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Il a dit « animateur ». Il, c’est François Hollande, il y a quelques jours sur Europe 1. Outre le caractère inutilement méprisant de l’expression, le commen- taire est apparu bien court. Et renvoyait tristement le candidat socialiste à l’image souvent dépeinte par ses propres amis d’un homme politique cédant à l’humour facile pour ne pas avoir à s’en- gager sur le fond. Même s’il a tenté de corriger le tir ce lundi sur France 2, il en faudra plus pour convaincre. La gauche a mieux à faire que des bons ou des mauvais mots si elle veut l’emporter en mai prochain. La question n’étant pas de discuter le rôle d’acteur de Nicolas Sarkozy (incontestable à Cannes), mais de dire comment les socialistes, s’ils parve- naient au pouvoir,écriraient différemment le scénario de la tragédie gréco-européenne qui se joue depuis plus d’un an et demi. Au G20 la semaine dernière, l’actuel Président était cré- dible quoi qu’en disent ses opposants socialistes. À eux de nous prouver dans les mois qui nous séparent de l’élection qu’il y a un autre chemin pour sortir les Français et l’Europe des tourments de la crise. François Hollande ne peut espérer gagner en se contentant d’ironiser sur le Président sortant. Sinon il risque du même coup de tomber dans le piège qu’il a si souvent dénoncé d’un antisarkozysme primaire peu convaincant. L’impopularité de Nicolas Sarkozy ne sera pas l’alpha et l’oméga d’un échec qui n’est pas encore programmé. Et le prétendant socialiste devra faire la preuve que les projets du PS ne sont pas que la face B de l’action de la droite habillée différemment. Pour l’heure, le discours simpliste mais facilement compré- hensible des anti-européens et des antimondialistes apparaît comme la seule alternative qui tranche réellement. Au candidat socialiste de convaincre qu’il n’en est rien. Et que la gauche peut apporter des réponses aux questions que la droite n’a pas su résoudre. Nous n’y sommes pas. > Lire l’article de Brice Teinturier p. 9 Le chiffre NUMÉRO 423 — MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011 — 1,30 ¤ Éditorial Robert Namias Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias L’HÉMICYCLE www.lhemicycle.com Vous avez dit animateur ? Laurent Fabius P. 3 Hervé Morin P. 4 Gérard Longuet P. 2 JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP THOMAS SAMSON/AFP STEPHANE DE SAKUTIN/AFP AFP Les députés examinent le budget de la défense alors que les troupes françaises amorcent leur retrait d’Afghanistan. Mais y aura-t-il un débat sur le fond ? Quelle politique de défense pour la France en période de rigueur budgétaire ? Réponses de Gérard Longuet, Laurent Fabius et Hervé Morin V oilà plus de cinquante ans que de Gaulle a théorisé la poli- tique de défense française basée sur l’autonomie nucléaire et la dissuasion. À l’époque, qui était encore celle de la Guerre froide, les ennemis étaient clairement identifiés et pratiquement ciblés. Depuis, Pom- pidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et même Sarkozy, ont chaussé sans dis- cuter les bottes du Général. En ajoutant au dogme gaullien la théorie de la projection avec possibilité d’ingérence sous couvert de l’ONU ou de l’Otan. Question : les ennemis d’hier n’étant plus ceux d’aujourd’hui, doit-on penser la défense de la France dans les mêmes termes que ceux des années soixante ? Interrogation d’autant plus nécessaire que le budget de ce ministère pèse très lourd dans les comptes de la nation. Droite et gauche semblent aujour- d’hui tétanisées à l’idée de lancer ce débat. Par peur sans doute de toucher au mythe sacro-saint de l’indépen- dance nationale. La crise actuelle et la prochaine présidentielle pourraient être l’occa- sion d’ouvrir enfin ce dossier. Ima- giner l’actualisation de notre poli- tique de défense et en tirer les conséquences budgétaires peut être aussi un bon moyen de nous obliger à repenser ce que doit être la France aujourd’hui. À l’intérieur et à l’extérieur d’elle-même. D’autant que chaque jour qui passe montre que le XXI e siècle n’a décidément rien à voir avec le XX e pourtant si proche. R.N. > Lire p. 2, 3, 4 et l’analyse de Philippe Barret p. 5 Défense… d’y toucher ? Le dogme gaullien de la dissuasion nucléaire est-il encore d'actualité ? Et aussi ÉRIC PIERMONT/AFP Védrine juge le G20 Une instance indispensable pour l’ancien ministre des Affaires étrangères. Qui estime que le bilan doit être dressé en évaluant ce qui a été décidé depuis trois ou quatre ans et pas seulement en fonction de ce qui s’est passé à Cannes > Lire p. 8 Au sommaire Les cahiers de campagne de Michèle Cotta >P. 10 Caméra mon amour par Serge Moati >P. 11 L’admiroir d’Éric Fottorino >P. 16 Retrouvez RTE sur son stand au Salon des Maires 2011 Stand K40, Hall 3 Autour du réseau électrique, il y a toujours un enjeu local à partager 17,4 milliards d’euros D’effort supplémentaire pour la période 2012-2016, dont 7 milliards dès l’an prochain. C’est le nouveau plan de rigueur annoncé ce lundi par François Fillon. Pour Axel de Tarlé, il s’agit avec ce plan de prouver au monde et en particulier aux pays émergents, présents et très actifs au G20, que le modèle européen n’est pas à bout de souffle. > Lire p. 7

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l'Hémicycle numéro 423 du mercredi 9 novembre 2011

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Page 1: l'Hémicycle - #423

Il a dit « animateur ». Il, c’est FrançoisHollande, il y a quelques jours surEurope 1.Outre le caractère inutilementméprisant de l’expression, le commen-taire est apparu bien court. Et renvoyaittristement le candidat socialiste à

l’image souvent dépeinte par ses propres amis d’un hommepolitique cédant à l’humour facile pour ne pas avoir à s’en-gager sur le fond. Même s’il a tenté de corriger le tir ce lundisur France 2, il en faudra plus pour convaincre. La gauche amieux à faire que des bons ou desmauvaismots si elle veutl’emporter en mai prochain. La question n’étant pas dediscuter le rôle d’acteur de Nicolas Sarkozy (incontestable àCannes), mais de dire comment les socialistes, s’ils parve-naient au pouvoir, écriraient différemment le scénario de latragédie gréco-européenne qui se joue depuis plus d’un an etdemi.AuG20 la semainedernière, l’actuel Président était cré-diblequoiqu’endisentsesopposantssocialistes.Àeuxdenousprouverdans lesmoisquinousséparentdel’électionqu’il yaunautrecheminpoursortir lesFrançaiset l’Europedestourmentsde la crise. François Hollande ne peut espérer gagner en secontentant d’ironiser sur le Président sortant. Sinon il risquedu même coup de tomber dans le piège qu’il a si souventdénoncé d’un antisarkozysme primaire peu convaincant.L’impopularitédeNicolasSarkozyneserapas l’alphaet l’omégad’un échec qui n’est pas encore programmé. Et le prétendantsocialistedevra faire lapreuveque lesprojetsduPSnesontpasque la faceBde l’actionde ladroitehabilléedifféremment.Pour l’heure, le discours simpliste mais facilement compré-hensible des anti-européens et des antimondialistesapparaît comme la seule alternative qui tranche réellement.Aucandidat socialistedeconvaincrequ’il n’enest rien. Etquela gauche peut apporter des réponses aux questions que ladroiten’apassu résoudre.Nousn’y sommespas.

>Lire l’article deBrice Teinturierp. 9

Le chiffre

NUMÉRO 423 — MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011 — 1,30 ¤

ÉditorialRobert Namias

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias

L’HÉM

ICYCLE

www.lhemicycle.com

Vous avez ditanimateur ?

LaurentFabius P. 3

HervéMorin P.4

GérardLonguet P. 2

JEAN

-CHRISTOPH

EVE

RHAE

GEN/AFP

THOMAS

SAMSO

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STEP

HAN

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SAKU

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AFP

Les députés examinent le budget de la défense alors que lestroupes françaises amorcent leur retrait d’Afghanistan.Maisyaura-t-il undébat sur le fond?Quellepolitiquededéfensepour la France en période de rigueur budgétaire ?Réponses deGérardLonguet,LaurentFabiusetHervéMorin

Voilà plus de cinquante ans quede Gaulle a théorisé la poli-tique de défense française

basée sur l’autonomie nucléaire etla dissuasion. À l’époque, qui étaitencore celle de la Guerre froide, lesennemis étaient clairement identifiéset pratiquement ciblés. Depuis, Pom-pidou, Giscard, Mitterrand, Chiracet même Sarkozy, ont chaussé sans dis-cuter les bottes du Général. En ajoutantau dogme gaullien la théorie de laprojection avec possibilité d’ingérencesous couvert de l’ONU ou de l’Otan.

Question : les ennemis d’hier n’étantplus ceux d’aujourd’hui, doit-on penserla défense de la France dans les mêmestermes que ceux des années soixante ?Interrogation d’autant plus nécessaireque le budget de ce ministère pèse trèslourd dans les comptes de la nation.Droite et gauche semblent aujour-d’hui tétanisées à l’idée de lancer cedébat. Par peur sans doute de toucherau mythe sacro-saint de l’indépen-dance nationale.La crise actuelle et la prochaineprésidentielle pourraient être l’occa-

sion d’ouvrir enfin ce dossier. Ima-giner l’actualisation de notre poli-tique de défense et en tirer lesconséquences budgétaires peut êtreaussi un bon moyen de nous obligerà repenser ce que doit être laFrance aujourd’hui. À l’intérieur et àl’extérieur d’elle-même. D’autant quechaque jour qui passe montre que leXXIe siècle n’a décidément rien à voiravec le XXe pourtant si proche.

R.N.>Lire p. 2, 3, 4

et l’analyse dePhilippe Barret p. 5

Défense… d’y toucher ?

Le dogme gaullien de la dissuasionnucléaire est-il encore d'actualité ?

Et aussi

ÉRICPIERMON

T/AFP

Védrine juge leG20Une instance indispensable pour l’ancienministredes Affaires étrangères. Qui estime que le bilan doitêtre dressé en évaluant ce qui a été décidé depuistrois ou quatre ans et pas seulement en fonctionde ce qui s’est passé à Cannes>Lire p. 8

Ausommaire •Les cahiersdecampagnedeMichèleCotta>P. 10 •Caméramonamour parSergeMoati>P. 11 •L’admiroir d’ÉricFottorino>P. 16

Retrouvez RTE sur son standau Salon des Maires 2011

Stand K40, Hall 3

Autour du réseau électrique,il y a toujours un enjeu local à partager

17,4milliardsd’euros

D’effort supplémentaire pour la période 2012-2016,dont 7 milliards dès l’an prochain. C’est le nouveauplan de rigueur annoncé ce lundi par François Fillon.Pour Axel de Tarlé, il s’agit avec ce plan de prouverau monde et en particulier aux pays émergents,présents et très actifs au G20, que le modèle européenn’est pas à bout de souffle. >Lire p. 7

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2 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 423, MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011

Agora

Ladéfenseest le troisièmebudgetde l’État. LaFranceena-t-elleencore lesmoyens?Oui. Le budget fixé dans la loide programmation militaire qui aété votée en 2008 sera respecté,même si force est de reconnaîtrequ’il aura été tenu grâce à descessions d’actifs du ministère dela Défense lui-même. Ce qui estvrai, c’est que la France a une poli-tiquededéfense conséquente, ce quin’est pas le cas de la plupart despays européens. Dans ces derniers,la part du budget consacrée à ladéfense est en train de glisser versles 1,5 %, voire 1 % de leur PIB.

Cetteannée,desdépensesexceptionnelles, comme laguerreenLibye, sont intervenues.Commentallez-vous lesfinancer?C’est un vrai sujet. Les dépensesd’exploitation (Opex) non initia-lement prévues – c’est le cas de laLibye – sont financées sur la réservede précaution ministérielle portéepar tous les ministères. Cette règlesera respectée. Il faut aussi dire queles opérations Licorne (Côted’Ivoire)etHarmattan (Libye) sont terminées.Nous commencerons à bénéficier en2012 de l’allégement des troupes enAfghanistan.Nous allons donc aussiretrouver desmarges demanœuvre.

Notrepolitiquededéfensenenouscoûte-t-ellepas tropchère?On peut se poser la question enpermanence. La France a connudes hauts et des bas, des périodesde croissance et de récession. Maisje constate que depuis la SecondeGuerre mondiale, si on exemptele cas des opérations coloniales,

qui ont beaucoup pesé, il y a euun consensus pour que la Francepréserve une ligne d’indépendance,d’autonomie en la matière qui luipermet de peser à hauteur de cequ’exige son siège au seinduConseilde sécurité de l’ONU. Depuis 1962,aucun gouvernement n’a discutéla politique de modernisation dela défense mise en œuvre par le

général de Gaulle. L’alternance nel’a jamais remise en cause.

Maisdans le contextedecrisequenousvivons, aucuneffort nedoit-ilêtre fait ?Le ministère de la Défense fait uneffort très important, dans le cadrede la profonde réforme engagéepour rendre nos armées plus effi-caces, plus modernes, plus réac-tives. L’objectif est de concilier lamaîtrise des finances publiquesavec l’excellence de nos armées,qui se traduit par une nouvellecarte militaire, un regroupementd’unités opérationnelles par pôlesde compétence et une suppressionà terme de 54 000 postes, soit17% des effectifs, majoritairementsur le soutien. La difficulté, c’estégalement l’exigence de conti-nuité pour les structures commepour les hommes. La France a unsavoir-faire en matière de hautetechnologie, que ce soit dans lesdomaines de la surveillance, lareconnaissance du territoire…

Si elle veut rester dans le pelotonde tête dans ces domaines, elledoit être reconnue comme étantà la pointe par les États-Unis,l’Inde, la Chine, la Russie… aveclesquelles elle est en compétition.La continuité est donc un atoutet exige des financements. Enfin,nous faisons des économies grâceà la mutualisation. Au niveau

européen, nous avons mutualiséle transport aérien militaire, quinous permet d’optimiser nosmoyens. Nous collaborons aussiavec la Grande-Bretagne sur laquestion des mines sous-marines,des drones ou du soutien A400M.

Leprincipal danger étant leterrorisme, ladissuasionnucléairea-t-elle encoreunsens?Le terrorisme est quelque chosed’insupportable moralement. Lalutte contre lui est un travailcomplexe, je dirais même policier,un travail psychologique aussi. Ladissuasion nucléaire, c’est tout àfait autre chose. C’est une guerretechnologique, une guerre detous les instants qui ne dit passon nom. Elle ne concerne qu’unpetit nombre de pays – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine,la Russie et la France – et quelquesautres pays qui cherchent àintégrer ce club : l’Inde, l’Iran, lePakistan, la Corée du Nord. Entreces pays, tout se sait, se mesure,

s’évalue. L’objectif est de rester entête vis-à-vis des pays qui pourraientnous menacer. Pour conservercette position de leader, notrecrédibilité se joue en permanence.La dissuasion n’a par définitionpas vocation à servir, mais il est in-dispensable que les autres sachentque vous la détenez et qu’elle estcrédible.

Nepourrions-nouspasmutualiseravecd’autrespaysd’Europe l’armenucléaireafind’en réduire le coût?Non. D’abord nous ne pourrionstravailler en Europe qu’avec despays qui ont la même logiqueque la nôtre. Nous ne sommesque deux à la partager, la Grande-Bretagne et nous. Les autres n’enont pas voulu et sont donc dansune position très différente dela nôtre. Avec les Britanniques, lamutualisation concerne quelquessujets précis et techniques,comme la simulation des essaisnucléaires. Et sur ce point, on nepartagera que des équipementsexpérimentaux, pas le fruit de cesexpériences.

Quels sont lesprochainsgrandschoixauxquels laFranceseraconfrontéeenmatièrededéfense?Ce sera la question de la défenseantimissile balistique. Ce système,qui est le mythe de la sécuritéabsolue, relancerait la Guerre desétoiles. Mais nous n’y croyons pas,

hormis pour la protection de nosforces sur le théâtre des opérations,pour laquelle nous disposons déjàde certaines capacités. Une géné-ralisation de la protection auxterritoires se ferait au prix dedépenses astronomiques pour unrisque minime qui ne peut pasêtre non plus garanti. Dans cedomaine, nous avons choisid’investir dans l’alerte avancée,qui permet la détection et l’iden-tification des menaces.

