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391 Les outils de métallurgistes du site de La Capitelle du Broum (district minier de Cabrières - Péret, Hérault) : reconstitution d’une chaîne opératoire Paul AMBERT, Marie LAROCHE, Caroline HAMON, Valentina FIGUEROA- LARRE, Jean-Louis GUENDON, Cécile OBERWEILER, Claude REQUIRAND et Laurence BOUQUET Résumé : Les fouilles du site de La Capitelle du Broum à Péret (Ambert et al., 2005) ont mulplié et diversifié le nombre des ouls directement afférant à la métallurgie chalcolithique du district de Cabrières - Péret. La découverte de fours et la confirmaon du type de métallurgie ulisé doivent être souligné, même si par un souci de concision nous limiterons l’exposé aux traits majeurs de ces appareils. Les nombreux ouls à cupules (plus de 150 dans l’ensemble du district) ont confirmé leur ulisaon variée dans le concassage et le tri des minerais, comme vraisemblablement dans celui des goues de cuivre qu’il convient de séparer de leur gangue de scories, après la phase de la métallurgie d’extracon. À La Capitelle du Broum, les lingoères parfois très morcelées, dépassent très largement la centaine de fragments. Elles sont systémaquement démunies de bec verseur et certaines d’entre elles peuvent être considérées comme des moules de haches. Les alènes qui sont les objets les mieux représentés sur le site ont été fabriqués par une alternance de travaux de forge à froid et de recuits thermiques. Enfin, l’absence d’embout de tuyère n’induit pas avec certude le rôle du vent dans le fonconnement des fours. L’hypothèse de soufflets et de tuyères en maère périssable ne peut être de ce fait totalement exclue. Mots-clés : métallurgie, chaîne opératoire, objets spécifiques, Cabrières - Péret, sud de la France Abstract: The excavaons in the site of La Capitelle du Broum at Péret (Ambert et al., 2005) have mulplied and diversified the name of the tools directly referred to the chalcolic metallurgy of the district of Cabrieres - Péret. The discovery of copper smelng furnaces and the confirmaon of the type of metallurgy used must be remark, even thought for a maer of briefness we will only touch here the great components of those arfacts. The numerous crushing tools - ouls à cupules - (more than 150 in the set of the district) confirm their varied ulizaons in the crushing and the selecon of the minerals, as also probably in the copper prills that is convenient to separate from his gangue of slugs aſter the phase of extracon. At La Capitelle du Broum, the ingot molds and the crucibles are somemes very fragmenzed and overpass largely the hundred of fragments. They are systemacally made without a drain peak and only some between them can be consider as axe molds. The awls which are the best represented objects in the site were manufactured in successive works of cold hammering and annealing. Finally, the absence of tuyeres in the site could authorize the hypothesis of the primacy of the wind in the funconing of the copper smelng furnaces. The hypothesis of perishable materials bellows and tuyeres, can’t be, in this way, totally excluded. Keywords: metallurgy, chaîne opératoire, specific objects, Cabrières - Péret, southern France

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Les outils de métallurgistes du site de La Capitelle du Broum (district minier

de Cabrières - Péret, Hérault) : reconstitution d’une chaîne opératoire

Paul AMBERT, Marie LAROCHE, Caroline HAMON, Valentina FIGUEROA-LARRE, Jean-Louis GUENDON, Cécile OBERWEILER, Claude REQUIRAND et Laurence BOUQUET

Résumé :Les fouilles du site de La Capitelle du Broum à Péret (Ambert et al., 2005) ont multiplié et diversifié le nombre des outils directement afférant à la métallurgie chalcolithique du district de Cabrières - Péret. La découverte de fours et la confirmation du type de métallurgie utilisé doivent être souligné, même si par un souci de concision nous limiterons l’exposé aux traits majeurs de ces appareils.Les nombreux outils à cupules (plus de 150 dans l’ensemble du district) ont confirmé leur utilisation variée dans le concassage et le tri des minerais, comme vraisemblablement dans celui des gouttes de cuivre qu’il convient de séparer de leur gangue de scories, après la phase de la métallurgie d’extraction. À La Capitelle du Broum, les lingotières parfois très morcelées, dépassent très largement la centaine de fragments. Elles sont systématiquement démunies de bec verseur et certaines d’entre elles peuvent être considérées comme des moules de haches. Les alènes qui sont les objets les mieux représentés sur le site ont été fabriqués par une alternance de travaux de forge à froid et de recuits thermiques. Enfin, l’absence d’embout de tuyère n’induit pas avec certitude le rôle du vent dans le fonctionnement des fours. L’hypothèse de soufflets et de tuyères en matière périssable ne peut être de ce fait totalement exclue.

Mots-clés :métallurgie, chaîne opératoire, objets spécifiques, Cabrières - Péret, sud de la France

Abstract:The excavations in the site of La Capitelle du Broum at Péret (Ambert et al., 2005) have multiplied and diversified the name of the tools directly referred to the chalcolitic metallurgy of the district of Cabrieres - Péret. The discovery of copper smelting furnaces and the confirmation of the type of metallurgy used must be remark, even thought for a matter of briefness we will only touch here the great components of those artifacts.The numerous crushing tools - outils à cupules - (more than 150 in the set of the district) confirm their varied utilizations in the crushing and the selection of the minerals, as also probably in the copper prills that is convenient to separate from his gangue of slugs after the phase of extraction. At La Capitelle du Broum, the ingot molds and the crucibles are sometimes very fragmentized and overpass largely the hundred of fragments. They are systematically made without a drain peak and only some between them can be consider as axe molds. The awls which are the best represented objects in the site were manufactured in successive works of cold hammering and annealing. Finally, the absence of tuyeres in the site could authorize the hypothesis of the primacy of the wind in the functioning of the copper smelting furnaces. The hypothesis of perishable materials bellows and tuyeres, can’t be, in this way, totally excluded.

