« le couvent saint-georges de bayroût al-qadîmat », chronos, beyrouth, n° 1, 1998

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LE COUVENT SAINT-GEORGES DE BAYROUT AL-QADIMAT MAY DAVIE Dans la vacuite actuelle de ce qui fut Ie centre de Beyrouth, s'impose aujourd'hui a la vue la cathedrale Saint-Georges des Grecs-Orthodoxes, miraculeusement rescapee de la guerre qui a recemment ravage la cite. Elle a ete egalement soustraite, comme quelques autres rares monu- ments, a I'oeuvre de demolition de l'Etat libanais, qui a fait raser la quasi totalite des edifices anciens dans Ie cadre du projet de reconstruction du centre-ville. Au fil de la guerre, la cathedrale perdit son toit et son clocher. Ses portes et ses fenetres furent defoncees ou arrachees, et Ie mobilier, sur- tout l'iconostase d'une valeur artistique inestimable, fut en grande partie demonte et pille, Si quelques icones ont pu etre sauvees, les fresques, qui couvraient les murs et Ie plafond, semblent, a present, irre- mediablernent alterees (Planches 1 et 2, en annexe). Cribles d'impact de balles et d'obus, deteriores par l'eau et la suie des incendies, les murs eventres de cette cathedrale en ruine sont, aujourd'hui, les seuls ves- tiges d'un ensemble urbain, un centre episcopal datant de la periode medievale : Ie dayr Mar ]irjis ou couvent Saint-Georges, du nom du saint patron de la ville auquel il etait dedie et de la cathedrale qu'il abri- tait', Situe dans Ie secteur sud-est de Bayrotrt al Qadimat (Beyrouth la vieille), ce couvent etait le siege central de la communaute grecque- I Le terme kanfsat designait specifiquement une egliseou une chapelle, alors que le mot dayr faisait reference, en sus du sanctuaire proprement dit, a une residence pour le clerge.En milieu urbain, le dayr pouvait en outre comprendre des equipements sociaux et culturels. Chronos n" 1-1998

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LE COUVENT SAINT-GEORGESDE BAYROUT AL-QADIMAT

MAY DAVIE

Dans la vacuite actuelle de ce qui fut Ie centre de Beyrouth, s'imposeaujourd'hui a la vue la cathedrale Saint-Georges des Grecs-Orthodoxes,miraculeusement rescapee de la guerre qui a recemment ravage la cite.Elle a ete egalement soustraite, comme quelques autres rares monu­ments, a I'oeuvre de demolition de l'Etat libanais, qui a fait raser la quasitotalite des edifices anciens dans Ie cadre du projet de reconstruction ducen tre-ville.

Au fil de la guerre, la cathedrale perdit son toit et son clocher. Sesportes et ses fenetres furent defoncees ou arrachees, et Ie mobilier, sur­tout l'iconostase d'une valeur artistique inestimable, fut en grandepartie demonte et pille, Si quelques icones ont pu etre sauvees, lesfresques, qui couvraient les murs et Ie plafond, semblent, a present, irre­mediablernent alterees (Planches 1 et 2, en annexe). Cribles d'impact deballes et d'obus, deteriores par l'eau et la suie des incendies, les murseventres de cette cathedrale en ruine sont, aujourd'hui, les seuls ves­tiges d'un ensemble urbain, un centre episcopal datant de la periodemedievale : Ie dayr Mar ]irjis ou couvent Saint-Georges, du nom dusaint patron de la ville auquel il etait dedie et de la cathedrale qu'il abri­tait', Situe dans Ie secteur sud-est de Bayrotrt al Qadimat (Beyrouth lavieille), ce couvent etait le siege central de la communaute grecque-

I Le terme kanfsat designait specifiquement une eglise ou une chapelle, alors que le motdayr faisait reference, en sus du sanctuaire proprement dit, a une residence pour leclerge.En milieu urbain, le dayr pouvait en outre comprendre des equipements sociauxet culturels.

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orthodoxe de Beyrouth", n designait ce que le mot cathedrale represen­tait durant Ie Moyen-Age, en Orient comme en Occident: une eglisecertes, mais aussi la residence et les bureaux de l'eveque, des piecesannexes pour les pretres, un gite pour les etrangers, un refectoire pourles pauvres, un cimetiere, un hotel-Dieu et, bien entendu, un marche. Ledaur Mar .Iirjis comprenait, en outre, une ecole, une imprimerie, unefontaine et un mazdr, le lieu de pelerinage qu'etait la chapelle Sayyidatal Nouriyyah (Fig. 1).

De l'anciennete du couvent Saint-Georges

Le dayr Mar jirjis est Ie seul site religieux que la communaute ortho­doxe de Beyrouth a preserve, remodele certes, de son passe tres lointain.Hormis l'effet devastateur du raz-de-maree, qui a emporte la ville en 551,et les frequents tremblements de terre, les lieux de culte ont ete, tout aulong de l'histoire, successivement detruits par les conquerants et le mate­riel recupere. Certes, la localisation dans la ville romano-byzantine dequelques monuments importants est connue avec plus ou moins de pre­cision. Du Mesnil du Buisson (1925), Lauffray (1948) et Mouterde(1966) en decrivent quelques-uns. A l'emplacement de certains sites, lesArabes ont bati des mosquees entourees de souq, que les Croises ontconverties en eglises ou en couvents latins, et que les Mamelouks ontensuite recuperes pour les retransformer en mosquees ; la plus celebreetant sans doute l'actuelle mosquee 'Oumari, precedemment l'egliseSaint-Jean (Enlart 1926-1928, Conde 1955), elle-meme construite surl'emplacement d'une basilique byzantine edifiee par les empereurs grecs(Mariti 1787 : 26)3. Cependant, Ie lien entre ces monuments romains etles lieux de culte plus recents n'est pas toujours evident.

