les voies maritimes et diplomatiques du commerce international dans l'egypte ancienne

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Sous la direction de Philippe Sturmel DROIT INTERNATIONAL Les échanges maritimes et commerciaux de l’Antiquité à nos jours Actes du colloque de La Rochelle – 27 et 28 septembre 2012 MÉDITERRANÉES (2014) L’Harmattan

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Sous la direction de Philippe Sturmel

DROIT INTERNATIONAL

Les échanges maritimes et commerciaux de l’Antiquité à nos jours

Actes du colloque de La Rochelle – 27 et 28 septembre 2012

MÉDITERRANÉES (2014) L’Harmattan

Sommaire

Philippe Sturmel Editorial ................................................................................................ 9

Burt Kasparian Voies maritimes et diplomatiques du commerce international dans l’Egypte ancienne ............................................................................... 11

Florence Malbran-Labat, Françoise Ernst-Pradal Réglementations dans le négoce levantin de la fin de l’Age de Bronze. ................................................................................................ 39

Valérie Faranton, Micher Mazoyer Le commerce des femmes : quelques remarques à propos des pirates dans les romans grecs. ....................................................................... 53

Alheydis Plassmann La Manche du temps des rois anglo-normands (1066-1204) ............. 63

Christine Bousquet

Echange marchand dans les manuscrits enluminés de Marco Polo. . 81 Ahmed Djelida

Les cadres institutionnels des échanges entre l’Italie et le Nord de l’Afrique aux XIIe et XIIIe siècles. ...................................................... 98

Géraldine Cazals

Le grand dessein d’Emeric Crucé : une paix générale et la liberté de commerce par tout le monde. ........................................................... 111

Nicolas Martin

La députation du commerce rochelais au XVIIIe siècle ................... 190

Jacques Bouineau Le 9e livre de la Recopilación de Leyes de los Reinos de las Indias.225

Philippe Sturmel

Le commerce international sur le Canal du Midi au XIXe siècle. .... 249 Philippe Haudrère

Ananda Ranga Pillai, courtier de la Compagnie des Indes à Pondichéry. ....................................................................................... 286

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Les voies maritimes et diplomatiques du commerce international dans

l’Egypte ancienne

Le fait est à présent bien établi, et le nombre de publications récentes sur le sujet permet d’en prendre pleinement la mesure : les Egyptiens ont su tirer parti de leurs talents de navigateurs pour s’aventurer sur d’autres eaux que celles du Nil, même s’il ne leur a pas échappé que la navigation en mer est très différente de la navigation fluviale1.

Si la navigation égyptienne en Méditerranée est certaine depuis longtemps2, il a fallu attendre la première décennie du XXIe siècle pour que les doutes pouvant subsister sur des déplacements en mer Rouge soient définitivement levés3, grâce notamment aux découvertes réalisées

1 On consultera, e. g. : D.A. AGIUS, J.P. COOPER, A. TRAKADAS, Ch. ZAZZARO (éd.), Navigated Spaces, Connected Places. Proceedings of Red Sea Project V held at the University of Exeter, 16-19 September 2010, BAR International Series 2346, 2012 ; Egypte Afrique & Orient, No 64, décembre 2011-janvier-février 2012 : Les bateaux et la navigation en Egypte ancienne II. 2 Elle pourrait remonter à une époque aussi reculée que Naqada III : S.M. VINSON, Boats of Egypt before the Old Kingdom (MA), Austin, 1987, p. 228 sq. Pour une voix discordante, bien isolée, sur une telle navigation en Méditerranée, cf. Cl. VANDERSLEYEN, Le rapport d’Ounamon (vers 1065 avant Jésus-Christ). Analyse d’une mission manquée, Editions Safran, Connaissance de l’Egypte ancienne 15, 2013 (pour l’a., Ounamon n’est pas allé sur la mer Méditerranée jusqu’à Byblos et Chypre, mais s’est embarqué sur l’Ouadi Toumilat et a navigué vers l’est pour quérir du bois, probablement au-delà du Delta). 3 Cf. P. TALLET, E.-S. MAHFOUZ (éd.), The Red Sea in Pharaonic Times. Recent Discoveries along the Red Sea Coast. Proceedings of the Colloquium held in Cairo / Ayn Soukhna 11th-12th January 2009, BdE 155, 2012 ; P. TALLET, G. MAROUARD, D. LAISNEY, « Un port de la IVe dynastie au Ouadi al-Jarf (mer Rouge) », BIFA0 112, 2012, p. 399-446 ; K.A. BARD, R. FATTOVICH (éd.), Harbor of the Pharaohs to the Land of Punt. Archaeological Investigations at Mersa/Wadi Gawasis Egypt, 2001-2005, Napoli, 2007 ; Afrique & Orient, No 41, Avril 2006 : Les Egyptiens et la Mer Rouge.

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par une mission franco-égyptienne de fouilles sur le site d’Ayn Soukhna4. Ces découvertes ont conforté des informations déjà connues, tant écrites qu’iconographiques (comme des gravures rupestres d’embarcations trouvées à Sérabit el-Khadim, dans le Sinaï), qui suggéraient des expéditions maritimes à destination du Sinaï, en fournissant aux chercheurs les éléments de preuve qui leur manquaient. L’étude récente des ancres mises au jour à Ouadi/Mersa Gawasis dans les années 1970 a pareillement mis en évidence leur utilisation dans les fonds de la mer Rouge et le fonctionnement du site comme une sorte de chantier naval depuis au moins le Moyen Empire5. Les fouilles de ces dernières années au même endroit nous en ont appris davantage sur la technologie des anciens Egyptiens, leur expertise en matière de construction navale, en même temps que sur la logique administrative et bureaucratique qui présidait aux différentes opérations liées à leurs déplacements en mer6.

L’apport exceptionnel du site d’Ayn Soukhna, sur le Golfe de Suez, réside dans le fait qu’il a livré les vestiges calcinés de deux navires égyptiens datant du Moyen Empire, qui furent construits pour atteindre la péninsule du Sinaï, où les Egyptiens exploitaient depuis l’Ancien Empire des mines de turquoise et de minerai de cuivre. Les navires, de 13 à 15 mètres de long, furent découverts en pièces détachées dans des galeries, creusées au pied de la montagne, à environ 500 m du rivage, qui faisaient office, depuis semble-t-il l’Ancien Empire, de magasin et d’entrepôt pour le stockage du matériel et des approvisionnements nécessaires aux

4 P. POMEY, « Les bateaux d’Ayn Soukhna, Les plus vieux vestiges de navires de mer actuellement connus », Egypte Afrique & Orient, No 64, décembre 2011-janvier-février 2012, p. 3-12. 5 Ch. ZAZZARO, « Les ancres de Mersa Gawasis », Egypte Afrique & Orient No 64, p. 13-20 ; Ch. ZAZZARO, M. ABD EL-MAGUID, « Ancient Egyptian Stone Anchors from Mersa Gawasis », dans P. TALLET, E.-S. MAHFOUZ (éd.), The Red Sea in Pharaonic Times, op. cit., p. 87-103. 6 Cf. Ch. WARD, « Ancient Egyptian Seafaring Ships. Archaeological and Experimental Evidence », dans P. TALLET, E.-S. MAHFOUZ (éd.), The Red Sea…, op. cit., p. 53-63 (avec reconstitution d’un vaisseau maritime égyptien baptisé « Min du désert », fig. 4, p. 63).

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expéditions 7 . Les informations révélées par l’analyse des vestiges retrouvés sont riches d’enseignement, tant sur la nature des bois utilisés (du cèdre, plus rarement du chêne, pour les planches ; de l’acacia pour les tenons d’assemblage), que sur la logique présidant à la construction et à la préservation des navires concernés. En raison de la rareté des bois de construction navale qui étaient importés, les bateaux n’étaient pas laissés en eau libre, sans protection particulière, entre deux expéditions souvent éloignées de plusieurs années, mais conditionnés sur place, après démontage, avant réutilisation. Ce démontage était conçu dès l’origine, car les bateaux construits sur les bords du Nil devaient être défaits pour être acheminés jusqu’à la mer (cf. l’inscription d’Amény infra), où ils étaient alors assemblés par ligatures et tenons et mortaises.