Keywords:metallurgy, chaîne opératoire, specific objects, Cabrières - Péret, southern France

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P. Ambert et al. — Les outils de métallurgistes du site de La Capitelle du Broum

Trente ans de recherches dans le district de Cabrières-Péret (Hérault, sud de la France) nous ont permis de découvrir et partiellement

de fouiller plus d’une cinquantaine de sites néoli-thiques et protohistoriques ayant trait à des activités minières et métallurgiques (Laroche, 2006). Néan-moins à ce jour, seuls les sites du IIIe millénaire B.C., nous ont livré des traces et des outils correspondant sensiblement à la totalité de la chaîne opératoire de la transformation des minerais de cuivre locaux en objets de métal utilisés par les chalcolithiques de la région.

Pendant longtemps, la principale référence de cet état de fait relevait de la fouille du site de Roque-Fenestre (Ambert et al., 1984 ; Espérou, 1993). Néanmoins, dès 1997 (Ambert et al., 1997), les expérimentations métallurgiques rendaient vrai-semblable l’existence de fours chalcolithiques beau-coup plus sommaires et ouverts que la plupart de ceux reconnus jusque-là en Europe Occidentale et utilisés dans l’expérimentation (Ambert, 1997).

La découverte du site de La Capitelle du Broum à Péret (Ambert et al., 2002 , 2005 ; Ambert et Vaquer, 2005) a amplement confirmé cet état de fait. L’abondant mobilier ad hoc, découvert sur le site, permet de détailler plusieurs des phases indis-pensables à la réalisation de cette métallurgie. Elle nécessite la succession d’une phase d’extraction du métal à partir des minerais dans des foyers-cuvettes largement ouverts. Elle permet la ségrégation à chaud, puis la séparation à froid, des scories et des gouttes (billes) de cuivre métal. Dans un deu-xième temps (phase de transformation), les gouttes de cuivre sont fondues dans des lingotières ou des moules en argile. La production de métal obtenue permet alors la fabrication des objets.Dans cette note, nous traiterons successivement de ces deux grandes phases de la métallurgie chalcoli-thique : métallurgie extractive, puis métallurgie de transformation. Nous détaillerons plus particuliè-rement le rôle et la typologie des outils spécifiques (outils à cupules, foyers-cuvettes, lingotières…) qui interviennent dans l’une ou l’autre de ces phases.

Les outils et les appareils de la  métallurgie extractive

À La Capitelle du Broum la métallurgie extractive — du minerai au métal brut — fait se succéder trois opérations : 1 - un concassage millimétrique d’oxydes et de sul-

fures de cuivre pris dans leur gangue. Il permet d’isoler cette dernière et de concentrer le minerai ;

2 - une phase pyrotechnique dans une cuvette peu profonde chapée d’argile, qui doit atteindre 1100 °. Elle fait intervenir un mélange de petits charbons de bois et de minerais finement concas-sés. La température est atteinte grâce à la com-position géochimique du mélange riche en soufre, activée par une ventilation naturelle et/ou forcée ;

3 - la ségrégation in situ d’une matte métallique et de gouttes de cuivre la plupart du temps noyées dans la scorie. Les fragments métalliques sont isolés très certainement avec des outils de per-cussion et très vraisemblablement à l’aide des outils à cupule(s). Ces opérations visent à assurer une concentration optimale des minerais et à les débarrasser de leur gangue.

Les outils à cupules

Ils ont été mis en évidence au cours de nos pre-miers travaux dans le district minier métallurgique de Cabrières-Péret (Roque-Fenestre : Ambert et al., 1984). Ils ont été depuis systématiquement décou-verts dans tous les sites métallurgiques (Cert, 2005) et dépassent aujourd’hui 150 exemplaires (fig. 1). Ils ont fait l’objet d’un travail spécifique récent (Hamon et al., sous presse) qui a permis d’expliciter leurs principaux caractères pétrographiques et typolo-giques, ainsi que les grandes lignes de leur utilisa-tion au travers d’une étude tracéologique.

Si leur pétrographie est variée (basaltes, quartzites, grès, dolomies), le basalte est de loin la roche la plus fréquemment rencontrée avec 79 pièces, soit 63 % de la collection. Ce basalte est issu des coulées volcaniques quaternaires abondantes autour de Cabrières. Parmi les roches gréseuses (22 objets, soit 18 % de la collection), on distinguera deux types : les galets souvent plats et les petits blocs émoussés, souvent sélectionnés dans les alluvions locales des rivières du district. Néanmoins, certains de ces outils, mieux roulés, sont de véritables galets de roches exogènes au district de Cabrières. Ils pro-viennent très vraisemblablement de la vallée de l’Hérault.

Les outils présentent entre une et trois cupules plus ou moins centrées sur une ou plusieurs faces. Leurs diamètres oscillent entre 3 et 4 cm (Hamon et al., sous presse). Ils sont grossièrement mis en forme par détachement d’éclats sur la tranche et par un martelage de régularisation de certaines faces. Cinq grands types d’outils à cupules peuvent être distingués (fig. 2) d’après leurs caractéristiques mor-phologiques (forme ovoïde ou parallélépipédique) et technologiques (nature et localisation des traces de

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percussion sur les différentes parties des outils). Le type le plus courant (fig. 2, n° 1) présente une section quadrangulaire et des faces planes avec une à deux cupules occupant les faces opposées. Le second type (fig. 2, n° 5) a une section épaisse et convexe avec une cupule de percussion sur la face supérieure plane. Cer-tains d’entre eux (fig. 2, n° 2) ont une extrémité appoin-tée. Le troisième type rassemble des outils massifs anguleux sur plaque de grès. Le quatrième regroupe des objets dits « à angle dièdre » (fig. 2, n° 4) à une ou deux cupules de percussion. Enfin, le cinquième groupe rassemble les outils à cupules en dolomie.