Quel est lebilandeNicolasSarkozyenmatièrededéfense?Il aura apporté continuité et clartéen clarifiant l’effort français à tra-vers le Livre blanc. Il aura engagéles troupes à l’extérieur et exercéadmirablement le rôle de chefdes armées.

Ladéfensesera-t-elle unedesquestionsclésdudébatde2012?Non. Mais c’est un bon indicateurpour juger de la cohérence d’unprojet présidentiel et d’un compor-tement d’un candidat présidentiel.Je remarque que le PS dans sonprogramme n’y a consacré qu’uneseule ligne, qui renvoie à la défenseeuropéenne. Mais cela n’a aucunsens, quand on sait comment cer-tains de nos voisins appréhendentnégativement les opérations exté-rieures. Quant à François Hollande,il connaît visiblement mal le sujetet ne l’a pas pour l’instant appro-fondi. Le Président a, lui, fait unsans-faute en la matière.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

GÉRARD LONGUETMINISTRE DE LA DÉFENSE

GérardLonguet réaffirme lanécessitépour laFranced’avoir unepolitiquededéfense indépendante.Pour leministre,cette indépendanceest incompatibleavec l’idéed’unedéfenseeuropéenne intégrée.

«Depuis 1962, aucungouvernementn’adiscutélapolitiquedemodernisationde ladéfensemise enœuvrepar le général deGaulle »

JEAN

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OPH

EVE

RHAE

GEN/AFP

«NICOLAS SARKOZY AURA APPORTÉCONTINUITÉ ET CLARTÉ DANS LA POLITIQUE

DE LA FRANCE ENMATIÈRE DE DÉFENSE»

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Ladéfenseestquasi absenteduprojetduPS.Est-ceàdirequ’iln’existepas, en lamatière, unepolitiquededroite etunepolitiquedegauche?Au-delà des principes que nousavons tous en partage – ils sont ceuxde la France – nous avons de réellesdivergences avecM. Sarkozy. Diver-gences sur le fond, lorsqu’au nomd’un alignement atlantiste il décidela réintégration de la France dans lecommandementmilitaire de l’Otanet fait de la coopération franco-britannique sans réelle avancéeeuropéenne l’horizon de notrepolitique de défense. Divergencessur la méthode, lorsqu’il centralisetoutes les décisions à l’Élysée et metle Parlement devant le fait accom-pli. Divergences sur les perspectives,lorsqu’il impose des restructurationsmilitairesmassives etpeucohérentes,conduit notre outil de défense àune impasse financière et organisele repli franco-français de nosindustries de défense. Je crains queces choix n’affaiblissent dans cedomaine l’influence de la France.

Desopérations récentes, enAfghanistanet enLibye,quellesleçons faut-il tirer enmatièred’adaptationdenosarméesauxcombatsd’aujourd’hui ?Ce sont deux conflits différents, l’unfaisant appel à des forces essentiel-lement terrestres, l’autre à des forcesaériennes etmaritimes. Les objectifspolitiques non plus n’étaient pas lesmêmes. En Afghanistan, l’échec dela coalition ne relève en rien de laresponsabilité desmilitaires, dont je

veux saluer au contraire le courage etla compétence : pourdiverses raisons– politiques, historiques, géogra-phiques – nous n’avons pas réussià assurer le développement écono-mique et la restauration d’un mini-mumd’unité politique qui auraientpermis à ce pays de prendre sonenvol. Notre engagement doit pren-dre d’autres formes : les socialistes sesont engagés à retirer l’ensemble destroupes françaisesd’Afghanistand’icila fin 2012. En Libye, le succèsmili-taire est là. Il faut attendre que leCNTmette en place le processus dé-mocratique.Des conflits balkaniques

à l’Afghanistan et à la Libye, nosforces armées ont compris la néces-sité de coupler les moyens civilset les moyens militaires dans lesopérations extérieures. C’est unecompétence inestimable qu’il fautmieux mettre en valeur. Il nousmanque encore des moyens spéci-fiquement militaires, drones, ravi-tailleurs en vol : dans le contextebudgétaire, seule une réponse euro-péenne nous donnera ces capacités.

Nosarméessont-ellesprêtesàcombattrenotreprincipaladversaire,leterrorismeinternational?Le terrorisme est un défi majeur.Nous y sommes directementconfrontés notamment au Sahel,avec les otages français enlevés par

Aqmi. Cela justifie le développe-ment d’un dispositif moderne deprotection du territoire et de nosressortissants, y compris par desmoyensde renseignementshumainset techniques permettant la détec-tion des menaces. Mais les huitannées de présidence Bush nousont confirmé que la réponse au ter-rorisme ne pouvait être exclusive-ment militaire. Lutter efficacementcontre lui, c’est aussi se concentrersur l’origine des frustrations qui lenourrissent. De même qu’il ne fautpas négliger les autres risques :conflits non réglés, États exsangues,

corruption, pauvreté, proliférationnucléaire, risques environnemen-taux, conflits d’accès aux matièrespremières et énergétiques, cyber-attaques, actes de piraterie. Le rôledu pouvoir politique c’est d’avoirune vision globale et lucide de lasituation. Une coopération étroiteavecnosprincipauxpartenaires dansle domaine du renseignement estun élément important à ce titre.

Dès lorsque les caisses sont vides,est-il envisageablede réduireencore lebudgetde ladéfense?La défense – qui a déjà fait des sacri-fices importants – ne peut pas êtremise à contribution audétriment dela sécurité des Français. Pas de débatsimpliste porte-avions contre écoles !

Cequinquennataétémarquéparunebaisse sensibledeseffectifsmilitaires. Faut-il lapoursuivre?Je constate comme vous que ceuxqui accusent la gauche de fairemoins pour l’effort de défensesont responsables du plus grand« plan social » des dernières années :moins 54 000 postes depuis 2007 !Nos forces armées sont en perpé-tuelle réforme depuis la chutedu mur de Berlin : je suis sensibleà l’argument selon lequel elles ontbesoin d’une pause. La vraie solu-tion efficace militairement et ra-tionnelle financièrement, c’est la

mise en commun d’un certainnombre de missions au niveau eu-ropéen, je pense notamment à lasurveillance aérienne, maritime etspatiale. Cela devra se décider dansle cadre d’un nouveau Livre blancsur la défense, en fonction desmu-tualisations de forces ou des par-tages de tâches que nous pouvonsenvisager avec nos partenaires.

Faut-il garder unepanopliecomplèteouse recentrer surquelquesobjectifsplusprécis?L’objectif est que nous ayons, auniveau européen la panoplie com-plète de moyens militaires, tout enconservant au niveau national lesmoyens de notre indépendance. Jene conteste pas la difficulté, mais

c’est le grand échec de M. Sarkozy.Il ne cesse d’affirmer que nos par-tenaires européens ne veulent pasde l’Europe de la défense. Maislorsque la Pologne, qui assure laprésidence tournante de l’UE, avoulu donner un contenu concretà la « coopération structurée per-manente » inscrite dans le traitéde Lisbonne, il a refusé. L’Europede la défense ne peut se limiter aucouple franco-britannique.

Pouvez-vousconfirmerque laFrance resteradans l’Otan,mêmeencasdevictoirede lagauche?Lorsque M. Sarkozy a décidé deréintégrer le commandementintégré de l’Alliance atlantique,je me suis exprimé à la tribune del’Assemblée nationale au nom dessocialistes et j’ai dit que cette dé-cision nous semblait contraire ànotre histoire, à nos principes età nos intérêts. Aujourd’hui, quelsen sont les résultats ? L’Europede la défense a-t-elle progressécomme cela avait été affirmé ?Non.Notre influence a-t-elle été renfor-cée au sein de l’Otan ? Pas plus.Nous sommes tenus à l’écart desgrandes décisions, par exemple enAfghanistan. Pour autant, cettedécision fera partie de notre héri-tage, nous en prendrons la chargeen gardant à l’esprit la priorité dela défense européenne et la néces-sité d’un rôle accru de la France.Ça me convient parfaitement.

Propos recueillispar Éric MandonnetRédacteur en chef adjoint

de L’Express

NUMÉRO 423, MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011 L’HÉMICYCLE 3

Agora

«AVEC NICOLAS SARKOZY NOUS AVONSDES DIVERGENCES SUR LE FOND,

SUR LAMÉTHODE ET SUR LES PERSPECTIVES »

Pour l’ancienPremierministre socialiste, l’objectif consiste enunedoublepriorité : conserver lesmoyensdenotre indépendance tout en imaginant unevéritablepolitiquededéfenseeuropéenneincluant lapanoplie complètedesmoyensmilitaires imposéspar des casdefigure trèsdifférents.

«Ladéfensenepeutpasêtremiseà contributionaudétrimentde la sécurité desFrançais.

Pasdedébat simpliste porte-avions contre écoles ! »

STÉP

HAN

EDE

SAKU

TIN/AFP

LAURENT FABIUSANCIEN PREMIER MINISTRE,DÉPUTÉ PS DE SEINE-MARITIME

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4 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 423, MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011

Agora

Enmatière de défense,ne raisonnons-nous passur des schémas dépassés ?Très clairement, au lendemain del’élection présidentielle de l’anprochain, il faudra une révisiondu Livre blanc qui avait dessinéun schéma pour nos arméesjusqu’en 2020. Le budget des deuxlois de programmation militairequi avaient été élaborées pourle mettre en acte s’élevait à377 milliards d’euros. Il étaitnotamment alimenté par desrecettes exceptionnelles liées à lavente d’immobilier appartenantà la Défense. Il prévoyait aussique la situation économique etbudgétaire de la France s’amélio-rerait grâce à la politique menéepar la majorité et donc que da-vantage de ressources viendraientle compléter. Compte tenu ducontexte actuel, celles-ci serontimpossibles à trouver. La Francene sera donc plus capable definancer le modèle d’armée quenous avions conçu. Le prochaingouvernement devra procéder àune révision qui sera forcémentdouloureuse.

Quels seront les choix à faire ?Le prochain Président devra seposer différentes questions : laFrance peut-elle encore être unepuissance militaire globale capablede s’investir en premier sur unchamp de bataille ? On voit bienqu’on ne peut plus s’offrir lesmoyens nécessaires pour le faireen matière de renseignement, decommunication, de logistique…

La Libye l’a montré. Autres ques-tions : la France peut-elle encores’offrir une dissuasion nucléairereposant sur deux composantes,navale et aérienne ? La Franceest-elle encore capable d’avoir unmodèle d’armée humaine de ceniveau ?… Cela va être déchirant.Nous avons aujourd’hui une desmeilleures armées du monde.

Nous avons d’excellents militaires.Nous avons la capacité d’être assezréactifs pour gérer des crises defaçon mutuelle. Mais nous savonsque nous atteignons très vite deslimites matérielles, liées à nosmoyens financiers. La France a deplus en plus de mal à financerle renouvellement de ses équipe-ments. Nous sommes clairementsur une queue de comète qu’aété l’immense effort réalisé par laFrance depuis quarante-cinq anset qui nous a permis de peser,voire de donner le change.

L’Europe de la défense est-elleunmythe ou une réalité ?Une armée européenne, tellequ’on l’imagine, est un mythe.Aujourd’hui, la coopération

européenne en la matière estd’abord unmoyen de faire des éco-nomies en mutualisant certainesmissions précises. Mais cela restemarginal, car il faudrait pour celaque les pays acceptent des aban-dons de souveraineté supplémen-taires. Il serait pourtant utile deconstruire une vraie industrie de ladéfense européenne. Cela éviterait

une concurrence folle et coûteuse.Aujourd’hui, chacun a son pro-gramme. Il faudrait aussi mutua-liser un certain nombre de forcesde réaction rapides utiles. Maisencore faut-il que les Allemandsveuillent intervenir en Afrique !Aujourd’hui, la piste la plus sé-rieuse est celle de l’interdépen-dance. C’est le sens, qui pourraitêtre élargi à l’Europe, de la signa-ture de l’accord passé entre laFrance et la Grande-Bretagne ennovembre 2010. En clair, si laFrance n’a pas assez d’avions ravi-tailleurs, la Grande-Bretagne peutmettre à disposition les siens. Et in-versement pour d’autres matériels.

Quelles sont lesmenacesauxquelles la France doit faire

face aujourd’hui ? Nos besoinsy sont-ils adaptés ?Le terrorisme d’abord. La lutte anti-terroriste nécessite d’abord desmoyens de renseignement et decoopération. La France s’efforcede les avoir au maximum. Il y aensuite les attaques numériques,qui peuvent désorganiser un pays.Là nous avons une vraie faiblesse.

Mais il est clair qu’il n’y a plusd’armées qui nous menacent ànos frontières. L’hypothèse d’unconflit au cœur de l’Europe n’estplus qu’un mauvais souvenir. Ilfaudra bien sûr en tenir comptedans nos projets et débats.

Qu’a changé le retour de la Franceau sein de l’Otan ?Rien. Nous n’avons pas perdunotre indépendance. Nous avonssimplement acté un chemin déjàlargement emprunté par FrançoisMitterrand et Jacques Chirac.Notre retour dans le commande-ment intégré de l’Otan permetaux Français de pousser l’Europede la défense sans que les autrespays européens y voient unmoyen d’affaiblir la France.

Aura-t-on vraiment un jourun second porte-avions ?Cela fait partie des questions quela prochaine majorité devra régler.Il faudra choisir entre soit avoir cesecond porte-avions, et dans ce casavoir moins d’avions dans l’arméede l’air et supprimer à nouveaudes bases armées terrestres ; soitconserver ce même nombred’avions et de bases armées, etdans ce cas renoncer au secondporte-avions. On ne pourra pasavoir les deux.

Dans votre livre Arrêtez demépriser les Français, vousracontez avoir découvert lorsde votre nomination auministèrede la Défense en 2007 que leprécédent exécutif avait pris desengagements sans les financer,et qu’il manquerait « plus de cinqmilliards d’euros de financementpar an à partir de 2009».Est-ce fréquent en ce domaine ?Comme ce sont des programmessur vingt ans, signer des chèquesen blanc, c’est toujours facile.Ces programmes n’engagent pastoujours au début. C’est pourquoiavant chaque choix que j’ai dûfaire, j’ai voulu qu’il y ait un vraidialogue contradictoire sur lesdifférentes options possibles aumeilleur coût. Pour ma part, j’aiévité de laisser des ardoises quiimposent des révisions drastiquescinq ans après !

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

«LA FRANCE A DE PLUS EN PLUS DE MALÀ FINANCER LE RENOUVELLEMENT DE SES

ÉQUIPEMENTS. NOUS SOMMES CLAIREMENTSUR UNE QUEUE DE COMÈTE QUI NOUS A PERMISDE PESER, VOIRE DE DONNER LE CHANGE »

HERVÉ MORINPRÉSIDENT DU NOUVEAUCENTRE ET DÉPUTÉ DE L’EURE

THOMAS

SAMSO

N/AFP

Pour l’ancienministre,nousn’avonsplus lesmoyensdenotredéfense. Il faudra fairedeschoixdraconiensalorsque l’arméeeuropéennetellequ’on l’imagine reste,pourHervéMorin,unmythe.

«LaFrancene seraplus capable à l’avenir de financerlemodèled’arméequenousavions conçu. Il faudra

procéder àune révisiondouloureuse »

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La France est aujourd’hui,misà part les États-Unis, l’un despaysqui consacre leplusd’ar-

gent à sa défensenationale : 65mil-liards de dollars, soit plus que touslespays européens, y compris,main-tenant, la Russie ; plus que tous lespays émergents, sauf laChine.Maispour un budget militaire à peinedeux fois supérieuraunôtre, laChinedépense 89 dollars par habitant,quand nous en dépensons 1 000 !Or ces dépenses militaires résultentde l’accumulation de politiques dedéfense différentes, voire contradic-toires, depuis de Gaulle. Entre cespolitiques, nos gouvernementsrefusent de choisir. Le résultat, c’estque les dépenses sont considé-rables, sans qu’elles permettent deservir le plus efficacement l’une oul’autre politique.

