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Voies privées et voies publiques, contrôleet normes. La largeur des voies nouvellesouvertes à Paris (1790-1940)

L’Ancien Régime paraît avoir ignoré la distinction entre voie privée et voie publique1. Au xViiie siècle, si l'initiative des projets « d'embellissement » se partage entre pouvoirs publics et particuliers [harouel, 1993 ; fleury, Monnier, 1985, p. 60], leur mise en œuvre se soumet à un même régime d’autorisation, d’où découle un unique statut des voies nouvelles. La période qui suit la Révolution, pour des raisons qui tiennent sans doute à la carence des instances de contrôle et à la reformulation du droit de propriété, voit l’apparition d’espaces urbains relevant d’un statut original, celui de la voie privée. Attestée sporadiquement dès les premières années de la Révolution2, la pratique de l’ouverture de voies privées se diffuse à Paris et dans les communes limitrophes de la « petite banlieue3 » à partir des années 1820-1830. Un siècle plus tard, en 1920, sur les 4400 voies qui forment le réseau viaire parisien, 1500 relèvent du statut de voie privée, couvrant 175 kilomètres [texier, 2006, p. 105]. Encore, à cette date, de nombreuses voies précédemment ouvertes comme voies privées ont-elles été classées dans le domaine public. Jusqu’à la veille du second conflit mondial, choisie comme terme pour cette étude, l’activité des lotisseurs demeure très soutenue, représentant, en longueur de voie ouverte, pas loin de 40 % de la viabilité nouvelle, publique et privée confondues4.

Ces voies nouvelles, qui répondent – éventuellement a minima – à la définition implicite d’une voie urbaine, sont néanmoins susceptibles de présenter, notamment en matière de largeur de passage, des caractéristiques nettement inférieures à celles en usage lors de la période précédente, durant laquelle le contrôle exercé par les autorités publiques se traduisait par des prescriptions relativement exigeantes. En effet, à Paris, à la fin de l’Ancien Régime, les autorités compétentes en matière de voirie peuvent s’appuyer sur une série de textes à valeur réglementaire définissant la largeur minimale qui doit être prescrite pour les voies nouvelles. Une déclaration du roi, promulguée en 1765, impose d’abord que les rues des faubourgs de la capitale dont la largeur est inférieure à trente pieds (cinq toises ou 9,75 m) seront portées à cette largeur « au fur et à mesure des constructions et des reconstructions » [harouel, 1993, p. 228]. Puis, en 1783, une nouvelle déclaration royale étend

François Bodet

1 . Je remercie Marie-Paule Halgand, Michel Denès et Anne-Marie Châtelet de m’avoir proposé de participer à ce volume d’hommage offert à Michaël Darin. J’espère que celui-ci reconnaîtra dans les pages qui suivent le prolongement de travaux conduits naguère sous sa direction. Je remercie également Catherine Saliou, pour sa relecture attentive, ainsi que Jean-Marie Audry, responsable des études démographiques à l’APUR, et Jean-Yves Priou, chef du bureau des documents graphiques de la sous-direction des études et des règlement de la Ville de Paris, pour leur aide et leurs conseils.

2 . Le cas de la rue Mandar, dans l’actuel 2e arrondissement de Paris, a valeur de prototype. En 1792, l’architecte Charles-François Mandar procède à l’ouverture à Paris d’un passage clos de grilles à chacune de ses extrémités ; son utilité comme communication a bientôt fait d’entraîner leur suppression. Incorporée en fait, sinon en droit, à la voirie ordinaire, en dépit d’une largeur de quatre toises (7,80 m) inférieure au minimum exigé, la rue Mandar apparaît très tôt dans le discours administratif comme le cas exemplaire des conséquences fâcheuses qu’entraîne le défaut de contrôle public en matière d’autorisation d’ouverture de voies nouvelles [daubenton, 1836, p. 147]. Sur Mandar, voir [PiCon, 1995].

3 . Je conserve, par commodité, cette dénomination consacrée par l’usage pour désigner les territoires inclus dans le périmètre de l’enceinte de Thiers, en dépit des remarques formulées par Alain Faure qui a souligné qu’elle ne reçoit nullement cette acception univoque de

la part des contemporains de l’annexion [faure, p. 60].

93

Voies privées et voies publiques, contrôleet normes. La largeur des voies nouvellesouvertes à Paris (1790-1940)

L’Ancien Régime paraît avoir ignoré la distinction entre voie privée et voie publique1. Au xViiie siècle, si l'initiative des projets « d'embellissement » se partage entre pouvoirs publics et particuliers [harouel, 1993 ; fleury, Monnier, 1985, p. 60], leur mise en œuvre se soumet à un même régime d’autorisation, d’où découle un unique statut des voies nouvelles. La période qui suit la Révolution, pour des raisons qui tiennent sans doute à la carence des instances de contrôle et à la reformulation du droit de propriété, voit l’apparition d’espaces urbains relevant d’un statut original, celui de la voie privée. Attestée sporadiquement dès les premières années de la Révolution2, la pratique de l’ouverture de voies privées se diffuse à Paris et dans les communes limitrophes de la « petite banlieue3 » à partir des années 1820-1830. Un siècle plus tard, en 1920, sur les 4400 voies qui forment le réseau viaire parisien, 1500 relèvent du statut de voie privée, couvrant 175 kilomètres [texier, 2006, p. 105]. Encore, à cette date, de nombreuses voies précédemment ouvertes comme voies privées ont-elles été classées dans le domaine public. Jusqu’à la veille du second conflit mondial, choisie comme terme pour cette étude, l’activité des lotisseurs demeure très soutenue, représentant, en longueur de voie ouverte, pas loin de 40 % de la viabilité nouvelle, publique et privée confondues4.

Ces voies nouvelles, qui répondent – éventuellement a minima – à la définition implicite d’une voie urbaine, sont néanmoins susceptibles de présenter, notamment en matière de largeur de passage, des caractéristiques nettement inférieures à celles en usage lors de la période précédente, durant laquelle le contrôle exercé par les autorités publiques se traduisait par des prescriptions relativement exigeantes. En effet, à Paris, à la fin de l’Ancien Régime, les autorités compétentes en matière de voirie peuvent s’appuyer sur une série de textes à valeur réglementaire définissant la largeur minimale qui doit être prescrite pour les voies nouvelles. Une déclaration du roi, promulguée en 1765, impose d’abord que les rues des faubourgs de la capitale dont la largeur est inférieure à trente pieds (cinq toises ou 9,75 m) seront portées à cette largeur « au fur et à mesure des constructions et des reconstructions » [harouel, 1993, p. 228]. Puis, en 1783, une nouvelle déclaration royale étend

François Bodet

1 . Je remercie Marie-Paule Halgand, Michel Denès et Anne-Marie Châtelet de m’avoir proposé de participer à ce volume d’hommage offert à Michaël Darin. J’espère que celui-ci reconnaîtra dans les pages qui suivent le prolongement de travaux conduits naguère sous sa direction. Je remercie également Catherine Saliou, pour sa relecture attentive, ainsi que Jean-Marie Audry, responsable des études démographiques à l’APUR, et Jean-Yves Priou, chef du bureau des documents graphiques de la sous-direction des études et des règlement de la Ville de Paris, pour leur aide et leurs conseils.

2 . Le cas de la rue Mandar, dans l’actuel 2e arrondissement de Paris, a valeur de prototype. En 1792, l’architecte Charles-François Mandar procède à l’ouverture à Paris d’un passage clos de grilles à chacune de ses extrémités ; son utilité comme communication a bientôt fait d’entraîner leur suppression. Incorporée en fait, sinon en droit, à la voirie ordinaire, en dépit d’une largeur de quatre toises (7,80 m) inférieure au minimum exigé, la rue Mandar apparaît très tôt dans le discours administratif comme le cas exemplaire des conséquences fâcheuses qu’entraîne le défaut de contrôle public en matière d’autorisation d’ouverture de voies nouvelles [daubenton, 1836, p. 147]. Sur Mandar, voir [PiCon, 1995].

3 . Je conserve, par commodité, cette dénomination consacrée par l’usage pour désigner les territoires inclus dans le périmètre de l’enceinte de Thiers, en dépit des remarques formulées par Alain Faure qui a souligné qu’elle ne reçoit nullement cette acception univoque de

la part des contemporains de l’annexion [faure, p. 60].

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Scènes de la vie urbaine

cette prescription à toutes les rues de Paris et précise explicitement que la mesure s’applique non seulement aux voies existantes, mais également aux rues à ouvrir. Le 18 juillet 1788 enfin, une délibération du bureau de ville de Paris alourdit cette obligation en portant à trente-six pieds (six toises ou 11,69 m) la largeur à donner aux rues nouvelles [harouel, 1993, p. 158].

À la veille de la Révolution, la pratique administrative relative à la largeur à donner aux voies nouvelles paraît donc fixée par référence à une norme explicite. Sauf exception relative à un contexte urbain particulièrement contraint5, ces voies sont réputées bénéficier systématiquement d’un passage minimal de trente pieds ou cinq toises. La délibération de 1788 atteste que cette valeur fait néanmoins débat et qu’une largeur supérieure est souhaitée par certains acteurs de l’aménagement urbain.

Mis à mal par la Révolution, le principe d’un contrôle public de la viabilité retrouve assez tôt un fondement législatif, au travers d’une des dispositions de la loi du 16 septembre 1807 qui assujettit l’exécution des projets à une autorisation délivrée au plus haut niveau de l’État, mais suivant des modalités qui en affaiblissent la portée6. En effet, en l’absence d’un régime de sanction dissuasif frappant le défaut de l’autorisation requise pour l’ouverture de voies nouvelles, la demande et l’obtention de celle-ci demeurent pour les lotisseurs une simple option.

Ainsi, tout au long du xixe siècle et jusqu’au lendemain de la Grande Guerre, deux régimes de création de voies d’initiative privée coexistent, suivant que les lotisseurs ont, ou non, sollicité – et obtenu – l’autorisation de mettre en œuvre leur projet. Dans l’affirmative, selon la doctrine qu’expriment les traités de droit de voirie, la délivrance de la permission est assortie d’un ensemble de prescriptions relatives aux caractéristiques de la voie (largeur, rectitude des alignements) et à son équipement initial (pavage, aménagement de trottoirs, éclairage public, dispositif d’écoulement des eaux usées) [daubenton, 1836, p. 163 ; rousset, 1861, p. 268]. Les voies issues de projets dont l’exécution se conforme à ce processus sont en principe, dès leur aménagement, « reçues à l’entretien de l’administration ». La propriété de leur assiette foncière est transférée à la commune et elles se trouvent incorporées au domaine public de voirie7.

À défaut de cette autorisation, les propriétaires ayant poursuivi l’exécution de leurs projets s’exposent formellement, sur la requête des autorités en charge de la voirie, à une action répressive des juridictions, administrative pour Paris, civile pour les autres communes. Une peine d’amende peut être prononcée et la clôture de la voie par des grilles « fermées la nuit » peut être imposée. Le développement rapide de la jurisprudence a tôt fait d’invalider le volet pénal du dispositif – l’amende, jugée par trop attentatoire à la propriété privée – laissant subsister l’obligation de clore, considérée comme une mesure de police relevant d’une compétence non contestée des pouvoirs locaux. Mais l’utilité de certains passages pour la circulation générale vient tempérer cette relative rigueur et, en 1920, sur les 1500 voies privées que compte le réseau des voies parisiennes, plus de mille sont ouvertes à la circulation publique [texier, 2006, p. 105]8.

4 . Ouvertures de voies privées et lotissements

constituent deux aspects d’un même processus de

mutation de l’usage des sols urbains ou périurbains.

Ce lien est souligné, notamment, par l’ambivalence

de la notion de viabilité, qui renvoie à la fois aux

opérations d’appropriation d’un terrain, préalables à

la construction de bâtiments, et aux caractéristiques

d’une voie de communication. Au-delà de la

définition, éminemment variable, des équipements

techniques nécessaires à la reconnaissance du

caractère constructible d’une parcelle (adduction,

assainissement, etc.), la desserte des parcelles par

une voie constitue un marqueur pérenne de l’urbanité.

Au nombre des « services » que la voie rend aux

constructions, une mention spéciale doit revenir à ce

que le droit désigne comme les « aisances de voirie »

– c’est-à-dire les droits particuliers que confère la

riveraineté : celui d’accéder à la propriété depuis la

voie publique, d’ouvrir des baies dans les façades

implantées sur la limite et de déverser les eaux pluviales

recueillies sur la parcelle – qui déterminent certains des

traits caractéristiques de l’architecture urbaine.

5 . Cas de la rue Pinon (actuelle rue Rossini),

ouverte en 1784 avec une largeur inférieure à la norme

fixée, mentionné par [fleury, Pronteau, 1973, p. 471].

6 . Article 52 : « Dans les villes, les alignements

pour l’ouverture des nouvelles rues, […] seront donnés

par les maires, conformément au plan dont les projets

auront été adressés aux préfets, transmis avec leur avis

au ministre de l’intérieur et arrêtés en Conseil d’État. »

L’importance de cette mesure a été maintes fois

soulignée, plus fréquemment cependant sous l’angle

de ses incidences indirectes – l’élaboration de plans

généraux dans les villes de plus de deux mille habitants

– que sous celui du régime d’autorisation des voies

nouvelles. Sur cette question, voir [darin, Meillerais,

bodet, 1998, p. 419 et suiv.].

7 . C’est, par exemple, le cas de la majorité

des voies ouvertes à partir des années 1820

dans le nouveau quartier de l’Europe (actuel

9e arrondissement). Sur cette opération, voir [Pronteau,

1958 ; terade, 1996 et 2007].