Les cupules résulteraient de la juxtaposition d’impacts violents sur une matière dure et conton-dante : elles auraient donc servi à fracturer, voire à concasser, les gros morceaux de matière en frag-ments de plus petites dimensions. La tranche et la face principale semblent plutôt destinées à réduire la matière en petites fractions, respectivement par une fine percussion et par un broyage en percussion posée circulaire. Cette action a pu être complétée dans certains cas par une percussion plus précise et plus fine à l’aide de l’extrémité des outils.

L’analyse tracéologique montre que chaque partie des outils était employée pour des actions

distinctes sur la matière (concassage, broyage). Elles étaient très certainement complémentaires au sein d’une unique chaîne opératoire de trans-formation des matières minérales. Leurs tranches et leurs extrémités présentent une alternance d’im-pacts grossiers et plus fins de percussion ; elles ont été employées pour la fracturation de blocs d’assez grandes dimensions. Leurs faces, planes à plano-convexes, portent de fins impacts de percussion, denses et réguliers. Ils témoignent d’une action de percussion plus fine.

Il est délicat de définir le caractère passif (enclume) ou actif (percuteur) de ces outils d’après la nature et la localisation des traces. Par ailleurs, l’intensité d’utilisation de ces objets varie fortement d’un objet à l’autre. À Cabrières, ces outils auraient ainsi été employés, sur les différents ateliers, pour concasser en petites fractions le minerai ou les pro-duits métallurgiques. Ces opérations sont en effet nécessaires pour éliminer d’une part la gangue entourant le minerai, d’autre part, les scories de cuivre.

Les outils à cupules assurent donc des fonc-tions multiples. Ils peuvent avoir été employés à deux étapes du tri et de la concentration des maté-

Figure 1 — Carte du district minier métallurgique, base cuivre, de Cabrières-Péret (Hérault — cartographie D.A.O. C. Requirand).

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riaux de la chaîne opératoire de la métallurgie du cuivre. Ils sont très vraisemblablement utilisés en amont puis, en aval de la métallurgie de transfor-mation des minerais en métal. En effet, ils peuvent servir dans un premier temps, prémétallurgique, à

sélectionner et à concentrer les particules miné-rales en les extrayant de leur gangue (fonction de percuteur puis de broyeur-concasseur) et, dans un second, post-métallurgique, à isoler les gouttes et la matte métallique de la fraction scoriacée et des sco-

Figure 2 — Les principaux types d’outils à cupule(s) du site de La Capitelle du Broum (D.A.O. C. Requirand).

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ries (concasseur et percuteur). De très rares traces punctiformes d’oxydes de cuivre ont été observées sur des outils en basalte. Certaines ont été isolées au fond d’une cupule d’un outil plat à cupule cen-trale sur ses deux faces planes (fig. 3), et d’autres proviennent en particulier de la pointe d’un outil de type 2. Néanmoins, ces traces d’oxydes de cuivre de type malachite ne peuvent être assimilées de façon certaine au concassage du minerai, puisque par altération tous les fragments métalliques décou-verts sur le site sont enrobés d’une couche d’oxyde plus ou moins importante. Elles peuvent donc pro-venir tout aussi bien de traces métalliques oxydées que de celles des minerais. En conséquence, il est sans doute illusoire, en l’état de la documentation, de vouloir trancher entre une utilisation pré ou post métallurgique de ces outils. Néanmoins, leurs carac-téristiques comme leur potentiel sont favorables à leur double utilisation : fragmenter voire réduire en poudre les minerais ou les gouttes de cuivre, isoler ces dernières de la partie scoriacée, en éliminer les moindres traces si pénalisantes pour la qualité de l’objet final.

Les outils à cupules du district minier - métal-lurgique de Cabrières-Péret sont sans nul doute des outils dévolus à la chaîne opératoire qui conduit du minerai de cuivre aux objets métalliques. La nature des traces d’utilisation et leur localisation sur les outils à cupules rendent compte d’un geste parfai-tement maîtrisé et d’une régularité dans les actions effectuées. À La Capitelle du Broum, la découverte de nombreuses gouttes de cuivre isolées, comme la conservation de microgouttes au sein des scories, suppose un travail de cet ordre, que, dans le mobi-lier découvert sur le site, seuls les outils à cupules sont aptes à réaliser.

Leur présence désormais bien connue (Hamon et al., sous presse) dans d’autres sites métallurgiques français (Saint-Véran), autrichien (Brixlegg) et espagnol (Cabézo Juré) ne se dément pas dans le Proche et Moyen-Orient, soulignant bien le rôle déterminant qu’ils ont joué dans cette pre-mière métallurgie.

Les fours et leur production

La Capitelle du Broum est le seul site français qui ait permis la fouille de « foyers producteurs de métallurgie » appelés dans ce texte par simplifica-tion « foyers-cuvettes » compte tenu de leur mor-phologie. Les premiers documents métallurgiques découverts dans le district minier de Cabrières-Péret provenaient de rebuts piégés dans des fosses (Roque-Fenestre, Ambert et al., 1984 ; Espérou,

1993) ou de gouttes de cuivre hors contexte. À cette époque, la documentation archéologique euro-péenne avait préférentiellement livré des fours de type Mitterberg (Ambert, 1997). Ceux-ci, avec ou sans conduit de tirage, possèdent une chambre tota-lement hermétique, dans laquelle une chape d’ar-gile est surmontée par un bâti de moellons jointés d’argile. Ce sont de véritables fours. Au contraire, comme le laissaient supposer les paramètres analy-tiques de l’expérimentation réalisée avec des mine-rais locaux et un four de type Mitterberg (Ambert et al., 1997), les fours utilisés à Cabrières au IIIe millé-naire B.C. devaient être beaucoup plus ouverts.