La preuve est donc établie d’une navigation précoce sur la mer Rouge, dont on peut fixer avec certitude les débuts sous l’Ancien Empire, et qu’on peut aisément expliquer par les motivations qui conduisent les hommes à se lancer dans des explorations maritimes : les ambitions de conquête, les nécessités matérielles et la convoitise de produits rares, exotiques et précieux8, le souci de raccourcir les distances entre deux points difficilement accessibles par les voies terrestres ou même par voie fluviale, mais aussi, peut-être plus simplement, la curiosité pour un ailleurs synonyme d’inconnu.

Les préoccupations d’ordre économique sont celles qui sont le mieux rendues par la documentation écrite, elles s’inscrivent dans la continuité des contacts commerciaux que l’Egypte a, dès l’époque prédynastique,

7 P. POMEY, op. cit. 8 Comme le bois, une nécessité vitale pour l’Egypte : T. BARDINET, Relations économiques et pressions militaires en Méditerranée orientale et en Libye au temps des pharaons : histoire des importations égyptiennes des résines et des conifères du Liban et de la Libye depuis la période archaïque jusqu’à l’époque Ptolémaïque, Etudes et Mémoires d’Egyptologie 7, Paris, 2008.

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entretenus avec ses voisins9. Les témoignages archéologiques en ce sens ne manquent pas. Au milieu du IVe millénaire, la culture qui s’établit à Maadi, aujourd’hui la banlieue sud du Caire, apparaît comme un centre d’import-export, qui reçoit notamment du cuivre du Sinaï, des huiles et des graisses aromatisées transportées dans des vases fabriqués en Palestine10, mais encore de l’obsidienne et du lapis-lazuli, que l’on va chercher jusqu’aux confins de l’Indus.

Bien que des objets en provenance du Proche-Orient aient été attestés de bonne heure en Egypte, on ne peut cependant établir qu’ils proviennent d’un commerce maritime ou d’un contact par la mer entre l’Egypte et la Mésopotamie.

Si de tels liens ont existé à cette époque, ils sont à éclaircir, mais rien n’interdit de les envisager dès l’instant où l’Egypte s’est constituée en Etat unifié et centralisé. En tout cas, ils sont certains à partir de la IVe dynastie, et c’est sur la pierre de Palerme qu’on en trouve la première trace, qui porte l’indication d’une préoccupation marquée des souverains égyptiens pour le développement de la navigation et, partant, de la construction navale11. Au bas de son recto, sur la première case ou vignette, une inscription se rapportant à l’an 13 du règne de Snéfrou mentionne la construction d’un bateau en cyprès (en égyptien hiéroglyphique : « merou ») de 100 coudées, nommé « Adorer les-Deux-Terres », et de 60 autres, dits « bateaux royaux de 16 », ainsi que l’apport de 40 bateaux chargés de pin-parasol (« ash »), dont on peut supposer qu’il était également destiné à la construction navale12. Pour l’année 9 J. ROY, The Politics of Trade. Egypt and Lower Nubia in the 4th Millennium BC, Culture and History of the Ancient Near East 47, Leiden, Boston, 2011 ; R. KUHN, « Handelsbeziehungen zwischen Ägypten und seinen Nachbarn in vor- und frühdynastischer Zeit », Kemet 2/2011, p. 20-25. 10 J. VERCOUTTER, L’Egypte et la Vallée du Nil. Tome 1 : Des origines à la fin de l’Ancien Empire. 12000-1200 av. J.-C., Paris, 1992, p. 147-150. 11 H. SCHÄFER, Ein Bruchstück altägyptischer Annalen, Berlin, 1902, pl. I. ; T. WILKINSON, Royal Annals of Ancient Egypt, Londres, 2000, fig. 1. 12 T. WILKINSON, op. cit., p. 141-142 (PS r.VI.2)

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suivante, la pierre enregistre une entreprise similaire, avec la construction de trois navires de 100 coudées, l’un en pin et les deux autres en cyprès13. La rareté des bois de construction en Egypte donne à penser que la cargaison de l’an 13 fut importée du Levant, où les Egyptiens allaient se fournir en grumes, et qu’elle fut donc transportée par voie maritime.

Une telle idée est suggérée par deux reliefs de la tombe de Sahourê, qui montrent sans la moindre ambiguïté des bateaux de mer – reconnaissables à l’étrave et l’étambot, ainsi qu’à l’épais cordage qui court le long des vaisseaux14. Selon Borchardt, il s’agit du départ et de l’arrivée d’une expédition vers la Syrie, comme le donne à penser la représentation de biens syriens dans la salle hypostyle du temple.

Le même roi, Sahourê, est connu pour avoir équipé, dans sa 13e année de règne, une expédition pour le lointain pays de Pount15, qu’on tend à localiser aujourd’hui dans la province du Kassala, entre le Nil Bleu et la mer Rouge, au niveau du Soudan et de l’Erythrée moderne16. Une telle expédition (en l’occurrence destinée à rapporter de l’encens et du métal précieux) en annonce bien d’autres pour la même destination, qui restera très prisée jusqu’au règne de Ramsès II, et pour laquelle la documentation commence à fournir des renseignements véritablement précis à partir de la VIe dynastie.

C’est dire assez que dès l’époque de l’Ancien Empire, les conditions

d’une navigation maritime sont mises en place, et que l’infrastructure nécessaire à sa réalisation fait même l’objet d’une attention particulière

13 Ibid. p. 143-144 (PS r.VI.3) 14 L. BORCHARDT, Das Grabdenkmal des Königs Sahu-Re, Band I : Der Bau, Leipzig, 1910, fig. 14, p. 19. 15 T. WILKINSON, op. cit., p. 168-171 (PS v.IV.1). 16 K.A. KITCHEN, « Ancient Egyptian and Allied African Navigators’ Use of Space on the Red Sea », dans D.A. AGIUS et alii, Navigated Spaces, op. cit., p. 59-61 (carte p. 60) ; R. FATTOVICH, K.A. BARD, « Ships Bound for Pount », dans P. TALLET, E.-S. MAHFOUZ (éd.), The Red Sea in Pharaonic Times, op. cit., p. 32.

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de la part des rois égyptiens, au point d’être un élément prégnant de leur politique économique. La précision est tributaire de l’analyse des sources, dont la répartition chronologique est déjà en soi instructive : les déplacements maritimes qui nous sont connus le sont, en effet, essentiellement pour les grandes périodes de l’histoire égyptienne17, c’est-à-dire celles qui sont marquées par un pouvoir central fort. A travers les textes, on peut tenter de répondre aux questions de savoir par qui ces expéditions sont réalisées, pourquoi et selon quelles modalités, ces interrogations soulevant en toile de fond celles des relations internationales dans le cadre desquelles les traversées maritimes égyptiennes ont pu s’inscrire. Les conditions des expéditions maritimes

Plusieurs dignitaires bien connus de l’Ancien, du Moyen, et du Nouvel Empire relatent dans leurs inscriptions biogaphiques des actions en lien direct ou indirect avec la mer. C’est le cas du nomarque Ouni18, qui mena au nom de Pépi Ier une expédition militaire dans le sud de la Palestine, dans la contrée des « Têtes au nez de gazelle », en embarquant avec ses troupes à bord de navires. C’est le cas du nomarque Pépinakht19 qui, sous Pépi II, fit campagne contre les « Asiatiques qui habitent les sables », après que ces derniers eurent attaqué le capitaine des marins et chef des caravanes Anânkhty, alors que ce dernier était en train de travailler – peut-être dans la région de Suez – à la réalisation de bateaux-

17 A. MANZO, Echanges et contacts le long du Nil et de la Mer Rouge dans l’époque protohistorique (IIIe et IIe millénaires avant J.-C.). Une synthèse préliminaire, BAR International Series 782, 1999 ; G. WARNEMÜNDE, « Auf großer Fahrt. Die Ägypter als Seefahrer », Kemet 2, 2011, p. 11-17. 18 K. SETHE, Urkunden des Alten Reichs I [= Urk. I], Lepizig, 1932, 98-110 ; P. PIACENTINI, L’autobiografia di Uni, Principe e governatore dell’alto Egitto, Monografie di SEAP, Series Minor 1, Pisa, 1990 ; W.K. SIMPSON (éd.), The Literature of Ancient Egypt, Cairo, 2003, p. 402-407. 19 Urk. I, 131-135 ; A. ROCCATI, La littérature historique sous l’Ancien Empire égyptien, Paris, 1982, p. 208-211.