8 . Le statut de voie privée ouverte présente un

caractère officiel, il permet, en contrepartie d’une

ouverture permanente à la circulation publique, une

prise en charge de l’éclairage par l’administration,

En outre, si les voies ainsi créées relèvent du statut de la voie privée, cette situation n’est nullement irréversible et le classement dans la voirie publique peut intervenir à tout moment, dès lors qu’une telle évolution répond à une volonté partagée des propriétaires et de l’administration9. Pour les propriétaires, le statut de voie publique présente en principe un avantage financier puisqu’il les décharge des frais de l’entretien (revêtement, éclairage, plantations éventuelles, mais aussi réseaux enterrés, également incorporés au domaine public par l’effet du classement). Il leur retire cependant la faculté de limiter la circulation aux seuls riverains, restriction qui peut être privilégiée par certains propriétaires, conduisant, dans ce cas, à l’échec du classement. Du point de vue de l’administration, différentes considérations d’opportunité peuvent motiver la démarche : on a mentionné l’utilité avérée de la voie au regard de la circulation générale ; une plus grande facilité de la surveillance policière, la volonté d’uniformiser l’équipement des voies ouvertes à la circulation ou la mise en œuvre d’une politique d’amélioration de la salubrité peuvent également fournir les motifs du classement.

Surtout, la variabilité de la définition successivement donnée à ce qu’on peut désigner comme la norme de viabilité a souvent conduit à relativiser l’importance de caractéristiques, notamment dimensionnelles, jugées impératives à l’époque de l’ouverture d’une voie et perçues comme obsolètes à cinquante ou cent ans de distance10. À cet égard, le critère dominant paraît longtemps avoir été celui de la convenance telle que la définit la théorie architecturale, c’est-à-dire par référence à des considérations typologiques ou de destination sociale des bâtiments, plutôt que celui des caractéristiques fonctionnelles des aménagements, considérées au regard des commodités de la circulation, des modalités de raccordement aux réseaux d’adduction d’eau ou d’assainissement, ou de l’habitabilité des locaux. La notion de « voies insalubres » ne s’invite en fait que tardivement dans le débat public [texier, 2006, p. 105].

D’une manière générale, à Paris, au xixe siècle et pendant la première moitié du xxe siècle, le défaut de conformité d'une voie aux caractéristiques normalement imposées au moment de son ouverture constitue d'autant moins un obstacle à son intégration ultérieure au domaine public, qu’à l’origine ces prescriptions ne font l’objet d'aucune définition réglementaire ou légale. Elles sont laissées à l’appréciation des autorités compétentes pour instruire l’autorisation d’ouverture – municipales ou préfectorales suivant le contexte – sous le contrôle du conseil des Bâtiments civils, chargé de l’instruction des projets, préalable à leur approbation [Pinon, 2002]. Au cours du xixe siècle, dans un certain nombre de villes de province, les règlements de voirie édictés par les autorités municipales viendront formaliser les conditions susceptibles d'être imposées aux lotisseurs, mais ce n’est pas le cas à Paris [darin, Meillerais, bodet, 1998, p. 424]. La littérature des traités juridiques et techniques nous indique cependant que sous la monarchie de Juillet, l’administration du préfet Rambuteau subordonne la délivrance des autorisations d’ouverture de voies à la création d’un passage minimum de douze mètres [daubenton, 1836, p. 163]. En 1930, sous le régime de la loi Cornudet, réputée permettre un

l’entretien du revêtement demeurant à la charge du

ou des propriétaires.

9 . Juridiquement, le classement dans le domaine

public de voirie est la conséquence du transfert à la

commune de la propriété de l’assiette foncière de la

voie, lequel, sauf cas d’expropriation, ne peut résulter

que d’un acte bilatéral. Le statut domanial une fois

acquis protège l’affectation de la voie au service

public. Il ne peut être levé, à titre exceptionnel, que

par la procédure de déclassement qui comporte une

enquête publique.

10 . Le nombre des voies parisiennes relevant

du statut de voie privée a très fortement décru à

partir de l’entre-deux-guerres. Trois périodes ont été

marquées par des politiques volontaristes d’intégration

au domaine public. Une première vague massive

de classements, entre 1920 et 1939, maintient

des critères relativement exigeants : prohibition des

voies en impasse, largeur minimale de dix ou douze

mètres, sauf pour les voies ouvertes antérieurement à

1880 pour lesquelles des dimensions inférieures sont

tolérées, jusqu’à une largeur de seulement six mètres.

La deuxième (1961-1970) et la troisième vague

(1990-2000) s’affranchissent successivement de la

proscription des voies en impasse, puis du seuil de six

mètres, jusqu’à voir le classement de voies en impasse

d’une largeur inférieure à trois mètres (telle l’impasse

du Talus, dans le 18e arrondissement, d’une largeur de

1,70 mètre, classée dans le domaine public par arrêté

municipal du 14 février 1994). Seule la présence

d’ouvrages privatifs enterrés (caves ou réseaux) paraît

constituer aujourd’hui un obstacle au classement.

La ville parfaitement imparfaite

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Scènes de la vie urbaine

cette prescription à toutes les rues de Paris et précise explicitement que la mesure s’applique non seulement aux voies existantes, mais également aux rues à ouvrir. Le 18 juillet 1788 enfin, une délibération du bureau de ville de Paris alourdit cette obligation en portant à trente-six pieds (six toises ou 11,69 m) la largeur à donner aux rues nouvelles [harouel, 1993, p. 158].

À la veille de la Révolution, la pratique administrative relative à la largeur à donner aux voies nouvelles paraît donc fixée par référence à une norme explicite. Sauf exception relative à un contexte urbain particulièrement contraint5, ces voies sont réputées bénéficier systématiquement d’un passage minimal de trente pieds ou cinq toises. La délibération de 1788 atteste que cette valeur fait néanmoins débat et qu’une largeur supérieure est souhaitée par certains acteurs de l’aménagement urbain.

Mis à mal par la Révolution, le principe d’un contrôle public de la viabilité retrouve assez tôt un fondement législatif, au travers d’une des dispositions de la loi du 16 septembre 1807 qui assujettit l’exécution des projets à une autorisation délivrée au plus haut niveau de l’État, mais suivant des modalités qui en affaiblissent la portée6. En effet, en l’absence d’un régime de sanction dissuasif frappant le défaut de l’autorisation requise pour l’ouverture de voies nouvelles, la demande et l’obtention de celle-ci demeurent pour les lotisseurs une simple option.

Ainsi, tout au long du xixe siècle et jusqu’au lendemain de la Grande Guerre, deux régimes de création de voies d’initiative privée coexistent, suivant que les lotisseurs ont, ou non, sollicité – et obtenu – l’autorisation de mettre en œuvre leur projet. Dans l’affirmative, selon la doctrine qu’expriment les traités de droit de voirie, la délivrance de la permission est assortie d’un ensemble de prescriptions relatives aux caractéristiques de la voie (largeur, rectitude des alignements) et à son équipement initial (pavage, aménagement de trottoirs, éclairage public, dispositif d’écoulement des eaux usées) [daubenton, 1836, p. 163 ; rousset, 1861, p. 268]. Les voies issues de projets dont l’exécution se conforme à ce processus sont en principe, dès leur aménagement, « reçues à l’entretien de l’administration ». La propriété de leur assiette foncière est transférée à la commune et elles se trouvent incorporées au domaine public de voirie7.

À défaut de cette autorisation, les propriétaires ayant poursuivi l’exécution de leurs projets s’exposent formellement, sur la requête des autorités en charge de la voirie, à une action répressive des juridictions, administrative pour Paris, civile pour les autres communes. Une peine d’amende peut être prononcée et la clôture de la voie par des grilles « fermées la nuit » peut être imposée. Le développement rapide de la jurisprudence a tôt fait d’invalider le volet pénal du dispositif – l’amende, jugée par trop attentatoire à la propriété privée – laissant subsister l’obligation de clore, considérée comme une mesure de police relevant d’une compétence non contestée des pouvoirs locaux. Mais l’utilité de certains passages pour la circulation générale vient tempérer cette relative rigueur et, en 1920, sur les 1500 voies privées que compte le réseau des voies parisiennes, plus de mille sont ouvertes à la circulation publique [texier, 2006, p. 105]8.

4 . Ouvertures de voies privées et lotissements

constituent deux aspects d’un même processus de

mutation de l’usage des sols urbains ou périurbains.

Ce lien est souligné, notamment, par l’ambivalence

de la notion de viabilité, qui renvoie à la fois aux

opérations d’appropriation d’un terrain, préalables à

la construction de bâtiments, et aux caractéristiques

d’une voie de communication. Au-delà de la

définition, éminemment variable, des équipements

techniques nécessaires à la reconnaissance du

caractère constructible d’une parcelle (adduction,

assainissement, etc.), la desserte des parcelles par

une voie constitue un marqueur pérenne de l’urbanité.

Au nombre des « services » que la voie rend aux

constructions, une mention spéciale doit revenir à ce

que le droit désigne comme les « aisances de voirie »

– c’est-à-dire les droits particuliers que confère la

riveraineté : celui d’accéder à la propriété depuis la

voie publique, d’ouvrir des baies dans les façades

implantées sur la limite et de déverser les eaux pluviales

recueillies sur la parcelle – qui déterminent certains des

traits caractéristiques de l’architecture urbaine.

5 . Cas de la rue Pinon (actuelle rue Rossini),

ouverte en 1784 avec une largeur inférieure à la norme

fixée, mentionné par [fleury, Pronteau, 1973, p. 471].

6 . Article 52 : « Dans les villes, les alignements

pour l’ouverture des nouvelles rues, […] seront donnés

par les maires, conformément au plan dont les projets

auront été adressés aux préfets, transmis avec leur avis

au ministre de l’intérieur et arrêtés en Conseil d’État. »

L’importance de cette mesure a été maintes fois

soulignée, plus fréquemment cependant sous l’angle

de ses incidences indirectes – l’élaboration de plans

généraux dans les villes de plus de deux mille habitants

– que sous celui du régime d’autorisation des voies

nouvelles. Sur cette question, voir [darin, Meillerais,

bodet, 1998, p. 419 et suiv.].

7 . C’est, par exemple, le cas de la majorité

des voies ouvertes à partir des années 1820

dans le nouveau quartier de l’Europe (actuel

9e arrondissement). Sur cette opération, voir [Pronteau,

1958 ; terade, 1996 et 2007].

8 . Le statut de voie privée ouverte présente un

caractère officiel, il permet, en contrepartie d’une

ouverture permanente à la circulation publique, une

prise en charge de l’éclairage par l’administration,

En outre, si les voies ainsi créées relèvent du statut de la voie privée, cette situation n’est nullement irréversible et le classement dans la voirie publique peut intervenir à tout moment, dès lors qu’une telle évolution répond à une volonté partagée des propriétaires et de l’administration9. Pour les propriétaires, le statut de voie publique présente en principe un avantage financier puisqu’il les décharge des frais de l’entretien (revêtement, éclairage, plantations éventuelles, mais aussi réseaux enterrés, également incorporés au domaine public par l’effet du classement). Il leur retire cependant la faculté de limiter la circulation aux seuls riverains, restriction qui peut être privilégiée par certains propriétaires, conduisant, dans ce cas, à l’échec du classement. Du point de vue de l’administration, différentes considérations d’opportunité peuvent motiver la démarche : on a mentionné l’utilité avérée de la voie au regard de la circulation générale ; une plus grande facilité de la surveillance policière, la volonté d’uniformiser l’équipement des voies ouvertes à la circulation ou la mise en œuvre d’une politique d’amélioration de la salubrité peuvent également fournir les motifs du classement.

Surtout, la variabilité de la définition successivement donnée à ce qu’on peut désigner comme la norme de viabilité a souvent conduit à relativiser l’importance de caractéristiques, notamment dimensionnelles, jugées impératives à l’époque de l’ouverture d’une voie et perçues comme obsolètes à cinquante ou cent ans de distance10. À cet égard, le critère dominant paraît longtemps avoir été celui de la convenance telle que la définit la théorie architecturale, c’est-à-dire par référence à des considérations typologiques ou de destination sociale des bâtiments, plutôt que celui des caractéristiques fonctionnelles des aménagements, considérées au regard des commodités de la circulation, des modalités de raccordement aux réseaux d’adduction d’eau ou d’assainissement, ou de l’habitabilité des locaux. La notion de « voies insalubres » ne s’invite en fait que tardivement dans le débat public [texier, 2006, p. 105].

D’une manière générale, à Paris, au xixe siècle et pendant la première moitié du xxe siècle, le défaut de conformité d'une voie aux caractéristiques normalement imposées au moment de son ouverture constitue d'autant moins un obstacle à son intégration ultérieure au domaine public, qu’à l’origine ces prescriptions ne font l’objet d'aucune définition réglementaire ou légale. Elles sont laissées à l’appréciation des autorités compétentes pour instruire l’autorisation d’ouverture – municipales ou préfectorales suivant le contexte – sous le contrôle du conseil des Bâtiments civils, chargé de l’instruction des projets, préalable à leur approbation [Pinon, 2002]. Au cours du xixe siècle, dans un certain nombre de villes de province, les règlements de voirie édictés par les autorités municipales viendront formaliser les conditions susceptibles d'être imposées aux lotisseurs, mais ce n’est pas le cas à Paris [darin, Meillerais, bodet, 1998, p. 424]. La littérature des traités juridiques et techniques nous indique cependant que sous la monarchie de Juillet, l’administration du préfet Rambuteau subordonne la délivrance des autorisations d’ouverture de voies à la création d’un passage minimum de douze mètres [daubenton, 1836, p. 163]. En 1930, sous le régime de la loi Cornudet, réputée permettre un

l’entretien du revêtement demeurant à la charge du

ou des propriétaires.

9 . Juridiquement, le classement dans le domaine

public de voirie est la conséquence du transfert à la

commune de la propriété de l’assiette foncière de la

voie, lequel, sauf cas d’expropriation, ne peut résulter

que d’un acte bilatéral. Le statut domanial une fois

acquis protège l’affectation de la voie au service

public. Il ne peut être levé, à titre exceptionnel, que

par la procédure de déclassement qui comporte une

enquête publique.

10 . Le nombre des voies parisiennes relevant

du statut de voie privée a très fortement décru à

partir de l’entre-deux-guerres. Trois périodes ont été

marquées par des politiques volontaristes d’intégration

au domaine public. Une première vague massive

de classements, entre 1920 et 1939, maintient

des critères relativement exigeants : prohibition des

voies en impasse, largeur minimale de dix ou douze

mètres, sauf pour les voies ouvertes antérieurement à

1880 pour lesquelles des dimensions inférieures sont

tolérées, jusqu’à une largeur de seulement six mètres.

