont donc inséparables de leur contexte interactionnel, et la façon dont elles permettent aux jeunes de « définir et de décliner [leur] identité et de renforcer la cohésion [de leur] réseau » (Calvet, 1994 : 69) du groupe reste encore à découvrir. Pour y parvenir, les enquêtes par immersion participante et non directive doivent être privilégiées, et toute simplification des faits évitée.

Zsuzsanna Fagyal [email protected]

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Ángeles Vicente Instituto de Estudios Islámicos y del Oriente Próximo (IEIOP)

Université de Saragosse Espagne

LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA UN EFFET DU PROCESSUS DE KOINÉISATION MAROCAINE

��INTRODUCTION

La ville de Ceuta, située près du Détroit de Gibraltar et possédant une surface de 19 km2, fut conquise par le Portugal en 14151 et passa sous contrôle espagnol au XVIe siècle à l’époque de Philipe II, lorsque les couronnes d’Espagne et du Portugal furent réunies par le même roi. Après la séparation des deux royaumes, la ville resta sous souveraineté espagnole. Du XVIe au XIXe siècle, le rôle joué par la ville fut donc celui d’une enclave fortifiée avec différentes fonctions, principalement défensive jusqu’au dernier quart du XIXe siècle. Dès ce moment, l’expansion économique et sa situation en tant que port libre provoquèrent une augmentation de population, et Ceuta devint une ville.

Avec la structuration de l’État espagnol dans un système d’autonomies, respectant la norme stipulée dans la Constitution espagnole de 1978, la ville de Ceuta a fait partie de la province de Cadix, Communauté Autonome de l’Andalousie. Le 13 mars de 1995, un nouveau statut est signé dans lequel Ceuta devint une ville autonome, de même que Melilla, l’autre enclave espagnole sur la côte africaine. C’est justement sa situation géographique entre deux continents, l’extrême nord de l’Afrique et le sud de l’Europe, qui a joué un rôle fondamental dans le devenir de la ville et l’histoire de son peuplement. Il s’agit donc d’un endroit très intéressant pour les études scientifiques de plusieurs disciplines, comme, par exemple, la sociologie, l’anthropologie ou l’ethnographie. La coexistence aussi de deux langues qui date d’un siècle et demi nous fournit un cas intéressant d’étude pour la sociolinguistique, car on a une société bilingue dans 1 Avant cette date, l’espace géographique qu’occupe aujourd’hui la ville autonome de Ceuta était

depuis l’antiquité habitée par divers peuples : phéniciens, carthaginois, romains, vandales, byzantins, et musulmans. Au moment de l’invasion portugaise, elle était sous pouvoir musulman, soit en faisant partie du territoire d’Alandalús, soit du territoire du Maghreb. En effet, ces deux espaces géopolitiques ont partagé à divers moments un espace commun dont Ceuta faisait partie. Ils ont parfois constitué deux entités politiques différentes et Ceuta dépendait politiquement de l’un ou de l’autre selon le moment

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laquelle on trouve les pratiques langagières caractéristiques de sociétés multilingues.

Aujourd’hui cette ville est donc un endroit où l’on trouve l’existence de deux cultures dominantes depuis le dernier quart du XIXe siècle, une chrétienne et une autre musulmane2. Cette population musulmane provient principalement du territoire marocain qui l’entoure 3 , caractéristique qui sera décisive pour l’explication de la situation linguistique de la ville, car cette population est très souvent d’origine ��bli, c’est-à-dire de la région de ����� située juste de l’autre côté de la frontière. Donc, par rapport à la langue arabe, on va y trouver des traits dialectaux semblables aux dialectes marocains voisins, c’est-à-dire, les dialectes montagnards du Nord du Maroc. Mais en plus de cela, il y a aussi à Ceuta une population qui provient d’autres régions marocaines, surtout du R�f, les Rw�fa, et de la région du S�s, les Sw�sa4, ce qui aura pour conséquence une influence sur le dialecte de Ceuta de plusieurs dialectes marocains et d’autres langues, comme c’est le cas de l’espagnol et du berbère, dont il faudra tenir compte pour ainsi comprendre les différents phénomènes linguistiques qui y ont eu lieu.

Dans ce travail, nous allons voir comment le dialecte arabe parlé dans cette ville évolue aujourd’hui, surtout pour les générations plus jeunes. Il faut donc souligner que le parler arabe des jeunes musulmans de Ceuta est très représentatif de la situation sociolinguistique dans laquelle ils habitent. Il s’agit d’une communauté linguistique où les dynamiques sociolinguistiques sont contrôlées par une relation asymétrique de pouvoir entre le statut de la langue arabe et celui de l’espagnol.

Il s’agit d’étudier le changement linguistique en se fondant sur des données recueillies d’une façon empirique avec la réalisation d’un travail de terrain dans la zone en 2002-20035. J’émets l’hypothèse que le processus de koinéisation que l’on peut voir aujourd’hui au Maroc apparaît aussi dans ce dialecte qu’on peut considérer en plus comme un dialecte arabe en situation de migration. Cela est dû, bien évidemment, à la situation géographique de Ceuta, car elle possède une frontière politique mais pas géographique entre la ville et le Maroc. Cette situation amène la population arabophone de Ceuta à être en contact quotidien avec le dialecte marocain à travers des milliers de personnes qui traversent chaque jour la frontière pour travailler dans la ville et qui proviennent surtout de la province de Tétouan6. De plus, il y a aussi le passage continu des habitants de Ceuta qui, grâce

2 Ceuta compte également une communauté juive et une autre hindouiste mais les deux sont très

minoritaires. 3 Voir Planet Contreras (1998), qui montre l’évolution de la présence de population musulmane à

la ville de Ceuta. 4 Il s’agit de deux groupes berbérophones, cependant ils ne parlent pas le même dialecte de la

langue berbère. Les premiers parlent le tarif�t, le berbère du nord, et les autres le taš�l��t un dialecte berbère du sud. Néanmoins, ces derniers sont considérés bilingues, car ils parlent aussi la langue arabe (Moscoso 2002 : 11.). 5 À l’heure d’étudier le changement linguistique, il faut tenir compte que les variations réalisées

aux dialectes arabes sont d’abord influencées par le statut relatif des variétés linguistiques marquées socialement, et pas par le statut des caractéristiques linguistiques par rapport à l’arabe classique (Al Wer, 2002 : 46). 6 D’après P. Soddu (2002 : 20-21), il s’agit de 20 000 marocains qui traversent la frontière chaque

jour pour travailler ou faire des achats à Sebta (Sebta est le nom arabe de la ville de Ceuta. NDE).

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aux autorités espagnoles et marocaines, peuvent aller de l’autre côté de la frontière, faire des achats, partir en vacances, etc., leur facilitant ainsi la traversée de la frontière.

Par rapport au parler, d’une part, on peut constater une première évolution en ce qui concerne l’arabe marocain dans l’imitation des traits des dialectes les plus prestigieux du Maroc7, et d’autre part, une deuxième évolution en ce qui concerne la langue espagnole, avec l’apparition des pratiques langagières qui ont des parallélismes dans des situations similaires8. A cause de cela, on va trouver à Ceuta des cas d’emprunts, d’interférences et de codeswitching, surtout dans les cas du parler des plus jeunes qui se caractérise par une utilisation du codeswitching arabe marocain-espagnol avec des fins identitaires (Vicente, 2004).

Ce panorama est le résultat du lieu de passage ou de transition où ils se trouvent. La génération qui habite précisément dans une culture intermédiaire entre la culture d’origine et la culture d’accueil, nommée « culture interstitielle » (Billiez, 1992 : 117-126 repris par Calvet, 1994 : 269), est la même qui suit cette double tendance dans son évolution linguistique.

Donc, on verra dans ce travail trois parties : la première qui va a décrire ce processus de koinéisation qui caractérise les dialectes marocains. La deuxième qui montre comment le dialecte de Ceuta évolue vers cette koinè marocaine, en perdant beaucoup de ses traits ruraux surtout dans le parler des jeunes qui sont les pionniers du changements linguistiques. Enfin, on verra comment cette situation est différente de celle trouvée dans d’autres dialectes arabes en situation de migration.

��LE PROCESSUS DE KOINÉISATION DES DIALECTES MAROCAINS.

Par rapport à la langue arabe, la situation linguistique du Maroc est normalement décrite à partir du fait que cette langue s’est étendue au Nord de l’Afrique en deux vagues différentes, tant d'un point de vue chronologique que géographique. Par conséquent, on peut distinguer deux groupes des dialectes : les préhilaliens ou sédentaires qui appartiennent à la première vague d’arabisation (au VIIIe siècle), où il y a les dialectes urbains (il s’agit des vieilles cités Fès, Tétouan, Tanger, Rabat, Salé, et des parlers juifs) et les dialectes ruraux (les parlers de �����), et le hilaliens qui sont nommés dialectes bédouins parce qu’ils appartiennent à la deuxième vague d’arabisation réalisée par des tribus arabes (�������� ��������������� �����) arrivées au Maghreb au XIIe et XIIIe siècle. En plus, on sait bien que les parlers hilaliens (nommés aussi �����) sont assez homogènes, et que les variétés préhilaliennes montrent une relative diversité.

Cette classification est admise communément, mais elle a été nuancée grâce à l’avancée des connaissances sur la situation linguistique marocaine9, ce qui veut dire que cette simple dichotomie, parlers préhilaliens versus parlers hilaliens, 7 C’est à dire, les traits qui caractérisent soit la koinè casablancaise, soit le dialecte de Tétouan.

8 On trouve des situations similaires dans plusieurs pays de l’Europe, comme en France (voir

Boumans, Caubet, 2000) et aux Pays Bas (cf. Boumans, 1998). 9 Le travail plus récent de la situation linguistique du Maroc est celui de Heath (Heath, 2002). On

trouve ici une très bonne description des dialectes arabes musulmans et juifs de ce pays (sauf la koinè).

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n’était pas suffisante pour décrire tous les dialectes du Maroc, car il y a aussi des dialectes mixtes (Vicente, 2002). On connaît aussi la superposition des variétés dialectales, par exemple, on peut souligner l’existence de dialectes préhilaliens étant à la base d’un dialecte hilalien ; c’est le cas du Tadla ou Tafilalt (Lévy, 1993), mais aussi celui du dialecte de Marrakech dont l’évolution et la formation ne se comprend pas sans connaître l’histoire de son peuplement.

Malgré ces inconvénients, cette classification antérieure nous est utile pour avoir une idée générale et surtout pour nous aider à expliquer l’influence du processus de koinéisation dans ce pays qui est la conséquence directe de plusieurs phénomènes qui ont eu lieu au Maroc au XXe siècle, comme l’exode rural, l’urbanisation et la grande mobilité tant géographique que sociale, ainsi que la généralisation de l’éducation et la diffusion des média (radio, télévision et journaux).

Ce processus consiste en une tendance à la généralisation des traits d’un dialecte plus prestigieux, au détriment de ceux plus stigmatisés soit à cause de leur origine rurale (par exemple, les dialectes montagnards septentrionaux), soit pour faire partie d’un groupe social déterminé, par exemple, les dialectes juifs qui ont presque disparu surtout à cause de l’immigration, mais aussi à cause de ce processus d’assimilation linguistique.

La conséquence de tout cela est le surgissement d’une koinè, qui dans le cas du Maroc ne se forme pas (comme on aurait pu le croire) autour des vieux dialectes citadins, auparavant prestigieux mais est basée principalement sur les dialectes bédouins connus comme ����� (« rural, bédouin ») qui se trouvent dans la zone des plateaux septentrionaux du Moyen Atlas et une partie très significative dans la côte Atlantique, car ils sont la principale source de traits phonologiques et morphologiques de cette koinè émergente.

D’ailleurs, on voit que les dialectes urbains et ruraux, c’est-à-dire les plus anciens, ont presque disparu surtout chez les générations plus jeunes, car les dialectes des anciennes villes comme ceux de Tétouan, Rabat, etc., et les dialectes des zones rurales, comme ceux de la région de �����, sont stigmatisés, et révèlent l’origine du locuteur. On a expliqué l’origine de cette koinè moderne comme étant une variété parlée dans la zone centrale du Maroc partiellement urbanisée, donc comme une variété issue de l’urbanisation, mais aussi comme étant le résultat des effets d’une immigration rurale massive contribuant à l’expansion large des parlers locaux. Elle s’est donc formée dans des villes comme Mekhnès et Fès (même si elle n’est pas formée par les dialectes anciens des vieilles médinas), ou comme Rabat et Casablanca qui, après leur croissance économique très forte, ont eu leur propre immigration rurale. Cette koinè moderne est devenue la langue véhiculaire de la plupart des habitants du Maroc, tant par les arabophones que par les berbérophones. On a déjà eu quelques descriptions de cette koinè marocaine, comme celle de Caubet (1993), qui disait : « on assiste à un phénomène de koïnisation certain qui laisse cependant place aux particularismes (plus ou moins accentués) qui caractérisent telle ville, telle communauté ou telle tribu » (Caubet, 1993 : I).

Le dialecte arabe arrivé à Ceuta avec les premiers immigrants marocains, et parlé plus ou mois encore aujourd’hui par les habitants plus âgés de la ville, est un dialecte de type préhilalien et rural. Cela est dû à la provenance de cette

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population, car, comme on a déjà dit, la plupart étaient originaires de la zone rurale qu’il y a de l’autre côté de la frontière, la zone d’Anjra. Le dialecte de Anjra (Vicente, 2000), comme celui de Chaouen (Moscoso, 2002), tous deux au nord de la région de �����, se caractérisent par une très forte influence de l’andalou, par exemple sur leur système verbal, et ils sont des plus anciens et des plus conservateurs de la région.

Cependant, la langue des jeunes musulmans de Ceuta est en train d’évoluer, perdant beaucoup de ses traits ruraux et adoptant les traits de la koinè. Cette évolution est attestée partout au Maroc, mais ce qui arrive à Ceuta est différent pour deux raisons :

a) la première est que cette évolution est l’effet d’une double influence l’une provient du dialecte de Tétouan, le plus prestigieux du nord du Maroc, et l’autre de la koinè marocaine très probablement à travers le dialecte cité ci-dessus ;

b) et la deuxième raison est qu’il s’agit, comme l’on a déjà dit, d’un dialecte en situation de migration, qui se développe dans une situation de langue minoritaire, comme ceux qui existent dans les communautés marocaines de la diaspora.

��LE DIALECTE ARABE DE CEUTA : LE PARLER DES JEUNES FACE AU PARLER DES ANCIENS.

On va décrire maintenant quelques aspects du parler des jeunes de Ceuta et de ses différences avec celui des plus âgés. En réalisant cette comparaison, on va voir que les conséquences de l’action du processus de koinéisation sur le parler jeune de Ceuta sont de deux types : le changement de quelques variantes diastratiques d’après le genre qui sont devenues variantes diastratiques d’après l’âge, et l’adoption de quelques caractéristiques d’autres dialectes plus prestigieux. Ces deux phénomènes ont provoqué la disparition de quelques variables considérées comme archaïques ou très locales que l’on trouve dans le dialecte rural parlé pour les plus âgés mais qui ont disparu chez les plus jeunes.

�La disparition de la palatalisation de /a/. Cette première variable appartient au domaine de la phonétique et consiste en

la disparition de la palatalisation de /a/ en fin de mot et de phrase. Ce trait est caractéristique du parler féminin de quelques dialectes ruraux du

nord du Maroc (comme c’est le cas d’Anjra10) et des dialectes juifs (par exemple, les parlers judéoarabes de Sefrou et de Mekhnès11), qui aujourd’hui est en voie de disparition à cause précisément du processus de koinéisation déjà cité. On voit donc que cette palatalisation est une variante de type diastratique déterminée par le genre ou le groupe social, et existant dans quelques dialectes sédentaires anciens et encore peu touchés pas la koinéisation Également, lorsqu’il s’agit de dialectes musulmans, c’est aussi une variante qui distingue rural versus urbain, car elle n’existe pas dans les dialectes des villes anciennes, comme par exemple celui de Tétouan (Singer, 1958). Il faut dire aussi qu’elle n’est pas une variante diatopique, car elle n’est pas exclusive des dialectes occidentaux mais elle existe

10

Pour les dialectes ruraux voir, (Vicente, 2002 : 338). 11

Pour les juifs, voir (Stillman, 1981 : 236) et (Lévy, 1994 : 273).

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aussi dans les dialectes arabes orientaux, c’est le cas de quelques dialectes ruraux d’Égypte face au dialecte du Caire où cette variable n’existe pas (Woidich, 1994 : 499).

Pour le parler de Ceuta la situation est la suivante : on voit que ce trait existe encore chez les femmes les plus âgées, mais qu’il a disparu chez les plus jeunes tant chez les garçons que chez les filles ; ce qui veut dire qu’il n’est plus une variante diastratique déterminée par le genre (sauf encore chez les plus âgés) du parler jeune de cette ville, comme c’est le cas au nord du Maroc (Vicente, 2002 : 338), mais une variante déterminée par l’âge, en distinguant les parlers des deux groupes d’interlocuteurs.

Cette palatalisation est une réalisation de /a/ vers /æ/ ou /i/. Chez les femmes les plus âgées :

• ������� ��� au lieu de ��� ��� « apporte-moi un peu » • �� ������������� au lieu de ����� « une grande maison » • ������ au lieu de ������ « chez nous » • ���������� au lieu de ������� « il a vu la ville » • ������� ����� au lieu de ����� « nous avons

préparé le dîner »

• ����� �� ��� au lieu de ����� �� ��� « nous nous en allons »

• ����������au lieu de���� « son mari »

Chez les plus jeunes : • ���������� « chez la grand-mère » • ���������� « dans l’après-midi » • ������� « après demain » • ��������� «sa maison »

�Les diphtongues. Ce deuxième cas est aussi lié à la phonétique. Dans les dialectes maghrébins,

la situation des diphtongues est complexe (Marçais, 1977 : 17) ; on constate l’existence de diphtongues diachroniques qui peuvent se maintenir ou disparaître, et aussi l’apparition de diphtongues de création synchronique à partir de voyelles qui se scindent ou «d’accidents morphologiques » (Caubet, 1993 : 26). Cependant, on peut affirmer que les diphtongues ont généralement disparu des dialectes sédentaires (ayant comme résultat la réduction vers une voyelle longue), mais qu’elles existent chez les Bédouins (Aguadé, 1998 : 144) ; par contre on constate quelques exceptions qui donnent une vue d’ensemble plus complexe comme, par exemple, les dialectes montagnards dans lesquels elles peuvent disparaître ou se conserver, ou les parlers féminins dans lesquels leur apparition est devenue une variante caractéristique (Cohen, 1973 : 219).

Dans ce cas, je vais faire référence aux diphtongues qui appartiennent à la catégorie appelée par Ph. Marçais « diphtongues secondaires », c’est-à-dire, celles qui n’existent pas du point de vue diachronique et qui sont le résultat de

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l’évolution synchronique de diphtongaison d’une voyelle 12 . Ce sont les diphtongues /�y/ et /�w/ qui formées par une voyelle brève et une semi-consonne, procèdent de /-i/ et /-u/ finales et en fin de phrase et apparaissent dans n’importe quel environnement consonantique.

À Ceuta, comme à Anjra (Vicente, 2002 : 339), les informateurs qui prononcent ces diphtongues sont les mêmes qui réalisent la palatalisation de /a/, ce sont généralement les femmes âgées. Donc, on trouve la même situation que celle décrite ci-dessus : la disparition d’un trait chez les jeunes qui, à cause de l’influence du processus de koinéisation, est devenue une variante en fonction de l’âge, tandis qu’auparavant il était une variante diastratique déterminé par le genre chez les plus âgés.

Chez les femmes âgées :

• ����� « ma tête » • ������ « tôt » • ���� « chevreau » • ���������� « mon cube » • ���� « rien » • ��� ���������� « nous faisons des achats et prenons notre petit

déjeuner »

Chez les plus jeunes, ces mots sont réalisés de la façon suivante : • ���� « ma tête » • ����� « tôt » • ���« chevreau » • ��������� « mon cube » • ���rien » • ��� �� � ������« nous faisons des achats et prenons notre petit

déjeuner »

�La voyelle prothétique /�/ à l’impératif. Aux dialectes ruraux et septentrionaux marocains, ce temps verbal est

quelquefois formé avec une /�/ prothétique dont l’origine est considérée yéménite. Cette caractéristique pénétra au nord du Maroc à travers le dialecte andalou (Vicente, 2000 : 65-66)13, où son existence a déjà été montrée par F. Corriente (Corriente, 1989 : 95). Cette voyelle existe aujourd’hui dans les dialectes d’Anjra et de Chaouen (Vicente, 2000 : 64-66 et Moscoso, 2002 : 73-74), et plus concrètement il faut dire qu’elle apparaît dans les schèmes des verbes de type trilitères, assimilés et défectueux. Par contre, cette caractéristique n’a pas été recueillie pour l’instant dans d’autres dialectes du Maroc, mais elle existe dans

12

D’après Marçais (1977 : 18) : « C’est l’évolution rigoureusement inverse de la réduction de l’état de diphtongue à l’état de voyelle longue (…) : une voyelle longue se scinde en deux éléments ». Dans ce cas, la voyelle qui se scinde n’est pas longue parce qu’elle est située en fin de mot où la quantité vocalique est neutralisée en dialecte marocain (Caubet, 1993 : 25). 13

On a éliminé une origine berbère car l’impératif dans cette langue est formé avec les suffixes -em /-m. (Laoust, 1927 : 183).

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d’autres dialectes préhilaliens maghrébins, comme par exemple quelques parlers juifs (ex. : ceux de Tunis et de Argel14).

A Ceuta, cette caractéristique existe encore dans le parler des aînés (surtout chez les femmes, la même situation trouvée à �����), mais pas du tout chez les plus jeunes. Ce qui veut dire que l’on a ici encore un trait qui différencie le parler jeune du parler ancien dont résulte la disparition d’un élément très local qui dénonce la ruralité de l’interlocuteur.

Chez les plus âgés :

• ������ ��� « fais quelque chose ! » • ��������!"� « éteins la cassette ! » • ����"�� « taisez-vous ! » • �������#�� « va-t-en d’ici ! » • ����� $�% « achète le pain ! »

-Chez les plus jeunes :

• ������ $�%�"�&���« donne lui du pain et des dattes ! » • ��������& « dors et tais-toi! » • �&����'������ « écris la lettre vite ! » • �(� ) �(� ���������) �(� � ������ ���* « nettoie,

nettoie la rampe, fait la briller ! ». • �$� � ��� #���� ���%�%��+� «sors et fais comme ça dans la

rue! »

�Les désinences à l’accompli. Dans les dialectes ruraux du nord du Maroc, et par conséquent chez les

personnes plus âgées de Ceuta, la désinence de la première et deuxième personne du singulier à l’accompli est la même –&, tandis que dans le parler jeune de Ceuta on trouve une différence entre –& comme désinence pour la première personne et –&i pour la deuxième toujours au singulier. La forme commune est très habituelle dans quelques dialectes sédentaires maghrébins, tant ruraux que juifs15, tandis que l’utilisation de –&i pour la deuxième personne est un trait très généralisé aujourd’hui partout au Maroc. Il existait d’abord aux dialectes hilaliens, comme par exemple celui de Casablanca (Aguadé, sous presse), en passant après á la koinè et d’ici à quelques dialectes préhilaliens urbains comme celui de Tétouan (Heath, 2002 : 220 et Caubet, 1993 : 31). On trouve aussi au Maroc quelques autres dialectes hilaliens qui font une distinction entre les genres à la deuxième personne du singulier de cette conjugaison suffixale, avec –& au masculin et –&i au féminin, par exemple on a le cas de Sk�ra, le ��������� et les parlers de la vallée du ���16

. 14

Pour le dialecte juif de Tunis voir Cohen (1975, II : 94) et pour celui d’Argel Cohen (1912 : 247). 15

D’après Corriente (1992 : 35), la confusion de genres caractéristique des dialectes préhilaliens marocains est une influence de l’andalou sur les dialectes du nord de l’Afrique. 16

Celui est le cas par exemple du dialecte de Sk�ra (Aguadé/Elyaacoubi, 1995 : 37 et Caubet (1998 : 168).

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Or, on a ici l’exemple de l’influence des dialectes plus prestigieux sur le parler des jeunes de Ceuta, il faut dire que cette influence peut et a pu se produire soit par l’intermédiaire du dialecte de Tétouan, soit par celui de la koinè.

Chez les plus âgés :

• ���&����������������� « tu as mis le foulard sur ta tête » • ����&����������"������������"�* « tu as pris un taxi pour aller

au centre ville » • ���&"�&�����&�&�� « tu as commencé apprendre un peu » • ���&��������,« est-que tu es y allée avec ton mari ? • ��&���� ���,« est-que tu es venu tout seul ? »

Chez les plus jeunes :

• �+�&�#��������-���*����� « tu es resté comme ça chez mes cousins »

• ������&��*��*����� « tu as rempli ta poche » • &����&�&���� « tu as appris y aller » • ���&���� �&�� « tu es y allé avec ta tante » • �����&����������,« est-que tu as préparé ma repas ? »

�Le préverbe de l’inaccompli.

Finalement, et aussi à cause de l’influence des dialectes plus prestigieux, on trouve des différences dans l’utilisation du préverbe de l’inaccompli. On a beaucoup écrit sur les valeurs de ce préverbe dans les dialectes arabes et ses différentes formes, par exemple, le travail de Colin sur les diverses formes de ce préverbe aux dialectes préhilaliens (cf. Colin, 1935) 17 . Aujourd’hui, on a différentes formes en concurrence et dépendant de la zone du pays. Au sud du Maroc, il y a ��� et "��) pendant qu’au nord du pays c’est ��� et �� les préverbes plus habituels. A la koinè on trouve normalement la forme ��� (voir, Caubet 1993 : 32).

À Ceuta, on peut voir l’existence des deux préverbes caractéristiques du nord, c’est-à-dire ��� et �� mais avec un net recul du deuxième, car il n’existe que dans le parler des plus âgés, où quelquefois il disparaît aussi. On voit donc une utilisation du préverbe ��� très généralisée, surtout dans le parler jeune, comme il arrive par ailleurs au Maroc, dont la cause est l’influence d’un dialecte marocain plus prestigieux18.

Chez les plus âgés :

• ��&��������&�������� « la fille va à la maison » • ����++�#�������� « nous la préparons avec les enfants » • �����&���+��������� « les filles se lèvent tôt » • ���������� �� « quelqu’un vient »

17

Voir aussi Ferrando (1995-96) et Aguadé (1996). 18

Les différences diastratiques d’après le genre et l’âge dans l’utilisation du préverbe à l’inaccompli sont très habituelles dans les dialectes marocains (Vicente, 2002 : 339-340).

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• ���+����� ����������+�#� « nous épluchons les pommes de terre et les faisons frire »

Chez les plus jeunes :

• �"&�����.�%����!�"���� « jusqu’à ce que quarante jours soient passés »

• �������+���������������� « lorsque la fête de ����������� s’approche »

• �������#�� ��� « ils égorgent les agneaux » • �������������� « il nous donne de l’argent » • ��������� &������� ��%�%����������� « nous déjeunons

là-bas avec notre grand-mère et nous tous »

��LES DIALECTES ARABES EN SITUATION DE MIGRATION.

Cette situation sociolinguistique de la ville de Ceuta ne coïncide pas avec toutes les autres situations où la langue arabe est rencontrée comme langue minoritaire, c’est-à-dire, en migration. Les différentes communautés marocaines en Europe montrent des aspects très différents, cependant on peut citer aussi quelques caractéristiques communes.

On peut dire donc que, du point de vue sociolinguistique, une communauté marocaine dans la diaspora n’est pas un miroir de la situation du pays d’origine19. Il y a des facteurs qui influent, comme par exemple l’ordre d’arrivée des immigrants et les zones de provenance du pays d’origine (Boumans et De Ruiter, 2002 : 262). D’après Boumans (Boumans et De Ruiter, 2002 : 267), les communautés marocaines en Europe sont du point de vue linguistique très diverses et l’usage du dialecte marocain comme langue véhiculaire entre tous les marocains, comme c’est le cas au Maroc, n’est pas très évident. Quelquefois c’est la langue majoritaire, une langue européenne généralement, qui joue ce rôle20. Cela est dû, bien évidemment, à des raisons pratiques.

La situation sociolinguistique de la communauté arabophone de Ceuta est différente, ce qui a des conséquences sur l’évolution du dialecte arabe parlé dans la ville. La première différence est que cette communauté linguistique est plus homogène que celles qui sont présentes en Europe. Il y a bien sûr des gens de diverses provenances, comme l’on a déjà dit, du R�f ou du S�s, mais le groupe plus important est originaire de �����. De plus, ces personnes, arrivées du Maroc appartiennent presque toutes à la génération la plus âgée. Cependant, la plupart des jeunes sont nés en ville, et c’est pourquoi leur profil sociolinguistique est très similaire : ils apprennent comme langue maternelle un dialecte arabe, ensuite leur parler évolue dans la rue dépendant plus au moins de leurs allers et retours au 19

Voir, par exemple, Boumans et De Ruiter (2002 : 265) : « The second génération Moroccans in the Netherlands speak varieties of Arabic, Berber and Dutch that diverge more or less from how these languages are spoken by monolinguals in Morocco and the Netherlands ». 20

Par exemple, quelquefois la présence et l’importance de berbérophones est plus grande en proportion à l’étranger qu’au Maroc. Ces gens peuvent parler un dialecte berbère comme langue maternelle et une langue européenne, mais pas nécessairement le dialecte marocain. Cette situation au Maroc est pratiquement impossible parce que le dialecte arabe est déterminant pour le déroulement de la vie quotidienne.

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Maroc et de leurs relations avec leurs pairs. Ils apprennent également la langue espagnole à l’école21, avec laquelle ils font un codeswitching continu dans leur discours22.

Par conséquent, la plupart des jeunes de Ceuta sont exposés à plusieurs degrés de connaissance du dialecte arabe et de l’espagnol, mais en général on peut dire qu’une grande majorité comprend les deux langues, et que beaucoup d’entre eux parlent l’espagnol mais pas toujours l’arabe. Ceci est un autre exemple du bilinguisme passif très fréquent dans les zones bilingues.

La littérature est abondante sur le codeswitching dès lors qu’un dialecte arabe est une des langues en présence et que divergent des contextes sociolinguistiques. Ces études portent habituellement sur une variété de l’arabe comme langue d’origine et sur une langue européenne comme langue superposée. Mais ici il y a deux situations distinctes : d’un part, il faut distinguer un contexte avec la présence du français ou de l’anglais comme langue d’éducation ainsi que dans les média de divers pays arabe, et d’autre part, la situation des immigrants bilingues, comme par exemple ceux qui font partie des communautés marocaines en Europe. Dans le premier cas, la langue arabe est la langue majoritaire, c’est-à-dire la langue de la vie quotidienne, alors que, dans le deuxième cas, elle est une langue minoritaire. C’est dans cette dernière catégorie qu’il faut considérer l’évolution du dialecte arabe parlé à Ceuta.

L’autre spécificité de Ceuta par rapport aux autres communautés marocaines en migration est l’importance de sa situation géographique. Comme cela a été dit précédemment, c’est cette position privilégiée qui engendre les caractéristiques sociolinguistiques si intéressantes de cette ville. En général, on constate la perte progressive de la langue d’origine si fréquente dans d’autres contextes d’immigration où le contact avec l’arabe n’est pas très habituel. À Ceuta, ce n’est pas aussi flagrant, malgré la situation de langue minoritaire impartie à l’arabe, sans doute grâce au contact habituel avec le dialecte marocain.

En revanche, dans un autre contexte, une langue minoritaire, comme c’est le cas d’un dialecte arabe en migration, se place dans une position plus précaire à cause de l’influence des média qui contribue à la diffusion d’autres langues. Cependant, il faut dire que cette situation de menace pour les dialectes arabes en situation minoritaire est un produit de la globalisation mais pas de l’immigration ; car les situations de bilinguisme existent depuis longtemps, comme le rappelle Procházka : « the examples of Cypriot Arabic or Anatolian Arabic show that, even for the non-written Arabic dialectes, it was possible to survive in a bilingual environment for many centuries » (Procházka, 2002 : 139).

��CONCLUSION

L’homogénéité qu’on trouve dans la situation sociolinguistique des jeunes de Ceuta est un facteur de cohésion qui a une influence sur l’évolution du dialecte : d’abord, dans l’adoption de nouvelles caractéristiques et la disparition de celles qui sont perçues comme archaïques ou très locales habituellement

21

Les écoles de Ceuta suivent le système scolaire espagnol où il n’y a aucun enseignement officiel de la langue arabe, ni l’arabe littéraire, ni l’arabe vernaculaire. 22

Sur le profil linguistique des jeunes de Ceuta, voir Vicente (2004).

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ÁNGELES VICENTE

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attribuées à la koinè marocaine. Ensuite dans la grammaticalisation des schèmes différents dans le mélange ou codeswitching des deux langues en présence l’espagnol et le dialecte arabe23.

Cependant, pour mieux comprendre l’évolution d’un dialecte arabe dans cette situation d’alternance codique avec une autre langue, il faut prendre en considération, d’une part, le statut différent de la langue arabe majoritaire versus la langue minoritaire, mais aussi, d’autre part, d’autres aspects, comme l’homogénéité de la communauté par rapport à sa provenance, son profil sociolinguistique, et sa situation géographique. Comme on vient de le montrer avec le cas décrit ici : « clearly, linguistic change in Arabic is governed by a multitude of social, political, sociopsychological and linguistics factors peculiar to each Arab society and Arabic dialect » (Al Wer, 2002 : 43).

Dans le parler arabe des jeunes musulmans de Ceuta, on peut percevoir l’influence croissante des changements linguistiques que l’on trouve dans le pays voisin, le Maroc. De plus, il faut souligner que cette influence est le fait des dialectes les plus prestigieux, c’est-à-dire, soit du dialecte de Tétouan, qui est le plus proche et qui peut être considéré comme une espèce de koinè septentrionale, soit de la koinè marocaine très probablement à travers le dernier.