Deux politiquesD’un côté, il existe une politiquede défense possible, c’est la poli-tique qu’on baptisera gaulliste :politique de défense, à strictementparler, qui nécessite une force defrappe nucléaire, constammentmodernisée, force essentiellementstratégique. Les missiles nucléairesà longue portée à bord des sous-marins et des missiles à courteportée à bord des avions y suffi-sent. Comme nous ne sommespas, depuis longtemps, et avantlongtemps, menacés par une in-vasion des armées stationnant ànos frontières, il n’est nul besoin,dans le cadre de cette politique, dedisposer d’une puissante armée deterre, équipée de chars Leclerc etautre artillerie, comme il apparais-sait nécessaire quand la Franceambitionnait de participer à uneéventuelle bataille de l’avant avecles forces de l’Otan, contre l’Unionsoviétique. De la même façon, unemarine aussi développée que celleque nous possédons n’est pas utile.En revanche, un bon systèmed’observation par satellite est né-cessaire, pour savoir ce qui se passedans le monde. Ajoutons-y uneforce de projection légère, toujoursprête à aller sauver nos concitoyensn’importe où dans le monde, s’ilss’y trouvaient en danger.

Dans cette politique-là, il n’est nulbesoin, pour la France, de partici-per aux multiples opérations ex-térieures dans lesquelles noussommes aujourd’hui engagés. Nousne sommes menacés par aucunpeuple africain, ni par les Libanais,

ni par les Bosniens, ni par lesAfghans. Point donc n’est besoindes puissants et coûteuxmoyens deprojection de forces militaires queces opérations requièrent.Mais il y a une deuxième poli-tique, que nous avons ajoutée à lapremière depuis les années 1970,qui constitue maintenant l’essen-tiel de notre politique de défense,et à laquelle nous consacrons desmoyens toujours grandissants.Cette politique consiste à inter-venir dans de nombreux conflitsextérieurs à la France, soit pourassister des forces ou des peuples

amis, soit pour se tenir en inter-position dans des conflits quinous sont étrangers, soit pourservir, partout à travers le monde,notre philosophie politique : enrésumé, la démocratie et les droitsde l’homme.

Depuis le début des années 2000,ces opérations n’ont cessé de semultiplier, venant s’ajouter à laprésence de forces « préposition-nées » dans les pays d’Afrique sub-saharienne, en vertu d’accords leplus souvent passés à l’époque deleur accession à l’indépendance.À ce titre ancien, nous sommestoujours présents au Tchad, enRépublique centrafricaine, dans legolfe de Guinée et en Côte d’Ivoire,au Sénégal, au Gabon, à Djibouti.Mais au titre des opérationsextérieures, sous la bannière del’ONU ou de l’Otan, nous avons

aussi déployé des forces mili-taires au Sahara occidental, enRépublique démocratique duCongo, au Libéria, mais aussiau Liban et dans les Émiratsarabes unis, dans l’ex-Yougoslavie,particulièrement en Bosnie, en

Asie centrale, non pas seulementen Afghanistan, mais encore auTadjikistan, au Kirghizistan, dansl’océan Indien. Et, naturellement,nous avons aussi participé, aupremier chef, aux opérations del’Otan en Libye.Le coût de ces opérations exté-rieures n’a cessé de croître : en2011, nous ne serons pas loin dumilliard d’euros.Si l’on choisit de persévérer danscette politique – et ses défenseursont des arguments pour cela –, ilnous faudra sans doute augmen-ter le nombre des armements

nécessaires en ces circonstances,et notamment les capacités deprojection, dans la marine etl’armée de l’air. Il serait, dans cetteoptique, nécessaire de construireun deuxième porte-avions – unseul porte-avions, du point de vuede l’efficacité militaire, est uneaberration.

Des économies possiblesMais dans cette perspective, laforce nucléaire devient inutile.Si nous nous abstenons d’envoyeroù que ce soit, ne serait-ce qu’unbataillon de fantassins, sans l’avalde l’ONU ou de l’Otan, qui peutcroire que nous tirerions unmissilenucléaire, et d’ailleurs sur queladversaire ? Jusqu’en 1984, nosmissiles étaient orientés « tousazimuts ». François Mitterrand adécidé de les orienter vers l’Unionsoviétique. Soit, mais l’Unionsoviétique a disparu ! Bénéfice àattendre : 25 % du budget de ladéfense.Il faut choisir. Nos gouvernantshésitent à le faire. Ils hésitentmême à ouvrir là-dessus le débatpublic. Il y a à cela deux raisons.La première, c’est qu’ils n’osent pasremettre en question l’héritagegaulliste, auquel seuls quelques-uns d’entre eux restent sincère-ment attachés – mais ceux-là ontaccepté le tournant atlantiste denotre politique étrangère et dedéfense. La deuxième, c’est qu’ilscraignent les réactions de l’institu-tionmilitaire. On brocarde souventnos ministres de l’Éducation na-tionale, qui acceptent une espècede cogestion de l’institution scolaireavec les syndicats. Au ministère dela Défense, les ministres de laDéfense – et les présidents de laRépublique, chefs des armées – sesatisfont d’une institutionmilitairenon pas cogérée mais autogérée.Nos concitoyens n’imaginent pasle poids de ladite institution dansles décisions prises en matière dedéfense par le pouvoir civil.Il faut aujourd’hui choisir : ceserait l’occasion de faire quelqueséconomies, dont nous avons tantbesoin en ces temps de disettefinancière.

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Agora

Il faudrachoisirParPhilippeBarret

L’ancien conseiller de Jean-Pierre Chevènement auministère de la Défense a pu analyser del’intérieur les contradictions de la politique française enmatière de défense. Contradictionsaccentuées par la pression desmilitaires eux-mêmes. Pour Philippe Barret, le prochainprésident de la République devra nécessairement trancher entre les différentes optionsqui coexistent encore aujourd’hui.

NicolasSarkozy, le 12 juillet 2011, àbordd’unhélicoptèreenAfghanistan. PHOTOPHILIPPEWOJAZER/AFP

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Plan largeAuxQuatreColonnes

L’Europe, l’Europe, l’Eu-rope… Sans pour autantsauter sur leur banc comme

des cabris, les députés parlentbeaucoup d’Europe en ces tempsde crise des dettes souveraines.Car le chaos grec oblige les par-lementaires à réinterroger leursconvictions européennes. Le Pre-mier ministre, François Fillon,qui avait voté contre le traité deMaastricht en 1992, a invité lesdéputés, mercredi, « à tirer tousensemble les enseignements politiquesde cette crise, et prendre les décisions quis’imposent sur l’organisation de l’Unioneuropéenne ». Appelant chacun à« assumer ses responsabilités ».Dans les rangs de l’UMP, à l’ex-ception du souverainiste JacquesMyard, député des Yvelines, lesdéputés, des gaullistes aux libéraux,sont favorables au renforcementde l’intégration européenne et àla mutualisation des dettes euro-péennes. Et n’ont guère réagilorsque le Premier ministre a évo-qué les « abandons de souveraineté »que cela impliquait. Le mot de« fédéralisme » amême fait son ap-parition dans le vocabulaire de ladroite. « Il y a un sens de l’Histoire,

observe Valérie Rosso-Debord. Toutle courant gaulliste se rend compteaujourd’hui qu’on a deux nations, laFrance et l’Union européenne. » Pourla députée UMP de Meurthe-et-Moselle, « cette énième crise », loinde remettre en cause l’Europe, « estpeut-être l’occasion de faire ce qu’onn’a pas fait en 2005 : on ne peut pascontinuer à avoir d’un côté la zoneeuro et de l’autre dix-sept économieseuropéennes ». Sébastien Huyghe,son collègue du Nord, est sur lamême ligne : « On est au milieudu gué : on a une monnaie unique,mais des politiques économiquesdivergentes et pas concertées. Nousdevons renforcer désormais laconstruction européenne, et leprésident de l’Union devra êtrequelqu’un de beaucoup plus visible. »Et le député d’imaginer déjà que« Nicolas Sarkozy préside l’Unioneuropéenne, après son second quin-quennat »…Tous les parlementaires de l’UMPn’en sont évidemment pas là.Notamment au sein de la Droitepopulaire. Ainsi son héraut, Lion-nel Luca, estime-t-il que l’euro « estune construction politique aberrantesur le plan économique ». Pour le

député UMP des Alpes-Maritimes,« l’euro est allemand », puisqu’il estplacé « sous le contrôle des institu-tions allemandes. Il faut un vraieuro. » Le très fédéraliste AxelPoniatowski voit dans ces propos« une réaction épidermique de souve-rainiste », donc très marginale. Leprésident de la commission desaffaires étrangères est convaincuque l’Europe sortira renforcée de lacrise qu’elle traverse.Mais que cette

crise débouchera inévitablementsur une « Europe à deux vitesses : uneEurope de la zone euro, et une Europequi n’est pas dans la zone euro, et quivivra à une vitesse différente ».Au sein du groupe socialiste, onpartage l’analyse de l’UMP sur lenécessaire renforcement de la gou-vernance européenne. « On la de-mande depuis longtemps, observeAlainVidalies, député PS des Landes.Et la crise d’aujourd’hui est le résultatde ce défaut de gouvernance. » « Ilfaut aller vers plus de fédéralismebudgétaire et économique », confirmeÉlisabeth Guigou, ancienne mi-nistre des Affaires européennes. Ladivergence de vue avec la majoritéserait ailleurs. Plus précisémentdans l’orientation économique del’Union. « Pour sortir de la crise, onne peut pas simplement additionnerles politiques d’austérité, expliqueÉlisabeth Guigou. Il faut aussirelancer la croissance, avec davantagede capacité d’emprunt européen, etle financement de grands projetseuropéens. Or, on a une droite libéralequi domine l’Europe, qui a complète-ment négligé cet aspect des choses. »Pour Guigou, « si on s’enfonce dansla stagnation, on n’a aucune chancede réduire les déficits publics ».

Au Parti socialiste comme à l’UMP,le désaccord qui opposait partisansdu oui et partisans du non auréférendum sur l’Europe en 2005serait donc révolu. Il n’en subsis-terait à ce jour que l’euroscepti-cisme d’un Arnaud Montebourg àgauche, et d’un Nicolas Dupont-Aignan (qui a quitté l’UMP) àdroite. « Il y a une grande homo-généité chez les socialistes sur le justeéchange », affirme Alain Vidalies.

À droite, « je vois des opposants auréférendum de 2005 beaucoup plusconciliants sur leur position, souritAxel Poniatowski. Même si chacundoit sauver la face. »Si le clivage entre eurosceptiqueset europhiles n’est pas manifesteau sein de l’hémicycle, et si droiteet gauche partagent la mêmevolonté d’aller de l’avant dans laconstruction européenne, lacrainte de voir le débat surl’Europe opposer souverainistes etmondialistes durant la campagneprésidentielle de 2012 inquiète,de part et d’autre de l’hémicycle.« Pour moi, le souverainisme n’estque du populisme et n’a pas decolonne vertébrale, affirme AxelPoniatowski. Mais cela peut fairedes voix, car on touche à des mesuressimplistes et expéditives, à l’impactabsolument dévastateur. » Uneanalyse partagée par Alain Vidalies :« Quand on est face à une criseéconomique, ceux qui prônent unesorte de repli identitaire ont unlangage dont l’efficacité peut êtreforte dans la population », redoutele député des Landes. « Derrière lesouverainisme, il y a le populisme »,assène Élisabeth Guigou. L’Unioneuropéenne est un combat.

Nicolas Sarkozy est toujours dans lacourse. Ceux qui l’annoncent battusemaine après semaine devraient seméfier. Pire est la situation,mieux ilse porte. L’annonce du référendumen Grèce a failli emporter son G20et toute sa séquence « présidentcrédible »minutieusement préparéedepuis des semaines par l’Élysée.Grâce à Angela Merkel, le chef del’État a retourné la situation en tor-dant le bras de Georges Papan-dréou. Dans la foulée, le tandemMerkel-Sarkozy, rebaptisé « Mer-kozy », a remonté les bretelles d’unSilvio Berlusconi plus mort vivantque jamais. Le président du Conseilitalien est rentré chez lui avecl’obligation de réformer l’Italie,nouveau maillon faible d’uneEurope dans la tourmente.Autrement dit, ce G20, qui allait aumieux accouché de belles photosde chefs d’État discutant des affairesdu monde, est devenu un G20 decrise. Un scénario en ormassif pourNicolas Sarkozy, qui a fait preuve desang-froid et de fermeté. MêmeBarack Obama a salué son « extra-ordinaire leadership ». Le tout dansun numéro de duettistes parfaite-ment mis en scène à la télévision.De quoi faire grincer des dentsdu côté du Parti socialiste. AngelaMerkel et Barack Obama en renfortpour la campagne de 2012, NicolasSarkozy ne pouvait pas rêver demeilleurs soutiens. Pendant la criseet avant les échéances électorales,les « présidents » se serrent lescoudes. Tous connaissent la règlequand les peuples vivent moinsbien : « Sortez les sortants ! »Requinqué par sa semaine du G20,Nicolas Sarkozy est confronté aurevers de la médaille. D’abord sonnouveau plan de rigueur. Finile festival de Cannes, place auxmauvaises nouvelles. FrançoisFillon se dévoue. Mais c’est bien leprésident-candidat qui risque depayer la note. Ensuite, si NicolasSarkozy s’épanouit dans les crises,Marine Le Pen en redemande. Troispoints de plus dans la dernièreenquête Ipsos-Le Monde. L’actualité(crise de l’euro, charia en Libye…)sert sa candidature. À cinq pointsderrière Nicolas Sarkozy, la fille deJean-Marie Le Pen reste en embus-cade. Même le très sérieux Cevipof(Centre de recherches politiquesdirigé par Pascal Perrineau) n’exclutpas un nouveau scénario du type21-Avril.Nicolas Sarkozy n’est pas fichu.À condition que le « président descrises » soit aussi celui qui les règle.

L’opinionde Bruno Jeudy

DR

Le pariMerkozy

L’Europe fédèreà…ParisÀ l’Assemblée, alors que le sort de l’Europe se jouait au G20, les députés UMPet PS étaient majoritairement d’accord pour estimer que seule une approchefédéraliste permettra au Vieux Continent de se sortir de la crise. Au risquede conforter ceux qui dénoncent une idéologie dominante « UMPS ».Par Nathalie Segaunes

Axel Poniatowski. Leprésidentde la commissiondesaffairesétrangères sedit convaincuque l'Europesortira renforcéede la crise.

JOËL

SAGE

T/AF

P

L’affaire est entendue, NicolasSarkozy fait le job, selon une

expression familière au chef del’État. Au sommet européen il y aquelques jours, à Cannes la semainedernière, aux côtés d’Angela Merkelet de Barack Obama, le Présidenta fait preuve une fois de plusd’une énergie et d’une volonté peucommunes. Sur ce point il conforteune crédibilité dont il entend fairele meilleur usage dans la campagneprésidentielle face au candidatsocialiste. Bref, à Bruxelles comme auG20, le Président est dans son rôle.Il l’est beaucoupmoins en revanchequand, répondant aux questions desjournalistes, il se laisse vite déborderpar une agressivité à peine voilée àl’égard de ceux qui ont l’outrecui-dance de lui poser de vraies ques-tions. Expliquer comme il a coutumede le faire que lui est dans l’action etque les journalistes ne sont que dansle commentaire, c’est faire fi d’une

réalité trop souvent oubliée par lespolitiques, à savoir que les journa-listes sont précisément là pour poserdes questions,mettre en perspectiveles décisions prises et ouvrir desdossiers, fussent-ils gênants pour lesuns et les autres. De ce point de vue,ils concourent à leur place toutautant que les politiques à la viedémocratique. Ils en sontmême l’undes baromètres.Il est à l’évidence plus facile dedéfendre de manière formelle laliberté d’expression devant lesdécombres fumants des locaux deCharlie Hebdo que de respecterau quotidien le travail des profes-sionnels de l’information. Des pro-fessionnels qui méritent mieux(même s’ils ne sont pas exempts dereproches) que le mépris présiden-tiel si souvent affiché.Après tout chacun son métier. Etque chacun respecte celui de l’autre.