2 Le diocese de Beyrouth s'etendait, jusqu'en 1901, du Nahr Damour au sud au NahrAsfour au nord. n couvrait le Gharb, le Metn, le Kesrouan et les pays de ]beil et deBatroun ; il portait le titre de "Diocese de Beyrouth, de ]beil et Batroun et de leursdependances"3 Mais d'apres Cheikho et Mouterde (1921), la "basilique melchite" serait I'eglise decou­verte en 1916, lors de la percee de la future rue Allenby, a l'entree du soiiq al Bazarkhan,a 50 metres a l'ouest de Saint-Jean.

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Fig. 1:La localisation du centre episcopal de Saint-Georges et de ses annexes dans le secteur sud-est deBayrout al Qadimat (Fond: Davie 1984)

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n n'est done pas etonnant que la cornmunaute orthodoxe deBeyrouth n'ait que tres peu de vestiges des epoques byzantine, arabe etcroisee. Avant sa destruction en 1983, Sayyidat al Nouriyyah, unecrypte surmontee d'une minuscule chapelle, etait le sanctuaire le plusancien parmi les installations du dayr Mar Jirjis4 : elle remontait auXfVeme siecle (Goudard 1955). L'edifice de la cathedrale Saint-Georgesest encore plus tardif. n date de l'epoque ottomane ; en revanche, l'exis­tence du couvent remonte au moins a huit cents ans. II occupe, en effet,l'emplacement d'une eglise medievale, qui aurait ete restauree auXllleme siecle, apres le depart des Croises, puis consacree cathedralesous le vocable de Saint Georges. Les Orthodoxes, semble-t-il, auraientete empeches par les Mamelouks, successeurs des Croises, de recupererl'eglise Saint-Jean, le site de leur ancienne cathedrale, l'Anastasie(Haddad 1963). Neanmoins, allant a l'encontre de cette these, Lauffray(1948) propose un autre emplacement pour l'Anastasie. Jouxtant lacelebre Ecole de Droit de Beyrouth, elle se serait trouvee sur le sitemerne de Mar jirjis'. Cependant, ces deux hypotheses restent dudomaine des suppositions, tant que les resultats des fouilles archeolo­giques en cours ne sont pas publics".

Eu egard de cette situation, nous devons nous contenter desquelques temoignages ecrits qui nous sont parvenus de la periodemedievale. A cet effet, la relation du Seigneur d'Anglure, qui a visiteBeyrouth en 13957, est precieuse. Elle temoigne non seulement de lacontinuite a Beyrouth, et sans doute au meme endroit, d'un lieu de culteconsacre a Saint Georges depuis le Moyen-Age,elle nous fait egalementconnaitre d'autres sanctuaires qui lui etaient voisins:

"en la cite de Baruth est l'eglise de monseigneur saint Georges.Item, l'eglise de Sainte Barbe; et au dehors en une estroicte rue aung petit pillier de marbre de plusieurs couleurs, sur lequel SaincteBarbe ot coppee la teste; et est le dit pillier jusques au jourd'uy cou-

4 Durement touchee durant la guerre civile qui a debute en 1975, cette eglise fut rasee,sans preavis, par les bulldozers de l'Etat, en 1983.5 Cette these est reprise par Mouterde (1966). D'autres localisations avaient etc faitesauparavant par CoBinet (1925) et par du Mesnil du Buisson (1925).6 Ces fouilles sont entreprises par la communaute grecque-orthodoxe de Beyrouth, sousla direction de L. Badre.7 Cite dans du Mesnil du Buisson (1925 : 116-117).

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loures de son sang. Item, encore en la dicte eglise Saint-Georges, estla fontaine de monseigneur saint Georges, laquelle il fist de sa lencedont il tua le serpent. Cette fontaine est moult bonne et en boit onpar devocion"'Du Mesnil du Buisson (1925) localise ces sanctuaires dans le secteur

sud-est de Bayrout al Qadimat, lieu OU ce saint est encore venere aujour­d'hui. A l'appui de sa these, nous savons qu'une fontaine situee a proxi­mite de la cathedrale Saint-Georges etait encore operationnelle auXfXeme siecle, Les archives du waqf grec-orthodoxe en attestent : elles lasignalent par Birkat al Moutran et la localisent a l'est du couvent, sur laplace qui Ie separe de Sayyidat al Nouriyyah" (Davie et Nordiguian 1987).

Le saint et la ville

Perennite du culte done, et vraisemblablement des lieux, a tout lemoins depuis le Moyen-Age. Car il faut dire que la periode anterieure,byzantine notamment, se caracterisait par une Iogique votive et une orga­nicite qui s'exprimaient differemment sur le terrain beyrouthin. SousByzance, en effet, alors que des eglises au vocable feminin, ou vouees ades saints apotres ou martyrs, ont existe dans la ville proprement dite, leslieux de culte dedies a des saints militaires etaient, en revanche, erigesau-dela de l'agglomeration. Symboles de defense, certains, a l'instar decelui de Saint Georges, etaient edifies a l'entree meme du territoireurbain, et seraient associes a des sites fortifies qui controlaient, a l'est etau sud, les points de passage sur la riviere ou a travers la foret des Pins,maitrisant ainsi les espaces verts par lesquels on accedait a la cite.