Pour lors, on peut dire que le parler des jeunes de Ceuta est un exemple clair d’un dialecte en évolution et surtout d’un dialecte mixte, et on peut donc affirmer que la lingua franca des jeunes musulmans de cette ville est le dialecte arabe, mais bien sûr, très mélangé avec la langue espagnole. C’est précisément ce statut de langue véhiculaire qui lui donne la possibilité d’évoluer, tout en suivant les changements du dialecte plus proche (tant au plan géographique que linguistique), c’est-à-dire le dialecte marocain.

Les cas comme celui des parlers arabes de Ceuta soulèvent la question de savoir si les parlers arabes en migration sont plus statiques que ceux du pays d’origine. Ils peuvent nous aider également à étudier quelques caractéristiques des parlers maternels qui ont déjà disparu au Maroc. On peut citer comme exemple, le cas exposé par Boumans (Boumans, 2002 : 272), qui trouve que la construction synthétique de génitif est plus utilisée par les jeunes bilingues du Pays Bas que par les jeunes monolingues du Maroc. Mais ce n’est pas le cas de Ceuta, dont le dialecte est intéressant pour d’autres raisons.

Par ailleurs, on a constaté aussi que l’âge est une variante diastratique très

importante dans l’évolution synchronique du parler de Ceuta, pendant que chez les plus jeunes la variante liée au genre a disparu. Dans le Maroc rural et chez les musulmans les plus âgés de Ceuta, les variantes relatives au genre sont le résultat de la ségrégation sexuelle si caractéristique des zones rurales du nord de Maroc24.

23

D’abord, dans l’adoption de nouvelles caractéristiques, ensuite dans la disparition de celles qui sont archaïques ou très locales, comme les cas déjà vus ci-dessus, normalement dû à l’influence de la koinè marocaine. L’influence de la langue maternelle d’autres conséquences sur l’espagnol qu’ils parlent. Par exemple, on assiste à la grammaticalisation de quelques schèmes dans le mélange ou codeswitching des deux langues en présence l’espagnol et le dialecte arabe ; ainsi les jeunes disent « cortar los billetes » pour dire « acheter les billets », qui est un calque sémantique du marocain nq�t�u l-w�rqa. 24

Sur la situation de la femme dans la société rurale marocaine, voir. El Harras (1996 : 44).

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Cette situation permet le maintien de certains traits chez les femmes, traits qui ont disparu chez les hommes, à cause de la mobilité masculine en opposition avec l’enfermement des femmes.

L’influence de la koinè est donc plus grande sur les parlers masculins que sur les parlers féminins, comme cela avait déjà été affirmé par D. Cohen (Cohen, 1973 : 237-238). Mais pour l’heure, on observe, à Ceuta une situation inverse : avec la presque disparition de la ségrégation sexuelle dans la vie sociale de cette ville, les différences entre les parlers des femmes et des hommes pour les nouvelles générations ont aussi disparu. Aujourd’hui, les différences sont plus remarquables entre les jeunes, qui sont plus proches de la koinè du Maroc, et les générations les plus âgées qui sont les plus conservatrices des caractéristiques rurales, et les femmes particulièrement.

Finalement, le rapport avec la langue espagnole est analogue, alors que les jeunes sont bilingues ou presque, ils utilisent principalement un discours codeswitché pour communiquer avec leurs pairs ; les plus âgés ne parlent presque pas l’espagnol et, au lieu de faire du codeswitching, ils utilisent des emprunts à l’espagnol dans un discours en dialecte arabe.

Ángeles Vicente

[email protected]

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Bernard Lamizet Institut d’Études Politiques de Lyon (France)

Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE » ?

��INTRODUCTION : PARLER, PAROLE, LANGUE, LANGAGE

Commençons par le commencement : définissons les mots que nous allons employer ici, car il ne s’agit pas de mots simples, et, surtout, il s’agit de mots chargés de connotations et de définitions dans l’histoire des sciences des hommes et des sociétés. Si ces termes revêtent une telle importance, c’est qu’ils désignent les pratiques fondatrices, les moments qui nous instituent dans les identités dont nous sommes porteurs aux yeux des autres et à nos propres yeux.

Le langage est l’ensemble des pratiques symboliques par lesquelles le sujet représente son identité, pour les autres et pour soi-même. Le langage est bien, en ce sens, une institution : une médiation symbolique de l’appartenance sociale. C’est notre langage qui constitue l’ensemble des formes et des pratiques par lesquelles notre identité acquiert sa consistance et peut, dès lors, faire l’objet d’une reconnaissance – que l’on appelle, d’ailleurs, identification. Si elle est, d’abord, singulière, l’identification qui donne naissance au sujet est, ainsi, d’abord, le moment singulier de l’identification spéculaire à l’autre, par laquelle le petit de l’homme devient un sujet lors de la découverte du miroir. C’est dans un second temps que l’identification ne sera plus seulement singulière, mais que, collective, elle sera la médiation par laquelle nous exprimerons les appartenances et les sociabilités dont nous serons porteurs tout au long de notre existence. Et, parmi elles, la jeunesse qui fait l’objet, sans doute comme la vieillesse, d’une reconnaissance sociale un peu particulière, puisqu’elle est, comme la vieillesse, structurée par des institutions, des normes, des lois, des médiations, qui lui sont propres. C’est pourquoi le langage de la jeunesse, le langage des jeunes peut se comprendre comme l’ensemble des pratiques symboliques mises en œuvre dans les lieux où se reconnaissent les jeunes.

La langue est une médiation politique qui exprime l’appartenance sociale à un territoire. On parle la langue d’un pays quand on l’habite ou qu’on y séjourne, parce que ce pays est politiquement structuré par cette langue. La langue est instituée dans un pays par le pouvoir qui s’y exerce et qui y définit la citoyenneté. C’est, justement, pourquoi il ne saurait y avoir de langue des jeunes, car

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l’existence d’une langue suppose l’institution d’une identité politique dans un territoire. C’est en ce sens que, classiquement, la langue se distingue de la parole. La parole est la mise en œuvre singulière d’une langue par un sujet parlant, au cours de l’événement particulier que représente son usage au cours d’une situation de communication. La parole est l’événement singulier de l’appropriation singulière de la langue.

C’est ici que l’on pourrait définir les deux termes qui sont à la marge : le parler et lalangue. Lalangue est le néologisme forgé par Lacan pour désigner l’ensemble des pratiques singulières de la langue par un sujet. En effet, à travers les événements au cours de laquelle le sujet met en œuvre la parole, que Michel de Certeau avait, jadis, appelé la prise de parole, on peut reconnaître des cohérences, des continuités, des permanences qui, comme le temps long de Braudel, font apparaître l’expression d’une identité de la subjectivité et du désir qu’elle exprime dans son usage de la langue et du langage. Le parler serait une autre forme d’appropriation symbolique : il ne s’agirait pas, comme lalangue, d’une appropriation singulière, mais de l’inscription d’une identité dans le langage. Le parler pourrait, alors, se définir comme l’ensemble des pratiques symboliques (parole et autres pratiques symboliques) par lesquelles nous pouvons exprimer notre identité et la faire reconnaître des autres dans l’espace public de la sociabilité.

��L’IDENTITÉ DES « JEUNES » EXISTE-T-ELLE ?

Il existe des médiations linguistiques de l’identité et de l’appartenance : des formes et des pratiques qui inscrivent dans la langue les représentations des appartenances dont nous sommes porteurs. Dans ces conditions, la question est de savoir si l’on peut parler d’une identité des jeunes, et si l’on peut parler d’une identité particulière. Sans doute faut-il suggérer un concept particulier d’identité symbolique et linguistique, qui se structurerait de la façon suivante.

Le concept d’identité renvoie à une dialectique entre notre dimension subjective et singulière et notre dimension sociale, politique et collective. Sur le plan des formes que peut revêtir une telle dialectique dans nos usages de langue et de parole, on peut schématiser la construction linguistique de l’identité de la façon suivante. L’identité linguistique consiste dans une dialectique entre deux formes de conscience symbolique. La première est d’ordre singulier, et a à voir avec notre désir. Elle représente l’ensemble des représentations de notre propre subjectivité dont nous pouvons être nous-mêmes porteurs dans nos relations avec les autres : elle se fonde sur l’image de soi, que nous construisons à partir de l’expérience originaire du miroir, dans nos relations avec les autres, mais aussi dans notre façon d’éprouver nos désirs et sentiments et d’assumer nos pratiques singulières. La seconde est d’ordre collectif, et a à voir avec nos appartenances et nos pratiques sociales, avec notre conscience d’appartenance sociale et politique, telle qu’elle s’exprime dans notre engagement dans des formes et des pratiques de communication inscrites dans l’espace public, et dans notre appartenance à un espace dans lequel se définit et s’affirme notre identité singulière, au sein de la filiation.

Le concept d’identité peut se définir comme une dialectique entre la vérité dont est porteur un sujet, et qui définit sa place dans les espaces de

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communication dans lesquels il s’inscrit et la dimension politique qui le fonde par la médiation de ses appartenances et des liens sociaux dont il est porteur. C’est dans ce cadre qu’il convient de poser la question de la reconnaissance d’un groupe d’âge comme identité. Cela peut se faire par le constat de leurs choix politiques (et, en particulier, de la question de l’inscription sur les listes électorales), de leurs pratiques culturelles, de leurs activités de communication et de représentation.

On peut définir les « jeunes » comme les sujets dont les pratiques et les investissements symboliques ne sont pas stabilisés entre les deux espaces de l’identité. Sans doute le « jeune » est-il celui qui est en train de découvrir les espaces publics, entre les lieux de sa filiation et ceux qui seront ceux de ses appartenances. Être « jeune » consiste à se reconnaître porteur d’une identité en transition : il s’agit de ne se reconnaître dans aucune forme stabilisée d’identité sociale et culturelle et, par conséquent, à se reconnaître une identité en mutation. C’est en ce sens, et avec cette dimension proprement transitoire, qu’existe l’identité « jeune ». Sans doute faut-il, en ce sens, distinguer deux concepts de jeunesse. Le premier renvoie à un âge, ou, plutôt, à plusieurs âges. Il renvoie à un état de développement de la personnalité, et, en ce sens, il est extrêmement difficile de le définir et de la stabiliser. Affaire de culture, de psychanalyse, de développement de nos capacités et de nos désirs. Le second concept est affaire moins d’âge et de développement de la personnalité que de pratiques et de représentations, et, en ce sens, il relève de logiques politiques, institutionnelles et culturelles. C’est à ce second type de définition du concept d’âge qu’appartient le concept de « jeune » que nous définissons comme une identité en transition. Il s’agit, finalement, de définir moins une appartenance qu’une absence d’appartenance, qu’une sociabilité en mutation. C’est dire la difficulté de définir un langage des jeunes, puisqu’une telle identité ne saurait s’identifier à un type homogène de pratique linguistique et d’usage culturel.

L’identité « jeune » renvoie, ainsi, à des sujets qui n’assument pas une appartenance sociale définitive. Ils s’inscrivent, en revanche, dans des pratiques culturelles et symboliques instables qui assument différents espaces sociaux d’appartenance et de sociabilité, selon les pratiques, selon les relations, selon les désirs.

On peut, ici, citer trois exemples de ce concept, que l’on pourrait désigner

par le terme d’identités nomades, ou de nomadisme identitaire. Le premier exemple est l’articulation, dans l’image sociale de soi, du

costume et de l’habillement et des objets constitutifs de ce que l’on peut appeler « l’être au monde social » : les ornements et les bijoux, la coiffure, ou encore les accessoires comme le téléphone portable. Les « jeunes » revendiquent, plus que d’autres âges de la société, une mode spécifique et souvent complexe. Sans doute, même, sont-ils les éléments les plus dynamiques et les plus novateurs de la société dans la découverte et d’adoption de nouveaux vêtements et de nouvelles pratiques d’habillement. Ce dynamisme particulier de la mode vestimentaire peut s’interpréter de deux façons. D’une part, on peut le considérer comme le fait, pour une certaine population, de toujours courir après la nouveauté, et de se poser, ainsi, en contestation ou en mise en cause de ce que l’on pourrait appeler un certain immobilisme vestimentaire. Mais, d’autre part, on peut considérer ce

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dynamisme comme une aptitude particulière à adopter des habillements différents, c’est-à-dire des formes différentes d’identité, telles que l’identité se donne à voir dans cette « scène » particulière que constitue l’espace public, la rue.

Il y a une « mode jeune », ou, plus exactement, ce que l’on peut appeler un usage jeune de la mode, si l’on considère la mode comme une médiation vestimentaire de la sociabilité. Cette spécificité de la mode des jeunes fait, d’ailleurs, l’objet d’une appropriation dans les représentations publicitaires de la mode vestimentaire, et constitue une véritable norme dans l’évolution de la mode vestimentaire. La « mode jeune », qui fait l’objet, d’ailleurs, d’une codification assez stricte dans les médias, en particulier dans la presse magazine et dans la publicité, présente trois caractéristiques, éminemment porteuses de sens. D’une part, elle affiche une rupture par rapport aux normes et aux usages de ce que l’on peut appeler « la mode établie », en particulier dans le choix des couleurs, dans l’usage des formes vestimentaires et dans la mise en valeur du corps par le vêtement, par la revendication d’une mode dynamique et inscrite dans la perspective d’une grande mobilité du corps. « À quoi ça sert d’imaginer des vêtements si on peut rien faire dedans ? », demande une marque de vêtements pour enfants ? D’autre part, la « mode jeune » s’affiche par des attitudes et une exhibition du corps qui souligne à la fois son agilité et son intention de s’inscrire pleinement dans l’espace par le mouvement et par des positions théâtralisées. C’est le cas, par exemple, de l’attitude des deux personnages mis en scène par une photographie publicitaire destinée à une marque de jeans1.

Quant aux ornements et aux accessoires, que l’on peut définir comme la « mode non vestimentaire », on peut les analyser comme des objets de mise en scène dans l’espace public. Les ornements et les accessoires représentent, comme, d’ailleurs, au théâtre ou au cinéma, ce que l’on peut appeler l’amplification sémiotique du corps. Ils représentent ce qui inscrit le corps dans une présence dans l’espace, sémiotisée, précisément, par les ornements et les accessoires qui, en accompagnant le corps, assurent, en quelque sorte, sa mise en scène dans l’espace public représenté. C’est ainsi que les ornements et les accessoires accompagnent le corps dans l’espace de la représentation, comme pour porter une partie de la signification « jeune » dont il peut être porteur. Un lecteur-graveur de DVD, des représentations de téléphones portables, la référence à une « série culte », constituent autant d’exemples de telles représentations censées mettre en scène une « culture jeune » ou, plutôt, une « sociabilité jeune », telle qu’elle peut apparaître dans les figures normatives de la publicité. Surtout, ils mettent en scène la mobilité des personnages qui les utilisent ou qui les mettent en œuvre dans leur activité sociale (téléphones portables, fenêtre ouverte et référence à un caméscope mobile, etc.). Les accessoires fonctionnent dans cette sémiotique de la jeunesse comme des signifiants objectaux, susceptibles d’éveiller, en même temps, et l’un parce que l’autre, le sens et le désir, par rapport à l’identité jeune qu’ils contribuent à mettre en scène dans l’espace médiaté de la représentation. Les objets et les accessoires sont, en l’occurrence, fondamentaux, parce qu’ils

1 Cette publicité par affiche mettait en scène deux enfants en train de se livrer, en portant des jeans,

à des exercices sportifs de nature à considérablement solliciter l’agilité de leur corps.

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définissent, en même temps que la figure de la personne qu’ils accompagnent, les pratiques sociales et culturelles censées constituer son identité.

La seconde illustration de ce nomadisme identitaire est l’importance de la fonction mimétique dans la culture « jeune ». Identité en transition, la jeunesse se définit comme une succession de passages d’un âge à l’autre, et, en ce sens, se fonde en grande partie sur des processus mimétiques d’identification. Le mimétisme se distingue de l’identification, en ce qu’il ne s’agit pas de s’instituer une identité symbolique, mais de jouer une identité pour se la construire. L’enfant commence par imiter les autres, il commence par un moment mimétique, et c’est seulement quand il assume ce mimétisme dans ses pratiques et son activité de représentation, quand il lui donne du sens, qu’il passe du moment mimétique au stade du miroir et à l’institution de son identité et de son statut de sujet, en articulant son identité à son activité langagière propre. On observe dans la « culture jeune » une persistance du mimétisme, dans un jeu d’identité, dans une mise en scène des identités des autres, non assumées, mais seulement montrées. Cela commence par l’enfant qui « joue au pompier », mais cela continue, dans la « culture jeune », sous la forme de représentations mimétiques comme la pose de la voix ou les gestes, les habitudes, les rituels, adultes transposés dans le monde des jeunes. Le fait de fumer, par exemple, est une bonne illustration de ce mimétisme culturel. Sans doute importe-t-il de définir sémiotiquement le concept de mimétisme2.

Il y a, d’abord, un mimétisme que l’on peut appeler le mimétisme primaire, qui est celui du stade du miroir, au cours duquel le petit enfant « joue », pour l’acquérir, l’identité du modèle auquel il se conforme. Ce mimétisme primaire fait l’objet d’une forme de sémiotisation, au moment où l’enfant lui substitue le jeu et le langage, pratiques symboliques assumées par l’enfant devenant un sujet, au lieu, comme tout mimétisme, de n’être pas assumée, mais d’être, au contraire, tenues à distance par un processus qui n’est pas de jeu, mais d’imitation.

Il y a, ensuite, un mimétisme second, qui s’inscrit dans les pratiques idéologiques et les activités sociales que les « jeunes » empruntent aux adultes. Le mimétisme second est celui qui est mis en ouvre dans les activités sociales, dans le militantisme, dans les appartenances sociales et institutionnelles. On peut renvoyer le mimétisme second au dispositif sémiotique représentant le fait social majeur défini par Bourdieu par le concept de reproduction. Au-delà de la mise en œuvre des dispositifs symboliques, le mimétisme second produit une « idéologie jeune », sous la forme d’un imaginaire politique, nourrie de l’adoption mimétique des références et des pratiques culturelles des adultes.

La « culture jeune » s’exprime, enfin, par un mimétisme tiers, qui s’inscrit dans les formes imposées de la normativité de la publicité ou de la fiction (arts du spectacle, littérature). Ce mimétisme tiers consiste dans la production d’une identité dans l’espace public, sous la forme d’un ensemble de normes. Ce ne sont pas seulement les images et les discours qui produisent une représentation culturelle de l’identité « jeune » : cette identité se structure comme un ensemble 2 C’est en ce sens qu’il convient de revenir sur les formulations théoriques d’un Alain Girard. Le

mimétisme ne peut, sans doute, pas être pensé comme concept fondateur de la sociabilité. En revanche, sans doute peut-il définir une forme de sociabilité en mouvement, en transition, en cours de formation, ce qui définit la « culture jeune ».

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d’impératifs sociaux et de normes culturelles. La conformité à ces modèles et à ces normes est une façon de se construire une identité sociale et de l’assumer dans ses pratiques et dans ses discours. Ces normes structurent les pratiques sociales considérées comme significatives de l’identité des « jeunes » par la médiation des logiques d’identification aux artistes, en particulier aux acteurs de cinéma et aux musiciens, et aux personnages de roman ou aux personnages de fiction, le propre de ce mimétisme étant, fondamentalement, la méconnaissance de la distinction entre le réel et l’imaginaire, au moment de la mise en œuvre des processus d’identification spéculaire.

Enfin, une troisième illustration du nomadisme identitaire est donnée par les pratiques sociales et les activités constitutives de l’identité et de la médiation culturelle. Le nomadisme représente une forme de paradigme culturel, sans doute un des éléments constitutifs de la « culture jeune ». Le nomadisme prend quatre formes particulièrement courantes dans les pratiques culturelles observées.

D’abord, il s’agit des voyages et des déplacements, y compris des déplacements et des parcours dans l’espace urbain. Le déplacement représente un mode d’appropriation de l’espace particulièrement caractéristique des « jeunes », qu’il s’agisse de la déambulation urbaine collective (le fait social des « bandes », parfois accompagnées de chiens) ou de la déambulation individuelle des jeunes dans une logique d’appropriation de l’espace social. Il faut ajouter l’importance que revêt le voyage dans les pratiques culturelles « jeunes », en particulier les longs voyages à l’étranger qui se pratiquent pendant d’assez longues périodes, en vacances ou non, qui constituent une forme de mondialisation de l’identité « jeune », par la confrontation aux jeunes d’autres pays, porteurs d’autres cultures et d’autres modes de vie et de sociabilité. Sans doute pourrait-on dire que le nomadisme représente une des médiations constitutives du « parler jeunes », la médiation de l’espace.

La seconde forme du nomadisme constitutif de la culture des « jeunes » est ce que l’on peut appeler le nomadisme intellectuel et culturel. Il s’agit de cette forme de nomadisme qui ne consiste pas dans des parcours et des déplacements du corps, mais dans des parcours de la réflexion et de l’attention, dans un nomadisme des parcours de communication. Il s’agit du nomadisme de la lecture, du nomadisme des films, de cette forme particulière de nomadisme intellectuel auquel on a donné le nom de « zapping », qui consiste à se frayer un chemin non linéaire dans le parcours des médias, des images, des informations. Ce nomadisme intellectuel de la lecture et des pratiques symboliques et culturelles est un nomadisme du regard et du sens, par lequel la « culture jeune » revendique son absence d’ancrage privilégié, mais, au contraire, sa pratique culturelle du métissage et du parcours.

La troisième forme de nomadisme dont est porteuse la « culture jeune » est le nomadisme politique. Sans doute peut-on constater, aujourd’hui, moins une désaffection des jeunes pour l’engagement politique – ce serait aller bien vite en besogne, et ignorer la mobilisation considérable des jeunes dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2002 pour refuser ce courir le risque de l’élection de Le Pen – qu’une perte de pertinence des engagements pérennes qui caractérisaient la politique dans les périodes précédentes. Sans doute le temps n’est-il plus aux engagements pérennes, inscrits dans le marbre, constitutifs des choix politiques

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des générations précédentes, eux-mêmes sans doute liés aux circonstances historiques formées par la seconde guerre mondiale, puis par la guerre froide et, pour parler vite, par l’affrontement entre l’Est et l’Ouest. Aujourd’hui, l’engagement politique se pense par rapport à des critères et à des choix différents, sans doute plus mobiles, moins durables, davantage liés aux circonstances et aux événements politiques. Sans doute la chute du mur de Berlin a-t-elle entraîné, dans ce que l’on peut appeler la « culture politique jeune », la perte des repères fondateurs des clivages politiques antérieurs et une recomposition des critères de choix et d’appartenance. Ceux-ci prennent désormais la forme d’engagements plus temporaires et moins durables – vers une sorte de nomadisme idéologique.

Enfin, la dernière forme que l’on peut relever du « nomadisme culturel » de la culture des jeunes peut-il se lire dans les pratiques symboliques qui entourent le désir et sa mise en œuvre dans la relation à l’autre. La sexualité et le rapport à l’autre sexe, le rapport même à la différence sexuelle, s’inscrivent dans les figures d’un véritable nomadisme identitaire. Les discours et les images revendiquant, dans l’espace public, le fait de représenter la « culture jeune » semblent s’investir dans des formes nomades de désir et de sexualité, la transsexualité représentant une des figures majeures d’un tel nomadisme. Mais l’usage du corps comme support de mises en scène et de travail esthétique (piercing, etc.) constitue, lui aussi, une forme de nomadisme esthétique, puisque c’est le corps même qui peut, comme à volonté, changer de signification et d’usage.

��LES LANGAGES ET LES REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES

Une langue est une médiation linguistique de l’appartenance : c’est par la langue que l’on représente l’identité dont on est porteur au cours de ses pratiques de communication et au cours de son activité symbolique. L’existence d’une langue signifie, par conséquent, l’existence d’une sociabilité d’appartenance et d’un statut identitaire de cette appartenance. La langue est, en ce sens, une institution, puisqu’elle structure symboliquement une appartenance et une forme de sociabilité.

Une des formes linguistiques qui instituent symboliquement une classe d’âge en lui donnant une identité est l’expression « Génération… ». On se souvient, à cet égard, de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 1988, qui avait vu le succès de l’affiche « Génération Mitterrand » conçue pour la campagne du président sortant qui se représentait. Génération construit, ainsi, un syntagme qui représente une classe d’âge, ou un ensemble de personnes et d’acteurs sociaux qui se reconnaissent dans une identité définie par l’âge. C’est ainsi que l’on peut citer le magazine « Génération Piercing », qui paraît depuis une quinzaine de numéros, et qui propose un certain nombre d’images et de reportages sur cette pratique identitaire.

On peut citer trois exemples de représentation de l’identité par les pratiques linguistiques et énonciatives relevées dans ce magazine.

Le premier trait linguistique identitaire fort est le tutoiement des entretiens et des appels aux lecteurs. Le tutoiement revêt une double signification. D’une part, il institue une relation de proximité, voire d’intimité, entre les lecteurs et le journal, et, de cette façon, accentue la dimension identitaire du magazine. D’autre part, il représente une proximité et une connivence entre le journal et ses supposés

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destinataires, qui reposent sur la reconnaissance d’un âge commun, qui est, en même temps, celui de la jeunesse et de la familiarité. Le tutoiement dans la rédaction des textes définit enfin une politique d’expression écrite qui se différencie par rapport aux autres médias, et, de cette façon, assume une place particulière.

Le second trait que l’on peut relever dans la représentation linguistique des identités est l’usage du prénom, qui marque à la fois la familiarité dans les échanges linguistiques et la proximité revendiquée entre les lecteurs et les personnages dont il est question dans le magazine. La désignation des personnages par leur prénom permet la construction linguistique d’une communauté distincte de l’espace public, dans laquelle le prénom suffit à désigner l’identité des acteurs de la communication et de la sociabilité.

Enfin, c’est la thématique de ce magazine qui le renvoie au « parler jeunes », en ce qu’il s’agit d’un magazine entièrement conçu autour d’une pratique sociale et culturelle, le « piercing », par laquelle les jeunes se reconnaissent en assumant une identité inscrite dans leur corps. Cet usage identitaire du corps est, d’ailleurs, caractéristique des pratiques symboliques des jeunes, de la même façon que l’ont été des pratiques traditionnelles comme les tatouages. Le « parler jeunes » s’inscrit, dans un magazine comme celui-là, dans l’expression symbolique de pratiques sociales identitaires, le piercing représentant, pour certains jeunes, une façon de « parler » avec leur corps, comme d’autres le font avec leurs vêtements, ou leurs bijoux – le journal proposant, d’ailleurs, un bijou comme offre promotionnelle.

Mais le « parler jeune » représente aussi un usage particulier de la langue,

une forme particulière de parole. Parler une langue, c’est revendiquer dans ses pratiques linguistiques son appartenance à une forme sociale d’identité. On peut parler d’une dialectique entre l’existence d’une langue et la reconnaissance d’un fait identitaire - l’une et l’autre constituant les deux aspects indissociables de l’appartenance à un espace de sociabilité, sans que l’une soit première par rapport à l’autre. Ensemble de nos activités d’énonciation, la parole représente une appropriation des systèmes symboliques institués, et, par conséquent, elle engage une dialectique entre la dimension collective de la langue, médiation d’appartenance fondée sur un langage commun et sur un code partagé, et la dimension singulière de l’appropriation de la langue par le sujet qui investit ses activités de communication des désirs et des représentations qui lui sont propres. Au-delà de la relation à l’exercice de la parole, grâce, en particulier, à l’usage de la voix, qui permet l’identification de la personne qui parle, il convient de donner au concept de parole, et, en particulier, ici, au « parler jeunes », une définition plus large. Nous désignerons, par ce concept, l’ensemble des pratiques symboliques par lesquelles s’exprime, dans l’espace public et dans les relations avec les autres, l’identité dont on est porteur et qui nous fonde comme sujet de sociabilité. Le « parler jeune » ne saurait se réduire au seul usage de la parole, mais implique l’ensemble des activités symboliques, y compris l’usage des médias et des autres pratiques symboliques engagées dans la communication.

On peut alors définir le « parler », de façon plus générale, et construire, entre « langue » et « parler » une autre relation, comparable à la relation, établie

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par Benveniste, entre « langue » et « parole ». Deux différences permettent de distinguer « parler » de « parole ». La première différence tient au mode d’expression, à ce que l’on peut appeler la matérialisation de l’expression. Tandis que « parole » sera réservé à l’usage signifiant de la voix dans l’énonciation, « parler » désignera l’ensemble des pratiques signifiantes mises en œuvre par le sujet, quel que soit le matériau employé. Le « parler » désignera, ainsi, l’ensemble des pratiques de représentation symbolique de l’identité dans les relations de communication. La seconde différence entre « parler » et « parole » désignera la situation de communication mise en œuvre, et le rapport à l’autre instauré dans l’activité symbolique. Tandis que la parole désigne une activité symbolique appelant une réponse de la part de l’autre, ou, en tous les cas, fondée sur l’attente ou le désir d’une parole de l’autre, le « parler » désignera une activité symbolique non nécessairement inscrite dans l’attente de la parole de l’autre. Il pourra s’agir, alors, de la désignation générale de l’activité symbolique du sujet, indépendamment des situations d’énonciation effective au cours desquelles il attend la réponse de l’autre. Mais il pourra aussi s’agir de la désignation d’une compétence symbolique, indépendamment des modes particuliers d’expression qui sont mis en œuvre dans la communication.

La question du « parler jeunes » peut, dans ces conditions, s’articuler autour

de l’analyse de trois critères, qui permettent de définir ce concept par rapport au concept d’âge, par rapport aux formes de l’énonciation et par rapport aux espaces de la communication et de l’échange symbolique.

Le premier critère est la reconnaissance, par eux-mêmes et par les autres, d’une identité sociale des « jeunes » allant au-delà du constat d’un âge. La conversation est, ainsi, plus qu’un échange intersubjectif ; entre jeunes, elle représente, dans le même temps, l’expression de la reconnaissance d’une appartenance commune. Autant que l’information ou la représentation symbolique voulue par l’énonciateur au cours de la parole, l’échange symbolique entre « jeunes » exprime l’appartenance sociale à un groupe défini, justement, par le mode d’expression mis en œuvre. L’importance identitaire ainsi reconnue à la parole par ceux qui mettent en œuvre le « parler jeunes » se fonde, justement, à l’absence de reconnaissance institutionnelle dont ils font l’objet dans l’espace public. Le « parler jeunes » constituerait en quelque sorte, une forme d’illusion d’une identité sociale qu’ils seraient les seuls à reconnaître et à partager.

L’identité sociale revendiquée par les jeunes qui s’expriment dans ce « parler » (ce que tous ne font pas) relève, finalement, sans doute, d’une identité imaginaire, d’un imaginaire social et culturel partagé, fondé sur des références communes et sur des usages symboliques communs. Le « parler jeunes » représente la matérialisation de ce que l’on peut appeler un imaginaire institutionnel. Il s’agit, pour ceux qui le mettent en œuvre, de mettre en scène dans l’espace public de la communication une sociabilité et une appartenance imaginaires. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que le « parler jeunes » puisse être mis en œuvre par des locuteurs que l’âge ne classe pas dans la catégorie des jeunes, mais qui, en l’employant, donnent aux autres l’illusion de ce que l’on pourrait appeler leur jeunesse symbolique, à moins qu’ils ne cherchent à se la donner à eux-mêmes.

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Nous sommes au-delà du constat de l’âge réel de la personne qui s’exprime, et, de cette façon, le « parler jeunes » introduit, dans le champ de l’âge la tripartition entre réel, imaginaire et symbolique, constitutive de la médiation – en l’occurrence constitutive de la médiation de l’âge - et de la communication.

On peut, alors, définir le réel de l’âge comme l’ensemble des manifestations physiologiques du vieillissement. L’âge relève, alors, d’un constat sur le corps de la personne, et il peut se mesurer en fonction de l’état effectif de l’organisme à un moment donné. En ce sens, d’ailleurs, le concept d’âge est le même quel que soit l’organisme vivant (animal ou humain) et quelle que soit la culture dans laquelle on se trouve.

La dimension symbolique de l’âge est l’ensemble des représentations langagières par lesquelles le sujet exprime son appartenance à un âge, ou grâce auxquelles l’autre peut identifier ou reconnaître l’âge de son interlocuteur. L’âge symbolique s’inscrit, ainsi, dans un ensemble de dispositifs de représentation qui vont de la parole au costume en passant par les loisirs et les pratiques sociales, les activités politiques et les activités culturelles constitutives de la sociabilité, et les modes artistiques ou littéraires de représentations de l’âge par des acteurs ou des personnages.

Enfin, l’âge imaginaire est l’ensemble des projections du sujet sur un âge qu’il n’a pas – ou l’ensemble des projections qu’il se fait des autres sur des âges qui ne sont pas les leurs. Ce que l’on peut appeler l’âge imaginaire est l’âge que je m’attribue fantasmatiquement ou celui que j’attribue aux autres indépendamment de toute perception réelle ou de toute connaissance de leur identité.

Le second critère de l’existence d’un « langage jeune » serait l’existence de

pratiques spécifiques d’énonciation. Tant en matière de lexique qu’en matière d’intonation, de rythme de la parole ou, de façon générale, de ce que l’on peut appeler la « musicalité » de la langue, on peut relever un certain nombre de formes spécifiques du « parler jeunes » dans l’énonciation et dans les pratiques symboliques de ceux qui le mettent en œuvre. Un certain nombre de caractéristiques permettent de reconnaître la musicalité du « parler jeunes ».

