21157015 apolonio de rodas las argonauticas traduccion frances texto griego

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las argonáuticas de apolonio de rodas

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  • APOLLONIUS

    TRADUIT PAR J.-J.-A. CAUSSIN

    VIE D'APOLLONIUS

    Apollonius naquit Alexandrie (1), sous le rgne de Ptolme Philadelphe,

    environ 276 ans avant l're vulgaire (2). Son pre, qui tait de la tribu

    ptolmaque, se nommait Ille ou Sille, et sa mre Rhod. Il tudia l'art des

    vers sous Callimaque, pote clbre chri de Ptolme Philadelphe, auquel il

    prodiguait souvent la flatterie, et dont nous avons encore des hymnes crits

    avec autant d'esprit que d'lgance. Les leons d'un tel matre firent bientt

    clore les talents du jeune Apollonius et prendre l'essor son gnie. Il n'avait

    pas encore atteint l'ge viril lorsqu'il fit paratre la premire dition de son

    pome sur l'Expdition des Argonautes. La publication de cet ouvrage fit natre

    entre lui et son matre une rivalit qui dgnra bientt chez Callimaque en une

    haine violente. D'abord il se contenta de critiquer l'ouvrage d'Apollonius et

    l'accusa de vouloir rabaisser les siens (3), mais bientt ne pouvant plus contenir

    son ressentiment il composa contre lui une satire dans laquelle, le dsignant

    sous le nom d'Ibis, oiseau fort commun en Egypte et qui se nourrit de serpents

    et de scorpions, il entasse sur lui les imprcations les plus ridicules. Cette pice,

    dont on doit peu regretter la perte, tait crite d'un style trs obscur puisqu'un

    auteur la cite avec la Cassandre de Lycophron et d'autres ouvrages du mme

    genre, qu'il regarde comme de vastes champs de bataille ouverts tous les

    commentateurs qui veulent les expliquer (4). On peut se faire une ide du

    mauvais got dans lequel elle tait crite, par celle qu'Ovide a compose sous le

    mme titre contre un de ses ennemis. Ovide avait trop de jugement et de

    dlicatesse pour ne pas sentir les dfauts de ce genre nigmatique ; il les expose

    fort bien au commencement de son Ibis, et s'excuse seulement sur l'exemple du

    pote grec (5).

    Nous ignorons si Callimaque borna son ressentiment crire, et s'il ne fit

    pas usage de la faveur dont il jouissait auprs de Philadelphe pour perdre

    Apollonius (6). Ce qui est constant, c'est que celui-ci fut oblig de quitter

    Alexandrie, peu aprs la publication de son pome. Cet exil lui fut d'autant plus

    sensible, qu'il avait pour le lieu de sa naissance un amour qu'on peut aisment

    reconnatre dans une comparaison de son pome, dans laquelle il reprsente un

    homme loign de sa patrie, tournant avec ardeur ses penses vers elle. La

    vivacit et l'nergie du tableau ne peuvent tre que l'effet du sentiment, et l'on

    sent que tous les traits partent du cur (7).

    L'le de Rhodes tait depuis longtemps le sjour des beaux-arts et la retraite

    des illustres malheureux. Apollonius, l'exemple d'Eschine, y leva une cole de

    littrature, et s'y vit bientt entour d'une foule de disciples. Le pome qu'il

  • avait publi Alexandrie, avait t, comme on peut l'imaginer, fort mal reu de

    Callimaque et de ses partisans. Profitant sagement des critiques qu'on en avait

    faites, il s'appliqua soigneusement corriger les dfauts dans lesquels sa

    jeunesse peut-tre l'avait entran et y ajouta de nouvelles beauts.

    Cette seconde dition du pome des Argonautes eut le plus grand succs,

    non seulement Rhodes, mais mme Alexandrie. Les Rhodiens adoptrent

    Apollonius pour un de leurs concitoyens et lui dcernrent plusieurs honneurs.

    Ce fut alors que la reconnaissance lui fit prendre le surnom de Rhodien, par

    lequel on le distingue ordinairement des auteurs qui ont port le mme nom (8).

    Aprs avoir pass une grande partie de sa vie Rhodes, et peut-tre

    seulement aprs la mort de Callimaque, Apollonius fut invit de revenir

    Alexandrie jouir parmi ses concitoyens de sa rputation et des honneurs qu'on

    lui destinait. Il se rendit de si douces instances, il revit sa chre patrie et gota

    le plaisir d'tre couronn par les mains de ceux qui l'avaient fltri. Une place

    distingue, l'intendance de la Bibliothque d'Alexandrie, se trouvant vacante par

    la mort d'Eratosthne (9), Apollonius fut choisi pour lui succder. Son ge dj

    avanc ne lui permit pas vraisemblablement d'occuper longtemps un si beau

    poste. Il mourut, g d'environ quatre-vingt-dix ans, vers la quatorzime anne

    du rgne de Ptolme Epiphane (10) et fut mis dans le tombeau o reposaient

    les cendres de Callimaque. C'tait tout la fois lui faire partager jusqu'aux

    derniers honneurs accords son matre et vouloir effacer le souvenir de leurs

    querelles.