Robert Namias

Chacun son métier

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Dès le lendemain de la clôturedu G20, il y eut cet aveuterrible de François Fillon :

« Le monde n’est pas en train dechanger. Il a changé et nous ne l’avonspas vu. Les années 2008-2012marqueront la fin de la suprématieoccidentale, et le basculement versl’Asie de l’économie mondiale. »Ce fut effectivement prégnantà Cannes. Symboliquement, lePrésident chinois s’est permis defaire attendre dix minutes NicolasSarkozy lors du dîner jeudi soir. Lelendemain, on a entendu le Prési-dent coréen nous faire la leçon surla nécessité d’entamer au plusvite des réformes, « elles en valentle coup », a-t-il lancé ! On se seraitcru en 1997, mais avec des rôlesinversés. À l’époque, c’étaient lesOccidentaux qui prodiguaientleurs bons conseils aux « paysémergents », empêtrés dans cequ’on appelait la « crise asia-tique ». Quel retournement del’Histoire !Mais, en Europe, l’heure n’est plusà vouloir « dominer » le monde,le Vieux Continent cherche désor-mais simplement à « sauver » sonmodèle. Un modèle en danger.À commencer par la monnaie,l’euro. 68%des Allemands pensentque la Grèce n’a pas d’avenir dansl’euro. On sait que David Camerona perfidement quitté le G20, enannonçant qu’il « préparait desplans » pour faire face à unepossible disparition de la mon-naie unique. À Londres, les book-makers ont ouvert les paris surl’éclatement de la monnaieunique.Mais, plus que l’euro, c’est notre« style de vie » qui est menacé.Les Chinois, d’ordinaire réservés,se lâchent désormais. Dans uneinterview télévisée, le Président dufond souverain chinois (CIC) atrès tranquillement expliqué savision des choses : « Les troublesqui se sont produits dans les payseuropéens résultent uniquement deproblèmes accumulés par une sociétéen fin de course, vivant d’acquissociaux. » Et c’est à ces gens-làqu’on veut s’en remettre pourfinancer notre dette ! Il faudray réfléchir à deux fois avantd’accepter de l’argent des Chinois,car, quand on s’endette auprès

de quelqu’un, on devient son« obligé ». On doit écouter sesconseils, et les appliquer ! Or,Jin Liqun – c’est son nom – a uneconception des droits sociauxqui laisse rêveur : « Je pense que leslois sociales sont obsolètes. Ellesconduisent à la paresse, à l’indolence,plutôt qu’à travailler dur. » À côté,Ernest-Antoine Seillière passeraitpour Marc Blondel !Si nous ne voulons pas renoncerà deux cents ans d’avancéessociales, l’Europe doit donc sauverson modèle. Elle le doit à seshabitants, à ses enfants. Or, notremodèle social est menacé parses déficits. La Sécurité socialefonctionne à crédit. Le budget del’État est dans le rouge depuis1974. Et les marchés sont lassésde nous prêter.

C’est le moment d’écouter lesrecommandations de la Présidenteaustralienne : « Ne parlez plus de

faire des réformes. Faites-les ! »L’Europe doit restaurer ses comptespublics et sa compétitivité. Biensûr les réformes sont douloureuses.Jean-Claude Juncker, président del’Eurogroupe, résume : « Noussavons tous quoi faire, mais nous nesavons pas comment nous faireréélire après l’avoir fait… »

Travaux pratiques avec GerhardSchröder et ses réformes dites« Hartz IV » (de 2003 à 2005). On

peut dire que l’ancien chanceliera effectivement sauvé la compéti-tivité allemande, avant de se fairecongédier par son peuple, tant lesréformes furent difficiles : retraiteà 67 ans. Les allocations chômagessont passées de 36 à 12 mois,plafonnées à 2000 euros. L’Alle-magne a également initié

la TVA sociale, en basculant lefinancement de la Sécuritésociale, du travail vers la consom-mation. Ces baisses de chargesont permis d’accroître la compéti-tivité allemande. Avec des résul-tats spectaculaires. Aujourd’hui, lepays affiche 150 milliards d’eurosd’excédents commerciaux (contre70 milliards de déficit en France).Et un chômage tombé à 5,8 %,son plus bas niveau depuis la Réu-nification (contre 9,9% en France).Avec un déficit limité cette annéeà 1,5 % (contre 5,7 % en France),l’Allemagne est déjà dans les clousde Maastricht. C’est le triomphede « l’Europe allemande », à laquelles’est rangé Nicolas Sarkozy. Ce nesera pas facile. Angela Merkelprédit « dix ans d’effort », avec à laclé beaucoup de gouvernementsdémis (si l’on en croit les pré-dictions de Jean-Claude Juncker).En France, le tout nouveau pland’économie de François Fillons’appuie sur des réformes plusstructurantes : passage de laretraite à 62 ans accéléré.L’année prochaine, les prestationssociales (allocations familiales…)seront indexées sur la croissance(1 %), et non pas sur l’inflation(1 %). Une façon de ne pasdépenser plus que ce qu’on gagne,même si la mesure est temporaire.L’objectif étant bien sûr de res-pecter les engagements de déficit,malgré une moindre croissance.Mais, surtout, l’objectif estde faire mentir les Chinois, demontrer que le modèle européenn’est pas « à bout de souffle ».

Car, plus que tout, il fautredouter que le système capitalistechinois ne devienne le modèleéconomique du monde. C’est uncapitalisme autoritaire, qui faitpeu de cas de la personne, dutravailleur, de la démocratie.Le temps du sursaut est arrivé.Vive l’Europe !

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Finalement, ce fut bien un sommet historique !Mais peut-être pas dans le sens qu’auraitsouhaité Nicolas Sarkozy. L’Europe a frôlé l’abîme. Et face aux dirigeants allemands, françaisetmêmeaméricains, jamais les pays émergents n’ont paru aussi sûrs d’eux-mêmes etde leur puissance.

UnG20historique !!!Sommet

ParAxel deTarlé

«SI NOUS NE VOULONS PAS RENONCER ÀDEUX CENTS ANS D’AVANCÉES SOCIALES,

L’EUROPE DOIT DONC SAUVER SONMODÈLE.ELLE LE DOIT À SES HABITANTS, À SES ENFANTS.»

Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe.« Noussavons tousquoi faire,maisnousnesavonspascommentnous faire réélire après l’avoir fait… » PHOTO JOHNTHYS/AFP

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Quelbilandressez-vousduG20deCannes?Il y a toujours trop d’attente parrapport au G20, comme il y enavait déjà d’ailleurs trop pour lesG7 puis G8. C’est largement lafaute de ses acteurs. Ils en font àchaque fois une présentation exa-gérée pour mieux se valoriser.C’est compréhensible, mais celapeut engendrer des déceptions.Il ne faut pas oublier que le G20est d’abord un cadre au sein duquella compétition multipolaire sepoursuit. Et selon la façon dont secomportent ses protagonistes, celase passe dans la tension ou pas.On ne peut pas attendre non plusque des solutions à des problèmestrès compliqués soient prises lorsd’une seule réunion annuelle. Ilfaut donc juger le bilan de G20 surtrois ou quatre années et regarderce qui a progressé ou pas sur tel outel message. Si on prend l’exemplede la taxe sur les transactionsfinancières, on voit bien que leschoses progressent petit à petit. Ily a quelques années, il était impos-sible même d’en parler, tant elleprovoquait des réactions hysté-riques. On peut aussi noter que leton des Chinois sur leur monnaieévolue. Ce G20 aura donc été uneétape utile, cependant qu’onaurait pu se satisfaire que la Franceobtienne plus.

LeG20adoncdéjà, selonvous,fait lapreuvedesonutilité?Oui, c’est important qu’une en-ceinte plus large et plus représen-tative que le G8 existe (même si leG7 ou le G8 conservent leur uti-lité pour que les participants seconcertent avant le G20), d’au-tant que la réforme du Conseil desécurité est bloquée. Les pays occi-dentaux et les pays émergentspeuvent y apprendre à travaillerensemble sur les questions dites« globales ». C’était important quecette enceinte de concertationexiste face à la grande crise quenous traversons depuis 2008.Les orientations données ont étébonnes dans les premiers G20,même si la concrétisation est troplente, et incomplète.

Quelles conséquencesaeu la crisegrecquesur celui-ci ?C’est unvraisommeteuropéendecrisequi s’estdéroulé enparallèle…C’est un classique. Il y a très souventun événement d’actualité qui vientparasiter ce genre de sommet. LeG7de Versailles avait ainsi été parasitépar l’invasion israélienne du Liban !Mais onne peut pas ramener leG20à cela ! Sur la crise grecque propre-ment dite, l’accord du 26 octobreétait une bonne règle du jeu pourrenforcer la stabilité économiquede la zone euro. Les clameurs euro-péennes qui ont accueilli l’annoncedu référendum ont révélé que lerecours au vote faisait peur. C’est unsigne de fragilité, un signe d’arro-gance. Cela montre que les leçons

de 2005 et de l’échec du référendumn’ont pas été tirées. Moi, je soute-nais le oui, mais je reconnaisqu’alors notre argumentaire étaittrès prétentieux et très arrogant. Ily a eu dans cette affaire beaucoupde myopie. Au final, la manœuvrede Papandréou aura eu un effetremarquable dans son propre pays.Il a ainsi obligé l’opposition, quirefusait jusque-là toute implication,à soutenir le plan du 26 octobre.

Celaaquandmêmesoulignéunevraie faiblessede l’Europe, parrapport àune forcedeplusenpluséclatantedespaysémergents…Il y a une redistribution de la puis-sance dans le monde au détrimentdes États-Unis et de l’Europe.

Pour les pays émergents, le G20 estune sorte de sas d’apprentissagedes responsabilités de la puissance,dont ils n’ont aucune expérience.C’est très précieux.

Mais lepoidsqu’aaujourd’huilaChinenedéséquilibre-t-il pasnéanmoins tout?Oui, la Chine bouleverse toutel’économie mondiale parce queson poids est énorme, même sison revenu par tête reste très faible.De toute façon, c’est une raison

de plus pour qu’elle soit intégréedans un ensemble organisé etqu’elle prenne la mesure desinteractions avec « the rest ».Même la Chine ne pourra pasimposer toutes ses positions aureste du monde, ni tirer parti dela mondialisation sans respec-ter les règles du jeu. Je pensenotamment aux questions quesoulève la sous-évaluation de samonnaie.

Quepeut-on faire faceauxrééquilibragesactuelsdumonde?C’est un déclin relatif qui est dû aufait que les pays émergents « émer-gent »… Que faire ? Être lucide,avoir une stratégie à long terme,unifier les positions européennes,chercher l’accord avec la stratégieaméricaine, autant que possible.Et, sur chaque sujet, rechercherun compromis, systématiquementavec un (ou plusieurs) émergent.

Ladiplomatie françaiseest-elleautre chosequede l’agitation?Quel est encore sonpoids?La France est le seul pays à se poser

ce genre de questionsmasochistes !Sa diplomatie est plus ou moinsprofessionnelle selon les moments,plus ou moins agitée ou discrète,mais de toute façon, elle n’a pas àse poser des questions existentielles.Elle doit, quoi qu’il arrive, défendreles intérêts et les conceptions fran-çaises, pour aujourd’hui, demain etaprès-demain. Cela ne se discutepas. Son poids relatif a diminué,comme celui des autres diplomatiesoccidentales, mais pas au point quesa nécessité soit remise en cause.

Lecouple franco-allemandfonctionne-t-il encoredemanièresatisfaisante?Cela n’a jamais été un « couple »– c’est une expression trop intro-vertie – mais souvent un moteur.C’est différent depuis que l’Alle-magne est réunifiée, il y a plus devingt ans : elle impose sans com-plexe à l’Europe le fait de devoirs’incliner devant ses règles. Maisrien ne peut remplacer l’ententeentre la France et l’Allemagne,toujours indispensable même si cen’est pas facile, on le voit encoreaujourd’hui, à propos de la crisefinancière et dans la zone euro.

Aupouvoir, la gauche ferait-elleentendreunemusiquedifférente?Il y a, pour chaque pays, desfondamentaux permanents, et descontingences, des événements etensuite des personnalités, avec leurstyle propre…Ce qui peut être trèsimportant. On verra bien !

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

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Expertise

L’ancien ministre des Affaires étrangères ne reprend pas à son compte le mot ravageur de JacquesAttali, qui déplorait en 2010 l’inutilité du G20. Hubert Védrine considère que le sommet de Cannesa confirmé au contraire l’impérieuse nécessité pour les nations de se concerter. Même si cela ne vapas sans heurts avec l’affaiblissement des uns au profit de certains autres qui n’ont plus d’émergentque le nom.

UnGmoinsvainqu’il n’yparaîtParHubertVédrine

«LES ORIENTATIONSDONNÉES DANS LES

PREMIERS G20 ONT ÉTÉBONNES MÊME SI LACONCRÉTISATION EST TROPLENTE ET INCOMPLÈTE »

ÉRIC

PIER

MON

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La crise actuelle rebat enpartie les cartes de l’électionprésidentielle et renouvelle

le clivage ouvert/fermé qui,depuis au moins le référendumdeMaastricht de 1992, n’a cessé detravailler la société française.Ce clivage, ancien, oppose deuxconceptions de la souveraineté,laquelle reste la question centraledu politique. D’un côté, ceux qui,en termes de puissance et d’effica-cité, considèrent que des aban-dons partiels de souveraineté auprofit d’une intégration dans unespace plus grand et régulé per-mettent in fine d’avoir une plusgrande maîtrise de son destin.D’un autre côté, ceux qui estimentque ces abandons, ou a minimala façon dont ils ont été négociés,ne permettent ni au peuple d’êtresouverain – on se souvient dePhilippe Séguin tonnant contreune BCE non contrôlée – ni à laFrance de regagner des margesde manœuvre et d’efficacité plusimportantes.La crise actuelle a réactivé ce cli-vage mais en le radicalisant et enle polarisant sur deux données : larelation à la mondialisationet l’euro.D’un côté, nous avons au-jourd’hui ceux qui considèrentque la mondialisation est la ques-tion centrale, qu’elle conduit laFrance à la faillite, qu’elle est alléede pair avec la désindustrialisa-tion du pays et qu’elle amène audéclin et à l’appauvrissement desplus fragiles et de la nation. Lasolution est donc d’en sortir oud’en reconsidérer les méca-nismes, via par exemple un pro-tectionnisme plus ou moins fortaux frontières. Les partisans decette thèse drainent au minimum30 % des suffrages, si l’on com-bine les électeurs de l’extrêmegauche, du Front de gauche, deDebout la République et du Frontnational. Ils sont en réalité plusnombreux car, y compris au seinde l’électorat socialiste, des écolo-gistes et d’une partie de l’UMP, ontrouve des tenants de ce courantmême s’ils votent pour un candi-dat qui n’est pas exactement surcette ligne.

Immense fracture

Ces électeurs sont par ailleursmassivement issus des catégoriespopulaires et traduisent l’immensefracture qui s’est construite au coursdes vingt-cinq dernières années

entre les partis de gouvernementet ceux qui se considèrent de plusen plus comme les exclus dusystème et sont les perdants dela mondialisation. Pour eux, lepouvoir a été confisqué par uneoligarchie politique et financière,dont les banques et les marchésfinanciers sont devenus le symboleplus encore que les grandes entre-prises – qu’on appelle significati-vement maintenant non pas desentreprises mais des « groupesmondiaux ». Or, parce qu’ils ontle pouvoir économique et culturel,les gagnants de la mondialisationont des stratégies qui permettentà leurs enfants de continuer àfaire partie des gagnants : fré-quentation des écoles adéquateset/ou cours complémentaires,stages linguistiques et/ou masterà l’étranger, stratégies d’acquisi-tion d’un logement à proximitédes bons lycées ou dans les bonsquartiers, tout cela au prix desacrifices de plus en plus impor-tants mais encore possibles pourune partie de la population. Ilssavent et ils peuvent, ou peuventencore. Les catégories populaires,et de plus en plus une fraction

importante de la classe moyenne,ont en revanche le sentimentinverse, celui d’une installationdurable dans un schéma devulnérabilité croissante et dedéclassement inéluctable. Certainsmontent, eux descendent. Pire en-core : pour que certains montent,

il faut que des gens comme euxdescendent. Les responsables ?La mondialisation, les marchésfinanciers, l’euro et tous ceux quiles soutiennent. La solution ? Unevéritable rupture, qui commencetout autant qu’elle se symbolise

par la sortie de l’euro. Les 25 % à30 % de Français partisans d’unretour au franc sont très large-ment ceux que nous décrivons.Près d’un ouvrier sur deux souhaitel’abandon de l’euro – alors que lescadres supérieurs y sont massive-ment favorables.