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kebenet20 pour un voyage à Pount.

L’inscription du dignitaire Khnoumhotep sur la tombe de Khoui21, datant elle aussi du règne de Pépi II, dans laquelle l’auteur indique avoir accompagné son maître, le « trésorier du dieu » Khoui, à Byblos et à Pount à onze reprises, suggère certainement une mission de nature bien différente, puisqu’il s’agit là de centres commerciaux avec lesquels les Egyptiens ont entretenu, tout au long de leur histoire, des liens étroits22.

On notera le titre de Khoui, mis en avant par Khnoumhotep, que l’on retrouve dans d’autres inscriptions, telle la biographie de Hirkhouf23, qui fait allusion à l’expédition menée par le « trésorier du dieu » Baourded, sous Djedkarê-Isési. Le titre24 est à rapprocher de ceux de « capitaine » et de « chef de troupe » : tous trois renvoient aux corps de fonctionnaires dans les rangs desquels les chefs d’expéditions étaient recrutés, en particulier pour l’exploitation des mines du Sinaï25 et pour les missions commerciales en direction de Pount. La biographie récemment découverte du « chancelier du dieu dans les deux grandes barques » Iny26 20 Il s’agit là de bateaux utilisés essentiellement pour des déplacements sur de grandes distances en Méditerranée, mais qui sont aussi en relation avec des expéditions pour Pount (L. BRADBURY, « Kpn-boats, Punt Trade and Lost Emporium », JARCE 33, 1996, p. 37-60). La plus ancienne attestation épigraphique de tels bateaux date de la Ve dynastie : P. TALLET, La zone minière pharaonique du sud-Sinaï – I. Catalogue complémentaire des inscriptions du Sinaï, MIFAO 130.1, 2012, doc. 249. 21 Urk. I, 140-141. 22 La publication, en 2008, de nouveaux fragments du mastaba de Khnoumhotep à Dahshour apporte une attestation nouvelle d’expédition commerciale vers le Levant pour l’époque du Moyen Empire, avec la particularité d’un partenariat avec la cité d’Oullaza, par préférence à celle de Byblos, pour le commerce du bois : J.P. ALLEN, « The Historical Inscription of Khnumhotep at Dahshur : Preliminary Report », BASOR 352, Fall 2008, p. 29-39. 23 Urk. I, 120-131, W.K. SIMPSON (éd.), The Literature of Ancient Egypt, Cairo, 2003, p. 407-413. 24 C. MERRER, « Les chanceliers du dieu (xtmw-nTr) et la Mer Rouge », Egypte Afrique & Orient No 41, 2006, p. 35-42. 25 E.g. : P. TALLET, La zone minière pharaonique…, op. cit., doc. 147, 148, 154. 26 M. MARCOLIN, « Iny, a much-traveled official of the Sixth Dynasty: unpublished reliefs in Japan », dans M. BARTA, F. COPPENS, J. KREJCI (éd.), Abusir and Saqqara in

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confirme que le titre doit également être mis en relation avec des missions en direction du Levant : on y apprend qu’Iny, officiant sous trois règnes successifs (ceux de Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II), fut missionné à quatre reprises à l’étranger, vraisemblablement en Syro-Palestine, d’où il rapporta du lapis-lazuli et du plomb, mais aussi des bateaux avec, à leur bord ou dans leurs cales, de l’argent et des Asiatiques des deux sexes.

Les inscriptions relatives aux expéditions minières et commerciales se multiplient sous le Moyen Empire, et les témoignages concernent tant les produits recherchés et rapportés, que les hommes partis les recueillir27. L’inscription de Mit-Rahina28 permet de se faire une idée, par la longue liste de produits bruts et manufacturés qu’elle contient, des biens importés qui étaient particulièrement prisés par les Egyptiens (des bois de construction, de l’argent, du cuivre, du plomb, de la cornaline, de la turquoise, du vin, de l’huile, de l’encens, des colliers, des éventails, des peignes, des poignards, etc., tous minutieusement détaillés en genre, qualité et quantité, autant de biens dont la liste préfigure celles des tributs qu’enregistreront plus tard les Annales de Thoutmosis III). Les expéditions auxquelles elle se rapporte eurent lieu sous le règne d’Amenemhat II, qui semble marquer l’apogée, sous la XIIe dynastie, des contacts militaires et commerciaux de l’Egypte avec le Levant, après que le fondateur de la dynastie, Menthouhotep II, les eut ranimés en suivant

the year 2005, Proceedings of the conference held in Prague (June 27-July 5, 2005), Prague, 2006, p. 282-310. 27 P. TALLET, La zone minière pharaonique…, op. cit., doc. 203, 218, 219, 248. Sur les efforts de mobilisation, parfois considérables, requis pour l’organisation de telles expéditions à l’époque du Nouvel Empire cf. Th. HIKADE, « Expeditions to the Wadi Hammamat During the New Kingdom », JEA 92, 2006, p. 153-168. 28 H. ALTENMÜLLER, A.M. MOUSSA, « Die Inschrift Amenemhets II. Aus dem Ptah-Tempel von Memphis. Vorbericht », SAK 18, 1991, p. 1-48 (Tf 1) ; H. GOEDICKE, « Egyptian Military Actions in “Asia” in the Middle Kingdom », RdE 42, 1991, p. 89-94 ; J. MALEK, S. QUIRKE, « Memphis, 1991 : Epigraphy », JEA 78, 1992, p. 13-18 ; E.S. MARCUS, « Amenemhet II and the Sea: Maritime Aspects of the Mit Rahina (Memphis) Inscription, Ägypten und Levante 17, 2007, p. 137-190.

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l’exemple des rois de l’Ancien Empire, dont la politique extérieure fut interrompue avec la désagrégation de l’Etat central à la fin de la VIe dynastie. La dimension militaire des expéditions considérées est doublée d’une dimension commerciale, qui vient la compléter pour au moins deux des six campagnes évoquées sur le bloc de Mit-Rahina. La ligne 15, qui mentionne « l’arrivée respectueuse des pacifiques (hotepou) de Tjeempaou », qui « apportèrent avec eux du plomb » (djéhéti), avant la mention, aux l. 18 sq., de deux (?) bateaux-depet, dans le cadre d’une expédition au Liban qui rapporta, entre autres choses, de l’argent, du bronze et du cuivre en grande quantité, est peut-être significative d’un accord bilatéral de type commercial entre l’Egypte et une localité du nom de Tjeempaou, qui pourrait être identifiée, s’il s’agit là d’une variante de Tjenpou, à Tunip29.

La composition des corps expéditionnaires était naturellement fonction des objectifs poursuivis, mais les sources datant du Moyen Empire, si elles confirment l’importance des contingents militaires, notamment en terme d’effectifs, permettent de s’en faire une idée plus précise.

Ainsi en va-t-il de l’inscription de l’intendant Henenou30 (règne de Sânkhkarê Montouhotep III), au Ouadi Hammamat, où l’on peut lire :

<9> (…) xtmty bity smr waty <10> imy-rA pr @nw Dd iw hAb-[n wi nb

anx-wDA-snb] sr skbnyt r Pwnt r in.t n=f antyw wAD m-a HKA.w Hry.w-tp

dSr.t n snD=f xt xAs.wt. aHa.n(.i) pr=kwi Gbtyw <11> Hr mTn wD.n n(=i)

Hm=f mSa Hna=i rsy m […] WAst SAa im r Iwmitrw pHt-r ^Abt iAwt nb.t

n(y).t nswt nt.yw m niwt sxt smAw m-sA(=i) mSA 2 sA.w-pr.w 4 Hr Dsr

wA.wt <12> Xr-HAt(=i) Hr sxr.t sbiw Hr nswt nw.w msw.w xAs.wt di.w

29 H. GOEDICKE, op. cit., p. 90-91. 30 M.M.J. COUYAT, P. MONTET, Les Inscriptions Hiéroglyphiques et Hiératiques du Ouadi Hammamat, Le Caire, 1912, p. 81-81, pl. 31 ; W.C. HAYES, « Career of the Great Steward Henenu under Nebhepetre Mentuhotpe », JEA 35, 1949, p. 43-49