La deuxième (1961-1970) et la troisième vague

(1990-2000) s’affranchissent successivement de la

proscription des voies en impasse, puis du seuil de six

mètres, jusqu’à voir le classement de voies en impasse

d’une largeur inférieure à trois mètres (telle l’impasse

du Talus, dans le 18e arrondissement, d’une largeur de

1,70 mètre, classée dans le domaine public par arrêté

municipal du 14 février 1994). Seule la présence

d’ouvrages privatifs enterrés (caves ou réseaux) paraît

constituer aujourd’hui un obstacle au classement.

La ville parfaitement imparfaite

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Scènes de la vie urbaine

96

contrôle public enfin efficace sur l’activité des lotisseurs11, cette exigence préfectorale aurait été portée à quinze mètres « si l’on veut que les voies puissent être classées » [danGer, 1930, p. 8].

Quelque idéales qu’elles puissent paraître au regard de la diversité des dispositifs effectivement mis en œuvre, ces valeurs de douze ou quinze mètres n’ont cependant rien d’arbitraire. Si la première fait directement écho aux prescriptions évoquées plus haut, en vigueur à la fin de l’Ancien Régime, l’une et l’autre doivent plus largement être rapportées au corpus normatif suscité par la pratique de l’alignement des rues, telle qu’elle est progressivement systématisée à partir de la fin du xViiie siècle [darin, 1985] et dont témoigne les dispositions du décret de la Convention du 5 nivôse an V (25 décembre 1796) qui définit les largeurs auxquelles devront se conformer les voies existantes, au fur et à mesure des reconstructions des immeubles riverains12. Les voies urbaines y sont réparties dans un système hiérarchisé comportant cinq classes de largeur, définies en fonction de leur position dans le réseau de circulation. La largeur de douze mètres, qui correspond à la deuxième classe, dite des traverses intérieures, s’intercale entre celle des grandes routes (14 mètres) et celles des chemins intermédiaires (10 mètres), des communications transversales (8 mètres) et des petites communications (6 mètres) [fleury, Pronteau 1973, p. 470]. Toute une gamme de dispositifs se trouve ainsi énoncée, adaptée à la variété des situations existantes et rompant avec le systématisme strict des dispositions antérieures. Ce principe d’une hiérarchisation de la largeur des voies définie en fonction de leur importance en termes de circulation connaîtra différentes formulations au cours du xixe siècle, mais en restant cantonné au champ de la doctrine, sans connaître de traduction réglementaire. On peut mentionner à ce titre le système proposé par Grillon, Callou et Jacoubet, en 1848, qui comporte quatre classes de largeur (20, 16, 12 et 7 mètres, pour les rues « seulement destinées à diviser, à desservir les îlots formés par les grandes artères, et surtout fréquentées par les piétons ») et celui de Des Cilleuls, en 1877, dont les quatre classes de rues enregistrent les nouveaux standards issus de la rupture conceptuelle prononcée par l’« haussmannisme » : 30-40 mètres pour les « grandes voies circulaires et rayonnantes », 20-24 mètres pour les « rues artérielles », 15-20 mètres pour les « rues transversales » et 10-13 mètres, pour les « rues de lotissement » [Grillon, et al., 1848, p. 23 ; des Cilleuls, 1877, p. 227-235 ].

Ces séries de valeurs paraissent conformes aux pratiques édilitaires que l’historiographie relative aux transformations de Paris au xixe siècle nous permet de connaître. On pourrait ainsi multiplier les exemples, depuis la rue de Rivoli, ouverte en 1802 dans sa partie occidentale avec une largeur de 20,68 m (64 pieds), et la rue Rambuteau, ouverte en 1838 avec un passage de treize mètres, jusqu’aux multiples réalisations du préfet Haussmann et de ses successeurs. Mais l’intérêt porté aux réalisations les plus prestigieuses peut fausser la perception d’ensemble de l’activité des services préfectoraux et il est clair que les « aménagements viaires d’embellissement et de rentabilisation municipaux », suivant une formule de Pierre Pinon [Pinon, 2002, p. 36], peuvent donner lieu à des réalisations plus modestes qui, pour l’ensemble des protagonistes de la viabilité parisienne, constituent une référence immédiatement présente. En effet, pour la compréhension des relations pouvant exister entre les pratiques de viabilité publiques et privées, il n’est évidemment pas indifférent que, pendant toute la période considérée, l’autorité compétente en matière d’instruction des demandes d’ouverture de voies ait été elle-même le principal acteur du développement de la viabilité urbaine. À côté des nombreuses opérations de lotissement, la masse des travaux publics effectivement réalisés constitue un corpus de référence auquel lotisseurs et constructeurs – mais aussi tous les candidats à l’occupation d’un logement, d’un atelier ou d’un magasin – peuvent confronter réalisations et projets.

*

Dans la période de forte expansion urbaine qui correspond au cent cinquante premières années de l’époque contemporaine, la viabilité parisienne paraît donc ne pouvoir être rapportée qu’à un ensemble hétérogène de normes et de pratiques renvoyant, d’une part, à des dispositifs juridiques en partie coutumiers, peu ou mal appliqués – décrivant cependant une réalité idéale où les projets se conformeraient à des exigences tendanciellement en hausse – et, d’autre part, aux standards variables quoique normalement « vertueux » de la pratique édilitaire. B.

A. Notices de voie appartenant à l’échantillon, extraites de la Nomenclature : exemples de voie privée datée, de voie privée non datée et de voie publique.

B. Échantillon de voies nouvelles ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, d’après la Nomenclature officielle des voies publiques et privée, Direction de l’urbanisme de la Ville de Paris, 1997.

11 . Sous le régime de cette loi, les cessions de

terrain consenties par les lotisseurs sont entachées de

précarité si l’opération n’a pas reçu l’approbation

de l’autorité préfectorale ou si les équipements de

viabilisation prescrits à l’occasion de la délivrance

de l’autorisation n’ont pas été réalisés préalablement

aux ventes, c’est, en principe, l’outil enfin efficace du

contrôle public sur les lotissements [darin, Meillerais,

bodet, 1998, p. 425].

12 . La loi de 1807, déjà mentionnée, ne constitue

qu’un jalon ultérieur de cette évolution, dont le sens

est éclairé par les développements consacrés par Jean-

Louis Harouel à la distinction entre alignement attributif

et alignement déclaratif [harouel, 1993, p. 241].

13 . Ci-après Nomenclature. Il s’agit de la

neuvième et ultime édition papier d’un ouvrage dont la

première publication remonte à 1873. Les notices de

la nomenclature des voies parisiennes sont désormais

consultables en ligne, à l’adresse http://www.v2asp.

paris.fr/commun/v2asp/v2/nomenclature_voies/.

Le dépouillement a été réalisé suivant trois séries,

débutant par les pages 4, 5 et 11, et suivi pour chaque

série en exploitant une page sur quinze. Le mode de

constitution de l’échantillon permet, en principe, de

formuler l’hypothèse de sa représentativité.

A.

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Scènes de la vie urbaine

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contrôle public enfin efficace sur l’activité des lotisseurs11, cette exigence préfectorale aurait été portée à quinze mètres « si l’on veut que les voies puissent être classées » [danGer, 1930, p. 8].

Quelque idéales qu’elles puissent paraître au regard de la diversité des dispositifs effectivement mis en œuvre, ces valeurs de douze ou quinze mètres n’ont cependant rien d’arbitraire. Si la première fait directement écho aux prescriptions évoquées plus haut, en vigueur à la fin de l’Ancien Régime, l’une et l’autre doivent plus largement être rapportées au corpus normatif suscité par la pratique de l’alignement des rues, telle qu’elle est progressivement systématisée à partir de la fin du xViiie siècle [darin, 1985] et dont témoigne les dispositions du décret de la Convention du 5 nivôse an V (25 décembre 1796) qui définit les largeurs auxquelles devront se conformer les voies existantes, au fur et à mesure des reconstructions des immeubles riverains12. Les voies urbaines y sont réparties dans un système hiérarchisé comportant cinq classes de largeur, définies en fonction de leur position dans le réseau de circulation. La largeur de douze mètres, qui correspond à la deuxième classe, dite des traverses intérieures, s’intercale entre celle des grandes routes (14 mètres) et celles des chemins intermédiaires (10 mètres), des communications transversales (8 mètres) et des petites communications (6 mètres) [fleury, Pronteau 1973, p. 470]. Toute une gamme de dispositifs se trouve ainsi énoncée, adaptée à la variété des situations existantes et rompant avec le systématisme strict des dispositions antérieures. Ce principe d’une hiérarchisation de la largeur des voies définie en fonction de leur importance en termes de circulation connaîtra différentes formulations au cours du xixe siècle, mais en restant cantonné au champ de la doctrine, sans connaître de traduction réglementaire. On peut mentionner à ce titre le système proposé par Grillon, Callou et Jacoubet, en 1848, qui comporte quatre classes de largeur (20, 16, 12 et 7 mètres, pour les rues « seulement destinées à diviser, à desservir les îlots formés par les grandes artères, et surtout fréquentées par les piétons ») et celui de Des Cilleuls, en 1877, dont les quatre classes de rues enregistrent les nouveaux standards issus de la rupture conceptuelle prononcée par l’« haussmannisme » : 30-40 mètres pour les « grandes voies circulaires et rayonnantes », 20-24 mètres pour les « rues artérielles », 15-20 mètres pour les « rues transversales » et 10-13 mètres, pour les « rues de lotissement » [Grillon, et al., 1848, p. 23 ; des Cilleuls, 1877, p. 227-235 ].

Ces séries de valeurs paraissent conformes aux pratiques édilitaires que l’historiographie relative aux transformations de Paris au xixe siècle nous permet de connaître. On pourrait ainsi multiplier les exemples, depuis la rue de Rivoli, ouverte en 1802 dans sa partie occidentale avec une largeur de 20,68 m (64 pieds), et la rue Rambuteau, ouverte en 1838 avec un passage de treize mètres, jusqu’aux multiples réalisations du préfet Haussmann et de ses successeurs. Mais l’intérêt porté aux réalisations les plus prestigieuses peut fausser la perception d’ensemble de l’activité des services préfectoraux et il est clair que les « aménagements viaires d’embellissement et de rentabilisation municipaux », suivant une formule de Pierre Pinon [Pinon, 2002, p. 36], peuvent donner lieu à des réalisations plus modestes qui, pour l’ensemble des protagonistes de la viabilité parisienne, constituent une référence immédiatement présente. En effet, pour la compréhension des relations pouvant exister entre les pratiques de viabilité publiques et privées, il n’est évidemment pas indifférent que, pendant toute la période considérée, l’autorité compétente en matière d’instruction des demandes d’ouverture de voies ait été elle-même le principal acteur du développement de la viabilité urbaine. À côté des nombreuses opérations de lotissement, la masse des travaux publics effectivement réalisés constitue un corpus de référence auquel lotisseurs et constructeurs – mais aussi tous les candidats à l’occupation d’un logement, d’un atelier ou d’un magasin – peuvent confronter réalisations et projets.

*

Dans la période de forte expansion urbaine qui correspond au cent cinquante premières années de l’époque contemporaine, la viabilité parisienne paraît donc ne pouvoir être rapportée qu’à un ensemble hétérogène de normes et de pratiques renvoyant, d’une part, à des dispositifs juridiques en partie coutumiers, peu ou mal appliqués – décrivant cependant une réalité idéale où les projets se conformeraient à des exigences tendanciellement en hausse – et, d’autre part, aux standards variables quoique normalement « vertueux » de la pratique édilitaire. B.

A. Notices de voie appartenant à l’échantillon, extraites de la Nomenclature : exemples de voie privée datée, de voie privée non datée et de voie publique.

B. Échantillon de voies nouvelles ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, d’après la Nomenclature officielle des voies publiques et privée, Direction de l’urbanisme de la Ville de Paris, 1997.

11 . Sous le régime de cette loi, les cessions de

terrain consenties par les lotisseurs sont entachées de

précarité si l’opération n’a pas reçu l’approbation

de l’autorité préfectorale ou si les équipements de

viabilisation prescrits à l’occasion de la délivrance

de l’autorisation n’ont pas été réalisés préalablement

aux ventes, c’est, en principe, l’outil enfin efficace du

contrôle public sur les lotissements [darin, Meillerais,

bodet, 1998, p. 425].

12 . La loi de 1807, déjà mentionnée, ne constitue

qu’un jalon ultérieur de cette évolution, dont le sens

est éclairé par les développements consacrés par Jean-

Louis Harouel à la distinction entre alignement attributif

et alignement déclaratif [harouel, 1993, p. 241].

13 . Ci-après Nomenclature. Il s’agit de la

neuvième et ultime édition papier d’un ouvrage dont la

première publication remonte à 1873. Les notices de

la nomenclature des voies parisiennes sont désormais

consultables en ligne, à l’adresse http://www.v2asp.

paris.fr/commun/v2asp/v2/nomenclature_voies/.

Le dépouillement a été réalisé suivant trois séries,

débutant par les pages 4, 5 et 11, et suivi pour chaque

série en exploitant une page sur quinze. Le mode de

constitution de l’échantillon permet, en principe, de

formuler l’hypothèse de sa représentativité.

A.

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La prise en considération du réseau des rues parisiennes, dans sa réalité actuelle, incluant des réalisations susceptibles d’écarts significatifs par rapport aux valeurs de référence que nous venons d’évoquer, n’apporte pas, de prime abord, les éléments d’une clarification du problème.

De ce constat est né le projet de l’enquête qui fait l’objet de la seconde partie du présent texte et qu’introduisent les considérations précédentes. Elle se propose d’objectiver les pratiques des acteurs de la viabilité, en matière de largeurs données aux voies nouvelles sur le territoire de la commune de Paris, dans son extension actuelle incluant le territoire des communes annexées en 1860, depuis le lendemain de la Révolution jusqu’au déclenchement du second conflit mondial. Elle repose sur l’exploitation statistique d’un échantillon de voies nouvelles ouvertes entre 1800 et 1940, représentant par construction environ 20 % du total des voies nouvelles, privées et publiques, ouvertes pendant cette période.

