toutain-quittelier, "le monde de la finance sous la régence d'orléans : gestuelle...

15
ISBN : 9782757208106 31 74 / 2014 HISTOIRE DE L’ART représenter le travail histoire de l’art 74 / 2014 représenter le travail représenter le travail 3 Simon Texier et Olivia V oisin Introduction PersPectives 7 Perrine Mane Images médiévales du travail 19 Thomas Le Roux et Nicolas Pierrot Représenter le travail et l’industrie à Paris, 1750-1900 31 Chang Ming Peng La représentation du travail dans l’art européen du xix e siècle : paradoxes et enjeux d’une iconographie renouvelée Études 43 Ambre Vilain De l’image de l’outil à l’« outil-image » 53 Alexandra Ballet « Plus d’épines que de roses ». Le travail dans les intarsie au Quattrocento 65 Valentine Toutain-Quittelier Le monde de la nance sous la régence d’Orléans : gestuelle nouvelle pour une économie nouvelle 77 Nicolas Laurent Le tractoriste, héros du sculpteur soviétique 87 Franck Knoery L’artiste comme opérateur. Figures du travail et mécanisation de l’art dans l’Allemagne de la République de Weimar 99 Lydie Delahaye Figure de l’artiste au travail ou la pensée en acte. Les lms de Brancusi 111 Laure Poupard Les portraits de travailleurs dans la propagande de la Works Progress Administration 125 Sarah Charluteau-Martin Une histoire photographique inédite de la gure de l’ouvrier dans la propagande américaine (1941-1943) 139 Pauline Chevalier Artistes et « Art Workers », New York 1969-1976 151 Shiyan Li Travailler, répéter, méditer : le Book from the Sky de Xu Bing (1987-1991) MÉthode 163 Tilmann Buddensieg Le temps des constructions cyclopéennes. Nietzsche et le chemin de fer Portfolio 171 Grapus Afches en travail

Upload: paris-sorbonne

Post on 29-Mar-2023

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

ISBN : 9782757208106

31 €

74 / 2014

HISTOIRE DE L’ART

rep

rés

ente

r l

e tr

avai

lh

isto

ire

de

l’ar

t74

/ 2

014

représenter le travail

représenter le travail

3 Simon Texier et Olivia VoisinIntroduction

PersPectives

7 Perrine ManeImages médiévales du travail

19 Thomas Le Roux et Nicolas PierrotReprésenter le travail et l’industrie à Paris, 1750-1900

31 Chang Ming PengLa représentation du travail dans l’art européen du xixe siècle : paradoxes et enjeux d’une iconographie renouvelée

Études

43 Ambre VilainDe l’image de l’outil à l’« outil-image »

53 Alexandra Ballet« Plus d’épines que de roses ». Le travail dans les intarsie au Quattrocento

65 Valentine Toutain-QuittelierLe monde de la finance sous la régence d’Orléans : gestuelle nouvelle pour une économie nouvelle

77 Nicolas LaurentLe tractoriste, héros du sculpteur soviétique

87 Franck KnoeryL’artiste comme opérateur. Figures du travail et mécanisation de l’art dans l’Allemagne de la République de Weimar

99 Lydie DelahayeFigure de l’artiste au travail ou la pensée en acte. Les films de Brancusi

111 Laure PoupardLes portraits de travailleurs dans la propagande de la Works Progress Administration

125 Sarah Charluteau-MartinUne histoire photographique inédite de la figure de l’ouvrier dans la propagande américaine (1941-1943)

139 Pauline ChevalierArtistes et « Art Workers », New York 1969-1976

151 Shiyan LiTravailler, répéter, méditer : le Book from the Sky de Xu Bing (1987-1991)

MÉthode

163 Tilmann BuddensiegLe temps des constructions cyclopéennes. Nietzsche et le chemin de fer

Portfolio

171 GrapusAffiches en travail

N° 74 2014/1

Revue de recherche et d’information publiée sous l’égide de l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU), avec le soutien de la Direction générale des patrimoines, de l’École du Louvre, de l’Institut national d’histoire de l’art et du Centre allemand d’histoire de l’art

Ouvrage édité avec le concours du Centre national de la recherche scientifique

3 Simon Texier et Olivia VoisinIntroduction

PersPectives

7 Perrine ManeImages médiévales du travail

19 Thomas Le Roux et Nicolas PierrotReprésenter le travail et l’industrie à Paris, 1750-1900

31 Chang Ming PengLa représentation du travail dans l’art européen du xixe siècle : paradoxes et enjeux d’une iconographie renouvelée

Études

43 Ambre VilainDe l’image de l’outil à l’« outil-image »

53 Alexandra Ballet« Plus d’épines que de roses ». Le travail dans les intarsie au Quattrocento

65 Valentine Toutain-QuittelierLe monde de la finance sous la régence d’Orléans : gestuelle nouvelle pour une économie nouvelle

77 Nicolas LaurentLe tractoriste, héros du sculpteur soviétique

87 Franck KnoeryL’artiste comme opérateur. Figures du travail et mécanisation de l’art dans l’Allemagne de la République de Weimar

99 Lydie DelahayeFigure de l’artiste au travail ou la pensée en acte. Les films de Brancusi

111 Laure PoupardLes portraits de travailleurs dans la propagande de la Works Progress Administration

125 Sarah Charluteau-MartinUne histoire photographique inédite de la figure de l’ouvrier dans la propagande américaine (1941-1943)

139 Pauline ChevalierArtistes et « Art Workers », New York 1969-1976

151 Shiyan LiTravailler, répéter, méditer : le Book from the Sky de Xu Bing (1987-1991)

MÉthode

163 Tilmann BuddensiegLe temps des constructions cyclopéennes. Nietzsche et le chemin de fer

Portfolio

171 GrapusAffiches en travail

inforMations

175 Résumés/Abstracts183 Auteurs ayant participé à ce numéro

SOMMAIRE DU N°74 – 2014/1Représenter le travail

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 65

études

Valentine Toutain-Quittelier

Le monde de la finance sous la régence d’Orléans : gestuelle nouvelle pour une économie nouvelle

L’art fraie volontiers avec l’argent, constatait Carel van Mander1. S’il commentait ainsi les rapports entre artistes et mécènes à Anvers, il semble que le début du xviiie siècle prolonge ses conclusions. En créant la Banque royale et le papier monnaie, en facilitant le développement des banques privées et en encourageant le Système de John Law, la régence de Philippe II d’Orléans (1715-1723) confirme le pouvoir des financiers. En germe sous le règne de Louis XIV, ils se voient confier les clés des finances de l’État tandis que le Système leur permet d’affirmer un nouveau rang social. À la fin du xviie siècle, le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière définit le terme Finance comme ce qui relève des deniers publics du roi et de l’État en se concentrant sur la notion d’« argent, monnoye2 ». Mais il distingue déjà l’usurier du financier, cet « homme qui manie les finances3 ». La Régence, propice aux expérimentations économiques aussi bien théoriques qu’appliquées, cristallise l’esprit du temps en la figure de John Law. Pourtant, l’affirmation de ce nouveau métier qui semble éloigné du corps souffrant traditionnellement lié « à la vigne, à la terre, au jardinage, à un bastiment » voire « à son salut »4, questionne l’idée même de travail.