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m-sA HAw(=i). +ADAt nb.t n(y).t Hm=f di Xr st-Hr(=i) smi=sn n(=i) wpw.wt

<9> « (…) Le chancelier royal, ami unique, <10> l’intendant Hénou dit : “[Mon maître Vie-Santé-Force m’a] envoyé pour conduire des bateaux-sekebenyt vers Pount, afin de lui rapporter de la myrrhe fraîche que possèdent les princes et chefs du désert grâce à la crainte qu’il suscite à travers les pays étrangers. Alors, j’étais sorti de Koptos <11> par le chemin que m’avait ordonné (d’emprunter) Sa Majesté, une armée étant avec moi, venant du sud […] du nome thébain, de là (= Koptos) à Gebelein et (à l’extrémité opposée) jusqu’à Shabet (= localité près de Dendara), tous les fonctionnaires du roi qui sont dans les villes et les campagnes associées étant derrière moi, deux (contingents d’)armée, quatre (brigades de) policiers libérant les routes <12> devant (moi), en tuant ceux qui se révoltaient contre le roi, des chasseurs et des natifs assurant ma protection. La djadjat toute entière de Sa Majesté sous mon autorité, ils me faisaient rapport sur les missions (que je leur donnais).” »

Les expéditions au départ de la Vallée du Nil répondaient, dans leur organisation, à une logistique complexe, qui était minutieusement pensée pour assurer la sécurité et, partant, la réussite des opérations envisagées. Il ressort clairement d’une autre inscription, celle qui relate les activités confiées au vizir Antefiqer par le roi Sésostris Ier sur le monument d’Amény31, à Ouadi Gaouasis, que la djadjat – conseil de notables à compétences administratives et juridictionnelles – jouait un rôle déterminant dans une telle organisation, en tant qu’assemblée chargée de la gestion des subsides destinés à l’approvisionnement des corps expéditionnaires32 :

31 A.M.A. FAYED, « Discovery of the Site of the 12th Dynasty Port at Wadi Gawasis on the Red Shore », RdE 29, 1977, p. 167, 171 (pl. 15 d-f, 16 a) ; D. FAROUT, « La carrière du wHmw Ameny et l’organisation des expéditions au ouadi Hammamat au Moyen Empire », BIFAO 94, 1994, p. 143-172 (pl. I-IV) ; D. FAROUT, « Des expéditions en Mer Rouge au début de la XIIe dynastie », Egypte 41, avril 2006, p. 44-45. 32 A. PHILIP-STEPHAN, Dire le droit en Egypte pharaonique. Contribution à l’étude des

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<2> (…) wD.n Hm=f n iry-pat HAty-a […] imy-rA niwt <3> […] TAty […]

imy-rA Hwt wr.t 6 In-(i)t=f-iqr qd Haw pn n.w <4> wxr.wt n(y.wt) Gbtyw

sb.t biA(.w) Pwnt r pH m Htp r iw.t m Htp <5> apr kA.wt=sn nb.(w)t n-mrwt mnx rwD r xt nb.t iry.t m tA pn Dr-bAH. <6> Ir.n=f mnx sp 2 mi

wD.t n=f m Hm n(y) stp-sA. %k wHmw <7> MnTw-Htp sA Imny Hr idb n(y)

WAD-wr Hr qd nn n(y) Ha.w <8> Hna DADAt Wr.w n(y).t &p-rsy &A-wr wn.t

Hna=f anxw.w wn(w) Hr idb n(y) WAD-wr <9> m mSA Hna wHmw <10> Smsw n(y) nb anx(.w) (w)DA(.w) snb(.w) 50 imy-rA pr n(y) DADAt 1 anx n(y) Tt nt nb anx(.w) (w)DA(.w) snb(.w) 500 sS n(y) DADAt aA.t 5 anx n(y) niwt 3200

<2> (…) Sa Majesté a ordonné au prince, gouverneur, […], chef de la ville […], <3> vizir […], directeur de la Grande Cour des Six, Antefiqer, de construire cette flotte <4> provenant des arsenaux de Koptos, d’atteindre les mines de Pount pour y parvenir et en revenir en paix <5> et de pourvoir à tous leurs travaux afin que (cela) soit parfait et réussi plus que tout(e autre) chose réalisée dans ce pays auparavant. <6> Il a agi de manière excellente, conformément à ce qui lui avait été ordonné dans la Majesté du palais. Or, le héraut <7> Amény, fils de Montouhotep, était sur la rive de Ouadj-our (= la mer, en l’occurrence, Rouge), occupé à construire ces bateaux <8> en compagnie de la djadjat des Grands de Ta-Our de la Tête-du-Sud (= nome thinite) qui était avec lui, les soldats qui étaient sur la rive de Ouadj-Our <9> composant l’armée accompagnant le héraut : <10> 50 escorteurs du Maître Vie-Santé-Force, 1 intendant de la djadjat, 500 soldats de la flotte du Maître Vie-Santé-Force, 5 scribes de la grande djadjat, 3200 soldats de la ville. »

Toute l’opération ici relatée est, comme la précédente, initiée par le

roi : cette fois, c’est le vizir qui s’est vu charger d’exécuter l’ordre, une tâche qu’il confie à un fonctionnaire ayant la qualité de héraut, lequel a, entre autres compétences, celle de gestionnaire et de pacificateur, et est à structures et mécanismes juridictionnels jusqu’au Nouvel Empire, Editions Safran, Connaissance de l’Egypte ancienne, no 9, 2008, p. 81.

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la tête de la djadjat. La mission est conçue dans l’intérêt du roi et elle est protégée militairement, mais les inscriptions qui enregistrent des rapports de missions en établissant la liste détaillée de leurs participants, avec précision de leurs spécialités et de leur rang hiérarchique, font aussi la part belle aux cadres et au personnel en charge de la navigation maritime. La présence de soldats sur les navires semble être une composante essentielle des équipages, dès lors que des missions importantes, que ce soit dans le domaine de projets architecturaux ou dans celui d’approvisonnement en minerais, biens et autres produits précieux et/ou exotiques, sont en jeu 33 . Ils sont une démonstration ostensible de puissance, ils font office de force de protection et de dissuasion, mais aussi, à l’évidence, de pression, quand des tractations sont requises avant d’atteindre l’objectif poursuivi, lorsque celui-ci est d’ordre commercial. Dans le cas de l’inscription d’Amény, l’opération qui est envisagée ne semble pas, a priori, relever du commerce : on est en présence d’un projet d’extraction minière, dans un pays lointain, qui ne suppose pas, à première vue, un échange, mais est peut être malgré tout la résultante de tractations antérieures, ayant pour objet une concession d’exploitation exclusive au bénéfice des Egyptiens. L’analyse des sources invite toujours à la prudence, surtout lorsqu’elles cadrent avec un discours attendu, en phase avec l’idéologie officielle, qui met en exergue la puissance royale.

Ce qui est certain, c’est que les époques de pouvoir unifié et fort, Ancien, Moyen et Nouvel Empire, s’accompagnent systématiquement d’expéditions militaires et de l’annexion, à chaque fois que cela est possible, des territoires conquis, afin de s’accaparer leurs richesses. La domination militaire et économique se veut écrasante et même, parfois,

33 Voir l’inscription d’Ânkhou (an 24 de Sésostris Ier) dans D. FAROUT, Egypte 2006, p. 45-46 : « le directeur de la flotte (imy-rA Haw), commandant des équipages (xrp apr.w), aller vers le sud avec les régiments de recrues (DAmw n(y) nfrw.w), scribes des greniers du service du vizir, directeur des fondeurs d’or (imy-rA nbwyw), recrues (nfrw) : 400).

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humiliante, si on songe par exemple que le bois utilisé dans la région d’Assouan au IIIe millénaire était en majorité de l’acacia qui pourrait provenir de Nubie, comme l’a déclaré Ouni dans sa biographie34, soit une région qui en était plus pauvre encore que l’Egypte.