La constitution de cet échantillon résulte du dépouillement – à raison d’une page sur cinq – des quelque 531 pages (comportant 6 088 notices individuelles de voies, classées alphabétiquement) de la Nomenclature officielle des voies privées et publiques, publiée par la Direction de l’urbanisme de la mairie de Paris, dans son édition de 199713. La sélection des voies figurant dans l’échantillon a été réalisée d’abord en fonction du critère de leur appartenance à la période retenue, soit que cette information était donnée explicitement dans leur notice – cas de presque toutes les voies publiques et d’environ la moitié des voies privées, moins systématiquement documentées (ill. A) –, soit qu’elle pouvait être déduite de l’examen des plans anciens.

Les voies – entendues au sens le plus générique – pour lesquelles le critère de la largeur ne pouvait être appliqué, soit toutes les places, les quais, etc., ont été écartées de l’échantillon. Il en a été de même pour certains passages privés présentant le caractère de cours intérieures d’ensembles architecturaux unitaires, ou pour les voies ne présentant pas un caractère urbain, telles celles ouvertes dans les bois de Vincennes et de Boulogne, les allées de l’esplanade des Invalides, etc. Le cas échéant, les tronçons d’une même voie ouverts à des dates successives ou dotés de largeurs différentes ont été distingués. Les données de longueur et de largeur fournies par les notices ont été vérifiées systématiquement pour tenir compte des opérations d’élargissement postérieures à leur ouverture14. Dans un nombre limité de cas, les informations relatives à des voies privées dont la date d’ouverture n’était pas rapportée par la Nomenclature ont pu être complétées par recoupement de différentes sources facilement disponibles, telles les notices « Wikipédia » concernant certains équipements ou quartiers parisiens. La thèse soutenue en 2002 par Amina Sellali à propos des lotissements du 20e arrondissement réalisés entre 1820 et 1902 a également permis de compléter la datation de quelques voies privées ouvertes dans cet arrondissement [sellali-bouKhalfa, 2002]. Enfin, en complément de la date d’ouverture, des largeur et longueur, de l’indication du statut domanial – initial et actuel –, la date éventuelle de classement dans la voirie publique a été enregistrée.

C. Largeur des voies privées et publiques ouvertes à Paris entre 1800 et 1940 (échantillon de 264 voies ou tronçons de voies publics et 352 voies privées) longueur totale ouverte, en mètres, par intervalle de largeur de un mètre.

D. Indice d’activité de la construction et voies nouvelles ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, tous statuts confondus (linéaire ouvert annuellement, en moyenne glissante sur cinq ans, en mètres).

E. Voies publiques et privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940 (linéaire ouvert annuellement, en moyenne glissante sur cinq ans, en mètres).

F. Répartition par classes de largeur des voies publiques ouvertes à Paris entre 1790 et 1940 en moyenne annuelle (en mètres), par périodes (échantillon de 264 voies ou tronçons de voies).

14 . La largeur indiquée par les notices

correspond à la largeur « réglementaire » actuelle,

c’est-à-dire celle préscrite par les plans et arrêtés

d’alignement pris successivement depuis la date

d’ouverture des voies. L’examen des plans anciens

et actuels et la prise en compte de l’ancienneté des

constructions riveraines permettent, le cas échéant, de

restituer la largeur initiale. Les nombreuses ressources

disponibles en ligne ont permis de réaliser de façon

relativement rapide ces vérifications systématiques.

Ont ainsi été utilisés entre septembre et novembre

2013 : la couverture photographique des rues de Paris

offerte par le site Google Maps (https://maps.google.

fr), le plan parcellaire de la Ville de Paris (http://paris-

a-la-carte-version-pl.paris.fr/carto/mapping), les plans

parcellaires du xixe siècle de Paris et des communes

annexées mis en ligne par les Archives de Paris (http://

canadp-archivesenligne.paris.fr), les données SIG

sur les îlots et les parcelles issues de la vectorisation

de l’atlas Vasserot (début xixe siècle), réalisée par les

membres du programme de recherches ALPAGE

(http://alpage.tge-adonis.fr/fr/), le plan parcellaire

cadastral issu du portail de l’Institut géographique

national (http://www.geoportail.gouv.fr).

D.

C.

F.

E.

La ville parfaitement imparfaite

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Scènes de la vie urbaine

98

La prise en considération du réseau des rues parisiennes, dans sa réalité actuelle, incluant des réalisations susceptibles d’écarts significatifs par rapport aux valeurs de référence que nous venons d’évoquer, n’apporte pas, de prime abord, les éléments d’une clarification du problème.

De ce constat est né le projet de l’enquête qui fait l’objet de la seconde partie du présent texte et qu’introduisent les considérations précédentes. Elle se propose d’objectiver les pratiques des acteurs de la viabilité, en matière de largeurs données aux voies nouvelles sur le territoire de la commune de Paris, dans son extension actuelle incluant le territoire des communes annexées en 1860, depuis le lendemain de la Révolution jusqu’au déclenchement du second conflit mondial. Elle repose sur l’exploitation statistique d’un échantillon de voies nouvelles ouvertes entre 1800 et 1940, représentant par construction environ 20 % du total des voies nouvelles, privées et publiques, ouvertes pendant cette période.

La constitution de cet échantillon résulte du dépouillement – à raison d’une page sur cinq – des quelque 531 pages (comportant 6 088 notices individuelles de voies, classées alphabétiquement) de la Nomenclature officielle des voies privées et publiques, publiée par la Direction de l’urbanisme de la mairie de Paris, dans son édition de 199713. La sélection des voies figurant dans l’échantillon a été réalisée d’abord en fonction du critère de leur appartenance à la période retenue, soit que cette information était donnée explicitement dans leur notice – cas de presque toutes les voies publiques et d’environ la moitié des voies privées, moins systématiquement documentées (ill. A) –, soit qu’elle pouvait être déduite de l’examen des plans anciens.

Les voies – entendues au sens le plus générique – pour lesquelles le critère de la largeur ne pouvait être appliqué, soit toutes les places, les quais, etc., ont été écartées de l’échantillon. Il en a été de même pour certains passages privés présentant le caractère de cours intérieures d’ensembles architecturaux unitaires, ou pour les voies ne présentant pas un caractère urbain, telles celles ouvertes dans les bois de Vincennes et de Boulogne, les allées de l’esplanade des Invalides, etc. Le cas échéant, les tronçons d’une même voie ouverts à des dates successives ou dotés de largeurs différentes ont été distingués. Les données de longueur et de largeur fournies par les notices ont été vérifiées systématiquement pour tenir compte des opérations d’élargissement postérieures à leur ouverture14. Dans un nombre limité de cas, les informations relatives à des voies privées dont la date d’ouverture n’était pas rapportée par la Nomenclature ont pu être complétées par recoupement de différentes sources facilement disponibles, telles les notices « Wikipédia » concernant certains équipements ou quartiers parisiens. La thèse soutenue en 2002 par Amina Sellali à propos des lotissements du 20e arrondissement réalisés entre 1820 et 1902 a également permis de compléter la datation de quelques voies privées ouvertes dans cet arrondissement [sellali-bouKhalfa, 2002]. Enfin, en complément de la date d’ouverture, des largeur et longueur, de l’indication du statut domanial – initial et actuel –, la date éventuelle de classement dans la voirie publique a été enregistrée.

C. Largeur des voies privées et publiques ouvertes à Paris entre 1800 et 1940 (échantillon de 264 voies ou tronçons de voies publics et 352 voies privées) longueur totale ouverte, en mètres, par intervalle de largeur de un mètre.

D. Indice d’activité de la construction et voies nouvelles ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, tous statuts confondus (linéaire ouvert annuellement, en moyenne glissante sur cinq ans, en mètres).

E. Voies publiques et privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940 (linéaire ouvert annuellement, en moyenne glissante sur cinq ans, en mètres).

F. Répartition par classes de largeur des voies publiques ouvertes à Paris entre 1790 et 1940 en moyenne annuelle (en mètres), par périodes (échantillon de 264 voies ou tronçons de voies).

14 . La largeur indiquée par les notices

correspond à la largeur « réglementaire » actuelle,

c’est-à-dire celle préscrite par les plans et arrêtés

d’alignement pris successivement depuis la date

d’ouverture des voies. L’examen des plans anciens

et actuels et la prise en compte de l’ancienneté des

constructions riveraines permettent, le cas échéant, de

restituer la largeur initiale. Les nombreuses ressources

disponibles en ligne ont permis de réaliser de façon

relativement rapide ces vérifications systématiques.

Ont ainsi été utilisés entre septembre et novembre

2013 : la couverture photographique des rues de Paris

offerte par le site Google Maps (https://maps.google.

fr), le plan parcellaire de la Ville de Paris (http://paris-

a-la-carte-version-pl.paris.fr/carto/mapping), les plans

parcellaires du xixe siècle de Paris et des communes

annexées mis en ligne par les Archives de Paris (http://

canadp-archivesenligne.paris.fr), les données SIG

sur les îlots et les parcelles issues de la vectorisation

de l’atlas Vasserot (début xixe siècle), réalisée par les

membres du programme de recherches ALPAGE

(http://alpage.tge-adonis.fr/fr/), le plan parcellaire

cadastral issu du portail de l’Institut géographique

national (http://www.geoportail.gouv.fr).

D.

C.

F.

E.

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Scènes de la vie urbaine

100

G. Répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, en moyenne annuelle (en mètres), par périodes (échantillon de 177 voies datées et 175 voies non datées).

H. Répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, classées dans la voirie publique entre 1848 et 1997, par périodes de classement (échantillon de 252 voies) et répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes entre 1800 et 1940 et demeurées privées en 1997 (échantillon de 100 voies).

Élaborée par le Bureau du plan de la Ville de Paris – aujourd’hui Service technique de la documentation foncière, au sein de la Direction de l’urbanisme –, la Nomenclature reflète la position occupée par l’administration parisienne dans le champ de la viabilisation : les informations qu’elle rapporte sur chaque voie sont celles dont le Bureau du plan a eu connaissance. Celles qui sont issues directement d’actes administratifs – déclarations d’utilité publique, arrêtés divers, etc. – peuvent présenter un caractère quasi systématique, ainsi pour ce qui concerne les voies publiques ouvertes dans le ressort de l’administration préfectorale (ce qui exclut quelques voies ouvertes avant l’annexion dans les communes de « petite banlieue », pour lesquelles l’information est lacunaire). En revanche, les informations relatives aux voies privées sont beaucoup moins complètes, voire incertaines, particulièrement, mais pas seulement, pour les voies ayant conservé jusqu’à aujourd’hui leur statut privé. Cette situation induit une différence marquée dans la qualité des deux sous-échantillons formés respectivement des voies issues de l’activité édilitaire – de statut initial public – et des voies d’origine privée, dont seule une moitié peut être datée de façon précise. Les caractéristiques de largeur des voies des deux populations de voies privées (datées et non datées) présentant des distributions différentes (ill. G), les conclusions qui peuvent être tirées de l’analyse statistique de la distribution temporelle des caractéristiques des voies datées ne peuvent donc être étendues à la totalité des voies privées qu’avec précaution. D’une manière générale, il importe de garder à l’esprit que les voies présentant des caractéristiques inférieures aux valeurs réputées « normales », par référence aux différents textes mentionnés dans la première partie de l’article, sont nettement sous-représentées dans l’échantillon des voies privées datées par rapport au total des voies d’origine privée.

L’échantillon ainsi constitué compte 643 voies ou tronçons de voie, représentant une longueur développée de 108 770 mètres (ill. B) : 258 voies ou tronçons, représentant 61 364 mètres (56,4 % du total), relevaient dès leur ouverture du statut de voie publique15. Les 352 voies ou tronçons de statut privé au moment de leur ouverture (39 928 m, 36,7 %) se répartissent presque par moitié en 177 voies datées (19 526 m) et 175 voies non datées (20 402 m). 89 voies (7 156 m) seulement relevaient toujours, en 1997, d’un statut privé, 263 voies (32 772 m) ayant fait l’objet d’une mesure de classement dans la voirie publique, à une date ou à une autre entre leur ouverture et 1997. Enfin, pour 33 voies (7 478 m, 6,9 %) dépendant aujourd’hui de la voirie publique, le statut initial et la date d’ouverture n’ont pu être déterminés.

Cet ensemble et ses différents éléments constitutifs ont fait l’objet de traitements statistiques simples, mettant en perspective les caractéristiques de l’activité de viabilité, envisagée sous l’angle du statut des voies nouvelles et de la distribution de leurs caractéristiques dimensionnelles. Les résultats en sont consignés dans les graphiques reproduits en illustration, à partir desquels les remarques suivantes peuvent être développées.

*Pendant tout le xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, à la dualité des régimes juridiques régissant les voies

urbaines correspondent des familles différenciées de dispositifs spatiaux, tels qu’ils peuvent être appréhendés du point de vue de la largeur donnée aux voies nouvelles (ill. C). Du côté de l’activité édilitaire, les voies ouvertes se conforment à un nombre assez réduit de « largeurs types » correspondant principalement aux valeurs de 12, 20 et 30 mètres, valeurs rondes qui représentent ensemble près de 65 % du linéaire de voie ouvert par les pouvoirs publics. Les voies larges16 – correspondant aux largeurs égales ou supérieures à vingt mètres, en incluant les voies assez peu nombreuses de largeurs intermédiaires (22, 23, 25 mètres) ou supérieures à trente mètres (31, 35 ou 40 mètres) – figurent en proportion importante avec plus de 43 % du linéaire de voies publiques ouvert. Cette importance des voies larges distingue fortement la viabilité publique de la pratique des lotisseurs qui se caractérise par l’emploi d’une gamme plus continue de largeurs, fortement décalée vers les valeurs les plus faibles, avec un maximum pratique de quinze mètres et incluant des largeurs infra-normales17 pouvant descendre à moins de deux mètres. Envisagée globalement, la part des dispositifs normaux, correspondant à un débouché égal ou supérieur à la valeur traditionnelle de trente pieds (9,74 mètres), représente une large moitié (55 %) des voies privées nouvelles. Les dispositifs les plus défectueux, correspondant aux

15 . Cet ensemble inclut les voies ouvertes dans le

cadre de projets associant des acteurs privés ou réalisés

à l’initiative de tels acteurs, mais qui, ayant été ouvertes

en conformité d’un plan approuvé par l’autorité

supérieure, ont bénéficié dès leur ouverture du statut

de voie publique. C’est, par exemple, le cas des voies

ouvertes à l’occasion de la création du quartier de

l’Europe [Pronteau, 1957 ; terade, 1996 et 2007].