Mais si la ville romano-byzantine debordait de son perimetre ets'etalait horizontalement, la ville croisee formait, par contre, unensemble plus compact. C'etait le centre d'un fief de peu d'etendue, une

8 Du Mesnil du Buisson (1925) souligne la facon dont Ie Seigneur d'Anglure passe d'uneeglise a l'autre et qui semble attester leur voisinage, Toutefois, concernant la fontaine, ilserait prudent de ne pas ecarter l'hypothese d'une confusion, de la part du Seigneurd'Anglure, entre Saint-Georges intra muros et Saint-Georges extra muros [le Khoudr), aproximite lui aussi d'une fontaine qui avait certaines vertus.9 L'egliseSayyidat al Nouriyyah correspondrait-elle, dans ce cas, a l'eglise medievale deSainte-Barbe?

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forteresse herrnetiquement close avec murailles, tours de garde et portesepaisses, et a l'interieur de laquelle des saints protecteurs et vaillantsetaient maintenant etablis, Saint Georges, Saint Jean-Baptiste et SaintNicolas ou Saint Marc aussi". Cependant, et bien que rien ne Ie prouveformellement, il est probable aussi que l'installation de Saint Georgesdans la ville ait ete faite auparavant, apres que l'Anastasie ait etedetruite par le tremblement de terre, ou plus tard encore, sous la mou­vance arabe. Dans ce dernier cas, la cathedrale ayant ete changee enmosquee, il ne restait aux chretiens que le soin de convertir une de leurseglises en cathedrale, la vouant du coup a un saint irreductible : unedefense contre l'interieur, l'aurait-on vraisemblablement CfU.

Les xvuee« et XVIIIerne siecles

II faut attendre le XVIIeme siecle pour que les pelerins et les chro­niqueurs nous esquissent des aspects plus concrets de Mar Jirjisll. En1660, le chevalier d'Arvieux (1735 : 146) decrit :

"une belle eglise dediee a Saint Georges qui est Ie siege de leurarcheveche ".Dans ses chroniques, le patriarche maronite 1.Douwayhi (Duweihi

1699 : 438) rapporte qu'auparavant, en 1570, les Maronites, ayant etedepouilles de leur eglise transformee en qaysariyyah (ateliers) par leshabitants de la ville", durent partager avec les "Roums", les Grecs ouMelchites, les eglises "Mar Jirjis et al Sayyidat?" de Beyrouth.

iO Au sujet de ces deux derniers saints, voir Mesnil du Buisson 1925 et Lauffray 1948.11 De ce siecle date aussi le plus ancien manuscrit ottoman que nous connaissons et quicite le couvent Saint-Georges. n s'agit d'une lettre du gouverneur qui rappelle a l'evequede Beyrouth le montant de la taxe due sur les biens du couvent. Ce document officieldate de l'an 1080 de l'hegire, l'annee 1661 apres j.D, n appartenait a feu F. R. 'Ararnan,un ancien notable de la cornmunaute (Chami 1960).12 Les Maronites, n'ayant pas encore, a cette date, d'eglise propre a Beyrouth, ilest sansdoute question ici du couvent et de l'eglise du Saint-Sauveur, qui etaient desservis parles Franciscains de la Custodie de Terre Sainte, et ou les Maronites pratiquaient egale­ment leur culte, apres leur union avec Rome (Lammens 1899). Parlant de qaysariyyah,il semble, par ailleurs, que le patriarche Douwayhi ait confondu entre ces faits et ceuxd'un evenernent semblable qui a eu lieu au XfVeme siecle et qui a ere rapporte par Salihbin Yahya (Salih bin Yahya 1969).13 Sans doute Sayyidat al Nouriyyah.

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En 1697, Ie voyageur Maundrell (1706 : 68 et suiv.) note au sujet del'eglise des Grecs :

"TIy a une autre eglise dans cette vilIe ; mais comme ce n'est qu'unpauvre edifice, on l'a Iaissee aux Grecs. Elle est ornee de plusieursvieux tableaux. J'en observai un entr'autres qui a cette inscription... (en grec] & l'on voit a cote la figure de Nestorius, qui est ordi­nairement un des saints que l'on trouve dans les eglises grecques decette secte. Mais ce qu'il y a de plus remarquable est une figureetrange d'un saint, de grandeur humaine, avec une barbe qui des­cend jusques a ses pieds. Le cure nous fit entendre que c'etoit SaintNicephore ..."Cette decrepitude atteste vraisemblablement de l'appauvrissement

de la communaute et de sa desorganisation durant le XVIIeme siecle etle debut Xvlfleme, Le pouvoir central de l'Empire faiblissant a partir duXVIIeme siecle, Ie territoire devint effectivement l'objet de convoitise dela part des feodaux de la Montagne aux prises avec Ia caste militaireottomane. Pour augmenter leurs ressources et leur influence, emirs etpachas convoitaient les fiefs voisins et surtout les vilIes, pour encontroler le gouvernement (Zabbal 1988). Les populations rurales eturbaines, tant musulmanes que chretiennes, avaient fait les frais de cesrivalites, entre les Bani Ma'n et les Bani Sifa notamment, pour la mai­trise des villes littorales et des voies de communication". Elles patirentde la division territoriale, de l'anarchie et de I'insecurite, et furent, leplus souvent, forcees a l'exode, a l'exemple des Orthodoxes des pays deJbeil, de Batroun et de Tripoli dont le nombre allait d'ailIeurs conside­rablement diminuer dans ces regions". Le resultat en fut la desorgani­sation sociale et la fracture institutionnelle : familIes dispersees, reseauxeconomiques perturbes, hierarchies contestees, lieux de culte aban­donnes, detruits ou recuperes par d'autres communautes, La petite villede Beyrouth fut, elle aussi, victime de ces convulsions politiques et mili­taires, quand bien meme la guerre n'etait pas toujours directement