Dès 1694, le Dictionnaire de l’Académie françoise décrit le travail comme la fatigue et la peine que l’on prend, tant du corps que de l’esprit, à réaliser une tâche5. L’effort quotidien et la dextérité, manuelle et intellectuelle, sont des constantes qui permettent à l’individu de « travailler pour faire sa fortune6 », au même titre que le roi travaille à la bonne croissance de l’État. Le travail mis en avant par le nouveau monde de la finance repose sur un ensemble de pratiques, ordonnées selon des principes qui lui sont propres, qui tend à développer une richesse économique par la seule force du calcul. Sans pour autant être structurée comme un corps de métiers, la finance instaure une hiérarchie évidente : en haut se placent les grands financiers, ceux qui détiennent la science du calcul nécessaire à l’estimation des bénéfices et des risques ; viennent ensuite les employés anonymes des établissements financiers et le peuple de la capitale, fébrile d’activité, pour qui la vogue de l’agiotage, le commerce spéculatif du papier monnaie qui se déroule en marge de la haute finance d’État, est autant une passion dévorante qu’une nécessité économique. La quête studieuse, quotidienne, acharnée voire obsessionnelle de la fortune concourt, avec la répétitivité du geste, à concevoir la finance comme un travail.

Très régulièrement, l’histoire s’est intéressée aux grandes figures de ce monde économique. Il existe des ouvrages d’envergure sur les frères Pâris7, John Law8, Samuel Bernard9. Au-delà de l’exercice de la biographie, des travaux plus transversaux qui relient plusieurs financiers entre eux ou placent un individu au carrefour de plusieurs perspectives (économique, politique ou sociale) ont aussi été publiés10. L’étude spécifique de leur mise en image est plus rare. Il nous faut citer les écrits précurseurs de Philippe Hamon, Richard E. Spear et Philip Sohm qui, les premiers, se sont intéressés l’un à l’image de l’argent, de la représentation monétaire à sa puissance iconique, les autres aux liens de l’artiste avec l’argent ; mais leur champ chronologique s’arrête à la fin du xviie siècle11. Si Rochelle Ziskin s’est intéressée aux financiers en tant que maîtres d’ouvrages de la place Vendôme12, les spécialistes du xviiie siècle choisissent de se concentrer sur la rencontre fructueuse

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS66

entre l’artiste et l’amateur13 et sur l’étude du collectionnisme14. La définition par l’art d’un corps social propre à la finance n’apparaît véritablement que dans les ouvrages consacrés au début du xixe siècle15. L’étude du contexte si particulier du siècle des Lumières et a fortiori de la Régence reste donc à tenter.

Mon article se concentrera sur la gestuelle de la nouvelle économie financière au début du xviiie siècle. Il interrogera l’idée de travail dans cet univers basé sur le calcul. Il tentera ainsi de révéler les gradations entre dextérité et tourment, persévérance et aliénation de l’individu, tant du point de vue intellectuel que physique. J’appliquerai à mon propos la forte hiérarchie que je viens d’introduire. Dans un premier temps, je me concentrerai sur la représentation des financiers eux-mêmes, montrés comme visionnaires et parfois détachés de la source de leur fortune. Je poserai la question d’une rupture avec l’iconographie traditionnelle des usuriers, et mettrai en lumière les liens que leur iconographie est susceptible d’entretenir avec celle des princes. Dans un second temps, mon étude se concentrera sur la représentation du microcosme formé par le petit peuple qui fréquente les établissements financiers (banques et bourses). On assiste alors à un entremêlement d’individus relevant moins de la réalité que de l’archétype. Mais par leur tentative d’émancipation – leur « conquête sociale » pour reprendre les termes de Laurence Fontaine16 – ces derniers livrent pourtant une représentation caractéristique de la geste financière autour de 1720.

La représentation du grand financier, entre homme d’affaires et homme de cour

Le goût du portrait prend une saveur particulière avec les grands financiers qui gravitent autour du Régent. On connaît l’engouement, au tournant des xviie et xviiie siècles, pour les portraits de groupes de corporations professionnelles. Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillière se font une spécialité de ces ensembles de prévôts, marchands et échevins de Paris17. Mais beaucoup plus rares sont les portraits de groupe qui mettent en scène le monde des banquiers sous la Régence. Cela tient au fait qu’aucun corps juridique ni règle professionnelle ne les encadrent. Ils sont placés en concurrence les uns avec les autres et participent, chacun à leur manière, aux destinées économiques du royaume. Ils ne s’accordent pas, tant leur rivalité est importante. En ces temps d’innovations financières autour du crédit, chacun propose un champ d’investigation mathématique, une règle de calcul, et donc une institution bancaire privée. L’activité des établissements financiers échappe en grande partie à l’administration de l’État, aussi ne forment-ils pas une communauté de métier en tant que telle, susceptible d’aspirer à une unité socio-professionnelle dispensatrice de codes communs de représentation. Il faut attendre la seconde moitié du xviiie siècle pour voir apparaître les premiers portraits collectifs de financiers, à l’image de la petite esquisse à l’huile anciennement attribuée à Greuze et aujourd’hui donnée à Pierre Lacour Père18, qui représente Les Juges et consuls de la Bourse (vers 1785, Bordeaux, musée des Beaux-Arts)19 (fig. 1). Si la touche rapidement brossée nous empêche d’identifier clairement leurs visages,

Fig. 1. Pierre Lacour Père, Les Juges et consuls de la Bourse, vers 1785, huile sur toile, Bordeaux, musée des Beaux-Arts © Musée des Beaux-arts - Mairie de Bordeaux, cliché F. Deval.