    Aprs avoir fait connatre Apollonius autant qu'il m'a t possible, je dois

    parler de son pome et du jugement qu'en ont port les Anciens.

    Quintilien, en parcourant les auteurs les plus distingus, et qu'il importe le

    plus, suivant lui, de connatre, cite d'abord Homre; Hsiode, Antimaque,

    Panyasis et Apollonius, dont l'ouvrage lui parat surtout recommandable par une

    manire toujours gale et soutenue dans le genre tempr (11). Le jugement de

    Longin, conforme au fond celui de Quintilien, a quelque chose de plus flatteur.

    Ce clbre critique, voulant faire voir que le sublime qui a quelques dfauts doit

    l'emporter sur le genre tempr clans sa perfection, s'exprime ainsi : "En effet

    Apollonius, par exemple, celui qui a compos le pome des Argonautes, ne

    tombe jamais, et dans Thocrite, ts quelques endroits o il sort un peu du

    caractre de l'glogue, il n'y a rien qui ne soit heureusement imagin.

    Cependant aimeriez-vous mieux tre Apollonius ou Thocrite qu'Homre (12) ?

    "

    Quoique Longin mette dans ce passage Apollonius peut-tre beaucoup au-

    dessous d'Homre, on voit qu'il ne connaissait pas de modle plus parfait dans

    son genre. A ces tmoignages je dois en ajouter un bien prcieux, c'est celui du

  • prince des potes latins. On n'imite que ce qui plat davantage. Virgile, en

    imitant Apollonius en tant d'endroits et de tant de manires diffrentes, a

    montr le cas qu'il en faisait, et un auteur anglais a raison d'appeler notre pote

    l'auteur favori de Virgile. Macrobe et Servius (13) ont remarqu depuis

    longtemps que le quatrime livre de l'nide tait presque tout entier tir du

    pome des Argonautes. J.-C. Scaliger (14), tout en traitant d'impudents ceux qui

    osent avancer cette assertion, ne laisse pas de convenir que Virgile a imit

    Apollonius dans beaucoup d'endroits qu'il rapporte, et quoiqu'il prononce

    hardiment que le pote latin est partout bien suprieur, il lui chappe cependant

    quelquefois des loges qui ne sont srement pas suspects. J'ai rapport,

    quelques-unes de ces imitations, et j'aurais pu en rapporter un bien plus grand

    nombre. Je me suis born celles qui pouvaient tre plus facilement senties,

    mme dans une traduction. Quant celles qui consistent plus dans les choses

    que dans les mots et qui appartiennent. la structure du pome, aux pisodes,

    aux caractres des personnages, je laisse en ce moment ceux qui connaissent

    le pote latin le plaisir de les remarquer eux-mmes.

    Une autre preuve de l'estime qu'avaient pour Apollonius les auteurs du

    sicle d'Auguste, c'est la traduction qu'en fit P. Terentius Varron, surnomm

    Atacinus du nom d'une ville ou d'une rivire de la Gaule Narbonnaise,

    aujourd'hui la rivire d'Aude. (15). Ce pote, clbre ami de Properce, d'Horace

    et d'Ovide, tant parvenu l'ge de trente-cinq ans, s'appliqua avec ardeur

    l'tude de la langue grecque et publia sa traduction d'Apollonius, celui de ses

    ouvrage le plus souvent cit par les Anciens et qui parat avoir le plus contribu

    sa rputation (16). Il nous en reste seulement quelques vers que j'ai rapports

    (17). On peut regarder encore, sinon comme une traduction, au moins comme

    une imitation suivie d'Apollonius le pome de Valerius Flaccus, dont il ne nous

    reste que huit livres (18).

    Si quelques critiques franais du dernier sicle n'ont pas jug Apollonius

    aussi favorablement que les Anciens, je crois pouvoir l'attribuer aux difficults

    que renferme cet auteur et aux fautes dont son texte tait rempli avant l'dition

    qu'en a donn Brunck. Ces fautes taient en si grand nombre que, de l'aveu du

    clbre David Ruhnkenius (19), qui en a fait disparatre beaucoup, plusieurs

    habiles critiques auraient bien de la peine corriger celles qui restent encore.