14 Sur les faits militaires, cf. Karali 1992.15 L'installation, a Beyrouth, de certaines familles origmaires de ces trois regions[Ioubayli, Fiani, Birbari, Traboulsi, etc.) date sans doute de cette periode. Dans sonouvrage sur Ie bourg de Douma dans Ie Batroun, C. Bacha (1991) rapporte les pertur­bations sociales causees par les convulsions politiques de cette periode, n relate l'exodede la familleMa'lotlf pour Zahleh.

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dirigee contre elle.Lesvoies de communication etaient alors coupees, cequi perturbait les flux commerciaux, asphyxiait l'agglomeration etappauvrissait done la population. TIn'est que de rappeler l'action del'emir Fakhrouddin II qui, remblayant le port pour se proteger de laflotte turque, entraina le depart progressif des commercants vers deslieux plus favorables it leurs affaires et precipita done le declin econo­mique de la cite.

Au Xv'Illeme siecle, les guerres allaient continuer entre les emirsChihab, les successeurs des Ma'n, et entre eux et les wdli de Damas oude Sayda dont ils relevaient". Pour asseoir leur autorite et s'imposeraupres du wdli ou de la Sublime Porte, ils devaient garantir une clien­tele sure et fidele et, done, une adhesion sans faille des groupes autoch­tones. A cet effet, les emirs ne manquaient pas de tirer profit desbrouilles familiales et d'intervenir, it chaque occasion, dans l'organisa­tion communautaire, abusant de la force ou, it defaut, d'intrigues, d'al­liances et de contre-alliances. TIsintervenaient aussi dans les electionsepiscopales, imites, durant cette periode critique, par les missionnaireslatins envoyes par Rome dans le but d'amener les Eglises d'Orient sousson obedience". La cornmunaute grecque-orthodoxe allait etre dure­ment touchee par ces remous politiques et religieux. Stimules par l'in­digence de la population et des pretres autochtones", la cupidite de cer­tains notables et de quelques-uns parmi le haut clerge orthodoxe decette epoque, des conflits eclaterent entre les eveques des grandes villes,auxquels firent echo des divisions entre des familles notables", entrai­nant une succession de crises secouant la hierarchie clericale et leur

16 Cf. les chroniques de T. Chidiaq (Chidiac 1970) et celles de l'ernir Haydar Chihab[Chebli et Khalife 1955). Sur les visees geopolitiques des princes, voir Basili 1988.17 Sur l'installation de ces missionnaires au Moyen-Orient, cf. Heyberger 1994. Sur lesrivalites entre missionnaires latins et protestants durant le siecle suivant, consulterHajjar 1970.18 Compares aux patriarcats deJerusalem et de Constantinople, les revenus du patriarcatd'Antioche ont ete limites. Entre le XVIIemeet le XVIIIemesiecles, le patriarche se ren­dait regulierement dans les pays slaves pour ramasser des subsides.19 Ces tiraillements n'etaient pas etrangers non plus aux divisions politiques entreYamani et Qal:Jsi,puis, plus tard sous les emirs Chihab, entre Yazbaki etjoumbldti. LesOrthodoxes de Beyrouth partageaient generaletnent avec les Sunnites une sympathiepour le parti l:Jamani.Souvent, les conversions avaient exclusivement des objectifs eco­nomiques, comme en ternoigne le cas de la famille Fakhr de Tripoli qui nous est relatepar Heyberger (1996).

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rejet par la population. A Beyrouth, comme ailleurs, plusieurs crisesepiscopales ont eu lieu, soutenues et financees par les missionnaires. Latroisieme crise fut la plus eprouvante : une partie du clerge s'unit aRome entrainant un schisme au sein de la communaute et un dedou­blement de la hierarchie : les Grecs-Catholiques sont constitues enEglise (Rustom 1958 : 103-151). Au sujet de Beyrouth, Heyberger(1994: 124) rapporte, qu'a force d'argent et avec l'aide de l'emir de laMontagne Haydar Chihab, l'eveque catholique de Sayda aurait cherchea annexer l'eveche de Beyrouth, avant d'aider Sylvestre Dahhan, qui fitune profession de foi catholique en 1701, a en prendre possession.

Pour endiguer l'action des missionnaires, le patriarche Macaire IIIentama alors une politique de redressement, qui allait etre cornpleteepar Cyrille III et Athanase IV, ses successeurs". Utilisant des fonds col­lectes en Grece, en Russie et dans d'autres pays slaves, les edifices reli­gieux furent restaures, des eccles et des seminaires ouverts et l'impri­merie introduite pour diffuser l'instruction religieuse et l'enseignementde la langue arabe".