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 67

les attitudes et les gestes s’inscrivent dans la tradition inaugurée par Largillière et Rigaud, à laquelle renvoie l’arrière-plan de lourds rideaux de velours dont les pans se lovent autour de puissantes colonnes à fûts lisses. Autour d’une table recouverte d’une nappe bleue rebrodée de fleurs de lys en fil d’or, cinq juges et consuls de la bourse de commerce de Bordeaux devisent. La conversation animée accapare quatre d’entre eux, tandis que le cinquième regarde en direction du spectateur. Les papiers posés sur la table – feuilles de comptes, tables de calculs et contrats – sont au centre de leur attention. À leurs pieds, les livres de comptes sont ouverts et entassés sur des piles de pièces d’or renversées.

La Régence, période où la finance se dote de son caractère professionnel, préfère représenter ses grands banquiers et manieurs d’argent dans une solitude autoritaire, au bénéfice d’un topos en vogue depuis la fin du siècle précédent. Il existe de nombreux portraits de financiers (banquiers privés et représentants du Trésor) dans l’album Louis-Philippe, recueil de figures gravées collectées par le roi Louis-Philippe conservé au château de Versailles20. On trouve des figures du xviie siècle (Louis Berrier, conseiller du Roi et directeur des finances en 1667 par Claude Mellan ; Everard Jabach, négociant et banquier, par Michel Lasne avant 1667), mais aussi des représentants du xviiie siècle, de France comme de l’Europe entière (Christian Georg von Köpff, banquier allemand, né en 1699 par Johann Jacob Haid ; Sir William Hodges, directeur de la Banque d’Angleterre en 1703, gravé par John Smith d’après Gottfried Kneller en 1713). Ces portraits, et de nombreux autres, respectent les règles traditionnelles en vigueur dans la représentation gravée des gens de qualité à l’aube des Lumières. Souvent inscrit dans un médaillon, le visage est montré de trois quarts, tourné vers le spectateur, et l’attitude, tout en retenue, est posée. Le plus souvent, seules les épaules couvertes d’un manteau sont visibles. Mais les portraits de Christian Georg von Köpff et d’Everard Jabach sont plus ambitieux. La pose de Jabach est héritée de Van Dyck : positionné devant une colonne tronquée, il retient son manteau en satin brillant près du cœur d’un geste délicat de la main. Il n’y a aucun signe mettant en avant ses activités de négociant et de financier, encore moins de collectionneur. Seules les références aux portraits aristocratiques du xviie siècle anglais lui confèrent toute la légitimité que sa fortune l’autorise à réclamer. Von Köpff (1699-1758), plus dynamique, regarde ostensiblement le spectateur (fig. 2). Il prend place devant une table où sont posés des livres,

Fig. 2. Haid Johann Jacob, Portrait de Christian Georg von Köpff, banquier allemand, d’après Johann Evangelist Holzer, album Louis-Philippe, manière noire, Versailles, Musée national du château et de Trianon.

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS68

tenant une lettre cachetée dans la main. L’action se concentre sur la lettre qu’il soulève devant nous, fermée et prête au départ, renfermant en ses pans des directives mystérieuses. Les portraits de Jabach et Van Köpff affrontent ainsi deux modèles ; l’un, originaire du Grand Siècle, fonde la représentation du banquier en homme de cour, tout à l’affirmation de son aisance financière et sociale, tandis que l’autre, né au Siècle des Lumières, met en avant sa puissance en en ritualisant les gestes et accessoires constitutifs.

Les portraits des plus importants financiers de la Régence se positionnent à la croisée de ces deux courants. L’image de l’homme de cour est fréquente, tandis que celle de l’homme d’affaires fait son apparition. Antoine Crozat, peint par Alexis-Simon Belle (vers 1715, Versailles, Musée national du château et de Trianon), est avant tout mis en scène en tant que grand courtisan, au sens le plus honorifique du terme (fig. 3). Son rang social est affirmé par un costume de grand trésorier de l’ordre du Saint-Esprit des plus grandioses qui fait disparaître son corps déjà massif sous des mètres de tissu rebrodé d’or. Émergeant de ce flot de velours, l’une des mains tient un tricorne au panache blanc et noir, tandis que l’autre, le long des hanches, repousse le manteau de satin cuivre vers l’arrière. Cette gestuelle ne suggère à aucun moment l’origine de la richesse du modèle ni la raison de son rang. Nous ne trouvons aucune trace de l’organisation du travail qui se fait jour au début du siècle, dans les secteurs industriels, et sur laquelle repose l’aisance financière et sociale du modèle21. Et pourtant, tout concourt à exprimer sa puissance, qu’il s’agisse du redoublement de la croix (en pendentif attaché au cordon bleu, et brodée sur le costume de cérémonie dans un format surdimensionné), du panache de plumes d’une taille excessive, ou encore de la surenchère de broderies d’or et de dentelles précieuses.

Moins ostentatoire, le portrait d’Antoine Pâris (1668-1733) par Hyacinthe Rigaud (1724, Londres, The National Gallery) met aussi en scène un homme de cour, tout en introduisant l’idée de travail intellectuel par la présence forte de la bibliothèque, lieu d’étude par excellence (fig. 4). Aîné des quatre frères Pâris, Antoine est alors au faîte de sa gloire lorsqu’il commande cette grande huile sur toile22. Après quelques mois d’exil favorables aux menées de John Law, la disgrâce de l’Écossais lui a permis de revenir en cour et de reprendre son rôle dans la spéculation, avant d’être nommé conseiller d’État. Rigaud le représente assis à sa table de travail, en costume d’intérieur accompagné d’un lourd manteau de velours sombre doublé de soie mordorée. Placé à la tête de son empire financier, Pâris donne plusieurs ordres par ses gestes et son attitude : il tend la main vers un objet hors de la composition, et regarde dans le sens inverse en direction de ce que l’on imagine être un visiteur. Ce tableau a été peint à un moment particulier : revenu depuis peu aux affaires, Antoine Pâris est de nouveau accusé de détournement de fonds, accusation qui aboutira en 1726 à un second exil. En grand courtisan, il met en avant ses audiences studieuses afin de mieux taire son attrait pour l’argent.

