monnaie, revenu national et prix en économie ouverte

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Monsieur Jean-Jacques Rosa Monnaie, revenu national et prix en économie ouverte In: Revue économique. Volume 23, n°6, 1972. pp. 1102-1113. Citer ce document / Cite this document : Rosa Jean-Jacques. Monnaie, revenu national et prix en économie ouverte. In: Revue économique. Volume 23, n°6, 1972. pp. 1102-1113. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1972_num_23_6_408066

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Monsieur Jean-Jacques Rosa

Monnaie, revenu national et prix en économie ouverteIn: Revue économique. Volume 23, n°6, 1972. pp. 1102-1113.

Citer ce document / Cite this document :

Rosa Jean-Jacques. Monnaie, revenu national et prix en économie ouverte. In: Revue économique. Volume 23, n°6, 1972. pp.1102-1113.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1972_num_23_6_408066

MOI

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX EN ECONOMIE OUVERTE

L'analyse de l'équilibre général macroéconomique est habituellement menée à l'aide du schéma dit IS-LM.

Cette présentation offre deux avantages : — elle permet de distinguer l'équilibre sur le marché des biens et services

d'une part, de la monnaie d'autre part, et de déterminer l'équilibre général par la confrontation de ces équilibres partiels ;

— elle permet de distinguer les effets des politiques budgétaires et monétaires, menées séparément ou conjointement. Mais le modèle, prolongement de l'analyse keynésienne, exclut deux

problèmes fondamentaux des économies contemporaines : — l'équilibre de la balance des paiements dans un système d'économies

ouvertes et de taux de change fixes ; — le niveau général d'équilibre des prix.

Or il s'agit incontestablement des deux préoccupations principales qui orientent la politique d'équilibre macroéconomique.

Sur ces deux points, des travaux récents apportent un perfectionnement du modèle 1 et il est possible d'aller plus loin en utilisant les résultats acquis.

Après avoir rappelé brièvement l'apport de Wrightsman, concernant l'introduction de la balance des paiements dans le graphique IS-LM, et celui de Claassen, concernant l'introduction du niveau général des prix, nous établirons un modèle complet d'équilibre du revenu national, de la monnaie et des prix en économie ouverte.

L — L'équilibre de la balance des paiements dans le modèle IS, LM

Dans l'espace revenu national — taux de l'intérêt où sont portés les lieux IS et LM, une nouvelle courbe EE est introduite qui exprime l'équilibre de la balance des paiements comme l'égalité des soldes nets de la balance commerciale et de la balance des capitaux.

1. E.M. Claassen, D. Wrightsman. (Voir bibliographie en fin d'article.)

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 103

La construction géométrique est expliquée dans la figure 1.

(1)

Figure 1

Dans le cadran (1) est tracée la fonction d'exportation nette de biens et de services (ENBS) qui dépend du niveau du revenu national. Pour un faible niveau de revenu, l'exportation nette est positive, puis elle s'annule et devient négative avec l'augmentation du revenu.

En effet, l'augmentation du revenu entraîne une augmentation des importations alors qu'elle n'a pas d'influence directe sur les exportations : ces dernières dépendant essentiellement de la demande étrangère.

Dans le cadran (3), la fonction exportation nette de capitaux dépend du taux de l'intérêt. Pour un taux faible, les capitaux s investiront volon-

1 104 REVUE ECONOMIQUE

tiers à l'étranger, alors que lorsque les taux s'élèvent, les capitaux étrangers affluent, rendant l'exportation nette négative.

Par construction, la courbe EE définit les combinaisons i-y pour lesquelles la balance des paiements est en équilibre, c'est-à-dire les points pour lesquels ENC = ENBS.

Plus le revenu national est élevé, plus le taux d'intérêt doit être élevé pour que les entrées de capitaux compensent le déficit de la balance des biens .et services.

Les points situés au-dessus de EE définissent une situation d'excédent de la balance des paiements, et ceux situés en dessous de EE une situation de déficit de la balance des paiements.

