la monnaie romaine à namur et dans sa province

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68 68 Frontispice G. Fr. N, Museographia, Leipzig, 1727.

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FrontispiceG. Fr. Neickel, Museographia, Leipzig, 1727.

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LA MONNAIE ROMAINE À NAMUR ET DANS SA PROVINCE

Jean-Marc Doyen1

La place de la collection namuroise dans la recherche

Le goût pour la numismatique de l’Antiquité grecque et romaine émerge en Europe au début de la Renaissance. La redécouverte des sources littéraires antiques, di2usées grâce à l’imprimerie récemment créée, provoque de la part des érudits une forte demande de documents relatifs à cette période. À côté des premières collections réunies dans les cabinets de curiosités, ancêtres de nos cabi-nets des médailles, se développe une littérature spéci4que à la Sciences des Médailles. La publication à Paris, en 1514, des cinq volumes du De asse et partibus ejus de Guillaume Budé (1467-1540) constitue la première édition numismatique2. L’utilisation de gravures sur bois à des 4ns illustratives débute très tôt : c’est le cas dans les Illustrium Imagines d’Andrea Fulvio, éditées à Rome en 15173. Toutefois, aucun sens critique ne préside au choix des prototypes iconographiques, puisqu’on y trouve, au côté des empereurs romains, des personnages mythiques tirés de l’Ancien Testament, ou largement antérieurs à l’invention de la monnaie (ca. 600 avant Jésus-Christ).

Le besoin de collections de référence se fait très vite sentir. Dès le xvie siècle, un réseau serré de collectionneurs et de fournisseurs se développe en Europe. À une date quelque peu postérieure — à la 4n du xviiie siècle en général — apparaissent de nombreuses sociétés savantes qui, au siècle sui-vant, créent des musées accessibles au public. La plupart de ces associations se concentrent sur la mise en valeur du patrimoine local, mais peu éprouvèrent, dès le milieu du xixe siècle, le désir de

1. UMR 8164 du CNRS (HALMA-IPEL, Université de Lille 3) – CReA-Patrimoine (Université Libre de Bruxelles) : [email protected]

2. M. Veillon, Histoire de la numismatique ou la Science des Médailles, Paris, 2008.3. G. Fea, Il fondo libri di numismatica della Biblioteca Civica « Giovan Battista Adriani » di Cherasco (Secoli XVI-

XVIII), Città di Cherasco, 1998, pp. 8-9.

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réunir de manière réellement systématique le plus de documents possible touchant à la circulation monétaire ancienne dans le cadre d’une région donnée. La Société archéologique de Namur ne fait sans doute pas totalement exception, mais sa date ancienne de création (1845) et surtout le soin apporté à l’archivage des découvertes régionales par ses conservateurs successifs depuis plus de 150 ans ont permis de constituer un ensemble numismatique unique en Belgique.

Longtemps reléguée au rang d’auxiliaire de l’histoire, la numismatique est cependant beaucoup plus qu’une simple science des monnaies quelque peu esthétisante. Autrefois quali4ée de Répu-blique des Médailles, elle fut mise à l’honneur sous le règne de Louis XIV et faisait alors partie de la panoplie de l’honnête homme, au sens du xviiie siècle. Notons l’ambiguïté de la langue française4 qui appelle numismate le collectionneur, le négociant et le savant, alors qu’il ne viendrait à l’esprit de personne d’appeler botaniste un jardinier ou un banal marchand de légumes.

4. La langue anglaise est moins équivoque : collector, coin dealer et numismatist couvrent les trois activités du numismate francophone.

Vues du cabinet de Nicolas ChevalierN. Chevalier, Remarques sur la pièce antique de bronze, trouvée depuis quelques années aux environs de Rome, &

proposée ensuite aux curieux de l'Antiquité, pour tâcher d'en découvrir l'usage : Avec une description de la chambre des raretez de l'auteur, Amsterdam, Wolfgang, 1694.

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Il existe, au sein de la numismatique, deux tendances principales. La plus ancienne, quant à sa date d’apparition, est qualitative et descriptive. Elle a pour tâche la constitution de collections va-riées et si possible exhaustives dans chaque domaine. Elle nécessite le classement détaillé de chaque individu et en justi4e la publication sous forme de corpus. Le modèle du genre, aujourd’hui totale-ment obsolète, est le travail de H. Cohen (1857 et 1880-1892)5. Dans ce type d’étude, les monnaies de la République romaine sont classées dans l’ordre alphabétique des noms de familles (gentes) et non dans l’ordre chronologique des émissions. Les empereurs, leurs corégents, les épouses ou les césars sont listés de manière séparée même lorsque les émissions sont contemporaines. Et, plus grave, les revers sont présentés en ordre alphabétique et non chronologique, ce qui interdit toute tentative d’interprétation. Toutefois, la publication de sources demeure un passage indispensable : de la 4nesse des classements (datation des séries, attribution à un atelier, composition métallique) dépend toute l’interprétation que fera de la monnaie l’historien et l’économiste.

5. H. Cohen, Description générale des monnaies de la République romaine communément appelées médailles consulaires, Paris, 1857 ; Id., Description historique des monnaies frappées sous l’Empire romain communément appelées médailles impériales, deuxième édition, Paris-Londres, 1880-1892.

Une page du catalogue de H. CohenH. Cohen, Description historique des monnaies frappées sous l'Empire romain

communément appelées médailles impériales, t. 1, Paris, 1859.

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Un autre aspect de la numismatique, plus récent et in4niment plus riche, est lié à une approche quantitative et interprétative des faits anciens. Elle constitue la cliométrie, une branche des sciences économiques née au milieu des années 1970 et rapidement mise à l’honneur dans de nombreux domaines.

La monnaie, en tant qu’émanation du Prince ou de l’État, est de toute évidence le terrain idéal de recherches quantitatives. Celles-ci peuvent porter aussi bien sur les images (sémiologie, épigraphie, stylistique) que sur son support (origine du métal, titre de l’alliage, valeur et cours, estimation des quantités émises grâce à la charactéroscopie6). Cette approche très concrète se situe en amont du rôle de l’espèce métallique qui nous est plus familière. En e2et, la monnaie a été produite a4n de remplir certaines fonctions économiques, prises dans le sens le plus large : notre propos n’est certes pas d’en limiter l’usage au seul commerce. Nous y observons des mouvements, ordonnés ou non, libres ou imposés. Il peut s’agir d’un déplacement physique, c’est-à-dire induisant sous forme de 8ux la cir-culation monétaire telle que nous la concevons d’ordinaire, et ce même lorsque le 8an de métal est 4gé pour un temps par la thésaurisation, mais encore d’un déplacement virtuel, par exemple lors de l’estimation chi2rée, en monnaie réelle ou en unités de compte, de la valeur de biens ou de services. Ceci n’exclut nullement les aspects symboliques ou religieux, dans lesquels il nous faut 4nalement voir un simple commerce avec le divin. Rappelons que ces caractéristiques majeures de la monnaie sont connues de longue date, puisqu’elles sont déjà mises en exergue par Aristote 7.