A Beyrouth, en 1715, l'eveque Neophyte fit renover l'interieur de lacathedrale Saint-Georges. Nous ne disposons d'aucune descriptioncontemporaine de l'interieur de cette eglise, Du Mesnil du Buisson(1925), qui reprend une communication qui lui a ete faite oralement parle vicomte Ph. de Tarrasi, nous livre le texte suivant :

"Anterieurement, c'est-a-dire jusque vers 1760, a une epoque depersecutions incessantes, Grecs et Maronites se partageaient uneespece de cave divisee en deux nefs par de gros piliers ..."Cette cotation du vicomte de Tarrazi, qui semble en partie inspiree

des chroniques du patriarche 1. Douwayhi (Duweihi 1699), n'indiquepas qu'il s'agissait la de Saint-Georges. D'ailleurs, celle-ci, selon lesternoignages anterieurs, ne ressemblait en rien a une cave. S'agissanttoutefois de deux nefs, il nous semble que le vicomte designait Ie cou­vent des peres capucins, Ie Badriyyah, que les Grecs-Catholiques avaientpartage, au moment du schisme avec les Grecs-Orthodoxes, avec lesMaronites et les Latins. Sans citer de sources, T. Haddad (1963) rap-

20 Sur cette politique de redressement, voir Rustom 1958.21 En 1706, le patriarche Athanase IV introduit, a Alep, la premiere imprimerie arabe.Voir Partington 1978.

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porte que la cathedrale ne comprenait alors qu'un seul autel, et queNeophyte y inaugura deux autres : Saint-BEe et Saint-Nicolas.

n etait aussi question d'instituer un serninaire et d'inaugurer uneimprimerie, dans l'enceinte de Mar ]irjis. Mais ces intentions n'eurentpas de suite, faute de moyens. D'ailleurs, notables et population etaientdivises. Leveque lui-meme, devenu vieux, quasiment aveugle et impo­tent, etait desormais incapable de mener une politique coherente pourmettre fin aux dissensions".

Ainsi, en 1730, grace a l'appui de l'emir Milhim Chihab, les Dahhanet les Yarid, deux familles orthodoxes recernment converties au catholi­cisme, auraient obtenu du gouverneur 'Ali Agha, l'acte officiel qui recon­naissait la communaute grecque-catholique". Toutefois, celle-ci ne dispo­sait pas encore de lieu de cuIte a Beyrouth. Comme, dans l'intervalle, laPropagande avait interdit aux Catholiques orientaux la priere dans deslieux de cuIte orthodoxes, une lutte s'est aussi engagee, entre les deux par­ties, au sujet des edifices religieux ; elle allait permettre aux Catholiques,ala faveur de l'anarchie qui regnait dans le pays, de mettre la main sur deseglises et des monasteres, en ville comme en montagne", Tirant avantagede son amitie avec l'emir Milhim,]irjis Dahhan aurait d'abord mis la mainsur l'autel Saint-Blie de la cathedrale", confiant a un moine choueirite desa propre famille le soin d'y servir la messe catholique. En 1736, CyrilleTanas, qui usurp a momentanernent le siege patriarcal a Damas, prit pos­session de toute l'eglise Saint-Georges, moyennant le paiement d'une

22 En 1723, Neophyte, I'eveque de Beyrouth, avait merne ete force, sous la menace deI'ernir Haydar de se rendre a Saydapour participer a I'election d'un eveque catholiquepour cette ville (Rustom 1958).23 Nous ne pouvons juger de la veracite complete de ces faits. Jalabert (1970), quireprend sans doute Korolevskij (1935), les rapporte sans donner plus de precisions.Cependant, il faut noter qu'un simple agha, ou un emir, n'avait pas autorite de delivrerde tels firmans, qui devaient suivre la voie hierarchique, pour etre enfin agrees et emispar la Porte et renvoye aux wdl! ou aux agha pour execution. Ceci, certes, n'ernpechaitpas les walf et les emirs d'agir souvent de leur propre autorite et meme de la depasser,ce que nous pensons avoir Mele cas.24 Comme, par exemple, Ie couvent de Mar Cha'ya a Broummana et celui de MarYouhanna a Choueir. Cf. Sarkis s.d.25 Cette famille avait-elle contribue a l'edification de cet autel, lors de la renovation deI'interieur de l'eglise en 1715 ? Nous n'avons trouve aucune indication a ce sujet.

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sommed'argent a l'emir Milhim". Detronant Neophyte,il y consacra aussiun eveque grec-catholique,Athanase Dahhan.

Le chaykh Yoiinis Niqoulti alJoubagli, le prenomme Abou 'Askar

Nornme Gouverneur de Beyrouth en 1749, Milhim fut neanmoinsamene a se concilier avec certains notables de la cite. n y prit commeaide-de-camp et conseiller (en arabe ktikhiyat) le chaykh YounisNiqoulaal Joubayli, un notable chretien tres influent.

Ne en 1701,Younis est issue d'une famille de chaykh27, originaire dubourg de Jbeil et etablie en partie a Beyrouth, sans doute depuis lamoitie du Xvleme siecle". Dans son fief natal, cette famille avait ete auservice des emirs de la Montagne, et surtout de l'emir Haydar et de sonfils Milhim, dont le pere de Younis avait ete l'intendant". Les rivalitesqui avaient suivi entre Haydar et Milhim, puis entre ce dernier, quandil fut devenu gouverneur de la montagne, et le wdli de Sayda, avaient­elles amene Milhim a lacher mornentanement les Joubayli et a s'allieraux Dahhan de Beyrouth ? Toujours est-il que lorsque Milhim devintGouverneur de Beyrouth, la confiance semblait retablie entre lui et lesJoubayli puisqu'il confia meme au chaykh Younis le soin de le repre­senter au Diwdn" de la ville.