La logique de l’annexion est celle qui est systématiquement retenue à partir du Moyen Empire et du Nouvel Empire pour la Nubie. Il s’agit d’avoir un accès direct à ses produits précieux (or, cuivre, ivoire, ébène, animaux exotiques) et de contrôler la navigation sur le Nil, mais aussi les routes empruntées par les caravanes, en établissant notamment des points de contrôle, comme à Semna, où une forteresse érigée dès le Moyen Empire permettait de filtrer à la fois les personnes et les biens, tout en centralisant les ressources. De tels points de contrôle existent également au nord et indiquent clairement que le commerce avec l’extérieur commençait et s’arrêtait, au sens littéral, aux frontières de l’Egypte. Il est significatif, de ce point de vue, que les sources iconographiques n’aient enregistré la trace que d’une seule caravane de 37 Asiatiques35, des bédouins autorisés à venir jusqu’en Moyenne Egypte en l’an 6 de Sésostris II. Quand on envisage le conte de Sinouhé36, qui nous relate l’histoire d’un Egyptien qui a fui l’Egypte avant d’être appelé à y retourner, on apprend encore que l’entrée sur le territoire égyptien lui est réservée à lui seul, parce qu’il est Egyptien, et les Syriens qui l’accompagnent doivent se contenter de rester aux portes de l’Egypte, avec des cadeaux diplomatiques qui leur sont toutefois remis :

34 Urk. I, 108, 13-15 : Ouni indique qu’il a été envoyé creuser cinq canaux en Haute-Egypte et faire trois barques-ousekhet, ainsi que cinq barques-satj en acacia (shenedj) de Nubie. 35 P.E. NEWBERRY, Beni Hasan, Part I, EEF ASE 1, 1893, p. 9 et pl. 30, 31 et 38. 36 P.Berlin 3022 et P.Berlin 10499 verso ; P. LE GUILLOUX, Les aventures de Sinouhé : Texte hiéroglyphique, translittération et traduction commentée, Angers, Cahier ISIS 4, 2002 ; Cl. CARRIER, Anthologie des écrits de l’Egypte ancienne, Paris, 2013, p. 143-156.

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Iw.t pw ir(w).n bAk-im m xntyt. @db.n=i Hr WAwt-@r Tsw im nty m-sA

pXrt hAb=f wp(w)t r Xnw r rd.t rx.tw. Rd.in Hm=f iw.t (i)m(y)-r(A)

sxty.w mnX n pr-nswt aHa.w ATp.w m-xt.f Xr Awt-a nt xr nswt n %t.yw

iw(w) m-sA=i Hr sb.t=i r WAwt-@r. _m.n=i wa im(.sn) nb m rn=f iw

wdp nb Hr ir.t=f. ^sp.n=i fA.n=i TAw Sbb(.w) atx(.w) tp-mAa=i r pH.t=i dmi n ITw. @D.n rf tA dwA sp 2 iw iw(.w) iAaS n=i 10 (n) s m iw.t 10 (n) s m Sm.t Hr sTA=i r aH.

(B241-249) « Puis le serviteur que je suis s’en alla vers le Sud. (Lorsque) je me suis arrêté aux Chemins-d’Horus, le commandant qui s’y trouvait et qui avait en charge la patrouille frontalière envoya un message à la Résidence pour faire en sorte que l’on soit informé. Alors, Sa Majesté fit venir un chef efficace des paysans du domaine royal, (pendant que) des bateaux chargés étaient à sa suite, portant des cadeaux royaux pour les Asiatiques qui étaient à ma suite pour me protéger jusqu’aux Chemins-d’Horus. J’ai appelé chacun d’eux par son nom, (pendant que) chaque échanson se mettait à ce qu’il avait à faire. (Puis) j’embarquai (et) je naviguai à la voile], (la bière) étant brassée et filtrée à mon côté, jusqu’à ce que j’atteignisse le port d’Itjou. Quand la terre s’éclaira enfin, donc, à l’aube, un appel me parvint : dix hommes arrivèrent et (ces) dix hommes (re)partirent en m’emmenant au palais. »

Les points d’accès des produits étrangers sur le sol égyptien ne nous

sont pas tous connus, mais il ne fait pas de doute qu’ils ont dû augmenter en nombre, ou à tout le moins, pour ceux existants, voir leur importance économique s’accroître avec la multiplication des échanges commerciaux au IIe millénaire. L’intensification de l’activité égyptienne dans le Sinaï, de la XVIIIe à la XXe dynastie, vient refléter une expansion économique qui ne connaît d’autres limites que les ambitions des pharaons et l’hégémonie politique qu’ils réussissent à gagner, par la force des armes, sur la scène internationale.

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A Sérabit el-Khadim, une inscription atypique vient étayer, pour le règne d’Amenhotep III37, l’idée d’une activité commerciale dans une zone portuaire de la mer Rouge, qui se traduit en l’occurrence par l’arrivée de bateaux pountites, sans qu’il y ait en apparence débarquement de leur équipage, mais avec réception de leur cargaison par une délégation conduite par un scribe royal et superintendant du trésor du nom d’Amenmès :

<16> (...) sS <17> pn Dd=f [i]w Sms.n=i nb=i Hr xAst nDr.n=i sp

rd(.w)=f m Hr=i. Pri.n=i Hr gs.wy WAD<18>-wr r sri biAyt nw Pwnt r

Ssp.t tA kmit n stit ini<.t> wr<19>w-m xnmti m bAkt xAs.(w)t nn rx rmT.

Ist=wi ii.kwi grt xnd[.n]=i xAst <20> nTrt Tn. #rp.n=i kAt nit mfkt

sSp.n=i [ixt im=s] qAb (...) <22> (...) [...] +Ai[.n=i] WAD-wr iw

[mni.n=i (?)] <23> [m H]s.t Iiw. Ist mSa wn r xt=i aD.w nn nhw=f [mH r Dr=f] m spr=f [r] niwt=i [m Htp]

<16> (…) Ce scribe <17> déclare : « [Je] suivis mon maître dans le pays étranger et je remplis la mission qu’il m’avait confiée. Je partis sur les côtes (ou des deux côtés) de <18> la mer, pour devancer (litt. : annoncer) les merveilles de Pount et recevoir la résine odorante, que les Grands apportèrent <19> dans des bateaux comme taxe-baket des pays que personne ne connaît. Je vins (là) après que j’eus parcouru le pays de <20> cette déesse. Je supervisai l’exploitation de la turquoise et j’obtins [les choses qui étaient là] en double (…). <22> (…) […] [Je] naviguai sur la mer et [j’accostai (?)] <23> [en revenant] de Iiou. Or, la troupe qui m’accompagnait est saine et sauve, il n’y eut pas de perte, [au complet] à son arrivée [dans] ma ville [en paix]. »

Les merveilles de Pount sont associées dans le texte à des taxes collectées par les chefs de Pount, des chefs dont la pluralité suggère un partage d’autorité sur un territoire morcelé en plusieurs entités, voire une mosaïque d’entités géographiques et culturelles distinctes présentées, à l’instar de ce qu’on peut lire dans la biographie de Henenou, comme 37 H.W. HELCK, « Die Sinai-Inschrift des Amenmose », MIO Band II, heft 2, 1954, p. 189-207.

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khasout, « pays » (litt. : « pays étrangers ») – sous-entendu : de Pount38. La présentation des produits précieux originaires de Pount comme des taxes est pour autant un abus de langage, car les termes biayt et baket sont exclusifs l’un de l’autre39, et si l’auteur de l’inscription n’a pas voulu les assimiler, mais plus simplement les combiner, alors cela signifie, à l’inverse de ce qui vient d’être dit, que le terme khasout vise d’autres régions ou localités que celles des Pountites, dont ces derniers auraient recueilli les taxes en agissant comme intermédiaires au bénéfice de l’Egypte. Il est très tentant en tout cas de lier l’activité d’extraction minière dans le Sinaï dont il est fait mention, à la réception des produits en provenance de Pount : dans ce cas, la turquoise aurait été utilisée, au moins en partie, pour payer les produits-biayt importés. Si l’hypothèse est exacte et que la localité (Iiou) dont il est question se trouve, comme on peut être invité à le penser à la lecture du texte, sur la rive où accostèrent les commerçants de Pount, alors c’est là qu’Amenmès aurait pris livraison des produits exotiques avant de les rapatrier par mer en Egypte.