La configuration des courbes IS, LM, EE et du revenu de plein emploi YP permet de définir plusieurs situations économiques concrètes dont la figure 2 donne deux exemples extrêmes.

LM (1)

!S

(2)

EE

Figure 2

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 105

Dans le cas (1), le sous-emploi s'accompagne de déficit de la balance des paiements. En effet, l'équilibre sur le marché des biens et services et sur celui de la monnaie se situe à gauche de YP, donc en sous-emploi, et en dessous de EE. c'est-à-dire que le revenu est encore trop élevé (ou le taux d'intérêt trop faible) pour assurer l'équilibre de la balance des paiements. Ceci correspond à la situation des Etats-Unis dans les années 60.

Dans le cas (2), l'excédent de la balance des paiements s'accompagne d'un suremploi générateur d'inflation.

Une discussion détaillée des configurations possibles et des objectifs prioritaires de la politique économique (équilibre interne ou équilibre externe) permet de déterminer l'intervention la plus adaptée, soit par la politique budgétaire (IS), soit par la politique monétaire (LM), soit une combinaison de même orientation ou contradictoire des deux politiques 2.

Mais en évoquant le cas de l'inflation, nous avons soulevé la difficulté principale que ne peut surmonter le modèle IS-LM : l'absence de détermination du niveau général des prix. C'est la variable qu'il nous faut introduire.

IL — La détermination simultanée du niveau général des prix et du revenu national

dans le modèle DZ

Elle s'effectue par la confrontation de deux courbes, D et Z, dans l'espace prix-revenu national 3.

La courbe D est le lieu des points p-Y pour lesquels il y a à la fois équilibre sur le marché des biens et services et sur le marché de la monnaie. Sa construction s'effectue de la façon suivante (fig. 3) .

Soit au départ un niveau de prix P, et une niasse monétaire M donnée invariable tout au long du raisonnement.

Une baisse du niveau de prix de Px à P,, entraîne une augmentation M M

des encaisses réelles, > . P2 Px

Ceci produit deux effets : — L'effet Key nés : à demande réelle de biens de consommation et d'en

caisses inchangées, une offre excédentaire d'encaisse va apparaître qui détermine en général une baisse du taux de l'intérêt. Si l'investisseur est sensible à cette baisse, il augmente le montant de son investissement et entraîne une augmentation du revenu national.

2. D. Wrightsman. 3. E.M. Claassen, 1958. Nous n'étudions ici que le cas général.

Revue Economique — N» 6, 1972

1 106 REVUE ECONOMIQUE

Sur la figure, ceci se traduit par un déplacement de LMX en LM2. — L'effet Pigou : l'accroissement des encaisses réelles détermine un accrois

sement des consommations, et donc, par le jeu du multiplicateur, du revenu national. Ceci se traduit par le déplacement de SIX en SI2. Ainsi, à une variation du niveau général des prix de Px à P2, correspond

une augmentation du revenu national d'équilibre de Yx à Y2. Le taux d'intérêt a augmenté de ix en i2.

La variation du taux d'intérêt dépend de l'importance relative de l'effet Keynes et de l'effet Pigou 4.

1

2 1

P

P1

P2

\ lsi

\

5 2

Y2

\

\^

LM,

/ /LM2

Y

^^ D

Figure 3

4. E.M. Claassen, p. 55. L'auteur distingue les diverses formes possibles de la courbe D dans le cas keynésien et dans le cas classique.

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 107

O(N)

(I)

D(N)1

(3)

Y(N)

Figure 4

La courbe Z est construite à partir du marché du travail et de la fonction de production (fig. 4)..

Dans le cadran (1) sont confrontées l'offre et la demande de travail. L'offre est fonction croissante du salaire, la demande est fonction de la productivité marginale en valeur.

Lorsque les prix baissent de Pr en P2, la productivité marginale en valeur diminue, ce qui se traduit par une baisse de D (N) 1 en D (N) 2.

Ainsi nous obtenons la courbe N exprimant le volume de l'emploi en fonction du niveau général des prix (cadran 2).

1 108 REVUE ECONOMIQUE

Le volume de l'emploi permet de déterminer, à l'aide de la fonction de production, le niveau du revenu national réel (cadran 3).