La découverte et l’étude des appareils métal-lurgiques de La Capitelle du Broum l’ont depuis amplement démontré (Ambert et al., 2002 ; Ambert et al., 2005 ; Bourgarit et Mille, 2005) bien que bon nombre d’entre eux nous soient parvenus en piteux état. En effet, ils ont pu être, soit écrêtés par les pra-tiques culturales (Ambert et Vaquer, 2005, pl. III, structure 1, n° 1 et 2), soit perturbés par des réuti-lisations chalcolithiques (Ambert et Vaquer, 2005,

Figure 3 — Outils à cupules en basalte, dont une cupule a conservé des traces de cuivre sous forme d’oxyde (photogra-phies et D.A.O. C. Requirand).

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pl. III, structure 1 et 19), soit réduits à des creux entamant le substratum (sol brun à pavés dolomi-tiques dans le secteur 1000, fig. 4). Aussi, sur la tren-taine d’exemplaires qui ont été diagnostiqués, seuls 1/3 sont assez bien conservés. Ce sont des cuvettes ovoïdes de 30 à 50 centimètres de diamètre maxi-mum et de 10 à 15 cm de profondeur axiale (Ambert et Vaquer, 2005, pl. III, n° 2, et fig. 7). L’origina-lité première de ces foyers-cuvettes découle des très vives colorations brun-noir ou rouge, au sein des-quelles peuvent s’inter-stratifier un ou plusieurs niveaux d’oxydes de cuivre vert et des passées d’ar-gile jaune plus ou moins indurées. Avec les scories et gouttes de cuivre périphériques, ce sont les docu-ments formels d’une pratique in situ de la transfor-mation du minerai en cuivre métallique.

Toutes ces structures présentent, en coupe et en plan, des auréoles concentriques emboîtées qui, de bas en haut, ou de l’extérieur vers l’intérieur, font se succéder une zone d’argile brune puis rouge, une couronne d’argile jaune à orangée, une zone bleu vert (indurée souvent à son sommet en une croûte cen-timétrique), parfois scoriacée, entourée et surmonté de secteurs charbonneux (fig. 5). Cette succession schématique est souvent rendue plus complexe par la superposition de deux séquences de foyers-fours emboîtées l’une dans l’autre (fig. 7) ou au contraire se recoupant latéralement (fig. 4).

L’utilisation systématique des argiles jaunes produites par l’altération des schistes voisins, même si elle relève d’une pratique opportuniste, n’est cer-tainement pas fortuite. En effet, contrairement à

son emploi dans la confection des lingotières, l’argile jaune a été, la plupart du temps, épurée des fragments de schistes rési-duels qu’elle contient. Dans les appareils bien conservés, elle a été disposée en une couche cen-timétrique à pluri-centimétrique qui forme une chape sur le pour-tour et le fond de la cuvette. En coupe, elle forme alors un lit plus ou moins concave et, en plan, une auréole. Elle fait d’autant mieux ressortir la structuration des appareils que le contraste coloré entre les argiles jaunes et les sédiments environnants, est par-ticulièrement explicite. Dans plu-sieurs exemplaires (structure 19 et foyers du secteur 7000, fig. 4 et 5), il existe un passage laté-ral, mais aussi vertical entre ces argiles jaunes et une croûte dure

gris-bleuâtre, laquelle inclut localement des résidus d’encroûtements scoriacés, mais aussi, ponctuelle-ment, des gouttes de cuivre. La paroi supérieure de cette croûte est généralement plate et se relève sur les bords. Indurée par la chaleur qui a atteint ici plus de 1000 °, elle est fragmentée en morceaux plus ou moins jointifs qui forment une sole fruste (fig. 4), sans doute utile pour récupérer, après refroidissement, les pro-duits de la métallurgie. Aussi, n’est-il pas interdit de proposer une comparaison entre le façonnement des foyers-cuvettes de La Capitelle du Broum avec les vases à réduire le minerai de cuivre, connus en France méridionale (deux exemplaires proviennent du district de Cabrières-Péret), mais plus nombreux en Espagne (Rovira et Ambert, 2002).

Toutes ces observations conduisent à conclure que la chape d’argile jaune de ces foyers-cuvettes joue un rôle de sole sur laquelle a eu lieu directement la transformation métallurgique du minerai en métal.

Les arguments d’une chauffe violente dans ces foyers-cuvettes lors des transformations métallur-giques ressortent de quatre données concordantes :- l’induration et la cuisson superficielle de la chape

d’argile jaune, formant la sole de l’opération métallurgique ;

- les blocs dolomitiques, qui entourent les aires de chauffe, pas toujours semble-t-il de façon for-tuite, sont fortement affectés par la chaleur, et pro parte calcinés ;

- l’exceptionnelle concentration de scories, gouttes de cuivre, fragments de minerai périphérique aux foyers-cuvettes du nord du site ;

Figure 4 — Foyer-cuvette 19 en bordure de son arceau monobloc. Noter la croûte d’ar-gile jaune, indurée, fragmentée et bleuie en atmosphère réductrice lors de la phase métallurgique (photographie P. Ambert).

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- la présence à l’intérieur des foyers, d’amas de minerai fondus ou de gouttes jointives qui vont jusqu’à former une couche cuivreuse continue presque centimétrique, qui épouse la concavité de la cuvette originelle (fig. 7).

Ces éléments permettent de conclure que ces foyers-cuvettes ont été le réceptacle de la trans-formation métallurgique des minerais de cuivre sulfurés en gouttes de métal. L’étude des produits métallurgiques (scories, gouttes de cuivre) comme

Figure 5 — Foyer-cuvette 91 et 108, structure de métallurgie avec argile jaune indurée (dessin et D.A.O. M. Laroche).