Les dizaines de milliers de monnaies romaines réunies dans les collections du Cabinet numis-matique François Cajot permettent de brosser de manière assez détaillée la circulation monétaire dans la partie méridionale de la civitas Tungrorum, dans laquelle se situe la province de Namur, de la Conquête par César à l’émergence des royaumes barbares.

Deux types de sources ont été mis à pro4t par les di2érents responsables des collections numis-matiques de la Société archéologique de Namur : les découvertes isolées et surtout les trésors moné-taires. Plusieurs dizaines de dépôts gaulois ou romains sont ainsi conservés, en tout ou en partie, dans les collections namuroises, et ce parfois depuis fort longtemps. Certains numismates du xixe siècle, comme le chanoine Cajot lui-même, éditèrent en leur temps des inventaires encore utilisables de nos jours malgré la constante évolution de la recherche et l’apparition de nouveaux outils de référence. Ainsi, un petit dépôt provenant de la commune française de Vireux-Molhain, située à quelques centaines de mètres de la limite méridionale de la province, 4t l’objet d’un bref catalogue en 1861-18628, étude qui fut réactualisée en 1987 même si les monnaies, aujourd’hui non locali-sables, n’ont jamais intégré les collections namuroises9.

6. C'est-à-dire la recherche de monnaies provenant des mêmes matrices.7. Aristote, Politique, 1257 a ; Éthique à Nicomaque, V, 1133 a-b. Ces deux passages ont fait l’objet de deux

études fondamentales, quoique anciennes, d’E. Will, De l’aspect éthique des origines grecques de la monnaie, dans Revue historique, 212, 1954, pp. 209-231 ; Id., Ré"exions et hypothèses sur les origines du monnayage, dans Revue Numismatique, t. CI, 1955, pp. 5-22. Ces deux textes sont repris dans son Historica graeco-hellenistica, Paris, 1998, pp. 89-110 et 111-123. On se reportera également à G. Le Rider, La naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien, Paris, 2001, pp. 77-83 et à H. Nicolet-Pierre, Numismatique grecque, Paris, 2002, pp. 79-82.

8. Fr. Cajot, Médailles romaines en argent trouvées à Vireux (France), dans Annales de la Société archéologique de Namur, VII, 1861-1862, p. 440. Ce dépôt n’est pas entré dans les collections muséales.

9. J.-M. Doyen, Trésors romains d’Occident et d’Orient (IIe-Ve siècles). Recueil de travaux (1980-2005), coll. Moneta, 63, Wetteren, 2007, pp. 62-70.

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La plupart de ces dépôts, conservés dans leur intégralité malgré les vicissitudes des deux guerres, ont béné4cié de publications extrêmement minutieuses de M. :irion (1925-1977) et de J. Lallemand (1928-1995), alors attachés au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque royale de Belgique10. Les trésors, grands ou petits, nous renseignent sur certains aspects de la circulation monétaire. Toutefois, la recherche actuelle privilégie les monnaies découvertes isolément sur les sites archéologiques. Soigneusement décrites, ces trouvailles permettent de préciser la situation économique du Namurois dans l’Antiquité. Nous disposons depuis peu d’un inventaire sommaire des découvertes e2ectuées dans la province de Namur depuis l’apparition de ce type d’information, au xvie siècle11. Mais pour comprendre la spéci4cité d’une région, il convient dans un premier temps de déterminer les grandes lignes de la production monétaire au niveau de l’Empire tout entier.

Quelques mots ne sont donc pas inutiles pour replacer la numismatique romaine dans un contexte plus large.

Le monnayage de la République romaineCréation et évolution du monnayage en Italie depuis le iiie siècle avant Jésus-Christ

La monétarisation de l’Italie centrale et de Rome est un phénomène relativement tardif, comparé aux émissions précoces de Sicile, d’Italie du Sud voire de Gaule méridionale (Marseille). Jusqu’au iiie siècle avant Jésus-Christ circulaient à Rome des petits lingots informes de bronze échangés au poids. Ils s’intègrent dans la tradition étrusque et ne peuvent être considérés comme constituant une véritable monnaie, celle-ci impliquant des normes de production. La marque de l’État garan-tissait en e2et la masse et le titre, rendant de ce fait super8u le recours à la balance pour les transac-tions. Au cours du iiie siècle avant Jésus-Christ, ces masses adoptent la forme de grandes plaques rectangulaires que l’on appelle aes signatum. Elles portent en e2et des 4gurations diverses et peuvent peser jusqu’à 5 livres (1,6 kg). Peu aisées à manier, elles étaient souvent fragmentées et les morceaux circulaient alors au poids, comme précédemment. Elles sont considérées par l’historien P. Lévêque comme des lingots commémoratifs dont l’empreinte, apposée par l’État, atteste seulement de la qua-lité du métal12.

10. J. Lallemand et M. Thirion, Les trésors monétaires antiques du musée de Namur, dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. L, 1960-1961, pp. 1-122 ; M. Thirion, Trouvailles – Trésor de Meux : bronzes de Vespasien à Commode, dans Revue belge de Numismatique, Bruxelles, t. CVIII, 1962, pp. 235-271 ; Id., Le trésor de Fraire, monnaies gauloises en potin, dans Revue belge de Numismatique, Bruxelles, t. CVIII, 1962, pp. 67-112 ; J. Lallemand, Les monnaies antiques de la Sambre à Namur, coll. Documents inédits relatifs à l'archéologie de la région namuroise, 3, Namur, 1989.

11. J.-L. Dengis, Trouvailles et trésors monétaires en Belgique. IX. Province de Namur. La période gallo-romaine, coll. Moneta, 123, Wetteren, 2011. Il existe dans cet ouvrage de très nombreux doublets qu’il convient d’éliminer des décomptes.

12. P. Levêque, La genèse et les premières réductions du monnayage romain, dans Les « dévaluations » à Rome. Époque républicaine et impériale, vol. 2, Actes du Colloque de Gdansk (19-21 octobre 1978), coll. Publications de l’École française de Rome (ÉFR), 37, Rome, 1980, pp. 3-30.

