trajectoires et événements marquants, comment dire sa vie? une analyse des faits et des...

TRAJECTOIRES ET ÉVÉNEMENTS MARQUANTS, COMMENT DIRESA VIE ? Une analyse des faits et des perceptions biographiquesCaroline Laborde et al. I.N.E.D | Population 2007/3 - Vol. 62pages 567 à 585

ISSN 0032-4663

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-population-2007-3-page-567.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Laborde Caroline et al., « Trajectoires et événements marquants, comment dire sa vie ? » Une analyse des faits et des

perceptions biographiques,

Population, 2007/3 Vol. 62, p. 567-585. DOI : 10.3917/popu.703.0567

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* Institut national d’études démographiques.

CAROLINE LABORDE*, ÉVA LELIÈVRE* ET GÉRALDINE VIVIER*

Trajectoires et événements marquants, comment dire sa vie ?

Une analyse des faits et des perceptions biographiques

La recherche de points d’inflexion biographique (turning points) est une préoccupation ancienne des études biographiques, qualitatives comme quan-titatives (Elder, 1977, 1995 ; Ricœur, 1985 ; Hareven, 1986 ; Leclerc-Olive, 1997 ; Thomson et al., 2002 ; Lelièvre et al., 2006). Selon l’optique adoptée et le type de matériau traité, celle-ci peut s’appuyer sur des données purement factuelles, mobiliser les interprétations plus personnelles des sujets ou, plus rarement, tenter de concilier les deux. Dans cette optique, les collectes biogra-phiques quantitatives, qui intègrent souvent des observations qualitatives dans le cadre de collaborations pluridisciplinaires (GRAB, 1999), permettent pré-cisément d’explorer les liens subtils entre informations factuelles et données de perception. De par leur nature biographique et rétrospective, ces collectes quantitatives sollicitent la reconstitution d’une « histoire » qui, bien que cali-brée au sein d’un questionnaire, n’en est pas moins largement relatée par les enquêtés, de façon narrative (Bertaux, 1997). Au fil d’un entretien semi-structuré, la procédure de collecte permet de reconstituer pas à pas les jalons de l’itiné-raire résidentiel de l’enquêté, les étapes de sa vie conjugale et familiale et l’en-chaînement de ses activités professionnelles (y compris les périodes de formation ou de chômage).

Dans l’enquête Biographies et entourage, la reconstitution des événements factuels jalonnant les trajectoires familiale, résidentielle et professionnelle des enquêtés a non seulement été enrichie d’éléments relatifs aux parcours des membres de leur entourage (voir encadré) mais aussi d’une synthèse plus personnelle de la biographie demandée à l’enquêté. Cette approche a permis de prendre en compte le regard porté a posteriori par les enquêtés sur leur vie et de collecter les événements personnels ou historiques qu’ils considèrent comme marquants. Chaque enquêté a ainsi été amené à proposer un découpage

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C. LABORDE, É. LELIÈVRE, G. VIVIER

explicité de sa trajectoire, à identifier et à interpréter les périodes signifiantes de sa vie, les tournants et la tonalité générale de sa biographie ainsi que les événements considérés comme marquants (Lelièvre et Vivier, 2001 ; Tichit et Lelièvre, 2006 ; Laborde et Lelièvre, 2006). Cette approche a en outre permis d’ouvrir le questionnement à des dimensions et des domaines d’implication des individus non abordés dans le reste du questionnaire et d’enrichir ainsi l’analyse des parcours individuels.

ENCADRÉ

L’enquête Biographies et entourage

Collectée en 2000-2001 auprès d’un échantillon représentatif de 2 830 Franciliens âgés de 50 à

70 ans, l’enquête Biographies et entourage de l’Ined retrace l’histoire familiale, résidentielle et

professionnelle des enquêtés et celle de leur entourage. Constitué de différents membres de la

famille (lignée et alliance) sur quatre générations, cet entourage comprend aussi l’ensemble des

personnes avec lesquelles l’individu a résidé depuis sa naissance et d’autres personnes qui, appa-

rentées ou non, ont joué un rôle clef dans la vie de l’enquêté. L’extension des données collectées,

de l’individu à l’entourage, vise à replacer l’individu dans son univers d’influence pour enrichir

l’analyse des parcours individuels à l’aide d’informations collectées sur les proches et à saisir

l’influence de cet entourage sur les trajectoires individuelles. Cette approche articule donc trajec-

toires individuelles, réseau d’influence personnel et environnement sociétal, dans une perspective

longitudinale (Bourdieu, 1986 ; Lelièvre et Vivier, 2001).

Ces données fournissent ainsi un matériau unique et ouvrent des pistes de recherche nouvelles et particulièrement stimulantes : elles permettent de confronter les données factuelles, systématiquement collectées, et les données de perception, spécifiquement relatées et interprétées par chaque enquêté. Après avoir rappelé les modalités de la collecte et la nature des données que nous traitons, nous proposons une première analyse des trajectoires perçues et des tournants biographiques au regard des événements factuels collectés.

Collecter des perceptions biographiques

Au-delà de l’articulation de deux approches, de deux méthodes de collecte ou de deux matériaux distincts, qualitatifs et quantitatifs, on a ici affaire à une approche intégrée des démarches qualitative et quantitative au sein d’un même questionnement et d’un même outil de collecte (figure 1, p. 5). Dans un premier temps, le parcours des membres de l’entourage de l’enquêté et les événements factuels qui jalonnent sa propre vie sont recueillis sans solliciter l’explicitation de motivations ou de sens. Dans un second temps (en fin d’entretien), les enquêtés sont amenés à proposer un découpage « argumenté » de leur trajec-toire en s’appuyant sur la trame des questions suivantes :

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TRAJECTOIRES ET ÉVÉNEMENTS MARQUANTS

À présent, en vous aidant de la grille que nous avons remplie ensemble, nous aimerions votre propre interprétation de celle-ci (Synthèse 1, Sy1). Pour cela, nous vous proposons la démarche suivante :

Sy1 • Pouvez-vous découper votre vie en époques différentes ? Caractériser ces périodes, en particulier, en identifiant ce qui les différencie les unes des autres et ce qu’elles représentent dans votre vie.