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l’abondance des fragments de minerais de type cuivre gris sous-tendent l’hypothèse d’une métallur-gie de type co-smelting (Rostoker et al., 1989), utili-

sant une association de sulfures et de carbonates de cuivre. Pour D. Bourgarit et B. Mille (2005), il s’agit d’une métallurgie faiblement réductrice avec des

Figure 6 — Les principaux types de lingotières du site de La Capitelle du Broum (dessin C. Cert).

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rendements relativement médiocres en regard de la qualité des minerais utilisés. Pour sa part, S. Rovira (Ambert et al., sous presse) parle de métallurgie immature.

Par ailleurs, si en regard des types de mine-rais utilisés la température de chauffe doit être proche de 1100 °, les moyens permettant d’atteindre cette température ne sont pas connus avec certitude. En particulier, aucun fragment de tube à vent, d’em-bout ou de fragment de tuyère n’a été mis au jour, ni à La Capitelle du Broum, ni sur l’ensemble du district. Aussi, sauf à considérer que tous les outils permettant un apport en oxygène devaient être en matériaux périssables, le vent seul pouvait suppléer à leur absence dans la phase de métallurgie extrac-tive. Si plusieurs opérations de métallurgie expé-rimentale ont montré sa faisabilité (Ambert et al., 1997), la plupart des foyers-cuvettes de La Capitelle du Broum ne sont pas implantés dans les secteurs du site les mieux exposés aux vents dominants. Aussi, le problème de l’alimentation en oxygène de ces foyers ne peut être considéré comme résolu.

La métallurgie de transformation et la production du métal

La métallurgie de transformation se fonde sur la liquéfaction des fragments et gouttes de métal obtenues précédemment en un bain de cuivre qui concentre certaines impuretés du minerai (Ag/Ni/Pb), qu’on peut qualifier de positives. En effet, ces dernières forment avec le cuivre un alliage naturel plus dur que le cuivre pur. L’opération vise en outre à éliminer la plus grande partie du fer résiduel et à abaisser le pourcentage de métaux volatils (As/Sb/Zn) dont certains comme l’antimoine, en quantité idoine (3 %), sont également essentiels à la dureté du métal. Au contraire, de fortes proportions d’an-timoine le rendent cassant. Les récipients en argile jaune qui servent à ces opérations ont des tailles et des formes diversifiées, peut-être en fonction des pièces, voire des objets à réaliser.

Les lingotières de La Capitelle du Broum

La documentation découverte sur le site (près de 200 fragments) présente un certain nombre de pièces suffisamment bien conservées pour per-mettre de façon fiable leur reconstitution. La plupart des lingotières sont modelées avec l’argile jaune qui provient de l’altération des schistes voisins du site et contiennent en plus ou moins grand nombre, un

dégraissant grossier, qui associe des fragments de schistes et des morceaux de calcaire dolomitique pris sur place. Elles intègrent à ce mélange une pro-portion parfois très forte de dégraissant organique. C’est plus particulièrement le cas du petit récipient (fig. 6, n° 1), d’ailleurs de couleur orangé beige, de composition argileuse un peu particulière (Illite/Kaolinite). Il est sans doute pertinent de se deman-der si toutes les pièces regroupées sous le terme de lingotière avaient la même utilisation.

En effet, typologiquement, il est permis de différencier plusieurs formes (fig. 6) :— des pièces de petite taille, quasi circulaires, peu

profondes, à fond concave que la tradition attri-bue à des creusets (fig. 6, n° 1, 2) ;

— des pièces plus longues, dont l’intérieur a une forme de gouttière (fig. 6, n° 3), à fond plus ou moins plat ou arrondi. Elles devaient permettre de fondre un petit cylindre (lingot ?) de 2 cm de diamètre et d’au minimum 6 à 7 cm de longueur. L’un d’eux a été trouvé à proximité d’une lingo-tière très caractéristique de ce style (fig. 6, n° 3);

— des pièces beaucoup plus volumineuses, dont le fond plat se raccorde verticalement au rebord par une paroi épaisse de 2 à 3 cm de hauteur (fig. 6, n° 4, 5). Ces pièces sont assez longues et doivent avoir leurs deux extrémités concaves de tailles et de formes différentes, si l’on s’en réfère aux fragments découverts.

Les trois types de pièces sont présents dans la plupart des phases chrono-stratigraphiques et plus particulièrement dans les couches chalcolithiques médianes les plus riches en documentation métal-lurgique. C’est ainsi que la structure en creux 57, située immédiatement en périphérie sud de l’ar-ceau 2 et des foyers métallurgiques de la structure 19 (fig. 4), a donné pas moins de 37 fragments de lin-gotières dans sa partie supérieure dont les datations correspondent à la partie médiane du IIIe millénaire BC cal.

Les analyses de laboratoire réalisées sur quelques lingotières ont confirmé l’étude visuelle et microscopique dont elles avaient fait préalablement l’objet. Les températures les plus élevées (1100 °C) sont localisées au niveau des lèvres supérieures du récipient (matériau vitrifié ou amorce de vitrifica-tion). Ces stigmates de vitrification restent néan-moins assez rares parmi la totalité du corpus des lingotières examinées. Cette observation est de pre-mière importance, si l’on admet qu’une opération aussi ponctuelle, nécessite une tuyère, ou un souf-flet, laquelle en l’absence de documentation archéo-logique de ce type sur le site, en réfère à l’hypothèse de l’utilisation d’outils en matériaux périssables…

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Néanmoins, pour l’instant, cette éventualité doit être seulement réduite à une piste de recherche.

Les surfaces extérieures à la zone de produc-tion métallique ne montrent aucun stigmate de tem-pérature élevée, ce qui a été confirmé par l’examen

de la microstructure du matériau au MEB : aucune trace de vitrification n’est visible ; les températures y sont bien inférieures à 800 °C. À la base de la gout-tière de production des objets de type 2, les tem-pératures se situent dans une plage de 900 °C. La

Figure 7 — Les outils et les processus de la métallurgie extractive du cuivre à partir d’un mélange de minerais (oxydes et sulfures de cuivre), d’après les documents de la fouille du site de La Capitelle du Broum (Péret) ; Conception P. Ambert, D.A.O. C. Requirand

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Figure 8 — Outils, techniques et objets en cuivre propres à la métallurgie de transformation, d’après les documents de la fouille du site de La Capitelle du Broum (Péret) Conception P. Ambert, D.A.O. C. Requirand.