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À côté de ces plaques quadrangulaires, dont l’usage s’achève vers 260 avant Jésus-Christ, furent fondues, vers le milieu du siècle, de lourdes monnaies rondes. Ces dernières étaient préparées avec plus de soin : les masses sont normalisées sur la base d’un as de 320 g, portant à l’avers l’image du Janus bifront (à deux visages). Les unités et les divisionnaires sont clairement identi4és par une iconographie spéci4que. Le système comprend sept dénominations : l’as, le semis (1/2 as), le triens (1/3), le quadrans (1/4), le sextans (1/6), l’uncia (1/12) et la demi-once (1/24). La masse de l’as est réduite à 260 g vers 250 avant Jésus-Christ. Cet aes grave fut coulé jusqu’à la 4n du siècle. Rome 4t toutefois frapper concurremment des petites monnaies de bronze dans des ateliers grecs d’Italie du Sud, à Tarente par exemple. Il est remarquable de relever que ces monnaies ne portent pas une légende latine, mais bien PΩMAION, les Romains en langue grecque, celle des concurrents écono-miques voire des ennemis politiques. Ceci montre la totale incapacité de ce peuple de paysans et de soldats du Latium, encore limité à un territoire relativement exigu, de développer par soi-même un outil économique performant. Le nom du peuple au génitif (ROMANO[RVM]) sera par la suite remplacé par celui de la ville au nominatif : ROMA.

Concurremment au monnayage de bronze, le système était complété par la frappe de monnaies d’argent émises à Rome même, mais relevant du système métrologique des villes d’Italie du Sud. Nous y retrouvons donc le didrachme dit romano-campanien (de 7,30 g environ), la drachme, la double litra et la litra. La réforme pondérale du milieu du iiie siècle avant Jésus-Christ fait passer ce didrachme à 6,60 g environ, montrant les diBcultés éprouvées par Rome à maintenir la stabilité de sa monnaie.

La crise due à la Seconde Guerre punique (218-201) entraîne une modi4cation considérable du système monétaire. En l’espace de quelques années, la monnaie romaine passera du statut de mon-nayage régional à celui d’international, et ce pour plusieurs siècles.

As graveRome. 225-217 avant Jésus-Christ. Bronze. 236,74 g. Diam. : 63 mm.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur.

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Le système mis en place vers 211 (voir tableau 1) comprend cinq dénominations d’argent, domi-nées par un denier valant 10 as : la marque X apparaît souvent à côté de la tête de Rome 4gurant à l’avers. Cinq valeurs de bronze s’y ajoutent. Trois pièces d’or valant 60, 40 et 20 as sont également émises, mais la frappe de l’aureus restera très exceptionnelle jusqu’au moment des Guerres civiles. À date tardive apparaissent sur les deniers des portraits de style réaliste, d’ancêtres d’abord, puis de personnages vivants : César fut le premier à oser présenter sa propre eBgie sur une monnaie en 44 avant Jésus-Christ, l’année de sa mort.

DÉNOMINATIONS MARQUE VALEUR AVERS REVERS

AR denier X 10 as

Rome casquée Les DioscuresAR quinaire V 5 asAR sesterce IIS 2,5 asAR victoriat 7,5 as

Jupiter Victoire couronnant un trophéeAR demi-victoriat 3,75 as

Ae dupondius II 2 as Minerve

Proue de navire

Ae as JanusAe semis S 1/2 as SaturneAe triens 1/3 as Minerve

Ae quadrans 1/4 as HerculeAe sextans 1/6 as MercureAe once 1/12 as Rome

Ae demi-once 1/24 as Mercure

Tableau 1. Le monnayage de la République romaine vers 211

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DenierJules César (100-44). 44 avant Jésus-Christ. Argent. 3,97 g. Diam. : 18 mm.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 10.

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Les premiers deniers pèsent environ 4,54 g mais cette masse fut ensuite rapidement réduite pour atteindre 3,80 g. La plupart sont frappés sur des 8ans bien ronds, mais d’autres présentent une bor-dure dentelée (dite serratus). Ce procédé de fabrication constituait à entailler le bord de la monnaie par des coups de lime a4n de montrer que l’intérieur de la monnaie n’était pas constitué de métal vil. En e2et, les faux deniers fourrés, simples 8ans de cuivre recouvert d’une mince couche d’argent, pullulent dans la circulation.

Le bronze suit la même direction vers l’allègement : l’as pesait 6 onces (163 g) vers 217 avant Jésus-Christ, 3 onces en 214 (82 g) puis 2 onces vers 211 (55 g). L’as oncial, c’est-à-dire pesant une once (27 g), apparaît vers 179/170.

La frappe du bronze ne fut pas permanente sous la République : elle connaît une première inter-ruption entre 146 et 91 avant Jésus-Christ pour reprendre avec des asses semi-onciaux (pesant donc 13,5 g) émis par Sylla jusqu’en 85 ou 82 avant Jésus-Christ. Il faut ensuite attendre les Guerres civiles pour voir réapparaître, en 46/45 avant Jésus-Christ, de brèves séries de bronzes. En réalité, c’est sous Auguste que l’atelier de Rome reprend vers 19 avant Jésus-Christ d’importantes frappes de bronze et de cuivre.

La circulation des monnaies de la République romaine dans le Namurois

Aussi bien l’argent que le bronze républicains ont circulé chez nous pendant très longtemps. Les émissions de deniers furent considérables. Elles ont fait l’objet de tentatives de quanti4cation qui montrent l’énorme volume de métal mis en œuvre. Ainsi vers 75 avant Jésus-Christ, on estime le stock monétaire alors disponible à 1200 tonnes d’argent correspondant à 300-320 millions de de-niers13. Il n’est de ce fait pas étonnant que longtemps après la disparition de la République (31 avant Jésus-Christ), ces monnaies soient encore nombreuses dans la circulation. Ainsi sous les Flaviens (69-96 après Jésus-Christ), les deniers républicains représentent encore un peu plus de la moitié du stock monétaire d’argent circulant en Gaule14.

13. G. Depeyrot, La monnaie romaine 211 avant Jésus-Christ-476 après Jésus-Christ, Paris, 2006, p. 18. 14. J.-M. Doyen, Économie, monnaie et société à Reims sous l’Empire romain. Recherches sur la circulation monétaire

en Gaule septentrionale intérieure, (dans le numéro monographique du Bulletin de la Société archéologique champenoise, t. 100, 2007, nos 2 et 4 (2008) = Archéologie urbaine à Reims, 7), p. 33, tabl. 5.