    C'est ici le lieu de parler des ditions d'Apollonius, qui sont au nombre de

    dix, en comptant les deux donnes Oxford par J. Shaw. Je ne m'tendrai pas

    sur les anciennes, toutes, comme je viens de le remarquer, remplies de fautes et

    dont on peut voir ailleurs le catalogue. Henri Estienne est le premier qui ait bien

    mrit de notre auteur par d'heureuses corrections (20) et des notes courtes,

    mais bien faites. On n'en peut pas dire autant de celles de Jrmie Hoelz, lui qui,

    plus de quatre-vingts ans aprs, a donn d'Apollonius une traduction

  • inintelligible et que David Ruhnkenius qualifie avec raison de Tetricus iste et

    inepties Apollonii commentator. Pour se faire une ide du fatras que renferment

    ses notes, il suffit de lire la premire, dans laquelle il cite successivement les

    Actes des Aptres, la comdie des Grenouilles d'Aristophane, le Ier livre des Rois,

    l'nide de Virgile, Oppien et plusieurs mots hbreux.

    Le savant Tib. Hemsterhuys parat tre le premier qui se soit appliqu dans

    ce sicle bien entendre notre auteur et qui en ait remarqu tous les endroits

    corrompus. D. Ruhnkenius, son disciple, profita des leons de sen matre (21).

    Dou d'une critique fine et dlicate, il a corrig plusieurs passages et en a

    clairci un plus grand nombre. Mais personne n'a rendu Apollonius un service

    plus signal que Brunck. Cet illustre savant, auquel la rpublique des lettres est

    redevable de plusieurs ditions qui joignent au mrite de l'excution, celui de

    prsenter de nouvelles leons tires des manuscrits, une ponctuation exacte et

    des corrections heureuses, a donn d'Apollonius une dition bien prfrable

    celles que nous avions dj, qui toutes taient calques les unes sur les autres

    et n'offraient rien de neuf. Brunck a collationn lui-mme cinq manuscrits de la

    Bibliothque nationale et s'est encore procur trois autres collations. A l'aide de

    ces secours et de ceux que lui fournissaient une mmoire heureuse, une

    sagacit rare, une oreille dlicate et accoutume au rhythme potique, il a

    corrig une multitude de passages videmment corrompus et a donn sur

    d'autres des conjectures trs ingnieuses. On lui a reproch d'avoir insr dans

    le texte plusieurs de ses conjectures. Peut-tre la finesse de son got et son zle

    pour la puret des auteurs l'ont-ils emport quelquefois trop loin, mais ce n'est

    pas moi qui ai souvent profit de ces mmes conjectures lui faire un

    reproche d'une hardiesse qui me parat plus heureuse que blmable.

    Il me reste dire un mot de ma traduction, et j'ai encore ici un nouvel

    hommage rendre au savant Brunck. Ayant appris, il y a plusieurs annes, que

    je travaillais cet ouvrage, il me fit passer la traduction qu'il avait faite lui-

    mme des trois premiers livres, accompagne des notes d'un de ses amis. Il

    appelait tout cela ses broutilles sur Apollonius et me permit d'en faire l'usage

    que je voudrais. J'avais dj achev moi-mme cette partie du pome

    d'Apollonius et je travaillais sur le quatrime livre, plus long et plus difficile que

    les autres. Je parcourus avec avidit la traduction de Brunck et je recherchai

    d'abord les endroits les plus difficiles, surtout ceux dont son dition ne m'avait

    pas prsent la solution. J'ai adopt dans plusieurs de ces passages le sens que

    Brunck avait suivi, et j'ai laiss subsister le mien dans d'autres. Quant au reste

    de l'ouvrage, au style de la traduction et la manire de rendre, je n'ai pas pu

    profiter beaucoup du travail de Brunck, qui, ce qu'il m'a paru, n'tait qu'une

    bauche. On doit regretter que ce savant ne l'ait pas acheve.

  • Depuis qu'Apollonius est mieux connu, surtout en Allemagne et en

    Angleterre, plusieurs auteurs, l'exemple des Varrons et des Valrius Flaccus,

    en ont donn des traductions, ou plutt des imitations en vers. Des potes

    anglais distingus en avaient dj fait connatre plusieurs morceaux, lorsqu'il

    parut Londres en 1760, deux traductions du pome entier. L'une est de Francis

    Fawke l'autre d'Edward Barnaby Greene. Il existe aussi une traduction du mme

    auteur en vers allemands, et le prlat Flangini en a publi il y a quelques annes

    une en vers italiens.

    Aprs le sige de Troie, que les posies d'Homre ont rendu si clbre, il n'y

    a pas dans l'histoire des temps hroques d'vnement plus fameux que

    l'expdition des Argonautes. On pourrait dire mme que cet vnement aurait

    t chant bien avant la colre d'Achille, si le pome des Argonautiques,

    compos sous le nom d'Orphe, tait vritablement du chantre de la Thrace.