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vitrification plutôt homogène du matériau argileux laisse supposer qu’elle est due à la chaleur de fusion du cuivre à son contact. Elle est en bon accord avec la chauffe en atmosphère réductrice révélée par les examens au MEB.

Les couleurs de surface des lingotières sont assez hétérogènes : certains fragments sont intégra-lement gris plus ou moins foncé, d’autres prennent des colorations orangées sur l’extérieur et gris sur les lèvres et l’intérieur… Les colorations rouges-oran-gées découlent du processus de cuisson d’une céra-mique lorsque la température dépasse les 700 °C ; elles sont plus ou moins homogènes en fonction de la régularité des apports en oxygène, flamme oxygé-née ou exposition à l’air périphérique ; enfin, elles témoignent toutes de la dernière utilisation de l’ou-til. Cette hétérogénéité des colorations de surface, en particulier sur l’extérieur des lingotières, pour-rait donc résulter d’une chauffe au sein d’un foyer, du même type que ceux que nous utilisons pour cette opération dans l’expérimentation métallur-gique (fig. 8). La comparaison des états de surface des lingotières réalisées avec l’argile jaune locale, utilisées au cours de l’expérimentation et celui des lingotières chalcolithiques conduit à le penser. Au terme de leur utilisation, les lingotières montrent des surfaces relativement lisses dont les couleurs ocres au sommet ou bleuâtres pour la base de la pièce renvoient à leur position et leur enfoncement au sein du foyer. Les surfaces des outils sont lisses, alors que leur pâte est homogène et résistante. Néan-moins, très vite vers 2 à 3 mm à partir de la surface (certainement la limite au-dessous de laquelle la température n’atteint pas 900 °) elle laisse place à un matériau microfissuré dans lequel les dégrais-sants calcaires ont fondu, lui conférant la résistance d’un béton réfractaire. À titre expérimental, C. Obe-rweiler a fabriqué des briquettes d’argile de même composition que les lingotières. Après chauffage à 800/1000 °, elles ont acquis une très grande résis-tance et ne se fragmentent que très difficilement…

La fonction des lingotières du site semble désormais plus que probable. C’est un récipient qui a servi à regrouper les billes de métal afin de les fondre et de les agglutiner pour disposer d’une masse métallique, compacte, plus importante. On obtient un « lingot » de cuivre plus ou moins purifié. La contenance des plus grandes d’entre elles permet de supposer que le cuivre fondu au cours d’une seule opération peut dépasser sensiblement 250 g.

Il ne s’agit pas d’un creuset, dont on trans-fère le métal en fusion dans un moule lequel porte en creux l’empreinte de l’objet métallique souhaité. Au contraire, la lingotière est un outil fixe. Le refroi-dissement du métal y produit une pièce métallique

(lingot de taille et de forme variées). Elle s’apparente donc à un moule qui produit un métal brut, dont on sait désormais (Figueroa-Larre et al., in prep et infra) qu’il sert de base à la fabrication des outils les plus représentés dans le site (alènes, perles). Néanmoins, contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas des outils à usage unique. Ils devaient pouvoir être réutilisés plus ou moins longuement d’autant plus sûrement qu’à leur dureté s’ajoute le fait que chauffés et refroidis, sans déplacement, ils évitaient les chocs thermiques brutaux qui sont les causes premières de leur éclatement.

L’analogie entre ces lingotières et de véri-tables moules se vérifie plus encore au niveau des pièces de fonderies de plus grande taille (fig. 6, n° 4, 5) découvertes à La Capitelle du Broum.

Leur faible profondeur comme l’importance de leur surface s’accorde avec l’évasement et la dissymé-trie de leurs deux extrémités pour évoquer la forme des haches en cuivre les plus frustes (fig. 8). Néanmoins comme nous possédons des fragments de plus d’une dizaine de pièces de ce type et que les haches en cuivre sont rarissimes dans la région, il convient de faire de cette supposition une hypothèse d’école.

Par contre, si elle s’avérait pro parte exacte (seule la découverte d’une lingotière intacte de ce type permettrait de l’affirmer), la transformation en une seule opération des gouttes de cuivre en une préforme de métal, voire en une hache, pourrait être retenue. On rejoint ici, la notion, déjà ancienne, de hache-lingot ou de préforme de hache, dont régio-nalement le dépôt de Centeilles dans l’Aude forme le meilleur exemple (Guilaine, 1967). En fait, la seule différence essentielle entre le produit de ces moules-lingotières et les haches fonctionnelles résulte des activités de forgeage et de trempe qui vont donner aux outils leur forme et leur dureté.

Les produits et objets en métal et les tech-niques de fabrication

L’étude des objets métalliques de La Capitelle-du-Broum a permis de réaffirmer le caractère original du site. Le nombre d’objets métalliques s’avère significatif et supérieur à celui d’autres sites chalcolithiques régio-naux comme Roquemengarde, Fontbouisse et Cam-bous (Ambert et Bourhis, 1996 ; Guilaine, 1997). Les objets métalliques correspondent à la dernière phase d’un processus productif très articulé qui commence avec la sélection des minerais de cuivre, des épisodes de tri et concassage, leur réduction dans des fours adaptés et qui se termine par la fonte et la mise en forme des objets finis.