DenierMarcus Volteius.

75 avant Jésus-Christ. Argent. 3,81 g. Diam. : 18 mm.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll.

Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 05.

DenierLucius Marcius Censorinus. Rome. 82 avant Jésus-Christ.

Argent. 3,95 g. Diam. : 18 mm. Namur, TreM.a, Cabinet

numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur,

inv. n° COA 001 04.

Denier serratiRoscia.

Argent. 2,67 g. Diam. : 16,7 mm. Trouvé à Ciney.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll.

Société archéologique de Namur, inv. n° CIN 001 01.

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Les récoltes e2ectuées autrefois dans le lit de la Sambre à Namur ont livré 9 monnaies de la République, dont six deniers et un victoriat15. Nous notons également la présence très exceptionnelle d’un sextans de bronze frappé en 214-212 avant Jésus-Christ dans la colonie de Luceria en Apulie (les Pouilles actuelles). Cette monnaie présente en outre la caractéristique d’avoir été surfrappée sur un bonze grec de Hiéron II de Syracuse (274-216 avant Jésus-Christ). Mais les autres chantiers archéologiques de Namur ont livré 1 as et 4 deniers supplémentaires, soit un total de 11 monnaies d’argent.

L’agglomération proche de Taviers, l’antique Tabernae, a pour sa part livré 5 monnaies de la République, dont 2 deniers. Nous sommes loin des importantes quantités découvertes sur le vicus de Liberchies (Geminiacum), dans le Hainaut. Les 70 exemplaires récoltés s’y répartissent en 47 monnaies d’argent et 23 de bronze. Ces dernières sont pour la plupart coupées en deux a4n de s’intégrer au système monétaire augustéen.

Mais les monnaies de la République apparaissent sporadiquement dans le reste de la province de Namur, sous forme de petites séries parfois associées à des monnaies gauloises, par exemple à Matagne-la-Petite (5 exemplaires)16. Au total, nous relevons la présence du monnayage républicain sur 28 sites de la province, totalisant 56 exemplaires (voir tableau 2).

DÉNOMINATIONS NOMBRES TOTAL

Ae 2

16As 3

1/2 as 4Dupondius 6

1/2 dupondius 1Deniers 33

40Deniers fourrés 3Quinaires/Victoriati 4

15. J. Lallemand, Op. cit., pp. 26-27.16. G. De Boe, Le sanctuaire gallo-romain dans la Plaine de Bieure à Matagne-la-Petite, coll. Arch. Belgica, 251,

Bruxelles, 1982.

Tableau 2. Les monnaies de la République romaine dans le Namurois

Denier de Julia MamaeaSévère Alexandre (222-235). Rome. 227.

Argent. 2,01 g. Diam. : 17-19 mm. Trouvé à Taviers.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll.

Société archéologique de Namur, inv. n° TAV 002 07.

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Origine des monnaies retrouvées dans la Sambre

a. Follis, Crispus (317-326). Londres. 321-322. Bronze. 2.43 g. Diam. : 18-20 mm ; b. Quinaire, Allectus (293-296). Colchester. 293-296. Bronze. 2.36 g. Diam. : 19 mm ; c. Antoninien, Postume (260-269). Cologne. 266-268. Argent. 3.82 g. Diam. : 20-21 mm ; d. Antoninien, Victorin (269-271). Trèves. 269. Billon. 2.45 g. Diam. : 18-20 mm ; e. Antoninien, Probus (276-282). Lyon. 277. Billon. 4.15 g. Diam. : 22-23 mm ; f. Follis, Constantin Ier (306-337). Arles. 316. Bronze. 1.80 g. Diam. : 19 mm ; g. Antoninien, Probus (276-282). Pavie. 278. Billon. 3.69 g. Diam. : 22-23 mm ; h. Antoninien, Gallien (260-268). Milan. 260.

Billon. 3.63 g. Diam. : 21 mm ; i. Antoninien, Aurélien (270-275). Sisak. 271-274. Billon. 3.84 g. Diam. : 21-24 mm ; j. Denier, Caracalla (211-217). Rome. 210-213. Argent. 3.15 g. Diam. : 17-18 mm ; k. Antoninien, Aurélien (270-275). Sophia. 271-274. Billon. 3.75 g. Diam. : 22-23 mm ; l. Néoantoninien, Dioclétien (284-305). Héraclée. 295-298. Billon. 3,29 g. Diam. : 20-21 mm ; m. Follis, Crispus (317-326). Nicomédie. 325-326. Billon. 3,19 g. Diam. : 18 mm ; n. As, Elagabale (218-222). Nicée.

Cuivre. 4,40 g. Diam. : 20-21 mm ; o. Antoninien, Aurélien (270-275). Cyzique. 271-274. Billon. 3,64 g. Diam. : 19-21 mm ; p. Denier, Elagabale (218-222). Antioche. 219-220. Argent. 3,71 g. Diam. : 18 mm.

Trouvés à Namur. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur. inv. n° NAM-030-19, NAM-029-

05, NAM-022-09, NAM-022-33, NAM-027-44, NAM-029-38, NAM-028-04, NAM-021-11, NAM-027-34, NAM-018-44, NAM-027-36, NAM-029-07, NAM-030-34, NAM-019-33, NAM-027-37, NAM-019-31.

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Nous relevons une très nette supériorité numérique du denier sur le quinaire (ou le victoriatus). La répartition de ce matériel chez les Rèmes et les Trévires, les voisins méridionaux et orientaux des Tongres, a fait l’objet d’une étude récente qui montre chez nous une indubitable spéci4cité régio-nale.

Alors que les espèces valant un demi-denier (quinaire d’argent et victoriat) atteignent environ 30 % chez les Trévires et 16 % chez les Rèmes, ces dénominations occupent à peine 10 % du numéraire républicain d’argent en province de Namur. En revanche, le taux de falsi4cation, très important chez les Trévires (plus de 25 %) est moins marqué chez les Rèmes (9 %) et les Tongres (7,5 %). Il s’agit ici de monnaies fourrées dites subaerati (âme en cuivre recouverte d’une pellicule d’argent), par exemple celle découverte à Ciney copiant un denier de L. Rosci Fabati frappé à Rome en 64 avant Jésus-Christ (voir ill. p. 76).

Nous ignorons encore quelle signi4cation nous devons accorder à ces données quantitatives, mais il est clair que deux possibilités peuvent être envisagées : soit ces trois peuples di2érents puisent dans un stock commun en rejetant chez leurs voisins le numéraire jugé inapte à la circulation locale, soit les trois zones sont alimentées par des sources di2érentes. Cette dernière hypothèse paraît la plus vraisemblable.