Des symboles

ravageurs

C’est ce qui explique fondamenta-lement la cassure entre les milieuxpopulaires et Nicolas Sarkozy.Certes, il y a de nombreusesraisons à cela, qui tiennent aucontrat non rempli de 2006-2007 :le Président du pouvoir d’achatqui, par exemple, augmente dès2007 les indemnités présidentielles(l’effet est ravageur) mais ne par-vient pas à assurer sa promesse enmatière de pouvoir d’achat (« lescaisses sont vides »), et cela, dèsavant la crise de 2008. S’y ajoutentd’autres symboles tout aussi rava-geurs, du Fouquet’s au yacht deBolloré en passant par l’Épad. Maissi le sentiment de trahison est enréalité très profond, c’est qu’ilrenvoie à bien plus que ces sym-boles : le Nicolas Sarkozy de 2006-2007 était en effet un candidat de« rupture » avec les aspects les plusdétestés du « système ». Il réduit leFront national à moins de 11 % etconquiert une partie des catégoriespopulaires en donnant précisémentle sentiment que des marges demanœuvre existent, qu’on peut etdoit reconstruire « des usines », une

industrie, qu’il est possible de nepas subir la mondialisation. Il ca-nalise ainsi, avec d’autres (SégolèneRoyal, François Bayrou), la contes-tation du système dans le système.Le Nicolas Sarkozy de 2011 restenaturellement toujours sur la thé-matique desmarges demanœuvre,

de la souveraineté et de l’efficacité.Mais cette fois-ci, il théorise qu’ellen’existe pas sans réduction des défi-cits publics, qu’une sortie de l’euroserait suicidaire et signifierait lamort de l’Europe, et que le triple Ade la France est crucial. Il devient defacto, pour une partie des catégoriespopulaires, partisan du systèmeactuel et,malgré ses efforts, d’un sys-tème financier honni là où MarineLe Pen est au contraire dans l’affir-mation de la rupture via la sortiede l’euro. C’est ce qui explique queNicolas Sarkozy remonte actuelle-ment dans l’électorat du MoDempar exemple, très en phase avec lePrésident sur la question des déficitset de la dette, mais pas du tout chezles catégories populaires, et que leFN se maintienne ou progresse.

2012, élection

spécifique

Sommes-nous pour autant dans unschéma proche de 2002 ? Par biendes aspects, oui, ne serait-cequ’avec un Front national à unniveau extrêmement élevé (19 %dans la dernière enquête Ipsos-Logica Business Consulting) et lacoupure radicale entre le pouvoir

en place et les milieux populaires.Mais 2002 se caractérise aussi parun record d’abstention. Or, cela nesemble pas être le schéma actuel.Ni 2002, ni 2007, le scrutin de 2012sera, comme à chaque élection,spécifique et peut réserver biendes surprises.

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2012,unscrutin sansprécédentPlan large

ParBriceTeinturier

Manifestation des altermondialistes à l’occasion du G20 de Cannes.Prèsdu tiersdesélecteurssontaujourd’huiséduitspar les thèsesanti-européennesde l’extrêmegaucheetduFrontnational.

François Hollande et Nicolas Sarkozy.Chacundanssoncampdevra répondreauxdoutesdesclassespopulaires.

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Même si certaines enquêtes confirment un regain de popularité deNicolas Sarkozy après lesommet deBruxelles et le G20de Cannes, la crise européenne continue d’élargir le fossé entrele président de la République et les classes populaires, rejointes aujourd’hui par une partie desclassesmoyennes. C’est ceque constate ledirecteur général d’Ipsos, qui noteque leParti socialiste,même si c’est dans unemoindremesure, n’est pas lui non plus épargné par cette désaffection.

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ParMichèleCotta

Dimanche 30 octobreFrançois Bayrou sur BFM, MarineLe Pen sur LCI. On ne peut pasimaginer deux discours plus op-posés. L’un, ce n’est pas nouveau,a une haute idée de l’Europe :pour exister vraiment, celle-cidoit certes reposer sur l’axe franco-allemand, mais pas seulement :il lui faut tirer tous les Européensdans la même direction. PourMarine Le Pen, chaque paysd’Europe est un « concurrentpotentiel » de la France. Le mondeentier est peuplé d’hommes etde femmes qui lui sont hostiles.« Sauvez l’euro », dit Bayrou. « Lais-sez tomber la Grèce », réclameMarine Le Pen. « Sortez-les tous »,insiste la candidate du Front na-tional. « Face à la crise, rassemblons-nous », plaide le candidat centriste,pour qui une crise de cette graviténe peut être surmontée par uncamp contre l’autre.Deux mondes. Dans sa radicalité,son faux bon sens, ses accentspopulaires, Marine Le Pen s’adresseaux Français déboussolés qui ontpeur d’un avenir dont ils nevoient pas les contours, maispressentent qu’ils n’y trouventpas leur place. Plus difficile, pourFrançois Bayrou, d’ « enchanter »le futur.

Lundi 31 octobreClaude Guéant s’est rendu aujour-d’hui en Seine-Saint-Denis, dansun de ces îlots occupé par unebande de jeunes dealers qui, ayantinvesti les halls d’entrée des im-meubles, vendent de la drogue sousle nez des habitants, effrayés devoir leurs enfants assister au spec-tacle, exaspérés de ne pas pouvoirrentrer chez eux sans être fouilléspar une bande d’encagoulés.Et que dit-il, Claude Guéant, àceux, le plus souvent des femmes,maghrébines ou pas, qui lui ra-content leur cauchemar quotidien ?Il répond qu’il va « nettoyer ». Lemot est choisi : c’est celui qu’avaitemployé Nicolas Sarkozy enajoutant, en 2005, qu’il le ferait« au kärcher ».Il y a près de dix ans, NicolasSarkozy devenait ministre de l’In-térieur. Les problèmes d’insécu-rité, sa détermination d’y mettrefin, ont joué un grand rôle dansson élection de 2007. En dix ans,rien n’a changé. L’argument sécu-ritaire employé cinq ans plus tôtne pourra plus jouer avec autantd’efficacité en 2012.L’opposition pourrait évidemmentexploiter davantage ce qu’il fautbien appeler un échec de la

politique gouvernementale. Mais,à quelques exceptions près –Ségolène Royal ou Manuel Valls –,elle s’en abstient, tant elle craintde devenir sécuritaire elle-même.Sur ce problème, pourtant capital,elle n’a pas encore fait son« coming out »Autre temps fort de ce lundi :l’Unesco vient d’accepter la Pa-lestine parmi ses membres. Inextremis, connaissant la forte op-position américaine, la France avoté pour. Difficile pour elle defaire autrement. Pas seulementà cause de la fameuse « politiquearabe » de la France, mais aussiparce qu’ayant soutenu lesrévolutions arabes du printemps,dites démocratiques, la Francese serait déjugée si elle avait re-fusé aux Palestiniens leur entréeà l’Unesco. Les représailles deBenyamin Netanyahu, qui enprofite pour annoncer de nou-velles colonies sur le terrain, plusencore celles des États-Unis, quigèlent leurs crédits à l’Unesco,font sérieusement douter de leurvolonté de dégager un cheminvers la paix.Cette journée décidément n’enfinit pas. Dans la soirée, coup deTrafalgar en Grèce : alors quecommencent les négociationstechniques prévues par le pactedu 27 octobre, George Papandréouannonce qu’il va soumettre àréférendum l’accord tout justeconclu à Bruxelles sur le plande sauvetage de la Grèce. Unréférendum, alors que la foulegrecque encercle les palais gou-vernementaux ? Et dans combiende temps ? Le temps que la Grècefasse faillite ? Si référendum ildevait y avoir, ce qui n’est pasimpensable, c’était bien avant,lorsque la Grèce a commencé às’enfoncer. Mais pas maintenant,après que Papandréou a sembléaccepter le nouveau plan proposé.

Avait-il averti de ses intentionsle Président français ou lachancelière allemande ? Pas lemoins du monde, disent ceux-ci,furieux d’avoir été pris parsurprise. Alors, les Anglais lesavaient-ils ? Peut-être. Ils n’ontrien dit. Nicolas Sarkozy pensaiten avoir fini. On imagine eneffet sa « consternation ». Pourla première fois se pose la ques-tion, que tous les Européensvoulaient éviter, de la sortie de laGrèce de la zone euro.En attendant, les boursesdégringolent.

Mardi 1ernovembreInterrogation : le Gouvernementgrec attend un versement dehuit milliards d’euros dans lesjours qui viennent. Faut-il les luidonner avant le référendum ?Dans le cas où les Grecs voteraientnon dans quelques semaines,les Européens passeraient pourdes imbéciles. Faut-il les lui re-fuser dans l’attente du scrutin,quitte à ce que le chaos s’installeencore plus à Athènes ?Nicolas Sarkozy et Angela Merkel,furieux, ont sommé Papandréoude venir s’expliquer à Cannesdemain, quelques heures avantl’ouverture du G20, devantl’ensemble des institutions eu-ropéennes et le FMI

Mercredi 2 novembreOn imagine l’humiliation deGeorge Papandréou, illustredescendant de la famille politiquede gauche qui domine la Grècedepuis le XXe siècle (à droite, c’estla famille Karamanlis), traduit,en quelque sorte, devant un tribu-nal européen, tancé par le coupleMerkozy, comme on les appelle.Les images le montrent traits tirés,comme abattu par l’initiative qu’ila prise lui-même, celle du référen-dum, dépassé par les réactions de

ses partenaires, auxquelles pour-tant il ne pouvait pas ne pass’attendre.Encore plus atteint lorsqu’il se voitnotifier un véritable ultimatum.Faire son référendum le plus vitepossible. Et poser une seule ques-tion aux Grecs, question qui a lemérite d’éviter de tourner autourdu pot : oui ou non veulent-ilsrester dans la zone euro ? En atten-dant, pas un sou de la sixièmetranche d’aide, des huit milliardsd’euros avancés.

Jeudi 3 novembreExtrême confusion en Grèce. Im-possible de comprendre quelquechose à Papandréou.Pendant ce temps-là, les grandsde ce monde arrivent à Cannesles uns après les autres. Ballet delimousines, gardes républicainschamarrés, accueil de chaque chefd’État par Nicolas Sarkozy auPalais des festivals.Le G20 se réunit en principe pourparler de régulation financièremondiale. Mais l’affaire grecquefait passer au second plan cettepréoccupation. Dès l’arrivée desdifférents présidents, il est clair,comme le résume Obama, que

résoudre la crise en Europe serala tâche prioritaire du G20. LePrésident chinois, son homologuerusse, Dilma Rousseff, la successeurbrésilienne du Président Lula, ontdes yeux ronds devant le happe-ning européen qui se joue sousleurs yeux.

Vendredi 4 novembreIl était urgent de mettre un termeau cafouillage du G20, à son em-prisonnement dans les problèmesgrecs : Nicolas Sarkozy a repris

l’offensive. Cette journée est lasienne, et celle de Barack Obama.Aujourd’hui, c’est main dans lamain qu’ils prennent les rênes duG20. Sur le fond, pas de grandeavancée : on dénonce commed’habitude les paradis fiscaux, onn’arrive pas à se mettre d’accordsur la taxation des opérationsfinancières, mais l’atmosphère estmeilleure que la veille et lesbonnes volontés sont là.Le plus important de ce G20 s’estjoué ce soir, devant les caméras deTF1 et de France 2 : un show d’unevingtaine de minutes, un assautd’amabilités sans précédent entrele Président Obama et le Présidentfrançais. Un échange d’unedouceur infinie entre les deux.Un show réussi : les téléspectateurssontmassivement là. D’un sommetcommencé en catastrophe, et dontles résultats sont loin d’avoirété exceptionnels, ils retiendrontd’abord ces images du leaderdémocrate américain complimen-tant le leader de la droite française.De quoi, effet secondaire maisrecherché, saper le moral dessocialistes français.

Lundi 7 novembrePapandréou démissionne. Ce quiviendra ensuite, personne ne lesait.

CahiersdecampagnePlan large

George Papandréou. L’ancienPremierministregrec sommédes’expliquer àCannes.

Barack Obama et Nicolas Sarkozy. Unassautd’amabilités.

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Reprendre la caméraY visser l’œil droit. Suspendresa respiration. Ne pas bouger.Jamais bouger. Devenir invisible(ou presque). Un rituel, le mien,une passion : la mienne. Et, unenouvelle fois, filmer la politique« autrement ». Ces temps-ci, c’estun « feuilleton du réel », celuides présidentielles. Une histoireimmédiate.

Visser l’œil droitVertige de la chose publique cap-turée dans le viseur de la caméra :une comédie politique et trèshumaine, dont tous les Françaisseraient les acteurs, se donne àvoir depuis près de quarante ansà mes caméras. Celles-ci se font deplus en plus légères. Pas moi. Maisj’ai toujours l’œil gauche qui brilleet le droit plutôt émerveillé : je meretrouve là où je ne devrais pasêtre. En coulisses. Et j’en jubile.

Suspendre sa respirationJ’entre sans (trop) frapper dans lesétats-majors ou les congrès. Jecroise les fièvresmilitantes. J’écouteles piques et les polémiques, lelyrisme et le cynisme, les petitesphrases et les grandes envolées. Detout cela, je ne me lasse guèretant le spectacle de la vie politiqueme passionne et, oui, souventm’émeut. Joie de filmer la démo-cratie éruptive, les émotions fugi-tives ou tenaces, les trahisons oules coups de dague et, bien sûr, lesfidélités (toujours) renouvelées et(souvent) changeantes.

Reprendre la caméraC’est fait. Et ce fut diffusé surFrance 3, une première fois, puis surLCP. Et il en sera ainsi six fois, unefois par mois, jusqu’au lendemaindu deuxième tour. Polyphonierépublicaine. Héros récurrents.Une saga française.

NepasbougerCe fut à Tours. Ce jour-là, MarineLe Pen recevait des mains de sonpère le parti. Et j’ai vu le regard dupère sur la fille : la fierté. Maisaussi le chagrin. « Ce n’est plusmoi, c’est elle. Je m’efface. Dur, sidur. Elle prend la première place. Ellem’embrasse. C’est comme si j’étaismort, déjà. Mais c’est moi qui l’ai

levé haut le Front ! Jusqu’aux portesdu pouvoir. Quel talent cette Marine !C’est à lamaison qu’elle a tout appris :les chansons d’avant, le champagnedes fêtes et les fous rires de toujours.Et son discours à Jeanne d’Arc !!Combien de fois ai-je loué la Pucelle,exalté la bergère, glorifié la petiteLorraine ?Marine a su trouver d’autresaccents. Bravo. Je suis fière de mafille mais je ne la lâcherai pas aprèstrente-neuf ans de bagarre. Elle abesoin de moi ! La petite ! Je connaisla vie, ses effervescences et ses trahi-sons. Je lui dirai comment ménagersa voix, se méfier des laquais, taqui-ner la presse, titiller le populo, tout endéfendant ma France. »

Ne jamaisbougerEt filmer l’Eva (Joly) solitaire etfrémissante ravir le parti vert àl’animateur si cathodique qu’ilen paraissait, disait-on, imbattable.Personne ne misait un kopeck surEva ! Et pourtant ! Nous avonscroisé et filmé ce jour-là unegrand-mère tendre et désireuse dene pas quitter ses petits-enfantspour aller manifester sur lesplages où l’algue verte abonde.Eva, la victorieuse. On la laissera,

peut-être, ensuite sur la grève, seule,après s’être débarrassée du grandcathodique. À suivre. De près.

Devenir invisibleEt filmer les camarades s’écharper,mais dans la dignité, se déchique-ter, mais avec délicatesse, se dépe-cer, mais tendrement. Montebourgsurnage. Hautain et lointainfunambule au croisement desMitterrand et Chevènement dejadis. « Tous socialistes » et impec-cables, vraiment. Les primaires :un jeu démocratique nouveau quiringardisera ceux qui en rica-nèrent, tenants qu’ils sont d’un sys-tème politique sûrement ancien.

Devenir invisible (oupresque)Et retrouver la gauche. Un tempsorpheline et chagrine de DSK, elledevint « hollandaise ». Et Martine,la vaillante, paya pour Dominique.Carlton rouge. Passions et chucho-tements. Gros chagrins. Travailde deuil, toujours à faire. Oui, j’airetrouvé ces jours-ci une gaucheheureuse, sûre d’elle-même, volantsur les ailes d’une victoire qui luisemblait comme acquise. Militantssurdopés avec, pour les plus vieux,

le souvenir béni de mai 1981 quifrappe à la porte.

Reprendre la caméraC’est filmer la vaillance du géné-ral Copé qui, de dimanche endimanche, annonce les défaiteset tente de sauver ce qui peutl’être. En attendant Godot-Sarkozy.J’ai filmé son courage face auxchapelles dispersées et parfoiseffrayées de son camp : Droitepopulaire, sociale, humaniste,droite de droite et droite degauche. Et ringarde. Et jalouse. Etenvieuse car déchirée. Succès desprimaires, perte du Sénat. Dujamais rêvé. Ou cauchemardé. Dujamais vu, en tout cas.