Rappelons qu’à ce stade de l’entretien, l’enquêté s’est remémoré non seule-ment les étapes de sa biographie mais aussi celles des membres de son entourage et dispose donc, mentalement, de tous ces jalons.

Une fois le découpage, l’articulation et la caractérisation des différentes périodes biographiques effectués, un indicateur synthétique d’évaluation de la période (Sy2) est également requis :

Sy2 • Pour chacune de ces époques, était-ce :

TB de très bonnes années

B de bonnes années

SP des années sans problème

D des années difficiles

TD des années très difficiles

Enfin, un recueil des événements marquants (Sy3) permet d’enrichir l’in-formation de dimensions plus contextuelles (la guerre par exemple) et relevant du domaine biographique (comme la santé) non abordées dans le reste du questionnaire :

Sy3 • Y a-t-il des événements personnels ou historiques qui ont marqué votre vie ?

Un extrait de questionnaire (reproduit en figure 1) illustre et synthétise l’information ainsi recueillie avec, dans les colonnes de gauche, des jalons factuels de la biographie (familiale, résidentielle et professionnelle)(1) de Paulette et dans les colonnes de droite, les « synthèses » personnelles qu’elle donne de son parcours (Sy1 et Sy2) et les événements de son existence qu’elle déclare marquants (Sy3).

Paulette est née en 1944, à Montreuil. C’est là qu’elle a grandi jusqu’à son départ en apprentissage, à 12 ans, chez son oncle teinturier à Paris, dans le 12e arrondissement. Dès l’âge de 14 ans, elle commence à travailler comme caissière à Prisunic. Elle se marie à 16 ans avec un employé du même magasin ; ils s’installent à Rosny-sous-Bois. C’est là que son mari reprend une épicerie ; elle y travaille avec lui. Leurs deux premiers enfants naissent respectivement en 1961 et 1962, le troisième, 5 ans plus tard. En 1970, elle se sépare de son

(1) La figure 1 présente une sélection des jalons de la biographie présentée. Le but est ici d’illustrer la présentation, le recueil de ces éléments factuels étant plus détaillé (voir Lelièvre et Vivier, 2001).

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époux, revient à Paris et trouve un emploi de dactylo. Le divorce est prononcé 9 ans plus tard. La même année, Paulette se met en ménage avec André ; ils se marieront en 1985. Suite à un grave accident de voiture, Paulette doit arrêter de travailler. Elle ne retrouvera pas de travail et optera pour la retraite à 52 ans.

Paulette distingue huit périodes dans sa vie. La première correspond à son enfance au sujet de laquelle elle souligne l’absence maternelle, la seconde à son adolescence, marquée par son entrée précoce dans la vie professionnelle ; deux périodes qualifiées de difficiles (Sy2). Son mariage très jeune, la consti-tution de sa famille inaugurent une période heureuse ; néanmoins les difficultés conjugales qui la poussent à se séparer de son époux marquent de nouveau des années difficiles (Sy2). Suite à la rencontre de son deuxième conjoint André (Sy3), la « vie de femme qui commence » (Sy1) est une bonne période qui évolue vers une période très heureuse correspondant à leur vie commune. Malheureusement, l’accident, la cessation d’activité et le sentiment d’incapacité qui en résulte marquent des années difficiles qui s’apaisent lorsque André prend lui-même sa retraite.

Cette lecture interprétative de sa propre biographie et l’analyse qui peut en être faite sont délicates. En effet, les événements « importants » de la vie le sont à un moment particulier ; le découpage proposé n’est valide qu’au regard de la trajectoire parcourue et donc à une date donnée. Ainsi, la réponse d’un trentenaire qui débute la constitution de sa propre famille n’est pas comparable à celle qu’il donnera à la veille de sa retraite. L’évaluation rétrospective n’est donc comparable d’un individu à l’autre – condition nécessaire à son analyse quantitative – que si elle est produite à un moment équivalent de la trajectoire des individus enquêtés. Ici, l’ensemble des répondants ont été interrogés au moment de leur retraite, un peu avant ou après, ce qui confère une homogénéité temporelle aux évaluations rétrospectives produites par les enquêtés.

Enfin, d’autres éléments sont également susceptibles d’influencer les décla-rations, notamment les particularités de la trajectoire. Nous examinerons donc l’influence de la répétition de certaines étapes (plusieurs enfants, plusieurs unions, etc.) ou de la présence d’étapes remarquables (la migration interna-tionale par exemple) sur ces reconstitutions biographiques.

D’une façon plus générale, nous explorerons dans cette note les phases qui structurent, du point de vue des enquêtés, leur biographie. Les tournants qu’ils identifient correspondent-ils aux événements factuels collectés et, dans l’affir-mative, lesquels ? Quels événements marquants mentionnent-ils ?

Le déroulement des trajectoires individuelles

Quatre périodes distinctes en moyenne

Les découpages des périodes biographiques réalisés par les répondants sont assez variés. Alors que certains enquêtés ont identifié dans leur vie 12 périodes bien distinctes, d’autres au contraire n’ont défini qu’une seule et

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Figure 1. Exemple de synthèse produite par un enquêté, notée dans la grille biographique en regard des événements familiaux, résidentiels et professionnels (enquête Biographies et entourage, 2001).