Grace a l'autorite de Abou 'Askar, qui etait reste fidele a l'ortho­doxie, une partie des batiments religieux de la cornmunaute orthodoxefut restituee au diocese. En 1750, arbitrant enfin le conflit autour des

26 A ce moment la, Cyrille Tanas etait en fuite pour avoir usurpe le siegepatriarcal, en1824, a la mort de Cyrille III. Condamne par le patriarcat ceucurnenique,ilfut poursuivipar les Turcs et se refugia dans la Montagne.27 Les chaykh sont les notables autochtones charges de la collecte de la taxe dans lesbourgs et les districts ruraux du Mont Liban.28 Cette date est fixee par l'arbre genealogique aimablement mis a notre disposition parP. Gebeili.29 Pour des elements de biographie concernant Abou 'Askar, voir Maalouf 1911 etHaddad 1963. On consultera egalement Sarkis s.d, et Chebli et Khalife 1955.30 C'est l'institution urbaine centrale qui reunit, en sus du gouverneur ou de son repre­sentant, le qddi, le dghd, les chefs religieux et les personnalites civiles les plus impor­tantes. Plus tard, sous le gouvernement de jazzar, Younisallait encore etre charge de laferme de la douane et de l'entretien des gens d'armes.

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biens waqj", Milhim ceda aux Catholiques la partie nord du jardin de lacathedrale, ou les moines choueirites allaient elever, en 1780, leurpropre couvent, Saint-Elie. Les Orthodoxes ressaisirent alors leur cathe­drale et Ie siege de leur archeveche. TIsetaient certes depourvus d'unepartie de leurs biens, mais egalement et momentanement debarrassesd'un conflit qui avait epuise la communaute".

Des lors, Chaykh Younis s'employa a poursuivre l'ceuvre de redres­sement cornmencee par Neophyte, mais sous l'autorite de son succes­seur, l'eveque Joachim. Grace a ses efforts et a son assistance financiere,une imprimerie arabe fut etablie a Beyrouth en 1751. 11en devint lui­meme Ie gerant.}. Nasrallah (1983) nous apprend que cette imprimerieserait celle qu'Athanase Dabbas avait fondee a Alep, en 1706, et que lepatriarche Sylvestre fit ensuite venir a Beyrouth, pour contrecarrer 1'ac­tion de l'imprimerie catholique de Mar Youhanna, Quoi qu'il en soit,1'imprimerie fut installee dans le couvent Saint-Georges et entra imme­diatement en fonction, publiant sous le nom de Matba'at al Qiddisjawarjious (Imprimerie Saint-Georges). Ce fut la premiere imprimeriede Beyrouth (Hitti 1972).

En 1759, un vigoureux tremblement de terre secoua severementBeyrouth. Les murs de la cathedrale sont ebranles, de meme que ceuxdu couvent. En raison de l'exiguite des locaux, on pensa alors a recons­truire la cathedrale et a agrandir le couvent. Mais l'eveque Joachim s'op­posa a un tel projet (Haddad 1966).

La reconstruction de la cathedrale Saint-Georges de Beyrouth

Profitant de l'absence mornentanee de l'eveque Joachim du diocese,les fideles passerent outre a son interdiction et prirent l'initiative, en1764, de dernolir leur vieille eglise, pour la rebatir encore plus grande.Le batiment fut acheve au debut de 1767. 11presentait une toiture enare, faite toute d'une piece, sans pilier de soutenement intermediaire.

31 Les dates concernant ce schisme et fournies par Jalabert (1970) ne concordent pasavec celles de Rustom (1958), qui laissent deduire que ces evenement ont eu lieu unedecennie plus tard. Quoi qu'il en soit, ils ne perturbent pas Ie fond de notre analyse.32 En montagne, les Catholiques reussissent a garder certains couvents et leurs pro­prietes, tels que Mar Youhanna a Khenchara et Mar Cha'ya a Broummana.

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Alors, Ie dimanche 4 mars de la meme annee", la voute s'ecroula", Latoiture s'effondra sur les fideles en priere, ensevelissant sous lesdecombres 87 morts (Rustom 1958). L'Eveque, qui celebrait la messesur l'autel de la Vierge dans Ie bayt al nisd' (division reservee auxfemmes), echappa a la mort, mais une partie du couvent contigu al'eglise s'effondra aussi, recouvrant l'imprimerie. Mariti a vu les ruinesde la cathedrale. Dans sa relation (1787: 27), il rapporte :

"... on voit les ruines de la grande eglise des Grecs...3S"La cathedrale fut laissee en I'etat, sans doute a cause des couts eleves

de sa reconstruction, mais aussi en raison des campagnes militaires desemirs Chihab, aux prises avec le wdli de Sayda et le gouverneur de laGalilee, et durant lesquelles Beyrouth fut deux fois bombardee par laflotte russe", forcant la population a fuir la ville". Quand le calme revintapres 1772, les Orthodoxes entreprirent alors de deblayer les ruines et dereconstruire enfin leur cathedrale. On releva aussi de sous les decombresles elements enfouis de l'imprimerie. Celle-ci se remit a fonctionnerquelques temps apres, dans une salle renovee du couvent.

L'eglisefut reconstruite grace aux subsides de son gerant, Ie notableYounis al joubayli et d'autres bienfaiteurs (Haddad 1963). La construc­tion et l'architecture furent confiees a 'Abdallah Abou Ilias, un maitreen batiment que l'on envoya chercher de Lattaquieh. Le bayt al nisd' futelargi, Pour soutenir cette imposante structure, l'eglise fut renforcee pardes arcades interieures et par une quinzaine de piliers exterieurs dressessur les cotes nord, sud et ouest. Don de Abou 'Askar, une tres riche ico­nostase en bois sculpte et entierement recouverte de peinture d'or, y futaussi dressee". Elle a ete faconnee par Ie maitre-sculpteur Wihbah alNajjar, Ie damascain.