L’évolution est encore plus évidente avec le portrait de Samuel Bernard (1651-1739), lui aussi dû au pinceau de Hyacinthe Rigaud (1726, Versailles, Musée national du château et de Trianon). Il s’agit d’un portrait qui met en avant l’origine maritime des échanges financiers (fig. 5)23. La réussite sociale du modèle ne fait aucun doute, mais elle n’est pas l’élément essentiel du tableau. Si Bernard porte la croix de l’ordre du Saint-Esprit, c’est avec plus de discrétion que son collègue Crozat. Sa puissance financière et sociale est exprimée au moyen de la lourde colonne derrière lui, dans la grande tradition rhétorique du portrait en pied de Louis XIV (1701, Paris, Musée du Louvre). Nullement entravés par la lourdeur de leurs pans, les drapés s’envolent avec emphase, portés par un souffle venu de la mer que l’on aperçoit au loin, où des navires sont en partance vers le couchant. Samuel Bernard prend place sur une terrasse au bord de l’océan, et quelques marches mènent au port. D’un geste ferme de la main, il nous indique le fondement de sa prospérité : le commerce maritime. Le doigt pointé est la marque de son autorité tandis que son autre main, tout aussi assurée, s’appuie sur le bord de sa table de travail24. Des missives cachetées et une plume plongée dans un encrier côtoient une mappemonde. Le soin porté à l’exécution de cette nature morte évoque sans doute, par métonymie, l’importance de son réseau d’informateurs pour la bonne tenue des affaires réalisées dans des contrées lointaines25. C’est la qualité de négociant de Bernard qui est mise en avant, et non celle de banquier du roi qui accapare pourtant tout son temps26. Ce tableau nous montre l’origine des capitaux mis à disposition de la guerre de succession d’Espagne puis du jeune Louis XV. Ils sont issus du commerce international de marchandises en provenance du Nouveau Monde, suggéré par le soleil couchant, et de l’Asie, figurée sur la sphère terrestre. Avant la Régence, Samuel Bernard est actionnaire de la Compagnie du Sénégal

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 69

Fig. 3. Alexis-Simon Belle, Portrait présumé d’Antoine Crozat en costume de Grand Trésorier de l’Ordre du Saint-Esprit, après sa nomination le 28 septembre 1715, vers 1715, huile sur toile, Versailles, Musée national du château et de Trianon.

Fig. 4. Hyacinthe Rigaud, Portrait d’Antoine Pâris, 1724, huile sur toile, Londres, The National Gallery.

Fig. 5. Hyacinthe Rigaud, Portrait de Samuel Bernard, 1726, huile sur toile, Versailles, Musée national du château et de Trianon.

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS70

et participe alors au commerce triangulaire27. S’il s’efface devant John Law, mieux en cour que lui auprès du Régent, il reprend vite ses activités de banquier et marchand après la majorité du roi. Son établissement de crédit, créé du temps de Louis XIV, combine banque d’escompte et banque d’émission, et préfigure le travail d’envergure de Law.

La nouvelle iconographie du financier, manieur de papier et non plus de pièces d’or, exerçant un travail de l’esprit et non plus manuel, se confirme au milieu du siècle des Lumières. La rupture avec l’image du Peseur d’or comme usurier (je pense notamment aux œuvres de Quentin Metsys, vers 1530, et de Gerrit Dou, vers 1650, toutes deux au musée du Louvre) est consommée. Les pièces d’or disparaissent, au profit des livres de compte et de la correspondance. Le regard baissé vers le bureau, captivé par les pièces d’or, se redresse désormais pour se porter vers un espace lointain, porteur d’avenir. Ces éléments sont particulièrement perceptibles dans le portrait de Nicolas Beaujon (1718-1786) peint par Louis-Michel Van Loo (1748-1755, Chaalis, Musée de l’abbaye royale), banquier, conseiller d’État et fermier général (fig. 6). La finance apparaît ici comme une activité pleinement intellectuelle, centrée sur l’écriture – écriture des chiffres dans les registres, écriture des courriers destinés aux divers membres du réseau d’information – et qui place le banquier en haut de la pyramide sociale par la seule force de sa science et sa persévérance. Beaujon est seul en scène, mais pas solitaire. Son bureau ouvert révèle la présence de nombreux registres. Ce ne sont pas des livres imprimés rendus précieux par une couverture de maroquin, mais des outils de travail. Plus de mappemonde, plus de bateau. Le banquier exerce ses talents dans un intérieur feutré qui semble le couper de la source de sa prospérité. Pourtant, son regard impérieux et sa main tendue vers une présence hors champ nous rappellent qu’il exerce son autorité dans un vaste monde.

Le peuple de la finance : porteurs de billets, actionnaires et agioteurs dans leur vie quotidienne

Loin de l’univers studieux des grands banquiers, la finance réserve son lot de souffrance et de douleurs à ceux qui cherchent à améliorer leur sort par son biais. Employés de bureaux, chargés en écritures, porteurs de billets mais aussi actionnaires et agioteurs évoluent au sein des institutions financières en espérant obtenir le moyen de leur émancipation économique28. Ils changent parfois radicalement d’activité et font du commerce du papier (papier-monnaie et actions) leur nouvelle source de revenus. Rompant avec le système quesnaysien qui voit la terre comme seule source de richesse, le travail de l’argent requiert, dès la période pré-industrielle, un effort soutenu de ceux qui visent la modification de leur niveau social.

Fig. 6. Louis-Michel Van Loo, Portrait de Nicolas Beaujon, 1748-1755, huile sur toile, Chaalis, Musée de l’abbaye royale.

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 71

Le peuple de la finance est un groupe social hétérogène, essentiellement masculin, même si quelques femmes apparaissent avec constance dans les estampes qui le décrivent. Il convient dès à présent de préciser que la plupart des témoignages gravés qui nous sont parvenus, dont l’essentiel fait partie du Het Groote der Tafereel der Dwaasheid29, sont empreints d’une forte tonalité satirique. Aussi faut-il porter un regard critique sur la description des attitudes quotidiennes qui se déroulent sous nos yeux, et ne pas tenir compte des plus caricaturales. C’est la raison pour laquelle les planches les plus emblématiques de l’année 1720 comme Monument consacré à la postérité de la folie incroyable de la XXe année du XVIIIe siècle de Bernard Picart30, L’Agioteur, élevé par la Fortune au plus haut degré de la richesse et de l’abondance31, ou encore La Voiture des Agioteurs32 ne font pas partie de cette étude. L’analyse des interactions entre satire et témoignage quotidien relève d’une recherche dont les méthodes et les attendus sont différents33. Pour l’heure, il convient de centrer notre propos sur la gestuelle quotidienne de l’agiotage. Placée aux marges de la notion de travail par l’absence de cadre corporatiste et de pénibilité physique, la spéculation, telle que menée autour de 1720 par le petit peuple de la finance, est malgré tout une pratique économique nécessaire pour certains individus qui en ont fait le choix, voire une quête de survie.