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même période, considérant que leur « vie est un long fleuve tranquille ». Ces derniers cas restent toutefois relativement rares (tableau 1) : 25 % des trajec-toires ont été découpées en 4 périodes, 20 % s’articulant respectivement en 3 ou en 5 périodes. Les deux tiers des enquêtés ont donc rythmé leur vie en 3, 4 ou 5 temps.

Tableau 1. Répartition des trajectoires individuelles en fonction du nombre de périodes mentionnées

Nombre de périodes citées

0, NR

1 2 3 4 5 6 7 8 910 ou plus

Ensemble

Effectifs 31 103 259 593 705 570 305 144 66 30 24 2 830

% 1,1 3,6 9,2 21,0 24,9 20,1 10,8 5,1 2,3 1,1 0,8 100,0

NR : non-réponse.Champ : ensemble des répondants à l’enquête (N = 2 830 femmes et hommes franciliens âgés de 50 à 70 ans).Lecture : 24,9 % des Franciliens âgés de 50 à 70 ans distinguent 4 périodes dans leur vie.Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

Pour identifier quelques déterminants simples pouvant influencer ces découpages, nous avons modélisé, séparément par sexe (tableau 2), la proba-bilité de structurer sa trajectoire en davantage de périodes que la médiane (4 périodes) en fonction de diverses caractéristiques socio-démographiques (telles que la génération de l’enquêté, sa catégorie socioprofessionnelle, son niveau de diplôme, etc.) et de variables pouvant justifier le passage d’une épo-que à une autre (comme le nombre d’activités professionnelles différentes, de déménagements, d’enfants et de décès).

On peut ainsi penser que le nombre d’enfants de l’enquêté et le nombre de décès survenus dans son entourage sont de nature à influencer le nombre de périodes décrites. Ce n’est pas le cas(2). Les odds ratios montrent en revanche que le nombre de périodes définies en synthèse par les hommes et les femmes croît en fonction de leur degré de mobilité géographique et de la fréquence des changements intervenus dans leur parcours professionnel. Chez les femmes, on note aussi un très fort impact du niveau de diplôme. Mais le plus étonnant reste l’effet de la situation matrimoniale sur le nombre de périodes citées. En effet, être divorcé ou veuf augmente la probabilité d’articuler sa vie en un nombre de périodes supérieur à la médiane, contrairement au fait d’être remarié qui, bien qu’introduisant un nouvel événement familial, n’engendre pas un nombre supérieur de périodes en synthèse. Cette observation est particuliè-rement marquée pour les hommes.

(2) Ces résultats ne sont pas présentés dans cette note.

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Tableau 2. Facteurs influençant la probabilité de citer un nombre de périodes dans la trajectoire individuelle supérieur à la médiane

(odds ratios du modèle de régression logistique)

Hommes Femmes

Âge 49 à 54 ans55 à 59 ans (Réf.)60 à 64 ans65 à 71 ans

0,791,001,141,20

0,861,001,091,41*

MobilitéDe 1 à 5 logements occupés pendant au moins un an (Réf.)De 6 à 10 logements occupés pendant au moins un an11 logements ou plus occupés pendant au moins un an

1,001,49*1,99***

1,001,52**2,01***

Niveau de scolarité / de diplômeNon scolariséNiveau primaire ou collègeNiveau inférieur au bac (Réf.)Bac général ou technologiqueDiplôme universitaire ou grande école

0,781,201,001,50*1,69***

0,811,141,001,222,00***

Situation matrimonialeCélibataireMarié (Réf.)Divorcé ou séparéRemariéVeuf

1,211,002,36***1,283,21**

0,881,001,58**1,481,72**

Nombre d’activités professionnellesMoins de 5 activités6 à 8 activités (Réf.)9 activités et plus

0,71*1,001,44**

0,62**1,001,37*

EffectifsIndividus citant moins de périodes que la médianeIndividus citant plus de périodes que la médiane

Total

756568

1 324

904571

1 475

Niveau de signification statistique : *** : p < 0,001 ; ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05.Champ : 2 799 individus, i.e. ceux qui parmi les 2 830 enquêtés ont répondu à la question Sy1 (cf. supra).Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

Des qualificatifs tranchés et positifs

Rappelons que la tonalité des trajectoires est ici appréciée à l’aide de l’in-dicateur synthétique (Sy2) attribué à chaque période par l’enquêté(3).

Dans l’ensemble, les appréciations portées par les enquêtés sur les diffé-rentes périodes de leur vie sont relativement tranchées (tableau 3) : les indi-cateurs les plus extrêmes (Très Bonnes années / Très Difficiles) représentent un tiers des appréciations alors que l’indicateur plus neutre (années Sans Problème) est nettement moins fréquent (15 %). La distribution brute des indicateurs se caractérise également par une large moitié d’appréciations posi-tives (57 %). Ces «Bonnes» et «Très Bonnes» années concernent en moyenne 37 années de vie, soit deux tiers de la durée moyenne des trajectoires, et il faut

(3) L’analyse des textes qui explicitent le contenu et le sens de chaque période ne sera pas abordée ici ; il y sera fait référence lorsque seront évoquées de futures analyses textuelles.

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souligner qu’elles ne se concentrent pas préférentiellement sur une période précise de la vie. En particulier, on n’observe pas de polarisation de ces appré-ciations positives sur l’enfance. Cette répartition des « bonnes années » participe à accréditer l’intérêt et la validité de ces évaluations subjectives rétrospectives qui ne se limitent pas à une reconstitution plus ou moins attendue, conven-tionnelle ou nostalgique d’une enfance mythifiée, par exemple. Enfin, un peu plus du quart des appréciations sont au contraire négatives et se réfèrent à des années dites « Difficiles », voire « Très Difficiles ».