La première est le rythme de l’énonciation qui n’est pas sans rappeler le rythme de formes musicales comme le rap. Il s’agit d’un rythme syncopé, haché, séparant les unités d’énonciation, et produisant une mélodie énonciative discontinue. D’une façon générale, d’ailleurs, le propre du « parler jeunes » est de s’inscrire dans des formes très proches des formes musicales et d’atténuer la différence entre expression musicale et expression linguistique, ce qui confère à la parole le statut d’une expression inscrite dans le temps et le rythme autant que dans le lieu de l’intersubjectivité et dans l’univers de la référence linguistique.

La seconde caractéristique de l’énonciation du « parler jeunes » est l’existence d’un certain nombre de formes linguistiques phatiques. « Attends » est un exemple de ces formes linguistiques qui n’ont pas d’autres significations que de représenter la communication même pour mieux en assurer la permanence au cours de l’échange intersubjectif, et, surtout, pour mieux marquer l’importance de la représentation de l’autre au cours de l’intersubjectivité. Cette exigence de représentation de la figure de l’autre au cours de la communication caractérise le « parler jeunes » par rapport à d’autres pratiques d’échange symbolique.

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Une autre caractéristique de ce « parler » est, enfin, l’existence, au cours de l’énonciation, de marques symboliques de l’énonciateur comme les adverbes, les adjectifs adverbiaux - grave, moyen (« j’ai apprécié moyen ») - ou encore des locutions comme « j’y crois pas », qui instaurent une appropriation spécifique du discours de l’autre par l’interlocuteur, ou une certaine distance par rapport à elle. Ces marques linguistiques de l’énonciation concourent à l’expression de l’appropriation de l’énonciation par les partenaires de l’échange symbolique.

La parole et le lexique font apparaître une consistance linguistique propre de

la sociabilité des jeunes. Comme à propos du vêtement, on peut remarquer que les pratiques linguistiques des « jeunes » consistent dans la production symbolique d’une identité qui leur permet de se distinguer de l’identité des autres, précisément dans cette phase majeure de leur existence au cours de laquelle ils instituent leur propre identité. L’identité linguistique des « jeunes » répond à une triple exigence, ou à une triple signification. D’abord, il s’agit, pour eux, de se donner une langue, ou un système de communication et d’information qui leur soit commun et qu’ils puissent reconnaître au cours de leurs activités d’échange symbolique et de communication. Par ailleurs, il s’agit d’établir, ainsi, un système symbolique, on pourrait dire une « langue », qui leur soit propre, et qui se distingue, par conséquent, de la langue instituée comme système symbolique dominant d’information et de communication. Enfin, ces formes d’expression qui leur sont propres permettent aux « jeunes » de construire la dimension proprement linguistique de la culture et de la sociabilité qui leur sont particulières et dans lesquelles ils peuvent se reconnaître et se faire reconnaître de ceux qu’ils considèrent comme différents d’eux.

Le vocabulaire des « jeunes » se caractérise par deux éléments majeurs. Le premier est une intense créativité lexicale, qui correspond, à la fois, à la très rapide mutation et au très rapide renouvellement des concepts qu’ils mettent en œuvre, des institutions qui les structurent, des pratiques culturelles qu’ils engagent. Le second élément du lexique des « jeunes » est sa relative homogénéité sociale. Le lexique des jeunes ne présente pas une très forte segmentation sociale, car il est unifié par les médias des »jeunes » et par les normes qu’ils partagent, et, par ailleurs, parce que la segmentation institutionnelle par l’âge semble, au moment de la jeunesse, plus forte et plus structurante que la segmentation par les classes sociales ou les repères idéologiques.

Le verlan représente une permanence dans les formes linguistiques de segmentation d’une communauté culturelle. On peut interpréter le verlan de trois façons complémentaires, qui permettent d’en faire une pratique symbolique identitaire de la langue, plutôt qu’une langue particulière. D’une part, l’inversion des signifiants construit une autre linéarité de la langue, ce qui reconnaît à l’ordre des signifiants une fonction majeure de reconnaissance. D’autre part, l’inversion ne représente pas l’apparition de signifiants nouveaux, mais une autre organisation des signifiants existants, ce qui représente linguistiquement le même type de distanciation que la distanciation par rapport à la loi et à l’institution. Enfin, le « verlan » représente un véritable travail sur la langue, comparable à l’investissement identitaire par ailleurs engagé sur la forme et l’esthétique.

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C’est l’intonation et l’accentuation qui sont, sans doute, les éléments les plus porteurs de marques d’identification culturelle. Cela correspond à l’importance de la culture orale dans les formes identitaires du « parler jeunes ». C’est, sans doute, dans l’oralité et la parole que l’identité des jeunes se manifeste avec le plus de netteté. En effet, les usages de la langue écrite sont plus unificateurs et moins propres à représenter des spécificités identitaires, et parce que l’usage de l’écrit est sans doute moins fréquent dans les pratiques de communication entre jeunes que l’usage de la parole - ce qui est attesté par l’importance de l’usage du téléphone portable.

��FORMES SOCIALES THÉÂTRALISÉES D’IDENTIFICATION ET DE RECONNAISSANCE

Les « jeunes » disposent d’un certain nombre de formes symboliques particulières qui leur permettent de s’attester réciproquement, dans leurs activités de communication, de leur appartenance à un groupe social qu’ils instituent en en reconnaissant l’existence et en y reconnaissant l’existence de liens sociaux de solidarité et de sociabilité. Sans doute peut-on même définir la jeunesse comme l’âge de la vie au cours duquel l’identité, en cours de construction symbolique, ou, mieux encore, en cours d’institution, fait l’objet de mises en scène théâtralisées. L’identité des jeunes est encore un rôle par rapport auquel ceux qui en sont porteurs s’inscrivent à la distance d’une situation temporaire, provisoire. Il y a une distanciation du sujet « jeune » par rapport à son identité, ne serait-ce que parce qu’il la sait temporaire, en cours d’institution et de formation. On peut citer, en particulier, quatre formes symboliques particulières d’identification. Cette théâtralisation de l’identité caractérise les « jeunes », et permet d’expliquer la signification de leurs pratiques de l’espace public et des modalités de leur présence au monde.

Le costume met en scène la personne dans l’espace public. C’est pourquoi

les jeunes attachent une importance particulière à la façon dont leur habillement leur permet de rendre visible dans l’espace public l’identité dont ils se veulent porteurs. La théâtralisation des jeunes passe par leur costume et par l’adoption d’une mode spécifique, dont Barthes parle ainsi, dans Système de la Mode (Barthes, 1983 : 260) :

Structuralement, le junior se présente comme le degré complexe du féminin/masculin : il tend à l’androgyne ; mais ce qu’il y a de remarquable dans ce nouveau terme, c’est qu’il efface le sexe au profit de l’âge ; c’est là, semble-t-il, un processus profond de la Mode : c’est l’âge qui est important, non le sexe.

La mode représente, ainsi, l’un des systèmes symboliques identitaires, l’un des langages, dans lesquels l’âge « jeune » peut se reconnaître et exprimer le type de sociabilité et d’appartenance qu’il représente dans l’espace public. C’est par le costume que nous nous donnons à voir aux autres, c’est par le costume que notre identité se met en représentation dans l’espace public. En ce sens, la mode des « jeunes » constitue un système symbolique puissant de reconnaissance mutuelle, de distinction et de différenciation par rapport aux autres acteurs de l’espace public, et, enfin, d’investissement symbolique de l’identité.

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Mais le costume représente aussi une forme symbolique de représentation de l’identité car il théâtralise les rôles tenus par les « jeunes » dans l’espace public. Âge d’identité en transition, la jeunesse s’inscrit, par le costume et, par conséquent, par la mode, dans des formes symboliques qui, comme les costumes du théâtre, lui confèrent, le temps d’une représentation, des identités de rôles, de personnages. Le costume fait partie intégrante du « parler jeunes », car il définit une sémiotique de l’identité dont se réclament ceux qui le portent. Cette théâtralisation de l’identité3 par le costume et l’habillement explique, d’ailleurs, certains traits qui peuvent paraître excentriques, hors normes, parce qu’il s’agit de distinguer fondamentalement l’identité des « jeunes » de celle des autres, par le type d’habillement qu’ils portent. Ces traits apparaissent aussi hors normes parce que cette théâtralisation vestimentaire de l’identité représente une forme de distanciation critique, de mise en question, voire de subversion ou d’insoumission par rapport aux formes instituées de la culture et de la sociabilité.

Il convient d’ajouter l’importance du travail du corps, qui constitue un élément majeur de la médiation symbolique de représentation de l’identité des « jeunes » dans l’espace public. Tandis que les sujets de la sociabilité dissimulent, au contraire, leur identité, sous le costume, pour mieux la refouler sous les traits partagés de l’indistinction, les « jeunes » assument pleinement leur identité et leur spécificité en la donnant à voir aux autres habitants de l’espace public, sous la forme d’une véritable mise en scène de leur corps.

On peut citer, à cet égard, l’exemple des marches de l’Opéra de Lyon, où, tous les jours, le soir, ont lieu de véritables exhibitions des jeunes. De façon plus générale, on peut considérer que les formes musicales ou dansées comme le hip-hop donnent aux « jeunes » des formes, à la fois esthétiques et politiques, de représentation de leur identité collective dans l’espace public. Il ne s’agit pas, ici, de pratiques culturelles singulières, donnant à ceux qui les mettent en œuvre des moyens d’expression de leur désir propre et de leur identité particulière, mais bien de pratiques collectives rendant possible l’expression d’une identité collective des « jeunes » grâce aux pratiques esthétiques et culturelles qu’ils mettent en œuvre.

Le travail du corps, qu’il s’agisse de la danse, de la déambulation ou de l’exhibition de performances dans l’espace public a toujours représenté, pour les « jeunes » une médiation symbolique majeure de leur identité. Sans doute même la possibilité de donner son corps à voir est-elle un mode d’expression assumé par les « jeunes » de façon particulière. Au lieu de constituer un mode d’expression par la représentation du corps de l’autre (d’un modèle, par exemple), la mise en scène du corps des « jeunes » dans l’espace public par ceux mêmes qui se donnent à voir constitue ce que l’on peut appeler un mode d’expression par le corps propre des « jeunes ».

Il convient de penser cette exhibition du corps dans les mêmes termes que l’expression sportive de la performance. Les « jeunes » donnent, en effet, leur corps en représentation à la fois dans des pratiques artistiques et dans des pratiques sportives, qui, les unes et les autres, constituent de véritables performances. Le travail sportif du corps a la même signification que le travail artistique : il s’agit de ce que l’on peut appeler l’exposition du corps,

3 Cf., ici même, l’article de Zsuzsanna Fagyal.

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caractéristique des « jeunes ». En revanche, il convient de faire apparaître la différence entre ces deux modes d’exhibition du corps – l’une étant structurée par la signification de la performance, et l’autre étant structurée par la mesure de l’exploit que représente cette performance. L’exhibition esthétique du corps des « jeunes » aboutit à une forme de sublimation artistique de leur corps. De son côté, l’exhibition sportive du corps aboutit à une forme d’exploit physique et à la réalisation d’un optimum, d’une performance obtenue par l’effort intensif fourni par leur corps – qui, en quelque sorte, refoule, ainsi, ses potentialités proprement symboliques de signification et de représentation, pour s’en tenir à une performance quantitativement mesurable.

L’usage symbolique du corps représente une forme de « parler jeune », en ce que c’est par le corps que l’âge acquiert une forme apparente, et peut, par conséquent, dans l’espace public où les identités sont censées être indistinctes, exprimer l’identité de celui qui en est porteur. Exprimer son identité par un travail symbolique sur son corps (des vêtements à l’usage du corps comme matière d’expression du sens), c’est mettre en œuvre une activité symbolique indépendante des systèmes signifiants imposés, c’est recourir à une logique de représentation et à un matériau signifiant que l’on est seul à maîtriser.

��UN ESPACE PUBLIC PARTICULIER

Le « langage jeune » se caractérise par l’existence de lieux et de territoires dans lesquels il s’exerce. La communication entre les jeunes s’inscrit dans une géographie symbolique particulière, qui correspond à des lieux qui sont à la fois des lieux de sociabilité et des lieux de communication. Sans doute convient-il de définir une relation particulière au lieu qui caractériserait les pratiques culturelles des « jeunes », et qui permettrait de définir une sémiotique particulière de l’espace, qui leur serait propre. Cet espace de communication des « jeunes » se caractérise par trois éléments importants.

D’abord, c’est un espace de mobilité, de parcours et de déplacement : comme un espace temporaire, comme un espace de transition4. Les jeunes se déplacent dans l’espace public, faute, sans doute, d’être en mesure d’ancrer leur identité dans un lieu stable, et, surtout, faute d’articuler leur identité à une appartenance pérenne. C’est pourquoi les « jeunes « qui manifestent leur jeunesse de façon ostentatoire le font par des défilés, par des déambulations dans la ville, par des déplacements dans la rue – qui prennent souvent la forme de mouvements collectifs, ou, enfin, par des séjours nombreux dans les cafés et dans d’autres lieux de séjour temporaire. Les défilés, les cortèges, les déplacements bruyants des « jeunes » dans les rues transforment l’espace dans lequel ils sont présents en espace de reconnaissance de ce que l’on peut appeler une mobilité sémiotique.

Ensuite, on peut observer que les « jeunes » investissent les lieux par des objets et par des traces. On observe cela, par exemple, dans le film de Nanni Moretti, La chambre du fils. La trace est une métonymie de l’identité des jeunes qui investissent les lieux qu’ils occupent ou qu’ils parcourent. Cette métonymie peut s’inscrire dans des objets quotidiens, qui manifestent la nécessité d’occuper

4 Cela représente un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour mais

un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour.

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l’espace par des marques identitaires aisément reconnaissables. Cela explique le désordre qui peut exister dans certaines chambres d’adolescents : il renvoie à ce que l’on peut appeler un langage de la trace, fondé sur une représentation métonymique de l’identité par des accumulations d’objets. Le désordre n’est pas un simple désordre. Il s’agit, en fait, d’une inscription de la présence des « jeunes » dans des objets censés non les représenter, mais constituer des traces de leur sociabilité.

Enfin, la sémiotique de l’espace des « jeunes » est une sémiotique de l’inscription – qui, d’ailleurs, renvoie les signes et les mots inscrits à un statut de traces. Cette sémiotique de l’inscription prend la forme du graffiti ou celle de l’inscription de symboles et de figures de représentation sur les murs des villes. Ces graffitis (qui ont abouti, d’ailleurs, à une expression artistique sous la forme de l’art des grapheurs) correspondent à l’exigence de lisibilité identitaire de la mémoire du passage des « jeunes » dans les lieux qu’ils investissent ainsi de la métonymie de leur présence. Ils rendent lisible la présence des « jeunes » dans l’espace urbain, ainsi transformé en espace de lisibilité des signes qu’ils y inscrivent.

Il s’agit d’un espace symbolique dans lequel se formulent et s’échangent des

représentations symboliques et des pratiques culturelles qui, par cette circulation et ces échanges, instituent pleinement les identités politiques qui structurent les acteurs de la sociabilité. L’espace public des jeunes est fait de toutes sortes d’acteurs et de médias de communication et d’information qui produisent à la fois des représentations du monde et des médiations de sociabilité. Il se définit par trois éléments qui lui confèrent une géographie particulière.

D’une part, cet espace public est unifié. Il comprend un ensemble d’acteurs sociaux porteurs du même âge – se reconnaissant, ainsi, de la même identité en matière d’âge. Le concept d’identité se définit comme une dialectique (Lamizet (2002 : 45) entre la dimension singulière du sujet (la vérité de son désir et de son rapport à l’autre) et sa dimension collective (la dimension politique de son expérience et de ses rapports avec les autres dans l’espace public). S’agissant des jeunes, la définition de ce concept d’identité a à être précisé. Moins que d’une dialectique entre vérité et politique, sans doute s’agit-il, plus précisément, d’une dialectique entre l’expression du désir qui forme la singularité de chacun des jeunes et l’expression de leur appartenance commune, au sein de la société, cette appartenance commune au champ des « jeunes » pouvant entrer elle-même en conflit avec les formes de la sociabilité de l’espace public.

C’est au sein de l’espace public que l’on peut définir un espace public

propre des jeunes, structuré par leurs institutions, par leurs médias, par leurs lieux de spectacle et de sociabilité. L’identité des « jeunes » exprime, ainsi, dans l’espace social dans lequel ils vivent, cette dialectique entre le désir qui motive leurs conduites personnelles singulières et l’appartenance sociale qui structure leurs relations avec leurs parents, avec leurs familles, avec les institutions auxquelles ils sont confrontés. L’unification de l’espace public des jeunes relève donc, en réalité, d’une double logique. Il s’agit à la fois de deux unifications. On peut qualifier la première de « réelle ». Elle se fonde sur l’âge commun dont sont

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porteurs tous ces « jeunes » qui forment cette sociabilité et sur les pratiques sociales et culturelles effectives qu’ils mettent en œuvre dans l’espace public. L’autre unification dont il est question, que l’on peut qualifier de symbolique, est, elle, fondée sur des représentations, des savoirs et une culture que partagent les « jeunes » en y reconnaissant des marques et des formes de leur identité collective, instituée par leur âge partagé.

D’autre part, l’espace public des jeunes, ainsi institué, se situe en rupture avec l’espace public – à tout le moins dans une logique de différenciation par rapport à lui. Tandis qu’une identité singulière s’institue, d’abord, sur la base d’une spécularité, d’une identification symbolique à un sujet, et, dans un second temps seulement, s’autonomise par rapport à ce modèle et s’institue en une subjectivité propre, l’identité collective, celle d’un groupe social, s’institue, d’abord, en rupture par rapport à d’autres identités existantes. C’est sur la rupture que se fondent, d’abord, les identités sociales et institutionnelles qui structurent l’espace public en s’inscrivant dans les lieux et dans les espaces qui l’organisent. C’est pourquoi les lieux de spectacle et d’animation des « jeunes », leurs cafés, leurs lieux de jeux et de consommation, sont institués, en rupture avec l’espace public, sur la base d’une forme de territorialisation – un peu à la manière des ghettos du Moyen Âge.

Des lieux sociaux particuliers, propres à la jeunesse, organisent ainsi cette géographie propre au sein de l’espace public. Cette géographie, cet espace public particulier, fait aussi partie de la théâtralisation de la jeunesse instituée par l’usage sémiotique du vêtement. Cet espace public des « jeunes » est la scène sur laquelle ils se donnent en représentation, pour eux-mêmes mais aussi pour les autres. L’existence de cette géographie particulière fait partie de la théâtralisation des « jeunes » dans l’espace public, car on sait que la théâtralité se fonde, d’abord, sur l’existence d’une scène, d’un lieu théâtral, distinct du lieu réel de l’espace public. La théâtralisation des « jeunes » par leur costume ou par leur expression linguistique s’inscrit dans la même logique que l’existence de cette géographie particulière de leurs lieux d’habitation : il s’agit de la formation d’un espace dans lequel ils puissent représenter leur identité, et, de cette façon, l’instituer, en la confrontant à l’identité des autres populations de la société dans laquelle ils vivent.

��LANGAGE, MÉDIATIONS, INSTITUTIONS

Le « parler jeunes », comme tout système symbolique de représentation des identités, s’inscrit et se met en œuvre dans des lieux institutionnels. Il constitue lui-même une médiation, en donnant une forme aux appartenances sociales qui définissent les « jeunes », et en constituant une médiation de nature à organiser les lieux et les activités de communication et d’information mises en œuvre par les jeunes. Cette fonction de médiation du « parler jeunes » peut se définir en trois points.

D’une part, il s’agit d’une médiation dont les formes et les modes de représentation évoluent avec les pratiques sociales engagées dans l’espace public. Il y a une très forte corrélation entre la spécificité d’un langage identitaire et des pratiques sociales qui sont, elles-mêmes, considérées comme caractéristiques de cette identité. La question du « parler jeunes » nous oblige, sans doute, à une

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réflexion sur ce que l’on peut appeler la dimension langagière des institutions et des médiations en usage dans cet espace public propre de la jeunesse. Le fait institutionnel propre à la jeunesse – associations, mouvements de jeunesse, clubs de toute nature – se caractérise par une très grande continuité entre les deux formes majeures de la sociabilité : la quotidienneté et l’organisation des institutions. La sociabilité propre aux « jeunes » s’inscrit dans des pratiques institutionnelles qui sont en continuité avec les formes linguistiques et culturelles de la quotidienneté. Les structures propres à la sociabilité des jeunes articulent étroitement ce que l’on peut appeler les pratiques quotidiennes de la sociabilité (repas, voyages) et les pratiques proprement institutionnelles de la sociabilité (vie associative, responsabilités, élaboration et mise en œuvre de projets collectifs).

C’est pourquoi le thème de la solidarité ou les thèmes environnementaux sont des thèmes assez caractéristiques du discours politique et de l’engagement propre aux « jeunes » dans leur vie sociale, car il s’agit de thèmes qui articulent très étroitement les exigences de l’engagement et celles de la quotidienneté, voire de la vie pratique. Les mouvements internationaux de solidarité institués par les jeunes (chantiers d’aide au développement ou de sauvetage de régions sinistrées, initiatives d’aide aux pays en voie de développement ou de mise en œuvre d’actions de solidarité avec des malades ou des populations sinistrées) représentent, ainsi, la construction d’un espace public d’expression et de communication politique propre aux « jeunes ». Sans doute, d’ailleurs, est-ce une évolution de cette nature qui peut expliquer l’importance croissante prise dans la vie politique et institutionnelle par les thèmes liés à la protection de l’environnement et à des exigences nouvelles de la vie quotidienne. En effet, de tels thèmes et de telles formulations politiques ont souvent été mis en évidence dans notre conscience politique, illustrés, énoncés, précisément par l’évolution de la vie politique et des pratiques institutionnelles liées à l’engagement des « jeunes » dans l’espace public et dans l’expression de revendications et de discours politiques d’un type nouveau.

D’autre part, le « parler jeunes » établit un certain rapport à l’institution et à la médiation, et, en particulier, met en scène, dans les pratiques symboliques, une distanciation par rapport à elles, voire un rejet des dispositifs institutionnels. C’est, du moins, souvent par ce rejet que le « parler jeunes » est reconnu comme tel par ceux qui lui sont étrangers. Il y a une sorte de méfiance, de distance, par rapport aux faits institutionnels et par rapport aux logiques de pouvoir, qui est, sans doute, une caractéristique majeure des « jeunes » dans leurs pratiques sociales et culturelles. C’est que les « jeunes » ne sauraient s’identifier symboliquement aux acteurs politiques institués, porteurs de pouvoir et de notabilité. Si, longtemps, cette distance par rapport aux identités politiques instituées a conduit les jeunes à s’abstenir de participer à la vie politique et à se tenir à distance du fait institutionnel, elle prend, aujourd’hui, la forme, beaucoup plus engagée, d’une distanciation critique. L’existence de mouvements spécifiques de « jeunes » aux côtés des partis politiques (Jeunesse communiste, Jeunesse communiste révolutionnaire, Mouvement des Jeunes socialistes, Jeunes de l’U.M.P., etc.) a contribué à ce que s’élabore un langage politique propre aux jeunes et des formes d’affiliation et d’engagement qui leur sont spécifiques.

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Sans doute même l’existence de ce mouvement de sociabilité politique des « jeunes » a-t-il contribué, aussi, à la formulation d’un certain nombre d’exigences politiques propres, et, même, à l’intégration d’un certain nombre de revendications politiques des jeunes dans les plates-formes des partis et dans les engagements des acteurs politiques. Le « parler jeunes » a, ainsi, contribué au renouvellement du vocabulaire et du discours politiques et à la mutation des revendications et des projets des partis et des acteurs politiques. Après tout, l’abaissement de la majorité politique à dix-huit ans est, sans doute, à considérer comme un succès du « parler jeunes » et de sa formulation des identités et des revendications politiques propres à la jeunesse. On peut aussi citer, parmi les évolutions du discours politique et des pratiques institutionnelles liées à l’engagement spécifique des « jeunes » la reconnaissance de la légitimité de la contraception, l’apparition de nouvelles pratiques et de nouvelles logiques de formation et d’éducation, le développement des pratiques et des réseaux d’information et de communication, les nouvelles législations en matière de médias et de radios libres. Ainsi, le « parler jeunes », en s’exprimant dans de nouveaux discours et de nouvelles pratiques institutionnelles, a-t-il, sans doute, contribué à ce qu’apparaissent de nouvelles formes et de nouveaux enjeux pour le discours politique, et à ce qu’ils soient pleinement reconnus et légitimés dans l’espace public.

Enfin, le « parler jeunes » pose le problème de la durée de l’appartenance à un système institutionnel et de la durée d’exercice d’un dispositif de médiation. En effet, si l’appartenance à un âge est, par définition, temporaire, on peut se demander si certaines cultures et certains parlers « jeunes » ne perdurent pas, chez ceux qui les revendiquent, au-delà de leur appartenance à l’âge constitutif de cette identité. La question, en d’autres termes, consiste à se demander si l’identité « jeunes » continue à être associée à la réalité d’un âge particulier, ou s’il ne convient pas, finalement, de poser la question d’une tripartition de la jeunesse en trois instances

5. Se distingueraient, dans ces conditions, une jeunesse réelle (celle

de l’âge), une jeunesse symbolique (celle des pratiques et des formes spécifiques de représentation et de communication) et une jeunesse imaginaire (celle des utopies dont on peut être porteur, et des rêves que l’on peut faire, pour soi-même et pour les autres). On peut proposer à cette question trois types de réponse. D’abord, sans doute, il dépend de l’inconscient de chacun de connaître l’âge auquel s’identifie le sujet. La psychanalyse nous apprend qu’il convient de distinguer les identités réelles et les identités symboliques (le père réel de quelqu’un n’est pas nécessairement son père symbolique). De la même manière, sans doute convient-il de distinguer l’âge réel de quelqu’un (celui de son développement physiologique) et son âge symbolique (l’âge que, pourrait-on dire, il assume, dans ses façons de parler, dans ses pratiques symboliques, dans les activités et les relations constitutives de sa sociabilité).

Le « parler jeunes » serait, dans ces conditions, une pratique symbolique particulière à laquelle on adhérerait plus qu’à d’autres – une langue que l’on 5 Bien sûr, et au-delà de la jeunesse, une telle question peut se poser pour l’ensemble des âges. Le

congrès de l’Association française de sémiotique (Lyon, juillet 2004), consacré à « la sémiotique des âges de la vie » aura, sans doute, à se poser la question au cours de ses débats et de ses réflexions. S’adresser, pour toute information, à : http : //sites.univ-lyon2.fr/semio2004

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choisirait de parler de préférence à d’autres langues ou à d’autres modes d’expression. On peut, en particulier, se demander si, finalement, on ne conserve pas toute sa vie, le mode d’expression et de communication de sa jeunesse, et si le « parler jeunes » ne représente pas, en fin de compte, le parler mis en œuvre par chacun d’entre nous dans les pratiques de représentation et de mise en évidence de son identité. Le « parler jeunes » ne serait, au bout du compte, ainsi, que le parler identitaire, que la médiation culturelle de l’identité, puisque, finalement, la jeunesse n’est pas autre chose que l’âge de construction de l’identité.

��LES MÉDIAS

L’espace public des jeunes est régulé et structuré par des médias particuliers, qui inscrivent une certaine temporalité et une certaine événementialité propres aux jeunes. Il y a une mémoire partagée des « jeunes », mémoire construite et structurée par les médias qu’ils lisent, par les histoires qu’ils partagent, par les événements dont ils reconnaissent ensemble l’importance et la signification. Les médias et les sources d’information et de représentation (journaux, livres, spectacles, musique, jeux), qui institutionnalisent les médiations symboliques de l’appartenance, organisent un espace public des « jeunes », au sens même où Habermas définit un espace public. Il a toujours existé des médias destinés aux jeunes, ce qui montre la nécessité de l’existence d’un système médiaté d’information et de représentation pour que soi instituée une appartenance sociale dans l’espace public.

D’une part, il existe toute une presse écrite et audiovisuelle à destination d’un public, par ailleurs très consommateur. On peut, à chaque époque, relever un certain nombre de médias destinés, ainsi, à ce que l’on peut appeler la socialisation symbolique des « jeunes », destinés à faire exister une identité sociale partagée des « jeunes ». Ces médias, comme ont pu l’être, à différentes époques, Pilote, Salut les copains, la radio NRJ ou encore des magazines contemporains comme Piercing (dont il a été question plus haut) racontent des événements et font apparaître des acteurs particuliers susceptibles de recueillir l’identification de leurs lecteurs. Ils mettent, ainsi, en mouvement une opinion publique propre aux jeunes, et, ainsi, contribuent à construire cet espace public particulier. Les médias des « jeunes » se caractérisent par l’articulation du discours et de la musique, des recherches esthétiques les plus complexes et des discours faisant apparaître des formes nouvelles d’engagement politique, et, enfin, par une articulation très exigeante entre esthétique et information. Les médias des « jeunes » consacrent une part importante de leur activité éditoriale à la publicité, pour des raisons financières, comme tous les médias, mais aussi pour donner à leur lectorat et à leur audience des représentations de leurs propres pratiques sociales, qui confondent activités de consommation et activités sociales et culturelles. Nous sommes ici devant une caractéristique du « parler jeunes », qui est l’absence de distance, d’écart, entre la communication publicitaire et la communication d’information et de médiation culturelle. L’importance de la publicité dans les médias et dans l’espace public à l'époque contemporaine est sans doute à l'origine de cette évolution des médias et des activités symboliques et culturelles des « jeunes », qui n’opposent pas nécessairement, dans leur activité médiatée, la publicité à l’information. La presse et les médias, écrits et

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audiovisuels, ont, d’ailleurs, à l’intention de l’espace public « jeune » accentué les entreprises de renouvellement et de créativité que la publicité a introduites dans l’activité éditoriale. La créativité en matière de médias s’est, d’ailleurs, elle-même trouvée renforcée par la multiplication des réseaux et des canaux de diffusion, de la presse Internet aux formes renouvelées de l’édition écrite et audiovisuelle.

Dans le champ de ce renouvellement de l’activité éditoriale des médias et des structures de l’information et de la communication, on observe une très forte articulation entre cette presse et la publicité, qui constitue le second média dans lequel les jeunes peuvent se reconnaître et qui stabilise, en les institutionnalisant, leurs pratiques vestimentaires, culturelles et ludiques. Il convient, sans doute, ici, de ne pas limiter la signification et l’impact de la publicité à la seule promotion des marques et des activités commerciales. L’importance acquise par la publicité dans la seconde moitié du vingtième siècle a amené à une légitimation de la communication publicitaire et à une reconnaissance des formes et des pratiques de représentation que la publicité met en œuvre dans l’espace public. La publicité a fini par se faire accepter dans le champ de la communication médiatée, et les pratiques de communication mises en œuvre par les « jeunes » sont pour beaucoup dans cette reconnaissance et dans cette légitimation. En effet, la publicité a cessé d’être considérée seulement comme une entreprise de promotion de marques et d’incitation à la consommation, pour devenir une activité de représentation symbolique de culturelles et d’usages sociaux. Dans les représentations de la publicité, je reconnais les pratiques sociales que je mets moi-même en œuvre, et les « jeunes », en particulier, consommateurs et destinataires privilégiés des publicitaires, sont largement mis en scène dans les représentations de la publicité qui leur confèrent, ainsi, la légitimité de l’inscription dans les médias. Les « jeunes » sont pour beaucoup dans cette évolution du statut de la publicité, ne serait-ce que parce que l’évolution et le renouvellement de leurs propres pratiques sociales et culturelles a entraîné un renouvellement parallèle des représentations de la publicité. Peut-être même peut-on considérer que le « parler jeunes » se caractérise aussi par de nouveaux rapports entre les pratiques sociales et les représentations publicitaires, fondées désormais sur une étroite dialectique, au lieu de n’être qu’à sens unique, comme elles l’étaient, le plus souvent, auparavant, la publicité étant désormais autant créatrice de pratiques sociales pour les « jeunes » que ceux-ci sont prescripteurs dans les activités de la médiation publicitaire.

D’autre part, Internet a fait très vite l’objet d’une appropriation par les pratiques symboliques des jeunes, ce qui a donné lieu à la naissance de nombreux sites et ce qui a entraîné une évolution certaine des pratiques de communication et d’information mises en œuvre par les « jeunes » dans les activités constitutives de leur sociabilité propre. Internet correspond à la sociabilité communicationnelle « jeune » de trois façons. D’abord, il s’agit d’un réseau de sociabilité, et, par conséquent, de formes sociales qui confondent appartenance et activité symbolique. Naviguer sur le réseau Internet, c’est, à la fois, utiliser des sites d’information et manifester une véritable activité novatrice dans les pratiques de communication et d’information. Le concept de navigation représente lui-même une forme spécifique d’activité de communication, fondée sur une découverte en partie aléatoire (donc ludique) d’acquisition d’information et sur des parcours

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symboliques métaphoriquement porteurs des figures du voyage, de l’exploration et de la découverte, fortement associées à l’identité symbolique des jeunes. C’est ainsi que le « parler jeunes » a forgé l’expression surfer sur Internet, qui représente la dimension sportive de l’activité de découverte et de navigation, ainsi que la référence aux exploits sportifs constitutifs d’une partie de l’identité des jeunes. La navigation sur Internet donne lieu à une forme de géographie symbolique des sites, qui manifeste, enfin, une forme particulière de représentation de l’information.

Par ailleurs, le jeu représente un média très fort chez les jeunes, en raison de la mutation des identités qu’il met en œuvre auprès de ceux qui jouent ou qui pratiquent des jeux de société. Le jeu est un véritable « média jeune », car il porte sur la construction et la négociation des identités. Jouer – et, en ce sens, cela appartient pleinement à l’activité symbolique des « jeunes » - revient à se donner une identité et à inscrire les identités dans les activités symboliques. Le jeu est une pratique symbolique qui consiste à inscrire l’identité dans des échanges, des négociations et du hasard. Jouer, c’est risquer l’identité que l’on met en représentation dans ses pratiques symboliques avec les autres partenaires de la communication et de la sociabilité. C’est pourquoi le jeu fait partie intégrante des processus de formation des identités, dans l’évolution de la personnalité.