33 Selon le calendrier oriental, dit julien.34 Cela voudrait dire que l'eglise fut reconstruite it nef unique couverte d'une voute enberceau. La portee de cette voute etant trop grande, elle se serait ecroulee (NordiguianL. camm. pers.).35 Traduction de l'italien par l'auteur.36 A ce sujet, voir Persen 1955.37 Rustom (1958 : 165) rapporte que le couvent fut pille durant cette periode, D'apresBowring, des pieces de l'imprimerie furent alors egalement volees (Bowring 1840 : 106-107).38 Pour une description de l'iconostase et des ic6nes, voir Chami 1960.

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Debutes sous le mandat de l'eveque Ioachim, les travaux sont com­pletement terrnines dans les annees 1780, sous Macaire, qui inauguraenfin, en 1783, la nouvelle cathedrale, Abou 'Askar sera lui-memeinhume, en 1787, sous l'autel Saint-Elie.

Dans son ouvrage, Buckingham (1825 : 442), apres avoir presenteles quatre eglises de la ville, decrit Saint-Georges en ces termes :

"The first of these, in which we saw the morning mass performedand the sacrament administered by the bishop, on the occasion oftheir Easter-Eve, is a fine lofty building, recently repaired and set inorder, and is fitted up with a splendor almost equal to the Greekchurch in the holy sepulchre atJerusalem".Plus tard, le consul Guys (1850 : 31), en decrivant les trois sane­

tuaires chretiens de la ville, nous dit que l'eglise des "grecs est la plusvaste, la mieux ornee..Elle fut batie pendant la domination des princesde la montagne ... L'eglise grecque de Beyrout est le plus beau templechretien qui existe dans l'Empire ottoman".

Au XIXeme siecle, le dayr Mar Jirjis est au coeur d'un espacecommunautaire structure

Embelli par cette nouvelle construction, Ie dayr Mar Jirjis prit I'as­pect que nous lui connaissons dans les daguerrotypes effectuees sur laville dans les annees 1850.

n se distinguait desormais, de maniere nette, dans le panoramaurbain, sa silhouette se decoupant clairement au-dessus des terrasses,parmi les minarets et les domes qui dessinaient la ligne d'horizon del'agglomeration.

Au debut du XfXeme siecle, Ie couvent etait situe dans un jardind'une centaine de metres cartes". n comprenait, hormis la cathedraleque l'on appelait communement kanisat al Roam, une sorte de tourcarree de trois etages, qui servait d'habitation aux pretres et au per­sonnel. n est probable qu'a une date ancienne, cette curieuse construe-

39 Nous avons estime l'etendue de ce jardin d'apres les plans de Beyrouth de 1841, cf.Davie Michael F. 1984.

LE COUVENT SAINT-GEORGES DE BAYROOT AL-QADiMAT 21

Doc. 1 :La cathedralc Saint-Georgeset Latour carree (Extrait de Debbas 1994)

tion avait ete Ie siege meme de l'Archeveche". A l'est de la cathedrale,une cour, la fushat Mar Jirjis, separait Ie cathedrale du siege del'Archeveche, la rnoutrdnhhdnat ottomane CIamatson de l'eveque) ou Iebaut al moutrdn des Arabes. Forme de plusieurs pieces alignees entre latour carree et la place Nouriyyah, c'etait Ie noyau central de l'occupa­tion. Mise 11part sa fonction residentielle, ce batiment etait un centreadministratif, qui assurait des services publics tels que l'etat-civil, Ie tri­bunal, la collecte des taxes fonciere et militaire, et certaines chargesmunicipales. C'etait egalement un centre social, siege des institutionseducatives et caritatives de la communaute. II abritait un seminaireassorti d'une bibliotheque et qui dispensait l'enseignernent de la reli­gion, du chant liturgique, ainsi que des langues arabe et grecque. En1835, l'eveque dedoubla ce seminaire d'une ecole, la MadrasatBayrout", ou l'on enseignait les langues arabe, grecque, italienne etturque, et aussi I'ecriture, l'arithmetique et la geographie. Bowring(1840 : 106) en parle en ces termes :

" In Beyrout, attached to the Greek church, is a school of good cha­racter, where the Greek is also studied...4211

40 Cette tour allait etre restauree en 1870, puis detruite ala fin du siecle, lors de travauxde restauration de la cathedrale.41 Sur le developpement des eccles orthodoxes de Beyrouth, cf. Davie 1993.42 Curieusement, Bowring attribue la fondation de cette ecole a un certain Mr. Ross, deBladensburg.