Tableau 3. Distribution des appréciations portées sur les périodes de la trajectoire individuelle

Appréciations par ordre de fréquence

B TB D SP TD Ensemble

Effectifs 3 897 2 943 2 403 1 788 920 11 951

% 32,6 24,6 20,1 15,0 7,7 100,0

Durée totale moyenne des périodes (années) 21,1 15,9 8,7 9,5 3,0 58,2

Champ : ensemble des enquêtés ayant répondu à la question (N = 2 799 femmes et hommes franciliens âgés de 50 à 70 ans).Lecture : 24,6 % des périodes ont été qualifiées de très bonnes (TB) ; ces périodes recouvrent au total 15,9 années qualifiées de très bonnes (TB).Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

Afin d’analyser l’intégralité de ces trajectoires subjectives, nous avons considéré chaque trajectoire comme un « mot » dont les syllabes sont consti-tuées des appréciations portées sur chaque période. Par exemple, Michelle, âgée de 61 ans, a découpé sa vie en trois périodes : la première s’est déroulée sans problème (SP) ; la deuxième était bien (B) ; la dernière, très difficile (TD). Sa trajectoire peut donc être résumée par le « mot » : SP-B-TD. Ici, chaque période est caractérisée par une tonalité différente ; c’est plus généralement le cas de la moitié des trajectoires dont le découpage en périodes coïncide avec autant d’indicateurs de tonalité différents (voir tableau 4). Dans d’autres cas, une même appréciation synthétique a au contraire pu être reportée sur plusieurs périodes. Par exemple, Lucy (64 ans), qui a également découpé sa vie en trois périodes, les caractérise ainsi : TB-TB-TD. Pour dégager la tonalité d’ensemble de la biographie, nous avons alors compacté ces appréciations en ne retenant que les indicateurs différents ; les deux « syllabes » successives identiques ont donc été amalgamées et la tonalité résultante de la trajectoire de Lucy est ainsi résumée par le « mot » : TB-TD. Précisons que cette règle n’a pas d’effet sur la trajectoire de Roger pour qui les deux indicateurs similaires (SP) sont disjoints dans le temps : SP-B-SP.

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Tableau 4. Répartition des appréciations portées sur les trajectoires individuelles selon le découpage en périodes

Nombre d’appréciations distinctes successives(%)

Nombre de périodes

1 2 3 4 5 6 ou plus

1 25,8 – – – – –

2 27,3 32,5 – – – –

3 25,6 34,1 44,6 – – –

4 10,5 22,9 34,7 52,1 – –

5 7,3 8,2 16,6 34,7 53,2 –

6 ou plus 3,5 2,3 4,1 13,2 46,8 100,0

Répartition des appréciations 14,3 16,5 26,8 20,4 12,2 9,8

Champ : ensemble des répondants à l’enquête (N = 2 799 femmes et hommes franciliens âgés de 50 à 70 ans qui ont qualifié leur vie par au moins une appréciation).Lecture : 10,5 % des trajectoires caractérisées par une seule appréciation ont été découpées en 4 périodes (exemple : B-B-B-B).Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

On note que la répartition des trajectoires ainsi résumées est homogène, avec un maximum autour de 3 et 4 tonalités. En moyenne, les Franciliens qualifient leur vie par un peu moins de 4 appréciations. Les trajectoires uni-tonales (14 % des parcours) sont découpées à parts égales (pour un quart) en une, deux ou trois périodes : le découpage que les individus indiquent ne relève donc pas uniquement d’un changement d’ambiance.

Il faut également souligner que la trajectoire subjective la plus fréquente est positive : 18 % des parcours sont ainsi qualifiés de « B » et/ou « TB ». Cette appréciation domine d’ailleurs l’ensemble des trajectoires subjectives : en moyenne, 64 % de la durée de vie des enquêtés (écoulée à la date de l’enquête) est déclarée positive. À l’inverse, les trajectoires entièrement négatives (« D » et/ou « TD ») sont relativement rares (1 % seulement des parcours). Enfin, celles qui alternent les « hauts et les bas » (deux tonalités ou plus) représentent globalement 78 % des trajectoires subjectives et se déclinent en un très grand nombre de combinaisons possibles. En dépit des alternances d’appréciations, leur caractérisation d’ensemble est aussi majoritairement positive.

Ainsi, cette première élaboration de l’information montre que l’appréciation globale des trajectoires, même résumées, reste d’une grande diversité. Même en gommant les nuances des appréciations, c’est-à-dire en regroupant les éva-luations « TB » et « B » d’un côté, « TD » et « D » de l’autre (l’appréciation « SP » sans problème restant inchangée), et en ne retenant que les trajectoires les plus fréquentes (représentant plus de 1 % des cas), le nouveau regroupement ne permet de décrire qu’une petite moitié des parcours (46 %). La recherche de régularités dans ces parcours requiert donc des analyses plus fines et la

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construction d’une typologie nécessite une méthode plus rigoureuse telle que la mise en œuvre d’une analyse harmonique (Robette et Thibault, 2006) ou d’une classification par appariement optimal (Lesnard, 2006) afin de traiter l’ensemble des trajectoires et non la moitié. En second lieu, une analyse tex-tuelle des explications fournies par les enquêtés sur chaque période permettra d’aller plus loin dans l’interprétation de ces trajectoires subjectives.