Le jeu, comme forme esthétique et symbolique d’édition et de médiation, a su s’adapter aux nouvelles technologies, en proposant des jeux électroniques de toute nature, qui peuvent se pratiquer en déplacement ou dans des lieux prévus à cet effet C’est ainsi que « La tête dans les nuages » présente, à Lyon

6, des activités

ludiques, de la même façon que les très nombreux établissements de jeux électroniques. Le jeu articule, ainsi, les découvertes technologiques et les pratiques d’information et de communication aux activités de négociation et de confrontation des identités. Il met en scène des activités de transformation d’identités et de formation d’identités symboliques au cours de pratiques sociales spécifiques, isolées par rapport à ce que l’on peut appeler la sociabilité ordinaire.

Les jeux vidéo et les jeux Internet, enfin, comme les pratiques individualisées de médiation singulière, constituent des activités au cours desquelles les joueurs sont en situation singulière de communication et de sociabilité. Ils font l’objet d’une évolution comparable à l’évolution qui a conduit les médias de formes collectives (spectacles, cinéma) à des formes singularisées (télévision). De la même manière, les jeux vidéo ou les jeux Internet ne sont pas, à proprement parler, de jeux de société, mais d’activités singularisées, individualisées, que les joueurs pratiquent seuls, instituant, pour eux-mêmes, des espaces ludiques symboliques dans lesquels ils jouent, pour eux-mêmes les identités dont ils sont porteurs.

Le cinéma (qu’il s’agisse de films d’identification narrative comme les films d’action ou de films plus distanciés comme le récent Tanguy de Chatilliez) articule la fonction médiatée d’information et de communication, et la fonction de spectacle d’identification et d’appartenance sociale. L’activité de médiation d’identité du jeu est mise en œuvre, au cinéma, sur l’écran, à l’intention des

6 Il s’agit d’un magasin où l’on peut pratiquer des jeux électroniques. Il est situé au centre, près de

la place des Terreaux, lieu de rassemblement de beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes.

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spectateurs qui peuvent y assister, de façon distanciée. Le cinéma représente, en fait, une mise en scène esthétique du « parler jeunes » qui suscite, auprès du public des spectateurs, à la fois une identification narrative et une identification symbolique. L’identification narrative consiste, en particulier pour le public de jeunes qui assiste à la présentation des films, à se reconnaître dans les identités des personnages qui jouent des rôles de « jeunes » dans les films. On peut se reconnaître, grâce au récit dans lequel il intervient, dans un personnage comme celui de Tanguy, ou, dans le cas de films destinés de façon encore plus claire à un public jeunes, comme les films musicaux, dans les personnages mis en scène au cours de la narrativité représentée par le récit filmique. Le « parler jeunes » consiste, ainsi, pour le cinéma, d’abord, à mettre en scène des récits dont les acteurs sont des jeunes et dont les enjeux peuvent être compris par le public « jeune » auquel sont destinés ces films.

Mais il y a aussi, au cinéma, un autre type d’identification, l’identification symbolique, qui consiste à mettre en scène le « parler jeunes » comme une modalité d’expression du film, et non comme une simple modalité du récit filmique. C’est le discours du film, les propos des personnages, voire la configuration des décors, de la mise en scène et des personnages, qui, dans ces conditions, deviennent des formes de mise en œuvre de la médiation symbolique du « parler jeunes ». Bien sûr, un exemple historiquement très fort de ce type de médiation symbolique assurée par les films demeure La Guerre des Boutons, d’Yves Robert, d’après le roman de Louis Pergaud. En effet, au-delà du récit, le « parler jeunes » mis en scène dans ce film (en particulier l’immortel Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu, de P’tit Gibus) institue une véritable sociabilité, non seulement dans les mots, mais aussi dans les rituels institués et dans les relations mises en scène dans le film entre les personnages.

Enfin, il convient de noter que l’individualisation des médias et des pratiques de communication est une caractéristique des usages, propres aux « jeunes », de la communication médiatée. Des « baladeurs » aux téléphones portables et aux écrans « Texto », les médias des « jeunes » se signalent par le double aspect de leur mobilité et de leur singularité – dans la définition de ce que l’on pourrait appeler un espace singulier de communication. Le « parler jeunes » pourrait alors se définir - toujours dans la perspective de la définition d’une sociabilité globale comme on vient de le voir à propos du cinéma – comme la mise en œuvre de pratiques de communication de nature à instaurer un nouvel espace public des jeunes en rupture avec l’espace public institué.

La première rupture d’un tel espace de sociabilité symbolique par rapport à l’espace institué consiste dans la délimitation d’un espace singulier de communication, dans une véritable fragmentation de l’espace public, morcelé, en quelque sorte, en autant d’espaces de communication qu’il existe de relations singulières ou intersubjectives de communication. C’est cela, l’espace du téléphone portable ou du «Texto » : un espace séparé de l’espace public par la mise en œuvre d’un code de communication propre aux interlocuteurs. Le « parler jeunes » consiste, alors, avant tout, dans la délimitation d’un espace de communication propre et dans la rupture de cet espace par rapport aux autres lieux de communication ensemble constitutifs de l’espace public. La multiplication des dispositifs techniques de communication individuelle revient, ainsi, pour les

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jeunes, à instaurer un espace public morcelé, fragmenté, dans lequel ce sont les partenaires de l’échange qui, en quelque sorte deux à deux, réinventent un espace public qui leur est propre.

L’autre grande rupture qui caractérise ces formes et ces pratiques de communication individualisée est la clôture sur elles-mêmes de ces activités de communication. Le « parler jeunes » se clôt sur lui-même dans l’écoute d’un baladeur ou dans la lecture d’un message sur un « Texto ». Le « parler jeunes » consiste, dès lors, non seulement à s’abstraire et à s’isoler de l’espace public dans la formation d’un espace intersubjectif, mais, en allant plus loin, à configurer un espace symbolique propre qui, dès lors, ne consiste pas dans un espace d’échange mais dans un espace de représentation de la communication. Le « parler jeunes » consisterait, alors, à retrouver la logique du jeu, mais à l’appliquer, cette fois, à la communication même. Le jeu est renvoyé, dans l’imaginaire des jeunes et dans leurs pratiques symboliques, à la formation d’un espace identitaire second dans lequel s’institue et se met en scène une identité propre. De la même façon, la communication, ainsi mise en œuvre au cours d’activités esthétiques et symboliques singulières, est renvoyée à un jeu singulier, de nature, peut-être, à refonder le « je » singulier de « jeunes » qui tentent de s’y retrouver.

��CONCLUSION. EXISTE-T-IL UN « PARLER JEUNES » ?

Pour finir, tentons donc de répondre à notre question du commencement. La question est intéressante aussi parce qu’elle nous permet de répondre à une autre : qu’est-ce, au fond, qu’un parler, peut-on imaginer une différence entre langue, parole et parler ? La question du parler jeunes nous permet, en conclusion, de rebondir, en quelque sorte, sur deux autres thèmes : celui du parler et celui que l’on pourrait désigner comme une approche du concept d’identité en termes de communication. En provoquant la mise en question du concept de langue et de celui de langage, le mot, parler, ne serait-il, finalement, pas utile à l’intelligibilité linguistique des faits de communication ? On peut répondre en trois points.

Sans doute n’existe-t-il pas, à proprement parler de parler jeunes, ne serait-ce, d’ailleurs, que, parce que, comme on l’aura vu tout au long de ce texte, le concept même de jeunesse est mouvant. Ce qui existe, c’est un certain nombre de pratiques symboliques mises en œuvre, dans l’espace public, par des personnes qui, justement, construisent leur appartenance et leur identité par l’usage de ces pratiques symboliques dont la répétition, au-delà de l’effet de « mode » qu’elle représente, produit une stabilisation qui a quelque chose à voir avec l’institutionnalisation d’une langue. Il n’existe ni de langue des jeunes, ni de parler jeunes : sans doute n’existe-t-il qu’un ensemble ritualisé de pratiques symboliques dont le retour et la répétition permettent à la fois la reconnaissance et l’identification de ceux mêmes qui les mettent en œuvre. S’il y a des usages symboliques de la langue et des pratiques sociales qui sont propres à une certaine catégorie de population qu’ils parviennent justement à constituer, sans doute s’agit-il, d’abord, essentiellement, de modes particuliers d’appropriation de l’espace public et de formes particulières de pratiques sociales d’usage de la langue.

Le second point qui permet de définir ce qu’il en est d’un « parler jeunes » est lié à l’espace public. L’observation permet de se rendre compte de

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l’importance de l’espace dans la reconnaissance des identités et des pratiques symboliques qui les mettent en scène. S’il y a un « parler jeunes », sans doute est-il, d’abord, fondamentalement défini par les lieux où il est mis en œuvre. Avant même de parler de langue, voire d’usage particulier de la langue, il nous faut revenir à cette catégorie fondamentale élaborée par Habermas. En effet, dans l’espace privé, dans le lieu familial, ce n’est pas par le langage que « les jeunes » se définissent et se reconnaissent, mais bien par leur situation par rapport aux autres générations. C’est la filiation qui constitue les identités dans l’espace familial et dans l’espace privé. En revanche, il faut bien le langage, qu’il s’agisse des mots du « parler jeunes » ou des formes symboliques de leur langage, pour que les jeunes s’instituent une identité qui fasse l’objet d’une reconnaissance, à la fois par eux-mêmes, entre eux, et par les autres. C’est dire l’importance des lieux de la sociabilité qu’ils mettent en œuvre pour comprendre l’institution d’un parler jeunes.

Enfin, cet espace public ne saurait être situé hors de l’histoire et du politique. Il ne saurait y avoir de parler jeunes sans reconnaissance de l’existence d’une médiation culturelle de la jeunesse dans l’espace de la sociabilité. Sans doute la véritable question n’est-elle pas celle d’un parler jeunes, mais celle de l’existence d’une culture jeunes, de lieux propres à la mise en œuvre de pratiques de médiation culturelle de nature à exprimer leur identité – voire à la leur constituer. Les formes du langage ne sauraient faire l’objet d’une analyse et d’une rationalité qui les séparent des autres formes constitutives de la culture et des médiations qui l’expriment dans l’espace public. Plus encore que des lieux constitutifs d’un espace public propre, ce qui peut constituer un parler jeunes, un ensemble de pratiques symboliques exprimant leur identité, ce sont de véritables pratiques culturelles au cours desquelles ceux que nous avons l’habitude d’appeler les jeunes puissent exprimer et sublimer les désirs propres dont ils sont porteurs. Même s’il s’agit d’une identité en transition, de telles médiations esthétiques et culturelles de la sociabilité leur confèrent, dans la société civile, une identité dont ils puissent se soutenir, dont ils se fassent reconnaître : dans laquelle ils puissent se faire entendre des autres, et, surtout, s’entendre eux-mêmes.

Bernard Lamizet [email protected]

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Cyril Trimaille Lidilem

Université Grenoble III (France)1

ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES URBAINS EN FRANCE

ÉLÉMENTS POUR UN ÉTAT DES LIEUX2

– Pardon monsieur vous n’avez rien contre les jeunes ? – Si. J’ai. Et ce n’est pas nouveau. Je n’ai jamais aimé

les jeunes […]. La jeunesse, toutes les jeunesses, sont le temps kafkaïen

où la larve humiliée, couchée sur le dos, n’a pas plus de raison de ramener sa fraise que de chances de se

remettre toute seule sur ses pattes. P. Desproges, Chroniques de la haine ordinaire, 1986

��OBJECTIFS

Depuis que la France est entrée, dans les années soixante, dans une phase d’urbanisation périphérique massive, de nombreux travaux sociologiques ont étudié les cités, quand d’autres ont décrit l’émergence et la transformation de représentations sociales « de la banlieue » (Dubet, 1987; Bachmann & Basier, 1989; Lepoutre, 1996; Rinaudo, 1999…). À mesure que « la banlieue » s’imposait comme un « thème de société », la visibilité des pratiques langagières souvent attribuées aux habitants de ces espaces s’est développée, provoquant une multiplication des publications portant sur ce que j’appellerai, faute de mieux et en ayant conscience que cette désignation nécessite une problématisation, des « parlers de jeunes urbains ». Après une vingtaine d’années et une accumulation considérable d’enquêtes journalistiques, d’essais ou de travaux scientifiques, il

1 Ce travail est la version remaniée du premier chapitre d’un rapport de recherche collectif réalisé

en réponse à un appel d’offre de la DGLGLF (Billiez et al., 2003b). Il a donc bénéficié des relectures attentives, des remarques et des conseils de J. Billiez, P. Lambert et A. Millet que je remercie, les imperfections restant bien sûr de mon fait. 2 J’applique dans ce texte, de façon variable, les rectifications orthographiques publiées au JO du

6-12-1990.

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CYRIL TRIMAILLE

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apparait utile de faire le point sur un champ caractérisé par une grande hétérogénéité.

L’objectif de cet article est donc de fournir un aperçu des représentations (ordinaires et savantes) qui contribuent à construire socialement un référent – l’objet social « parlers de jeunes urbains » (désormais PJU) – aux contours flous et instables, et de mettre en lumière quelques uns des aspects qui paraissent pertinents dans la construction, encore éclatée et fragmentaire, de cet objet.

Il s’agira donc de recenser quelques uns des travaux représentatifs de la constitution et des évolutions du champ d’étude des pratiques langagières de jeunes citadins et de la diversité des orientations théoriques et méthodologiques qui le structurent actuellement.

Ce recensement m’amènera à faire deux détours préalables. D’abord en interrogeant les notions de jeunesse et d’adolescence, rarement problématisées dans les études sociolinguistiques, pourtant nombreuses sur le sujet, et ce en faisant appel aux regards historique et sociologique. Ensuite, en abordant le rôle qu’ont pu jouer les études de la variation diastratique (sans doute au détriment d’une approche diaphasique) en domaine français, longtemps polarisées sur les « argots » et autres « langages populaires »3 avant de se focaliser sur les « parlers de jeunes ».

��CADRAGE THÉORIQUE

Toute connaissance étant située, il n’est pas inutile, avant de se lancer dans un état des lieux des savoirs construits, d’en examiner les fondations et les éléments constituants. Les supports de cristallisation des représentations sociales4 que constituent les désignations ne doivent pas échapper à ces interrogations. C’est particulièrement le cas des catégories extralinguistiques « jeune(s) » et « adolescents » auxquelles leur caractère d’évidence confère une essence quasi naturelle.

��Qui sont donc « les jeunes »?

Pour F. Dubet (1996 : 24), « les sociétés n’ont pas attendu les temps modernes pour inventer la jeunesse », qui, dans les sociétés traditionnelles, était déjà bornée et contrôlée par des rites, des rôles, des droits et des interdits. Comme toute représentation sociale, celle de la jeunesse s’est, en France, construite au fil des siècles par sédimentation idéologique et praxéologique. Pour comprendre le regard de la société contemporaine sur l’adolescence, il est instructif de mettre à jour quelques strates.

��Bref aperçu d’une longue histoire de la jeunesse

Sans remonter jusqu’à l’antiquité grecque5, à la fin du XVIIIème siècle, les moins de 20 ans représentent 42 % de la population française quand les plus de 60 3 Pour une discussion critique de cette notion, voir notamment Gadet (1992, 2003). Pour un point de vue plus global sur le « populaire », Bourdieu (1983) et Passeron (2003). 4 Les représentations sociales sont des formes de connaissances communes socialement élaborées et partagées, qui jouent un rôle dans l’appréhension des informations nouvelles et orientent l’action des sujets. 5 « Platon déplorait déjà l’irrespect de la jeunesse, comme les anciens du village critiquaient cette jeunesse qui ne sait plus [pas ?] s’amuser. » (Dubet, 1996 : 24).

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ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...

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ans n’en représentent que 7 %6. De l’avis de M. Perrot (1986), cette omniprésence des jeunes dans la société a pu participer au développement d’une peur sociétale des « jeunes ». Les termes employés par Rousseau dans l’Émile (ou De l’éducation, 1762) pour décrire l’énergie qui gronde en chaque adolescent donnent un aperçu de la façon dont les savants de l’époque considèrent la période du passage de l’enfance à l’âge adulte :

Nous naissons, pour ainsi dire, en deux fois : l’une pour exister l’autre pour vivre ; l’une pour l’espèce et l’autre pour le sexe […]. Comme le mugissement de la mer précède de loin la tempête, cette orageuse évolution s’annonce par le murmure des passions naissantes : une fermentation source avertit de l’approche du danger. (Cité dans Perrot, 1986 : 20, soulignements CT).

La vision s’impose d’un adolescent excessif et dangereux, pour lui-même et pour la société, du fait de son bouillonnement sexuel et de ses velléités d’émancipation. L’amalgame est fait entre puberté (phénomène biologique et psychologique) et adolescence (phénomène socialement construit). La criminologie naissante et les médecins martèlent la dangerosité des jeunes de 20 à 25 ans, tandis que les faits divers érigent la figure du « jeune délinquant », agissant seul ou en bande, en un sociotype repoussoir. Ainsi, peu à peu, se dessine la « classe dangereuse ».

De telles conceptions légitiment une prise en charge des « jeunes » et un aménagement juridique de leur statut, notamment par la définition du seuil de la majorité au-delà duquel le sujet est capable de « discernement », et à ce titre pénalement responsable. Elles justifient la prohibition de toute forme d’organisation de jeunes, que le droit commun interdit aux citoyens depuis la loi Le Chapellier de 1791 sur les corporations. Qu’elle s’exerce sur un fils ou sur une fille, l’autorité toute puissante du père, au besoin assise par la force, est transférée au patron ou au maitre, puis à l’armée pour les jeunes hommes.

Pourtant, il faut que jeunesse se passe, et le rôle d’organisateur des fêtes traditionnelles (notamment celles liées aux rites de passage) dévolu aux jeunes s’entend semble-t-il comme une fonction sociale par défaut qui vise notamment à canaliser d’éventuels débordements, sociaux et sexuels, comme le rappelle F. Dubet7 :

Les bals de village et les « rallyes » bourgeois apparaissent comme des modes de régulation des choix du conjoint […]. Chahut des conscrits pour les uns, bizutage d’étudiants pour les autres, les rites de passage se sont toujours réalisés dans un espace de « déviance tolérée » offrant à la jeunesse le droit aux débordements. (Dubet, 1996).

Toutefois, il faut distinguer la place sociale réservée aux filles de celle assignée aux garçons, ainsi que les modalités de leur prise en charge selon les milieux sociaux.

Selon Fize (1998), au XIXème la bourgeoisie met en place un contrôle social de sa jeunesse en enfermant ses filles et en envoyant ses garçons au lycée. Alors qu’une certaine part d’autonomie et de déviance est tolérée pour ces derniers, notamment en matière d’émancipation sexuelle et d’affirmation de la virilité, la bonne éducation et la virginité des jeunes filles, capitaux symboliques 6 Ces chiffres de 1775 sont fournis par Perrot (1986 : 21). 7 Au Moyen-âge les jeunes ont un rôle social : dans les villages, ils font le charivari (chahut

bruyant des personnes commettant des écarts à la morale sexuelle) qui contribue au contrôle social de l’exercice la sexualité (Fize, 1998 : 47).

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précieux, doivent être protégées. C’est la scolarisation qui assure l’encadrement moral et social des adolescents bourgeois. Mais, même pour les enfants de bonne famille, et particulièrement dans le cadre des internats, l’adolescence est perçue comme la période de tous les dangers au plan sexuel. Dans les classes populaires, les filles, encore plus soumises aux valeurs religieuses, sont tout aussi tenues que dans la bourgeoisie et elles sont souvent « placées », par exemple comme domestiques. Les fils d’ouvrier, dont le travail précoce favorise l’autonomisation, ne connaissent pas vraiment d’adolescence sociale (Bourdieu, 1984).

Ainsi, au début du XXème, l’adolescent dépeint par Duprat, dans son ouvrage de 1909, La criminalité dans l’adolescence. Causes et remèdes d’un mal social actuel, est un « vagabond-né »; il fait des « fugues analogues à celles des hystériques et des épileptiques » et il est « incapable de résister à l’impulsion des voyages ». L’adolescence est ainsi vue comme une pathologie (que Duprat nomme « hébéphrénie ») caractérisée par « un besoin d’agir qui entraine le dédain pour tout obstacle, tout danger » et « pousse au meurtre ». Par-delà ces études empreintes de jugements conservateurs et alarmistes, il semble que l’on peut, déjà à cette époque, déceler une dynamique représentationnelle et attitudinale, qu’après 1968 Chamboredon et Lemaire (1970) analysent en ces termes :

C’est dans les conflits qui naissent à propos des jeunes que l’on peut le mieux ressaisir tous les griefs portés contre les mœurs populaires. [...] C’est dans l’aptitude à transmettre la culture que l’on voit le signe le plus indiscutable de culture et c’est une accusation de barbarie que de dénoncer l’incapacité de donner une éducation correcte. (Chamboredon & Lemaire, 1970 : 23-24).

Le regard de la société sur les jeunes prend une forme de sollicitude paternaliste et puritaine, et concourt, dialectiquement, à construire la catégorie de la jeunesse. Non seulement l’attention portée à la jeunesse donne de la consistance à une catégorie jusque-là socialement inexistante, mais de plus les normes secrètent leurs propres déviances. À la façon des entrepreneurs de morale décrits par H. Becker (1985), la société bourgeoise du XIXème crée, en organisant un fort degré de contrôle social, une large sphère de déviance potentielle. L’insoumission juvénile émerge et revêt des formes diverses, elles aussi déterminées par le sexe et l’appartenance sociale.

Quand, comme dans les classes laborieuses, le niveau d’alphabétisation ne permet pas de critiquer –en sourdine– les carcans (dans un journal intime ou grâce à des lectures sous le manteau), la recherche d’un ailleurs apparait comme une solution. Le départ, pour ne pas dire la fuite, qu’il prenne la forme du mariage, du tour de France des compagnons, de l’enrôlement dans l’armée, de la fugue, du vagabondage ou encore du voyage, apparait comme le « salut » des jeunes. La mobilité est vécue à la fois comme un exutoire et comme une possibilité de formation et d’ascension sociale. Outre ces stratégies individuelles, de nombreuses rébellions et révoltes dans les collèges et les ateliers marquent la fin du XIXème siècle.

Mais ce sont plus particulièrement les réponses grégaires de jeunes vivant en milieu urbain qui, depuis le début du XXème siècle, défraient la chronique et effraient le citoyen « bien pensant ».

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��Quand la jeunesse fait peur : les « bandes de jeunes »

Alors que, dans les classes bourgeoises, le groupe d’amis et de camarades, le rire et la dérision8, « à la fois défense et point de vue sur le monde » (Perrot, 1986 : 26), assurent aux jeunes garçons un espace de sociabilité et de liberté, dans les milieux populaires privés « d’intérieur où se réunir, la rue, espace de loisir et de liberté, cristallise les ‘bandes’, identifiées par les sociologues contemporains comme une structure élémentaire de la société jeune » (Perrot, 1986 : 26). L’historienne fait toutefois remonter au Moyen-âge l’origine de cette sociabilité grégaire des jeunes, en précisant que « l’horizon de la bande est en tous cas urbain [et que celle-ci] se greffe sur le quartier, lieu de voisinage, de rencontre, de creuset d’identité qui se cherche » (ibid.).

Parmi ces bandes qui font peur, l’imaginaire collectif et le vocabulaire ont notamment retenu celles identifiées et regroupées par l’ethnonyme « Apache », lexicalisé au début du XXème siècle comme synonyme de « voyou ». L’origine vraisemblablement journalistique 9 du terme n’est pas anodine. En effet, il est intéressant de noter que, dans les années 1980, un phénomène dénominatif comparable s’est produit avec l’émergence des bandes de « Zulus » notamment dans le nord parisien. Dans ce cas, il s’est agi, comme dans celui des « Apaches » du début du XXème, d’associer des jeunes d’origine modeste (issus ou non de l’immigration), qui s’approprient symboliquement ou physiquement des portions d’espace public, ainsi que leurs pratiques, à un peuple, par le biais de son nom, dont l’image stéréotypée évoque, dans les représentations sociales majoritaires, la sauvagerie ou la barbarie. Notons que les ethnonymes retenus pour qualifier ces bandes l’ont été parmi des noms de peuples qui ont été colonisés mais qui ont opposé une résistance aux Européens : en somme, des obstacles à l’avancée de la dite civilisation10…

Pour les Apaches comme pour les Zulus, il est manifeste qu’au-delà de la « réalité sociologique – le mal de vivre de la jeunesse des zones suburbaines » (Perrot, 1986 : 26) – les phénomènes de bandes ont été mythifiés, notamment par les médias, d’autant plus avides de faits divers que ceux-ci contribuent à faire vendre, à tracer et à renforcer les limites du socialement admis et du socialement inadmissible11. Le fait qu’au début du XXème siècle, le grand journal parisien Le Matin ait consacré quotidiennement aux faits divers liés à la délinquance juvénile, sur sa « une », une rubrique intitulée « Paris-Apache » est révélateur du

8 Selon M. Perrot (1986 : 26), « le ‘fou rire’ des jeunes filles, souvent qualifié de conduite hystérique par les médecins des maladies nerveuses, dit la complicité d’un échange qu’étouffent les codes des bonnes manières et leur sévère contention du corps ». 9 Voir http : //perso.wanadoo.fr/musette.info/FRHM-Apaches.htm 10 Si ce n’est pas nouveau, il inquiétant de constater que l’humanité des « élèves à problèmes » est aujourd’hui parfois niée par certains enseignants au moyen de termes renvoyant aux champs sémantiques de la sauvagerie ou de l’animalité (cf. Moïse, à par.). 11 Quand, avec la fin des « Trente glorieuses » et après « la préhistoire imaginaire des banlieues » nourrie de modernité et de convivialité, l’image des banlieues a viré au « sordide » (Bachmann et Basier, 1989 : 38), les « jeunes » ne pouvaient logiquement que se trouver en première ligne. D’autant plus facilement qu’une bonne partie d’entre eux étaient des immigrés ou des étrangers, pour beaucoup Maghrébins.

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positionnement des médias à l’égard des groupes de jeunes12. Or, les travaux de Taboada-Leonetti l’ont bien montré :

toute identité minoritaire, qu’elle soit fondée sur un critère de territoire, de langue, de religion, de race ou de lignage, ou comme il apparaît dans un grand nombre d’exemples rapportés par la pratique sociale du champ de l’immigration en France, sur un critère de la « sale gueule », c’est-à-dire l’appartenance telle qu’elle est perçue ou fantasmée par l’autre, est en grande partie assignée par le groupe majoritaire dont le regard est, d’une certaine manière, constituant du groupe minoritaire (Taboada-Leonetti, 1990 : 59).

Développant ainsi une réponse stratégique identitaire connue sous le nom de « surenchère » (Taboada-Leonetti, 1990 : 66 ; cf. note 60), les « Apaches », comme les « Zulus » ont, semble-t-il, non seulement intériorisé en partie l’assignation et le stigmate émanant du groupe majoritaire, mais les ont de surcroit mis en avant en en érigeant les éléments stigmatisés (activités illicites, marginalité, provocations, ruses, violences...) en valeurs et normes de groupe.

Malgré des pratiques sociales très différentes, ce type de dynamique identificatoire semble encore aujourd’hui à l’œuvre au sein de certains groupes ou réseaux d’adolescents. En proie à une forme d’injonction paradoxale, certains d’entre eux n’hésitent pas à affirmer leur admiration pour les figures du « caïd », du « dealer », ou de la « racaille ». La fascination pour le héros de Scarface de Martin Scorsese en est un exemple banal dans nombre de cités, attestée notamment par la fréquence des références qui y sont faites dans des chansons de rap. Comme le décrivent bien Bachmann et Basier (1989), les « jeunes », et plus précisément certains jeunes, sont depuis longtemps spectacularisés sur la scène médiatique. Le plus souvent issus des milieux populaires, on ne compte plus les groupes qui, des « Apaches » aux « Blousons noirs », des « loubards » aux « racailles », en passant par les « Zulus », ont incarné la classe dangereuse. « La jeunesse séduit et intrigue autant qu’elle fait peur. Tout concourt à la surveillance d’un péril si précieux » (Perrot, 1986 : 22). Chaque époque et chaque société (comme chaque groupe social) semblent donc se construire ses « bataillons d’épouvantails », repoussoirs que l’on peut exhiber à ses enfants en leur disant « travaille bien à l’école sinon tu finiras comme eux ». Ainsi pourrait se transmettre comme un atavisme la crainte « du jeune » socialement disqualifié, que le « jeune » portera en germe jusqu’à ce qu’il ne le soit plus.

Au-delà des conceptions sociétales qui donnent à voir une jeunesse dangereuse, présupposant l’existence d’une réalité assez homogène, le siècle dernier a vu se développer une remise en question du caractère essentialiste de la jeunesse, que résume bien G. Mauger quand il écrit que :

tout porte à croire que l’âge, comme le sexe ou l’ethnie, constitue un principe de regroupements instables, éphémères, bâtis sur des quiproquos ou des malentendus, menacés par les scissions et les oppositions liées aux distances « objectives » entre les agents […] Mauger (1986 : 43-44).

12

La récente surmédiatisation du thème de l’insécurité en est d’ailleurs une nouvelle attestation.

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��La jeunesse, une catégorie sociologique discutée

Poursuivant ce questionnement sur la notion de « jeunesse », j’évoquerai ici, sans bien sûr l’épuiser, le débat sur les enjeux scientifiques et sociaux liés à l’utilisation de cette catégorie.

��La jeunesse, une catégorie relative et incertaine

Proust (1986), affirme que « la jeunesse n’existe que sous la forme des relations que les différentes générations entretiennent avec elle. Autrement dit la jeunesse c’est l’affaire des autres ».

Mais c’est plus particulièrement l’affaire des grands « utilisateurs » (à des titres différents) de la notion, que sont sociologues et médias. Citant M. Bloch, Mauger évoque ironiquement « l’utilité » des catégories que l’on pourrait qualifier de « fourre-tout à géométrie variable » :

Leibniz, disait Fontenelle, « pose des définitions exactes qui le privent de l’agréable liberté d’abuser des termes dans les occasions ». S’agissant des discours sur la jeunesse, cette liberté n’est que trop familière : le flou est la règle et la définition l’exception. (Mauger, 1986 : 44).

Pour Bourdieu (1984) non seulement la notion de « jeunesse n’est qu’un mot » mais, de surcroit, « l’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ». Selon lui, l’un des changements importants de la fin du XIXème siècle réside dans le fait qu’une bonne partie de la « jeunesse », les adolescents des classes qui traditionnellement ne poursuivaient pas d’études au-delà du certificat, a eu accès à une « adolescence sociale » :

Un des facteurs de ce brouillage des oppositions entre les différentes jeunesses de classe, est le fait que les différentes classes sociales ont accédé de façon proportionnellement plus importante à l’enseignement secondaire et que, du même coup, une partie des jeunes (biologiquement) qui jusque-là n’avaient pas accès à l’adolescence, a découvert ce statut temporaire, "mi-enfant mi-adulte", "ni enfant ni adulte". [...] Il semble qu’un des effets les plus puissants de la situation d’adolescent découle de cette sorte d’existence séparée qui met hors jeu socialement (Bourdieu, 1984).

Ce point de vue est aussi celui de Fize (1998), pour qui, au-delà des conditions juvéniles contrastées, c’est l’état de latence et d’irresponsabilité sociale dans lequel a été cantonnée la jeunesse qui la caractérise en tant que groupe social.

Renvoyant dos-à-dos la position de Bourdieu et celle des tenants de l’existence d’une ou de plusieurs jeunesse(s), Dubet résume l’opposition théorique sur la construction de la catégorie en la qualifiant de révélateur du passage d’une société industrielle de classes à une société de culture de masse :

Pour les uns, l’unité supposée de la jeunesse, telle qu’elle se manifeste à travers la culture juvénile de masse, apparait comme le visage même de la modernité. Pour les autres, cette jeunesse est une illusion, voire une ruse idéologique pour masquer la réalité des rapports de classes (Dubet, 1996 : 23).

Il appelle à dépasser ce débat pour se demander si la ou les jeunesse(s) constitue(nt) un « acteur social », au regard notamment des mobilisations collectives qui ont marqué les dernières décennies, qu’elles aient pris la forme de manifestations d’étudiants et de lycéens ou de « révoltes de l’autre jeunesse, celle des banlieues » (Dubet, 1996 : 24). Pour sa part, Mauger (1986), tout en émettant des réserves sur l’existence de la jeunesse en tant que « classe d’âge mobilisée,

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[…] sujet capable d’agir et de vouloir [dont on] peut chercher à définir le nombre, les limites, [et] les membres », invite à

s’interroger sur la mystérieuse alchimie qui, dans certaines conjonctures historiques, parvient, si ce n’est à mobiliser ces groupes improbables, du moins à produire assez de croyance en leur existence potentielle ou naturelle pour fonder l’autorité de leurs porte paroles (Mauger, 1986).

Quelle que soit la posture théorique à laquelle on se réfère, il convient de bien définir la population étudiée, ce qui limitera les risques de généralisation abusive ou de mésinterprétation.

��Que faut-il alors entendre par « jeunes » ?

Ainsi que le rappellent Blanchet et al. dans un ouvrage à portée méthodologique :

Étudier les personnes âgées, expliquer leurs comportements, exige non seulement que l’on définisse explicitement, et opérationnellement le groupe auquel on va s’intéresser (…) mais encore qu’on précise ce qui fait sa spécificité, c’est-à-dire les caractéristiques qui, sans intervenir nécessairement dans la définition opérationnelle de la population visée, pourrait peut-être rendre compte des particularités qu’on aura observées (Blanchet et al., 1987).