16 . J’emprunte cette catégorisation à François

Loyer [loyer, 1987, p. 121].

17 . Le seuil de six mètres correspond, jusqu’aux

années 1980, à la valeur minimale retenue pour

permettre un classement dans la voirie publique.

Dans la suite de ce texte, par convention, les voies

présentant un passage strictement inférieur à six

mètres recevront le qualificatif d’infra-normales, les

voies dont la largeur est égale ou supérieure à six

mètres et strictement moindre que 9,50 m seront dites

sub-normales, les voies supérieures à cette valeur et

jusqu’à quinze mètres inclus seront dites normales, par

référence aux normes mentionnées dans la première

partie du présent texte (valeurs de dix pieds - soit

9,74 m, arrondis à 9,50 m ou 10 m -, de 12 mètres

ou de 15 mètres).

G.

H.

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G. Répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, en moyenne annuelle (en mètres), par périodes (échantillon de 177 voies datées et 175 voies non datées).

H. Répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, classées dans la voirie publique entre 1848 et 1997, par périodes de classement (échantillon de 252 voies) et répartition par classes de largeur des voies privées ouvertes entre 1800 et 1940 et demeurées privées en 1997 (échantillon de 100 voies).

Élaborée par le Bureau du plan de la Ville de Paris – aujourd’hui Service technique de la documentation foncière, au sein de la Direction de l’urbanisme –, la Nomenclature reflète la position occupée par l’administration parisienne dans le champ de la viabilisation : les informations qu’elle rapporte sur chaque voie sont celles dont le Bureau du plan a eu connaissance. Celles qui sont issues directement d’actes administratifs – déclarations d’utilité publique, arrêtés divers, etc. – peuvent présenter un caractère quasi systématique, ainsi pour ce qui concerne les voies publiques ouvertes dans le ressort de l’administration préfectorale (ce qui exclut quelques voies ouvertes avant l’annexion dans les communes de « petite banlieue », pour lesquelles l’information est lacunaire). En revanche, les informations relatives aux voies privées sont beaucoup moins complètes, voire incertaines, particulièrement, mais pas seulement, pour les voies ayant conservé jusqu’à aujourd’hui leur statut privé. Cette situation induit une différence marquée dans la qualité des deux sous-échantillons formés respectivement des voies issues de l’activité édilitaire – de statut initial public – et des voies d’origine privée, dont seule une moitié peut être datée de façon précise. Les caractéristiques de largeur des voies des deux populations de voies privées (datées et non datées) présentant des distributions différentes (ill. G), les conclusions qui peuvent être tirées de l’analyse statistique de la distribution temporelle des caractéristiques des voies datées ne peuvent donc être étendues à la totalité des voies privées qu’avec précaution. D’une manière générale, il importe de garder à l’esprit que les voies présentant des caractéristiques inférieures aux valeurs réputées « normales », par référence aux différents textes mentionnés dans la première partie de l’article, sont nettement sous-représentées dans l’échantillon des voies privées datées par rapport au total des voies d’origine privée.

L’échantillon ainsi constitué compte 643 voies ou tronçons de voie, représentant une longueur développée de 108 770 mètres (ill. B) : 258 voies ou tronçons, représentant 61 364 mètres (56,4 % du total), relevaient dès leur ouverture du statut de voie publique15. Les 352 voies ou tronçons de statut privé au moment de leur ouverture (39 928 m, 36,7 %) se répartissent presque par moitié en 177 voies datées (19 526 m) et 175 voies non datées (20 402 m). 89 voies (7 156 m) seulement relevaient toujours, en 1997, d’un statut privé, 263 voies (32 772 m) ayant fait l’objet d’une mesure de classement dans la voirie publique, à une date ou à une autre entre leur ouverture et 1997. Enfin, pour 33 voies (7 478 m, 6,9 %) dépendant aujourd’hui de la voirie publique, le statut initial et la date d’ouverture n’ont pu être déterminés.

Cet ensemble et ses différents éléments constitutifs ont fait l’objet de traitements statistiques simples, mettant en perspective les caractéristiques de l’activité de viabilité, envisagée sous l’angle du statut des voies nouvelles et de la distribution de leurs caractéristiques dimensionnelles. Les résultats en sont consignés dans les graphiques reproduits en illustration, à partir desquels les remarques suivantes peuvent être développées.

*Pendant tout le xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, à la dualité des régimes juridiques régissant les voies

urbaines correspondent des familles différenciées de dispositifs spatiaux, tels qu’ils peuvent être appréhendés du point de vue de la largeur donnée aux voies nouvelles (ill. C). Du côté de l’activité édilitaire, les voies ouvertes se conforment à un nombre assez réduit de « largeurs types » correspondant principalement aux valeurs de 12, 20 et 30 mètres, valeurs rondes qui représentent ensemble près de 65 % du linéaire de voie ouvert par les pouvoirs publics. Les voies larges16 – correspondant aux largeurs égales ou supérieures à vingt mètres, en incluant les voies assez peu nombreuses de largeurs intermédiaires (22, 23, 25 mètres) ou supérieures à trente mètres (31, 35 ou 40 mètres) – figurent en proportion importante avec plus de 43 % du linéaire de voies publiques ouvert. Cette importance des voies larges distingue fortement la viabilité publique de la pratique des lotisseurs qui se caractérise par l’emploi d’une gamme plus continue de largeurs, fortement décalée vers les valeurs les plus faibles, avec un maximum pratique de quinze mètres et incluant des largeurs infra-normales17 pouvant descendre à moins de deux mètres. Envisagée globalement, la part des dispositifs normaux, correspondant à un débouché égal ou supérieur à la valeur traditionnelle de trente pieds (9,74 mètres), représente une large moitié (55 %) des voies privées nouvelles. Les dispositifs les plus défectueux, correspondant aux

15 . Cet ensemble inclut les voies ouvertes dans le

cadre de projets associant des acteurs privés ou réalisés

à l’initiative de tels acteurs, mais qui, ayant été ouvertes

en conformité d’un plan approuvé par l’autorité

supérieure, ont bénéficié dès leur ouverture du statut

de voie publique. C’est, par exemple, le cas des voies

ouvertes à l’occasion de la création du quartier de

l’Europe [Pronteau, 1957 ; terade, 1996 et 2007].

16 . J’emprunte cette catégorisation à François

Loyer [loyer, 1987, p. 121].

17 . Le seuil de six mètres correspond, jusqu’aux

années 1980, à la valeur minimale retenue pour

permettre un classement dans la voirie publique.

Dans la suite de ce texte, par convention, les voies

présentant un passage strictement inférieur à six

mètres recevront le qualificatif d’infra-normales, les

voies dont la largeur est égale ou supérieure à six

mètres et strictement moindre que 9,50 m seront dites

sub-normales, les voies supérieures à cette valeur et

jusqu’à quinze mètres inclus seront dites normales, par

référence aux normes mentionnées dans la première

partie du présent texte (valeurs de dix pieds - soit

9,74 m, arrondis à 9,50 m ou 10 m -, de 12 mètres

ou de 15 mètres).

G.

H.

La ville parfaitement imparfaite

103

Scènes de la vie urbaine

102

largeurs strictement inférieures à six mètres, représentent globalement moins de 15 % du linéaire total. En dépit de ces différences, les « boîtes à outils » dont disposent les ingénieurs municipaux et les lotisseurs comportent des dispositifs communs dont témoigne, au sein des deux sous-échantillons, la fréquence particulière des voies présentant une largeur de 10, 12 ou 15 mètres, valeurs dont on a vu qu’elles peuvent être rapportées à des normes juridiques explicites – plus coutumières que réglementaires cependant – susceptibles de s’imposer aux acteurs publics et privés suivant des modalités variables selon les périodes.

Envisagée suivant un point de vue diachronique, l’activité de viabilisation présente une conjoncture extrêmement variable (tableau 1 et ill. D), alternant des phases de croissance rapide, suivies le plus souvent d’une chute non moins rapide et d’une phase d’activité très faible voire nulle, précédant une reprise. Étroitement corrélé avec l’activité économique du bâtiment18, ce mouvement général résulte de la superposition de l’activité des lotisseurs et de celle des pouvoirs publics, dont les rythmes respectifs ne sont nullement synchrones (ill. E). Quatre phases principales peuvent être décrites, correspondant à des intensités et des configurations différenciées des viabilités privée et publique (ill. F, G).

Sous l’Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet, l’activité de viabilisation, contributions publique et privée confondues, connaît trois cycles successifs dont les minimums initiaux correspondent aux années 1805, 1814 et 1833. Le premier de ces cycles ne présente qu’une intensité faible, les deux suivants atteignent un niveau proportionnellement plus élevé, tout en restant inférieur de plus de la moitié à la moyenne générale de la période étudiée. Pendant toute la première partie du xixe siècle, la viabilité privée, qui suit une conjoncture légèrement décalée par rapport à celle de l’activité édilitaire, contribue pour environ 30 % au total des voies ouvertes. L’activité publique recourt principalement au modèle des voies de dix mètres (ou plutôt 9,70 m, formant 30 pieds « anciennes mesures ») et surtout de douze mètres, qui s’impose dès la Restauration, pour devenir très majoritaire sous la monarchie de Juillet. De façon marginale, se manifeste également le type nouveau de la voie de trente mètres, caractéristique de la voie large, qui connaît alors ses premières actualisations (avenue Trudaine, ouverte en 1821). Les promoteurs de voies privées emploient une gamme plus large de dispositifs, déclinée suivant la localisation des opérations, entre petite banlieue et intra-muros. Dans les quartiers centraux s’imposent plutôt les standards « normaux » de dix et douze mètres. En revanche, le territoire des actuels arrondissements périphériques, correspondant aux communes annexées en 1860, accueillent une plus grande variété de dispositifs et notamment une part notable de dispositifs infra-normaux, incluant des voies de deux et trois mètres. Ainsi, dans ces secteurs et jusqu’à l’annexion, la viabilité privée se partage-t-elle de façon sensiblement équivalente entre voies infra-normales, strictement inférieure à six mètres (30 %), voies sub-normales, d’une largeur comprise entre six mètres et 9,50 m (37 %) et voies normales, supérieures ou égales à 9,50 m19 (33 %).

Si cette configuration de la viabilité privée se prolonge jusqu’à la fin du Second Empire, suivant les mêmes dispositifs et avec des volumes voisins, cette dernière période est caractérisée par une croissance très spectaculaire de l’activité édilitaire, qui atteint alors un rythme trois fois et demie supérieur au niveau moyen observable sur l’ensemble de la période étudiée, avant d’amorcer, au milieu des années 1860, une décroissance brutale ramenant vers 1873 l’activité globale à un minimum historique. En moyenne, sous l’administration du préfet Haussmann (1853-1870), les projets publics représentent plus de 90 % de la viabilité nouvelle. Cette activité exceptionnelle se caractérise en outre par le recours très majoritaire aux dispositifs de voies larges, égales ou supérieures à vingt mètres, dont relèvent près de 70 % des voies publiques nouvelles, les valeurs rondes de vingt et trente mètres contribuant pour respectivement 29 % et 27 % au total. Le modèle des voies de douze mètres, qui contribuent pour un peu plus de 20 % à la viabilisation publique, s’impose comme type élémentaire, au détriment des voies de dix mètres qui disparaissent pratiquement du répertoire des ingénieurs. Simultanément un type intermédiaire de quinze mètres fait son apparition, contribuant pour environ 8 % à l’effort public.

Le commencement de la Troisième République – jusqu’au déclenchement du premier conflit mondial – est marqué par une inversion de la contribution respective des activités publique et privée. Cette dernière, qui connaît alors sa période de plus forte intensité, représente jusqu’aux trois quarts de l’effort de viabilisation tous statuts confondus, dont à partir de 1880 le niveau rejoint les deux tiers du maximum des années 1850. Après une période intermédiaire de tassement

18 . Telle qu’en témoignent les variations de

« l’indice des matériaux de construction enregistrés à

l’octroi de Paris » construit par Michel Lescure [lesCure,

1982, p. 8, note n° 5 p. 15 et graphiques détaillés

p. 526-527]. La conjoncture de la viabilité paraît,

à certaines périodes, parfaitement synchrone avec

celle du bâtiment (dans les années 1820-1830 ou

1920-1940) quoique avec des intensités différentes.

À d’autres périodes, elle manifeste un léger décalage,

soit en retard (années 1840-1850, début des années

1880), soit en anticipation (période du Second Empire,

années 1900-1920). Cette dernière configuration

peut s’expliquer par la disponibilité des ressources

foncières dégagées par les projets de viabilité, qui

constitue une condition du développement ultérieur de

la construction neuve. Les situations inverses peuvent

correspondre, en période de reprise de l’activité

générale, à des phases de résorption de stocks fonciers

constitués à des périodes antérieures de forte activité

de viabilisation (années 1830 ou début de la Troisième

République), générant une activité de la construction

stimulant en retour la viabilité.

19 . Cette répartition est comparable à celle

qui peut être calculée pour les voies de lotissement

documentées par Amina Sellali [sellali-bouKhalfa,

2002], ouvertes dans le 20e arrondissement entre

1825 et 1893. Les notices de lotissement qui

forment la seconde partie de cette thèse permettent

de constituer un corpus de 105 voies ouvertes entre

1825 et 1893, montrant un recours à une gamme

presque continue de largeurs entre un mètre et douze

mètres, suivant une répartition fortement décalée

vers les largeurs les plus étroites qui toutes périodes

confondues représentent 57 % du linéaire ouvert (voies

de largeur strictement inférieure à six mètres), les voies

normales, de dix puis douze mètres, ne représentant

que 13 % du linéaire total ouvert.