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Si les analyses élémentaires des minerais des déchets métallurgiques (scories, billes, gouttes) et des structures pyrométallurgiques avaient déjà attesté l’utilisation des cuivres à antimoine-argent (Ambert, 1996 ; Ambert et al., 1996 ; Ambert et Prange, 2005 ; Bourgarit et Mille, 2005 ; Rovira, 2005), les résultats des analyses métallographiques et de composition chimique (XRF-ED) réalisés sur les produits semi-finis et finis confirment la cohé-rence du modèle. La permanence de la signature « antimoine-argent » est constante au cours de l’in-tégralité de la chaîne opératoire : elle est présente dans les minerais, billes, masses métalliques, perles, alènes, ciseau ; tous en contexte chalcolithique avéré.

La répartition des produits et des objets en cuivre se concentre sur le secteur nord-est du site. La composition élémentaire de l’ensemble des pro-duits et objets confirme la composition classique de Cabrières — au même titre que les billes, gouttes et autres déchets métallurgiques —, c’est-à-dire, des

cuivres à antimoine-argent, pouvant contenir des éléments traces comme As, Pb et Fe. Néanmoins, en dépit de l’homogénéité des compositions élé-mentaires des produits et objets, les techniques de fabrication sont diverses. Les observations macros-copiques et les examens métallographiques ont permis d’individualiser deux grands ensembles. D’une part, des produits semi-finis, issus vraisem-blablement d’une phase de raffinement du métal — antérieurement réduit dans les foyers-cuvettes — dans des pièces de fonderie type lingotière. Cette catégorie est représentée par des masses métalliques très hétéroclites et des déchets métallurgiques d’im-portante taille qui relèvent sans doute de ces épi-sodes de fonderie.

Les produits se caractérisent par une micros-tructure dendritique, c’est-à-dire, un métal brut de coulée qui n’a pas subi des modifications méca-niques et thermiques post-fonte (fig. 9, n° 1 et 2). Nous resterons prudents à l’heure de définir la fonc-

Figure 9 — Analyses métallographiques après attaque chimique au chlorure ferrique et acide hydrochlorhydrique en éthanol (travaux S. Rovira, V. Figueroa-Larre, Madrid) :n° 1. Microstructure dendritique d’une masse métallique en cuivre à antimoine-argent (PA 12107 n° 658 secteur 8000), 50 X.n° 2. Microstructure dendritique d’un fragment de masse métallique en cuivre à antimoine-argent (PA 12109 n° 1186 secteur 4000), 200 X. n° 3. Microstructure recristallisé d’un poinçon métallique en cuivre à antimoine-argent (PA 12036 n° 671 secteur 4000), 100 X.n° 4. Microstructure recristallisé d’un poinçon métallique en cuivre à antimoine-argent (PA 12036 n° 671 secteur 4000), 500 X.

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tion de ces masses métalliques, car leur relation avec les objets finis reste encore complexe. Cepen-dant, leur diversité et leur récurrence sur le site per-mettent d’envisager l’hypothèse de préformes qui pourraient servir pour obtenir un métal qui serait a posteriori intensément travaillé par des traitements classiques de forge et recuit.

Le deuxième ensemble correspond à des produits finis, objets à usage domestique et parures, représentés par des poinçons, des alènes, un ciseaux, un poignard et des perles. À l’excep-tion du fragment distal d’un ciseau, qui ne pré-sente ni une préparation ni une utilisation de son tranchant, la totalité des objets finis en cuivre possède une microstructure de grains déformés et recristallisés qui témoignent de l’application de diverses phases de forge à froid et recuit ther-mique (Ambert et al., 2009). Parmi les objets finis en contexte chalcolithique, la catégorie typo-fonc-tionnelle des poinçons et alènes s’avère la plus récurrente. Concentrés essentiellement dans le secteur 4000, leur analyse métallographique a révélé une technologie de fabrication complexe. Elles ont fait l’objet d’une longue chaîne opéra-toire d’exécution qui représente une très bonne connaissance des propriétés du métal. Les alènes et poinçons sont les meilleurs représentants d’une consommation locale du métal employé dans la fabrication d’outils à usage domestique (locales, tantôt par leur composition que par leur tech-nique de mise en forme).

La coupe métallographique transversale d’un poinçon à section carrée du secteur 4000 démontre, par la microstructure de grains polygonaux recris-tallisés, une phase de recuit thermique nécessaire pour favoriser la malléabilité et ductilité de la matière métallique (fig. 9, n° 3). La présence d’in-clusions, souvent des sulfures, avec des morpho-logies aplaties et allongées, rend compte, pour sa part, d’une importante déformation plastique de ces objets (fig. 9, n° 4).

La mise en forme des outils de cuivre requiert sans doute plusieurs instruments. Parmi ceux-ci nous avons isolé :— les maillets de pierre, ou comme dans les autres

sites métallurgiques (Roque Fenestre), ils sont de plus petites tailles que ceux des secteurs miniers. Ils sont parfois mieux soignés (Ambert et al., 1984, fig. 4 , n° 3) ;

— d’une façon encore moins douteuse, la hache-marteau (ou tas, fig. 8) qui théoriquement permet d’affiner les objets et en particulier le fil des lames (cf. pointe de Palmela, fig. 8) ou d’aplanir les lingots sous forme de feuille (fig. 8) métallique (Le Gravas, Ambert et al., 1991).

Les métallurgistes de l’établissement chalcolithique de La Capitelle du Broum contrôlaient les proprié-tés mécaniques du métal pour aboutir à la relation complémentaire entre la forme et la fonction de l’objet fini recherché. Ils employaient pour cela des procédés techniques basés sur une alternance de travaux de forge à froid et recuit thermique. Cette connaissance technologique traduit non seulement la volonté d’une performance des objets manufactu-rés, mais aussi témoigne de l’articulation du système technique, où la cohérence du modèle de production est manifeste.

Conclusions

Ainsi les objets et les appareils métallurgiques décou-verts pendant les fouilles du site de La Capitelle du Broum permettent une reconstitution de la totalité de la chaîne opératoire chalcolithique, mise en place pen-dant le second quart du IIIe millénaire BC cal.