    Mais les plus savants critiques l'attribuent au devin Onomacrite qui florissait sous

    Pisistrate, environ cinq cent soixante ans avant l're vulgaire (22). Quoique cet

    ouvrage n'ait que le nom de pome, puisqu' il est dpourvu des ornements qui

    font le charme de la posie, il ne laisse pas d'tre prcieux par son antiquit et

    par les notions gographiques qu'il renferme. Plusieurs sicles auparavant,

    Homre avait clbr le navire Argo, son passage entre Charybde et Scylla,

    l'amour de Junon pour Jason et la protection qu'elle accordait son entreprise,

    principal ressort du pome d'Apollonius. Le sjour des Argonautes dans l'le de

    Lemnos, les amours de Jason et d'Hypsipyle, fille du divin Thoas, n'ont point t

    inconnus au chantre d'Achille (23). Il parle de Plias, roi de la grande ville

    d'Iolchos, d'Orchomne, ville des Minyens, surnom donn aux Argonautes (24).

    Il a fait entrer dans ses fictions le terrible Ets et sa soeur Circ, tous deux

    enfants du Soleil et de Pers, fille de l'Ocan (25), et il a adapt, selon Strabon,

    aux voyages d'Ulysse plusieurs circonstances de celui des Argonautes, telles que

    l'le d'Aea, dont le nom est celui de la capitale de la Colchide, et les rochers

    Planciae ou errants, imagins sur les rochers Cyanes qui rendent dangereuse

    l'entre du Pont-Euxin (26).

    Hsiode en traant la gnalogie de ses demi-dieux n'a point oubli de parler du

    voyage de Jason, du tyran Plias et de l'enlvement de Mde (27).

    Mais aucun des plus clbres potes de l'Antiquit ne s'est tendu

    davantage sur ce sujet que Pindare dans sa quatrime Pythique, adresse

    Arcsilas, roi de Cyrne. Aprs avoir rappel dans cette ode, l'origine de la ville

    de Cyrne fonde par Battus, un des descendants de l'Argonaute Euphmus la

    dix-septime gnration, il trace, dans la manire et dans le style qui

    conviennent au genre lyrique, l'histoire des Argonautes. Il s'tend surtout

    beaucoup sur Jason dont il fait une peinture sublime, sur ses exploits en

    Colchide et rapporte les deux circonstances du voyage qui ont trait l'histoire de

  • Cyrne, le sjour des hros dans l'le de Lemnos, o commena la postrit

    d'Euphmus, et leur arrive en Libye.

    Outre le devin Onomacrite, dont j'ai parl, plusieurs potes, qui ne nous

    sont connus que de nom, avaient trait le mme sujet avant Apollonius. Le plus

    clbre est pimnide, de la ville de Gnosse, dans file de Crte, qui florissait plus

    de six cent cinquante ans avant l're vulgaire et dont le pome contenait six

    mille cinq cents vers (28). La plupart des auteurs qui ont crit l'histoire ont

    parl de l'expdition des Argonautes d'une manire qui ne permet pas de douter

    de la certitude de cet vnement (29). On voit par Hrodote que le voyage des

    Grecs en Colchide et l'enlvement de Mde taient des faits connus des Perses

    mmes, et ceux d'entre eux qui taient !es plus verss dans l'histoire

    regardaient l'enlvement d'Hlne, qui arriva deux gnrations aprs, comme

    une reprsaille de celui de Mde. Il parat encore, par le mme historien, que

    ce voyage n'avait eu d'autre objet que le commerce. Du temps de Strabon, il

    existait encore dans plusieurs contres de l'Asie des temples trs respects,

    btis en l'honneur de Jason, et une ville qui portait le nom de Phrixus. On voyait

    encore sur les bords du Phase la ville d'Aea, et le nom d'Ets y tait commun

    (30). Les richesses de ce pays, qui produisait tout ce qui est ncessaire pour la

    marine et qui renfermait des mines abondantes d'or, d'argent et de fer, avaient,

    suivant le mme auteur, excit Phrixus faire le voyage de la Colchide, et les

    Argonautes avaient imit son exemple.

    Les Grecs, avant cette expdition, ne connaissaient que les bords de la mer

    ge et les les qu'elle renferme. Leur marine, encore faible, ne leur permettait

    pas d'entreprendre de longs voyages. Ils n'osrent pendant longtemps pntrer

    dans le Pont-Euxin, qui portait alors le nom d'Axin ou inhospitalier, cause des

    nations barbares qui en habitaient les ctes (31). Ce nom fut, ensuite chang en

    celui d'Euxin ou hospitalier lorsqu'ils commencrent frquenter ces mers,

    peu prs comme le promontoire appel d'abord cap des Temptes fut ensuite

    appel cap de Bonne Esprance, peu avant la dcouverte du passage des Indes,

    dans le quinzime sicle. La puissance des Grecs s'augmenta bientt dans ces

    parages, o ils fondrent de nouvelles colonies. La ville d'Aea avait t

    longtemps le centre d'un commerce considrable. Outre les richesses que son

    sol lui fournissait, elle tait encore l'entrept des marchandises de l'Inde, qui de