Quant aux monnaies de bronze, nous constatons la relative rareté des fractions obtenues par découpe : à peine 4 demi asses sur 7, et surtout un seul demi dupondius sur 7. Cette dernière déno-mination a été frappée à Vienne et à Lyon vers 38-36 avant Jésus-Christ. Chez les Rèmes, nous avons relevé seulement 5 dupondii intacts sur un échantillon de 66 exemplaires. Il y a donc dans la moitié méridionale du territoire des Tongres un remarquable dé4cit de monnaies coupées. On pourrait y voir un indice d’une arrivée à date haute, antérieure à la réforme augustéenne de 19 avant Jésus-Christ.

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QuinaireAuguste (27 avant Jésus-Christ-14 après Jésus-Christ). Carthage. 36-35 avant Jésus-Christ.

1,71 g. Diam. : 14 mm. Trouvé à Rognée. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° ROG 001 02.

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Le monnayage de l’Empire romainLes Guerres civiles (49-31 avant Jésus-Christ) et l’accession d’Auguste

Le passage du système monétaire républicain à celui mis en place par Auguste constitue une période de transition diBcile. Les émissions contemporaines des Guerres civiles (49-31 avant Jésus-Christ) avaient été réalisées essentiellement par les chefs de guerre a4n de payer la solde des armées (par exemple : le denier de César émis en Gaule dans un atelier itinérant). On y retrouve de l’or et, essentiellement de l’argent, métaux éminemment stratégiques. Interrompue depuis 82 avant Jésus-Christ, la production de bronze était laissée à l’initiative des régions ou des villes, entraînant une anarchie métrologique considérable.

Auguste et les Julio-Claudiens (27 avant-68 après Jésus-Christ)

La défaite de la 8otte de Marc-Antoine et Cléopâtre (le 2 septembre 31) laisse à Octave, qui change en 27 son nom en celui d’Auguste, l’opportunité de créer un système monétaire stable. Cette réforme est un préalable indispensable au rétablissement du prélèvement des taxes, une acti-vité nécessaire à tout état organisé.

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Denier de CésarAtelier itinérant. 49-48 avant Jésus-Christ.

Argent. 3,82 g. Diam. : 16-17 mm. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique

François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 11.

DenierMarc Antoine (44-30). Atelier itinérant. Argent. 3,66 g. Diam. : 18-19 mm.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 32.

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Aureus (avers - revers)Auguste (27 avant Jésus-Christ-14 après Jésus-Christ). Lyon. 7-6 avant Jésus-Christ. Or. 7,76 g. Diam. : 19 mm. Trouvé à Harlue.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, HAR 001 01.

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La principale innovation est l’introduction d’un système de monnaies de bronze soigneusement hiérarchisées, chacune se situant dans un rapport du simple au double par rapport à la dénomi-nation inférieure (voir le tableau 3). Le nouveau système n’est plus fondé sur l’as mais bien sur le sesterce. Autrefois frappée en argent, cette dénomination est désormais produite en orichalque (lai-ton), un alliage de cuivre et de zinc créé sans doute en Asie Mineure un demi-siècle plus tôt, don-nant à la monnaie une belle couleur dorée. Ces modi4cations n’apparaissent pas de but en blanc : elles sont précédées de tentatives d’uniformisation en Grèce et à Pergame.

Les émissions impériales proprement dites, qui subsisteront sous une forme quasi inchangée jusqu’au règne de Gallien (260-268), sont au départ dominées par deux ateliers. Rome produit essentiellement pour l’Italie et les régions limitrophes. Son activité, sous le règne d’Auguste, est sporadique. En Gaule, l’atelier de Lyon servira de centre destiné à l’alimentation en or et en argent de l’ensemble de l’Empire, et ce jusqu’à sa fermeture en 77/78 sous Vespasien. Il est possible que des succursales de cet atelier lyonnais, ou faisant usage de coins gravés à Lyon, aient fonctionné dans l’est de l’Empire. Mais à côté du monnayage strictement impérial se poursuivent des émissions pro-vinciales, parfois très abondantes. Ainsi, la colonie romaine de Nîmes frappe à partir de 16/15 avant Jésus-Christ d’innombrables dupondii, répartis en trois séries, qui circulent en abondance dans nos régions septentrionales. Ils sont souvent coupés en deux, a4n de correspondre à la masse de l’as. La présence à l’avers de deux têtes opposées facilitait cette opération de découpage.

Devant le manque quasi permanent de petites monnaies (phénomène dû au coût du transport, généralement supérieur à la valeur de la pièce), se développa l’activité d’ateliers régionaux ou locaux. OBciels ou tolérés par le pouvoir, ils produisent des imitations copiant les types légaux a4n d’ali-menter les di2érents circuits économiques. Il convient de ne pas confondre les imitations et les faux. Ces derniers, destinés à tromper l’utilisateur, sont l’œuvre de personnes peu scrupuleuses dont l’activité est sévèrement réprimée. À certains moments (par exemple sous Auguste et Tibère), les deniers falsi4és sont plus abondants que les authentiques.

Les trois séries de NîmesGravures de L. Dardel dans H. de la Tour, Atlas de monnaies gauloises, Paris, 1892, pl. VII.

AureusNéron (54-68). Rome. Or. 7,17 g. Diam. : 16-18 mm. Trouvé à Wépion.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur.

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Le nouveau système mis en place par Auguste comprend désormais une hiérarchie très simple allant du quadrans (quart de l’as) à l’aureus et même au quaternio (quadruple aureus). Aucune marque de valeur n’est indiquée sur les monnaies (sauf, très occasionnellement, les chi2res I et II sous Néron pour distinguer l’as du dupondius). Toutefois, le diamètre et la couleur du métal pour le sesterce et ses sous-multiples rendaient la confusion impossible, puisque le laiton jaune alternait avec le cuivre rouge.

À partir de 19 avant Jésus-Christ, partout dans le monde romain, du Nil à l’Écosse, circulaient les mêmes dénominations. Cependant, un monnayage local survit en Occident jusqu’à l’époque de Claude Ier (41-54 après Jésus-Christ) et en Orient jusque sous Tacite (275-276), exception faite de l’atelier provincial d’Alexandrie dont la production cesse en 297-298.