La périodisation subjective des trajectoires confrontée aux jalons factuels

Une deuxième dimension de l’analyse consiste à étudier la coïncidence entre les événements factuels qui jalonnent les parcours familiaux, résidentiels ou professionnels des enquêtés et la démarcation des différentes périodes que les enquêtés ont identifiées dans leurs biographies. En particulier, les événe-ments (mariage, naissance d’un enfant, migration…) que les démographes utilisent communément comme des marqueurs signifiants des « âges de la vie » correspondent-ils aux tournants biographiques repérés plus personnel-lement et investis de sens par les enquêtés ?

On observe qu’en moyenne une vingtaine d’événements factuels (change-ments de logement, d’activité professionnelle et événements familiaux) jalonnent les trajectoires individuelles, alors que le nombre moyen de périodes distin-guées par les enquêtés en synthèse est de quatre. À une année près(4), 35 % des jalons factuels correspondent à un changement d’époque : autrement dit, seulement un tiers des événements factuels advenus coïncident avec un tour-nant biographique mentionné par l’enquêté. À l’inverse, en moyenne, les débuts des quatre périodes identifiées par les enquêtés s’avèrent le plus souvent conco-mitants d’un événement, ce qui confirme l’association attendue entre jalons factuels et identification, par le sujet, du passage d’une époque à une autre.

Examinons donc plus précisément la nature des événements qui sont préférentiellement associés au passage d’une période à l’autre en gardant à l’esprit que leur densité est également variable. On compte ainsi en moyenne 7 changements d’activité, 8 déménagements, un peu plus d’une union et 2 naissances.

L’ analyse plus détaillée montre que les déménagements et les changements d’activité marquent la reconstitution biographique de manière non négligeable, compte tenu de leur grande fréquence : 37 % des changements d’activité et 33 % des déménagements correspondent à une nouvelle étape. Les événements relatifs à la vie conjugale sont aussi, pour moitié ou plus, mentionnés comme des tournants : 59 % des mises en couple et 50 % des séparations coïncident avec de nouvelles périodes en synthèse. Les autres événements familiaux inaugurent moins fréquemment une nouvelle période : c’est le cas de 27 % des naissances et 22 % des décès. L’importance relativement faible des naissances

(4) [date de l’événement – 1 an ; date de l’événement + 1 an].

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s’explique notamment par le fait que cet événement intervient en moyenne deux fois plus dans une biographie qu’un mariage et que l’impact d’un événe-ment familial dans la reconstruction biographique varie selon son rang. En effet, ce sont surtout les premières naissances et les premiers mariages qui semblent marquer un tournant biographique : 42 % des naissances de rang 1 coïncident ainsi avec une nouvelle étape dans la synthèse (à un an près) contre 16 % pour les naissances des autres rangs ; de même, 63 % des premiers maria-ges s’accompagnent d’une nouvelle étape dans la synthèse contre 32 % pour les autres. Ainsi, plus que l’événement en lui-même, c’est davantage le nouvel état (de parent, d’époux(se)) initié par cet événement qui semble marquant et structurant dans la reconstitution biographique. Néanmoins, y compris dans cette perspective, l’entrée dans la parentalité ne constitue une étape saillante de la biographie que pour une petite moitié des enquêtés concernés par cet événement.

Enfin, en ce qui concerne les décès (événement dont la fréquence est équi-valente aux entrées en union), c’est le lien de parenté qui semble discriminant. On observe ainsi que 49 % des décès du conjoint coïncident (à un an près) avec une nouvelle période en synthèse ; c’est le cas de 40 % des décès d’enfant et 20 % des décès de parents.

Ces observations suggèrent que le sens et la charge biographique conférés aux événements vécus ne sont ni conventionnels, ni attendus. En particulier, on aurait pu penser que les naissances et l’entrée dans la parentalité structurent davantage la reconstitution biographique. La singularité du regard porté par chacun sur un même événement vécu souligne tout l’intérêt de cette démarche de reconstruction subjective qui s’éloigne des analyses purement objectivantes que l’on peut faire des trajectoires (Hareven et Masaoka, 1988 ; de Coninck et Godard, 1990).

Afin d’approfondir ces liens entre événements factuels et périodisation subjective de la biographie, concentrons-nous sur l’impact d’un événement, que l’on peut supposer susceptible de marquer un tournant biographique important et donc d’inaugurer une nouvelle tranche de vie, à savoir la migration d’un pays à un autre.

Dans notre échantillon, 632 personnes sont nées à l’étranger. L’examen de la coïncidence (ou non) entre leur première arrivée en France et la périodisation produite en synthèse montre que seule la moitié de ces natifs de l’étranger associent une nouvelle période au moment de leur première arrivée. Ceux qui identifient cette migration comme un tournant ou, du moins, une nouvelle étape dans leur parcours sont plutôt des hommes arrivés en moyenne à un âge plus élevé que les autres (vers 24 ans) et célibataires. Il est intéressant de noter que le pays d’origine, ou la région culturelle, ne se sont pas avérés être des facteurs discriminants quant à la propension à déclarer l’arrivée en France comme un moment significatif inaugurant une nouvelle période.