Sous la Régence, le commerce du papier devient une activité frénétique. Apparaissent ceux que l’on appelle les agioteurs, qui spéculent sur la valeur des actions de la Compagnie des Indes et des billets émis par la Banque royale. Mais aucun édifice parisien ne peut les accueillir. Leur commerce reste, par sa rapidité de développement et son agitation, hors des règles corporatives traditionnelles. Aucune bourse de valeurs n’est édifiée dans l’urgence, ni même aménagée dans un espace ad hoc. Les agioteurs et petits actionnaires s’installent rue Quincampoix, qui devient le centre névralgique de leurs échanges. Mais très vite, devant les débordements et accès de violence qui émaillent quotidiennement les lieux34, la police chasse les agioteurs qui déménagent quelques temps sur la place Louis-le-Grand en 1720. Ce haut lieu de la spéculation immobilière au début du siècle est aussi le quartier où se sont installés plusieurs grands financiers au premier rang desquels on trouve Antoine Crozat. L’activité migrera ensuite dans le jardin de l’hôtel de Soissons. Ce n’est qu’après la liquidation de la Banque royale, suite à sa faillite en 1721, qu’une véritable bourse de valeurs sera installée à Paris, dans le jardin du Palais Mazarin qui communique avec l’hôtel de Nevers, côté rue Vivienne35.

Toutes les estampes de notre corpus dessinent une foule anonyme, et non des individus identifiables. Une inscription tente d’identifier une figure comme étant celle de John Law ; mais aucun détail physionomique précis ne peut être réellement rapproché des portraits attestés du banquier. À travers ces images imprimées, nous découvrons les étroites échoppes de vendeurs installées les unes contre les autres, devant lesquelles se presse une foule bigarrée. On se harangue, on crie, on discute, on négocie âprement. Dans la gravure en taille douce intitulée Rue Quincampoix en l’année 1720, exécutée par Antoine Humblot et vendue chez Duchange à Paris36 (fig. 7), plusieurs scènes typiques du quotidien financier sont rassemblées. Deux hommes se serrent la main après

Fig. 7. Antoine Humblot, Rue Quincampoix en l’année 1720, gravure en taille-douce, chez Duchange, Paris, BnF, Département des estampes et de la photographie.

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS72

Fig. 8. Jean-François Benard, L’Almanach de la Fortune ou Agenda de la rue Quincampoix, gravure, 1720, Paris, BnF, Département des estampes et de la photographie.

Fig. 9. Antoine Humblot, L’Hôtel de Soissons établie [sic] pour le commerce du papier en 1720, 1720, gravure en taille-douce, chez François-Gérard Jollain, Paris, Bnf, Département des estampes et de la photographie.

Fig. 10. Antoine Humblot, L’Hôtel de Soissons établie [sic] pour le commerce du papier en 1720, 1720, gravure en taille-douce, chez François-Gérard Jollain, Paris, Bnf, Département des estampes et de la photographie, détail.

Fig. 8.

Fig. 9.

Fig. 10.

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 73

une transaction satisfaisante ; une femme négocie en montrant deux doigts de sa main pour indiquer le prix qu’elle souhaite ; un homme portant un tricorne écrit dans son carnet de notes à l’aide d’une plume d’oie. Le papier et la plume sont les accessoires récurrents de cette iconographie. On voit des individus en train de lire, d’afficher des instructions ou encore d’écrire en utilisant le dos d’un autre comme pupitre. À l’image du portrait de Samuel Bernard, le geste d’écriture est indissociable de la nouvelle économie financière. Les pièces de monnaie, absentes de la scène de rue, sont renvoyées dans le cartouche central. Symboles de la fortune, elles coulent en flots puissants de deux cornes d’abondance. Seuls les papiers (actions, billets de banque, livres de comptes et feuilles de calculs) focalisent l’attention des agioteurs. Au milieu de la fièvre spéculative et des bagarres qu’elle engendre évoluent quelques ivrognes, vendeurs de boissons et crieurs publics, rappelant l’agitation bruyante de Paris.

Cette foule grouillante se retrouve dans L’Almanach de la Fortune ou Agenda de la rue Quincampoix gravé par Jean-François Benard pour l’année 172037 (fig. 8). Des mains se serrent et des conversations s’engagent en tout anonymat dans un espace urbain modelé par une perspective accentuée. Mais malgré l’effet d’enfermement que suggère à dessein la composition, on ne retrouve pas chez Benard la précision sociologique qui faisait la saveur du travail de Humblot. Avec L’Hôtel de Soissons établie [sic] pour le commerce du papier en 172038, ce dernier insiste plus sur les échanges monétaires portés par le langage corporel des agioteurs (fig. 9). On voit des pièces passer de main en main, et des billets tendus. Le geste d’écriture, tout comptable qu’il est, cède la place, dans la représentation, aux transactions financières. Représenté par le métal ou le papier, l’argent est au cœur des préoccupations des agioteurs. Le groupe social qui se déploie sous nos yeux est en voie de professionnalisation. L’entrée du jardin, située au fond à gauche de la composition, est filtrée par des hommes armés et certains malandrins sont repoussés sans ménagement afin d’éviter les accès de violence qui émaillaient le quotidien de la rue Quincampoix. Le trait de Humblot est particulièrement mordant lorsqu’il place dans une lumière artificielle les visages des agioteurs, plongés dans leur contemplation des pièces et des billets (fig. 10). L’argent possède un charme magique qui fascine et aliène la raison de ses possesseurs. Il montre plus loin un garçon qui tente de rattraper un chien chapardeur, tenant dans sa gueule une liasse de lettres. Ce n’est plus la nourriture qui est vitale, mais l’argent métamorphosé en papier par l’abstraction du Système. La vision de Humblot frappe par la confrontation qu’il organise entre attitudes pittoresques39 et disparités sociales.