En 64 après Jésus-Christ, Néron modi4e le rapport de valeur entre l’or et l’argent. Sous Auguste, ce rapport s’établissait à 1 pour 12,18 ; il passe alors à 1 pour 11,72. L’argent est donc réévalué de 4 % environ. De ce fait, la masse de l’aureus descend à 7,26 g contre 7,98 g sous Auguste, et le denier à 3,40 g au lieu de 3,89 g. Ces di2érences d’apparence minime entraînent pourtant des conséquences considérables. D’une part, l’atelier de Rome entreprend de refondre et de refrapper un maximum de monnaies lourdes rentrées dans les caisses de l’État via les taxes. D’autre part, les trésors monétaires montrent l’importance de la césure formée par la réforme. Ainsi, le trésor de Liberchies, constitué après 166, mais datant sans doute du début du iiie siècle, débute par une série de 68 aurei de Néron (sur 368 pièces), toutes dans un état d’usure fort avancé. Pas un seul exemplaire antérieur à l’année 64 n’y 4gure, montrant le soin apporté à la récupération des monnaies lourdes.

Les émissions d’or resteront le principal apanage de l’atelier de Lyon jusqu’à la réforme de Néron. À partir de 64, les aurei sont de nouveau produits dans la capitale, mais la frappe de l’or reprend brièvement à Lyon sous Vespasien. La centralisation véritable de la production sous Auguste sera de brève durée. Dès l’accession au pouvoir des Flaviens (69-96 après Jésus-Christ), l’or et l’argent sont également émis à Tarraco (actuellement Saragosse, en Espagne), en Mésie (actuellement la Serbie), à Éphèse (Asie Mineure), à Antioche (Syrie), en Judée et à Alexandrie en Égypte.

Nom Aureus Quinaire Denier Quinaire Sesterce Dupondius As Semis Quadrans

Métal or or argent argent laiton laiton cuivre laiton cuivre

AureusQuinaire d’or

DenierQuinaire d’argent

SesterceDupondius

AsSemis

Quadrans

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21-------

2512,5

1------

502521-----

10050421----

200100

8421---

400200168421--

80040032168421-

16008006432168421

* L’antoninianus, créé en 215 et valant deux deniers, n’est pas repris.

Tableau 3. Système monétaire de l’Empire romain (27 avant Jésus-Christ-294 après Jésus-Christ)

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17. Il faut en e2et reporter après 40 après Jésus-Christ la majorité des pseudo-asses copiant des types augustéens, comme nous l’avons montré à partir des données de Reims.

Les monnayages des Julio-Claudiens et de Vespasien dans le Namurois

Nous avons tenté de réunir la documentation relative à la circulation monétaire dans le Namu-rois, depuis l’accession d’Auguste en 27 avant Jésus-Christ, à la mort de Vespasien en 79, a4n de déterminer les grandes lignes de l’approvisionnement local en numéraire (voir tableau 4).

DÉNOMINATION Auguste Tibère Caligula Claude Néron Gal. Vespasien TOTAL

Aureus 1 - 1 1 2 - - 5Denier 8 2 - 1 3 6 10* 30Sesterce - - 2 2 8 2 14 28

Dupondius 12 1 3 - 7 1 22 46½ dupondius 5 - - - - - - 5

As 95 6 20 14 52 2 32 221½ as 1 - - - - - - 1Semis 5 - - - 2 - - 7

Pseudo-as 6 - - 9 2 - - 17Ae 2 - - - 3 - 2 7

TOTAL 135 9 26 27 79 11 80 367

* dont 2 deniers fourrés.

Tableau 4. Les monnaies d’Auguste à Vespasien (27 avant-79 après Jésus-Christ) dans la province de Namur (Gal. = Galba, Othon et Vitellius)

Les informations économiques que l’on peut tirer de ce type de données quantitatives sont sou-vent très précises. Sans entrer ici dans les détails, nous noterons :

- la présence anormalement abondante de l’or. Ce phénomène est aisé à expliquer : ce type de monnaie a été très systématiquement archivé, et l’identi4cation ne pose généralement aucun problème ;

- l’argent, fréquent sous Auguste, ne devient réellement abondant qu’à partir de l’année 68 (Galba-Othon-Vitellius) ;

- le sesterce, attesté à partir du règne de Néron, double sa présence à partir du règne de Vespasien ;

- le dupondius triple son apport entre Néron et Vespasien, au détriment de l’as, qui diminue de moitié.

Ainsi, nous constatons à partir des années 70 après Jésus-Christ, d’une part la disparition pro-gressive des petites dénominations, d’une valeur d’un demi, voire d’un quart d’as, très abondantes sous Claude et Néron17 ; d’autre part, l’as lui-même est progressivement remplacé par le dupondius et le sesterce. Dès lors, nous relevons dans le Namurois une évolution semblable à celle mise en

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évidence chez les Rèmes : l’enrichissement progressif des habitants et, surtout, l’importance de la période 8avienne dans le développement économique de la cité des Tongres. C’est du reste à cette période que nous relevons généralement la monumentalisation des grandes villae ou de certains sanctuaires (par exemple Fontaine-Valmont) et l’emploi de plus en plus systématique des construc-tions en pierre recouvertes d’une toiture en tuiles.

La présence de militaires à Namur sous Auguste ?Nous pouvons noter la présence dans la région d’asses d’Auguste portant des contremarques.

Celles-ci étaient apposées dans les camps du limes sur des monnaies destinées à des distributions particulières (les donativa). Ces contremarques a2ectent la forme de petits cachets portant des lé-gendes abrégées incluant des lettres ligaturées a4n d’occuper le moins d’espace possible.

À Namur, six monnaies ainsi contremarquées appartiennent au règne d’Auguste18. Elles men-tionnent toutes le nom de Tibère sous des formes plus ou moins abrégées, la plus complète étant TIB(erius) C(aesar) AV(gusti) F(ilius). Deux autres exemplaires d’origine régionale s’ajoutent à ceux de Namur. Si la moyenne est faible (moins de 6 %), le pourcentage atteint à Namur est assez remar-quable (6/35, soit 17 %) et rejoint ceux typiques des sites militaires de la même époque19. On peut dès lors penser à la présence d’une garnison à Namur dans les années 20-30 après Jésus-Christ.

18. Quatre autres sont plus tardives et datent des guerres civiles de 68 et du règne de Vespasien.19. J.-M. Doyen, Économie, monnaie et société… op. cit., p. 97, tabl. 30.

Dessin d'une monnaie avec scène de donativum Extrait de J. B. A. A. Barthélémy, Nouveau manuel complet de numismatique ancienne, Paris, s. d., pl. 3, n° 100.