Pour les individus les plus mobiles qui, en dehors de leur venue en France,

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ont effectué d’autres migrations internationales et déclaré plusieurs périodes en synthèse, un autre constat intéressant se dégage. En effet, la moitié de ceux qui ont mentionné une nouvelle période à l’occasion de leur première arrivée en France ont fait de même pour chaque migration. Dans leur cas, toutes les migrations internationales inaugurent de nouvelles périodes de leur vie. Alors que l’on aurait pu penser que l’impact des migrations sur la reconstitution biographique décroît selon son rang (à l’instar des naissances et des unions), ce n’est pas le cas. Et même lorsque la coïncidence n’est pas systématique, la totalité des migrants les plus mobiles ont fait correspondre au moins une migration (autre que leur première arrivée en France) à une nouvelle période. Réciproquement, les trois quarts de ceux qui n’avaient pas mentionné de nou-velle période à leur première arrivée en France ne l’ont fait pour aucune de leurs autres migrations. Il y aurait donc ceux pour lesquels la mobilité géogra-phique initie des tournants biographiques (plus ou moins systématiques) et ceux qui, bien qu’ayant migré plusieurs fois, ne considèrent jamais ou peu leur migration comme ouvrant une nouvelle étape de leur vie. Le rapport au chan-gement d’espace et sa dimension structurante paraissent donc très différents d’un individu à l’autre. Bien sûr, il sera nécessaire de cerner plus précisément ces deux profils de migrants mais ces résultats montrent d’ores et déjà la rela-tivité de l’événement en lui-même et de l’importance qui lui est attribuée dans un parcours biographique.

Les événements marquants

Au-delà de ce travail de périodisation demandé à l’enquêté, les tests préli-minaires du questionnaire Biographies et entourage nous ont encouragées à introduire une question supplémentaire sur les événements qui ont pu marquer le parcours des enquêtés. En effet, le découpage demandé suppose d’identifier des périodes dotées d’une certaine homogénéité. Or, un événement, très ponc-tuel mais fortement signifiant pour les enquêtés, peut (artificiellement en quelque sorte) altérer une période par ailleurs considérée comme homogène. Nous avons donc ménagé un espace complémentaire permettant de signaler des événements marquants indépendamment de la synthèse de l’enquêté (comme cela avait été abordé dans l’enquête Triple biographie). D’ordre personnel ou historique, ces événements contribuent à ouvrir le questionnement sur des dimensions nouvelles et inexplorées par ailleurs. Rappelons que la question posée était :

Sy3 • Y a-t-il des événements personnels ou historiques qui ont marqué votre vie ?

La diversité des événements cités

Une simple lecture des événements collectés atteste de leur immense variété. Ont ainsi été cités : le décès d’un proche, un licenciement, un accident de travail,

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la perte d’un animal de compagnie, un changement de religion, des relations conflictuelles avec des voisins mais aussi des souvenirs de bombardements ou de déportation pendant la seconde guerre mondiale, le départ d’un frère en Algérie, l’élection d’un homme politique, la maladie du conjoint, les événements de mai 1968, des dépressions nerveuses, une prise de poids consécutive à une rupture, etc. On le voit, certaines personnes ont ainsi mentionné des événe-ments ou des moments parfois très intimes de leur vie.

Au total, 9 189 événements marquants ont été cités par les 2 830 personnes enquêtées, ce qui équivaut en moyenne à 3 événements marquants par personne. Il convient toutefois de relativiser ce type de déclaration en rappelant qu’à ce stade de l’entretien, l’enquêté a déjà évoqué de très nombreux événements (indépendamment de la charge affective ou de l’impact qu’ils ont pu avoir pour lui) à travers la reconstitution de son parcours, de celui de ses proches et du découpage argumenté de sa trajectoire précédemment réalisé.

La première étape de notre analyse a consisté à regrouper ces événements en fonction de leur nature. La codification adoptée est ainsi hiérarchisée en trois niveaux.

Le premier niveau est dichotomique. Il distingue les événements personnels des événements sociétaux :

• événements individuels relatifs à la famille, la santé, le domaine économique et professionnel, la mobilité, etc. ;

• événements collectifs se référant aux guerres, à la politique, à la société, etc.

Le deuxième niveau distingue 11 catégories thématiques, dont les suivantes :

• la famille : décès, naissance, mariage et rencontre, relations familiales, etc.;

• la santé : maladies physiques, mentales et accidents ;

• les guerres : guerre d’Algérie, seconde guerre mondiale, guerre froide, etc.;

• la mobilité : déménagements, arrivée à Paris, etc.

Le troisième niveau est le plus détaillé. Il rassemble 46 catégories ou sous-thèmes dont :

• les décès : décès du père, de la mère, d’un ami, d’un enfant, etc.;

• les maladies ou handicaps physiques : sida, épilepsie, surdité, cancer, etc.;

• les événements professionnels : faillite, chômage, harcèlement moral, etc.;

• les mouvements politiques français : l’arrivée de la gauche au pouvoir, le gaullisme, la dissolution de l’assemblée nationale, etc.;

• la seconde guerre mondiale : bombardements, déportation des juifs, libération de Paris, etc.; D

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Une majorité d’événements de type individuel

Parmi les événements marquants cités, 78 % sont d’ordre individuel. La famille constitue alors le thème majeur (soit 71 % des événements individuels) et le décès d’un proche, l’événement le plus fréquent (soit 44 % des événements familiaux). La naissance d’un enfant ou d’un petit-enfant (37 %), un mariage ou une rencontre (15 %) constituent la plupart des autres événements familiaux cités.

Parmi les aspects de la vie des enquêtés qui ne sont pas documentés ailleurs dans le questionnaire, le domaine de la santé regroupe pratiquement 10 % des événements individuels cités. Ils font référence à la maladie de l’enquêté ou d’un de ses proches ; la moitié des citations des événements de santé concernent exclusivement l’entourage du répondant. Plus marginalement, la mention d’événements spirituels et religieux apparaît également au fil des biographies(5).