Oui, reprendre la caméra (bis)Et assister au triomphe deHollande,l’autre pays du socialisme à lafrançaise. Le rond, le « mou » s’estfait sharp. Tous lui diront leuramour. Vassaux. Fidèles. De Vallsà Ségo : un sacre. Et son émotion,à lui, qui se rêvait roi depuis silongtemps.

Oui, reprendre la caméra (ter)Et filmer la droite sonnée, la gauche

revitalisée, Mélenchon au lyrismevolontariste encadré par un PCvigilant et une extrême gauche,pour l’heure, « poutouisée » oùOlivier et Arlette manquent...Alors, Mélenchon refait, à lui toutseul, le « congrès de Tours ». Àl’envers. Et avec talent.

Visser sonœil auviseurToujours. La télé, certes, diffusece feuilleton des coulisses sur letard. À destination de quelquesdémocrates sûrement insom-niaques (600 000, tout de même).Nous vérifions une nouvelle foisque la politique est une vraiepassion française. Notre feuille-ton semble donc séduire et tendà prouver qu’elle est bien belle,cette République en débat quisait faire – encore – chanter lesimages.

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Le réalisateur-journaliste aime la politique. Il l’observe à travers l’œil de sa caméra. Il aime lapolitique et les politiques. Pour France 3 et la Chaîne parlementaire, il les filme en campagne.De Poutou à Marine Le Pen en passant par Mélenchon, Hollande, Eva Joly ou Copé, aucunn’échappe à son regard. Pas plus que Sarkozy, le moment venu.

CaméramonamourEnquête

Àvoir chaque premier dimanchedumois sur France 3, à 23h15 :Élysée2012, LaVraieCampagne.Et sur la Chaîne parlementaireLCP :Objectif Élysée,débathebdomadaire en premièrediffusion chaque samedi à 19h15.

ParSergeMoati

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Défis

Bel : cent jourspour virer àgauche

En prenant les habits du pré-sident du Sénat, le socialisteJean-Pierre Bel sait que repose

sur ses épaules une lourde tâche.Il lui faut « faire vivre le changement »,comme il l’a dit lui-même, etmon-trer surtout que le PSpeut agir autre-ment. Que la gauche est enmesurede tenir les rênes du pouvoir, aveccrédibilité et responsabilité, dansune période de crise maximale.Mais le temps presse. Il ne reste quequatremois. Les sénateurs ne siége-ront réellementque jusqu’en février.Après sa désignation, François Hol-lande a d’ailleurs vivement enjointles sénateurs à se mettre au travail,dans une institution, certes, peuencline à des révolutions de palais.«LebasculementàgaucheduSénatpeuts’apparenter à la prise de la Bastille,mais la réforme de l’institution ne sefera pas en une nuit, comme celledu 4-Août », ironise la sénatriceLaurence Rossignol (PS, Oise).Jean-Pierre Bel a réussi la premièreétape, c’est-à-dire l’élection desprésidents des commissions enrespectant les composantes de lamajorité. « Il sait ce que signifie levivre ensemble », s’enthousiasmela vice-présidente aubryste BarizaKhiari. « Il a l’art de la méthode », ren-chérit la sénatrice Marie-ChristineBlandin (EELV, Nord), qui salue,

comme tous ses camarades écolos,la création d’un groupe écologisteet d’une commission sur le déve-loppement durable. « La gauche etles écologistes ont donné une bonneimage d’entente », commente Jean-Vincent Placé (EELV, Essonne).Même à droite, l’attribution de la

présidence de la commission desfinances au sénateur UMP PhilippeMarini (Oise) a été appréciée.« Pour le moment, on a unealternance républicaine sereine. Leprésident avait promis un comporte-ment dans la tradition de la HauteAssemblée, c'est à ce jour respecté »,s'est félicité Jean-Pierre Raffarin(UMP, Vienne).

Envoyer des messages clairsSa première mission remplie, Jean-Pierre Bel entend donner corps àl’opposition par le biais du travaillégislatif. Vote, rejet des textes oupropositions de projets de loi (PPL),il s’agit de trouver le bon dosagepour marquer la différence, sansentamer la crédibilité du Sénat.« Il ne faut pas être dans une logiqued’opposition systématique, maisconstructive »,noteCatherineGénis-son (PS, Pas-de-Calais). « Il est néces-saire d’envoyer des messages clairs etdemettre enœuvre des initiatives emblé-matiques de nos futures réformes »,ajoute Jean-Pierre Sueur (PS, Loiret).Premier tour de chauffe : le rejet, le24 octobre, de la proposition de loidu députéUMPÉric Ciotti prônantl’encadrement militaire des jeunesdélinquants. Un projet jugé malficelé et répondant à une logiqued’affichage. « La loi nécessaire, ce

n’est pas la loi “fait divers” », avait rap-pelé Jean-Pierre Bel dans son dis-cours du 11 octobre. Les critiques àdroite et au centre fusent : en dépo-sant unemotion de rejet préalable,la gauche a privé le Sénat de débat.« Le président a toléré une attitudeidéologique, c’est une maladresse.

Il ne doit pas être l’otage de sa majo-rité », assène le sénateur centristeJean-Marie Bockel (Haut-Rhin).Pour la loi de financement de laSécurité sociale puis celle desfinances 2012, la gauche possèdeunemargedemanœuvreplus faible.Pas question de passer pour desirresponsables. Néanmoins, ils’agit de donner les contours duprogramme du candidat FrançoisHollande. « Le Sénat est devenu lelieu de communication du programmeprésidentiel de la gauche », raille lavice-présidente de la commissiondes finances Fabienne Keller (UMP,Bas-Rhin). Avant d’être présentéen séance publique à partir du7 novembre, le texte sur le budgetde la Sécurité sociale a déjà été rejetéen commission. La gauche sénato-riale demande notamment la sup-pressionde la taxe sur lesmutuelles.Pour la loi de finances, exposéedès le 17 novembre, les amende-ments mettront l’accent – commeà l’Assemblée nationale – sur l’aug-mentationdes recettes et la taxationde publics ciblés.

Des propositionsà valeur symboliquePour faire entendre sa musique, lagauche sénatoriale souhaite aussiprofiter des séances d’initiative par-lementaire. Le 3 novembre a étéprésentée lapropositionde loi visantà rendre obligatoire la scolarisationdès l’âge de trois ans. Une réponse

au « saccagepar la droite de l’Éduca-tionnationale ». La contre-offensivedu Gouvernement ne s’est pas faitattendre. Le ministre Luc Chatel ainvoqué l’article 40 de la Constitu-tion pour repousser le texte, sansexamen préalable. « Il s’agit ni plusni moins d’un coup de force contraire àla démocratie », fustige le présidentdu groupe PS, François Rebsamen,qui entend ne pas en rester là.Parmi les autres propositions de loià haute valeur symbolique, figure,en effet, à l’agendadu15novembre,le changement du statut pénal duchef de l’État, inscrit aussi dans leprogramme de François Hollande.L’abolition du conseiller territorial,pierre angulaire de la réforme ter-ritoriale voulue parNicolas Sarkozy,sera exposée en séance publique, le16novembre.«On sauve lesmeubles,en attendant d’aller plus loin », ana-lyse la sénatrice Corinne Bouchoux(EELV, Maine-et-Loire). Le droit devote des étrangers pour les élec-tions locales, soutenu là aussi par ledéputé deCorrèzemais critiqué parune partie de la droite, arrivera dansl’hémicycle le 8 décembre. Le texteavait été adopté à l’Assembléenationale en 2000, sous Jospin,mais n’avait jamais été étudié parla majorité sénatoriale précédente.Tout un symbole.

Sobriété et transparenceCourant octobre, Jean-Pierre Bel dé-jeunait avecdes sénateurs socialistes.

Très vite le sujet épineux de laréserve parlementaire est arrivé surla table. Faut-il supprimer ou réfor-mer cette cagnotte de 55 millionsd’euros mise à la disposition dessénateurs et redistribuée aux éluslocaux pour financer des investis-sements ? Malgré la pression decertains sénateurs aubrystes et éco-logistes, qui voient dans cette enve-loppe l’illustration d’un systèmeopaque et clientéliste, le présidentdu Sénat n’a pour le moment pasdonné suite. « Jean-Pierre Bel n’estpas un va-t-en-guerre mais un hommede consensus, qui écoute les uns et lesautres », argue son entourage. Surle sujet de la transparence, le pré-sident a préféré d’abord accepterle principe du contrôle de la Courdes comptes. Conscientque le Sénatn’a pas toujours bonnepresse, Jean-Pierre Bel veut surtout rendre laHaute Assemblée plus modestedans son fonctionnement. Baissedu budget, révision à la baisse desprogrammes de travaux, passageau crible des groupes d’études,réduction de la flotte automobileet achat de véhicules hybrides (sousl’influence des écolos), tels sont lespremiers jalons posés.Ungroupedetravail devrait plancher sur le sujet.Devant ces annonces, la sénatriceUMP Fabienne Keller reste dubita-tive : « J’attends de voir les actes. Pourle moment, j’ai surtout vu une gauchesénatoriale s’installer dans les fauteuilset s’approprier les voitures. »

Le train de sénateur n’y suffit plus. Jean-Pierre Bel veut accélérer le travail de la Haute Assemblée.Il entend faire du Sénat de gauche le laboratoire d’expérimentation d’idées dont certainespourraient structurer le programme du candidat socialiste François Hollande.

ParPascaleTournier

Leprésident socialisteduSénat,Jean-Pierre Bel, aucôtédeFrançois Hollande qui répondauxquestionsdes journalistesdans la courdupalais duLuxembourg. PHOTO FRED DUFOUR/AFP

Jean-Pierre Raffarin. LesénateurUMPde laVienneestimeque,jusqu’àprésent, le nouveauprésidentde laHauteAssembléeaadoptéuncomportementserein conformeà l’alternance républicaine.PHOTO JACQUES DEMARTHON/AFP

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Pour le moment, les deuxcandidates « écolos » jurentla main sur le cœur qu’elles

iront jusqu’au bout. Officiellement,Eva Joly et Corinne Lepage serontau premier tour. Sauf qu’il est toutà fait possible d’envisager d’autrespossibilités, à savoir une sur deuxou… zéro ! La candidature d’EvaJoly ne décolle pas. Elle est scotchéedans les sondages autour des 5 à6 %, bien loin des scores d’EuropeÉcologie-Les Verts aux européenneset aux régionales, avec le risqueréel de ne pas atteindre les 5 %, etde passer à côté du remboursementdes frais de campagne. À quoi bonprendre un pari compliqué tant

sur le plan financier que sur le planélectoral ? Car à moins de 5 %,Eva Joly pourrait arriver derrièreJean-LucMélenchon, et le partagedes circonscriptions poseraitforcément problème, tout commel’éventuelle formation d’un gou-vernement. Si Eva Joly continue deplafonner dans les sondages, ilserait encore possible de revenir àla préconisation de Daniel Cohn-Bendit : pas de candidat à la prési-dentielle, ralliement dès le premiertour au candidat PS en échangenotamment d’un groupe parlemen-taire à l’Assemblée. Le problème,

c’est qu’à l’époque de cette propo-sition EELV pesait beaucoup plusque 5 % ! Il se dit que certainscommencent à semordre les doigtsd’avoir renvoyé Nicolas Hulot enBretagne.De son côté, Corinne Lepage peutavoir le sourire. Son annonce decandidature au vingt heures deTF1 a été une très belle opérationde com’ et son positionnement estoriginal. Ex-ministre de Chirac etJuppé, de mai 1995 à juin 1997,elle s’est ensuite tournée vers leModem, avant de claquer la porte.Aujourd’hui, sa ferme oppositionau nucléaire lui bouche la porteà droite (voir ci-contre). Sa seule

perspective, si elle veut jouer unrôle actif, est de rejoindre FrançoisHollande. La question est tranchée :même si elle ne l’a pas encore dit,elle le soutiendra. Reste à savoirquand. Deux hypothèses : si EvaJoly se retire, elle pourrait soitrenoncer également, soit allerjusqu’au bout avec le soutienpotentiel du PS pour réunir les500 signatures, car tout ce qui serabon pour affaiblir EELV sera bien-venu. Si Eva Joly se maintient,Corinne Lepage renoncerait alorsà se présenter et soutiendraitFrançois Hollande dès le premier

tour avec pour objectif de priverla candidate EEVV de quelquesvoix, d’en rallier quelques-unesdu côté des « centristes écolos »anciennement « chez Borloo » et

d’autres chez les sympathisantsécologistes méfiants face à l’in-transigeance verte. Elle pourraitenfin accueillir tous ceux qui ontété choqués par le sort réservé à

Hulot. Des sources bien informéesaffirment que Corinne Lepagepourrait se voir confier ensuite unsecrétariat d’État consacré… à lasortie du nucléaire.

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Le bras de fer entre socialistes et écologistes n’est pas terminé. François Hollande optepour la fermeté face à des verts affaiblis par une candidate dont la campagne ne décolle pas.Eva Joly est en outremenacée sur sa droite par la candidature de Corinne Lepage.Dossier préparé par Jean-Louis Caffier

Lenucléaire encampagneEnquête

Les leaders d’EELV ont beaumaintenir leur exigence desortie totale et programmée

du nucléaire, ils savent pertinem-ment qu’ils ne l’obtiendront pasde François Hollande. Le candidatdu PS maintient sa propositionde faire passer la part du nucléairedans la production d’électricitéde 75 à 50 % d’ici à 2025. Celareprésenterait 6 % de la consom-mation totale et actuelle d’énergieen France.C’est une fois de plus LaurenceVichnievsky, membre du bureauexécutif d’EELV, qui a vendu lamèche. Le 18 août dernier, elleaffirmait que le retour à la retraite

à 60 ans était une lubie. Elle enavait perdu son poste de porte-parole. Le 25octobre, rebelote dansune tribune publiée dans Libérationsous le titre « La portée historiquedes propositions de Hollande ».Elle écrivait : « Soyons réalistes, de-mandons le possible. »Cette déclara-tion lui avait valu de nombreusesremontrances, moins sur le fondque sur la forme. Tout le mondereconnaît que François Hollande afait un effort dans le sens des verts,mais surtout il ne fallait pas le diresi vite alors que les négociationssont en cours. Eva Joly et CécileDuflot vont devoir expliquer pourne pas trop perdre la face qu’elles

acceptent la proposition Hollandecar il s’agit d’une étape sur lechemin de la sortie. En revanche,la question de l’avenir de l’EPRde Flamanville n’est pas tranchée.Le candidat PS ne souhaite pasabandonner ce chantier. Le com-promis pourrait être le suivant :on finit Flamanville mais, promisjuré, ce sera le dernier et dans lafoulée on confirme l’abandon del’autre projet EPR à Penly. Enfin,un vaste débat devrait être lancésur l’ensemble de la questionénergétique et pourrait sedérouler sous une forme prochedu Grenelle et s’achever par unéventuel référendum.

Une dernière épine écologiquegène la marche vers un accord,c’est le projet d’aéroport deNotre-Dame-des-Landes, près deNantes. EELV y voit une véritableprovocation alors qu’est engagéela lutte pour la baisse des émis-sions de gaz à effet de serre, sujetaujourd’hui en retrait, mais quiva revenir fort notamment lorsde la conférence deDurban, débutdécembre. François Hollanden’affiche pas un attachementtrès marqué pour ce projet. Maisce dernier est en revancheardemment soutenu par Jean-Marc Ayrault. Les discussionssont loin d’être terminées.

Atomic mac électoral

«CORINNE LEPAGE DEVRAITSOUTENIR FRANÇOIS

HOLLANDE… AVANT OU APRÈSLE PREMIER TOUR »

Mode d’emploi pour la sortie du nucléairepar Corinne Lepage

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Quel est le sensdevotrecandidature faceàcelled’Eva Joly?C.L. : J’ai décidé d’y aller car monprojet est républicain et écologistemais il est aussi pragmatique etréaliste. Personne ne porte ceprojet-là. Ma proposition de sortirdu nucléaire n’est pas idéologiquemais économique et industrielle.Le débat ne doit pas porter surune sortie en 2035 ou 2044. Per-sonne n’en sait rien !