Ces recommandations méthodologiques, qui portent sur la définition des « personnes âgées », s’appliquent en tous points à nos interrogations sur la définition de la catégorie « jeune ». En effet, dans la plupart des sociétés, l’âge est une donnée socialement pertinente, puisqu’entre autres choses, il « est associé avec la structure des rôles dans la famille et les groupes sociaux, avec l’assignation d’autorité et de statut, et avec l’attribution de divers niveaux de compétence » (Helfrich, 1979 : 63)13. L’utilisation de cette catégorie biologique et psychosociale à des fins sociolinguistiques pâtit souvent d’une absence de déconstruction/reconstruction que pourrait permettre d’envisager une série de questions telles que : - Quels évènements et facteurs déterminent l’entrée et la sortie de

l’adolescence ? - L’âge ne pouvant être le seul critère de classement, quels sont, pour les sujets

étudiés, les facteurs pertinents à intégrer : sexe, niveau de scolarisation, degré de socialisation institutionnelle, représentation de l’avenir professionnel, niveau d’intégration dans une communauté ethnoculturelle ou dans des réseaux de parole ? Cette question est particulièrement pertinente lorsqu’on sait que beaucoup des études sociolinguistiques s’étant intéressées au facteur âge l’ont fait sous un angle variationniste, c’est-à-dire en s’appuyant sur des catégories sociologiques définies a priori14, non dénuées d’un certain essentialisme.

- Quels enjeux sociaux/sociétaux se dissimulent derrière l’usage des catégories ? Pour comprendre, dans une perspective sociolinguistique, les ressorts de la

socialisation langagière de jeunes sujets, en étudier les phases et les implications

13

Traduction CT. 14

Pour un point de vue critique sur la constitution des échantillons et des groupes sociaux dans les recherches variationnistes, voir entre autres, Laks (1980).

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sur les pratiques, pour suivre la construction et l’évolution des représentations et des attitudes des locuteurs, il apparait nécessaire de couvrir la période allant de la fin de l’enfance à l’entrée dans le monde adulte, au cours de laquelle s’opèrent d’importantes transformations15. On peut donc étudier les « parlers de jeunes » chez des sujets dès la fin de l’enfance, (marquée par les prémisses de transformations physiologiques et corporelles, l’entrée au collège, l’élargissement des réseaux sociaux et le renforcement de l’importance du groupe de pairs) jusqu’au début de l’âge adulte, dont l’un des jalons est l’insertion professionnelle, qui marque symboliquement et économiquement l’entrée dans le monde des adultes. Cette limite supérieure est d’autant plus sujette à variation que les évènements qui la caractérisent sont déterminés socialement et non biologiquement : ainsi, le critère de scolarisation peut être pertinent, dans la mesure où la poursuite d’études implique un contact plus ou moins étroit avec des formes de sociabilité et de cultures juvéniles, mais aussi la perception différée de contraintes liées à la recherche d’un emploi. De façon très concrète il est crucial d’apporter des informations précises sur l’âge et la situation des locuteurs étudiés.

Après avoir questionné la catégorie « jeunes », je poursuivrai à présent le cadrage théorique, en examinant les relations des membres de cette population au langage et aux normes langagières.

��Des « jeunes », des langues et des variations

De nombreuses études sociolinguistiques ont intégré la variable âge à leur analyse de la variation linguistique16. Mais Chevrot et al. (2000 : 295) constatent que « malgré ces avancées indéniables fondées sur l’observation d’adultes ou d’adolescents, les approches développementales de la variation restent rares. » Souscrivant à un constat de Gadet, les auteurs jugent que « cet état de fait est d’ailleurs davantage marqué en France, du fait de la quasi inexistence de la sociolinguistique variationniste dans ce pays » (ibid.). C’est en partie pourquoi, pour introduire mon propos, je rappellerai très schématiquement le modèle graduel d’acquisition de l’anglais standard proposé par Labov (1970) : 1. Acquisition des règles principales de la grammaire de base de l’anglais parlé, sous

l’influence des parents (2-4 ans). 2. Acquisition du vernaculaire, d’une variété locale qui est celle de son groupe de

pairs immédiat, au prix parfois de l’abandon des certains traits acquis auprès des parents (5-12 ans).

3. Prise de conscience par l’enfant de la signification sociale des variantes à mesure que ses relations sociales se diversifient. Premier mouvement vers le standard prestigieux, au moins au niveau des évaluations.

4. Mise en place de la variation stylistique (acquisition des « règles de co-occurrence » (Ervin-Tripp, 1972) entre des formes linguistiques et des contextes); développement d’une capacité à converger vers le standard prestigieux en situations formelles.

15 Selon Alain Braconnier (1998 : 96-98), entre ces deux « bornes » de début et de fin, l’humain en construction doit successivement : « réunir l’état amoureux, la tendresse et le désir sexuel, [...] former son caractère [...] assumer son corps sexué [...] se séparer de ses parents et s’individualiser [...] se projeter dans l’avenir [...] faire face aux bouleversements émotionnels ». 16

Pour une revue de ce champ, voir Bauvois (1998).

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5. Usage d’un standard cohérent. Pour Labov, cette étape n’est pas franchie par tous les locuteurs, mais principalement par ceux de la classe moyenne.

6. Acquisition d’une large gamme de styles appropriés à une large gamme de situations de communication. Selon Labov, la majeure partie de ceux qui atteignent ce niveau sont des locuteurs ayant fréquenté l’éducation supérieure. Ce modèle révèle une progression linéaire vers les normes adultes, dont

l’aboutissement est notamment fonction de la carrière scolaire – et donc en partie de l’origine sociale du locuteur. Comme on va le voir, plusieurs études viennent le nuancer, en montrant notamment que certains patrons de variation stylistique pourraient être acquis bien avant l’adolescence.

��L’enfance sociolinguistique

Des trois périodes formatives dans le développement de la compétence sociolinguistique que distingue Chambers (1995) (cité par Thibault, 1997 : 20-24), l’enfance est l’époque de l’acquisition du vernaculaire principalement sous l’influence « de la famille et des copains ». S. Romaine introduit son ouvrage consacré à l’acquisition de la compétence de communication en énonçant une sorte d’universel de l’acquisition. Pour elle, « tout enfant normal apprend à utiliser au moins une variété d’une langue rendue disponible par ses parents, les personnes qui s’en occupent ou les pairs » (Romaine, 1984 : 1).

C’est la phase durant laquelle « la maîtrise de la phonologie et de la syntaxe se développe en intégrant les caractéristiques régionales et les marqueurs de classe sociale » (Chambers, 1995). On le voit, ces points ne sont pas en désaccord avec le modèle présenté supra et plutôt conformes à d’autres études, notamment à celle de W. Wolfram (1969) qui a mis en évidence la présence des traits du vernaculaire noir américain dans le langage d’enfants noirs de 18 mois (Bauvois, 1998), ou encore à celle, plus récente, de Labov (1989) qui montre que 4 à 9 ans est la période d’acquisition des variables spécifiques de Philadelphie, et plus largement des vernaculaires régionaux. Selon S. Romaine (1984) les enfants épousent les caractéristiques langagières de leur sexe vers 6 ans et de leur ville vers 10 ans. Mais qu’en est-il de leur capacité à produire de la variation stylistique convergente ?

Alors que la conception piagétienne d’un stade égocentrique enfantin avait conduit à postuler l’incapacité de l’enfant à adapter son comportement verbal17 (Auger, 1997 : 16), des recherches ont montré qu’il en allait autrement. Tout enseignant ou parent a remarqué qu’un enfant ne lit pas comme il parle. Bauvois fait état d’études montrant en effet qu’un jeune enfant est capable de convergence stylistique, lorsqu’il lit. Faisant même remonter cette compétence à la prime enfance, Bernicot (1992) affirme que non seulement « les enfants adaptent leurs interactions non verbales avant même d’apprendre à parler » mais qu’en outre « entre deux et quatre ans, les enfants maîtrisent déjà les différentes formes de la demande et choisissent celle qui est la plus adaptée à la situation d’interaction dans laquelle ils se trouvent » (Bernicot, 1992 : 154). La sensibilité aux facteurs sociaux et situationnels (en particulier l’âge de l’interlocuteur (Helfrich, 1979 :

17

Point de vue contesté par Vygotsky, pour qui la parole est sociale dès ses débuts (Helfrich, 1979 : 89).

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90)18) est donc précoce. Bauvois rapporte encore qu’une étude de Fischer (1958) a montré que des enfants de 3 à 10 ans passaient d’une réalisation standard du suffixe –ing à une réalisation en –in, à mesure qu’une situation d’interview se détendait19.

Au-delà d’écarts de niveau de maitrise des « registres sociaux » par rapport aux adultes, les enfants intègrent donc dès leur plus jeune âge le fait que le langage ne sert pas qu’à communiquer de l’information (Auger, 1997 : 16), qu’on n’utilise pas toujours les « mêmes mots » avec tout le monde. Cette disposition précoce à l’adaptation situationnelle semble en outre confirmée par l’adoption de comportements verbaux conformes à certaines caractéristiques sociales (sexe, ville, milieu socio-économique). Ces comportements peuvent concerner aussi bien des variables phonétiques (élision de t/d dans des groupes consonantiques en anglais), que les sujets de conversation ou les modes d’interaction – coopératif pour les filles vs agressif pour les garçons (Auger, 1997). De plus, pour ce qui concerne la France, N. Amstrong et M. Jamin (2002) rappellent, en citant Dannequin (1977), que les tous petits francophones de l’Hexagone subissent très jeunes la pression du « normativisme linguistique institutionnel ».

Concernant l’acquisition des « règles variables », Romaine (1984), conclut que « la variation stylistique en fonction du degré de formalité est présente dans le parler de tous les enfants dès la première année de primaire ». Toutefois, comme le montre Lafontaine (1986) à propos d’élèves francophones de Belgique, il semble que cette capacité à la variation stylistique ne soit pas associée à une conscience épilinguistique20, laquelle ne serait développée par ses informateurs que vers l’âge de douze ans, lorsqu’ils reconnaissent explicitement la différence de prestige entre formes standard et régiolectales. Bauvois rappelle que les conclusions de Giles (1970) vont dans la même direction puisque, selon lui, « à douze ans l’accent c’est l’affaire des autres, l’évaluation de son propre accent étant très peu réaliste et extrêmement positive, celle de la langue de prestige négative ».

Les observations des parlers des jeunes étant généralement focalisées sur les adolescents et jeunes adultes, intéressons-nous à présent aux modes de construction et de gestion de leurs répertoires verbaux.

��Adolescence, identité(s) et langage

L’adolescence est considérée comme une période de transformation et de transition qui doit conduire l’enfant sur la voie de l’autonomisation, par une évolution, parfois un peu chaotique, des appartenances et des références : elle est

18

Helfrich (1979 : 92) rapporte que même un très jeune enfant essaie de prendre en compte les exigences du récepteur, avec succès sur les niveaux paralinguistique et syntaxique, la pleine capacité d’adaptation sémantique n’étant atteinte que vers 14 ans. 19

Chevrot et al. (2000 : 296) font état d’une absence de consensus sur l’âge d’apparition des patterns sociolinguistiques. Par exemple, Roberts (1997) affirme que les contraintes phonologiques et grammaticales de la suppression de (-t, -d) (en anglais) sont acquises dès 3-4 ans, alors que Patterson (1992) constate que ces mêmes contraintes n’influencent pas la variable (-ing) avant 6-7 ans. 20

La conscience épilinguistique étant définie comme un ensemble de connaissances déclaratives, sur les langues et les variétés, leurs formes et leurs valeurs différentielles, dont la constitution est individuelle mais aussi sociale.

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définie dans le Grand Dictionnaire de la Psychologie (Larousse, 1991) (désormais GDP), comme « la période du développement au cours de laquelle s’opère le passage de l’enfance à l’âge adulte » marquée par une « vive accélération de la croissance », « l’importance des changements qui se produisent et qui intéressent l’ensemble de l’organisme et de la personne21« et une « grande variabilité individuelle » (p.17). Mais de même qu’on ne saurait réduire l’adolescence aux phénomènes pubertaires et à leurs effets psychologiques tels que la sexualisation du corps, la sexuation sociale et la construction d’une identité pré-adulte, cette période ne saurait être limitée à la divergence linguistique par rapport aux normes adultes. En effet, durant l’adolescence l’acquisition de la compétence de communication se poursuit.

�De nouvelles compétences linguistiques D’après Andersen (2000), l’enfant ayant acquis la grammaire et les traits

phonologiques de la variété locale, l’adolescent poursuit le développement de sa compétence de communication. Ainsi, entre 11 et 14 ans, le stock lexical dont il dispose s’accroit massivement (Aitchison, 1994). Au niveau syntaxique, les phrases augmentent en longueur et en densité informationnelle, et des constructions rares dans les usages enfantins apparaissent (passif, relative, phrase clivée…). Les appropriations ne se limitent pas à la langue mais concernent aussi ses usages.

�Compétences sociolinguistiques L’adolescence est la période pendant laquelle s’acquiert théoriquement la

maitrise des règles d’alternance et de co-occurrence (Ervin-Tripp, 1972). Elle est structurée selon un double mouvement : d’une part une divergence par rapport aux valeurs et aux normes adultes, et d’autre part un investissement important dans un réseau de sociabilité horizontale. On a donc d’un côté un processus de différenciation-identisation, voire d’opposition avec les adultes (dont certains servent de repoussoir quand d’autres font office de modèle identificatoire) et de l’autre, une identification avec les pairs (copains, éventuellement « constitués » en groupe de pairs). Bien souvent, les adolescents manifestent donc d’un côté un refus de normes vécues comme exogènes et imposées, parfois sans que leurs promoteurs (parents, enseignants, éducateurs) aient à leurs yeux une légitimité suffisante (notamment en regard d’une légitimité parentale exclusive). Mais les adolescents ne se trouvent généralement pas en situation d’anomie, puisqu’ils se soumettent aux normes (représentationnelles, attitudinales, comportementales) vécues comme endogènes et consenties, parfois après une phase de transition. Pour Lepoutre, « la discontinuité générationnelle constitue aujourd’hui une discontinuité majeure de notre société » (2001 [1997] : 428). Si l’écart culturel 21

Les changements physiologiques pubertaires, affectent par exemple la voix. L’adolescence est ainsi marquée par des perturbations de fréquence fondamentale qui prennent la forme de brusques variations de F0 (Helfrich, 1979 : 85). Les mélismes (variations brusques de F0) repérés dans la pratique de Grenoblois(es) par Romano (in Billiez et al. 2003b) pourraient être liés à ces variations de l’âge, mais ne sont pas a priori séparables de facteurs sociaux (situation) ou psychologiques (état émotionnel). Pour plus de précision à propos des mélismes, voir par exemple Caelen-Haumont, 2002.

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entre adultes et adolescents est tel, cela tient, selon M. Fize (1998), au fait que l’adolescent est comme socialement mis entre parenthèses, du point de vue de la reconnaissance que lui accorde la société. Cette configuration de paramètres est bien sûr de nature à alimenter la variation.

�L’adolescence, période d’écart maximum au standard Si ces deux pôles sont toujours mentionnés dans les études

sociolinguistiques, il me semble que l’importance d’un troisième pôle de différenciation, en terme « d’individuation par rapport à » est souvent sous-estimée. Cet autre « pôle repoussoir » pour le candidat-adolescent est la figure de l’enfant, celui pour qui, face à la pression de conformité, il ne veut plus être pris. On pourrait représenter ainsi ce réseau de relations d’identification/différenciation, symbolisé (très schématiquement) par des flèches représentant l’influence sociale 22 consentie et celle refusée niée, malgré une influence sans doute réelle.

Figure 1 : le réseau de relations Selon Pierrette Thibault (1997), conformément à ces tendances

sociologiques, « deux règles d’or » prévalent, d’un point de vue langagier, chez les adolescents : « s’affranchir du modèle des parents et être solidaires de ceux qui ont leur âge ». A ces constantes, on pourrait ajouter que la construction/affirmation identitaire adolescente passe aussi fondamentalement par une distinction d’avec les pratiques enfantines.

En effet, l’adolescence est marquée principalement par l’accélération « de l’identification aux normes vernaculaires sous l’influence du réseau de pairs » qui conduit les adolescents à ce que Bauvois (1998) appelle un « pic informel ». Période d’écart maximum au standard semble peut-être plus pertinent d’abord pour ne pas amalgamer informalité des situations de communication et caractère contre-normé des pratiques langagières. En outre, si l’image du « pic » a l’avantage d’illustrer à la fois la croissance de la distance à la norme légitimée et sa décroissance, elle donne cependant à entendre que l’inversion de tendance et la convergence vers les formes d’un groupe socioprofessionnel cible se font brusquement et de façon linéaire et irréversible. Or, la prise de conscience par les

22

« Ensemble des empreintes et des changements que la vie sociale ou les relations avec autrui produisent sur les individus ou les groupes, qu’ils en soient ou non conscients » (Grand Dictionnaire de Psychologie, p. 380).

adulte

pairs

enfant

adolescent

Influence sociale Manifeste Latente

Influence sociale niée, contestée ou refusée

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locuteurs « que le comportement linguistique obéit à une adéquation par rapport au contexte », et la capacité d’identification des formes légitimes à produire (Bauvois, 1998 résumant Lafontaine, 1986) ne sont pas déterminées que par l’âge. Le sexe, l’appartenance sociale et ethnique, et, surtout, le projet d’insertion conditionnent aussi cette maturation sociolinguistique.

En fonction de la classe sociale d’origine, de la conscience et de la nature d’un projet d’insertion et de mobilité sociale, la période adolescente est aussi, dans sa phase terminale, généralement marquée par l’entrée dans le « giron » de la norme standard. Mais il est un phénomène contemporain qui questionne cette constante : il s’agit, en lien avec le prolongement de la scolarité, de l’accès à une « adolescence sociale » et de l’allongement concomitant de la jeunesse 23 (cf. Bourdieu, 1984). A l’inverse, si le sujet s’insère sur le marché du travail en suivant une trajectoire ascendante, la fin de l’adolescence sociolinguistique (et le début de l’âge adulte) sont balisés par une soumission plus grande à la pression normative de ce marché linguistique. Il semble que les filles sont sensibles plus tôt que les garçons à l’influence de la norme standard.

Thibault (1997) rapporte ainsi qu’un consensus, restant en grande partie à étayer empiriquement, se dégage parmi les sociolinguistes « autour du fait que la pleine compétence sociostylistique est acquise vers seize ans dans les sociétés occidentales » après une exposition suffisante aux normes du standard par le biais de l’école. D’autres travaux convergent (Bauvois, 1998) pour considérer l’adolescence comme une période de transition au cours de laquelle les locuteurs produisent le moins de variantes standard. Il semble toutefois utile de préciser que le fait qu’ils ne produisent pas certaines variantes standard (par exemple au niveau lexical) n’implique pas que celles-ci soient absentes de leurs répertoires.

Du point de vue des relations intergroupes, et en l’occurrence des rapports intergénérationnels, les pratiques adolescentes que Mencken (1919) qualifiait déjà « d’exubérantes », alimentent parfois un rejet de la part des adultes et des personnes âgées. C’est ce que note Julie Auger (citant Labov, 1976 : 205) : « la tendance des jeunes à employer moins de variantes standard que leur aînés, même dans les styles formels, contribue à créer l’impression que le parler de ces jeunes marque une rupture importante avec le leur » (Auger, 1997 : 279).

De nombreuses études de psychologie sociale, notamment dans le champ théorique des attributions causales 24 , ont montré que les erreurs d’attributions intergroupes sont fonction du milieu culturel et de la relation entre groupes sociaux. A propos de cette perception catégorielle et des biais pro-endogroupes qu’elle génère, Nicole Gueunier émet d’ailleurs l’hypothèse que « la frontière

23

On peut faire l’hypothèse que l’allongement de l’adolescence sociale maintient le jeune adulte en contact avec des éléments culturels juvéniles (au premier rang desquels figure le langage, avec les modes de vie, habitudes de consommation, fête…). Ce contact est sans doute favorable à un ancrage plus stable de certaines formes dans le répertoire verbal. Par ailleurs, même si toutes ces formes ne perdurent pas après l’insertion professionnelle, l’installation en couple, ou la naissance du premier enfant, des représentations et des attitudes à l’égard du langage et de ses usages peuvent être pérennisées, influençant par exemple le rapport aux normes, et les facteurs prépondérant dans la définition des situations de communication. 24

Selon Deschamps et Bauvois (1994 : 253), l’attribution causale est un processus qui consiste à émettre un « jugement sur un individu à partir de ses comportements directement perceptibles, à inférer sur l’état d’une personne à partir de la perception qu’on en a ».

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d’incommunicabilité, ressentie par l’adulte devant les sociolectes des enfants des cités relève […] autant du relationnel et des représentations que du linguistique » (Gueunier, 2000). On peut d’ailleurs se demander si, dans certains travaux qui jalonnent l’histoire de l’argotologie, ce type de biais, que l’on pourrait – au moins métaphoriquement – rapprocher de ce que la psychologie sociale nomme une « erreur fondamentale d’attribution »25, n’a pas contribué à alimenter des effets de focalisation exagérée sur d’apparentes spécificités langagières, parfois associées un peu hâtivement à certains groupes, ou à certains profils sociaux repoussoirs. Mais malgré ces opinions souvent négatives à leur égard, les pratiques des adolescents semblent jouer un rôle important dans le changement linguistique.

�Les adolescents vecteurs de changements Les éléments langagiers acquis précocement, ceux qui sont intégrés avec le

vernaculaire, les représentations des langues, des lectes et de leurs usages ainsi que la trajectoire sociale et l’évolution de ses réseaux sont les principaux facteurs qui conditionnent l’évolution du répertoire verbal d’un locuteur. Quand, à un moment donné de l’histoire d’une communauté sociale, plusieurs de ces facteurs convergent et se traduisent par l’association (statistiquement mesurable) de traits langagiers à certains groupes de locuteurs dont l’influence est manifeste ou latente, majoritaire ou minoritaire, ou/puis à de très nombreux locuteurs, la contribution de ce complexe au changement linguistique est probable.

Plusieurs études rapportées par Romaine (1984), Bauvois (1998) et Andersen (2000) montrent que les adolescents initient des changements phonologiques, qu’ils peuvent jouer le rôle d’accélérateur de changements en cours dans une communauté et contribuer au nivellement dialectal.

��DES ARGOTS AUX PARLERS DE JEUNES URBAINS, ET RETOUR?

Bien que certains défenseurs de l’argot traditionnel se refusent à l’accepter, il semble que l’argot contemporain vive aujourd’hui à travers les PJU. Ainsi, Boyer évoque « une parlure à forte teneur argotique identifiée comme français des jeunes et depuis la fin des années 80 des jeunes de banlieue » (Boyer 1997a) et Liogier pointe aussi que « de nombreuses similitudes rapprochent les parlers de cité et l’argot traditionnel » (Liogier, 2002 : 42). Longtemps réservé aux parlers de groupes restreints et bien circonscrits sociologiquement, tels que les truands ou les bouchers, la portée définitoire de l’argot, « langue spéciale » (Van Gennep, 1908), s’est ensuite étendue aux pratiques langagières « des jeunes des cités ». Un grand nombre d’éléments argotiques se seraient ainsi dévernacularisés.

��Argots et sociolectes urbains : pratiques à la marge, pratiques marginalisées

S’il semble donc établi que les PJU, au moins dans leurs dimensions cryptiques, ressortissent des variétés langagières « argotiques »26, on peut alors se demander comment cet objet a été construit, ou, quelles places scientifique et

25

Qui consiste à surestimer les facteurs dispositionnels et à sous-estimer les facteurs situationnels. 26

Il y a plus de trente ans, Gadet (1971) notait « un emploi plus systématique de termes argotiques dans la jeunesse » pour illustrer la variation sociologique liée à l’âge.

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idéologique ont pu tenir les études sur les argots dans la construction de l’objet PJU, et quelles conceptions ont prévalu à leur égard ?

��Focalisation sur le déviant

Pour Sourdot (2002), exception faite de travaux de Dauzat, ce n’est qu’au XXème siècle que l’étude de l’argot a adopté un point de vue descriptiviste : en effet, auparavant, elle était l’apanage « d’amateurs éclairés, de philologues érudits et de chroniqueurs mondains » (Sourdot, 2002 : 25). A ce propos, une première remarque s’impose : les pratiques langagières de jeunes attirent aujourd’hui autant les journalistes et essayistes que « l’argot de grand-papa » inspirait les chroniqueurs ; j’y reviendrai.

Dans un article où il fait état de plusieurs relevés lexicographiques datant du XIXème siècle, Delaplace (2000) critique ces premiers « travaux » portant sur les argots. Il établit en premier lieu que les argotographes ont le plus souvent, depuis cette époque, étudié des pratiques langagières jugées déviantes par rapport à la « langue circulante » 27 , en rattachant presque systématiquement ces usages à l’appartenance à des groupes « marginaux ou délinquants ». Mais, ajoute-t-il, « la reconnaissance de la déviance des expressions qu’ils recensent mêle différents critères dont certains sont assez peu linguistiques » (2000 : 9).

Les travaux sur lesquels il se fonde attestent de l’ancienneté de l’engouement pour la déviance linguistique, regroupée notamment sous l’expression de « langage canaille »28. Allant dans le même sens, Calvet (1994a : 30) cite Esnault (1965 : VII) qui, dans l’introduction de son Dictionnaire historique des argots français, énonce le fondement de l’un de ses classement en « populaire » ou en « voyou » : « Nous classons ‘populaires’ les mots des groupes non dangereux, ‘voyous’ ceux des groupes qui tendent aux méfaits (...) mais la frontière est amovible » (soulignements CT).

Si l’on peut considérer cette démarche érudite des premiers argotologues comme l’un des balbutiements d’une étude du langage qui prendrait en compte sa dimension sociale, elle apparait aussi comme l’une des « péripéties du cycle linguistique pluriséculaire » lié à l’idéologie sociolinguistique française mentionnée par Boyer (Boyer, 1996 : 57).

Un des points communs entre les « vieilles études » des « langues spéciales » et les descriptions actuelles de parlers de jeunes est une tendance à la focalisation sur le « déviant ». Or, du parti pris de ne décrire que ce qui n’est pas « normal » ou normé, découle le plus souvent une absence d’études exhaustives, ou pour le moins approfondies, des parlers des supposés groupes. La tentation est grande, en effet, de collecter – au sens de recueillir pour en faire une collection – des termes ou des expressions qui constituent des variantes lexicales par rapport au français standard, sans par ailleurs recenser ce qui est conforme au français

27

Il est permis de se demander de quelle « langue circulante » il s’agit, lorsqu’on lit ces propos de Meillet au sujet de l’étude de lettres de soldats par Frei : « des lettres d’illettrés à des illettrés ne fournissent au linguiste que des données médiocres » (1930), cité par Reichler-Béguelin (1993). 28

Le Petit Robert (1985) donne de « canaille » la définition suivante : « 1° vieilli : Ramassis de gens méprisables ou considérés comme tels. V. pègre, populace, racaille. 2° : personne digne de mépris, malhonnête, nuisible ». Notons l’effet d’insistance sur le mépris puisque « ramassis », utilisé pour désigner le regroupement, porte déjà le sème « de peu de valeur, méprisable ».

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légitime. Bien souvent, cette forme de « chasse au papillon langagier » exclut donc bon nombre de dimensions linguistiques, pour ne s’attacher qu’aux aspects lexicaux, facilement repérables et souvent « colorés » ou « exotiques » comme le sont certains emprunts29. Cet effet de focalisation sur des traits perçus comme saillants et éventuellement récupérables a pour conséquence de creuser les écarts, quand elle ne les crée pas purement et simplement (cf. Billiez et al, 2003a ; voir également Trimaille, 2003).

D. Delaplace (2000) évoque d’ailleurs cet aspect des recueils, par lequel l’argotographe a tendance à forcer un peu le trait de la déviance, même lorsque le mot « non standard » ne l’est qu’en surface, et que la dynamique néologique qu’il actualise est d’ordre systémique. Il en va ainsi des variantes expressives créées par troncation (dossier > dosse), par réduction d’expression longues (pommes de terre frites > frites), qui sont souvent classées comme déviantes et propres à un groupe – et à ce titre argotiques – bien que les procédés qui président à leur formation soient des modes de création existant en langue. Pour Delaplace (2000 : 11), ce qui est considéré comme déviance l’est plus par rapport à une unité lexicale préexistante (qui « n’est pas en soi plus française que son substitut ») que par rapport au système de la langue.

Dès avant la naissance de la linguistique moderne, il existe donc bien une activité de recensement et de signalisation de la variation qui conduit souvent à classer ce qui s’écarte de La norme comme des pratiques déviantes attribuées spécifiquement à des groupes donnés. Le caractère souvent trop systématique de ces associations pratiques/groupes ne va pas sans poser des problèmes.

��Problème de délimitation des groupes

Une des caractéristiques des travaux d’argotographie que l’on pourrait qualifier de présociolinguistiques est, selon Delaplace qui parle de « distorsion », de « recenser dans l’argot d’un groupe une expression employée par des membres de celui-ci alors qu’elle est (ou a été) utilisée dans d’autres groupes ou d’autres milieux » (Delaplace, 2000 : 9). Pour lui :

les argotographes attribuent des expressions à un groupe précis en s’appuyant trop vite, quand ils ne se dispensent pas tout simplement de procéder aux vérifications nécessaires, sur le fait que celles-ci sont absentes des dictionnaires officiels à l’époque de la collecte (Delaplace, 2000 : 9).

Ainsi, il cite l’exemple du mot « frite », qu’Albert-Levy et Pinet (1894) attribuent aux élèves polytechniciens amateurs de pommes de terre frites ; or, remarque l’auteur, ils « omettent de préciser que Larchey (1862) attribue déjà ce mot à un gamin de la rue et que Delvau (1866) l’a repris » (Delaplace, 2000 : 10).

Delaplace précise en outre que la plupart des auteurs de recueils d’argot, « du début du XIXème siècle à nos jours », utilisent « la notion de groupe […] de façon particulièrement floue et extensible » (2000 : 8). Ce constat critique pourrait tout à fait s’appliquer à certaines descriptions médiatiques, et, c’est moins anodin, sociolinguistiques, auxquelles on peut reprocher de ne pas problématiser

29

Sans aller jusqu’à parler d’exotisme, Henri Boyer (1997c) émet une hypothèse concernant la productivité de la suffixation en –os dans les années 1980 par une attraction pour l’Espagne et la « movida » qui la caractérisait quelques années après la fin de l’ère franquiste.

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suffisamment la notion de groupe, de la réifier et de s’appuyer sur certaines catégories de « sociologie naïve », telle que celle de « jeunes des banlieues ».

Toujours selon Delaplace (2000 : 14), deux des critères sur lesquels s’appuient les argotologues pour inclure une expression à l’argot d’un groupe sont d’une part son usage par les membres dudit groupe et d’autre part, son rattachement à un domaine référentiel en rapport avec la vie du groupe. Or, quand l’argotologue ne se double pas d’un sociologue ou mieux, d’un ethnographe et d’un anthropologue consciencieux, le second type d’attribution présente un double risque : d’abord celui de stéréotyper les activités et centres d’intérêt d’un groupe (jeunes de cités = drogue, vol, violence physique ou verbale), et ensuite celui de favoriser une association systématique entre un champ référentiel lié à un type d’activité, souvent socialement stigmatisé, et l’appartenance à un groupe. Ce type de simplification comporte le risque de cristallisation par le lexique d’une représentation partagée à une époque donnée à l’égard d’un sous-groupe (à ce sujet, voir Harré, 1989).

Concernant le premier critère, celui de l’utilisation par les membres d’un groupe, Delaplace souligne à juste titre qu’un mot peut être attribué à un groupe alors que seuls quelques membres de celui-ci l’utilisent, et/ou que ce mot peut provenir d’un autre groupe par le jeu d’appartenances multiples. Ici encore, le risque évident est celui qui consiste à raisonner à partir d’une sociologie faite de catégories étanches, négligeant la pluralité et la labilité des appartenances ou des affiliations de tout acteur social. Toutefois, Delaplace observe que les « recueils modernes » de pratiques argotiques30 se sont partiellement émancipés de ces biais, notamment en raison de la diffusion de plus en plus large des argots des classes dites « dangereuses », qui s’est accentuée à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle.

Les argotologues s’étant de plus en plus intéressés aux aspects « linguistiques des expressions et des procédés dont elles résultent » (Delaplace, 2000 : 8) ainsi qu’à la place de « ces procédés dans la langue de la communauté tout entière » (ibid.), on aurait en quelque sorte assisté, à la fin du XIXème, à un déplacement de la problématique qui se serait approchée d’un questionnement du lien entre social et langagier. Commençait donc à se poser la question de la diffusion de traits linguistiques de groupes minoritaires, voire stigmatisés, vers une communauté linguistique plus large, et, en filigrane, la question du changement linguistique31.

L’émergence de la problématique de la diffusion/propagation de traits sociolinguistiques (pouvant aller de variantes phonologiques ou phonétiques, à l’insertion discursive de syntagmes plus ou moins longs ou à l’adoption de mots ou d’expressions) (re)pose la question de la délimitation des groupes (« sub-communautés ») et, corollairement, de la mise en évidence de la supposée

30

Delaplace classe dans cette catégorie les dictionnaires de Colin et al. (2001), et de Cellard et Rey (1991). 31

Il existe en psychologie sociale un paradigme étudiant l’influence intergroupe et notamment les phénomènes d’influence minoritaire, qui pourrait fournir des éléments de compréhension de la diffusion de certains traits pourtant emblématiques de groupes stigmatisés. Ce courant de recherche montre expérimentalement que la consistance de ce qui est perçu comme un groupe minoritaire peut favoriser son influence sur un groupe majoritaire.