La mise en correspondance du niveau général des prix et du niveau du revenu national permet de construire la courbe Z.

La confrontation de la courbe D liant le niveau des prix au revenu national sur les marchés, des biens et services et de la monnaie, et de la courbe Z liant P et Y sur le marché des facteurs, détermine P et Y d'équilibre (fig. 5).

Figure 5

Voyons maintenant comment introduire l'équilibre externe dans le modèle DZ.

IIL — Monnaie, revenu national et prix dans une économie ouverte

La variation du niveau général des prix va exercer une influence sur la courbe EE non étudiée par Wrightsman.

En effet, une baisse du niveau général des prix, toutes choses égales par ailleurs, détermine dans une économie ouverte une augmentation des exportations nettes de biens et services. C'est-à-dire (fig. 6) que la courbe

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 109

ENBS va se déplacer vers le haut, puisqu'à un même niveau de revenu correspond une exportation nette plus élevée lorsque le niveau des prix a baissé.

Nous obtenons donc une courbe ENBS pour chaque niveau des prix. Par construction, nous obtenons comme précédemment une courbe EE

correspondant au niveau de prix (cadran 3). E (P2) est située en dessous de E (Px) pour P2 < Px.

(3)

ENC

ENC= ENB5

Figure 6

1 110 REVUE ECONOMIQUE

Mais cette nouvelle courbe EE exprime les relations entre taux d'intérêt et revenu 5, alors que pour l'introduire dans le modèle DZ, il faut la situer dans l'espace prix-revenu. C'est ce que nous faisons dans la figure 7 qui représente l'ensemble des équilibres partiels dans une économie ouverte.

Les deux colonnes de gauche reprennent le modèle DZ de Claassen. La colonne de droite [figures (3) et (6)] représente la dérivation d'une nouvelle courbe XX d'équilibre externe dans l'espace P-Y à partir des courbes EE dans l'espace t-Y.

O(N

Y (N)

Figure 7

5. Notons que, pour un niveau de prix en baisse, un même niveau du taux d'intérêt permet d'obtenir un revenu plus élevé tout en conservant l'équilibre externe.

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 111

Partant du taux d'intérêt tel qu'il est déterminé dans le cadran (2) et du niveau de prix initial Px, nous obtenons le revenu national compatible avec l'équilibre extérieur en Y1.

Lorsque les prix passent à P2, le taux de l'intérêt passe à i2 et le revenu national compatible avec l'équilibre externe est alors Y.,.

Il suffit par conséquent de reporter dans le cadran (6) les combinaisons P2 Y1 et P2 Y2 qui forment le lieu XX définissant l'équilibre externe. La droite XX est ensuite reportée dans le cadran (5) qui représente l'équilibre complet en économie ouverte.

Notons que les points situés en dessous et à gauche de XX définissent un excédent de la balance des paiements, et ceux situés en dessus et à droite, un déficit.

En effet, pour le point A, le revenu YA ne correspondrait à l'équilibré externe que pour une réduction de ENBS. Inversement pour B.

La situation du cadran (5) est donc celle dun équilibre interne et d'un excédent externe.

(2)

Figure S

1 112 REVUE ECONOMIQUE

Dans le cas représenté du modèle DZ (cas général et illusion monétaire du côté de l'offre de travail), la courbe Z est distincte du revenu national de plein emploi 6.

Dans ces conditions, nous pouvons situer l'équilibre macroéconomique complet par rapport au revenu national réel de plein emploi, YP (fig. 8).

Dans le cas (1), l'équilibre interne Pe Ye est un équilibre de sous- emploi accompagné d'un excédent de la balance des paiements.

Dans le cas (2), le plein emploi est obtenu à un niveau de prix plus élevé et avec un déficit de la balance des paiements.

CONCLUSION

Quatre points importants retiennent notre attention :

1. — La détermination du revenu national réel en fonction du niveau général des prix est plus satisfaisante que la représentation dans le seul espace /-Y, car nous savons l'importance de P dans une économie ouverte comme dans les préoccupations des gouvernements.