Il convient cependant, encore une fois, de souligner le caractère conjectural de la proposition. On peut aussi comprendre le texte autrement, en ayant une lecture des faits plus simple : les commerçants pountites se seraient contentés de longer la côte africaine en la remontant par cabotage40, et ce serait à l’un des points d’ancrage de celle-ci qu’Amenmès les aurait rencontrés. Le fait marquant est, en tout état de

38 Sur les Grands de Pount, cf. K.A. KITCHEN, « The Land of Punt », dans T. SHAW, P. SINCLAIR, et al. (éd.), The Archaeology of Africa. Food, Metals and Towns, London, 1993, p. 587-608 39 Sur la différence entre ces termes et le sens des dons-inou, cf. S. HALLMANN, Die Tributszenen des Neuen Reiches, ÄAT 66, Wiesbaden, 2006, p. 323-333. 40 Sur les bateaux des Pountites, qui n’étaient pas conçus pour accomplir de grands voyages : A.A. SALEH, « An Open Question on Intermediaries in the Incense Trade during Pharaonic Times », Or 42, 1973, p. 370-382. Compte tenu de la distance, très éloignée, de Pount, les commerçants dont il est question ont dû venir d’une localité qui leur servait de point de jonction ou base commerciale intermédiaire entre leur pays d’origine et l’Egypte.

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cause, cette mention de commerçants étrangers, qui s’aventurent sur la mer Rouge jusqu’aux côtes égyptiennes : il est indéniable que les Egyptiens n’y avaient pas le monopole de la navigation, même si toutes les autres sources évoquant des déplacements en lien avec la région de Pount les attribuent à eux seuls. C’est dire que contrairement au Nil, qui ne semble pas avoir suivi le même régime parce qu’il se confondait avec l’Egypte toute entière, la mer était perçue comme un espace commun, une res communis au sens romain du terme, qu’il n’était pas envisageable, même pour l’Etat le plus puissant de la région, de chercher à s’accaparer.

La mer, à la fois espace et moyen de communication entre des hommes issus d’horizons divers, était propice à des échanges commerciaux qui suivaient toujours, quand il ne les précédaient pas, des contacts diplomatiques, le commerce ayant besoin, on le sait bien, de la paix pour prospérer.

La diplomatie au service du commerce maritime

Si les ports sont, du point de vue des échanges internationaux, les lieux où l’activité commerciale trouve le mieux à s’exprimer, jusqu’au XIIe siècle celle-ci a, partout, le Palais pour raison d’être première et comme destination finale, même si des initiatives privées ont pu être conduites par les élites pour s’approvisionner en produits étrangers, et même s’il est parfaitement envisageable que les agents missionnés par les rois aient pu, aussi, parfois, agir pour leur propre compte41. Les contacts de l’Egypte avec le Levant par la voie maritime sont aussi reculés que

41 L’existence de groupes de marchands semi-indépendants a pu être établie, déjà, à l’époque minoenne, mais ne peut être systématisée pour l’Âge du Bronze, même si le Proche-Orient fournit d’autres témoignages intéressants : P.M. WARRREN, « A Merchant Class in Bronze Age Crete. The Evidence of Egyptian Stone Vessels from City of Knossos », dans N.H. GALE (éd.), Bronze Age Trade in the Mediterranean. Papers Presented at the Conference held at Rewley House, Oxford, in Decembre 1989, Studies in Mediterranean Archaeology XC, 1991, p. 295-301.

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ceux qu’elle a pu établir avec le Sud, mais ils sont régis par un pragmatisme qui contraint l’Egypte au compromis, notamment pour son approvisonnement en bois, qui était une nécessité vitale pour elle, et qu’elle se procurait en le négociant contre d’autres biens, comme le papyrus ou les produits précieux issus des contrées placées sous sa domination. La logique de la négociation n’est pas celle dont les textes égyptiens rendent compte avec le plus de transparence, les tractations étant le plus souvent habillées dans un exposé des faits volontairement édulcoré, qui les présente à l’avantage de la partie égyptienne, quand elles ne sont pas tout bonnement occultées : ce que l’Egypte obtient est ce qui lui est dû, et cela n’appelle pas de contrepartie, ou du moins il n’est pas utile de préciser celle-ci dans le compte rendu a posteriori de l’opération concernée.

Pour le nord, le document qui fait allusion de la manière la plus explicite à des échanges commerciaux de type maritime entre l’Egypte et la côte du Levant est le fameux récit d’Ounamon, qui date du règne de Ramsès XI42. Le texte montre que les relations entre l’Egypte et Byblos étaient à la fois commerciales et diplomatiques43, et soumises à des règles

42 P. Moscou 120 ; A.H. GARDINER, LES, BiAeg 1, 1932, p. 61-76 ; B.U. SCHIPPER, Die Erzählung des Wenamun, Ein Literaturwerk im Spannungsfeld von Politik, Geschichte und Religion, OBO 209, Fribourg, 2005 ; E. WENTE (éd.), The Libyan Anarchy: Inscriptions from Egypt’s Third Intermediate Period (R.K. RITNER trad.), Society of Biblical Literature 21, Atlanta, 2009, p. 87-99. Le récit rend compte de l’existence d’une saison commerciale pour les échanges internationaux en Méditerranée, comprise entre mai et septembre : C. SAUVAGE, « L’Existence d’une saison commerciale dans le bassin oriental de la Méditerranée au Bronze récent », BIFAO 107, 2007, p. 201-212. 43 G. BUNNENS, « La mission d’Ounamon en Phénicie. Point de vue d’un non-égyptologue », Rivista di Studi Fenici 6, 1978, p. 1-16 ; R. DE SPENS, « Droit international et commerce au début de la XXIe dynastie. Analyse juridique du rapport d’Ounamon », dans N. GRIMAL, B. MENU (éd.), Le commerce en Egypte ancienne, BdE 121, 2008, p. 105-128 ; J. BAINES, « On the background of Wenamun in inscriptional genres and in topoi of obligations among rulers », in D. KESSLER, R. SHYLZ, M. ULLMANN, et al. (éd.), Texte – Theben – Tonfragmente. Festschrift für Günter Burkard, ÄAT 76, 2009, p. 27-36 ; G. HOMSY-GOTTWALLES, « Le commerce de Byblos à l’Age du Fer à la lumière du récit d’Ounamon et des données archéologiques », BAAL Hors-Série VI, 2009, p. 419-426. Sur le

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et modalités précises. Ounamon fait office de commissionnaire, un statut qu’il convient de souligner du point de vue juridique, car c’est en tant que factor, et non comme mercator, qu’il agit : la qualité définit l’action, en même temps que les limites de l’opération commerciale à laquelle elle répond. Ounamon est chargé de se procurer du bois de cèdre pour la construction de la barque sacrée d’Amon, et il se montre prêt à payer pour cela avec des objets de valeur, même s’il tente, au début de sa négociation avec le roi de Byblos, de l’obtenir gratuitement, en inscrivant l’approvisionnement de l’Egypte en bois dans un usage auquel le roi de Byblos ne saurait se soustraire, parce qu’il est passé depuis longtemps en coutume. La précision a un caractère anecdotique, mais elle rappelle que l’audace fait partie du jeu, subtile, de la négociation : dans la misson qui lui est confiée, Ounamon dispose d’une grande latitude, sa marge de manœuvre pour aboutir à un accord ayant pour seule limite le plafond du prix qui lui a été fixé avant de quitter l’Egypte.

L’intérêt du document est de marquer le passage d’une tradition commerciale à une autre : celle du Bronze ancien, dans laquelle le commerce à longue distance est une affaire et un monopole d’Etat, à celle de l’Age du Fer, dans laquelle le dynamisme du négoce est assuré par des particuliers dont la motivation première est le profit qu’ils peuvent tirer des opérations qu’ils réalisent44. Ounamon apparaît en effet comme le représentant d’un type de commerce sur le déclin, auquel vient se substituer celui contrôlé par des firmes d’armateurs puissamment organisées, avec lesquelles les Etats doivent apprendre à composer45.