Alors, quelle est laquestion?C.L. : Le seul sujet c’est de savoir sion continue ou si on arrête. Moi,je veux arrêter et assurer la transi-tion sans renier le savoir-fairefrançais. Par exemple, avec Areva,qui ne vend plus de centralesaujourd’hui et qui est en grandedifficulté, nous avons tout pourdevenir les leaders mondiaux dudémantèlement. Je propose quele cash flow du nucléaire serve aufinancement des renouvelablesavec par exemple la filière d’EDF,qui peut très bien devenir un grosproducteur y compris à l’export.

Mais laFranceest très en retard?C.L. : Oui, mais il n’est pas troptard. Il n’y a pas d’autre grandsecteur pour redéployer notreindustrie. Le textile et l’acier ne re-viendront pas. Pensons à l’avenir.

Lesénergies fossiles et leréchauffement climatique,on laisse tomber?C.L. : Non bien sûr. Il faut conti-nuer et se tourner vers un vrai prixà fixer au carbone. Pour le climat, ilfaut tout essayer afin d’éviter lacatastrophe totale.

En raisondunucléaire, voussoutiendrezFrançoisHollande?C.L. : Disons simplement quema position est actuellement in-compatible avec celle de NicolasSarkozy et de l’UMP.

Propos recueillispar Jean-Louis Caffier

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Alors que les régionscélèbrent le mois de l’Éco-nomie sociale et solidaire

(ESS) à travers plus d’unmillier demanifestations, les collectivitéslocales rappellent leur rôle enmatière de développement durable.« Je suis fatigué de ces grands sommetsinternationaux, de ces grands-messesqui produisent du vent et où, aufinal, ce sont vingt personnes quidécident de faire, ou de ne rien faired’ailleurs », dénonceMartinMalvy.Pour le président de Midi-Pyré-nées, première région française àavoir concrétisé un Agenda 21reconnu par l’État, il n’y a d’actionque « sur le terrain ».Avec 1 126 contributions concrètes– en matière d’aménagementurbain, de gestion des ressourcesnaturelles, de développement local,d’éducation, d’actions sociales ouencore de solidarité –, plus d’unmillier de participants et 3 000 per-sonnes associées via Internet etdans les ateliers délocalisés, « lapreuve est faite par l’exemple », estimeencore Martin Malvy à l’issue desassises toulousaines. Un ensemblede contributions consultables enligne sur www.andd.fr afin de« penser local pour agir global ».« La plus petite action reproduite desmilliers de fois peut contenir à termeune partie de la solution. Les petitsruisseaux feront les grandes rivières,j’en suis convaincu. »

L’Alsace expérimenteles métiers vertsQuelques exemples : au collèged’Onet-le-Château, dans l’Aveyron,les élèves trient ainsi leur plateau-repas après chaque déjeuner.Transformés en compost, les dé-tritus servent d’engrais pour lesespaces verts de la ville. À Barjac,

dans le Gard, une association aacheté une ferme céréalière poury installer des agriculteurs biodont les produits permettentd’approvisionner le restaurantmunicipal. En Haute-Garonne,

la ligue de tennis récupère lesvieilles balles qui, une foisbroyées, servent à confectionnerdes tapis de sol. Les démarchesprésentées ne visent pas unique-ment « un développement économique

respectueux de l’environnement »,explique Françoise Dedieu-Casties,vice-présidente de la région encharge du développement durable.« Dans la plupart des contribu-tions, nous retrouvons la prise encompte d’aspects sociaux, maisaussi culturels. »Jean-François Caron, maire deLoos-en-Gohelle (Pas-de-Calais),lui, veut appliquer le développe-ment durable à travers une démo-cratie participative qui impliqueactivement les habitants. « Une ba-guette magique » qui a notammentpermis une « chute radicale des inci-vilités et de la délinquance », affirmele maire de la commune. Quant àVéronique Marendat, maire deSegonzac (Charente), elle s’efforcedésormais « d’apporter aussi du bien-vivre » à ses administrés, depuis

que sa commune, la premièreen France, a adhéré au réseauinternational des Cittàslow, ou« villes lentes ».Conscient des enjeux – les215 000 associations, coopéra-tives, mutuelles et fondationsregroupées au sein de l’ESS repré-senteraient 2,3 millions de salariés– le ministère de l’Écologie aélaboré un « plan de mobilisationdes filières et des territoires pourle développement des métiers del’économie verte ».Expérimenté en Alsace depuis larentrée, ce plan a pour objectifd’amplifier le développement desactivités et des emplois de l’écono-mie écologique, et d’en faire uneopportunité d’accès à l’emploi.« Le plan alsacien met plus particu-lièrement l’accent sur l’agriculture,l’efficacité énergétique et l’automo-bile », résume Martine Calderoli-Lotz, vice-présidente du conseilrégional d’Alsace. Il comprend unesérie d’actions dont les premièresconsistent à identifier les métiersémergents ou modifiés du fait del’économie verte, pour adapterl’offre de formation ou en faire unprojet professionnel. La démarchevisera aussi à élaborer des diag-nostics en lien avec le marchéde l’emploi, les recrutements ouencore les impacts de l’économiedurable sur la formation initiale.

Un Grenelle de l’Environnement« en lambeaux »Une autre piste pour mobiliser lesélus et les citoyens s’appuie sur leportail toutsurlenvironnement.fr.À travers lui, la démocratie éco-logique a franchi « une étapeimportante » estime NathalieKosciusko-Morizet, qui a inauguréà Perpignan la plus grande centralephotovoltaïque d’Europe. « En ac-compagnant les collectivités localesdans l’appropriation de cet outil, jesouhaite accroître encore sa pertinenceau service des citoyens et démontrertoute la force des outils numériquesdans la mise en œuvre des objectifs duGrenelle de l’Environnement. »Mais pendant que la ministre del’Écologie promettait que les ob-jectifs 2020 du Grenelle de l’Envi-ronnement seraient tenus en 2016,voire 2015, un sondage CSA indi-quait que la majorité des citoyensfait « davantage confiance » à leurrégion, à leur département ou à

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Initiatives6es Assises nationales du développement durable

Échappée verte en Midi-PyrénéesQuatre ans après le Grenelle de l’Environnement, les régions se sont emparées du«NewDealécologique » promis par Nicolas Sarkozy. Plus d’unmillier d’initiatives locales enmatièrede développement durable a été répertorié à Toulouse en vue du sommet deRio de 2012.

«LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALESEST ESSENTIEL DANS LA MISE EN ŒUVRE

DES ACTIONS EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENTDURABLE » Martin Malvy

Réconcilier nature et aménagement du territoireRéduire l’étalement urbain,maintenir et restaurer

un réseau de « corridors écolo-giques » pour permettre ledéplacement des espèces, pré-server la fonctionnalité desécosystèmes, améliorer la qua-lité et la diversité des pay-sages… Tels sont les objectifsde la Trame verte et bleue(TVB), dont le comité national

a été présenté cet automne.Dévoilée l’an dernier commela mesure phare du Grenelle del’Environnement, la démarchevise à concilier l’aménagementdu territoire avec une meilleureprise en compte des écosys-tèmes. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, « la mise en place dela Trame verte et bleue contribueà préserver le capital naturel

mais également à offrir un cadrede vie attrayant pour les popu-lations et un environnementfavorable au développement desactivités économiques et touris-tiques ». Présidé par JérômeBignon, député de la Somme,le comité national a pourmission de garantir la cohé-rence des actions menées surl’ensemble du territoire.

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On ne veut pas rester dans unelogique de réparation, on veut

porter une vision dynamique de nosvilles », affirme Claude Dilain.Théâtre des premières émeutes enbanlieue à l’automne 2005, Clichy-sous-Bois et Montfermeil tententaujourd’hui une métamorphoseautour d’un projet audacieux :accueillir dans la tour Utrillo, unancien immeuble de bureaux, unespace culturel qui hébergerait desartistes et serait ouvert aux habi-tants de la cité des Bosquets.La tour de dix-sept étages, pro-mise à la démolition il y aquelques mois, est désormais eninstance de classement. « Elle estappelée à devenir un centre culturelde rayonnement considérable »,assure Frédéric Mitterrand, qui aobtenu le feu vert pour sonrachat. « De surcroît, une station demétro de la grande boucle de Pariss’arrêtera juste à son pied. »

« Un lieu de diversité »« Évidemment c’est un pari fou !Cette idée nous trotte dans la têtedepuis longtemps. Elle était bonnemais pas encore complètementcrédible au regard de l’état de notre

territoire », confie Xavier Lemoine,maire (UMP) de Montfermeil. Ilexplique : « Ce ne sera pas uneénième résidence d’artistes, il y en adéjà à Paris et en banlieue. Il nousfaut apporter de l’excellence, del’exigence, de l’exception. Pour cela,je crois beaucoup au terme de Villa

Médicis », un centre qui hébergedepuis 1803 l’Académie de Franceà Rome et symbolise l’excellencefrançaise.« On ne veut pas en faire un lieu dela relégation par rapport à Rome,

mais un lieu de la diversité, avec unevision moderne autour de l’urbain etde la ville. On pourrait faire venirdes gens des banlieues de São Paulo,d’Afrique, de New York. C’est unpari pour l’avenir à dix ou quinze anset je suis assez fou pour y croire. »

L.B.

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leur municipalité qu’à l’État enma-tière de développement durable.Un résultat jugé « préoccupant » parMartin Malvy. Car si les collectivi-tés locales jouent leur rôle, ellessont orphelines d’une volonté na-tionale et internationale forte.« Aujourd’hui, rien ne se fera sans quecela parte d’en bas. Le budget desrégions consacré à la durabilité et àla mobilité en témoigne. Elles y consa-crent 5,5 milliards d’euros par analors que le budget du ministères’élève à 9,8 milliards d’euros. »Pascal Durand, porte-parole d’Eu-rope Écologie-Les Verts, enfoncele clou. Face à la décision del’Assemblée nationale de reporterl’obligation faite aux entreprisesde rédiger un rapport annuelsur l’environnement, il dénonceun « nouveau coup » porté à unGrenelle de l’Environnement qui« part en lambeaux ».

Une « généralisation loin d’êtreatteinte »Pour les participants de Toulouse,l’idée n’est pas de dresser un in-ventaire à la Prévert des initiativesen cours. « Nous travaillons davan-tage à leur transférabilité, à leurgénéralisation, tant dans le domainedes ressources naturelles, de lamaîtrise de l’énergie que celui desdéchets ou de l’urbanisme », expliqueFrançois Simon, conseiller régio-nal Europe Écologie-Les Verts. Desdémarches qui seront regroupéesprochainement au sein d’un« Bottin de l’action locale » afin

de favoriser la diffusion à grandeéchelle des expériences.Car si les collectivités espèrentvoir se disséminer leurs initiativespour le développement durable,leur « généralisation est loin d’êtreatteinte », observe Jacques Ravail-lault, directeur exécutif de l’actionterritoriale à l’Agence de l’Envi-ronnement et de la maîtrise del’Énergie (Ademe). « J’ai proposé la

création d’un réseau permanent deréférence des initiatives locales, quiinformera et démultipliera les bonnespratiques à reproduire », rétorquele président de la région Midi-Pyrénées et porte-parole de l’ARF.Pour faire évoluer les mentalités,l’eurodéputé Pascal Canfin pro-pose sa solution : susciter l’enviede changement en faisant appelaux valeurs des habitants, et à

leurs intérêts économiques. Lesélus pouvant agir à travers lesnormes qu’ils édictent. « Le rôle descollectivités territoriales est essentieldans la mise en œuvre des actions enfaveur du développement durable »,souligne Martin Malvy, dont lemémorandum des initiatives ré-gionales sera présenté au sommetde la Terre Rio +20 en 2012.

Ludovic Bellanger

UneVillaMédicis enSeine-Saint-DenisExporter le concept de la VillaMédicis dans une tour de Seine-Saint-Denis, le pari « fou » deClaudeDilain (PS) et deXavier Lemoine (UMP),maires de Clichy-sous-Bois et deMontfermeil,est aujourd’hui soutenu par leministère de la Culture.

«CETTE IDÉE NOUS TROTTEDANS LA TÊTE DEPUIS

LONGTEMPS. C’EST UN PARIFOU » Xavier Lemoine

SOUVIGNYAPPELLEAUMÉCÉNAT� Engagée dans un vaste programmederéhabilitation de son patrimoine, la ville deSouvigny, dans l’Allier, a décidé de faire appelaumécénat populaire pour boucler le budgetde rénovation de sa Chapelle vieille. Uneconvention a été signée avec la Fondationdu patrimoine afin que celle-ci collecte lesdons des particuliers et des entreprises.

DESSERVICESENLIGNESURBESANÇON.FR� C’est une première en France. Les Bisontinsont accès depuis cet automne, via le siteInternet de la collectivité, à un espacepersonnel qui rassemble plus d’une quinzainede services en ligne. Outre les crèches etla cantine scolaire, les habitants peuventsuivre la gestion des orduresménagères, laconsommation d’eau, consulter le cahierde texte des enfants scolarisés dans uneécole élémentaire, les livres en prêt à labibliothèque ou encore les demandesde permis de construire.

UNJARDINDEPOLLENSDANSLENORD�Destiné à surveiller les plantesallergisantes, un jardin de pollens a étéinstallé à Villeneuve-d’Ascq (Nord).Opérationnel au printemps prochain, ilpermettra de lancer l’alerte dès les premièresémissions. Les relevés serontmis en lignesous la formed’unemétéo pollinique(www.appanpc.fr). « L’intérêt est d’anticiperles risques, pour permettre aux personnesallergiques de prendre desmesures deprécaution, et de réduire leur consommationdemédicaments par la suite », précisela chargée d’études, Laëtitia Davranche.

En bref

MartineCalderoli-Lotz.Vice-présidenteduconseil régionald’Alsace.Elledéfendpour sa régionunplandevalorisationdesmétiersde l’économievertequi s’appuie sur l’agriculture, l’efficacitéénergétiqueet l’automobile.

ClaudeDilain.MairePSdeClichy-sous-Bois.

XavierLemoine.MaireUMPdeMontfermeil.

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Par Éric Fottorino

Quelle figure a donc pu ins-pirer le président de l’As-sociation des Maires de

France, Jacques Pélissard, maire deLons-le-Saunier depuis plus devingt ans et député du Jura depuis1993 ? Un tel parcours d’élu feraitpencher pour un chantre de ladémocratie parlementaire et parti-cipative. Avant qu’il nous accueilleà son bureau de l’AMF, on se ditqu’il va peut-être sortir de sonécharpe tricolore un « compatriote »jurassien. Sans doute est-il trop« centre droit » pour brandir l’imaged’Edgar Faure. Mais pourquoi pasJules Grévy, natif de Mont-sous-Vaudrey et avocat comme lui,qui présida l’Assemblée nationaleavant de devenir chef de l’État àdeux reprises sous la IIIe Répu-blique, pour deuxmandats ? Un telchoix ne serait pas déplacé : JulesGrévy fit adopter le 14-Juillet et laMarseillaise comme symboles répu-blicains. Il transféra les chambresparlementaires à Paris et la prési-dence au palais de l’Élysée.