En Angleterre et aux Provinces-Unies, la bulle spéculative est dénoncée avec autant de sarcasme, si ce n’est plus encore. La plupart des feuilles imprimées sont outrancières, montrant le Diable d’Argent vomissant des billets, des agioteurs écrasés par les roues d’une Fortune contraire, ou d’autres construisant de bric et de broc une nouvelle tour de Babel. Mais ici aussi, certains détails semblent directement inspirés des faits et gestes quotidiens de la nouvelle économie financière. La gravure de J. Cole40 intitulée The Bubblers bubbl’d or the Devil take the hindmost dite aussi Les Acheteurs d’actions payés avec du vent41 (fig. 11), montre l’effervescence qui anime une bourse de valeurs

Fig. 11. J. Cole, The Bubblers bubbl’d or the Devil take the hindmost, dit Les Acheteurs d’actions payés avec du vent, vers 1720, gravure à l’eau-forte, Paris, BnF, Département des estampes et de la photographie.

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS74

NOTES

1. Je tiens à remercier chaleureusement Christophe Henry pour ses remarques, propositions, et relectures précieuses. C. Van Mander, Livre de Peinture, 1604, cité dans J. M. Montias, « Le marché de l’art aux Pays-Bas, xve et xvie siècles », Annales. Économie, sociétés, civilisations, 1993, vol. 48, n° 6, p. 1541. La phrase complète est : « L’art est venu à Anvers parce qu’il fraie volontiers avec l’argent. »

2. A. Furetière, Dictionnaire universel, La Haye-Rotterdam, Arnaut & Reinier Leers, 1690, sub voce « Finance ».

3. Ibid., sub voce « Financier ».

4. Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1694, t. II, p. 592, sub voce « Travail ».

5. Ibid., p. 591-592.

6. Ibid., p. 592.

7. Lire R. Dubois-Corneau, Jean Pâris de Monmartel, banquier de la Cour, Paris, Librairie Jean-Fontaine, 1917, et surtout la thèse de M. Cheynet de Beaupré, Joseph Pâris-Duverney, financier d’État (1684-1770). Ascension et pouvoir au Siècle des Lumières, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2010, dont une partie a été publiée sous le titre Joseph Pâris-Duverney, financier d’État (1684-1770). Les

sur le modèle de celle d’Amsterdam édifiée par Hendrick de Keyser42. Chaque pilier symbolise la cote d’un marché ou d’une matière première, comme le café ou le chocolat, et la liste placée au centre recense tous les marchés du jour présents sous le péristyle avec leur cotation ajustée. Certains acheteurs gesticulent en brandissant des documents, d’autres accourent à toute jambe. Les uns crient et les autres négocient, pendant que les papiers périmés s’envolent, pris dans un tourbillon. Bien sûr, il y a de nombreux individus anéantis par de mauvaises transactions, comme l’homme en bas à droite, qui porte son poing à sa tête pour contenir sa colère dont la cause est inscrite sur le papier qu’il tient dans sa main : « I am ruind by these Bubbles. » Un autre, derrière-lui, lève pensivement le visage et s’interroge, le doigt pointé vers le front ; l’inscription qui lui est associée – « I can not sleep » – nous montre dans quelle confusion mentale il se trouve. L’illusion du commerce du papier, une fois de plus, semble accaparer l’esprit de ces acheteurs anonymes.

Portraits peints et vues de bourses constituent deux pôles notables de la représentation du commerce financier sous la Régence. Ils n’en sont pourtant pas les seules sources visuelles et leur analyse devrait être croisée avec les témoignages écrits (correspondances, livres de comptes, traités économiques, commentaires d’observateurs, etc.) pour être approfondie. Si la question de l’allégorie et de la satire mériterait une étude à part entière, la figuration individuelle, et notamment l’étude des portraits de financiers, permettrait de cerner de façon plus précise leurs stratégies de légitimation professionnelle, la substitution des modèles qu’ils remploient (courtisan, amiral, philosophe), ainsi que l’autonomisation progressive du type iconographique qu’ils construisent.

Au demeurant, la première approche que nous proposons pour l’époque de la Régence indique un emploi déterminant de la gestuelle dans la recherche de légitimité individuelle qui anime les gens de la finance, tout comme dans la figuration collective de l’agiotage qui en fonde l’essor. Plus encore qu’une signalétique de la légitimité ou de l’inconscience de la finance, la gestuelle accompagne ici l’émergence d’une nouvelle organisation sociale, celle du commerce de l’argent et de l’effort physique et intellectuel qu’il requiert. L’action politique des grands financiers est déterminante, mais repose sur le socle social chaotique qu’est celui des bourses et des échanges de valeurs. Les uns ne vont pas sans les autres, la gestuelle souveraine et quasi impassible des banquiers et conseillers d’État trouvant son pendant dans l’acharnement du petit agioteur qu’anime le féroce espoir de fortune, souvent déçu.

Docteur en histoire de l’art de l’université Paris-Sorbonne et ancienne boursière du Centre allemand d’histoire de l’art (2013-2014), Valentine Toutain-Quittelier est chargée de cours à l’université de Poitiers. Sa thèse, Regards en miroirs. Les relations artistiques entre la France et Venise, 1700-1730, a été honorée du prix Nicole 2012 décerné par le Comité Français d’Histoire de l’Art. Elle a co-dirigé les actes Watteau au confluent des arts. Esthétiques de la grâce (PUR, 2014) et Visible Lisible, confrontations et articulations du texte et de l’image (Nouveau Monde Éditions, 2007). Ses recherches actuelles portent sur les liens entre la peinture vénitienne et la France et sur les interactions entre art et finance au xviiie siècle.

HISTOIRE DE L’ART N°74 2014/1 75

parlementaires parisiens du xviiie siècle », Revue de l’Art, 1986, n° 73, p. 28-42 ; M. N. Rosenfeld, « Les portraits des prévôts, des officiers municipaux et des échevins de la ville de Paris », Largillierre, portraitiste du dix-huitième siècle (cat. exposition : Montréal, 1981), Montréal, musée des Beaux-Arts, 1982, p. 141-171.

18. Sur Pierre Lacour Père (1745-1814, par distinction de Pierre Lacour Fils), consulter X. Salmon, « Projets du peintre Pierre Lacour pour le Grand Théâtre de Bordeaux », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, p. 169-180 ; O. Le Bihan, Pierre Lacour : Le port de Bordeaux, histoire d’un tableau, Bordeaux, Le Festin, 2007. L’édition de ses propres textes et souvenirs a donné lieu à l’exposition Pierre Lacour, notes et souvenirs d’un artiste octogénaire (1778-1798) (cat. édité par P. Le Leyzour et D. Cante, Bordeaux, musée des Beaux-Arts, 1989).