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De l’empire des Antonins à la crise du iiie siècleLe système monétaire romain reste inchangé jusqu’au début du iiie siècle. Les diBcultés

économiques, dès l’époque des Antonins (138-192), se marquent à di2érents niveaux. Au iie siècle, le sesterce devient la dénomination la plus courante. Son taux de zinc, qui donnait à ces monnaies leur aspect doré et une certaine plus-value métallique, passe de 14,5 % sous Trajan à 3,4 % sous Commode. Mais, plus grave encore, est la dépréciation de la monnaie d’argent. Le denier de Néron, pesant 3,40 g pour un titre de 4n de 91 % reste stable jusqu’en 138. Il descend à 3,23 g et 88 % de 4n sous Antonin le Pieux pour 4nalement chuter à 51 % à peine en 214. L’année suivante, Caracalla réforme cette monnaie en stabilisant le titre d’argent à 50 %, mais en créant deux dénominations nouvelles : le double aureus (binio) et le double denier (antoninianus, tiré du nom de l’empereur : M. Aurelius Severus Antoninus), tous deux caractérisés par l’usage, sur l’eBgie impériale, de la couronne radiée de Sol. Les impératrices, en revanche, voient leur buste placé sur le croissant de Luna. Mais si l’antoninien est tarifé en tant que double denier, il n’en pèse en réalité qu’un et demi. Cette monnaie décline en masse et en titre tout au long du iiie siècle, pour ne plus présenter 4nalement qu’un titre d’argent symbolique de moins d’un pour cent dans les années 265-274. Le denier d’argent n’est plus frappé de manière régulière après 240. Le sesterce et ses divisionnaires disparaissent vers 265. L’or lui-même, s’il reste assez stable quant à sa pureté, n’est plus émis en tant qu’unité pondéralement invariable : l’aureus devient sous Gallien (260-268) un simple petit lingot dont la qualité est garantie par la marque de l’État, mais la balance est désormais nécessaire à toutes les transactions de métaux précieux jusqu’à la réforme d’Aurélien (270-275). Cette dernière a été rendue indispensable par les émissions in8ationnistes des années 265-271 dans l’Empire central, mais plus encore par celles produites par la dissidence de Gaule (Postume et ses successeurs, Victorin et Tétricus). Cette mauvaise monnaie, produite en très grande quantité, sera stockée par de nombreux particuliers au moment de son décri vers 285. Simultanément sera lancée la production d’innombrables imitations radiées, un monnayage local de statut indéterminé qui inondera l’Italie, la Gaule, l’Espagne et l’Afrique du Nord. Cette phase durera une quinzaine d’années, de 285 à 300-310, mais ces piécettes parfois minuscules (moins de 0,10 g) occuperont une part importante dans la circulation jusqu’à la réforme de 318, voir plus tard localement.

Au cours du iiie siècle, la trop stricte stabilité du système mis en place par Auguste a été un des moteurs de la crise économique. Comme l’in8ation provoquait la 8ambée des prix des matières premières, dont les métaux, la valeur intrinsèque de la monnaie dépassait régulièrement sa valeur

DenierAntonin le Pieux (138-161). Rome. 139.

Argent. 3,64 g. Diam. : 18 mm. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot.

Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 18.

AntoninienCaracalla (211-217). Rome. 216.

Argent. 4,84 g. Diam. : 22-23 mm. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot.

Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 29.

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libératoire. Les ateliers monétaires devaient donc réduire le coût en diminuant à la fois la masse et l’aloi. Chaque nouvelle émission, plus médiocre que la précédente, avait pour e2et d’accélérer la hausse des prix.

Les réformes : Aurélien (274) et Dioclétien (294)La remise en ordre du système monétaire fut e2ectuée en deux temps. La première phase date de

la 4n du règne d’Aurélien (printemps 274). Après avoir momentanément fermé l’atelier de Rome suite aux malversations dont les ouvriers s’étaient rendus coupables, l’empereur reprend la produc-tion dans un plus grand nombre d’ateliers : Lyon, Milan (déplacé à Ticinum en 274), Rome, Siscia, Serdica, Byzance, Cyzique et Antioche.

L’aureus est stabilisé au 1/50ème de livre (6,55 g). Il porte une marque de valeur explicite : IL ou

de l’antoninien est arrêtée. À sa place apparaît l’aurelianus, une belle monnaie à eBgie radiée, par-faitement ronde et super4ciellement argentée, taillée au 1/84ème de livre (3,90 g). Elle porte, elle

Une plus petite monnaie, laurée, portant à l’exergue la marque VSV (usualis ?), remplace sans doute l’ancien denier. Viennent s’y ajouter des bronzes laurés ou radiés.

AntoninienPostume (260-269). Cologne. 261.

Bronze argenté. 3,48 g. Diam. : 20-23 mm. Trouvé à Namur.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société

archéologique de Namur, inv. n° NAM3 021 48.

AntoninienTétricus (271-273).

Billon. 2,24 g. Diam. : 19 mm. Trouvé à Wépion.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société

archéologique de Namur, inv. n° WEP 024 17.

AntoninienVictorin (269-271).

Billon. 2,41 g. Diam. : 18 mm. Trouvé à Wépion.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société

archéologique de Namur, inv. n° WEP 014 24.

AntoninienSeverina (274-275). Rome.

Bronze argenté. 4,35g. Diam. : 21-22 mm. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot.

Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 24.

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AureusMaximien Hercule (286-305). Cyzique. 286. Or. 4,90 g. Diam. : 20 mm. Trouvé à Chardeneux.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, CHA 001 04.

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Les espèces créées par Aurélien se main-tiennent jusqu’à la réforme de 294, sauf les dénominations de bronze qui disparaissent rapidement.

Au cours de leurs premières années de règne, Dioclétien et son corégent Maximien Hercule conservent le système mis en place par Auré-lien. En 294 pourtant, ils lancent leur grande refonte du système, en même temps que la réorganisation administrative des provinces.

Plusieurs dénominations d’or sont frappées, dont divers grands multiples et un aureus taillé au 1/50ème de livre, destinés aux donativa (dis-tributions impériales). Une monnaie d’or plus légère, au 1/60ème de livre (5,45 g) fait oBce de grosse valeur courante.

Dioclétien fait revivre le denier de Néron, taillé au 1/96ème de livre d’argent pur et pesant 3,41 g. À l’origine, cette pièce était tarifée à 50 deniers de compte. Cet argenteus permet-tait d’acheter un modius (boisseau) de blé, soit environ 10 litres.