2. — Cette représentation rend sans objet l'étude des points d'équilibre situés à droite de P et couramment utilisés dans l'analyse des situations inflationnistes 7.

Cette représentation était particulièrement malheureuse par l'ambiguïté qu'elle fait planer sur le sens de Y :

Si Y est le revenu en termes réels, alors tout équilibre à droite de YP est un non-sens.

Sinon Y est parfois conçu en termes réels et parfois en termes nominaux, ce qui prive l'analyse de toute rigueur.

Dans le modèle DZX, Y est uniquement en termes réels et les situations décrites sont limitées dans l'espace POYPP.

3. - — • Dans le modèle, nous avons choisi de construire la nouvelle courbe XX à partir des taux d'intérêts déterminés de façon endogène. Mais dans les économies ouvertes contemporaines, il n'est pas certain que cette solution soit réaliste en raison de l'interdépendance accrue des marchés financiers et des effets de domination. Par ailleurs, dans la mesure où la fixation des taux d'intérêts est rien moins que libre et fait l'objet de concertations entre les représentants des gouvernements et les banques centrales, cette hypothèse est criticable.

Mais notons que rien ne s'oppose à la construction d'une courbe XX à partir des courbes EE se rapportant aux divers niveaux de prix, et du taux d'intérêt déterminé de façon exogène. Il suffit d'interrompre la correspondance, dans la figure 7, entre les cadrans (2) et (3).

6. E.M. Claassen, p. 76. 7. Cf. notamment D. Wrightsman, op. cit.

MONNAIE, REVENU NATIONAL ET PRIX 1 113

4. — Enfin l'influence des politiques économiques s'exprime dans le modèle par le déplacement de la courbe D.

Claassen examine uniquement le cas d'une variation de la masse monétaire 8.

Mais la présentation plus complète de Wrightsman peut s'appliquer sans difficulté puisque les politiques budgétaires comme les politiques monétaires entraînent en définitive un déplacement de D par l'intermédiaire de la variation de l'équilibre IS-LM.

Ajoutons que la construction permet logiquement d'examiner le problème de politique macroéconomique en deux temps : tout d'abord en examinant l'effet global nécessaire pour assurer le plein emploi et/ou l'équilibre externe. Il s'agit de déterminer le déplacement nécessaire de la courbe D.

Ensuite seulement en déterminant la combinaison la plus efficace des politiques monétaires et budgétaires pour obtenir le déplacement souhaité de D9.

Notons que dans le cas d'un taux d'intérêt déterminé de façon endogène, le choix entre politique monétaire et politique budgétaire affectera différemment le taux de l'intérêt et par conséquent la courbe X.

En tout état de cause, une discussion plus précise des pentes des diverses courbes et des effets de leurs déplacements est souhaitable. Dans cette première étape, nous avons voulu compléter les modèles habituels des économies contemporaines et en éliminant au passage certaines ambiguïtés qui rendaient gênante ou inappropriée l'utilisation du modèle Hicks- Hansen pour l'analyse de l'équilibre externe

Jean-Jacques ROSA Maître de Conférences,

Agrégé de Sciences économigues

8. E.M. Claassen, pp. 93-98. 9. Sur l'analyse des combinaisons des deux types de politiques dans le

modèle IS-LM, voir Wrightsman.

BIBLIOGRAPHIE

E.M. Claassen, Monnaie, revenu national et prix, Dunod, 1968, ch. II. J.R. Hicks, « Mr. Keynes and the Classics » : A Suggested interpretation », Eco-

nometrica, avril 1937, 5, pp. 147-159. A.O. Krueger, « Balance of Payments Theory », Journal of Economie Literature.

mars 1969, 7, pp. 1-26. R.A. Mundell, « The Appropriate Use of Monetary and Fiscal Policy for Internal

and External Stability», l.M.F. Stall Papers, mars 1962, 9, pp. 70-79. D. Wrightsman, « IS, LM, and External Equilibrium : A Graphical Analysis »,

American Economic Review, mars 1970, LX, pp. 203-208.

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