(1892-1900), l’activité reprend légèrement pendant la première décennie du siècle. En rupture avec les pratiques du Second Empire, l’activité publique, quantitativement inférieure de plus de six fois en moyenne annuelle à celle de la période précédente, ne déploie qu’un dispositif très simplifié. L’essentiel de la viabilité édilitaire résulte pour cette période de l’ouverture de voies de douze mètres (61 % du total des voies publiques), complété par quelques voies de dix mètres dont la contribution, modeste en valeur absolue, représente en valeur relative une proportion beaucoup plus élevée que dans la période précédente (7 % des voies publiques nouvelles, contre 1 % sous le Second Empire). Les voies de quinze mètres, apparues comme un type nouveau à la période précédente, disparaissent presque complètement du répertoire des ingénieurs municipaux. Sans connaître le même sort, les voies larges voient leur part ramenée à 23 %. Dans le même temps, les pratiques privées se différencient moins nettement suivant la localisation centrale ou périphérique des opérations – désormais soumises à un même régime administratif – et se conforment de plus en plus largement aux modèles normaux, correspondant aux largeurs comprises entre 9,50 m et quinze mètres, avec une forte majorité de voies de douze mètres (48 % de la viabilité privée) et une contribution significative des voies de quinze mètres (11 %) que les promoteurs de lotissements semblent s’approprier, notamment dans les quartiers de l’ouest. Corrélativement, la part des dispositifs infra et sub-normaux se réduit à 18 %, marquant un net recul à partir du milieu des années 1890, dans cette seconde partie de la période, les largeurs infra-normales, strictement inférieures à six mètres, disparaissant presque de l’échantillon de voies privées datées.

Passée la dépression consécutive aux années de conflit, l’entre-deux-guerres, à partir des années 1920, voit un nouveau pic d’activité équivalent au maximum de la période précédente, porté par une contribution nettement majoritaire de l’action publique, elle-même soutenue par une viabilité privée qui approche également son maximum des années 1880. Dans cette dernière phase, les pratiques publiques amorcent une rupture conceptuelle en s’ouvrant à l’emploi d’une gamme plus continue de largeurs. Outre les standards traditionnels de 12, 15 et 20 mètres – auxquels continue de se conformer la plus grande part des voies nouvelles –, des voies publiques sont ouvertes avec une largeur de 13, 14, 16, 18, 22 ou 23 mètres. Globalement, la part des voies larges, égales ou supérieures à 20 mètres, augmente à nouveau à plus de 37 % du linéaire ouvert, le restant étant presque entièrement couvert par la gamme désormais continue des voies de largeur normale, échelonnées entre douze et quinze mètres inclus, dans laquelle le type de la voie de quinze mètres figure pour 16,5 % du total.

Ce succès des voies de quinze mètres se constate également au sein de l’échantillon des voies privées où leur part (29 % des voies nouvelles) fait jeu presque égal avec celle des voies de douze mètres (30,4 %), même si, de façon surprenante dans un temps où l’application de la loi Cornudet adoptée en 1924 devrait se traduire par la proscription des dispositifs viaires défectueux, les dispositifs les plus modestes font un retour remarquable. La part des voies

La ville parfaitement imparfaite

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largeurs strictement inférieures à six mètres, représentent globalement moins de 15 % du linéaire total. En dépit de ces différences, les « boîtes à outils » dont disposent les ingénieurs municipaux et les lotisseurs comportent des dispositifs communs dont témoigne, au sein des deux sous-échantillons, la fréquence particulière des voies présentant une largeur de 10, 12 ou 15 mètres, valeurs dont on a vu qu’elles peuvent être rapportées à des normes juridiques explicites – plus coutumières que réglementaires cependant – susceptibles de s’imposer aux acteurs publics et privés suivant des modalités variables selon les périodes.

Envisagée suivant un point de vue diachronique, l’activité de viabilisation présente une conjoncture extrêmement variable (tableau 1 et ill. D), alternant des phases de croissance rapide, suivies le plus souvent d’une chute non moins rapide et d’une phase d’activité très faible voire nulle, précédant une reprise. Étroitement corrélé avec l’activité économique du bâtiment18, ce mouvement général résulte de la superposition de l’activité des lotisseurs et de celle des pouvoirs publics, dont les rythmes respectifs ne sont nullement synchrones (ill. E). Quatre phases principales peuvent être décrites, correspondant à des intensités et des configurations différenciées des viabilités privée et publique (ill. F, G).

Sous l’Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet, l’activité de viabilisation, contributions publique et privée confondues, connaît trois cycles successifs dont les minimums initiaux correspondent aux années 1805, 1814 et 1833. Le premier de ces cycles ne présente qu’une intensité faible, les deux suivants atteignent un niveau proportionnellement plus élevé, tout en restant inférieur de plus de la moitié à la moyenne générale de la période étudiée. Pendant toute la première partie du xixe siècle, la viabilité privée, qui suit une conjoncture légèrement décalée par rapport à celle de l’activité édilitaire, contribue pour environ 30 % au total des voies ouvertes. L’activité publique recourt principalement au modèle des voies de dix mètres (ou plutôt 9,70 m, formant 30 pieds « anciennes mesures ») et surtout de douze mètres, qui s’impose dès la Restauration, pour devenir très majoritaire sous la monarchie de Juillet. De façon marginale, se manifeste également le type nouveau de la voie de trente mètres, caractéristique de la voie large, qui connaît alors ses premières actualisations (avenue Trudaine, ouverte en 1821). Les promoteurs de voies privées emploient une gamme plus large de dispositifs, déclinée suivant la localisation des opérations, entre petite banlieue et intra-muros. Dans les quartiers centraux s’imposent plutôt les standards « normaux » de dix et douze mètres. En revanche, le territoire des actuels arrondissements périphériques, correspondant aux communes annexées en 1860, accueillent une plus grande variété de dispositifs et notamment une part notable de dispositifs infra-normaux, incluant des voies de deux et trois mètres. Ainsi, dans ces secteurs et jusqu’à l’annexion, la viabilité privée se partage-t-elle de façon sensiblement équivalente entre voies infra-normales, strictement inférieure à six mètres (30 %), voies sub-normales, d’une largeur comprise entre six mètres et 9,50 m (37 %) et voies normales, supérieures ou égales à 9,50 m19 (33 %).

Si cette configuration de la viabilité privée se prolonge jusqu’à la fin du Second Empire, suivant les mêmes dispositifs et avec des volumes voisins, cette dernière période est caractérisée par une croissance très spectaculaire de l’activité édilitaire, qui atteint alors un rythme trois fois et demie supérieur au niveau moyen observable sur l’ensemble de la période étudiée, avant d’amorcer, au milieu des années 1860, une décroissance brutale ramenant vers 1873 l’activité globale à un minimum historique. En moyenne, sous l’administration du préfet Haussmann (1853-1870), les projets publics représentent plus de 90 % de la viabilité nouvelle. Cette activité exceptionnelle se caractérise en outre par le recours très majoritaire aux dispositifs de voies larges, égales ou supérieures à vingt mètres, dont relèvent près de 70 % des voies publiques nouvelles, les valeurs rondes de vingt et trente mètres contribuant pour respectivement 29 % et 27 % au total. Le modèle des voies de douze mètres, qui contribuent pour un peu plus de 20 % à la viabilisation publique, s’impose comme type élémentaire, au détriment des voies de dix mètres qui disparaissent pratiquement du répertoire des ingénieurs. Simultanément un type intermédiaire de quinze mètres fait son apparition, contribuant pour environ 8 % à l’effort public.

Le commencement de la Troisième République – jusqu’au déclenchement du premier conflit mondial – est marqué par une inversion de la contribution respective des activités publique et privée. Cette dernière, qui connaît alors sa période de plus forte intensité, représente jusqu’aux trois quarts de l’effort de viabilisation tous statuts confondus, dont à partir de 1880 le niveau rejoint les deux tiers du maximum des années 1850. Après une période intermédiaire de tassement

18 . Telle qu’en témoignent les variations de

« l’indice des matériaux de construction enregistrés à

l’octroi de Paris » construit par Michel Lescure [lesCure,

1982, p. 8, note n° 5 p. 15 et graphiques détaillés

p. 526-527]. La conjoncture de la viabilité paraît,

à certaines périodes, parfaitement synchrone avec

celle du bâtiment (dans les années 1820-1830 ou

1920-1940) quoique avec des intensités différentes.

À d’autres périodes, elle manifeste un léger décalage,

soit en retard (années 1840-1850, début des années

1880), soit en anticipation (période du Second Empire,

années 1900-1920). Cette dernière configuration

peut s’expliquer par la disponibilité des ressources

foncières dégagées par les projets de viabilité, qui

constitue une condition du développement ultérieur de

la construction neuve. Les situations inverses peuvent

correspondre, en période de reprise de l’activité

générale, à des phases de résorption de stocks fonciers

constitués à des périodes antérieures de forte activité

de viabilisation (années 1830 ou début de la Troisième

République), générant une activité de la construction

stimulant en retour la viabilité.

19 . Cette répartition est comparable à celle

qui peut être calculée pour les voies de lotissement

documentées par Amina Sellali [sellali-bouKhalfa,

2002], ouvertes dans le 20e arrondissement entre

1825 et 1893. Les notices de lotissement qui

forment la seconde partie de cette thèse permettent

de constituer un corpus de 105 voies ouvertes entre

1825 et 1893, montrant un recours à une gamme

presque continue de largeurs entre un mètre et douze

mètres, suivant une répartition fortement décalée

vers les largeurs les plus étroites qui toutes périodes

confondues représentent 57 % du linéaire ouvert (voies

de largeur strictement inférieure à six mètres), les voies

normales, de dix puis douze mètres, ne représentant

que 13 % du linéaire total ouvert.

(1892-1900), l’activité reprend légèrement pendant la première décennie du siècle. En rupture avec les pratiques du Second Empire, l’activité publique, quantitativement inférieure de plus de six fois en moyenne annuelle à celle de la période précédente, ne déploie qu’un dispositif très simplifié. L’essentiel de la viabilité édilitaire résulte pour cette période de l’ouverture de voies de douze mètres (61 % du total des voies publiques), complété par quelques voies de dix mètres dont la contribution, modeste en valeur absolue, représente en valeur relative une proportion beaucoup plus élevée que dans la période précédente (7 % des voies publiques nouvelles, contre 1 % sous le Second Empire). Les voies de quinze mètres, apparues comme un type nouveau à la période précédente, disparaissent presque complètement du répertoire des ingénieurs municipaux. Sans connaître le même sort, les voies larges voient leur part ramenée à 23 %. Dans le même temps, les pratiques privées se différencient moins nettement suivant la localisation centrale ou périphérique des opérations – désormais soumises à un même régime administratif – et se conforment de plus en plus largement aux modèles normaux, correspondant aux largeurs comprises entre 9,50 m et quinze mètres, avec une forte majorité de voies de douze mètres (48 % de la viabilité privée) et une contribution significative des voies de quinze mètres (11 %) que les promoteurs de lotissements semblent s’approprier, notamment dans les quartiers de l’ouest. Corrélativement, la part des dispositifs infra et sub-normaux se réduit à 18 %, marquant un net recul à partir du milieu des années 1890, dans cette seconde partie de la période, les largeurs infra-normales, strictement inférieures à six mètres, disparaissant presque de l’échantillon de voies privées datées.

Passée la dépression consécutive aux années de conflit, l’entre-deux-guerres, à partir des années 1920, voit un nouveau pic d’activité équivalent au maximum de la période précédente, porté par une contribution nettement majoritaire de l’action publique, elle-même soutenue par une viabilité privée qui approche également son maximum des années 1880. Dans cette dernière phase, les pratiques publiques amorcent une rupture conceptuelle en s’ouvrant à l’emploi d’une gamme plus continue de largeurs. Outre les standards traditionnels de 12, 15 et 20 mètres – auxquels continue de se conformer la plus grande part des voies nouvelles –, des voies publiques sont ouvertes avec une largeur de 13, 14, 16, 18, 22 ou 23 mètres. Globalement, la part des voies larges, égales ou supérieures à 20 mètres, augmente à nouveau à plus de 37 % du linéaire ouvert, le restant étant presque entièrement couvert par la gamme désormais continue des voies de largeur normale, échelonnées entre douze et quinze mètres inclus, dans laquelle le type de la voie de quinze mètres figure pour 16,5 % du total.

Ce succès des voies de quinze mètres se constate également au sein de l’échantillon des voies privées où leur part (29 % des voies nouvelles) fait jeu presque égal avec celle des voies de douze mètres (30,4 %), même si, de façon surprenante dans un temps où l’application de la loi Cornudet adoptée en 1924 devrait se traduire par la proscription des dispositifs viaires défectueux, les dispositifs les plus modestes font un retour remarquable. La part des voies

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Scènes de la vie urbaine

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infra-normales, présentant un passage strictement inférieurs à six mètres, atteint alors près de 11 % tandis que les voies sub-normales, dont la largeur est supérieure ou égale à six mètres et inférieure strictement à 9,50 m, représentent 27 % du total des voies privées. Cette sur-représentation des voies étroites dans la production des lotisseurs est d’autant plus frappante que, pour cette période finale, la viabilité privée inclut l’activité des organismes de construction liés à la Ville de Paris (RIVP et office HBM) qui, au titre de l’aménagement de l’emprise des fortifications de Thiers, ouvrent au sein de la ceinture des HBM un grand nombre de voies larges ou normales, illustrant notamment la fortune nouvelle du type de la voie de quinze mètres.

*Le panorama offert par l’exploitation statistique d’un échantillon de voies

parisiennes ouvertes entre 1800 et 1940 permet donc de caractériser les modalités successives d’utilisation d’une gamme de dispositifs viaires incluant des valeurs de largeur extrêmement ouvertes puisque comprises entre 1,70 m et 42 m. Actualisés avec des fréquences très variables suivant les périodes, les dispositifs ne composent pas, en outre, un spectre continu mais dessinent une distribution structurée par des valeurs remarquables, soit qu’elles définissent les limites de sous-ensembles de voies partageant des caractéristiques proches, soit qu’elles représentent des « valeurs-types » agrégeant de nombreuses réalisations (ill. C).