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covariation. Cette interrogation32 était déjà clairement énoncée dans l’un des textes précurseurs de la sociolinguistique française, puisque dans « Linguistique et groupes sociaux », Marcellesi (1971)33 adressait une sorte de mise en garde aux sociolinguistes : « la multiplicité des communautés socio-culturelles dont chaque locuteur peut faire partie, la maîtrise des divers registres de la parole doivent mettre en garde contre toute conception mécaniste des rapports discours-groupe social. » (Marcellesi, 1971 : 119). Pour Calvet également les frontières entre groupes et entre usages sont perméables, et l’argot moderne se caractérise par l’apparition constante « de nouveaux mots et de procédés de création (...) mais surtout [par le fait que] ces néologismes passent très vite dans la langue générale » (Calvet, 1994a : 31). Cette problématique est plus que jamais d’actualité, notamment en ce qui concerne la diffusion (par le rap, et plus largement par des pratiques culturelles visibles, ou encore les médias) de traits plus ou moins emblématiques de PJU et leur recyclage dans les « parlers branchés »34, voire dans la langue commune (Boyer, 1994, 1997b, 1998).

Et si la propagation (réelle ou perçue) de plus en plus large de mots « déviants » a amené la sociolinguistique à se poser la question de la place de la variation dans la systémique et le changement linguistiques pour tenter d’en réévaluer le rôle, le « hors norme » fait toujours recette en France, où il donne lieu à de nombreuses publications plus ou moins documentées35.

C’est ce corps de représentations que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire (ni scientifique, ni tout à fait du sens commun) que je me propose de présenter brièvement avant de voir comment il a pu jouer sur l’activité scientifique.

��Les « parlers jeunes » : « un objet linguistique médiatiquement identifié »36

En relation avec l’idéologie monolingue qui y règne, la France pourrait se définir comme la patrie des points de vue sur la langue. N’échappant pas à cette sollicitude épilinguistique (Boyer, 1997a) depuis une vingtaine d’années, les PJU sont l’objet d’une production éditoriale et journalistique conséquente. Krief (1999), à la suite de Boyer (1994 et 1997b), recense une liste de désignations – et un continuum référentiel – qui ont émergé et évolué au cours des deux dernières décennies.

L’intérêt éditorial, qui se fait jour dans les grands périodiques nationaux, généralistes (Le Nouvel Observateur, L’Express, …) ou plus ciblés (20 ans…), semble dans un premier temps se focaliser sur la dimension générationnelle, et plus particulièrement sur les « ados »37 et sur les supposées difficultés parentales à 32

...et ses pendants méthodologiques de construction/délimitation/catégorisation/désignations des groupes et d’observation des pratiques (choix des niveaux linguistiques d’observation, de l’échantillon, des situations de recueil) et des représentations… 33

Voir aussi Gadet (1971). 34

Cf. l’utilisation très large du syntagme « c’est de la balle » (pour « c’est génial »), ou le nom de la rubrique d’une émission de France 2 « l’interview j’me la pète » (pour « je m’y crois vraiment »). 35

Voir à ce sujet l’article de Zsuzsanna Fagyal, dans ce numéro. 36

La formule est empruntée à Henri Boyer (1997b). 37

Voir Schiffres A., 1982, « Le jeune tel qu’on le parle », Le Nouvel Observateur, 943 4-10 déc. ; Grassin, 1984, « Réservé aux moins de 20 ans, L’Express n° 1728.

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communiquer avec eux 38. Au cours de la période considérée (1982-2002), cet aspect générationnel est stable puisqu’on le retrouve, sous divers désignants, qui vont de « le jeune »39 au « djeun’s »40.

Cette focalisation première est peu à peu complétée par un intérêt pour le caractère « branché » des ces pratiques. Cette nouvelle approche prend en considération l’investissement – voire l’appropriation – par des « faux-jeunes » de certains traits langagiers distinctifs 41 . A. Rey, déclare en 1998 au Nouvel Observateur » : « la société compte de plus en plus de ‘vieux jeunes’ qui courent derrière les ‘jeunes jeunes’ ».

Comme le décrivent Boyer et Krief, la modification progressive de la focalisation opérée par les titres dévoile plusieurs autres évolutions. En gros, la première décennie (de 1984 à 1994) est marquée par la récurrence de la mention explicite des parents comme destinataires ciblés. Cette forme d’adresse présuppose en quelque sorte que les manifestations communicatives du fossé intergénérationnel sont d’ordre familial. Pour les parents, l’utilité de ces « guides » et autres « manuels » est claire : ils doivent faciliter la communication avec leurs enfants, et peut-être aussi servir à déjouer le cryptage 42 des conversations de ceux-ci avec leurs camarades. Rey va même plus loin dans l’interprétation du phénomène, puisqu’il déclare que « s’intéresser au langage des jeunes est un fantasme d’adulte » (1998, interview Nouvel Observateur).

A partir de 1994, le recul de cette tendance constitue un premier tournant concomitant à un élargissement de la perspective : du cercle familial, P. Vandel porte le débat à l’échelle de la communauté francophone avec le Le Dico français/ français (1993). S’il ne disparait pas, le caractère générationnel est de plus en plus fréquemment associé à des mentions de territoires (cité ou banlieue) ou de codes (« une langue », « un langage », « du verlan » au « nouveau français », en passant par l’antonomase : « l’ophélie winter »). Mais si la désignation « parents » a disparu, on peut noter dans les titres le maintien de la présence du déictique « vous » référant aux lecteurs (ou aux acheteurs potentiels) dans les titres de ces essais et autres articles. Dans une première période, les désignations actualisent donc essentiellement les traits suivants : le caractère jeune, la nouveauté des parlers et le cryptage, que l’on propose aux parents de surmonter grâce à divers manuels. Krief (1999 : 19) note qu’au début des années 1990 « la désignation entre dans une période hésitante : des mots comme « banlieue » et « cité » apparaissent dans des travaux consacrés principalement au langage des jeunes ».

38

Voir par exemple : Rodrigue, V., 1987, « Le jargon interdit aux parents », 20 ans, 15 novembre ; Epstein, J., 1987, Petit guide de la conversation usuelle pour changer le monde sans fatigue..., Paris, Éditions universitaires ; Demougeot, et al. 1994, Nouveau français : la compil. Petit dico des mots interdits aux parents, Paris, J-C Lattès. Obalk, H.et al., 1984, Les mouvements de mode expliqués au parents, (avec un lexique établi sous la direction de H. Walter) ; Girard, E. Kernel, B., 1994, Ado / parents. Le manuel guide de conversation, Paris Hors collection / Les Presses de la Cité. 39

Schiffres A., 1982, « Le jeune tel qu’on le parle » Le Nouvel Observateur, 943, 4-10 déc. 40

Girard B., 2002, « Savez-vous parler le ‘djeun’s’ ? », Phosphore, mars 2002. 41

Merle, P., 1986, Dictionnaire du français branché suivi du guide du français tic et toc, Paris, Seuil. 42

Au besoin avec un « décodeur », comme le suggère C. Bézard, 1993, « Le langage des jeunes : à décrypter avec décodeur », L’événement du jeudi, 457, 5-11 août.

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En compulsant les titres des essais, articles et autres dossiers thématiques de presse, on constate que c’est au milieu des années 90 que le caractère « banlieusard » des parlers est systématiquement mis en avant. D’une vision essentiellement générationnelle, on a donc assisté à un glissement par une territorialisation, puis, corollairement, par une ethnicisation (cf. Sourdot, 1997). C’est donc, globalement, la « périphérisation » (aussi bien en termes géographique que social et ethnique) de l’objet qu’a consacré la « littérature » médiatique. À l’instar de l’argot, considéré comme propre aux malfaiteurs, l’objet PJU a eu tendance à devenir, dans la presse et les essais, l’attribut de classe d’un groupe social considéré comme périphérique, voire marginal, d’une nouvelle classe dangereuse.

Il convient encore de remarquer que les médias (et le monde du spectacle) offrent de nombreux exemples de spectacularisation ou de récupération de certains traits des PJU. Bien que n’ayant pas mené d’étude systématique, un simple relevé régulier d’énoncés actualisant certaines caractéristiques (lexicales, phonétiques, interactionnelles) de ces parlers permet de constater leur visibilité grandissante 43 et confirme les analyses de Boyer (1997b) : les jeunes, surtout lorsqu’ils se révoltent sont « objets de gourmandise » car parler de « ces » jeunes « c’est être jeune soi-même et c’est attester de sa participation à l’avenir du monde » (Ellul, 1993 : 122, cité par Boyer, 1997b : 7). On se souvient qu’Arthur, animateur spécialiste de la récupération (cf. Les enfants de la télé), a publié quatre livres dont le principe était assez simple : recycler – ou inventer – des vannes sur « la mère », sur le mode canonique « ta mère est tellement… que » (voir Lepoutre, 1997).

Outre ce cas extrême de récupération commerciale, folklorisante et dépossédante, la représentation médiatique des variétés jeunes et urbaines est aussi assurée par certains humoristes, variétés dont certains sont eux-mêmes locuteurs. L’exemple le plus connu est celui de Jamel Debbouze, dont le succès s’est en partie construit sur les jeux de mots et autres stéréotypages de traits du français populaire et/ou des PJU. Mais il n’est pas le seul, puisque beaucoup d’humoristes (Elie Semoun, Dieudonné…) ont intégré dans leurs sketches la figure emblématique du « jeune de banlieue » (bien souvent maghrébin et délinquant). Dans ce genre d’humour, en partie fondé sur des caractéristiques ethniques ou sociales, les attributs vestimentaires et culturels sont associés à des traits langagiers stéréotypés, prosodiques lexicaux ou discursifs (jurements, mot « mère », ou régulateurs de discours, « vas-y » « tu vois », « quoi »).

Dans ce processus de diffusion, le cinéma n’est pas en reste, et ce de deux manières distinctes. D’une part parce que plusieurs films ont traité avec plus ou moins de justesse et de succès de divers aspects ressortissant du thème « de la banlieue », et ont à ce titre mis en scène des personnages dont les pratiques sont celles de jeunes citadins (Voir entre autres « La Haine », « Ma 6T va cracker »). D’autre part, parce que certains films (et téléfilms) pratiquent le recyclage ou la récupération – avec des fins diverses – d’éléments des PJU. Je ne prendrai que l’exemple du récent Mission Cléopâtre d’A. Chabat, un des films français qui a

43

Visibilité grandissante que l’on pourrait considérer comme un signe de banalisation et d’intégration de certains usages jusque-là plutôt stigmatisés, à des pratiques légitimes.

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attiré le plus de spectateurs dans les salles ces dernières années. Dans ce film, l’usage de traits (mots, prononciations, et même peut-être patrons interactionnels) participe à l’humour fondé sur les décalages culturels et les anachronismes. On y a en effet relevé la présence de mots tels que bouillave, mais aussi celle de certaines réalisations affriquées d’occlusives de /t/, ou morphosyntaxiques comme la chute de « que »44.

On a encore pu observer de très nombreuses occurrences d’éléments devenus emblématiques de PJU sur certaines radios, qu’elles soient commerciales et nationales (telles que Skyrock, NRJ ou Fun radio), locales (comme la radio universitaire de Grenoble) ou encore francophones étrangères (Couleur 3, radio de service public de Suisse Romande). On peut entendre des éléments de PJU sur des plages d’expression offertes aux auditeurs adolescents et jeunes adultes. On peut citer en exemple l’émission du soir de Skyrock, animée par Difool et une jeune équipe, dont le programme s’organise partiellement autour d’échanges avec les auditeurs qui évoquent souvent des problèmes d’ordres sentimental et sexuel. Si ces émissions permettent de se rendre compte de la diffusion de certaines pratiques langagières, elles offrent aussi une vitrine des éléments linguistiques que les publicitaires et autres créatifs reprennent à des fins argumentatives et commerciales, en vue de toucher un certain « segment de marché ».

Enfin, parmi les instances qui contribuent à la diffusion, on pourrait encore pointer certains sites internet : je n’en mentionnerai qu’un, particulièrement révélateur de ce phénomène de récupération. Il s’agit d’un moteur de recherche baptisé ziva.free, dont le nom reprend une des expressions45 ayant fait l’objet d’un stéréotypage intense ces dernières années, au point de servir parfois de désignant de groupes de locuteurs : les Ziva.

Objets de médiatisation, de curiosité, d’inquiétudes et d’attentes sociales, les PJU sont également objets de recherches de linguistes et, en premier lieu, on l’a dit, de certains argotologues.

��Apports et limites de la démarche argotologique46

La substitution progressive, dans l’activité éditoriale, de l’objet « parler de banlieues » aux objets « parler jeune » ou « branché », semble avoir rencontré une traduction différée dans les recherches linguistiques. En 1991, dans un numéro de Langue française consacré aux « parlures argotiques », il semble que les coordinateurs n’appréhendaient pas encore clairement le phénomène de périphérisation et d’ethnicisation de l’activité de création argotique. C’est à partir de 1996, en lien avec la visibilité accrue et une certaine demande sociale, que la conversion d’une partie de l’argotologie à l’étude des parlers des « jeunes de cités » semble s’amorcer. Elle trouve, avec la publication de Comment tu tchatches ! de J.-P. Goudaillier (1997), un aboutissement et une sorte de second

44

On peut se demander quel peut être l’impact d’un tel film et donc d’une telle diffusion – qui touche une population très large, particulièrement d’enfants – sur la légitimation d’éléments de PJU. 45

Au plan formel, « ziva » est le verlan de « vas-y » ; au niveau pragmatique on peut considérer que, placé en début d’énoncé, il équivaut à une modalité d’insistance ou à une modalité injonctive, que peuvent également porter « allez ! » et « allez, vas-y ! ». 46

Cette partie doit beaucoup à la lecture et aux remarques de P. Lambert que je remercie.

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souffle, du moins sur le plan éditorial47. Cette publication est en effet postérieure à celle du numéro 114 de Langue française sur « les mots des jeunes », et elle intervient bien après l’émergence de la désignation « langue de banlieue » dans une série d’ouvrages non spécialisés (voir supra).

Le fait que ce dictionnaire tienne lieu de référence (quasi incontournable) pour nombre de sociolinguistes en justifiait une lecture particulièrement attentive amenant quelques remarques et critiques. Malgré l’utilité indéniable du recensement, de l’analyse formelle et de la recherche étymologique des unités lexicales collectées48, l’argotographie ne semble pas s’être émancipée de certains des défauts mentionnés par Delaplace (2000) et exposés plus haut. En effet, comme le précise Gasquet-Cyrus (2002), l’ouvrage de Goudaillier est exemplaire d’une propension à spectaculariser le « déviant », à laquelle contribuent les médias qui relayent volontiers ce type de recherche.

Le titre de l’introduction (« le dire des maux, les maux du dire ») laisse entendre qu’il ne s’agit pas de décrire une variété linguistique déconnectée de son ancrage social, mais qu’il est au contraire question de l’appréhender sous un angle sociolinguistique 49 . Aussi les intitulés de certains chapitres montrent-ils une volonté d’envisager non seulement l’aspect formel de la variété décrite, mais également ses fonctions (« fracture linguistique et fonction identitaire », « culture interstitielle et parler interethnique », p. 6) et son statut sociolinguistique (« maux du dire et institution scolaire », p.11). De même, la reprise des expressions « parler véhiculaire interethnique » (Billiez, 1992) et « culture interstitielle » (Calvet, 1994), laisserait attendre une orientation sociolinguistique du travail. Or, les notions sous-jacentes à l’utilisation de ces termes ne sont pas clairement intégrées à l’analyse des faits langagiers et cette étude se fonde essentiellement sur l’application de procédures de description formelle limitées au lexique :

la raison d’être de ce dictionnaire est d’offrir un relevé de mots, quelle qu’en soit l’origine, qui sont tous présents dans la variété langagière que l’on peut actuellement entendre dans les cités (p.35)

50.

Ainsi, en dépit de la proclamation de certains principes très proches de préoccupations sociolinguistiques, énoncés en 1991 (François-Geiger & Goudaillier, 1991b : 3) et réaffirmés en 2002 (Goudaillier, 2002 : 3)51, les « jeunes de cités » et leurs pratiques langagières sont finalement traités comme des 47

Cet ouvrage en est aujourd’hui à sa deuxième édition, phénomène assez rare pour des dictionnaires spécialisés. 48

Et assurément une volonté de contribuer à la déminorisation. 49

Même si, à aucun moment, l’auteur ne se positionne de manière explicite dans le champ de la sociolinguistique. 50

Un grand nombre des procédés sémantiques et formels décrits sont ceux des argots : « utilisation de mots issus du vieil argot français », « métaphore », « métonymie », « déformation de type verlanesque », « troncation », « redoublement hypocoristique après aphérèse », « resuffixation après troncation » ; chacun de ces procédés faisant l’objet d’un chapitre, dont les nombreux exemples figurent pour la plupart également dans la partie « dictionnaire ». 51

« Tout ce qui peut être repéré comme argotique dans une langue, au même titre que tout fait linguistique, doit être examiné compte tenu au moins des cinq critères suivants : quelles sont les personnes concernées, les situations constatées, les fonctions exercées, les thématiques abordées, les procédés utilisés ». Si les trois derniers « critères » sont effectivement bien couverts, les deux premiers sont en revanche largement éludés.

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catégories sociolinguistiques apparemment homogènes : « grand nombre de cités dans lesquelles vivent les jeunes […] doivent être considérées comme autant de ghettos non seulement économiques, culturels mais aussi linguistiques » (Goudaillier, 1997a : 8).

De même, bien que l’auteur insiste sur l’importance de ne pas circonscrire ces parlers aux banlieues, il désigne lui-même ce qu’il a choisi de décrire comme le « français contemporain des cités ». Le relevé des autres termes et expressions utilisés par l’auteur pour désigner son objet de recherche montre qu’un certain flou caractérise sa définition. Dans ces désignations, l’usage d’un singulier globalisant alterne avec celui d’un pluriel qui, lui, rend compte des variations que présentent les PJU. On trouve ainsi tour à tour : « interlangue », « langue (commune) des cités », « sorte de koïnè », « langue en miroir », « parler véhiculaire interethnique », « argot commun des cités », « diverses variétés de français », « structure hétérogène aux facettes multiples » et enfin « parlers des cités ». La question du flottement des désignations de ces variétés est soulevée dans de nombreux travaux et elle illustre assez bien les difficultés que peuvent poser la diversité, l’instabilité et les variations de ces parlers, en particulier lorsqu’on les étudie dans une perspective de description formelle.

Mais la diversité des désignations utilisées risque également dans ce cas – parce qu’elles ne sont pas problématisées – de rendre approximative leur réception par des lecteurs non spécialistes (parmi lesquels des enseignants et des décideurs) et de leur donner l’impression que les pratiques décrites forment « une ou des langues » à part. D’ailleurs, dès l’introduction la pertinence de l’ouvrage est légitimée par une menace – dramatisée par l’apposition référant, grâce au nous déictique – planant potentiellement sur le français : « la langue française, notre langue, est-elle véritablement menacée par de tels parlers ? ». Et d’ajouter qu’il « importe donc au linguiste de tenter de faire un état des lieux et d’exprimer son point de vue au sujet de la situation linguistique que l’on constate aujourd’hui en France » (Goudaillier, 1997a : 6).

On l’a vu, pour Boyer la diffusion éditoriale de ces parlers participe du processus d’intégration, dans les représentations et/ou dans les pratiques linguistiques du groupe majoritaire, de « toute déviance récupérable » (Boyer, 1997b). On peut de ce fait se demander quel type d’impact l’utilisation, – par un linguiste connu comme spécialiste de l’objet – de termes tels que « malaxer », « tordre dans tous les sens », « couper les mots », « déstructurer », « introduire des formes parasitaires », « dégurgiter [leur langue] », comportements « inversés », etc. peut avoir sur le « large public » auquel le dictionnaire est en partie destiné. « Dans un domaine où les enjeux politiques, sociaux et idéologiques sont tellement importants, il convient de peser plus qu’ailleurs ses mots » (Billiez, 1997 : 66).

On peut encore émettre certaines réserves concernant la méthode utilisée pour recueillir les données qui constituent ce corpus. Parmi les 700 entrées de la première édition de Comment tu tchatches ! (1997) la provenance et le statut des mots ou des expressions sont très divers : en effet, outre une enquête par

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questionnaire écrit 52 , les relevés que J.-P. Goudaillier appelle lui-même « sauvages » ont le grave inconvénient de projeter des catégories du chercheur sur le réel. Par exemple, l’enquêteur peut relever un élément langagier dans un RER ou dans un train de banlieue, pour en attester l’existence en un lieu. Mais attribuer cette unité « aux jeunes de cité » sans connaitre son utilisateur, implique une attribution causale qui manque d’étayage empirique. Ainsi, le recours au filtre de l’intuition du linguiste incite à relativiser la fiabilité de certaines données présentées. Et ce d’autant plus que malgré la diversité des sources, toutes les attestations sont placées sur un pied d’égalité, qu’elles proviennent des questionnaires complétés par des jeunes, de films, de romans ou encore d’autres dossiers de presse ou d’essais. On est donc fondé à critiquer cette méthodologie de recherche qui s’appuie sur un corpus hétéroclite : quel crédit peut-on accorder par exemple à des propos de « jeunes de cités » repris du Figaro, voire d’extraits du journal de 20 heures de TF1 ? Ainsi, pour M. Gasquet-Cyrus, le travail de relevé pour utile qu’il soit, n’en comporte pas moins :

un certain nombre d’erreurs […] [qui] finissent par agacer lorsque l’on s’aperçoit qu’elles sont la conséquence d’un manque d’enquêtes de terrain ou d’une façon bien particulière de concevoir le terrain [...] alliée[s] à une confiance quasi-aveugle en la littérature et la chanson

53.

(Gasquet-Cyrus, 2002 : 64).

On trouve par exemple le mot « engatse », attesté dans les pratiques de jeunes des « quartiers nord » de Marseille, et à ce titre inclus dans le dictionnaire du français contemporain des cités. Or, ni le fait que ce terme soit utilisé à Marseille dans une frange de la population beaucoup plus large que celle des seuls locuteurs visés, ni la spécificité régionale de cet item, ne sont mentionnés dans l’article correspondant.

Le nombre de communications scientifiques et de publications récentes sur le thème des « parlers de jeunes » témoigne de la sollicitude épilinguistique (Boyer, 1997a) dont les PJU sont l’objet. Le fait que cet hyper-investissement scientifique soit, chronologiquement, à la fois la conséquence et la cause de la visibilité des PJU, montre que la frontière entre description et intervention sociolinguistiques peut être perméable. C’est ce que confirme L.-J. Calvet :

Les journalistes ou les linguistes qui décrivent ces faits les modifient du même coup : lorsque l’on met un phénomène sous les projecteurs, on le transforme, lorsque l’on consacre de savantes études à un argot jusque-là peu connu on le banalise. Et l’argot moderne, dans ces avatars, nous montre donc que le couple éternel de l’observateur et de la chose observée est aussi traversé par l’histoire. (1994 : 32).

Ces remarques sur Comment tu tchatches ! rejoignent le sentiment d’autres sociolinguistes à l’égard des démarches qui visent « seulement » à décrire des variétés linguistiques délimitées de manière plus ou moins arbitraire, au risque de

52

En soi, la méthodologie de recueil pose plusieurs problèmes : le premier, sociologique, concerne le questionnaire écrit, qui constitue potentiellement une confrontation symboliquement violente. En effet, il ne serait pas étonnant que les locuteurs les plus impliqués dans la culture vernaculaire, et donc les meilleurs informateurs, soient aussi ceux qui présentent le plus de résistance dans leur acculturation scripturale (cf. Labov, 1978). 53

À propos des sources littéraires, l’inclusion systématique des lexies émises, sans se soucier de leur utilisation hors littérature a l’inconvénient de mettre sur le même plan des « mots d’auteurs » et des unités lexicales très utilisées dans des situations « ordinaires ».

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les « figer dans une sorte de chambre froide (le dictionnaire), [...] [et] d’y enfermer [leurs] locuteurs » (Billiez, 1997 : 66). Toutefois, l’existence sociale des PJU et de leurs locuteurs justifie qu’ils soient étudiés, et sans doute avec des objectifs d’intervention – notamment en matière de formation d’enseignants et de politique linguistique éducative. Mais ces formes d’engagement doivent alors être clairement identifiées, assumées et objectivées par les chercheurs, afin d’interférer le moins possible sur leurs analyses. C’est l’une des options adoptées par certains travaux au cours des deux décennies de recherche sur les PJU dont je propose à présent de donner un aperçu.

��Vingt ans de recherche sur les parlers de jeunes en France

Bien que Labov (1978) et ses collaborateurs n’aient pas été les premiers à s‘intéresser aux « jeunes », leur enquête au sein de groupes constitués du ghetto noir de New York a fait largement école aux États-Unis et en Grande Bretagne, mais aussi en France, où après une période de relative rareté le nombre des recherches françaises sur les « pratiques langagières de jeunes » s’est multiplié, les « jeunes » ciblés étant généralement issus de quartiers « défavorisés » ou « dits sensibles ». C’est en quelque sorte Laks qui a inauguré le champ dans le domaine de la sociolinguistique française.

��Les pratiques d’adolescents de Villejuif

Pendant 9 mois, Laks partage le quotidien et étudie les pratiques d’un petit groupe de 6 adolescents qui fréquentent la Maison pour tous, d’une ville ouvrière de banlieue parisienne54. À l’instar de ce qu’avait fait Labov (1978), il cherche à montrer les relations entre pratiques langagières, appartenance au groupe et position par rapport à ce groupe. Il parvient à établir des corrélations très fines entre la distribution des usages de variantes phonologiques (chute des liquides /l/ et /R/) et morphosyntaxiques (coordinations : et ; pi ; et pi) et l’habitus des agents sociaux tel que le défini Bourdieu, qui fournit à Laks une théorie sociologique de référence explicite. Pour saisir l’habitus des agents sociaux, il procède par recoupements de paramètres macrosociologiques et d’observations ethnographiques.

D’orientation résolument sociolinguistique, son objectif n’est « pas seulement d’enregistrer des faits linguistiques attestés mais de tenter de référer les formes relevées à la sociologie de leur énonciateur » (Laks, 1983 : 74). D’un point de vue méthodologique, le rejet de la méthode statistique, le petit nombre des sujets, la durée d’observation et la minutie ethnographique confèrent à la recherche de Laks une indéniable dimension qualitative. Mais pour autant, les aspects quantitatifs ne sont pas évacués puisqu’ils interviennent pour établir des corrélations fines entre productions langagières et profils sociologiques des sujets. Derrière ces options méthodologiques, l’influence de Labov (du Parler ordinaire plutôt que de Martha’s Vineyard) d’Encrevé (1976, 1977) ainsi que de Bourdieu est sensible.

54

Les sujets vivent dans le bas-Villejuif, n’habitent pas dans une cité, et leur habitus les oppose même aux jeunes des cités, qui fréquentent la rue et non la Maison pour tous.

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Un des caractères novateurs de ce travail tient aussi à la tentative d’intégration de paramètres urbains. La description que l’auteur fait de l’habitat55, de l’imaginaire des habitants, mais aussi des représentations du quartier, concourt à brosser une sorte de toile de fond structurante, de matrice urbaine passive des pratiques décrites et analysées. La fonction de territoire socio-symbolique fortement marqué dévolu à la rue et la ségrégation spatiale (Bulot, 2001a) qui semble en résulter sont également des paramètres qui font de cette étude une préfiguration de travaux de sociolinguistique urbaine. On peut donc entrevoir une concomitance entre l’irruption du fait urbain en sociolinguistique française et le développement des premières recherches sur les parlers de jeunes de milieux populaires et vivant en banlieue.

Néanmoins, on peut remarquer que si Laks est l’un des premiers sociolinguistes français (le premier ?) à s’être intéressé aux pratiques d’adolescents, il n’a pas retenu pour son analyse le seul adolescent issu de l’immigration présent à la Maison pour tous. Comme dans l’étude de New York de Labov (1976) l’appartenance à une communauté issue de l’immigration ne constitue pas pour lui une variable pertinente. A l’égard de cet élément sociologique, on peut noter que 1980, l’année de la thèse de B. Laks, suit de deux ans la création par le CNRS du « GRECO 13 Migrations Internationales »56 et qu’elle correspond peu ou prou au début de la période durant laquelle les zones périurbaines se sont ethnicisées, du moins dans les représentations véhiculées par les médias (Bachmann & Basier, 1989 ; Rinaudo, 1999). Cette date précède également l’émergence des travaux sur les pratiques bilingues et les usages socio-différentiels des répertoires par des enfants de migrants, menées notamment à Grenoble (Dabène & Billiez, 1984 ; Dabène, et al. 1988 ; Merabti, 1991), qui a nourri le champ des recherches sur les pratiques langagières mixtes : les « parlers bilingues ».

��Les années 80 : études du bilinguisme des jeunes issus de l’immigration

Bien qu’elle ne s’inscrive pas directement dans le cadre du développement des études du bilinguisme mais en lien avec elles, il me semble utile de mentionner une des premières sources attestant déjà bon nombre de phénomènes décrits aujourd’hui dans les PJU, et notamment une certaine diffusion de traits des variétés d’arabe maghrébin.

�Une étude novatrice Il s’agit du dossier d’un groupe d’étudiants grenoblois (Chevrot et al., 1983)

sur les pratiques langagières d’adolescents, dans lequel les auteurs notent en premier lieu la présence des langues en contact avec le français, et plus

55

Le haut-Villejuif, d’urbanisation plus récente que le bas-Villejuif, est constitué de cités « de transit », « de relogement d’urgence », « d’accueil, qui ajoutent à la coloration populaire du quartier une nuance de pauvreté et même de misère » (Laks, 1983 : 75). Ce quartier réputé dangereux, porte déjà à l’époque les stigmates d’une forte ségrégation socio-spatiale (L’observation a été menée en 1974-75). 56

A propos duquel Catherine Withol de Wenden (1995) précise qu’il a marqué le début d’une phase de « conquête de légitimité » pour les recherches sur les migrations.

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particulièrement de l’arabe maghrébin, dont l’usage n’est selon eux pas exclusif des jeunes issus de l'immigration maghrébine et dépasse même le niveau lexical. Ils font ainsi état de la « prononciation fricative du /R/ français » (p.8), émettant l’hypothèse qu’elle peut être due à l’influence de l’arabe. Ils mentionnent aussi la présence de « lexique gitan » et l’utilisation du morphème verbal –av qui sert à créer des faux emprunts tels que graillav. (graill�av < graill�er), tous ces traits étant plus utilisés par des adolescents non lycéens issus de milieux modestes. Les auteurs décrivent encore des « jeux sur le code » qui recoupent des procédés formels de création lexicale aujourd’hui largement attestés, tels que la suffixation (notamment en – os), le verlan57, le javanais (infixation entre chaque syllabe d’une ou deux syllabes : – av,– ag, [gede] ou encore du phonème /f/).

Les éléments allogènes, et à travers eux la diversité linguistique française, sont très présents dans cette enquête. Cette attention portée aux effets des contacts de langues n’est en rien fortuite. En effet, le cadre institutionnel et intellectuel dans lequel elle a été menée est un de ceux où se sont développées, en France, des études centrées sur les contacts de langues générés par la présence de populations migrantes.

�Recherches sur les pratiques langagières des jeunes issus de

l'immigration Jusqu’à son arrêt, au milieu des années 70, l’immigration d’hommes seuls

n’avait semble-t-il pas engendré en France de réflexion sociolinguistique ou didactique 58 spécifique sur la nécessité et les modalités de leur acculturation linguistique : l’» importation » de main d'œuvre fonctionnait à plein, et point n'était apparemment besoin pour les travailleurs de parler et de se faire comprendre, pourvu qu'ils fussent capables de comprendre et d'exécuter les tâches généralement manuelles et souvent répétitives qui leur incombaient. C’est en tout cas ce que suggérait, jusqu’au milieu des années 70, l’absence d’une réflexion ad hoc sur leurs pratiques et sur l’enseignement du français en direction de travailleurs immigrés. Mais un tournant est opéré avec la politique de regroupement familial qui génère une forte demande sociale de connaissance et d’intervention.

Après s'être penchés sur les besoins de formations de professionnels en contact avec des immigrés, c'est au début de la décennie 80 que des chercheurs du Centre de Didactique de Langues de Grenoble ont commencé à s'intéresser plus particulièrement aux pratiques langagières d'enfants issus de l'immigration. En effet, avec l’entrée à l’école de ces enfants, des questions nouvelles sont apparues, notamment celles de leur intégration linguistique et de l’introduction d’un enseignement/apprentissage des langues de migration. Les membres du Centre de Didactique de Langues ont donc été conduits à étudier la situation

57

A cette époque plusieurs types de travaux s’intéressent spécifiquement au verlan sous différents angles : Bachmann et Basier (1984) l’abordent sous un angle sociolinguistique et ethnographique. Les travaux suivants sont plus focalisés sur l’étude des aspects formels du procédé de cryptage : Méla (1988 ; 1991) et Plénat (1992 ; 1995). 58

L’idée que la sociolinguistique devait s’intéresser aux parlers des populations immigrées ou aurait à le faire est présente dans Marcellesi et Gardin (1974) ainsi que Gardin, B. (coord) (1976) : L’apprentissage du français par les travailleurs immigrés, Langue Française, n° 29.

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sociolinguistique de jeunes issus de l'immigration, les modalités de transmission des langues familiales, la gestion des répertoires bi/multilingues et les pratiques mixtes dans les réseaux de communication (Merabti, 1991).

Une des questions qui se posait alors était de déterminer comment les langues familiales minorisées, dont la pression à l’assimilation ne favorisait pas le maintien, étaient en quelque sorte réinvesties dans les interactions entre pairs, qu’ils appartiennent à la même communauté d’origine ou non. C'est ce cheminement qui a amené le Centre de Didactique de Langues, et plus particulièrement J. Billiez, à étudier les échanges entre pairs, notamment sous l'angle des dynamiques identitaires en jeu dans ces échanges.