19. Sur l’histoire des marchands de Bordeaux, lire L. Coste, « Le recrutement des juges et consuls de la Bourse des marchands de Bordeaux, des origines au gouvernement de Richelieu (1564-1625) », Histoire de la Justice : les Tribunaux de commerce. Genèse et enjeux d’une institution, 2007-1, n° 17, p. 45-53. L’auteur replace ces juges et consuls dans la hiérarchie marchande de Bordeaux, et relate l’histoire de ce patriciat marchand.

20. Sur l’album Louis-Philippe et son histoire, consulter l’article d’H. Delalex, « La collection de portraits du roi Louis-Philippe au château de Versailles », Bulletin du Centre de Recherche de Versailles, 2011, édition en ligne : http://crcv.revues.org/11331 ; DOI : 10.4000/crcv.11331.

21. La définition que nous retenons de l’« industrie » est celle donnée par Alain Becchia, qui la concentre sur « les activités de production et d’échange ». A. Becchia, Modernités de l’Ancien Régime (1750-1789), Rennes, PUR, 2012.

22. Pour le détail de cette œuvre, consulter A. James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), thèse de doctorat sous la direction de Bertrand Jestaz, EPHE, 2003, n° 1109, p. 1668-1669.

23. Pour le détail de cette œuvre, consulter ibid., n° 1118, p. 1678-1680. Ariane James-Sarazin précise bien qu’il s’agit de « l’une des œuvres majeures de Rigaud, tout d’abord par l’ampleur et le caractère inédit de sa composition […] ; ensuite par son prix – sept mille deux cents livres –, un des plus élevés de la carrière de l’artiste, exception faite des portraits royaux et de l’effigie du cardinal de Bouillon » (p. 1680).

24. L’importance des gestes chez Rigaud n’est plus à démontrer. Rappelons les mots si justes d’Ariane James-Sarazin : « Suggestive, éloquente, volubile, la main est chez Rigaud au cœur de cette rhétorique des gestes qui, variant au gré du modèle, révèlent une part de son être social. » A. James-Sarazin, « Notice d’œuvre : Études de mains », dans E. Coquery (dir.), Visages du Grand Siècle : le portrait français sous le règne de Louis XIV, 1660-1715 (cat. exposition : Nantes, 1997, Toulouse, 1997-1998), Paris, Somogy, 1997, n° 92, p. 244.

25. Pierre Granville et Antoine Schnapper ont déjà relevé l’intérêt de cette nature morte en rapprochant l’encrier, le poudrier et la sonnette d’une étude à l’huile conservée au musée des Beaux-Arts de Rouen. Consulter P. Granville, « Les bonnes surprises de l’escarpolette »,

sentiers du pouvoir (1684-1720), Paris, Honoré-Champion, 2012. Consulter aussi l’ouvrage de P.-A. Caron de Beaumarchais, Le Tartare à la Légion, M. Cheynet de Beaupré (introduction), Bordeaux, Le Castor Astral, 1998, pour son introduction consacrée à la famille Pâris. Voir aussi C. Favre-Lejeune, Les Secrétaires du roi de la Grande Chancellerie de France : dictionnaire biographique et généalogique (1672-1789), Paris, Sedopols, 1986, p. 1039.

8. Lire entre autres R. Minton, John Law: the Father of Paper Money, New York, 1975 ; E. Faure, La Banqueroute de Law : 17 juillet 1720, Paris, Gallimard, 1977 ; J. Cellard, John Law et la Régence, Paris, Plon, 1996 ; A. E. Murphy, John Law, Berne, Peter Lang, 2007.

9. J. Saint-Germain, Samuel Bernard, le banquier des rois, Paris, Hachette, 1960.

10. M. Pollitzer, Le Règne des financiers : Samuel Bernard, J. Law, G.-J. Ouvrard, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1978 ; A. Smedley-Weill, Les Intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995 ; F. Bayard, « Les financiers français et la campagne (1600-1650) », dans G. Farhat (dir.), André Le Nôtre, fragments d’un paysage culturel. Institutions, arts, sciences et techniques (actes de colloque : Sceaux, 1999), Sceaux, musée de l’Île-de-France, 2006, p. 22-35  ; F. Magnot (dir.), Le Système de Law, représentation, discours et fantasmes du XVIIIe siècle à nos jours (actes de colloque : Montpellier, 2013), Rennes, PUR, à paraître en 2015.

11. P. Hamon, L’Or des peintres : l’image de l’argent du XVe au XVIIe siècle, Rennes, PUR, 2010 ; R. E. Spear et P. Sohm (dir.), Painting for Profit: the Economic Lives of Seventeenth-Century Italian Painters, New Haven, Yale University Press, 2010.

12. R. Ziskin, The French Crown and the « Financiers » of Paris: Public and Private Representation at the Place Vendôme, 1685-1792, thèse sous la direction de James Ackerman, Harvard University, 1992  ; ead., The Place Vendôme: Architecture and Social Mobility in 18th Century Paris, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 1999.

13. A. Schnapper, Curieux du Grand Siècle. Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1994, ouvrage qui prend en compte les premiers temps du xviiie siècle  ; C. Guichard, Les Amateurs d’art à Paris au XVIIIe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2008.

14. P. Michel, Collections et marché de l’art au XVIIIe siècle, Bordeaux, Cahiers du Centre François-Georges Pariset, 2002.

15. J.-F. Pinchon (dir.), Les Palais d’argent : l’architecture bancaire en France de 1850 à 1930, Paris, RMN, 1992 ; M. Leveau-Fernandez, Hôtels de caisses d’épargne, Paris, Éditions de l’Épargne, 1994  ; M.-C. Chaudonneret, «  Collectionner l’art contemporain (1820-1840). L’exemple des banquiers », dans M. Preti-Hamard et P. Sénéchal (dir.), Collections et marché de l’art en France, 1789-1848 (actes de colloque : Paris, 2003), Rennes, PUR, 2005, p. 273-282.

16. L. Fontaine, Le Marché : histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2013.

17. G. de Lastic, « Rigaud, Largillière et le tableau du Prévôt et des échevins de la ville de Paris de 1689 », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1975, p. 147-156  ; O. Bonfait, « Les collections des

LE MONDE DE LA FINANCE SOUS LA RÉGENCE D’ORLÉANS76

condamné au supplice de la roue en mars 1720. Lire à ce sujet J.-C. Petitfils, Le Régent, Paris, Fayard, 2006, p. 535-536.