Les largeurs les plus importantes, supérieures ou égales à vingt mètres, qui représentent plus de 26 % de la longueur totale des voies ouvertes, se concentrent ainsi sur les valeurs entières de vingt et trente mètres. François Loyer a souligné la nouveauté typologique que représentent au début du xixe siècle ces « voies larges », dont le gabarit excède en toute mesure ceux usités antérieurement [loyer, 1987, p. 121]. Leur usage intensif se révèle très caractéristique de la pratique édilitaire du Second Empire, qui se distingue également par une intensité très élevée de la viabilité, presque exclusivement portée par l’activité publique, en contraste très marqué avec les périodes précédente et suivante (tableaux 1 et 2). Ce constat vient nuancer certaines positions historiographiques récentes qui tendent à diluer la spécificité de l’haussmannisme, en mettant en avant la généalogie du processus opérationnel mis en œuvre par le préfet – le percement – issu des expériences du xViiie siècle et du premier xixe siècle, ou en soulignant la persistance, bien au-delà du Second Empire, du système architectural haussmannien tel que peuvent le caractériser la typologie des immeubles ou les modes d’équipement de l’espace public [loyer, 2001, p. 11]. Quelque fondées que soient ces considérations, elles ne peuvent effacer la spécificité absolument sans équivalent des évolutions quantitatives et qualitatives que le réseau des voies parisiennes a connues sous l’administration d’Haussmann.

Passée la phase de contraction spectaculaire de l’activité édilitaire qui caractérise le début de la Troisième République, la période de l’entre-deux-guerres renoue, à l’occasion de l’aménagement de la ceinture des fortifications,

1800-1850 1851-1870 1871-1918 1919-1940 TotalLongueur totale ouverte (en mètre)* 77 155 171 755 161 765 98 005 508 680Moyenne annuelle (en mètre) 1 513 8 588 3 370 4 455 3 608Proportion voies publiques 69,4% 85,2% 32,9% 61,5% 61,6%Proportion voies privées 30,6% 14,8% 67,1% 38,5% 38,4%

* Valeurs extrapolées d’après les données de l’échantillon (contribution des voies publiques multipliée par cinq plus contribution des voies privées datées multipliée par dix)

Tableau 1 : Longueur des voies nouvelles ouvertes à Paris, en valeur extrapolées, par statuts et périodes

1800-1850 1851-1870 1871-1918 1919-1940

non datéeset/ou

statut initial indéterminé

Total

larg. < 6 m 782 5,3 % 278 0,9 % 370 1,7 % 398 2,7 % 4 62216,6

%6 450 5,9 %

6 m ≤ larg. < 9,5 m

1 242 8,5 % 749 2,5 % 1 868 8,7 % 1 013 7,0 % 8 50530,5

%13 377

12,3 %

9,5 m ≤ larg. <12 m

2 618 17,9 % 519 1,7 % 2 302 10,7 % 75 0,5 % 7 06925,4

%12 583

11,6 %

12 m ≤ larg. <20 m

8 442 57,7 % 9 714 32,1 % 14 494 67,4 % 8 872 61,1 % 6 50923,3

%48 031

44,2 %

larg. ≥ 20 m 1 537 10,5 % 18 999 62,8 % 2 464 11,5 % 4 154 28,6 % 1 175 4,2 % 28 32926,0

%

Total 14 621 100 % 30 259 100 % 21 498 100 % 14 512 100 % 27 880 100 % 108 770 100 %

Tableau 2 : Longueur des voies nouvelles de l'échantillon, tous statuts confondus, par périodes et classes de largeur, en mètres

La ville parfaitement imparfaite

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Scènes de la vie urbaine

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infra-normales, présentant un passage strictement inférieurs à six mètres, atteint alors près de 11 % tandis que les voies sub-normales, dont la largeur est supérieure ou égale à six mètres et inférieure strictement à 9,50 m, représentent 27 % du total des voies privées. Cette sur-représentation des voies étroites dans la production des lotisseurs est d’autant plus frappante que, pour cette période finale, la viabilité privée inclut l’activité des organismes de construction liés à la Ville de Paris (RIVP et office HBM) qui, au titre de l’aménagement de l’emprise des fortifications de Thiers, ouvrent au sein de la ceinture des HBM un grand nombre de voies larges ou normales, illustrant notamment la fortune nouvelle du type de la voie de quinze mètres.

*Le panorama offert par l’exploitation statistique d’un échantillon de voies

parisiennes ouvertes entre 1800 et 1940 permet donc de caractériser les modalités successives d’utilisation d’une gamme de dispositifs viaires incluant des valeurs de largeur extrêmement ouvertes puisque comprises entre 1,70 m et 42 m. Actualisés avec des fréquences très variables suivant les périodes, les dispositifs ne composent pas, en outre, un spectre continu mais dessinent une distribution structurée par des valeurs remarquables, soit qu’elles définissent les limites de sous-ensembles de voies partageant des caractéristiques proches, soit qu’elles représentent des « valeurs-types » agrégeant de nombreuses réalisations (ill. C).

Les largeurs les plus importantes, supérieures ou égales à vingt mètres, qui représentent plus de 26 % de la longueur totale des voies ouvertes, se concentrent ainsi sur les valeurs entières de vingt et trente mètres. François Loyer a souligné la nouveauté typologique que représentent au début du xixe siècle ces « voies larges », dont le gabarit excède en toute mesure ceux usités antérieurement [loyer, 1987, p. 121]. Leur usage intensif se révèle très caractéristique de la pratique édilitaire du Second Empire, qui se distingue également par une intensité très élevée de la viabilité, presque exclusivement portée par l’activité publique, en contraste très marqué avec les périodes précédente et suivante (tableaux 1 et 2). Ce constat vient nuancer certaines positions historiographiques récentes qui tendent à diluer la spécificité de l’haussmannisme, en mettant en avant la généalogie du processus opérationnel mis en œuvre par le préfet – le percement – issu des expériences du xViiie siècle et du premier xixe siècle, ou en soulignant la persistance, bien au-delà du Second Empire, du système architectural haussmannien tel que peuvent le caractériser la typologie des immeubles ou les modes d’équipement de l’espace public [loyer, 2001, p. 11]. Quelque fondées que soient ces considérations, elles ne peuvent effacer la spécificité absolument sans équivalent des évolutions quantitatives et qualitatives que le réseau des voies parisiennes a connues sous l’administration d’Haussmann.

Passée la phase de contraction spectaculaire de l’activité édilitaire qui caractérise le début de la Troisième République, la période de l’entre-deux-guerres renoue, à l’occasion de l’aménagement de la ceinture des fortifications,

1800-1850 1851-1870 1871-1918 1919-1940 TotalLongueur totale ouverte (en mètre)* 77 155 171 755 161 765 98 005 508 680Moyenne annuelle (en mètre) 1 513 8 588 3 370 4 455 3 608Proportion voies publiques 69,4% 85,2% 32,9% 61,5% 61,6%Proportion voies privées 30,6% 14,8% 67,1% 38,5% 38,4%

* Valeurs extrapolées d’après les données de l’échantillon (contribution des voies publiques multipliée par cinq plus contribution des voies privées datées multipliée par dix)

Tableau 1 : Longueur des voies nouvelles ouvertes à Paris, en valeur extrapolées, par statuts et périodes

1800-1850 1851-1870 1871-1918 1919-1940

non datéeset/ou

statut initial indéterminé

Total

larg. < 6 m 782 5,3 % 278 0,9 % 370 1,7 % 398 2,7 % 4 62216,6

%6 450 5,9 %

6 m ≤ larg. < 9,5 m

1 242 8,5 % 749 2,5 % 1 868 8,7 % 1 013 7,0 % 8 50530,5

%13 377

12,3 %

9,5 m ≤ larg. <12 m

2 618 17,9 % 519 1,7 % 2 302 10,7 % 75 0,5 % 7 06925,4

%12 583

11,6 %

12 m ≤ larg. <20 m

8 442 57,7 % 9 714 32,1 % 14 494 67,4 % 8 872 61,1 % 6 50923,3

%48 031

44,2 %

larg. ≥ 20 m 1 537 10,5 % 18 999 62,8 % 2 464 11,5 % 4 154 28,6 % 1 175 4,2 % 28 32926,0

%

Total 14 621 100 % 30 259 100 % 21 498 100 % 14 512 100 % 27 880 100 % 108 770 100 %

Tableau 2 : Longueur des voies nouvelles de l'échantillon, tous statuts confondus, par périodes et classes de largeur, en mètres

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simplement coutumière, valides à tel ou tel moment de la période étudiée. Surtout, la circulation de ces modèles entre les acteurs de l’édilité et ceux de la viabilité privée atteste de leur capacité à structurer et légitimer les pratiques des uns et des autres. La première famille de dispositifs normaux dérive de la largeur de trente pieds « ancienne mesure » prescrite pour les voies nouvelles par les textes en vigueur à la fin de l’Ancien Régime, adoptée avec cette valeur (9,70 m environ) ou arrondie à 9,50 ou 10 m. Près de 11 % des voies ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, tous statuts confondus, se conforment à ce type. S’il disparaît quasiment de la pratique édilitaire avec la monarchie de Juillet, il demeure, notamment jusqu’à la première guerre mondiale, un dispositif très utilisé par les lotisseurs, et représente, toutes périodes confondues, 16,7 % de la viabilité privée. Assez tôt cependant, que l’on considère les créations publiques ou celles des lotisseurs, la norme de trente pieds est supplantée par celle de douze mètres, dont on se rappelle qu’elle est énoncée comme telle à l’extrême fin de l’Ancien Régime avec une valeur de 36 pieds, soit six toises ou 11,69 mètres. Dès les années 1820, elle s’impose comme le « best-seller » absolu de la viabilité parisienne avec près de 30 % des voies ouvertes, publiques comme privées. De la Restauration à la fin de l’entre-deux-guerres, elle constitue le socle des pratiques édilitaires, avec bon an mal an une moyenne annuelle pouvant être estimée à environ mille mètres de voies ouvertes. Adoptée d’abord marginalement par les lotisseurs à partir du Second Empire, elle contribue pour plus de la moitié à la viabilité privée sous la Troisième République. Significativement, 65 % des voies privées de douze mètres ouvertes dans la période 1880-1914 sont classées dans les vingt-cinq ans qui suivent leur ouverture, alors que cette proportion demeure inférieure à 45 % si l’on considère l’ensemble des voies privées classées ouvertes entre 1800 et 1940. Par contraste, avec une contribution globale de seulement 7 % à la viabilité nouvelle, toutes époques confondues, la valeur de quinze mètres paraît illustrer une modalité mineure de la normalité viaire. Expérimenté par les services comme modèle de voie secondaire du réseau de percées sous le Second Empire, ce type est adopté par la viabilité privée pour certains lotissements du centre-ouest parisien à partir des années 1880, dans une période où l’activité publique très réduite se replie sur la voie de douze mètres. Ce n’est qu’après la guerre que la valeur de quinze mètres est mentionnée par la doctrine comme le minimum exigé par l’administration pour autoriser le classement [danGer, 1930, p. 8], en contradiction flagrante avec la pratique, dont on a vu qu’à cette époque elle s’accommode de dispositifs nettement infra-normaux. Dans cette même période, les services publics et para-publics, tel l’OPHBM de Paris, se réapproprient le modèle, mais en l’intégrant dans un système plus souple de dispositifs recourant à une gamme continue de largeurs, échelonnées entre douze et seize mètres.

Au-delà du constat, somme toute assez trivial, d’une augmentation progressive – de dix à douze mètres, puis jusqu’à quinze mètres – de la largeur des voies nouvelles « ordinaires » ouvertes à Paris entre la fin de l’Ancien Régime et le milieu du xxe siècle, l’importance quantitative particulièrement

avec un usage significatif des voies larges. En combinaison avec une gamme de dispositifs normaux dérivés des types de voie de douze à quinze mètres, et en impliquant des acteurs nouveaux de statut semi-public, elle préside à la constitution d’un patrimoine viaire considérable, peut-être insuffisamment reconnu.

À l’autre extrémité du spectre, les dispositifs de voie les plus étroits n’apportent qu’une contribution modeste, quoique non négligeable, à la croissance de l’équipement viaire parisien (18,2 % du linéaire de voie ouvert entre 1800 et 1940, tous statuts confondus). Caractéristiques de l’activité des lotisseurs privés, ils ne représentent pour autant que moins de la moitié de la production de ces acteurs (45,1 %). Ces voies, d’une largeur inférieure à la norme implicite minimale de 9,50 m, sont, en première approche, le marqueur de l’échec du contrôle public sur l’ouverture des voies nouvelles. Leur enregistrement lacunaire dans la Nomenclature – les voies infra et sub-normales représentent près de 60 % des voies non datées – témoigne de leur caractère « informel », même si les pratiques de classement dans la voirie publique montrent qu’au moins pour la période antérieure à 1875, la limite inférieure d’acceptabilité par l’administration tend à s’abaisser jusqu’à six mètres de largeur, valeur qui marque un seuil significatif dans la distribution des largeurs des voies privées (ill. C).

Les sources qui sont mobilisées ici ne permettent que de constater globalement le niveau de conformation des voies nouvelles aux valeurs de largeur réputées normales. Elles ne donnent pas directement accès aux modalités variables, sinon aux intermittences, du contrôle. Les défauts de l’échantillon de voies privées, déjà signalés, accroissent encore la difficulté en entachant la description qui peut être faite de la répartition par périodes des différents dispositifs. Pour autant, à défaut d’en dévoiler les ressorts, certaines singularités peuvent être relevées. Ainsi, sous la Troisième République, et jusqu’aux lendemains de la première guerre mondiale, la raréfaction au moins apparente des voies sub-normales et la quasi-disparition des voies infra-normales, relevant des dispositifs les plus défectueux, incitent-elles à formuler l’hypothèse d’une plus grande efficacité, ou sévérité, du contrôle pendant cette période. Les pratiques contemporaines relatives au classement dans la voirie publique des voies ouvertes comme voies privées confortent cette hypothèse puisqu’à l’encontre de la période précédente, pendant laquelle furent classées des voies de six mètres, elles montrent l’application stricte d’un critère de largeur minimale de 9,50 m (ill. H)20. Après la première guerre mondiale, l’hypothèse d’une plus grande tolérance, manifestée par la réapparition des voies infra-normales et la plus grande fréquence des voies sub-normales, est également corroborée par le classement de nombreuses voies relevant de ces dispositifs (respectivement 5 % et près de 29 % du linéaire de voies classées entre 1920 et 1939).