Ce courant de recherche a aussi montré qu’en fonction de l’orientation des représentations et des attitudes (et donc des nombreux facteurs qui les configurent), des décalages pouvaient exister entre les pratiques langagières effectives de jeunes issus de l'immigration (observées directement), et la teneur de leurs discours sur ces pratiques. Bien mis en évidence par des énoncés apparemment paradoxaux du type « l’arabe, c’est ma langue, mais je la parle pas », les distorsions des comportements communicatifs par rapport aux attitudes et aux représentations (ou vice versa), ont conduit à considérer certains usages comme emblématiques : « la langue d’origine [étant alors] moins perçue dans sa fonction d’outil de communication que comme composante primordiale de l’héritage et comme marqueur d’identité » (Billiez, 1985b). De ces recherches, il faut retenir cette dimension emblématique ainsi que la mise en commun et la circulation de ressources allogènes qui alimentent les répertoires verbaux au-delà de ceux des jeunes issus de l’immigration.

��1997-2003 : Multiplication et diversification des recherches

La parution en 1997 de quatre ouvrages59 explicitement consacrés aux PJU (et, pour certains aux « langues de banlieue » (Skholê) ou au « français contemporain des cités » (Comment tu tchatches!)) atteste d’un mouvement collectif de focalisation sur cet aspect de la réalité sociolinguistique française. Dans ces ouvrages, on retrouve en quelque sorte un condensé des différentes approches empiriques et théoriques qui traversent et structurent la sociolinguistique française. Par ailleurs, à l’occasion de l’exposition sur la langue française (qui s’est tenue en 2000-2001 à Bruxelles, Dakar, Lyon, et Québec) intitulée Tu parles!? Le français dans tous ses états, une galerie entière, « Le mur des graffitis », était dédiée aux parlers de jeunes, à la transgression, à l’argot et au verlan, consacrant ainsi, s’il en était encore besoin, l’existence scientifique de l’objet aux yeux du grand public.

Quelles sont donc les grandes tendances qui se dégagent de la production scientifique de cette période?

59

Comment tu tchatches ! (Goudaillier, 1997a), Touche pas à ma langue (numéro hors-série de Skholê), Les mots des jeunes, (Boyer, (dir.) 1997, Langue française n° 114) et Questions de langue (Migrants Formations n° 108).

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�Au-delà des générations de chercheurs, des approches plutôt qualitatives60

En partie pour une raison de proximité sociologique de jeunes chercheurs avec le terrain, plusieurs thèses, soutenues ou en cours, abordent le thème sous divers angles, et on ne compte plus les communications de jeunes chercheurs, qui, dans les colloques, prennent les pratiques langagières de jeunes urbains pour objet. Parmi ces nombreuses études, celle de Jamin, la seule quantitative, montre que les variantes phonologiques qu’il étudie à La Courneuve (palatalisation des occlusives vélaires ou dentales, glottalisation de /R/) sont produites plus fréquemment par les jeunes garçons issus de l’immigration maghrébine, et d’autant plus qu’ils sont fortement intégrés à la culture de rue (Lepoutre, 1997). Jamin constate aussi que si elles sont plus fréquentes dans les productions de ces locuteurs, ces variantes ne sont pas absentes des pratiques de locuteurs de profils sociaux très différents, et s’interroge sur la dynamique sociale de cette distribution et sur les chances que ces formes ont d’alimenter le changement linguistique.

Mais, en domaine français, l’intérêt pour les we code générationnels dépasse la « jeune génération » et beaucoup de sociolinguistes de la « première et de la deuxième générations » se sont penchés de façon directe ou indirecte, sur les pratiques de jeunes. Ainsi, dans le cadre de sa réflexion sur les variations en français contemporain, dans la lignée de ses études des variétés de français « ordinaire » et « populaire », Gadet (1989, 1992, 2002, 2003 ; Conein & Gadet 1998, etc.) a consacré plusieurs articles aux PJU. C’est également le cas de Billiez (1992, 2003) et de Calvet (1994, 1997, 1999) ou encore de Bavoux (2000, 2001), qui abordent le sujet à plusieurs reprises.

Par-delà un indéniable effet d’entrainement, cet investissement scientifique me semble pouvoir être interprété autant comme le signe d’une prise de conscience sociétale d’un phénomène, que comme la manifestation d’une nécessité d’affirmer un positionnement (scientifique ou/et plus ou moins explicitement citoyen ou politique), autour d’un champ où s’enchevêtrent des questions linguistiques (contacts de langues, émergence et diffusion de formes vernaculaires, changement linguistique, etc.), socio-politiques (aménagement linguistique, identité nationale, sort de minorités culturelles et linguistiques, etc.) mais également éducatives et didactiques (attitude face à la variation linguistique, nécessité d’accueillir – et de s’appuyer sur – les pratiques orales des élèves, phénomènes dits de « violence verbale », etc.).

�Des parlers à l’œuvre dans le rap Parallèlement à son investissement par des sociologues (Lapassade &

Rousselot, 1996 ; Bazin, 1995), le domaine des études de la culture hip hop a fait son entrée dans le champ de la sociolinguistique, avec une étude de C. Bachmann et L. Basier (1985) qui avaient déjà décelé dans certaines configurations interactionnelles ritualisées des formes de « mobilisation symbolique ». Puis,

60

Je ne reviendrai pas sur l’approche argotologique dont on a vu (malgré quelques travers) qu’elle fournissait de nombreuses informations lexicologiques, ni sur les nombreuses études qui adoptent l’angle du bilinguisme, du métissage, en lien avec la problématique des contacts de langues (Melliani, 1999 et 2000 ; Bouziri, 2000, 2002).

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quelques années plus tard, les études sur ce thème ont été réactivées, approfondies et recadrées dans le champ de la sociolinguistique d’abord par L.-J. Calvet (1994b) et J. Billiez (1996, 1997, 1998), qui ont plus particulièrement appréhendé les textes de rap comme une instance de parole dans et par laquelle étaient spectacularisés la diversité et les contacts linguistiques. Multipliant les études et les approches, des chercheurs ont montré que des « stratégies identitaires » 61 étaient à l’œuvre dans ces textes, et qu’elles se manifestaient particulièrement par des choix, des alternances et des mélanges de langues (Billiez, 1996 et 1998 ; Gasquet-Cyrus et al., 1999 ; Trimaille, 1999a et b)62.

�Parlers des jeunes, apprentissages et enseignements Les travaux de Bautier et de l’équipe de recherche qu’elle anime (Bautier &

Branca-Rosoff, 2002; Bonnery, 2002) analysent les compétences d’élèves en échec scolaire. Dans les pratiques de ces derniers, Bautier et Branca-Rosoff (2002 : 196-7) distinguent des variantes relevant de l’oral ordinaire, des formes résultant de l’appropriation incomplète du français par des élèves primo-arrivants et des lacunes ayant des incidences sur la compréhension du français grammatisé. Ces études soulignent les graves problèmes pour leurs apprentissages et les risques d’exclusion sociale de ces élèves en « grand échec scolaire » qui résultent des pratiques langagières (notamment au plan énonciatif ou syntaxique). Elles font apparaitre le besoin d’une socio-didactique qui, si elle ne résout pas les problèmes sociaux qui/que génèrent ces situations, tente de ménager un étroit passage vers les compétences scolaires.

Considérant le rap comme un support privilégié d’identification et de motivation pour de nombreux élèves, des enseignants (Seguin et Teillard, 1996 ; Gaudin, 1996) et des chercheurs63 (Zongo, à par. ; Lambert & Trimaille, à par. a) défendent l’idée que cette forme d’expression culturelle contemporaine peut servir de base à un processus de médiation linguistique. Pour ce faire, ils proposent de s’appuyer à la fois sur la légitimité sociale dont disposent les rappeurs aux yeux de bon nombre d’élèves urbains, ainsi que sur les éléments culturels ou formels qu’ils utilisent : des connaissances partagées et le travail des langues qui 61

Parmi les stratégies identitaires généralement développées par des minorités, recensées par Leonetti-Taboada (1991), on observe dans le rap, comme dans les groupes d’adolescents : la surenchère, qui consiste non seulement à assumer l’identité assignée mais à en mettre en avant les aspects stigmatisés ; le déni (refus d’assumer une identité assignée par la majorité) ; le retournement sémantique par lequel la minorité accepte l’identité prescrite, mais en donnant un sens positif à des caractéristiques stigmatisées par la majorité; la recomposition identitaire, qui correspond à la création de nouvelles catégories d’appartenance; l’action collective, par laquelle les acteurs entendent modifier les rapports intergroupes. 62

D’autres enquêtes ont porté plus spécifiquement sur la transposition écrite des « parlers urbains de jeunes » dans des romans contemporains (cf. Lambert, 2000 ; Sudres, 2001). D’autres encore ont amorcé une réflexion sur d’éventuelles différences entre pratiques langagières de filles et de garçons (Moïse, 2002 ; Billiez et al., 2003). 63

Aux États-Unis W. Labov a dirigé le programme Urban Minorities Reading Project, dont l’objectif était de fournir des outils de diagnostic et de remédiation des difficultés en lecture des enfants afro-américains des ghettos, puis des Latinos children. Ce programme s’appuie entre autres sur l’intérêt des enfants pour les paroles de textes de rap qui constituent une forte motivation à entrer dans la lecture, avant de passer à d’autres types de textes. Pour plus de détails, voir en ligne : www.ling.upenn.edu/~labov/UMRP/UMRP.html

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caractérise le genre. La position de ces chercheurs est qu’il ne faut pas renoncer aux exigences de l’accès à un français scolaire et commun pour tous, gage de possibles apprentissages et de mobilité sociale. Mais cette finalité posée, ils prennent acte de l’existence de variations, parfois importantes et potentiellement gênantes pour les apprentissages, et tentent de s’appuyer sur des compétences existantes pour amener les élèves en difficulté vers la norme scolaire. Bien que parfois décrié, le travail pédagogique et la « théorisation » didactique que présentent Seguin & Teillard (1996) est exemplaire de cette volonté de ne pas refuser la parole et nier l’identité des élèves dont l’expression est éloignée des canons du français scolaire, fortement dominé par l’écrit (Boutet, 2002).

�Approches interactionnelles ou interactionnistes Il faut encore mentionner le développement d’analyses de type

interactionniste qui, pour certaines d’entre elles (Moïse, à par.), ont été développées en réponse à une demande institutionnelle émanant notamment de la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV)64. Ces études, qui cherchent à mettre en évidence des configurations discursives (Casolari & Giacomi, 1997) ou interactionnelles (Assef, 2002 ; Trimaille, 2003 et 2004) fournissent des informations qui permettent de compléter avec profit les données déjà recueillies sur différents niveaux linguistiques. Elles explorent la construction et le déroulement des relations sociales dans des interactions socialement significatives (Gumperz, 1989) observées en contexte. Une meilleure connaissance des modalités d’échange entre jeunes et entre jeunes et adultes est potentiellement de nature à éviter certains malentendus communicationnels et/ou intergénérationnels, pour peu que les résultats soient diffusés et intégrés à des contenus de formation, par exemple à destination d’enseignants ou de travailleurs sociaux.

�Parlers de jeunes, sociolinguistique urbaine et géographie des

recherches M. Gasquet-Cyrus considère que « les phénomènes regroupés sous

l'étiquette réductrice ‘banlieue’ » constituent l'un des quatre champs de la sociolinguistique urbaine (Gasquet-Cyrus 2002 : 55). En effet, les rapports entre langues, variétés urbaines, et inscription des locuteurs dans les espaces urbains sont parmi les approches qui se développent depuis quelques années. On les doit particulièrement à l’impulsion des travaux de Thierry Bulot, qui tente par exemple d’explorer les relations entre la territorialisation et la stigmatisation des variétés langagières et les phénomènes de « ségrégation spatiale ».

Si, au plan géographique, la recherche présente une certaine variété des points d’enquête, on peut remarquer les travaux mentionnés sont souvent focalisés sur des zones urbaines périphériques, souvent envisagées comme le lieu d’un « enfermement donné comme tel » sans que soient questionnés les mobilités (Moïse, 2002 : 84). On commence donc à disposer d’un nombre importants de données, encore assez éparses, sur les français parlés dans les cités par des jeunes de milieux sociaux modestes et/ou issus de l’immigration. Mais pour exploiter,

64

La question de l’identité et des motivations des chercheurs, des financements et des méthodes de leurs recherches sur les PJU constituerait sans doute un sujet de recherche sociologique en soi.

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dans une perspective sociolinguistique, ces données obtenues dans des conditions différentes, on ne dispose malheureusement que de peu d’informations sur les pratiques langagières d’adolescents ou de jeunes adultes présentant d’autres caractéristiques sociales, géographiques et identitaires.

�Parlers de jeunes et leurs représentations sociales On a déjà évoqué les travaux portant sur l’attention particulière que

suscitent les PJU (Boyer, 1997a). Ils sont aujourd’hui prolongés et complétés par plusieurs études qui ont en commun de chercher à saisir les représentations que des agents sociaux ont des PJU. Bien que ce sous-champ reste encore largement à explorer, il a permis de donner un premier aperçu des représentations des PJU qui circulent. On peut citer entre autres Kasbarian (1997), Lambert (2000), Trimaille & Billiez (2000), Binisti et Gasquet-Cyrus (2001), de Robillard (2003), Billiez et al. (2003a et b), Billiez et Lambert (à par.) qui ont montré, chacun à leur manière, que le poids de l’image sociale (Moliner, 1996) stéréotypée des locuteurs pèse souvent sur leur évaluation et sur celles de leurs façons de parler, au point parfois de provoquer des distorsions perceptives.

D’autres chercheurs tentent de cerner les représentations dont les PJU et leurs locuteurs sont l’objet chez des agents sociaux qui travaillent au contact de leurs locuteurs (Bulot & Van Hooland, 1997; Léglise, 2004; Caracci et al., 2004).

La connexion du champ d’étude des représentations et des attitudes aux recherches sur l’évolution et la diffusion des formes linguistiques urbaines porte des perspectives de compréhension du changement linguistique. En effet, il pourrait par exemple être possible de modéliser le parcours et les transformations formelles de certaines unités linguistiques dont le moment et le lieu de mise en circulation sont connus. Mais ce type de travaux se doit de ne pas perdre de vue la spirale de réflexivité qui les caractérise. En effet, faire émerger des représentations chez des sujets, au besoin en les co-construisant au moyen de questionnaires ou d’entretiens, confronter ces connaissances communes à d’autres points de vue, c’est nécessairement participer à les objectiver, et parfois à les modifier, ne serait-ce qu’infinitésimalement. Se pose alors, une fois de plus en sciences humaines et sociales, la question de la frontière mouvante et parfois imperceptible entre description et intervention et il ne semble pas superflu de rappeler la nécessaire prudence à mettre en œuvre dans l’abord des « terrains sensibles » (Billiez, 1997).

On aura constaté dans cette revue de travaux, l’absence d’études quantitatives, à l’exception de celle, récente, de Jamin, qui, et ce n’est sans doute pas un hasard, est publiée en anglais. Cette quasi absence d’études variationnistes en domaine français (pas seulement sur les PJU) est, me semble-t-il, une des différences majeures entre la jeune tradition sociolinguistique française, tout juste trentenaire, et ses homologues anglo-saxonnes.

La raison en est peut-être que la décennie de décalage entre l’émergence de la discipline aux États-Unis et en France a vu les études corrélationnistes mettre un peu « d’eau dans leur vin statistique », peut-être en raison d’un glissement épistémologique d’une théorie sociologique de référence structuro-fonctionnaliste à tendance atomistique (Laks, 1980) vers une sociologie intégrant une approche interactionniste des faits sociaux avec des chercheurs comme H. Becker ou E. Goffman. Il semble en tous cas, que les sociolinguistes français, qui forment et

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dirigent les jeunes chercheurs dans leurs recherches, privilégient nettement les démarches qualitatives.

��CONCLUSION (PROVISOIRE) : LES PARLERS DE JEUNES, OBJET(S), À DÉCHIFFRER, CHAMP(S) ENCORE À DÉFRICHER ?

S’il est aujourd’hui bien établi qu’une des fonctions des parlers des jeunes65 est de construire et d’affirmer une identité générationnelle, sociale, spatiale ou ethnique (et parfois tout cela à la fois), le temps de dépasser66 ce constat semble néanmoins venu.

Dépasser l’approche en termes de fonctions identitaires et cryptiques pour orienter la recherche dans deux directions. Vers le plus « micro » d’abord, pour étudier les dynamiques de la socialisation langagière (enfantines et adolescentes) dans les interactions réelles et en situations écologiques. Vers un niveau plus « macro » ensuite, en mettant en œuvre des études quantitatives (assises sur des méthodologies de recueil fiables et standardisées, s’appuyant sur les réseaux sociaux) autorisant des comparaisons multilatérales, en vue notamment de statuer sur la généralisabilité de résultats qualitatifs. C’est peut-être une condition pour rendre plus légitimes (au moins aux yeux du public et des décideurs) des interventions de sociolinguistes dans la société, en matière de formation initiale ou continue.

Reste donc à construire ces savoirs en organisant une collaboration multilatérale et interdisciplinaire entre chercheurs, favorisant ainsi la mise en commun, l’articulation et la modélisation de savoirs encore éclatés. La première étape consisterait à dresser un bilan des connaissances établies en sociolinguistique (en recensant la diversité des lieux, des méthodologies et des résultats d’enquêtes) ainsi que dans différentes disciplines puis à formuler les questions de ces champs. C’est ce qu’a tenté d’ébaucher cet article en essayant de montrer que sociologie, psychologie et histoire ont beaucoup à apporter aux recherches sur les rapports entre dynamiques identitaires et dynamiques langagières, qui doivent à leur tour constituer une base et fournir des orientations à l’aménagement linguistique, notamment en matière éducative.

Cyril Trimaille [email protected]

65

Ce en quoi ces parlers ne diffèrent guère des éléments marqués des répertoires verbaux de très nombreux locuteurs, adolescents ou adultes, monolingues ou plurilingues, dès lors qu’il sont utilisés dans une interaction. 66

Dépasser ne signifiant pas ici abandonner, mais plutôt s’appuyer sur pour avancer.

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Thierry Bulot Université de Rennes 2 (France)

Credilif (EA Erellif 3207)

LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE

QUESTIONNEMENTS SUR L’URBANITÉ LANGAGIÈRE

��PRÉAMBULE

Parce que l’objet social parlers jeunes est d’emblée très marqué par l’idéologie et donc objet d’appréciations non seulement très diverses mais aussi souvent passionnelles et polémiques, nous soutenons l’idée d’une nécessaire distanciation critique des travaux existants pour tenter une modélisation théorique des traces discursives imparties aux faits dits urbains, ou posés comme spécifiques à la ville, autour de la confusion (donc des concepts et partiellement des réalités socio-langagières en relevant) en partie opérante et en partie opératoire des termes « parlers urbains » et « parlers jeunes ».

Ainsi, au-delà des propositions théoriques qu’il soumet et relevant du projet scientifique de contribuer à élaborer le front conceptuel d’une sociolinguistique de l’urbanisation, le présent texte se veut être d’abord une incitation à la réflexion sur l'urbanité langagière1, et revendique, dans cette mesure et parce que l’économie du volume rend compte des réalités in praesentia des pratiques socio-langagières imparties aux parlers dits jeunes, l’absence de corpus propres et la référence à des corpus pré-existants.

��INTRODUCTION : PROBLÉMATISER LES PARLERS JEUNES

Si les sociolinguistes semblent s’accorder sur le terme « parlers » (et cela quelles que soient ses acceptions le posant ou non comme une variété de français),

1 L’urbanité langagière est fonctionnellement empreinte du rapport aux langues représentées ou

effectivement présentes dans l’espace perçu comme propre à la ville et signifie l’intégration dans le rapport à l’organisation socio-cognitive de l’espace de ville non seulement des pratiques linguistiques mais aussi des pratiques discursives et notamment des attitudes linguistiques et langagières. Ce terme est à distinguer d’une urbanité spécifiquement linguistique (voir Bulot (2003b : 101, note 7).

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le consensus est certainement moins large pour le terme « jeunes », parce qu’il est, entre autres, mis en paradigme voire en équivalence discursive avec « banlieue » -parlers des banlieues-, avec « cité » -parlers/français des ou de la cité(s)- avec « quartier » -français/parlers des quartiers-, etc.. Qui sont ces jeunes 2 ? Catégorisés succinctement, ils sont ceux qui n’ont rien (ils ne savent pas et plus parler le français) ou, inversement, ceux qui ont tout3 (ils sont à la source du dynamisme et de la créativité de la langue) avec dans l’intervalle quelques nuances : ils n’ont rien mais ce qu’ils ont leur est inaliénable (ils ne parlent pas/plus français mais leur identification au groupe de pairs est exemplaire de sociabilité) voire ils ont tout mais n’ont pas un accès légitime aux espaces publico-symboliques (leurs parlers sont d’une richesse et d’une diversité édifiante mais ne se conçoivent pas comme adaptés hors du quartier ou de la cité). Peuvent-ils être ceux, qui au-delà des métaphores économiques, ne pourraient avoir comme choix que d’être les victimes d’une fracture « linguistique » et « sociale » (Goudaillier, 2001 : 9) radicale ou d’être parmi les prescripteurs très actifs mais pourtant éphémères de la langue ?

Notre propos est délibérément polémique, mais il pointe sur une interrogation fondamentale déjà signalée par Pierre Bourdieu (1987 : 183) : la réaction au processus de domination 4 –nous disons ici dominance socio-langagière- oscille entre résistance et soumission sans pour autant qu’une attitude construite comme « résistante » par les locuteurs devienne effective et ne renvoie réellement qu’à une attitude de soumission. Dans notre esprit ce type de dominance est à concevoir, dans un contexte urbanisé, comme la mise en mots de la domination symbolique par une apparente hégémonie des faits langagiers rapportés aux jeunes, par eux-mêmes ou non ; le concept permet aussi d’approcher le confinement linguistique (Bulot, 2003 : 107) pour ce qu’il laisse accroire que le multilinguisme est surtout affaire et du ressort des locuteurs tantôt populaires, tantôt issus des migrations récentes, multilinguisme dont l’aboutissement serait les « parlers jeunes ».

En effet, la créativité verbale qui semble si caractéristique (est-ce à dire que ce sont les seuls lieux d’innovation possibles ?) des « parlers jeunes » libère-t-elle ses locuteurs de la minoration sociale quand bien même elle semblerait être un acte d’autogestion langagière ; voire de résistance ?

Rapporté à l’étude du français des cités, du parler dit banlieue, et de facto du parler (des) jeune(s) qui est l’un et l’autre etc., le risque est dit majeur –et cela est vraisemblable- d’ « associer à un groupe un usage sociologiquement marqué de la langue » (Liogier, 2002 : 52), autrement dit de renforcer voire de produire la

2 Cyril Trimaille rappelle ici même les limites et les contingences de la catégorisation « jeunes »

dans la démarche sociologique et, partant, sociolinguistique. 3 Pour reprendre des propos de Pierre Bourdieu (1987 : 200) : « Or les jeunes, (…), ce sont aussi

ceux qui n’ont rien ; ce sont les nouveaux entrants, ceux qui arrivent dans le champ sans capital. ». 4 Jean-Baptiste Marcellesi (2004a : 163) distingue très nettement la domination de l’hégémonie :

« Contrairement à la domination, l’hégémonie s’accompagne d’une certaine forme de conviction et de consentement. ».

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minoration sociale et linguistique que l’on dénonce5. Le risque n’est-il pas plus grand (théoriquement, au moins) de continuer à laisser croire et donner sens à la richesse de ces parlures, finalement, à la chance qu’auraient leurs locuteurs de maîtriser une variété, des registres… qui sont le creuset, le trésor des modifications, des changements linguistiques à venir, d’autant plus que l’on trouve de semblables prédictions sur le français dit « branché » dès 1990 (Verdelhan, 1990 : 44) ? Et c’est, pour le cas, l’hypothèse que fait Jean-Pierre Goudaillier parlant du français des cités : « les éléments linguistiques qui constituent ce type de français, (…), sont le réservoir principal des formes linguistiques du français du XXIe siècle qui se construit à partir de formes argotiques, identitaires. » (2002 : 23). Est-ce raisonnable et pertinent d’opposer les variétés populaires d’antan6, qui auraient relevé du français, à de nouvelles formes (seraient-elles « non populaires » ?) remarquables parce que « les locuteurs des cités, banlieues et quartiers d’aujourd’hui ne peuvent trouver refuge linguistique identitaire que dans leur propre production linguistique, coupée de toute référence à la langue française « nationale » qui vaudrait pour l’ensemble du territoire. » en ne problématisant pas ou peu les tenants et les aboutissants de la communication de masse7 ?

En tant qu’objet de recherche, les « parlers dits jeunes » se sont-ils substitués au champ des approches socialisantes et linguistiques des parlers dits populaires en occupant à leur tour l’espace symbolique de la dominance ? Comme ceux qu’ils remplacent tant dans les imaginaires linguistiques savants8 que dans les imaginaires « non-savants », ils fascinent tout autant qu’ils effraient. Ce seul questionnement est nécessaire mais insuffisant, parce qu’il ne problématise pas la tension opératoire entre l’identification sociolinguistique des lieux et des repères susceptibles de caractériser un espace géographique et la mise en mots de ces mêmes lieux comme faits d’individuation sociolinguistique. Sans doute faut-il admettre que travailler sur les corrélations entre langue et espace, langue et identité ne se réduit pas seulement à travailler sur les pratiques linguistiques et les représentations d’autrui qu’il s’agit de rendre intelligibles pour les médias, les organismes divers, les autres chercheurs mais que c’est aussi rendre compte d’une catégorisation a priori déjà éclairée des corrélats ?

Reste une dernière interrogation : est-il encore nécessaire de citer Pierre Bourdieu pour donner sens sociologique à une réflexion sur le langage, sur les pratiques socio-langagières des jeunes ? Il semble en effet bien peu concevable d’aborder l’objet « parlers jeunes » sans considérer une théorie sociale qui ne prenne en compte la minoration des pratiques socio-langagières et de fait des

5 En ce sens, les écrits scientifiques –mais bien sûr aussi journalistiques- sur les pratiques socio-

langagières des « jeunes » contribuent à un processus de grammatisation, de légitimation. 6 Il est intéressant de rappeler que le dictionnaire de linguistique de Georges Mounin (1974 : 165)

contient une entrée « hyperurbanisme » énonçant une « adaptation au parler de la ville, par application abusive d’une règle de correspondance ». 7 Voir les pages que consacre Henriette Walter à ce sujet (Walter, 1988 : 331 et suivantes).

8 Ce terme a été employé par Didier de Robillard pour donner titre à sa conférence au séminaire du

CREDILIF (EA3207, Université de Rennes 2, le 26 mars 2004) et ainsi référer à l’imaginaire linguistique des linguistes eux-mêmes.

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locuteurs9. Mais avec prudence y compris sur la nature même de la demande sociale prévalant à de pareilles études, car une telle référence (voir le texte en note 3), tronquée et nécessairement décontextualisée et, pour le cas, sans rapport aucun avec l’urbanité langagière, laisse d’abord à modéliser une société polarisée sans peu de nuance : le jeune demeurerait une richesse presque menaçante, obscure mais récurrente.

��LES PARLERS JEUNES : DISCOURS ET MARQUAGE

Le texte relève, pour sa part et sur l’objet en question, d’une réflexion d’étape sur l’opérativité théorique et méthodologique de considérer, pour approcher la question identitaire en sociolinguistique urbaine, les corrélations réciproques entre l’organisation socio-spatiale des espaces dits de ville et la hiérarchisation sociale des langues et des variétés dans le même espace ; pour ce faire, il s’agit de considérer à la fois les discours tenus sur les langues et les espaces et à la fois les pratiques effectives quant aux même langues et espaces des locuteurs déclarés (par eux-mêmes ou par autrui). Cette réflexion prend appui sur une double conceptualisation hiérarchisée : premièrement, s’il est connu que le terme discours a de nombreuses acceptions, il est (dans la théorisation socio-langagière des espaces de ville) à comprendre selon les termes de Louis Guespin comme « …l’énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le conditionne. Un regard jeté sur un texte du point de vue de sa structuration "en langue" en fait un énoncé; une étude linguistique des conditions de production de ce texte en fera un discours » (Guespin, 1971 : 10), sachant que « …la relation d’appartenance d’un discours à une formation discursive est facteur constitutif du discours, et cette relation est "repérable par l’analyse linguistique" » (Guespin, 1976 : 5). Deuxièmement, il s’agit fondamentalement de concevoir la sociolinguistique urbaine comme une sociolinguistique de l’urbanisation sociolinguistique (et non pas seulement comme de la sociolinguistique faite en ville), c’est-à-dire de « …la prise en compte du dynamisme de l’espace urbain (investi par les divers discours sur les appropriations identitaires via la langue et sa variation perçue) pour ce qu’il désigne et singularise : une mobilité spatiale mise en mots, évaluée socialement en discours, et caractérisée en langue. » (Bulot, 2001c : 7).

Une semblable option a priori implique d’abord que nous posions une approche affirmant la prégnance, sur les pratiques langagières, d’un ou du facteur diatopique conçu alors non pas comme un donné préalable à toute investigation mais comme un produit de la culture urbaine et, partant, des formes discursives qui le constituent. Une telle option implique aussi, pour les « parlers jeunes », une formalisation de la réflexion incluant le concept de marquage parce qu’il définit, pour notre part, en langue et en discours, la « forme de la matérialisation de l’identité, à la fois individuelle et collective » (Veschambre, 2004 : 2). Il semble en effet utile de questionner les « parlers jeunes » non pas comme formes linguistiques qui seraient le résultat de l’organisation urbaine, d’une urbanisation

9 Nous empruntons à une discipline qui revendique cet ancrage théorique initial -la géographie

sociale- les concepts de territoire, de structures socio-spatiales, d’espace vécu versus espace perçu, d’urbanisation.

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dite linguistique, des structures socio-spatiales vécues et perçues, mais (en complétant l’acception stricte du terme emprunté ici à la géographie sociale) comme le marquage en langue et en discours des lieux, des formes de spatialité.

��LES PARLERS JEUNES : QUESTIONS DE LANGUE

Au-delà de ses diverses acceptions issus de la vulgate et diffusée entre autres par les médias et le discours anonyme (Brune, 1996), discours visant à globaliser des pratiques langagières discriminées et à confirmer voire conformer un prototype de locuteur dit jeune, l’objet de recherche « parlers jeunes » questionne une sociolinguistique de l’urbanisation (Bulot & Tsekos, 1999 ; Bulot, 2001a et b, 2003b, 2004) par le simple fait du recours systématique voire emblématique au lieu et à l’espace pour en définir les diverses modalités.

Autrement dit, il y aurait comme une sorte d’épicentre (au strict sens géographique dans un premier temps) des données observables : les banlieues, les cités et pour le cas des zones nécessairement urbaines qui fonctionneraient comme des espaces glossogènes exclusifs de toute autre dimension spatiale ; zones qui agiraient ou ferait agir ses divers acteurs comme des matrices discursives 10 spécifiques et exclusives, pour leur part, de toute autre dimension sociale ; là se jouerait le second temps de l’épicentre : la production des normes relatives aux parlers jeunes relèverait de la seule endogénie, d’une sorte de génie linguistique propre à un âge de la vie et dynamisant peu ou prou les pratiques linguistiques de tous ordres et dans tous les groupes sociaux. C’est en partie ce qu’affirme parmi d’autres Louis Boumans (2004) lorsqu’il définit les parlers jeunes essentiellement comme des variétés d’une langue dominante posée comme celle des adultes et en partie renouvelée par les apports de langues(s) dominées dites ethniques ou communautaires pour la situation française, élicitées comme étant celles de locuteurs dits (tant par eux-mêmes que par d’autres) jeunes ou pour le moins subissant la minoration sociale.

Les parlers jeunes sont d’évidence un objet social fort complexe non pas tant parce qu’ils recouvrent des réalités diversement envisagées autant par la sociolinguistique11 que par le corps social en général (ça n’a, de fait, rien voire peu de singulier) mais parce que son émergence récente dans le champ disciplinaire12 semble indissociable d’une prise de conscience collective (Walter, 1984, entre autres) non seulement de l’urbanisation mais encore d’une culture urbaine en œuvre, d’une modification radicale des modes de vie et de penser le monde qui implique, de façon quasi spectaculaire, du linguistique et, partant, du langagier. Il est de fait sans doute très réducteur de retrancher des « parlers jeunes » (qu’il s’agisse de représentations ou de pratiques) les interactions ordinaires sur le mode « jeune », de penser qu’ils ne sont qu’un phénomène générationnel, qu’une tension provisoire entre groupes sociaux (même si on doit concevoir, qu’ils sont également cela) dans la mesure où leur permanence ne saurait dépendre que de la seule individuation sociolinguistique, qu’ils ne relèvent

10

Pour une définition de la matrice discursive, voir Bulot (2003b). Pour une approche de « parlures jeunes » corrélées aux espaces, voir Séfiani (2003). 11

Voir la bibliographie générale en fin de volume. 12 Il faut penser aux premiers travaux de Bernard Laks (1983) en France sur ce sujet.

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que du retranchement communautaire. Mais ils signalent, par hypothèse au moins, un mouvement social, disons un changement possible, un autre paradigme discursif, en tous les cas, proposent d’autres modèles interactionnels et langagiers et certainement une identité culturelle et linguistique en émergence, en conflit avec celle(s) imposées et diffusée(s) par les couches culturellement hégémoniques13. Sans hiérarchiser les formes langagières, force est de constater que s'opposent (ou se complètent) des types d'interaction caractéristiques non plus de l'origine sociale ou ethnique des locuteurs mais de leur rapport à la réalité14 intra et extra discursive (urbaine, sociale,...).