Néanmoins une inconnue demeure concer-nant l’alimentation en oxygène nécessaire à l’élé-vation de la température (1100 °) requise par le co-smelting (mélange, pro parte naturel, d’oxydes et de sulfures de cuivre). En effet, aucun embout de tuyère n’a été découvert sur le site, ni, de façon sûre, dans aucun autre site du district de Cabrières-Péret. Pourtant, à La Capitelle du Broum, la surface fouillée dépasse 400 m2 et tous les autres objets ou appareils indispensables à la métallurgie se comp-tent par dizaines (traces de fours, outils à cupules) ou centaines (creusets). Chacune des catégories (scories, gouttes de cuivre) des produits métalliques issus de cette métallurgie extractive dépasse le mil-lier. L’absence de tout instrument à vent dans la réalisation de la métallurgie extractive, et d’indice indirect dans celle de transformation est particuliè-rement problématique.

Au niveau de la première, les arceaux mono-blocs, qui limitent les aires métallurgiques les plus importantes (secteurs 2000 et 6000 : Ambert et al., 2005), ne favorisent pas la chenalisation des vents dominants (nord-ouest et sud-est) et donc un ren-forcement de la ventilation par un effet venturi. Les plages très ponctuelles de surchauffe de la partie supérieure des lingotières utilisées dans la métallur-gie de transformation n’attestent pas, en l’état des connaissances, l’utilisation d’un soufflet et d’une tuyère. Nous laisserons donc pour l’instant ce pro-blème en suspens.

À ce terme, la documentation concernant la métallurgie extractive, mise en évidence sur le site de La Capitelle du Broum, confirme la nécessité de trois opérations successives :

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1 - un concassage millimétrique d’oxydes et de sul-fures de cuivre. Il est destiné à concentrer le minerai, à le purger de sa gangue. Cette opé-ration attestée par des amas de débris rocheux concassés portant des traces minérales utiliserait les outils à cupules voire des maillets de pierre. Elle requiert également le support de panneaux de pierre, plats mais épais, généralement en basalte ou en calcaire gréseux, sans doute utilisés comme meules ou enclumes.

2 - une phase pyrotechnique dans des cuvettes peu profondes chapées d’argile jaune. Cette argile prélevée dans les niveaux d’altération des schistes du voisinage a été sélectionnée pour jouer un rôle constant dans les outils pyrotech-niques de cette métallurgie (foyers-cuvettes et lingotières). Les foyers-cuvettes ne sont pas des fours au sens strict du terme. Ce sont des foyers ouverts, en cuvette, dont la parenté (morpholo-gie, dimensions) avec les vases fours (Rovira et Ambert, 2002) doit être impérativement sou-lignée. Comme ces derniers, ils accueillent une association ternaire (sans doute soignée) de par-ticules millimétriques de charbon, d’oxydes et de sulfures de cuivre portée de façon constante à 1100 °. Ces conditions sont indispensables à la transformation du minerai en métal. Le temps nécessaire à cette transformation n’est bien sûr pas connue (un volant de deux heures a été choisi dans les expérimentations réalisées). Cette tem-pérature n’est rendue possible que par une venti-lation naturelle et/ou forcée, efficace et régulière.

3 - la ségrégation in situ d’une matte métallique de gouttes de cuivre la plupart du temps noyées dans de la scorie. Ces fragments métalliques sont concassés et triés, très certainement avec des outils à cupule(s), avec toujours le même objectif : concentrer les particules métalliques et exclure les scories, en particulier leurs compo-santes quartzeuses et ferro-antimoniales.

La métallurgie de transformation consiste à purifier le métal obtenu en le liquéfiant dans un moule. Après refroidissement, ce métal sera tra-vaillé manuellement pour donner des outils :1 – les appareils de chauffe associés à la fusion du

métal dans les lingotières n’ont pas laissé de traces certaines. Par analogie avec ceux qui ont donné des résultats probants dans le cadre des expérimentations, l’hypothèse de foyers de petite taille (dont un seul exemplaire est connu sur le site) peut être avancée.

2 - L’utilisation des lingotières, de préférence à celle des creusets, permet d’éliminer l’opération délicate du transport et du versement du métal liquide du creuset dans un moule. Les lingotières, chauffées par dessus, restent immobiles jusqu’au refroidissement du métal. Elles permettent d’ob-tenir, suivant la forme des récipients, un lingot, lequel dans les plus grands peut s’apparenter à la préforme d’une hache.

3 - Au-delà, le relais est pris par un véritable travail de forge, à froid ou/et à chaud, dans lequel la hache-marteau de la figure 8 doit certainement jouer un rôle. À ce niveau, les renseignements, concernant le travail réalisé, sont fournis par les analyses microscopiques des objets eux-mêmes (fig. 9).

Enfin, il nous semble fondamental de souli-gner la grande cohérence qui se manifeste à diffé-rents niveaux de cette chaîne opératoire dans tous les aspects techniques de la transformation du minerai en métal. Elle appartient à une tradition technique dont beaucoup de jalons font encore défaut. Mais en fait, quelle que soit l’origine de cette métallurgie, les documents légués par les premiers utilisateurs de ce district minier régionalement précoce (première moitié du IIIe millénaire BC) démontrent une adap-tation remarquable aux particularités géologiques locales et sans doute, mais c’est un autre problème, à la demande régionale.

Remerciements : Nous tenons à remercier ici toutes les personnes qui ont contribué depuis trente ans à l’étude du district minier de Cabrières-Péret, mais nous aurons une pensée particulière pour notre ami Denis Dainat (†), récemment disparu, sans qui rien n’aurait été tout à fait pareil. Ce texte est la contribution n° 60 du PCR « Mines et métallurgies préhistoriques du Midi de la France » soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication.

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