35. Si la date exacte d’édification de cette bourse de valeur reste encore à préciser, elle a eu lieu une fois les tourments de la bulle spéculative oubliés et la Bibliothèque du roi installée dans les murs précédemment occupés par la Banque royale. Le plan de masse réalisé par Robert de Cotte en 1734, pour l’ensemble du quadrilatère de la Bibliothèque, nous montre le jardin fermé par un corps de bâtiment en L qui relie le Palais Mazarin aux maisons de la rue Vivienne (Paris, BnF, Département des Estampes, fonds Robert de Cotte 2335). Sur le plan de Paris par Turgot (1739), on voit précisément les arcades aux fines colonnes qui rappellent l’aménagement de la bourse d’Amsterdam par Hendrick de Keyser.

36. Le Département des estampes de la BnF possède une version sans la lettre, avec la mention de Humblot en bas à gauche et de Du Change en bas à droite. La version avec la lettre commençant par « L’An 1719, la rue Quinquempoix fut choisie pour être le Théâtre des premières opérations du Sisteme des Finances » est conservée à la bibliothèque de l’INHA ; les noms de Humblot et Du Change ont disparu. Deux copies dans le même sens sont également conservées à la BnF, dans la collection Hennin. Elles portent la mention de Humblot et Du Change, mais présentent des inscriptions et une lettre en hollandais pour l’une, en allemand pour l’autre. Lire Y. Bruand et M. Hébert, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIIe siècle, t. XI, Paris, Bibliothèque nationale, 1970, p. 439-440.

37. Un exemplaire se trouve à la bibliothèque de l’INHA, à Paris.

38. La version que nous étudions est conservée au Département des estampes de la BnF, à Paris. Elle a été gravée par Antoine Humblot, et commercialisée chez Jollain, rue Saint-Jacques, en la boutique de l’Enfant Jésus.

39. La lettre, dans la version conservée au Département des estampes de la BnF, insiste bien sur cette vision anthropologique  : « Veûë de la place de l’Hotel de Soissons au moment des Echanges du papier l’on y voit par la variété des attitudes les Negotiations differentes de ceux qui composent cette foule dont une partie y parroissent Contents de leurs gains […]. »

40. Si le prénom du graveur Cole reste encore incertain, il est probable qu’il s’agisse de John Cole, documenté en Angleterre au début du xviiie siècle. Lire K.-H. von Heinecken, Dictionnaire des artistes, dont nous avons des estampes…, vol. IV, Leipzig, chez Gean Gottlob Immanuel Breitkopf, 1790, p. 247.

41. Il s’agit d’une variante inversée d’une planche issue du Grand miroir de la Folie et intitulée De Wind Koopers met Wind betaald, of de laaste zal blyven hangen.

42. Consulter K. A. Ottenheym, P. Rosenberg et N. Smit, Hendrick de Keyser. « Architectura Moderna », moderne bouwkunst in Amsterdam (1600-1625), Amsterdam, SUN, 2008. La bourse a été représentée par Philips II Vinckboons, La Bourse d’Hendrick de Keyser, huile sur cuivre, 1634, Amsterdam, Amsterdam Historisch Museum.

Le Monde, 19 mai 1977 et A. Schnapper, « Morceaux choisis d’époque Louis XIV », La Donation Badelou au musée de Rouen. Études de la revue du Louvre et des Musées de France, 1980, n° 1, p. 53-58.

26. Cette dimension maritime, ainsi que la typologie iconographique, ne sera pas étrangère aux portraits anglais des capitaines et amiraux, tel le célèbre Capitaine Coram de William Hogarth (1740, Londres, The Foundling Museum, Brunswick Square).

27. A. Delcourt, La France et les établissements français au Sénégal entre 1713 et 1763, Paris, IFAN, 1952, p. 380-381. Sur Samuel Bernard, consulter aussi E. de Clermont-Tonnerre, Histoire de Samuel Bernard et de ses enfants, Paris, Champion, 1914. Sur le commerce triangulaire, appelé Atlantic System dans les travaux anglo-saxons, lire Becchia, Modernités de l’Ancien Régime..., p. 121-122.

28. Laurence Fontaine rappelle la philosophie politique du xviiie siècle et les travaux d’Adam Smith et Nicolas de Condorcet pour qui « le marché aidât l’homme a accéder à lui-même ». Plus loin, elle se plait à citer les mots d’Emmanuel Kant qui, dans la même mouvance, évoquait la « majorité » de l’individu, renforçant l’idée d’émancipation sociale. Lire Fontaine, Le Marché..., p. 11.

29. Het Groote der Tafereel der Dwaasheid, 1720, est dit aussi Le Grand Tableau de la folie, représentant l’origine, le progrès et le discrédit des actions... et du commerce chimérique qui furent en vogue en France, en Angleterre et dans les Pays-Bas en 1720, formant un recueil de toutes les conditions et projets des compagnies d’assurances, de navigation, de commerce, etc., établies dans les Pays-Bas... avec des estampes, des comédies et des poëmes, publiés par différents amateurs, pour flétrir cet exécrable et frauduleux commerce, par lequel différentes familles et personnes de haute et de basse condition ont été ruinées dans cette année..., s.l, s.d. Il s’agit d’un recueil de gravures satiriques mettant en scène les trois bulles spéculatives de 1720 (française, anglaise et hollandaise). Lire A. H. Cole, The Great Mirror of Folly, an economic-bibliographical study, Boston, Baker Library, 1949 ; W. Goetzmann, C. Labio et al., The Great Mirror of Folly: Finance, Culture and the Crash of 1720, New Haven et Londres, Yale University Press, 2013.

30. Deux versions aux variantes infimes sont conservées à Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie. Le dessin de Bernard Picart, préparatoire à la gravure, est aujourd’hui conservé au Rijkspretenkabinet du Rijksmuseum d’Amsterdam. Il a été réalisé à la plume, encre brune et lavis brun et rehauts de sanguine.

31. Réalisée en 1720, cette gravure est signalée dans J. Le Long, Bibliothèque historique de la France, contenant le catalogue des ouvrages, imprimés & manuscrits qui traitent de l’Histoire de ce Royaume ou qui y ont rapport, vol. 4, Paris, Veuve Herissant, 1775, p. 93. Une version est conservée à la Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie.

32. Ibid. Une version est conservée à la Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie.

33. Ce qu’ont bien montré les travaux de Pierre Waschenheim sur l’estampe séditieuse au xviiie siècle.

34. Rappelons le triste épisode du comte de Horn qui poignarda un autre agioteur rue Quincampoix, et fut