Les guerres qui marquent les trajectoires

Examinons à présent les événements collectifs que les enquêtés mention-nent. Par nature, ceux-ci n’ont pas été spécifiquement documentés dans la partie factuelle du questionnaire même s’ils en fournissent le contexte. L’évocation d’événements historiques et leur intégration dans la construction du temps personnel a par exemple été étudiée, par des psychologues, à l’occasion du passage à l’an 2000 (Middleton, 2002). Il sera bien sûr nécessaire d’approfondir le profil des enquêtés qui citent certains événements par contraste avec ceux qui ne le font pas (alors qu’ils auraient été susceptibles de le faire) ; toutefois, la première analyse présentée ici montre que, globalement, la mention d’évé-nements collectifs n’est pas négligeable puisqu’ils représentent 22,4 % de l’en-semble des événements marquants cités.

Les plus fréquents se rapportent aux conflits armés, soit 44 % des événe-ments collectifs cités. Un effet de génération distingue alors les enquêtés les plus jeunes des plus âgés (tableau 5) : 5 % des répondants âgés de 49 à 54 ans mentionnent un événement de guerre contre 17 % de ceux âgés de 63 à 71 ans. Viennent ensuite les références aux divers mouvements sociaux ou phénomènes de société (35 %), puis à la politique (14 %), ces derniers événements incluant des événements de nature diverse tels que la chute de Phnom Penh ou la révo-lution des Œillets au Portugal.

Plus précisément, parmi les événements collectifs, les citations concernent la seconde guerre mondiale (19 %) et les mouvements sociaux (18 %) tels que Woodstock, mai 1968, les grèves et les manifestations en général mais aussi les problèmes de la Sécurité sociale et les grands changements sociaux des années 1970-1980. La guerre d’Algérie (13 %) est ensuite évoquée, puis les progrès techniques et sociaux (8 %) comme la conquête spatiale, le Concorde, les progrès de la médecine mais aussi les 39 heures et la 5e semaine de congés payés et, enfin, les mouvements politiques français (5 %).

(5) L’impact du religieux sur les trajectoires et le sentiment de maîtriser son destin ont par exemple été analysés par Fiori et al. (2004). D

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Tableau 5. Proportion d’événements se rapportant à la « guerre » dans l’ensemble des événements marquants selon l’âge

Âge du répondant

49 à 54 ans 55 à 62 ans 63 à 71 ans Ensemble

Nombre d’événements citésDont événements liés à une guerresoit en % :

3 1891705,3

3 3282617,8

2 674467

17,5

9 1918989,8

Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

Les hommes ne citent pas les mêmes faits que les femmes

Dans la lignée de travaux portant sur les tournants biographiques selon le sexe (citons par exemple Rönkä et al., 2003), on peut s’interroger sur l’éven-tuelle incidence des sphères d’implication masculine et féminine sur l’expression des événements marquants. La citation d’événements concernant la sphère privée de la vie (événements individuels et plus spécifiquement familiaux) domine-t-elle chez les femmes ? Observe-t-on une plus forte citation d’événe-ments professionnels et collectifs chez les hommes ?

Figure 2. Répartition de la fréquence des événements marquants cités selon le sexe

Famille

50%

Santé

7%

Santé

6%

Profession

8%

Famille

59%

Profession

5%

Société

7%

Société

9%

Guerre

12%

Guerre

8%

Événements individuels Événements collectifs26%

Événements collectifs20%

Hommes

Femmes

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6 0

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Source : Ined, enquête Biographies et entourage, 2001.

En ce qui concerne les événements individuels, les femmes paraissent effectivement plus sensibles au thème de la famille : près de 59 % des événe-ments qu’elles pointent sont d’ordre familial, contre 50 % pour les hommes (figure 2). Les hommes semblent donc y accorder une importance un peu moindre et s’intéresser davantage à d’autres domaines. 26 % d’entre eux font ainsi référence à des événements d’ordre collectif contre 20 % des femmes. En

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particulier, ils évoquent un peu plus souvent les conflits armés ou des événe-ments qui y sont associés. Toutefois, la référence à des événements marquants ayant trait à la seconde guerre mondiale est équivalente chez les hommes et les femmes qui l’ont vécue enfant ou adolescent. Ce sont les citations relatives aux guerres coloniales (guerre d’Algérie, Vietnam), plus fréquentes chez les hommes qui les ont vécues jeune adulte, qui distinguent hommes et femmes.

Ces résultats confirment donc nos hypothèses et montrent qu’il existe bien une double différenciation entre hommes et femmes : les hommes mentionnent un peu plus souvent que les femmes la sphère publique au détriment de la sphère privée et les événements marquants qu’ils relatent ont plus souvent trait au domaine professionnel et économique qu’à la famille.

Conclusion

Dans ce travail, plusieurs façons de dire sa vie et d’analyser des parcours de vie ont été explorées. Que le sujet décline les événements factuels qui jalon-nent sa trajectoire ou qu’il en récapitule les tournants et lignes directrices en pointant également des événements marquants, le chercheur est confronté à un matériau foisonnant et difficilement réductible. Nos premières explorations montrent cependant que les trajectoires se structurent beaucoup autour des événements professionnels, résidentiels et familiaux systématiquement collectés. Et de ce point de vue, la vie conjugale occupe une place prééminente. Néanmoins, d’autres dimensions, d’ordre personnel ou collectif (santé, conflits, religion, etc.), sont aussi subjectivement mobilisées pour dire et interpréter sa vie. Au-delà de l’étude de la périodisation des trajectoires et des événements marquants, une analyse approfondie des explications données par les enquêtés en synthèse permettra de mieux saisir l’impact de chacune de ces dimensions biographiques et de cerner plus précisément la façon dont s’articulent les trajectoires, du point de vue des intéressés.