Cette première réflexion, à rapporter à la dimension spatiale de l’objet social, souligne ce que la marchandisation et la médiatisation15 des parlers jeunes masquent en partie : ils sont ce que nous nommons les traces urbaines des nouvelles formes d’exclusion16 où la connaissance de la langue dominante pour réussir son intégration sociale reste en discours la condition indispensable et quasi rédhibitoire mais où, en pratique, elle renvoie conjointement à une connaissance imparfaite et surtout frustrante de la langue exogène, et à une « des-identification » radicale des lieux de ville valorisant par défaut. Le terme traces urbaines renvoie, pour notre part, à la volonté de signifier ce que les pratiques langagières des jeunes doivent :

1) à la culture urbaine par l’imposition de matrices représentationnelles et

discursives spécifiques, 2) aux tensions socio-spatiales héritées et mise en mots dans le rapport à

l’espace urbain et 3) au rapport de dominance distinct intégré par les locuteurs de telle ou telle

variété ou variante (pour ce dernier point, Bulot, 2001a) La territorialisation (Bulot, 1999) linguistique des jeunes et l’individuation

sociolinguistique sont vraisemblablement ce qui permet de caractériser le dynamisme des « parlures jeunes » mais sans pour autant les expliquer en totalité ; c’est ce que Fabienne Melliani (2001 : 72) souligne très justement à propos des jeunes issus de l’immigration lorsqu’elle affirme que « c’est la concentration géographique de l’exclusion sociale qui favorise un processus d’individuation sociolinguistique, et non pas les différences langagières qui maintiennent ces

13

Pour une définition du terme, voir Marcellesi (2004b : 99-120). 14

Un remarquable travail de maîtrise (Knitell, 1999) sur les représentations sociolinguistiques des policiers rouennais, montre, en tout état de cause, que le terme « jeunes » renvoie non seulement à des types d’interactions, mais encore relève d’une figure d’atténuation discursive pour une autre dénomination : « délinquant ». 15

Henri Boyer (1994 : 88) remarque très pertinemment (voir aussi Boyer et Prieur, 1996) les rapports étroits entre l’usage des formes linguistiques ou des rituels interactionnels dits jeunes dans la publicité (française, pour le cas, il faudrait comparer avec d’autres situations), usage qui est une forme évidente de marchandisation et de médiatisation. C’est en partie aussi l’objet de la contribution de Bernard Lamizet, ici-même. 16

Le terme « exclusion » relève certes du paradigme de la stigmatisation dont il procède (Camilleri, 1990). Mais il réfère également à une dynamique spécifique (Donzelot, 1999 : 104) où « À l’intégration à la société par le quartier s’est ainsi substitué une intégration au quartier par défaut d’intégration à la société. ».

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jeunes dans une exclusion sociale ». C’est ce double rapport effectif entre structures socio-spatiales (terme que n’emploie pas Fabienne Melliani mais qui s’applique à son propos) et la concentration d’une part, et, d’autre part entre l’exclusion sociale et l’individuation sociolinguistique qu’il convient, à notre avis, de questionner théoriquement.

Posons au moins que si le parler jeune n’existe pas en langue comme une unique variété homogène (les travaux récents en sociolinguistique l’attestent si cela était besoin et le terme lui-même se note de plus en plus au pluriel), il est en discours (médiatique, scientifique, urbanistique…) construit et perçu comme tel parce que sa valeur sociale est celle d’une langue 17 : il constitue un (auto)glossonyme, englobe un ensemble de sous-systèmes, couvre une aire (certes discontinue d’un point de vue géographique mais tout à fait cohérente quant aux espaces d’usage : la ville mais bien davantage tous les espaces urbanisés) et ses locuteurs ont conscience non seulement de leur acte de dénomination mais encore en construisent voire en suractivent les spécificités linguistiques et langagières18. La question est alors celle-ci : « à qui profite le prisme idéologique ? ». En d’autres mots, comment comprendre, analyser, intervenir sur une tension entre une variété/langue valorisée pour sa vitalité, son ingéniosité, sa capacité à produire, à innover, valeur manifestée par les multiples emprunts que ses locuteurs « non-natifs »19 lui font, et une variété/langue stigmatisante sans être nécessairement stigmatisée 20 d’ailleurs par/pour ses locuteurs « natifs » qu’elle exclut ou qui s’excluent emblématiquement par la seule revendication d’un usage réel ou non, sachant que dans tous les cas elle demeure identitaire et catégorisante ? Si l’on peut aisément comprendre qu’il ne s’agit pas des mêmes locuteurs (qui ne sont pas tous des « quartiers »), s’agit-il de la même variété, s’agit-il de la même langue ? Ou plus certainement –ce qui semble raisonnable- sont-elles des représentations sociolinguistiques différenciées de pratiques langagières situées ? « Situées », certes… mais où ?

��LES PARLERS JEUNES : DES TYPES D’ESPACE REPRÉSENTÉS

Nous avons précédemment (Bulot, 2004) posé une typologie des espaces de ville, que nous glosons à nouveau ci-après, permettant de comprendre les hiatus et recouvrements partiels ou contradictoires entre les représentations socio-

17

Au sens sociolinguistique, s’entend. 18

Elle est pour le moins ce que Jean-Marie Marconot (1990 : 76) remarquait il y a près de 15 ans dans un corpus recueilli à Nîmes : la langue du quartier y était dite un « deuxième français ». 19

Cette expression ne peut se comprendre que si l’on admet que les « parlers jeunes » ont un statut et une légitimité (qui reste à définir plus précisément) de langue. Elle est à rapporter à la distinction déjà opérée par Jean-Michel Kasbarian (1997 : 27 et note 6 page 39) entre « compétence » quant à la forme linguistique et le « lieu d’habitation » ; et expressément à la tension entre des pratiques langagières identifiées et leur folklorisation relative. 20

Il convient de rappeler la pertinence de la typologie des stratégies identitaires faite par Carmel Camilleri (1990). Les analyses des discours de locuteurs auto ou hétéro désignés comme « jeunes », la nature même du questionnement social qui suscite ces mêmes discours doivent elles-mêmes s’interroger sur l’intelligibilité effective (c’est-à-dire au moins pour qui et pourquoi ?) des données recueillies ; non pas pour dire (et surtout redire) les difficultés liées au paradoxe dit de l’observateur mais pour tenter de mieux cerner la demande et les représentations sociales qui les commandent.

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langagières et les divers acteurs de la spatialité ; autrement précisé, nous avons montré que non seulement il y avait co-variance entre les structures socio-spatiales et –disons- la stratification sociolinguistique mais encore, avec la diversité temporelle, locative des espaces de ville, que les actions sur les discours notamment épilinguistiques revenaient à engager des actions sur la structuration des espaces. En d’autres mots, les espaces sont produits et non pas donnés, produisent de l’intelligibilité tout autant qu’ils constituent les traces et repères remarquables des rapports sociaux au sein de la communauté21 urbaine.

Nous avions dès lors distingué trois types d’espace relatifs au référent « ville » sachant a) que cet espace est nécessairement un espace discursif c’est-à-dire comme relevant « de la conviction épistémique d’une altérité discursive perçue comme à la fois résultante et dimension de l’espace social décliné ; [le terme] pose qu’il existe un niveau de la matérialité sociale qui n’est que discursif et qu’il n’est de sens que par l’espace d’échange ainsi produit par les interactions inter et intra-discursives. » (Bulot, 2003b : 124. Note 2) et surtout b) qu’il n’est pas question d’affirmer sans distanciation une opposition définitive entre des pratiques langagières dites urbaines et des pratiques langagières dites rurales22 mais bien de peser, pour l’approche des « parlers des jeunes urbains23 » la pertinence de cette modélisation : 1. Le premier type d’espace est l’espace citadin. Il exprime pareillement la

part descriptive et circonscriptible d’un espace que tous les locuteurs doivent et peuvent s’accorder à reconnaître comme tel. Objectivé, il semble ne pas donner prise à d’autres dénominations que celles puisées dans le paradigme descriptif ordinaire de la ville. Le quartier, par exemple, au-delà des stratégies identitaires visant à le produire comme un espace de référence, comme lieu de la centralité linguistique24 des « parlers jeunes », demeure une dénomination chorotaxique qui semble faire a minima toujours sens d’un espace géographique et administratif limité pour toute la communauté urbaine ; le quartier ou la cité ou

21

La sociologie urbaine (notamment Rémy et Leclerq, 1998 : 242-243) questionne l’(im)pertinence probable de la conception de la ville comme une communauté pour ce qu’elle ne possède plus (ou moins nettement) un espace central mobilisateur et chargé de mémoire justifiant une identification autre qu’à celle du quartier. Pour l’heure la sociolinguistique urbaine reprend le terme et le concept en avançant qu’il s’agit d’aborder la communauté sociale d’un point de vue linguistique (Calvet, 1994). 22

Nos travaux (Bulot et Courard, 2001 ; Bulot, 2003a entre autres) sur le cauchois montrent que les langues régionales en zone d’oïl sont de fait présentes et sans doute déterminées par la culture urbaine. Que le terme rural, s’il peut encore, en France, singulariser certains types d’habitat, ne peut pas, voire plus, aussi nettement opposer les parlures. Que les espaces ruraux sont urbanisés (Rémy et Voyé, 1992) au même titre que des espaces dits urbains peuvent ne pas être urbanisés. La distinction est d’ordre culturel et renvoie à l’appropriation subie ou acceptée de la mobilité spatiale comme valeur valorisante et structurant (par défaut ou par dépit) la vie quotidienne, les aspirations sociales, bref tous les comportements sociaux, dont les choix de langues, de variétés, les dynamiques langagières… 23

Terme que propose très justement Cyril Trimaille, ici même en lieu et place de « parlers jeunes ». Gudrun Ledegen (2001) montre par ailleurs (à partir du cas réunionnais) que l’urbanité des « parlers jeunes » a à voir avec le monde lycéen et la diffusion des normes métropolitaines. 24

Ce terme fait référence à l’attitude langagière qui consiste à placer en un lieu de ville discursivement construit et décrit comme central (par opposition à une périphérie) la forme de prestige sans pour autant qu’elle y soit attestée. Pour plus de détails, voir Bulot (2001b).

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la rue ou la banlieue semblent effectivement être les entités strictement spatio-urbaines où les « parlers jeunes » sont produits, perçus, vécus...

2. Le deuxième type d’espace est l’espace urbain. Il signifie la confusion entre les catégories citadines et les pratiques discursives tendues au sein de la communauté sociale ; non seulement les populations jeunes dites des quartiers sont visibles (ou perçues telles par la vêture, les comportements verbaux apparentés, la spectacularisation d’un socio-type…) ailleurs que dans leurs espaces dédiés et/ou revendiqués mais encore leurs parlures (le parler jeune de l’espace en question) sont reprises en ces lieux par d’autres jeunes qui territorialisent ainsi leur propre espace. Le parler des jeunes des banlieues (sous sa forme urbaine mais non citadine) est aussi pratiqué en centre ville… Cela signifie que l’identification à un parler jeune se fera distinctement selon que le locuteur distingue une identité requise (c’est-à-dire prescrite par une matrice discursive permettant des énoncés du type « les jeunes parlent tous ou savent tous le(s) parler(s) jeune(s) ») d’une identité réelle (c’est-à-dire effective dans la mesure où le parler jeune d’un quartier permet l’identification à ce seul quartier ou à tel groupe social occupant une zone urbaine ségrégée par exemple).

3. Le troisième type d’espace est l’espace urbanisé. Celui-ci est lié d’une part à la perception sociale de l’espace communautaire, qui toujours posé comme espace commun n’en est pas moins toujours fractionné en éléments plus ou moins hiérarchisés, et d’autre part aux discours stéréotypés exacerbant, sur une aire géographique réduite aux limites indifféremment représentées, une mesure stéréotypée de la distance sociale par la mise en mots de la distance linguistique. Reste que cette mesure ne peut pas s’engager théoriquement de la même façon pour tous les jeunes 25 parce que les stratégies identitaires ne procèdent pas pour tous des mêmes enjeux : le fait d’être perçu et/ou de se savoir perçu comme un locuteur d’un quartier stigmatisé renvoie à la différenciation des espaces fonctionnels (Cauvin, 1999) et, partant, à l’espace où s’exerce la mobilité et donc à l’espace vécu. En tant que catégorie discursive dominante (à laquelle n’échappent pas nécessairement les chercheurs), les « parlers (des) jeunes » sont dans un processus de quasi folklorisation (Gasquet-Cyrus, 2004 : 53) surdimensionnant la mesure de la distance linguistique pour laisser la part congrue à la mesure de la distance sociale voire socio-spatiale ; et, de ce point de vue, ils sont essentiellement et effectivement urbains. Mais en tant que pratiques socio-langagières, ils oscillent sur les polarités de la distance socio-spatiale perçue et vécue par tous ses locuteurs comme une individuation sociolinguistique d’une part, et, d’autre part celles relatives à la même distance mais qui est alors auto-valorisante pour les locuteurs des habitats valorisés (pour les locuteurs qui se perçoivent tels) et hétéro-dévalorisante pour les locuteurs des habitats dits populaires et en tous cas dévalorisés et stigmatisés. Ils découlent de l’espace urbanisé parce qu’ils inscrivent en discours une urbanité langagière qui semble récurrente des situations de minoration sociale : la minimisation symbolique de la ségrégation socio-spatiale par

25 Certes, par le partage de la culture dite urbaine, ils ont la mobilité spatiale comme valeur sociale optimale commune mais ils n’ont pas pour autant en commun son étalonnage.

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l’appropriation emblématique de la diversité langagière (et des variétés imparties aux jeunes). Le terme fonctionne ainsi en discours comme un lieu de ville26 choronymique puisqu’il réfère à des portions apparemment géographiques de l’espace représenté (la banlieue, la cité, la rue, le quartier) alors qu’il semble référer principalement à un sociotype voire à un ethno-sociotype.

��LES PARLERS JEUNES : UNE MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE ?

Les « parler jeunes » sont donc un objet social pour ce qu’ils laissent à voir, à comprendre des processus de discrimination voire de ségrégation. Si l’on admet cette lecture de l’objet social, qu’il s’agisse de pratiques ou de représentations27, ils fonctionnent comme un repère dans l’espace d’échange, comme des traces à percevoir d’une épaisseur identitaire sans cesse en production, liée tant à l’individu et à son historicité, qu’au collectif et à son histoire. Une épaisseur qui ne peut pas s’inscrire autrement que dans le rapport à la transmission des pratiques socio-spatiales et langagières d’une part, et d’autre part dans un questionnement plus radical de l’identité sociale. Claude Dubar (2000 : 113) rappelle à ce sujet, et à juste titre selon nous, l’articulation entre le processus relationnel et le processus biographique menant à l’identité qu’il définit comme un espace-temps générationnel au sens où « l’identité sociale n’est pas « transmise » par une génération à la suivante, elle est construite par chaque génération sur la base des catégories et des positions héritées de la génération précédente, mais aussi à travers des stratégies identitaires déployées dans les institutions que traversent les individus et qu’ils contribuent à changer réellement ». (Dubar, 2000 : 122). On peut ainsi considérer (au moins par principe) que les « parlers jeunes », tant pour leurs locuteurs attestés que pour leurs locuteurs présumés, sont et laissent des traces quasi « mémorielles » inscrites dans l’espace citadin à comprendre alors comme un espace de reconnaissance identitaire hérité, et contraignent par là-même l’espace urbain à décrire comme un espace de légitimation des pratiques linguistiques et des compétences langagières produit de stratégies identitaires spécifiques.

Ce début de réflexion reste, pour la sociolinguistique urbaine, à affiner28 et surtout à confronter à des enquêtes de terrain qui problématisent explicitement une telle distinction ; il engage cependant à travailler l’histoire et l’historicité29

26

Selon la terminologie reprise dans Bulot (2004 : 134-140). 27

Voir sur ce point l’introduction à l’ouvrage dirigé par Dominique Caubet (2004) intitulée : « Introduction. Parlers jeunes et jeunes urbains : le nécessaire inventaire ». 28

Il fait l’objet d’une recherche pluridisciplinaire entre géographes, historiens et sociolinguistes dans le cadre de l’Action Concerté Incitative « Espaces et Territoire ». La déclaration d’intention a titré ainsi le projet de recherche : Identités, mises en mots et mémoire de l’habitat populaire urbain. Une enquête est en cours (mars 2004) sur le site de la ville de Rennes problématisant la mémoire sociolinguistique des espaces plurilingues ; les enquêtés sont des jeunes de quartiers dits sensibles et des jeunes habitants du centre ville. 29

Le terme « historicité » fait partie de la théorisation tourainienne pour faire cas de l’implication de l’individu dans la construction de sa propre histoire. Dans une perspective liant analyse du discours et sociolinguistique, il permet de rendre compte de la singularité des parcours « socio-linguistico-biographiques » mis en mots. Michelle Van Hooland (2000) est à notre connaissance la première (sur un autre terrain) à avoir inclus ce concept dans une théorisation et une analyse socio-langagière des discours.

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dans les rapports complexes entre mises en mots des langues et mises en mots de l’espace. Le recours au concept de mémoire, emprunté aux travaux de Patrick Sériot (1994) et surtout de Denis Paillard (1994), corrélé à la langue et à l’identité permet d’inscrire une « mémoire sociolinguistique » au titre des catégories descriptives et analytiques des « parlers jeunes » dans la mesure de la dynamique identitaire qui les sous-tend. À l’instar de Patrick Sériot (1994 : 85), nous pensons la mémoire comme du discours sur la mémoire ; sachant que terme discours renvoie ici à une conceptualisation de l’énoncé où la recherche de l’interdiscursivité, de la mise en regard avec d’autres productions langagières comparables, où l’explicitation de la valeur sociale de la prise de parole, la mise en relief des contraintes institutionnelles de l’interaction verbale engagée, sont déterminantes. Ce discours sur la mémoire est théoriquement la totalité (mais pas nécessairement la somme) des manifestations discursives qui :

a) implicitement –i.e. sans que le locuteur soit dans un acte langagier

d’attribution/d’appartenance conscient mais perceptible parce qu’il peut être masqué- ou

b) explicitement –au moins le cas contraire au précédent- rendent compte, sans doute conjointement, des brassages de langues et du

confinement linguistique ; les « parlers jeunes » constituent de ce point de vue les traces actuellement (sur)médiatisés non seulement de l’urbanisation linguistique, mais encore de la minoration sociale urbanisée perçue et de la relégation vécue. Denis Paillard (1994 : 100) propose (Figure 1) une glose de la mémoire (en tant qu’elle est discours) qui permet de rendre compte de son articulation essentielle, endogène : le rapport au présent et le rapport non seulement non exclusif mais aussi tendu au passé.

Les manifestations discursives (Figure 1) sont effectivement les faits langagiers renvoyant, pour l’axe « prépondérance du présent », aux aspects mémoriels, à une mémoire du discours, où l’interdiscursivité ainsi temporalisée permet de s’appuyer sur des catégorisations, des pratiques langagières qui masquent le rapport au passé tout en en découlant, tout le réinvestissant sur le présent ; et pour l’axe « prépondérance du passé », aux aspects « mémorés », à un discours sur la mémoire, où ce qui est dit n’a de sens social que dans le rapport à la conformité d’un temps révolu, indépendamment (au moins en apparence) des interactions sociales qui n’en sont que le prétexte.

Avec cette grille de lecture, le « parler jeune » en tant que manifestations discursive sur la mémoire relève d’un discours stéréotypé à vocation prototypique (quelle que soit la légitimité du prescripteur pourvu qu’il se déclare locuteur ou qu’il soit du lieu attribué à cette forme) pour référer à une représentation sociolinguistique de l’espace : le « parler jeune », le « parler des jeunes urbains » renvoient à une nouvelle dénomination / catégorisation du populaire, de l’habitat dit populaire. De ce point de vue, le stéréotype engage le rapport au passé (le bled par exemple pour les jeunes dit de l’immigration maghrébine) dans la mesure de sa conformité nécessaire avec le perçu linguistique, autrement dit le discours sur la pratique, d’une part. Et d’autre part, le prototype engage le rapport au présent (les interactions entre pairs, la fonction

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cryptique…) dans la mesure de son indispensable extrapolation sur le vécu langagier, autrement dit la pratique du discours.

Figure 2 : mémoire et discours

À ce stade, nous parlons encore de mémoire au sens presque commun du

terme : elle est discours. Nous pensons devoir réserver le terme « mémoire sociolinguistique » aux discours sur les corrélations entre mémoire urbaine (le discours sur l’entité urbaine30) et sociolinguistique (le discours sur à la fois la stratification sociolinguistique et à la fois la territorialisation, voire la mobilité linguistique). En tant que discours, les « parlers jeunes » sont pleinement de ce type de corrélations. On peut pousser l’hypothèse (pour rappel que la mémoire sociolinguistique est l’élicitation d’un discours stéréotypé à vocation prototypique relatif aux représentations sociolinguistiques de l’espace) plus encore en posant que la mémoire sociolinguistique (Figure 2) spécifique à une entité urbaine, spectacularisée31 par elle et pour elle, rend compte de l’ancrage socio-spatial –la signalétique dite urbaine- du multilinguisme urbain (les langues et les variétés de langue perçues et vécues par les locuteurs) et des rapports entre les communautés sociolinguistiques effectives ou représentées.

Par le terme signalétique, nous entendons initialement (à l’instar de ce que souligne justement Françoise Mandelbaum-Reiner (1991) à propos de la valeur de certaines dérivations dites et perçues comme argotiques autant par leurs

30

Pour la définition du terme, voir Bulot et Messaoudi (2003 : 8). 31

Voir Bulot (2001d : 117) pour le rapport entre médias (et donc médiatisation) et spectacularisation de la langue.

Rapport présent passé

MÉMOIRE (MANIFESTATIONS DISCURSIVES)

Prépondérance du passé Prépondérance du présent

Travail de réappropriation du passé dans le présent.

Perçu comme une garantie pour que l’avenir soit différent.

Transcender les instants et les individus. Extériorité radicale au présent Ce qui est construit est un pôle de référence. Chaque période se trouve ainsi évaluée en termes de conformité

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prescripteurs que par leurs usagers) la fonction de signalisation (de « signum social », Mandelbaum-Reiner, 1991 : 112; voir aussi Bulot, 1998) des manifestations discursives de tous ordres. Mais elle signifie aussi (si l’on admet notre hypothèse bien sûr) les effets des discours sur la perception située (entre autres localisée) de la spatialité et comment ces effets (par les marques, les traces, qu’ils laissent à entendre, voir, lire,…), via la praxis linguistique, finissent par être confondu avec cette même spatialité.

Figure 3 : mémoire sociolinguistique et discours

Une mémoire sociolinguistique comprend ainsi deux types de signalétique

(odonymes, tags, graffitis32, enseignes33…) sachant que ce dernier terme impose dès lors le recours au paradigme sociolinguistique de l’analyse socio-spatiale :

a) la signalétique langagière qui sont les traces mémorielles autorisant un locuteur/acteur de l’espace urbain à choisir/utiliser telle ou telle variété de langue, de registre en interaction en tel lieu ou tel espace de ville ; elle est de l’ordre du perçu au sens où se sont les représentations de tous ordres (ici socio-langagières) vecteur et facteur de l’espace urbanisé qui vont marquer les pratiques langagières. Et

32

Le travail de Fabienne Lopez (Lopez, 1999) fait un point fort bien documenté sur les pratiques liées aux tags et graffitis. 33

Myriam Dumont (1998) propose une typologie de l’enseigne commerciale pour l’approche de la situation sociolinguistique de Dakar qui est transposable sur d’autres configurations urbaines.

MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE (MANIFESTATIONS DISCURSIVES)

Prépondérance du passé Prépondérance du présent

Signalétique langagière Choix de variété / de langue perçu Rites d’interaction perçus Odonyme, graffitis, enseignes perçus Mobilité linguistique perçue Espace urbanisé Marquage explicite …

Signalétique linguistique Odonyme, graffitis, enseignes vécus Choix de variété / de langue vécu Rites d’interaction vécu Mobilité linguistique vécue Espaces citadin et urbain Marquage implicite …

Patrimonialisation des territoires et des langues

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b) la signalétique linguistique qui sont les traces inscrites, mémorées posant le locuteur et son groupe social de référence dans un cadre interactionnel tendanciellement hérité ; elle est de l’ordre du vécu dans la mesure où elle où transcende les individus-locuteurs qui vont interagir en fonction des traces linguistiques qui les environnent.

C’est ici que l’on retrouve la problématique du marquage qui, s’il fonctionne certes « comme violence symbolique lorsqu’il inscrit dans la durée l’affirmation de formes d’appropriation de l’espace, dont le caractère socialement arbitraire finit par ne plus être perçu, en évitant donc le recours permanent à la force pour imposer un pouvoir sur un espace donné » (Veschambre, 2004 : 3), est aussi à concevoir, pour ce qui se rapporte aux pratiques et représentations dites « parlers jeunes », comme une tentative de patrimonialisation en discours des territoires et des langues.

��CONCLUSION : ET SI LES « PARLERS JEUNES » ÉTAIENT SURTOUT UN DISCOURS POLITIQUE ?

Un peu comme l’historien qui est sans cesse dans deux mondes distincts et entre deux discours (le discours présent sur le passé et le discours passé interprété au présent), le sociolinguiste, parce qu’il approche invariablement l’histoire sociale des langues et des variétés, est à cheval sur deux espaces énonciatifs : le premier, à partir duquel il restreint son regard sur un objet social effectif mais complexe, relève d’une confusion discursive inhérente entre son historicité propre et une mémoire sociale dont il hérite ; le second, qui se constitue comme résultante des pratiques d’observations objectivées, renvoie de fait à une autre confusion entre genres discursifs, celle existant entre l’historicité des locuteurs observés ou enquêtés et une mémoire sociale qui permet à ces derniers de produire les élicitations observées.

Bien sûr, de telles remarques ne revendiquent pas l’originalité de leur contenu, elles souhaitent seulement faire valoir que l’approche de l’urbanité langagière, fût-elle au travers des « parlers jeunes », impose une réflexion plus large que celle impartie généralement aux faits linguistiques ; travailler, enquêter, décrire les « parlers jeunes », c’est aussi construire cette urbanité, et, de fait, une part de la matrice discursive qui va conditionner la pertinence sociale de telles approches.

Autrement dit, faire de la sociolinguistique urbaine signifie devoir prendre la mesure des aspects programmatiques des pratiques linguistiques et langagières, non pas seulement sur le seul plan de la structure des langues et des variétés, des interactions sociales, des traces mémorielles des migrations urbaines, mais aussi sur celui des traces mémorées autrement dit des effets des discours sur les espaces : il est ainsi flagrant de constater combien sont généralement peu problématisées dans notre discipline les distinctions entre espace et scène publiques, entre ségrégation et sécession urbaine…

Ainsi, les « parlers jeunes » sont un discours politique, politique au sens strict (de la cité) et au sens commun. Ils sont discours politique pour trois raisons : d’abord parce que leurs locuteurs mobilisent sur les ressources linguistiques une créativité individuelle que le « modèle urbain de compétition pour l’égalité » (Rémy et Leclercq, 1998 : 242) leur oppose comme un échec au plan social et une

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LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...

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relégation au plan spatial ; ensuite parce qu’ils produisent cependant une centralité symbolique fondée sur une sociabilité distincte et langagière qui tend à remplacer une centralité urbaine en crise ; enfin parce qu’ils rendent compte de manière exemplaire, pour l’entité urbaine, de la disjonction de ses deux dimensions fondamentales alors corrélées aux représentations sociolinguistiques : son efficacité structuro-fonctionnelle et ses aspects socio-affectifs.

Thierry Bulot [email protected]

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Cyril Trimaille et Thierry Bulot1, Lidilem Université de Grenoble III et Credilif (EA Erellif 3207) Université

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1 Avec la participation de : Gudrun Ledegen, Zsuszanna Fagyal, Ángeles Vicente, Bernard

Lamizet. 2 Cette bibliographie reprend non seulement les références citées par les auteurs dans les

contributions au présent volume (en cela elle est « générale ») mais aussi les publications relevant peu ou prou des « parlers jeunes » (en cela, elle est « thématique »). Elle a été préparée par Cyril Trimaille (pour la plupart des entrées bibliographiques d’ordre thématique) et par Thierry Bulot (pour ce qui le concerne à partir des données issues de la Bibliographie Sociolinguistique Francophone – http : //www.bibliographie-sociolinguistique.com –). Globalement harmonisée à partir de sources diverses, elle garde des traces sensibles de celles et ceux qui ont rédigé chacune des entrées mais fonctionne sur le principe onomachronologique. Les dates entre crochets renvoient à des éditions antérieures ou à des référenciations distinctes dans les textes du présent volume.

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Cyril Trimaille Lidilem

Université Grenoble III (France)

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉSENTATION. LES PARLERS JEUNES, LE PARLER DE / DES JEUNES (THIERRY BULOT) 5

« LE PARLAGE DES JEUNES » À LA RÉUNION BILAN ET PERSPECTIVES (GUDRUN LEDEGEN)

� INTRODUCTION 9 � HISTORIQUE DE LA RECHERCHE RÉUNIONNAISE SUR LES « PARLERS JEUNES » 10 � QUELQUES EXEMPLES 12 � BILAN 17 � CONCLUSION 21 � ANNEXES 24

ACTION DES MÉDIAS ET INTERACTIONS ENTRE JEUNES DANS UNE BANLIEUE OUVRIÈRE DE PARIS. REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE (ZSUZSANNA FAGYAL)

� INTRODUCTION 41 � L’ACTION DES MÉDIAS 43 � LA RÉACTION DES JEUNES 47 � CONCLUSION 60

LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA UN EFFET DU PROCESSUS DE KOINÈISATION MAROCAINE (ÁNGELES VICENTE)

� INTRODUCTION 61 � LE PROCESSUS DE KOINÈISATION DES DIALECTES MAROCAINS. 63 � LE DIALECTE ARABE DE CEUTA : LE PARLER DES JEUNES

FACE AU PARLER DES ANCIENS. 65 � LES DIALECTES ARABES EN SITUATION DE MIGRATION. 70 � CONCLUSION 71

Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE » ? (BERNARD LAMIZET)

� INTRODUCTION : PARLER, PAROLE, LANGUE, LANGAGE 75 � L’IDENTITÉ DES « JEUNES » EXISTE-T-ELLE ? 76 � LES LANGAGES ET LES REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES 81 � FORMES SOCIALES THÉÂTRALISÉES D’IDENTIFICATION ET DE RECONNAISSANCE86 � UN ESPACE PUBLIC PARTICULIER 88 � LANGAGE, MÉDIATIONS, INSTITUTIONS 90 � LES MÉDIAS 93 � CONCLUSION. EXISTE-T-IL UN « PARLER JEUNES » ? 97

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TABLE DES MATIÈRES

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ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES URBAINS EN FRANCE ÉLÉMENTS POUR UN ÉTAT DES LIEUX (CYRIL TRIMAILLE)

� OBJECTIFS 99 � CADRAGE THÉORIQUE 100 � DES ARGOTS AUX PARLERS DE JEUNES URBAINS, ET RETOUR? 113 � CONCLUSION (PROVISOIRE) : LES PARLERS DE JEUNES, OBJET(S),

À DÉCHIFFRER, CHAMP(S) ENCORE À DÉFRICHER ? 132

LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE QUESTIONNEMENTS SUR L’URBANITÉ LANGAGIÈRE (THIERRY BULOT)

� PRÉAMBULE 133 � INTRODUCTION : PROBLÉMATISER LES PARLERS JEUNES 133 � LES PARLERS JEUNES : DISCOURS ET MARQUAGE 136 � LES PARLERS JEUNES : QUESTIONS DE LANGUE 137 � LES PARLERS JEUNES : DES TYPES D’ESPACE REPRÉSENTÉS 139 � LES PARLERS JEUNES : UNE MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE ? 142 � CONCLUSION : ET SI LES « PARLERS JEUNES » ÉTAIENT SURTOUT

UN DISCOURS POLITIQUE ? 146

LES PARLERS JEUNES BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ET THÉMATIQUE (CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT ET ALII) 149

APERÇU CHRONOLOGIQUE NON EXHAUSTIF DES ESSAIS, ARTICLES ET DOSSIERS SUR LES « PARLERS DE JEUNES » PARUS DANS LA PRESSE ET L’ÉDITION « GÉNÉRALISTES » (CYRIL TRIMAILLE) 173

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LES PARLERS JEUNES Pratiques urbaines et sociales Tantôt perçu comme une menace par les tenants d’une langue française immobile, tantôt présenté comme le creuset des nouveaux usages langagiers, le terme « parlers jeunes » rend compte de la mise en spectacle d’une réalité socio-langagière nécessairement plus complexe. Il importe d’aborder le parler des jeunes comme il convient, c’est-à-dire à la fois comme un mouvement générationnel posant la différence par l’affirmation des identités, et à la fois comme un lieu symbolique où se jouent les minorations sociales. Il n’est en effet jamais vain de rappeler que le langagier (la langue et son usage) est et crée le lien social et, qu’à ce titre tout groupe de jeunes qui produit des énoncés étiquetés « jeunes » renvoie à la société la complexité des tensions en cours ; mais il démontre aussi une réelle compétence à construire du lien par la connaissance montrée du système linguistique. La sociolinguistique urbaine a montré que non seulement, en tant que structure sociale, milieu spécifique marqué par des interactions, par une culture, la ville produit un certain nombre d’effets sur les langues et le langage mais surtout que les discours tenus par les habitants sur leur(s) ou les langues dites urbaines sont un élément important, voire déterminant pour la production de l’espace énonciatif singulier que constitue chaque ville. Qu’en est-il alors du discours tenus sur les jeunes, par les jeunes ou par ceux qui ne le sont plus ? Des discours tenus sur les parlers jeunes… ? Autour de ces questionnements, le volume envisage d’une part le terme « parlers jeunes » en tant que concept à la fois analytique et synthétique pour aborder l’urbanité langagière et, d’autre part, rend compte, à partir de terrains très divers, de la part à faire à des considérations plus citoyennes portant sur « le vivre ensemble » ou, pour le moins, sur des pistes d’interventions sociolinguistiques qui constituent, au final, un réel programme et de recherche et d’action.