Leçon d’histoireMais ô surprise, si Jacques Pélissarden pince pour un confrère dubarreau, celui-ci porte un nom trèslourd, bien qu’allégé du poids de satête : Maximilien de Robespierre,rien de moins. Passé l’effet de sur-prise, entendre le président desmaires de France évoquer la mé-moire et l’action de «Maximilien »,comme il l’appelle familièrement(c’est d’ailleurs le prénom qu’ildonna à son fils), est une véritableleçon d’histoire. Passionnante etcomme toujours plus nuancée,plus subtile que l’image terrifiantelaissée dans les manuels parl’homme de la Terreur.Robespierre était donc avocat,et en Jacques Pélissard il trouvepost mortem un défenseur aussidéterminé que convaincant. Pourl’élu jurassien, trois aspects durévolutionnaire lui font trouvergrâce à ses yeux. D’abord « sa ri-gueur totale ». Dans cette époquetroublée où Mirabeau traficoteavec les émigrés de Coblence etoù Fabre d’Églantine boursicote

sur les actions de la Compagniedes Indes, maître Pélissard estformel : « Robespierre est incorrup-tible. » Autre qualité prêtée au chefdes Jacobins : « Sa rigueur dans lalutte contre l’ennemi intérieur. Aussihorrible soit-elle, sa volonté de ratio-naliser la terreur est intéressante enmatière d’organisation. » Pour unpeu on frémirait si on n’avaitpas face à nous un authentiquedémocrate, artisan inlassable durassemblement dans ses fonctionsà la tête de l’AMF, bien au-delàdes frontières partisanes de l’UMP,sa famille politique.Dernier atout de Maximilienperçu par Jacques Pélissard : « lacohérence de ses jugements ». Maisencore ? « Il a voté la mort de LouisCapet en estimant qu’il ne pouvaitpas être innocent. Il aura d’ailleurscette phrase extraordinaire : si le Roiest présumé innocent, que devient laRévolution ? »

Une passion raisonnéeOn s’étonne de trouver notre hôtesi affûté, si on ose dire, s’agissantd’évoquer à brûle-pourpoint et demémoire les paroles du révolu-tionnaire français. On comprendmieux une fois remonté auxsources de cette passion. Jeuneavocat devenu secrétaire de laconférence du stage au barreaude Lyon, au début des années1960, Pélissard avait choisi dedéfendre Maximilien dans untexte intitulé Robespierre ou laterreur et la vertu. Une solide plai-doirie d’une trentaine de pagesqu’il offrit plus tard à son épousequand celle-ci, s’avisant qu’ilsfêtaient leurs noces de papier– trente-sept ans de mariage ! –,lui demanda pour présentquelques écrits significatifs. Ils’exécuta derechef en produisantces pages remplies d’une passionraisonnée pour Robespierre qui

continuede l’habiter.Mme Pélissardne put que réserver un accueil dechoix à ce don original et authen-tique, concocté d’une main aussijuvénile que ferme. Nul doutequ’avec un tel défenseur Maximi-lien aurait gardé plus longtempssa tête sur les épaules.Il faut lire ce texte rédigé avecfougue pour comprendre l’aplombde Jacques Pélissard à saluerl’action et la vision de Robespierre.Certes, il reconnaît sonmanque decourage physique, son côté propreet poudré qui le pousse, après lafusillade du Champ-de-Mars, à fuirle bruit et la fureur pour se réfugierchez lemenuisier Duplay. Les joursde violence, les jours de sang, il secache, il est absent. C’est un intel-lectuel, un conceptuel, dépourvudu courage d’un Napoléon. « Maisl’Histoire l’a mal jugé, soutient-il. Il arationalisé la Révolution, c’est l’essen-tiel. Ensuite, avec la Terreur, il a été

dépassé sur sa gauche par certainséléments comme l’accusateur publicFouquier-Tinville, qui demanda lapermission de dresser l‘échafaud dansla cour du tribunal. »

Précipité chimiquePour Jacques Pélissard, la réfé-rence à Robespierre relève d’unprécipité chimique : il admireNapoléon (après qu’enfant il eutrévéré Bonaparte) pour le Codecivil et sa vision d’une nation cen-tralisée, et aussi pour sa bravoureflamboyante. Et s’il voue un cultede jeunesse à Robespierre l’incor-ruptible, c’est qu’il privilégie lepenseur sur l’homme d’action.Dans son esprit, la synthèse deNapoléon et de Robespierre estincarnée par de Gaulle avec sonsens inégalé de l’État, qu’il voulaitfort et respecté, dans un soucijaloux de la puissance de la France.Le cheminement est logique, lim-pide même, bien qu’inattendu.C’est en lisant ce texte de jeunesse,Robespierre ou la terreur et la vertu,qu’on prend toute la mesure dela sincérité de Jacques Pélissarddans son ode au grand homme.Son entame résonne étrangementaprès la diffusion des imagessi choquantes du lynchage deKadhafi : « Il gît, allongé sur unetable dans la salle d’audience duComités de salut public. Une boîtede pains de munitions de l’arméedu Nord a été glissée sous sa tête, lesang coule de sa mâchoire brisée sursa chemise rougie et sur son habitbleu ciel. Faisant cercle autour delui, des hommes armés l’observent,quelques-uns l’insultent […]. Il n’estbientôt plus qu’un corps mutilé surlequel on répand de la chaux vive. »Nous sommes le 10-Thermidoret Robespierre, ce « revenant del’avenir » ne veut plus vivredans l’intrigue, qui « triompheéternellement de la vérité ». Cen’est pas le moindre mérite decette plaidoirie pour l’histoired’avoir rétabli le père controverséde la Révolution dans sa dimen-sion humaine la plus complexe,la plus intéressante. La plusmoderne aussi.

Onpeut être UMP,maire de Lons-le-Saunier, député de lamajorité et vouer une véritablepassion àun révolutionnaire qui nepassait pas franchementpour un libéral ! C’est dumoins cequ’affirme leprésidentde l’AssociationdesMaires deFrance, JacquesPélissard, dans ceportraitpolitiquement incorrect !…

Moi, Pélissard, de droite, et défenseurde Maximilien (Robespierre)!

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L’admiroir

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Àdistance

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C’est le dessinateur Wiazqui résumait le mieux ledilemme la semaine dernière

dans le Nouvel Observateur, avec unislamiste libyen aux dents longues,tout sourire et sabre au clair, quidemande à un groupe de femmesportant tchador : « merci qui ? »Sous-entendu, pour le verrouillagepostrévolutionnaire des droits dela femme. Et les musulmanes derépondre en chœur « Bernard-HenriLévy !!! » Caricature, évidemment,mais les déclarations du nouveaumaître provisoire libyen,MoustafaAbdel Jalil, sur la charia ont jeté unfroid à Paris comme à Londres, oùl’on s’est tant dépensé pour aiderles révoltés à renverser leur tyran.Tout comme les violentes mani-festations intégristes en Tunisiedepuis l’excellent score d’Ennahdaaux premières élections libresinquiètent les chancelleries. Sansparler de l’élection égyptienne finnovembre, qui devrait consacrer laprééminence des Frèresmusulmansà travers les candidats qu’ils sou-tiendront, avec tous les impactspossibles en matière de contenude la future Constitution, de rela-tions entre les communautés

musulmanes et coptes ou de terraind’entente à trouver avec les mili-taires. L’historien de la décoloni-sation Benjamin Stora écrivaitdéjà avec beaucoup de luciditéen juin dernier 1 que les peuplesarabes se posaient la question desavoir comment renouer avecleur « histoire confisquée » par lesdictateurs.

Islam et pluralismeLa répression impitoyable del’islamisme pendant plus de trenteans en Tunisie comme en Égypteet son instrumentalisation en Libyeont conduit les islamo-conservateursà se demander s’il fallait soutenirdes mouvements de contestationqu’ils n’avaient pas initiés, puis àaccepter de jouer le jeu du plura-lisme en participant à des scrutinsqu’ils étaient sûrs de gagner, quitteà assumer de partager les respon-sabilités et les charges du pouvoiravec d’autres partis oumouvementsaux racines politiques plus libérales.Tout indique clairement que laréponse à ce défi est positive. Nonseulement les tenants de l’islampolitique ont fini par basculer ducôté de la révolution lorsqu’elle

était menacée de s’effondrer, maisils ont immédiatement vu les gainsqu’ils pouvaient en retirer en casde construction démocratique.Même chose en Libye avec lessalafistes, devenus aujourd’huil’allié incontournable des tribusfrondeuses anti-Kadhafi.Ce qui pose donc la question duregard que les autorités françaiseset européennes, les nouveauxcréanciers de la reconstruction etla communauté internationale,doivent porter sur les menacespotentielles posées par les islamo-conservateurs. C’est là que desdistinguos subtils doivent marquerla grille de lecture. Il n’y a rien decommun en effet entre Ennahdaen Tunisie et les talibans enAfghanistan ou au Pakistan. Nientre les Frères musulmans enÉgypte et les disciples zélés de larévolution théocratique en Iran.Ni entre les salafistes qui ont flirtéavec le djihadisme en Libye et lesdissidents du Front islamique dusalut algérien partis fonder Aqmidans le Sahara. Même le mot« charia », qu’ils prononcent tousdans leurs discours, n’a pas desens identique d’un pays à l’autre.

Pour Rached Ghannouchi, lepatron d’Ennahda, il est toujoursquestion d’islamiser la sociétépar le bas plutôt que par le haut,par le voisinage et les mosquéesde quartier que par la Constitu-tion et rien ne serait pire quede mettre à bas l’héritage deBourguiba pour le seul bénéficed’avoir modifié le Code du statutpersonnel, avec tous les conflitsque cela peut générer. En Égypte,explique Antoine Basbous dansson dernier ouvrage de référence2,cela fait longtemps que les Frèresmusulmans ont installé des sys-tèmes de droit parallèle où desjuges religieux prennent placepour régler les litiges de droitprivé sans que la justice d’État,elle aussi inspirée du droitmusulman, envoie sa policedémanteler ces structures sou-terraines. En Libye, comment nepas reconnaître que dans unesociété profondément tribale lestatut de la femme ne sera pas,du jour au lendemain, l’égal decelui dont nos concitoyennessont dotées depuis seulement undemi-siècle parfois ? Tout ensachant qu’elles y disposent delibertés bien plus nombreusesque leurs sœurs saoudiennes ougolfiotes ?

L’exemple turcSi l’on doit chercher des solutionsaux conflits et querelles à venir,regardons, comme nous le de-mandent eux-mêmes les Tunisienspar exemple, comment les islamo-conservateurs du parti majoritaireturc AKP dominent un échiquierpolitique depuis plus de dix anssans dérive majeure à signaler sur leplan des droits fondamentaux etsans que l’armée non plus, garantede la « laïcité » républicaine, ne soitintervenue frontalementpour freinerou faire avorter cette expérience.Comme l’écrit AntoineBasbous, « ceprécédent laisse penser que seule l’ex-périence politique légale dans un cadrelaïque peut amener l’islam politiquedans les pays arabes a une salutairerévision doctrinale ». Cela ne signifiepas que le même modèle soittransposable ; mais ce n’est pas unhasard si des délégations d’islamistestunisiens, égyptiens et libyens sesont rendues àAnkara l’hiver dernierpour y observer le phénomène AKPet ses succès avant d’accueillirtriomphalement son leader, RecepErdogan, dans chacunedes capitalesdu printemps arabe en septembredernier.

Tunisie,Égypte, Libye :quelles islamo-démocraties?La France se dit vigilante. Après la victoire du parti Ennahda enTunisie, les Occidentauxs’interrogent : l’islamest-il soluble dans la démocratie ? Y a-t-il vraiment des lignes jaunesà ne pas franchir ? La difficulté est que la situation varie franchement d’un pays à un autrede l’arborescence du printemps arabe.

ParFrançoisClemenceau

Rached Ghannouchi. Leaderduparti islamiste tunisienEnnahda.

Les femmesontparticipémassivementauxélections tunisiennesdu23octobre.

1 Dans Le 89arabe, dialogueavec EdwyPlenel (Stock).

2 Le Tsunami arabe (Fayard).

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Jean-François Copé est pas-sionné d’histoire. Dans safamille d’immigrés roumains,

dont une partie a été sauvée d’unerafle par des Justes, le patriotisme estunprincipe et lesmilitaires présents– son grandpère étaitmédecin dansl’armée.Nous sommes en septembre2004 lorsque le président de lacommunauté d’agglomération duPays de Meaux visite, dans sa ville,une exposition du collectionneurJean-Pierre Verney. Il est émerveillépar la quantité et la qualité desobjets : médailles, souvenirs, vais-selle, tableaux, uniformes, certainsremontant à 1870. « Les Américains

veulent me l’acheter », dit, penaud,Jean-Pierre Verney, dont on sentla chauvine amertume. « C’est làque j’ai dit : pas question », jubileJean-François Copé, qui imaginedéjà un grand projet architecturalpouvant abriter ces trésors. « Àl’époque, tout le monde me prenaitpour un fou, dit-il. Il y a toujours demauvaises raisons de faire un muséesur la Première Guerre mondiale. »Un coût, aussi : 600 000 euros pourla collection et 28 millions d’eurosau total pour leprojet, dont lamoitiésera financée par la communautéd’agglomération. Un bâtimentfuturiste, façon base lunaire, surpilotis de béton car l’architecte,Christophe Lab, a dû faire face à unsol en pente, prenant les alluresd’unevéritable tranchée.Mais le lieu– comme ladate, 11novembre2011,trois ans avant le centenaire de laPremière Guerre – était déjà choisipuisqu’il fallait jouxter La Libertééplorée, ce monument offert par lesAméricains à la France en 1932,en hommage aux soldats engagésdans la première bataille de laMarne, sur les hauteurs de Meaux.7 000 m2, dont 3 000 consacrés àl’exposition permanente. La quasi-totalité des pièces provient des col-lections acquises auprès de Jean-Pierre Verney. Certains engins,impressionnants, ont été rajoutés

et disposés dans un véritable décorde tranchées : un taxi de la Marne,des blindés, un tracteur d’artillerie,un char Renault FT-17 (dépôts duministère de laDéfense et de la Fon-dation Berliet) et de tous premiersavions de combat (un Blériot XI etun Spad XIII) qu’on a accrochés auplafond, sans les moteurs pour desraisons de sécurité. « Mais il nes’agit pas de présenter un char dansun pot de fleurs », gronde Jean-PierreVerney. « Ce n’est pas un musée desmentalités. Lemessage c’est : les sociétés,c’est fragile, il faut faire attention. Moi,on m’a dit : la guerre, ça pue. Et puisréfléchissons : a-t-on une guerre entredeux paix ou une paix entre deuxguerres ? »Une réflexion poursuiviepar l’historienMarc Ferro, directeurdu Conseil scientifique du musée :« en ces débuts du XXI e siècle, tout sepasse comme si l’identité de la nationdevait être remise en cause ».Unthèmed’actualité, que l’on retrouve encorechez Alexis Jenni, dans son livreL’Art français de la guerre, PrixGoncourt 2011. D’où l’importancede ce lieu et de l’objectif pédago-gique que l’on veut lui conférer, encommençant par les plus jeunes.Ainsi, les 6-8 ans auront droit àdes visites contées et pourronts’exprimer en illustrant un poèmeouune lettre de poilu. Visite animéepour les 8-12 ans, visite thématique

pour les collégiens et lycéens, qu’onfait réfléchir sur la transmission.Jean-Pierre Verney se souvientencore des classes où l’on inscrivaitla morale du jour au tableau et oùle drapeau tricolore faisait partie dumobilier. Dans ce lieu nouveau, onpréfère volontiers parler de travailque de devoir de mémoire. Et c’estvrai, certains épisodes de la GrandeGuerre sont parfois moins connus.Qui se souvient que lesNoirs améri-cains voulant combattre pour leurpays se sont retrouvés dans l’arméefrançaise parce que le généralPershing jugeait impensable qu’unNoir puisse porter le drapeau ?De la même façon, se souvient-onque les Indiens d’Amérique étaientenvoyés en éclaireurs, soi-disantpour leur talent de chasseur ?

Michel Rouger, le directeur dumusée, a voulu donner au visiteurl’impression de revivre la GrandeGuerre. Dans l’une des salles, unmonument aux morts précède unécran géant circulaire à 180°,« sur lequel on projette des imagesqui vont nous faire ressentir la peur,le froid, la boue, la nuit, la solitudedu guetteur ». Le parcours commenced’ailleurs non pas en 1914 maisen 1870, pour bien comprendre lesconséquences de la défaite de 1870sur la revanche qu’on a vouluprendre lors de la Grande Guerre.Le site prévoit une affluence de80 000 à 100 000 visiteurs par an,sachant qu’Eurodisney est à deuxpas, et que l’on compte sur un relaisde communication.

Pierre de Vilno

NUMÉRO 423, MERCREDI 9 NOVEMBRE 2011 L’HÉMICYCLE 19

Culture

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La guerre de 14-18 au muséeÀ Meaux, Nicolas Sarkozy inaugure ce 11 novembre avec le maire de la ville, Jean-François Copé,le Musée de la Grande Guerre, consacré à la mémoire de tous ceux qui ont participé au premierconflit mondial. Un bâtiment futuriste, conçu par l’architecte Christophe Lab, qui abrite plusieurscentaines de pièces qui appartenaient jusqu’alors à un collectionneur privé, Jean-Pierre Verney.

DIDI

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ZERY

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LE CONT-RAIRE DE SEUL AUMONDE

Seul au monde ? C’est le sentiment que chacun éprouve quand il s’agit de préparer l’avenir, protéger ses proches, anticiper les risques de la vie. Le contraire de seul au monde, c’est la promesse que nous vous faisons. Vous accompagner tout au long de votre vie et pour tous vos besoins en prévoyance, santé, épargne et retraite afin de vous apporter le soutien et la sérénité que vous attendez. Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.ag2rlamondiale.fr

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