De façon globale, l’analyse des indicateurs synthétiques par lesquels chaque enquêté a qualifié les différentes périodes de sa vie montre d’ores et déjà qu’en dépit des alternances entre périodes heureuses et moments difficiles, les tra-jectoires se déroulent dans leur majorité sur une tonalité positive. De ce point de vue, il importe de noter que le vécu et la caractérisation des événements ne sont pas donnés a priori. La lecture des synthèses des questionnaires montre par exemple que des périodes difficiles telles que la guerre peuvent être vécues de façon singulière et finalement qualifiées de façon positive. Certains enquêtés avouent ainsi (non sans exprimer leur gêne) garder un très bon souvenir de l’exode, qui les a éloignés de la vie urbaine pour les conduire à la campagne. De même, l’exemple de la migration internationale montre qu’un changement d’environnement (même radical) est variablement investi de sens et retenu par les enquêtés comme un tournant biographique. D’autres facettes de la biographie, d’autres rôles investis ou privilégiés peuvent prendre le pas sur ces événements

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et assurer une continuité là où le regard extérieur identifie un tournant, voire une rupture biographique. Le sens que les individus confèrent aux événements et au déroulement de leur vie n’est ni conventionnel, ni attendu. Ceci renforce l’intérêt et la richesse de ce type de collecte et d’analyses croisées qui combinent les dimensions objectives et subjectives et les deux types de matériaux. Cette expérience montre également qu’une telle approche est possible dans le cadre d’opérations quantitatives et contribue à réinterroger les frontières entre les démarches qualitative et quantitative.

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CAROLINE LABORDE, ÉVA LELIÈVRE, GÉRALDINE VIVIER • TRAJECTOIRES ET ÉVÉNEMENTS MARQUANTS, COMMENT DIRE SA VIE ? UNE ANALYSE DES FAITS ET DES PERCEPTIONS BIOGRAPHIQUES

Dans l’enquête Biographies et entourage réalisée par l’Ined en 2001, la reconstitution des événements factuels qui jalonnent les trajectoires familiale, résidentielle et professionnelle des personnes a été assortie d’éléments subjectifs. Il s’agissait de prendre en compte le regard porté a posteriori sur leur vie, par les enquêtés qui étaient ainsi amenés à proposer un découpage explicité de leur trajectoire, à identifier et à interpréter les périodes signifiantes de leur vie, les tournants et la tonalité générale de leur biographie ainsi que les événements considérés comme marquants. Les premières analyses de ce matériau foisonnant montrent la façon dont la trajectoire des individus se structure autour de certains jalons factuels, en particulier ceux qui marquent la vie conjugale. Le vécu et la caractérisation des événements ne sont cependant pas donnés a priori et l’on constate l’intérêt de ces évaluations rétrospectives, qui s’avèrent nuancées et non conventionnelles. La possibilité de confronter le sens que les individus confèrent au déroulement de leur vie et les éléments factuels de celle-ci constitue une véritable richesse d’information pour l’interprétation des tournants et ruptures biographiques.

CAROLINE LABORDE, ÉVA LELIÈVRE, GÉRALDINE VIVIER • TRAJECTORIES AND LANDMARK EVENTS: HOW PEOPLE NARRATE THEIR LIVES. ANALYSIS OF LIFE COURSE FACTS AND PERCEPTIONS

The life course survey Biographies et entourage, conducted by INED in 2001, recorded not only the respondents’ reports of the factual events in their family, residential and occupational histories but also some subjective elements. The aim was to take into account the way respondents saw their lives in retrospect. Respondents were asked to divide their lives so far into periods, explain and interpret these significant phases, and identify the turning points, the general tone of each period and what they saw as the landmark events. Our initial ana-lyses of this abundant material show how individuals’ life courses are structured around certain factual landmarks, especially landmarks in their conjugal lives − but the respondents’ subjective experience and characterization of events prove to be varied, non-conventional and not readily predictable. The study shows the usefulness of recording such retrospective assessments in a life course survey. Being able to compare the meanings that individuals confer on their lives with the factual events concerned provides a wealth of information for inter-preting turning points and ruptures in the life course.

CAROLINE LABORDE, ÉVA LELIÈVRE, GÉRALDINE VIVIER • TRAYECTORIAS Y ACONTECIMIEN-TOS RELEVANTES, ¿CÓMO VERBALIZAR NUESTRA VIDA? ANÁLISIS DE PERCEPCIONES Y HECHOS BIOGRÁFICOS

En la encuesta « Biografías y Entorno » realizada por el Instituto Nacional de Estudios Demográficos (INED) en 2001, la reconstitución de los acontecimientos que marcan las trayectorias familiar, residencial y profesional de las personas está compuesta de diversos elementos subjetivos. En ella había que tener en cuenta lo que pensaban a posteriori los encuestados de su vida, incitándoles así, a proponer un desglose explícito de su trayectoria, y a identificar e interpretar los períodos significativos de su vida, los momentos cruciales, la tona-lidad general de su biografía, y los eventos considerados como memorables. Los primeros análisis de este abundante material muestran cómo la trayectoria de los individuos se estructura alrededor de momentos des-tacados, en especial aquéllos que marcan la vida conyugal. Sin embargo, la vivencia y caracterización de los acontecimientos no se exponen a priori, constatándose, asimismo, el interés de sus evaluaciones retrospectivas que se revelan matizadas y no convencionales. La posibilidad de confrontar el sentido que los individuos dan al desarrollo de su vida con los elementos fácticos de ésta constituye una auténtica riqueza de información para la interpretación de los momentos cruciales y de rupturas biográficos.

Éva LELIÈVRE, Institut national d’études démographiques, 133 boulevard Davout, 75980 Paris Cedex 20, tél : 33 (0)1 56 06 21 31, courriel : [email protected]

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