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Le centre episcopal comprenait encore un dispensaire que la popu­lation designait par sbitdl (ou hopital}, un local modeste OU l'on prenaitsoin des pauvres, des aveugles et des etrangers demunis. Quant a l'im­primerie Saint-Georges, qui s'etait s'arretee apres la mort du chaykhYounis en 1787, et qui avait repris episodiquement ses travaux(Partington 1978 : 65), elle redernarra pour de bon en 1845, sous l'au­torite d'un nouveau wakil, Fadlallah 'AZar43•

R u <

Doc. 2 .'Croquis relatif au rez-de-chaussec du couvent Saint-Georges en 1935(Source.' Service Foncier de la ville de Beyrouth)

Les cotes occidental et septentrional du jardin de Mar Jirjis etaientoccupes par le vieux cimetiere de la communaute. Durant l'occupationegyptienne, sur ordre de Ibrahim Bacha et pour des raisons d'hygienepublique, ce cimetiere allait etre transfere sur la colline deMar Mitr. Levieux cimetiere resta d'abord desaffecte,puis le terrain fut progressive­ment envahi par des constructions que le waqf fit elever pour etreexploitees au profit des pauvres de la comrnunaute : boutiques, entre­pots et habitations. Le cote ouest de cet espace etait borne par unmarche, le Souq Kanisat al Roum, qui se prolongeait vers Souq al

43 Plus tard, en 1898, sa gerance fut vendue a Ibrahim al Aswad (Khairallah 1912 : 95).

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Najjarin. A la fin du siecle, on allait aussi percer, tout le long de la limitemeridionale de l'espace communautaire, un autre marche, le Souq MarJirjis (Planche 3, en annexe).

Le cote est de cet espace se demarquait du reste par le caracterepublic de ses constructions. n etait agence autour de la place Nouriyyahmenant au mazdr de Sayyidat al Nouriyyah" qui avait donne son noma l'ensemble de ce secteur. Une fontaine, appelee Birkat al Moutran, setrouvait sur cette place, ou prenait encore naissance le sotiq alNouriyyah. Les Orthodoxes detenaient la de nombreuses proprietes etsurtout le khan al Nouriyyah, un centre artisanal et commercial qui ser­vait egalement de gite pour les etrangers de passage dans la cite.

Conclusion

nest remarquable que le daur Mar Jirjis etait l'expression materielled'un appareil communautaire complexe, dont le batiment meme du cou­vent etait au centre et a la tete. C'etait le siege central d'une autorite quidirigeait tout un ensemble urbain, religieux, culturel et charitable, quiregissait la vie des sujets et des institutions de la communaute grecque­orthodoxe de Beyrouth. Mais la communaute n'etait pas qu'une asso­ciation cultuelle. Reconnue par Ie pouvoir ottoman, dans le cadre dusysteme de la millat, c'etait aussi un des nombreux relais de la chaineadministrative provinciale de l'Etat, pour lequel elle remplissait des res­ponsabilites d'ordre public et social, puisque des charges municipales,prefectorales, judiciaires et fiscales lui etait confiees.

Ce dispositif communautaire n'etait neanmoins pas une ville dansla ville. Au contraire, a travers le waqf, une des principales institutionspar lesquelles la ville ottomane etait geree, la communaute etait unappareil de regulation responsable de l'insertion sociale et de l'ordrepublic, de meme qu'un organe de production et d'administrationurbaine".

44 Deux photographies de l'interieur de ce sanctuaire sont presentees dans Goudard 1955.'s Pour une etude detaillee de l'ensemble de ces prerogatives, voir Davie 1993. Sur lesfonctions sociales, economiques et politiques du waqf, cf. Biblici 1994.

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De tels ensembles urbains ri'etaient d'ailleurs ni propres auxOrthodoxes, ni particuliers aux villes ottomanes, ni meme relatifs a uneepoque determinee. A Beyrouth, toutes les cornmunautes chretiennes etmusulmanes disposaient d'equipements semblables, qui etaient plus oumoins etendus selon l'importance de chacune. En sus du sanctuaire etdes institutions charitables annexes, les Maronites, par exemple, admi­nistraient en waqf une qaysariyyah situee dans Ie soiiq des Tisserands(Hayyakin). La communaute sunnite, elle, presentait un dispositifbeau­coup plus developpe. n n'est que de rappeler les centres civiques, nom­breux et varies, que les differentes mosquees geraient : eccles et fonda­tions chari tables certes, mais aussi un outil economique et publicimpressionnant, forme de pressoirs, de boulangeries, d'ateliers, decaves, d'entrepots, de boutiques, de hammdm et d'habitations (Hallaq1985).

Mis en place par les Arabes apres la conquete, ces dispositifsurbains s'etaient multiplies dans toute la region, sous les Turcs, durantIe Moyen-Age. Baptises Kulillie (Koulliyah en arabe), ils connurent unearchitecture specifique (Vogt-GokniI1965 : 47-62), qui allait fortementcaracteriser la morphologic des villes arabo-musulmanes. Durant lameme periode, les villes renaissantes d'Occident avaient egalementdeveloppe de telles infrastructures, autour des monasteres ou des palaisepiscopaux", Ces fondations ont joue un role important dans l'hospita­lite, l'assistance et l'instruction. Mais, comme en Orient, e1lesont aussiencourage la vie commerciale et ont ete l'un des supports du mouve­ment d'expansion urbaine qui a touche de nombreuses villes euro­peennes a cette periode.

Juin 1996

46 A ce sujet, on lira Ragon 1995 et Ducellier, Kaplan et Martin 1990.

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PLANCHE I

La [acade orientale de la cathedralc Saint-Georges en 1995(Cliche de I'auteur, aoti: 1995)

La fresque de la Vierge(Cliche de I'auteur, aotu 1995)

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PLANCHE II

La galerie meridio­nale de la cathedrale(Cliche de I'auteur,aota 1995)

Le linteau de la porte meridionale(Cliche de I'auteur, aotl; 1995)

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PLANCHE III _-

Les derniers vestiges du sotiqMar jirjis, avant leur demolition(Cliche de l'auteur, aoiu 1995)

Un terrain vague IiI'emplacement du couvent et du soaqMar jirjis, et de l'eglise Sayyidat al Nouriyyah(Cliche de l'auteur, aout 1995)

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