Ce système était complété par une grande pièce de bronze argenté de 10,30 g, à laquelle on donne le nom de nummus, et d’une pièce de cuivre de 5 g environ. Le nombre d’ateliers augmente sensiblement, passant à 16 ; tous signent leur production de manière explicite. C’est le cas, par exemple, d’un nummus de Dioclétien frappé dans la première oBcine (subdivision de l’atelier mar-quant P pour prima) de l’atelier d'Aquilée (AQ pour Aquileia).

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Modiusive siècle. Bronze. H : 220 mm, Diam. : 260 mm.

Trouvé à Ponte Puñide, Espagne. Madrid, Musée archéologique national, inv. n° 1930/16/1.

NummusDioclétien (285-305). Aquileia. 294-299.

Bronze. 8,70 g. Diam. : 26-27 mm. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François

Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° COA 001 34.

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Les réformes du ive siècleCe système ne peut toutefois survivre à la crise et à la hausse des prix. Dès 301, l’empereur se voit

contraint de réévaluer la valeur en unité de compte de sa nouvelle monnaie, faisant passer l’argenteus de 50 à 100 deniers (de compte). Dès lors, la frappe de la monnaie d’argent diminue sensiblement et tout le ive siècle sera rythmé par des réformes successives qui réintroduiront des espèces lourdes dont la masse ira en s’amenuisant jusqu’à la réforme suivante.

Le nummus de Dioclétien, pesant à l’origine 10,3 g, n’atteint déjà plus que 3,36 g en 313, et 1,96 g en 360. Les réformes se succèdent : 313, 318, 348, 353, 368, 381, etc., mais toutes concernent essentiellement le bronze argenté.

Constantin Ier (307-337), vers 309, décide de réduire légèrement la masse de l’aureus à 4,54 g. Cette nouvelle monnaie porte le nom de solidus, nom qui subsiste en français sous les formes de sol (dénomination monétaire de l’Ancien Régime) ou de sous. La conversion de l’empereur au christia-nisme lui permet de mettre la main sur les trésors des temples qui conservaient de grandes quantités de métal. Celui-ci sera en grande partie monnayé, créant de nouveau un vaste stock monétaire. Notons que Julien l’Apostat rendra aux temples les trésors des églises, opération reprise en sens inverse par son successeur, Valentinien Ier.

Le solidus est alors la seule monnaie à conserver intangibles ses caractéristiques physiques (masse et aloi), même si sa valeur en unité de compte est 8uctuante. Bien plus, la réforme de 368 introduit la marque OB (obryziacus = d’or pur), preuve d’un raBnement encore plus poussé du métal jaune, dont le titre monte désormais à 99 %.

Dès lors, on constate que les prix des denrées ou des contrats sont systématiquement libellés en solidi. De même l’État, qui désirait assurer la stabilité de ses rentrées, exige désormais d’être payé en or. La solidité de cette monnaie, jusqu’à la disparition du solidus oriental au xie siècle, en fera le véritable pivot de l’économie romaine tardive et même d’une bonne partie du haut Moyen Âge. Rome achètera aux Barbares du ve siècle la stabilité des frontières de l’Empire en payant d’énormes quantités de solidi.

La monnaie d’argent ne jouera plus désormais qu’un rôle secondaire et les frappes en sont sou-vent limitées à des émissions spéci4ques. Le nouveau système relance les activités des banquiers, tout en facilitant le retour au-devant de la scène économique des grands latifundia. La monnaie peut de nouveau circuler librement d’une extrémité à l’autre de l’Empire.

NummusConstance Chlore (293-305). Boulogne. 295-296. Bronze. 8,55 g. Diam. : 27 mm.

Trouvé à Marchovelette. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot.

Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° MAR 008 27.

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Arc de Constantin à RomeExtrait de Le Foyer des familles, Paris, n° 126, 1861.

etNummus

Constantin Ier (306/310-337). Trèves. 316. Bronze. 2,62 g. Diam. : 19-20 mm. Trouvé à Namur. Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° NAM3 029 30.

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SolidusArcadius (395-408). Milan. 395-402. Or. 4,47 g. Diam. : 21 mm. Trouvé à Suarlée.

Namur, TreM.a, Cabinet numismatique François Cajot. Coll. Société archéologique de Namur, inv. n° SUA 001 06.

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Le passage économique de l’Empire romain aux royautés barbares sera facilité par cette homo-généité du monnayage d’or qui parvient encore en abondance dans le nord de la Gaule jusqu’au vie siècle. Les remarquables trésors de Suarlée, de Furfooz et surtout de Vedrin sont là pour en attester. Les peuples germaniques de Gaule poursuivront dans un premier temps la frappe de solidi et de fractions aux noms des empereurs d’Occident puis d’Orient, en incluant progressivement des marques et monogrammes indiquant l’origine réelle de ces monnaies, avant de se concentrer sur la frappe de tremisses (tiers de solidi) issus d’ateliers strictement locaux.

Les frappes régulières de bronze en Gaule (Trèves, Lyon, Arles) s’achèvent au plus tard en 402, même si nous retrouvons encore occasionnellement de telles monnaies produites jusque vers 425 à Trèves, Lyon ou Arles. Mais l’Italie continue d’exporter dans les régions septentrionales des petites monnaies jusqu’au vie siècle, sans doute via Aquilée20. Malgré le retrait des armées de Bretagne et de Gaule du nord sous Constantin III, l’administration demeure présente jusqu’au milieu du siècle, et l’économie, même en milieu rural, réclame toujours des monnaies de faible valeur. Quelques brèves émissions de siliques d’argent sont encore e2ectuées à Trèves aux noms de :éodose II et Valenti-nien III21 ; elles apparaissent occasionnellement dans des sépultures du Namurois, tout comme des copies s’en inspirant.

20. J.-M. Doyen, Salus Reipublicae : essai de modélisation de l’alimentation monétaire dans la moyenne vallée de la Meuse entre 390 et 480 après Jésus-Christ, à paraître dans Production and Prosperity in the #eodosian Age, Katholieke Universiteit Leuven, 3-5 December 2010 ; Id., La $n de l’administration romaine de la moyenne vallée mosane : essai de modélisation de l’alimentation en numéraire entre 390 et 530 apr. J.-C., dans L’Antiquité tardive dans l’est de la Gaule, II. Colloque de Châlons-en-Champagne, 16-17 septembre 2010, Supplément à la Revue Archéologique de l’Est, à paraître.

21. J. P. C. Kent, #e Roman Imperial Coinage, Londres, v. X, 1994, nos 2094-2103.

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