    la mer Caspienne remontaient le fleuve Cyrus, d'o, aprs un trajet de cinq jours

    par terre, elles taient embarques sur le Glaucus qui se rendait dans le Phase

    (32). Ce dernier fleuve tait lui-mme navigable jusqu' Sarrapana, et de l l'on

    transportait encore les marchandises sur le Cyrus (33). L'tablissement des

    colonies grecques et les rvolutions de la Colchide, qui fut partage entre

    plusieurs princes, diminurent beaucoup le commerce de la ville d'Aea, qui passa

    presque tout entier entre les mains des Grecs (34). C'est donc la dcouverte du

  • Pont-Euxin et la grande entreprise qui fut le fondement du commerce que les

    Grecs y firent ensuite, qui fait le fond du sujet, si souvent chant sous le titre

    d'Argonautiques ou Expdition des Argonautes Un autre but des potes qui ont

    trait ce sujet, but qui parat surtout dans le retour des Argonautes, a t de

    rassembler les traditions qui existaient de leur temps sur l'origine de plusieurs

    villes et sur les contres les plus loignes, et de donner pour ainsi dire un

    voyage autour du monde alors connu, voyage dans lequel on doit s'attendre

    trouver bien des erreurs. Tout cela est entreml de fictions qu'on entendra

    facilement d'aprs ce que je viens de dire, et sur lesquelles mon dessein n'est

    pas de m'tendre (35) ; car le merveilleux est l'me de la posie, et c'est

    l'anantir que de l'analyser. Je me hte de remettre sous les yeux des lecteurs

    quelques traits de l'histoire des temps hroques qui ont prcd le voyage des

    Argonautes et y sont intimement lis.

    Athamas, fils d'Eolus, roi d'Orchomne, en Botie eut de Nphl, sa

    premire femme, un fils nomm Phrixus et une fille appele Hell. Ino, fille de

    Cadmus, qu'il pousa ensuite, conut une haine violente contre les enfants de

    Nphl et rsolut de les faire prir. Dans ce dessein, elle fit corrompre le bl

    destin ensemencer, et causa ainsi une famine qui obligea Athamas d'avoir

    recours l'oracle de Delphes. Ceux qu'il envoya consulter Apollon, gagns par

    Ino, rapportrent que, pour faire cesser le flau qui dsolait le pays, il fallait

    immoler aux dieux les enfants de Nphl. Phrixus et sa soeur Hell taient dj

    au pied des autels, lorsqu'ils furent tout coup enlevs par Nphl, leur mre,

    qui les fit monter sur un blier la toison d'or, que Mercure lui avait donn. Le

    blier traversant les airs prit la route de la Colchide. Hell se laissa tomber dans

    la mer, et donna son nom l'Hellespont, canal qui conduit de la mer Ege dans

    la Propontide (aujourd'hui le dtroit des Dardanelles).

    Ets qui rgnait alors dans la Colchide tait fils du Soleil et frre de Circ et

    de Pasipha. Il avait de la reine Idie un fils nomm Absyrte et deux filles,

    Chalciope et Mde. Phrixus, son arrive, immola par ordre de Mercure le

    blier Jupiter, qui avait protg sa lutte, et donna sa toison Ets, qui la

    suspendit un chne, au pied duquel veillait sans cesse un dragon. Ets reut

    Phryxus avec bont et lui donna en mariage sa fille Chalciope, dont il eut quatre

    fils, Argus, Mlas, Phrontis et Cytisore.

    Jason qui fut charg de faire la conqute de la Toison d'or tait fils d'son et

    d'Alcimde, et naquit Iolcos ville de la Magnsie dans la Thessalie, situe au

    fond du golfe Plasgique. (aujourd'hui le golfe de Volo). Le royaume d'Iolcos, qui

    devait appartenir son pre Eson, fils de Crthe et petit-fils d'Eolus, avait t

    usurp par Plias. On cacha d'abord la naissance de Jason au tyran, et il fut

    lev dans un antre du mont Plion voisin d'Iolcos, par le Centaure Chiron et les

    soins de Philyre, mre du Centaure, et de Chariclo, sa femme. Lorsqu'il eut

  • atteint l'ge viril, il ne craignit point de se dcouvrir Plias. Celui-ci,

    apprhendant d'tre contraint de lui cder le trne de son aeul, Crthe,

    chercha un moyen de se dbarrasser de Jason. Il feignit d'avoir eu un songe

    dans lequel, suivant les ides superstitieuses des Grecs, Phrixus lui ordonnait

    d'apaiser ses mnes errants, dans une terre trangre, et de rapporter en Grce

    la toison du blier qui lui avait sauv la vie. Plias ajoutait qu'tant trop vieux

    pour excuter lui-mme cette entreprise, il avait consult l'oracle de Delphes qui

    avait dsign Jason pour l'accomplir (36).

    1. Strabon, liv. XIV, p. 655. (Suidas.) Les auteurs des deux notices sur la

    vie d'Apollonius qui se trouvent la tte des ditions de son pome.