44 E.W. CASTLE, « Shipping and Trade in Ramesside Egypt », JESHO XXXV, 1992, p. 239-277 ; C. SAUVAGE, « Quelques figures de commerçants d’après les textes égyptiens et ougaritiques au Bronze récent », in Autour de Polanyi. Vocabulaires, théories et modalités des échanges. Nanterre, 12-14 juin 2004, P. ROUILLARD (dir.) Colloques de la Maison René-Ginouvès 1, Paris, 2005, p. 155-170 ; http://ephe.academia.edu/AmauryPétigny/Papers/1139907/Les_relations_egypto-gibilites_entre_le_XIe_et_le_VIe_s._av._J.-C._regards_croises 45 http://ephe.academia.edu/AmauryPétigny/Papers/1139907/Les_relations_egypto-gibilites_entre_le_XIe_et_le_VIe_s._av._J.-C._regards_croises

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Un passage du récit d’Ounamon est particulièrement éloquent de ce point de vue, qui se trouve dans cette adresse que le roi de Byblos fait à Ounamon :

Nn (= in) mn 20 n mnS.w <1/59> d(y) n tAy=i mr(.t) iw=w n xbr irm

Nsy-sw-BA-nb-Dd(.t) ir pAy +ddnA <2/1> pA ky i-sS=k r=f nn (=in) mn

k.t 50 n byr n-im iw=w n xbr <2/2> irm Wrktr iw i-ir=w itH r pAy=f pr

« N’y a-t-il pas 20 navires <1/59> ici dans mon port, qui sont en “relations d’affaires” avec Smendès ? Quant à Sidon, <2/1> l’autre (ville) où tu es passé, n’y a-t-il pas là 50 autres bateaux qui sont en “relations <2,2> d’affaires” avec Ouarkatel, puisqu’ils ne transportent que pour sa firme ? »

Le message est clair : Smendès et Tanetamon, qui officient comme relais de l’autorité royale à Tanis, en Basse Egypte, réalisent leur négoce en recourant à d’autres agents, des armateurs, voire une firme d’armateurs qui ne sont pas égyptiens, mais sémites, et qui œuvrent pour son compte comme sous-traitants. La façon de faire du commerce n’est plus ce qu’elle était et cela tient aux bouleversements que la région du Proche-Orient connaît dans sa structuration politique, avec une recomposition qui profite notamment aux cités phéniciennes et qui passe, pour Byblos, par son émancipation de la tutelle égyptienne. Les choses ne sont pas, à la fin de l’Age du Bronze, aussi simples qu’elles pouvaient l’être quelques siècles auparavant, sous la XVIIIe dynastie notamment, si tant est, bien sûr, qu’elles le fussent vraiment alors.

Certains aspects de l’ancienne tradition restent néanmoins en vigueur, repris à leur compte par des cités-Etats qui usent du même protocole diplomatique que celui utilisé jusque-là par les grandes puissances : c’est ainsi qui des lettres de créance sont requises des ambassadeurs par les princes qui les reçoivent, sous peine pour les premiers de ne se voir accorder par les seconds l’audience qu’ils sollicitent avant plusieurs semaines.

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La diplomatie demeure une composante essentielle des échanges internationaux portant sur les biens précieux, et c’est la condition même de leur existence et de leur essor. C’est à travers la correspondance d’El-Amarna qu’on s’en rend le mieux compte pour l’époque antérieure, avec les sauf-conduits accordés aux caravanes, les cadeaux, préludes à d’autres échanges plus importants, entre les différents acteurs politiques de la scène internationale46.

La pratique des cadeaux est inhérente à la diplomatie et peut être diversement appréciée47. Elle répond au souci d’asseoir la position de celui qui les offre mais sert aussi, parallèlement, à cimenter les relations personnelles entre chefs d’Etats. Le cadre officiel de la pratique ne doit cependant pas tromper : les cadeaux expriment des échanges privés, destinés à satisfaire des intérêts et des besoins particuliers, qui sont ceux des rois et de leur entourage immédiat48 . Les données comptables enregistrées dans les correspondances diplomatiques ne représentent donc pas, ni ne sont significatives d’un négoce international que les cadeaux échangés entre puissants matérialiseraient ; tout au plus ces cadeaux s’inscrivent-ils dans une logique qui, loin d’occulter les intérêts économiques nationaux, les précède ou les accompagne.

46 Si les lettres qui font état de cadeaux offerts, reçus ou attendus sont très nombreuses, celles qui soulèvent la question de la sécurité des caravanes de marchands le sont proportionnellement beaucoup moins dans le corpus d’El-Amarna (fort logiquement, du reste, puisqu’elles ont un tout autre objet), mais elles sont suffisamment explicites sur le fait qu’il s’agit là d’une préoccupation majeure des chefs d’Etat, avec les immunités qu’ils requièrent pour leurs messagers : EA 7, 8, 39, 40, 264, 287 (Les lettres d’El-Amarna. Correspondance diplomatique du pharaon, Les Editions du Cerf, Paris, 1987). 47 R. COHEN, R. WESTBROOK (éd.), Amarna Diplomacy, Baltimore, London, 2000, p. 139 sq. ; H. TARAWNEH, « Gifts Exchange and Tribute in the Amarna Correspondence », dans A. HUDECZ, M. PETRIK, Commerce and Economy in Ancient Egypt. Proceedings of the Third International Congress for Young Egyptologists 25-27 September 2009, Budapest, BAR International Series 2131, 2010, p. 143-149 et en particulier le tableau 1 p. 144. 48 A. CAPPELLINI, S. CARAMELLO, « An Economic Perspective on Relationships between Near Eastern Kingdoms during the Late Bronze Age », dans A. HUDECZ, M. PETRIK, Commerce and Economy in Ancient Egypt..., op. cit., p. 27-34.

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Bien avant le récit d’Ounamon et, même, les lettres d’El-Amarna, les sources égyptiennes enregistrent le souvenir d’une mission diplomatique assortie d’un objectif commercial dans cette contrée lointaine et mythifiée par les Egyptiens qu’est Pount49. Le récit de cette mission est consigné sur les reliefs du temple funéraire d’Hatshepsout à Deir el-Bahari. Pount, également appelé « le Pays-du-dieu », obéissait à un régime juridique spécial, au regard des autres contrées du sud de l’Egypte, qui étaient systématiquement soumises à cette dernière. La désignation « Pays-du-dieu »50 s’explique par le fait que la région recelait des produits les plus précieux pour les besoins des rituels, à savoir la myrrhe et l’encens. Les étapes de la mission, ordonnée probablement par Hatshepsout en l’an 8 de son règne après un oracle d’Amon pris en ce sens, sont enregistrées avec un grand luxe de détails sur les parois ouest et sud du portique sud de la terrasse intermédiaire de son temple funéraire.

L’oracle qui sert de point de départ au décret d’Hatshepsout-roi énonce :

<10> (R)d(=w).n(=i) n=T Pwnt mi-qd=s r-mn-m tA.w nTr.w &A-nTr tmm(w) xnd(w)=f xftyw antyw xm(w).n rmT. Iw=tw sDm=tw=f m r(A) n

r(A) <11> m sDd(w).w n(y).w imy.w-HAt. In.n=tw g(r).t bi(A).w inn(w).w

im xr it.w=t bity.w m wa (n wa) Dr rk <12> Drty.w n nsy.w xprw.w Dr-bAH m-isw DbAw.w aSA.w. Nn pH(w) st wp(w)-Hr smnty.w=T. Iw(=i) Hm r

rd.t xnd st mSa=T <13> sSm(=w).n(=i) s.t Hr mw Hr tA wbA n=sn

wA.(w)t StA.(w)t. !b(=w).n(=i) xtyw(.w) n(y).w antyw. W pw Dsr n(y)

&A-nTr st=i pw grt n(y)t sxmx-ib. Ir(=w).n(=i) n=i s(y) r sAb <14> ib=i 49 R. PIRELLI, « Punt in Egyptian Myth and Trade », dans G.M. ZACCONE, T.R. DI NETRO (éd.), VI Congresso Internazionale di Egittologia, Atti, vol. II, Torino, 1993, p. 383-390 50 « Ta-nétjer ». La connotation religieuse, clairement marquée, du terme, en fait une désignation générique, susceptible de viser des zones géographiques variées, comme en atteste son utilisation pour des régions situées au sud/sud-est ou au nord-est de l’Egypte : toutes ont pour point commun d’être réputées pour leurs produits de luxe, comme c’est le cas pour Pount (A. MANZO, Echanges et contacts le long du Nil et de la Mer Rouge, op. cit., p. 23)

Les voies maritimes et diplomatiques du commerce international

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§A=sn antyw r mrr(w).t=sn. Atp=sn aHa.w r Htp(w).t ib=sn <15> m nh.wt n(y.w)t antyw wAD mAaw nb nfr n(y) xAst Tn.