Plusieurs motifs peuvent être invoqués pour expliquer le recours des lotisseurs à des largeurs qui peuvent passer pour caractéristiques d’une viabilisation minimale, sinon défectueuse. En tout état de cause, les impératifs de la « spéculation », c’est-à-dire de la rentabilisation immédiate du découpage foncier, qui incitent, d’une part, à la réduction de la fraction du sol consacrée à la desserte des parcelles et soustraite de ce fait à la commercialisation et, d’autre part, à l’économie maximale sur les coûts d’équipement, ne peuvent être évidemment écartés, même si le caractère minoritaire de ces dispositifs montre que d’autres enjeux peuvent intervenir dans le calcul des lotisseurs. À cet égard, la destination sociale des lotissements ne peut non plus, à elle seule, expliquer l’adoption d’un système de desserte minimale : certaines opérations « bourgeoises » du sud du 16e arrondissement montrent des voies de desserte inférieures à cinq mètres, proches de celles des lotissements réputés « ouvriers » du 20e arrondissement. À côté des considérations architecturales, qui incitent à accorder la largeur de la desserte avec le nombre de niveaux des constructions envisagées, les exemples étudiés par Amina Sellali dans ce même quartier de la capitale montrent que les contraintes du découpage parcellaire d’emprises initiales modestes, ou présentant une géométrie contrainte [sellali, 2002], constituent peut-être l’incitation principale au choix d’une viabilité minimale.

La « normalité viaire », si on accepte de la définir comme recouvrant toutes les voies non comprises dans les catégories évoquées précédemment – celles des voies larges et des voies sub-normales ou infra-normales – représente, avec 56 % des voies nouvelles ouvertes, une part majoritaire de la viabilité nouvelle. En fait, cette qualification de normale est d’abord justifiée par la conformité presque complète des voies qui relèvent de cet ensemble à un nombre réduit de valeurs de largeur types, susceptibles d’être rapportées à des normes juridiques, de nature réglementaire ou

20 . Contrairement à l’échantillon des voies

ouvertes comme voies privées, pour lesquelles les dates

d’ouverture sont souvent manquantes, celui des voies

classées est exhaustif du point de vue de cette mesure

puisque toutes les voies classées sont documentées

comme telles dans la Nomenclature, avec la date du

classement.

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simplement coutumière, valides à tel ou tel moment de la période étudiée. Surtout, la circulation de ces modèles entre les acteurs de l’édilité et ceux de la viabilité privée atteste de leur capacité à structurer et légitimer les pratiques des uns et des autres. La première famille de dispositifs normaux dérive de la largeur de trente pieds « ancienne mesure » prescrite pour les voies nouvelles par les textes en vigueur à la fin de l’Ancien Régime, adoptée avec cette valeur (9,70 m environ) ou arrondie à 9,50 ou 10 m. Près de 11 % des voies ouvertes à Paris entre 1800 et 1940, tous statuts confondus, se conforment à ce type. S’il disparaît quasiment de la pratique édilitaire avec la monarchie de Juillet, il demeure, notamment jusqu’à la première guerre mondiale, un dispositif très utilisé par les lotisseurs, et représente, toutes périodes confondues, 16,7 % de la viabilité privée. Assez tôt cependant, que l’on considère les créations publiques ou celles des lotisseurs, la norme de trente pieds est supplantée par celle de douze mètres, dont on se rappelle qu’elle est énoncée comme telle à l’extrême fin de l’Ancien Régime avec une valeur de 36 pieds, soit six toises ou 11,69 mètres. Dès les années 1820, elle s’impose comme le « best-seller » absolu de la viabilité parisienne avec près de 30 % des voies ouvertes, publiques comme privées. De la Restauration à la fin de l’entre-deux-guerres, elle constitue le socle des pratiques édilitaires, avec bon an mal an une moyenne annuelle pouvant être estimée à environ mille mètres de voies ouvertes. Adoptée d’abord marginalement par les lotisseurs à partir du Second Empire, elle contribue pour plus de la moitié à la viabilité privée sous la Troisième République. Significativement, 65 % des voies privées de douze mètres ouvertes dans la période 1880-1914 sont classées dans les vingt-cinq ans qui suivent leur ouverture, alors que cette proportion demeure inférieure à 45 % si l’on considère l’ensemble des voies privées classées ouvertes entre 1800 et 1940. Par contraste, avec une contribution globale de seulement 7 % à la viabilité nouvelle, toutes époques confondues, la valeur de quinze mètres paraît illustrer une modalité mineure de la normalité viaire. Expérimenté par les services comme modèle de voie secondaire du réseau de percées sous le Second Empire, ce type est adopté par la viabilité privée pour certains lotissements du centre-ouest parisien à partir des années 1880, dans une période où l’activité publique très réduite se replie sur la voie de douze mètres. Ce n’est qu’après la guerre que la valeur de quinze mètres est mentionnée par la doctrine comme le minimum exigé par l’administration pour autoriser le classement [danGer, 1930, p. 8], en contradiction flagrante avec la pratique, dont on a vu qu’à cette époque elle s’accommode de dispositifs nettement infra-normaux. Dans cette même période, les services publics et para-publics, tel l’OPHBM de Paris, se réapproprient le modèle, mais en l’intégrant dans un système plus souple de dispositifs recourant à une gamme continue de largeurs, échelonnées entre douze et seize mètres.

Au-delà du constat, somme toute assez trivial, d’une augmentation progressive – de dix à douze mètres, puis jusqu’à quinze mètres – de la largeur des voies nouvelles « ordinaires » ouvertes à Paris entre la fin de l’Ancien Régime et le milieu du xxe siècle, l’importance quantitative particulièrement

avec un usage significatif des voies larges. En combinaison avec une gamme de dispositifs normaux dérivés des types de voie de douze à quinze mètres, et en impliquant des acteurs nouveaux de statut semi-public, elle préside à la constitution d’un patrimoine viaire considérable, peut-être insuffisamment reconnu.

À l’autre extrémité du spectre, les dispositifs de voie les plus étroits n’apportent qu’une contribution modeste, quoique non négligeable, à la croissance de l’équipement viaire parisien (18,2 % du linéaire de voie ouvert entre 1800 et 1940, tous statuts confondus). Caractéristiques de l’activité des lotisseurs privés, ils ne représentent pour autant que moins de la moitié de la production de ces acteurs (45,1 %). Ces voies, d’une largeur inférieure à la norme implicite minimale de 9,50 m, sont, en première approche, le marqueur de l’échec du contrôle public sur l’ouverture des voies nouvelles. Leur enregistrement lacunaire dans la Nomenclature – les voies infra et sub-normales représentent près de 60 % des voies non datées – témoigne de leur caractère « informel », même si les pratiques de classement dans la voirie publique montrent qu’au moins pour la période antérieure à 1875, la limite inférieure d’acceptabilité par l’administration tend à s’abaisser jusqu’à six mètres de largeur, valeur qui marque un seuil significatif dans la distribution des largeurs des voies privées (ill. C).

Les sources qui sont mobilisées ici ne permettent que de constater globalement le niveau de conformation des voies nouvelles aux valeurs de largeur réputées normales. Elles ne donnent pas directement accès aux modalités variables, sinon aux intermittences, du contrôle. Les défauts de l’échantillon de voies privées, déjà signalés, accroissent encore la difficulté en entachant la description qui peut être faite de la répartition par périodes des différents dispositifs. Pour autant, à défaut d’en dévoiler les ressorts, certaines singularités peuvent être relevées. Ainsi, sous la Troisième République, et jusqu’aux lendemains de la première guerre mondiale, la raréfaction au moins apparente des voies sub-normales et la quasi-disparition des voies infra-normales, relevant des dispositifs les plus défectueux, incitent-elles à formuler l’hypothèse d’une plus grande efficacité, ou sévérité, du contrôle pendant cette période. Les pratiques contemporaines relatives au classement dans la voirie publique des voies ouvertes comme voies privées confortent cette hypothèse puisqu’à l’encontre de la période précédente, pendant laquelle furent classées des voies de six mètres, elles montrent l’application stricte d’un critère de largeur minimale de 9,50 m (ill. H)20. Après la première guerre mondiale, l’hypothèse d’une plus grande tolérance, manifestée par la réapparition des voies infra-normales et la plus grande fréquence des voies sub-normales, est également corroborée par le classement de nombreuses voies relevant de ces dispositifs (respectivement 5 % et près de 29 % du linéaire de voies classées entre 1920 et 1939).

Plusieurs motifs peuvent être invoqués pour expliquer le recours des lotisseurs à des largeurs qui peuvent passer pour caractéristiques d’une viabilisation minimale, sinon défectueuse. En tout état de cause, les impératifs de la « spéculation », c’est-à-dire de la rentabilisation immédiate du découpage foncier, qui incitent, d’une part, à la réduction de la fraction du sol consacrée à la desserte des parcelles et soustraite de ce fait à la commercialisation et, d’autre part, à l’économie maximale sur les coûts d’équipement, ne peuvent être évidemment écartés, même si le caractère minoritaire de ces dispositifs montre que d’autres enjeux peuvent intervenir dans le calcul des lotisseurs. À cet égard, la destination sociale des lotissements ne peut non plus, à elle seule, expliquer l’adoption d’un système de desserte minimale : certaines opérations « bourgeoises » du sud du 16e arrondissement montrent des voies de desserte inférieures à cinq mètres, proches de celles des lotissements réputés « ouvriers » du 20e arrondissement. À côté des considérations architecturales, qui incitent à accorder la largeur de la desserte avec le nombre de niveaux des constructions envisagées, les exemples étudiés par Amina Sellali dans ce même quartier de la capitale montrent que les contraintes du découpage parcellaire d’emprises initiales modestes, ou présentant une géométrie contrainte [sellali, 2002], constituent peut-être l’incitation principale au choix d’une viabilité minimale.

La « normalité viaire », si on accepte de la définir comme recouvrant toutes les voies non comprises dans les catégories évoquées précédemment – celles des voies larges et des voies sub-normales ou infra-normales – représente, avec 56 % des voies nouvelles ouvertes, une part majoritaire de la viabilité nouvelle. En fait, cette qualification de normale est d’abord justifiée par la conformité presque complète des voies qui relèvent de cet ensemble à un nombre réduit de valeurs de largeur types, susceptibles d’être rapportées à des normes juridiques, de nature réglementaire ou

20 . Contrairement à l’échantillon des voies

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d’ouverture sont souvent manquantes, celui des voies

classées est exhaustif du point de vue de cette mesure

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comme telles dans la Nomenclature, avec la date du

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remarquable des voies strictement conformes à une des valeurs normales marque un fait moins attendu, alors que pendant toute la période les instances de contrôle paraissent faibles ou contestées. Cela confirme que les enjeux de la « normalité » dépassent ceux de la stricte légalité pour engager d’autres niveaux de régulation des pratiques sociales. On ne peut écarter ceux des marchés foncier et immobilier, sur lesquels, comme pour d’autres biens marchands, la normalisation plus ou moins formalisée des objets échangés constitue un facteur d’optimisation des coûts de transaction. On doit aussi considérer des niveaux plus symboliques qui renvoient à l’ancrage local des acteurs de la viabilité. La pratique si répandue de l’éponymie – on ne compte pas les rues baptisées du nom de leur créateur ou d’un membre de leur famille –, atteste que loin de se résumer à de pures « spéculations », les pratiques de viabilité peuvent revêtir une dimension presque évergétique, engageant le prestige social de leurs auteurs. Le « bouquet » de voies nouvelles « offert » à la fin du xixe siècle par monsieur Lepeu, lotisseur du 11e arrondissement, à ses trois enfants – Émile, Gustave et Alexandrine21 – salue peut-être, à ce titre, une scène mémorable de la « Comédie urbaine ».

21 . La date de création de la rue Émile-Lepeu,

classée en 1932, n’est pas connue. Ouverte avec

une largeur de douze mètres, elle dessert le passage

Gustave-Lepeu, d’une largeur de six mètres, ainsi que

le passage Alexandrine-Lepeu – aujourd’hui passage

Alexandrine – parallèle au précédent, ouvert en 1865

avec une même largeur de six mètres. Ces deux

derniers passages ont été classés en 1992.

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Bibliographie et sources imprimées

danGer René (1930), La technique du lotissement, Librairie de l’enseignement technique/Léon Eyrolles, Paris.darin Michaël (1985), L’alignement des rues, rapport de recherche, ministère de l’Urbanisme et du Logement/Secrétariat de la recherche architecturale-école d’architecture de Nantes/CERMA.

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remarquable des voies strictement conformes à une des valeurs normales marque un fait moins attendu, alors que pendant toute la période les instances de contrôle paraissent faibles ou contestées. Cela confirme que les enjeux de la « normalité » dépassent ceux de la stricte légalité pour engager d’autres niveaux de régulation des pratiques sociales. On ne peut écarter ceux des marchés foncier et immobilier, sur lesquels, comme pour d’autres biens marchands, la normalisation plus ou moins formalisée des objets échangés constitue un facteur d’optimisation des coûts de transaction. On doit aussi considérer des niveaux plus symboliques qui renvoient à l’ancrage local des acteurs de la viabilité. La pratique si répandue de l’éponymie – on ne compte pas les rues baptisées du nom de leur créateur ou d’un membre de leur famille –, atteste que loin de se résumer à de pures « spéculations », les pratiques de viabilité peuvent revêtir une dimension presque évergétique, engageant le prestige social de leurs auteurs. Le « bouquet » de voies nouvelles « offert » à la fin du xixe siècle par monsieur Lepeu, lotisseur du 11e arrondissement, à ses trois enfants – Émile, Gustave et Alexandrine21 – salue peut-être, à ce titre, une scène mémorable de la « Comédie urbaine ».

21 . La date de création de la rue Émile-Lepeu,

classée en 1932, n’est pas connue. Ouverte avec

une largeur de douze mètres, elle dessert le passage

Gustave-Lepeu, d’une largeur de six mètres, ainsi que

le passage Alexandrine-Lepeu – aujourd’hui passage

Alexandrine – parallèle au précédent, ouvert en 1865

avec une même largeur de six mètres. Ces deux

derniers passages ont été classés en 1992.

La ville parfaitement imparfaite