    2. C'est l'poque de la naissance d'Eratosthne, contemporain d'Apollonius,

    et comme lui, disciple de Callimaque. (Suidas)

    3. Voici le passage de Callimaque, dans lequel on croit communment qu'il

    a voulu dsigner Apollonius : c'est la fin de l'hymne Apollon.

    "L'Envie s'est approche de l'oreille d'Apollon et lui a dit : " Que vaut un

    pote, si ses vers n'galent pas le nombre des flots de la mer ?" Mais Apollon,

    d'un pied ddaigneux a repouss l'Envie et lui a rpondu : "Vois le fleuve

    d'Assyrie, son cours est immense, mais son lit est souill de limon et de fange."

    Non, toutes les eaux indiffremment ne plaisent pas Crs, et le faible

    ruisseau, qui, sortant d'une source sacre, roule une onde argente toujours

    pure, servira seul aux bains de la desse.

    "Gloire Phbus, et que l'Envie reste au fond du Tartare."

    4. Suidas au mot Callimaque, Clem. Alex. Strom., liv. V.

    5. hunc quo Battiades inimicum devovet Ibin,

    Hoc ego devoveo teque tuosque modo :

    Utque ille, historiis involvam carmins caecis :

    Non soleam quamvis hoc genus ipse sequi.

    Illius ambages imitatus in Ibide dicar ;

    Oblitus moris, judiciique mei.

    Et quoniam qui sis, nondum quaerentibus edo ;

    lbidis interea tu quoque nomen habe.

    Utque mei versus aliquantum noctis habebunt;

    Sic vitae series tota sit atra tuae.

    Ovid., Carm. in Ibin., v. 53.

    "Je te dvoue aujourd'hui, toi et les tiens, par des imprcations semblables

    celles par lesquelles le fils de Battus (Callimaque) dvoua son ennemi Ibis ;

    comme lui j'envelopperai mes vers d'histoires obscures, quoique ce genre soit

  • fort loign du mien ; et pour imiter ses ambages, j'oublierai un moment mon

    got et ma manire. Reois donc le nom d'Ibis, puisque je ne veux pas encore te

    faire connatre autrement, et que toute ta vie soit tnbreuse comme mes

    vers."

    6. Le passage de Callimaque que j'ai rapport dans une note prcdente, le

    ton triomphant qui y rgne, me font croire que Callimaque eut quelque part

    l'exil d'Apollonius : "Apollon dit-il, a repouss du pied l'Envie." Qui ne voit que

    sous le nom d'Apollon, ce pote courtisan dsigne Philadelphe, et qu'il y a ici une

    allusion l'exil d'Apollonius ? Dans un autre endroit (Epig. 22), il se vante

    d'avoir chant mieux que son rival.

    7. Voici cette comparaison, qui se trouve dans le second chant : Ainsi

    lorsqu'un mortel errant loin de sa patrie, par un malheur trop commun, songe

    la demeure chrie qu'il habitait, la distance disparat tout coup ses yeux, il

    franchit dans sa pense les terres et les mers, et porte en mme temps ses

    regards avides sur tous les objets de sa tendresse.

    8. Le savant Meursius a compos un catalogue des auteurs qui ont port le

    nom d'Apollonius, dans lequel il fait de notre pote deux personnages ditfrents,

    l'un d'Alexandrie, l'autre de Rhodes. Cette erreur a t corrige par Vossius,

    dans son ouvrage sur les historiens grecs, liv. I, ch. 16. On peut ajouter aux

    tmoignages qu'il produit, celui de Strabon qui dit formellement qu' Apollonius,

    auteur du pome des Argonautes, tait d'Alexandrie, et portait le surnom de

    Rhodien. (Strabon, lib. I, p. 6.,5.) Il parat par un passage d'Athne (Deipn.,

    lib. VII, p. 283), et par un autre d'lien (De anim. lib. XV, cap. 23), qu'on

    donnait aussi quelquefois notre pote un surnom tir de la ville de Naucratis

    dans la basse gypte.

    Je ne puis m'empcher de relever ici une autre erreur sur Apollonius, toute

    contraire je crois, celle de Meursius. Dans le discours prliminaire qui est la

    tte de la traduction des Hymnes de Callimaque, l'auteur fait d'Apollonius un

    portrait assez hideux, et cite le tmoignage des Anciens. J'ai recherch et lu

    avec attention tous les passages des anciens crivains qui ont parl d'Apollonius,

    et je n'en ai trouv aucun qui puisse, je ne dirai pas confirmer, mais faire natre

    l'ide que l'auteur dont je parle, nous donne d'Apollonius. Notre pote n'aurait-il

    pas t confondu avec un autre Apollonius, grammairien clbre, dont le surnom

    de Dyscole pourrait faire souponner qu'il tait d'un caractre chagrin et difficile

    ? Je n'ose l'affirmer, et je n'aurais pas mme fait cette remarque, si la

    perscution qu'prouva Apollonius, perscution qui n'est pas la seule qu'on

    puisse citer dans l'histoire littraire, ne me faisait autant aimer sa personne que

    ses vers.