« (Je) t’ai donné Pount en son entier, jusqu’aux pays des dieux, le Pays-du-dieu qui n’a jamais été parcouru et les terrasses de la myrrhe qui sont inconnues des hommes. On entend parler de lui de bouche en bouche <11> comme d’une légende des anciens. Mais c’est en échange de nombreuses contreparties qu’on est allé chercher les merveilles qui en étaient apportées par tes pères, les rois de Basse-Egypte, les uns (après les autres) (litt. : de l’un à l’autre) depuis l’époque <12> des ancêtres, en faveur des rois qui avaient existé auparavant. On ne l’atteindra pas, à l’exception de tes envoyés. Certes, (je) ferai en sorte que ta troupe le traverse, <13> une fois que (je) l’aurai conduite sur l’eau et sur terre en lui (litt : leur) ouvrant les chemins difficiles. J’ai déjà parcouru les terrasses de la myrrhe. C’est le territoire sacré du Pays-du-dieu, mais c’est ma place de réjouissance. Je me le suis fait pour réjouir <14> mon cœur avec Mout, Hathor, la maîtresse d’Oureret, la maîtresse de Pount, la maîtresse du ciel, la Grande de Magie, la Dame de tous les dieux. Ils emporteront autant de myrrhe qu’ils voudront. Ils chargeront les bateaux à proportion de ce qui satisfait leur cœur, <15> d’arbres à myrrhe fraîche et de tous les beaux produits de ce pays51. » (Urk. IV, 344,6-345,13)

Le texte est révélateur de rapports de type commercial qui se veulent exclusifs (le « territoire sacré du Pays-du-dieu » est la « place de réjouissance » du dieu Amon, « nul ne l’atteindra, hormis tes envoyés ») et qui s’inscrivent dans une tradition lointaine, les produits exotiques recherchés étant acquis contre une compensation dont il est énoncé clairement qu’elle vaut paiement. L’acquisition des produits n’est donc pas gratuite, mais suppose une contrepartie. 51 K. SETHE, Urkunden der 18. Dynastie, Achtes Heft, Leipzig, 1906 (Urkunden des ägyptischen Altertums. Herausgegeben von Georg Steindorff, IV. Abteilung Band II) = Urk. IV, 344,6-345,13.

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La précision des illustrations qui rendent compte de l’expédition est exceptionnelle et suggère fortement, soit dit en passant, que des dessinateurs accompagnèrent l’équipage, composé de marins et de soldats, qui monta à bord des cinq navires placés sous le commandement du trésorier Néhésy, auquel la mission fut confiée (photo 1). « L’expédition de Pount », qui devait marquer le règne d’Hatshepsout, est présentée en autant de séquences distinctes, que restituent les inscriptions, en complément des scènes imagées. On lit ainsi, entre autres commentaires et légendes :

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« Commencer un beau voyage vers le Pays-du-dieu, ayant débarqué en paix dans le pays de Pount, par la troupe du Seigneur des Deux Terres52. » (Urk. IV, 322, 7-9)

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« Décharger les bateaux-képenout (= de haute mer) des produits pour sa mère (?), bateau après bateau. […] pour Hathor, Maîtresse de Pount au nom de la Vie-Santé-Force de Sa Majesté53. » (Urk. IV, 323, 2-5)

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« L’émissaire du roi arriva au Pays-du-dieu avec la troupe qui était à sa suite devant les Grands de Pount, ayant été envoyé avec toutes les bonnes choses du palais, Vie-Santé-Force, pour Hathor, Maîtresse de Pount, au nom de la Vie-Santé-Force de Sa Majesté54. » (Urk. IV, 323,14-324,1)

52 Urk. IV, 322, 7-9. 53 Urk. IV, 323, 2-5. 54 Urk. IV, 323,14-324,1.

Les voies maritimes et diplomatiques du commerce international

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Les inscriptions rendent compte des conditions pacifiques qui entourent le négoce poursuivi. C’est d’ailleurs, apprend-on, en « demandant la paix » que les Pountites s’adressent aux Egyptiens, juste avant de les interroger sur le point de savoir pourquoi et comment ils sont venus chez eux. La troisième inscription, qu’il convient de relier à la deuxième, décrit le fonctionnement d’une ambassade, qui est rendu en images sur deux registres superposés de la paroi sud du portique sud (photo 2). Dans chaque registre, les deux délégations, égyptienne et pountite, se font face. L’échange entre les deux parties est initié par la délégation égyptienne, qui présente sur une table basse, dans le registre inférieur, les cadeaux qu’elle a apportés (parmi lesquels des colliers d’or et de perles, des bracelets, une hache et une dague dans son fourreau), et c’est dans le registre supérieur qu’il trouve sa conclusion : la transaction commerciale est réalisée devant une tente qui a été dressée pour l’occasion, destinée à recevoir « les Grands de ce pays » et où les attendent, lit-on, « du pain, de la bière, du vin, de la viande, des fruits et toute chose qui se trouve dans le Pays-aimé, conformément à ce qui est ordonné dans le palais ». Les Pountites apportent de l’or, des sacs et des jarres, qui sont désignés par le terme générique de inou, « présents », et qui annoncent bien d’autres richesses, les plus prisées étant celles que révèlent un troisième et un quatrième registre, l’un et l’autre connexes des précédents, où apparaissent les arbres à encens que sont venus chercher les Egyptiens, déracinés et placés dans de grands paniers ronds, avant d’être transportés sur les bateaux de l’expédition. L’accent est délibérément mis sur les bénéfices que l’Egypte tire de l’échange commercial réalisé, des bénéfices qui n’ont pas pour autant été extorqués, mais qui ont, au contraire, été rendus possibles parce que l’équilibre contractuel a été respecté.

On voit par là que l’égyptocentrisme a subi une entorse au paradigme de la domination par l’écrasement, pourtant largement appliqué dans les contrées du sud de l’Egypte. On peut l’expliquer, peut-être, par le fait que c’est un peu l’Egypte que les Egyptiens allaient chercher, quand ils

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partaient à Pount. L’Egypte ou le rêve, comme le suggère la terminologie qui est employée, on l’a vu, pour désigner les produits de Pount – le terme biat, qui signifie merveille. De ce point de vue, Pount a pu être à l’Egypte ce que l’Egypte était aux yeux d’un pays aussi éloigné d’elle, par exemple, que le Mitanni, quand un Tushratta écrit à un Amenhotep III ou à son fils et successeur pour lui demander de lui envoyer de l’or, beaucoup d’or, puisqu’on en compte plus en Egypte que la poussière55.

La richesse comme la puissance, militaire et maritime, dans le cas de l’Egypte, sont des gages de prestige, et l’établissement de rapports pacifiques sert de ciment aux rapports commerciaux, lesquels doivent permettre, dans l’esprit de ceux qui s’y livrent, d’entretenir, voire d’accroître, la première, sans nuire, loin s’en faut, à la seconde, puisqu’ils assurent un rayonnement d’action et, partant, d’influence à leurs auteurs. Le commerce, plus utile que la sujétion par la force armée ? A coup sûr, en tout cas, un instrument de conquête, que les Egyptiens ont su exploiter avec pragmatisme, en lui accordant la préséance sur les rapports belliqueux à chaque fois qu’ils trouvaient un intérêt à le faire.

A y regarder de plus près, la pièce de collection la plus célèbre du Musée égyptien du Caire, le masque funéraire de Toutânkhamon, n’est peut-être pas qu’un témoignage emblématique de la puissance dominatrice des pharaons sur leur environnement. L’or, le lapis-lazuli, le quartz, l’obsidienne, la turquoise et les verres colorés qui le composent laissent percer, derrière l’idée de domination, celle, plus diffuse, mais certaine, d’échanges, notamment commerciaux, entre les hommes.

Burt KASPARIAN MCF histoire du droit

Université de La Rochelle

55 EA 27.