  • 9. Arrive 196 ans avant l're vulgaire. Suidas. Voss. de Hist. graec, lib. I,

    cap. 17.

    10 186 ans avant l're vulgaire. (Voyez Mmoires de l'Acadmie des belles-

    lettres, t. IX, p. 404. )

    11. "Paucos enim qui sont eminentissimi, excerpere in animo est." Et plus

    bas : "Apollonius in ordinem a grammaticis datum non venit, quia Aristarchus

    atque Aristophanes, poetarum judices, neminem sui temporis in numerum

    redegerunt : non tamen contemnendurn edidit opus aequali quidam

    mediocritate. Quintil. Inst. orat. lib. X, cap. 1." On se tromperait grossirement,

    si en traduisait mediocritas dans ce passage, par notre mot mdiocrit.

    Quintilien dsigne par le mot mediocritas, le genre que nous appelons

    aujourd'hui tempr, et qu'un ancien appelle mediocris oratio, qui tient le milieu

    entre, gravis oratio, et attenuata oratio, genre auquel il est difficile d'atteindre,

    selon le mme auteur ; ad Heren., lib. IV, . 8 et 10. Cicron donne ces trois

    genres les noms de subtile, modicum vehemens. La douceur et les grces sous

    l'apanage du genus modicum, qui est fait proprement pour plaire. Orator, cap. X

    et XII.

    12. Longin, Trait du Subl. ch, XXXIII, traduction de Despraux.

    13. Macr. Saturn., lib. V. ch. 17. Servius, ad Aen., lib. IV. v. 1. Vos. de Imit.

    cap I.

    14. Jules-Caesar Scaliger, Poet., lib. V, cap. 6.

    15. A peu prs dans le mme temps, Cornelius Gallus, qui Virgile a

    adress sa dixime glogue, traduisit en latin un autre pote grec contemporain

    d'Apollonius, Euphorion de Chalcis, bibliothcaire dAntiochus le Grand.

    16. Quintilien, cap. I, Voss. de Poet. lat. id. de Historia latina.

    Varronem, primamque ratem quae nesciat aetas,

    Aureaque Aesonio terga petita duci ?

    Ovid. Amor. I, 15, -21.

    17. Virgile a emprunt des vers entiers de cet auteur. (Servius, ad Georg. I,

    377, id., ad Georg., II, 404.)

    18. Pet. Crinitus, de Poet. lat, lib. IV, cap. 66. Marianus, qui florissait sous

    l'empire d'Anastase 1er, au commencement du sixime sicle, avait fait une

    mtaphrase en vers iambiques du pome d'Apolonnius, Suidas, Voss. de poet.

    graec.

    19. Epist. crit. II, p. 172 editio secunda.

  • 20. H. Estienne ne cite qu'une seule fois l'auteur d'un manuscrit. C'est sur

    le vers 494 du livre I, et la correction qu'il fait en cet endroit, se trouvait dj

    dans l'dition de Paris de 1541. J'ai vu un exemplaire de celle dernire dition,

    qui a appartenu au clbre Passerat, successeur de Ramus, dans la place de

    professeur d'loquence au Collge de France. Passerat y a soulign tous les

    endroits qui ont t imits par Virgile, Ovide, Properce, etc., mais sans citer les

    vers de ces potes.

    21.David Ruhnkenius, Epist. crit. II, p. 189 et 190.

    22. Hrodote, 7, 6. Clm, Alex. Strom. 1, Voss. de Poet. graec.

    23. Odyss. VII, 468, XII, 70, XIV, 230, XXIII, 745.

    24. Ibid. XI, 255 et 258.

    25. Ibid. VII, 37, X, 135.

    26. Strabon, 1, p. 21.

    27. Hsiode, Thog. v. 995.

    28. Diog. Laert. Voss. de Poet, graec. Id. de Hist, graec. On cite encore

    Clon de Curium dans l'le de Crte, dont Apollonius avait emprunt beaucoup de

    choses, suivant le tmoignage d'Asclpiade de Myrte (rapport dans la Scholie,

    I, 623.) Hrodote, et aprs Apollonius, Denys de Milet ou de Mitlylne. (Giraldi,

    de Poet. hist. dial. IV, p. 245. Fabr. Bib. graec. 2, 522.) Mais il ne me parat pas

    qu'ils aient crit en vers, et l'ouvrage du dernier, intitul Argonautiques, en six

    livres, tait certainement en prose. (Suidas.)

    29. Justin, Histor. lib. LXLI, cap. 2 Diod., lib. IV, Hrodote, lib. I, cap. 2,

    3.

    30. Strabon, liv. 1, p. 45.

    31. Pline, liv. VI, chap. 1.

    32. Casaub. Comm. in Strab. p. 205.

    33. Strab, liv. XI, page 498. Pline, liv. VI, chap. 4.

    34. On peut juger de l'tendue du commerce de Dioscurias, colonie

    grecque, peu loigne de la ville d'Aea, par ce que rapporte Pline, qu'il s'y

    rendait trois cents nations, dont la langue tait diffrente, et que les Romains y

    avaient cent trente interprtes pour les affaires de leur commerce. Pline, liv. VI,

    chap, 5. Strab. ubi supra.

    35. Le savant Meziriac, dans ses commentaires sur la sixime ptre

    d'Ovide, a rassembl avec une exactitude prcieuse tout ce qu'on trouve dans

  • les Anciens sur le navire Argo, le blier de la Toison d'or, et plusieurs autres

    circonstances de ce voyage. On peut voir aussi les dissertations de Banier dans

    les Mmoires de l'Acadmie des belles-lettres, t. 7 et 12. J'avertis que cet auteur

    se trompe souvent lorsqu'il cite Apollonius.

    36. Apollodore, liv. I. Pindare, Pyth. 4me Argonauticn hypothesis, la

    tte des ditions d'Apollonius.

    Voyez aussi l'Examen de la tragdie de la Conqute de la Toison d'or, par

    Pierre Corneille. On ne lira pas, je crois, sans intrt, ce morceau trac par la

    main d'un grand pote, profondment vers dans la connaissance des Antiquits

    grecques et latines, et dont les plus faibles compositions rappellent ce vers

    d'Horace.

  • APOLLONIUS TRADUIT PAR J.-J.-A. CAUSSIN

    L'EXPDITION DES ARGONAUTES ou

    LA CONQUTE DE LA TOISON D'OR POME EN QUATRE CHANTS

    CHANT PREMIER Exposition du sujet. - Dnombrement des Argonautes - Regrets d'Alcimde, mre de Jason - Jason est lu chef de l'expdition. - On lance le vaisseau la mer. - Sacrifice en l'honneur d'Apollon ; querelle entre deux des Argonautes ; Orphe chante en s'accompagnant de sa lyre. - Dpart du vaisseau ; souhaits du centaure Chiron ; chants d'Orphe. - On aborde lle de Lemnos ; description du manteau de Jason. - Dpart de Lemnos ; adieux d'Hypsipyle et de Jason. - On descend dans lle de Samothrace et ensuite dans le pays des Dolions, sur les bords de la Propontide. - Combat contre des gants. - Les Argonautes ayant quitt le pays des Dolions y sont rejets par les vents contraires. - La nuit empche de se reconnatre ; on se bat. - Mort de Cyzique, roi des Dolions et de Clit son pouse. - Douleur des Argonautes ; sacrifice Cyble. - On aborde en Mysie, prs du fleuve Cius. - Hylas est enlev par une nymphe, tandis qu'Hercule et Polyphme sont occups le chercher, le vaisseau part. - Colre de Tlamon ; apparition de Glaucus. Exposition du sujet C'est en t'invoquant, divin Apollon, que je commencerai clbrer la gloire de ces anciens hros qui, par l'ordre du roi Plias (1), firent voguer le navire Argo travers l'embouchure du Pont-Euxin et les rochers Cyanes (2) pour conqurir une toison d'or. Ton oracle avait prdit Plias qu'il prirait par les conseils d'un homme qu'il verrait paratre en public avec un seul brodequin. Peu de temps s'tait coul depuis ta prdiction, lorsque Jason, traversant pied l'Anaurus (3), laissa l'un des siens au fond du fleuve. Il se rendait alors un sacrifice que Plias offrait Neptune et aux autres divinits. Junon seule n'y tait pas invoque (4). A la vue de Jason, Plias se souvint de l'oracle ; et pour se soustraire au danger qui le menaait, il commanda au hros d'entreprendre une navigation dangereuse, esprant qu'il prirait au milieu des mers ou des nations trangres. Argus, s'il faut en croire la renomme qui a transmis son nom d'ge en ge, construisit le vaisseau sous les ordres mmes de Minerve ; pour moi, inspir par les Muses, je dirai l'origine et le nom des hros qui le montrent, les mers qu'ils parcoururent et les exploits par lesquels ils se signalrent en errant sur divers rivages. Dnombrement des Argonautes Orphe sera le premier objet de mes chants, Orphe, fruit des amours d'agrus (5) et de Calliope, qui lui donna le jour prs du mont Pimple (6). Les rochers et les fleuves sont sensibles aux accents de sa voix, et les chnes de la Pirie, attirs par les doux sons de sa lyre, le suivent en foule sur le rivage de la Thrace, o ils attestent encore le pouvoir de son art enchanteur (7). Ce fut par les conseils de Chiron que le fils d'son reut au nombre de ses compagnons le chantre divin qui rgnait sur les Bistoniens (8).

  • Astrion accourut un des premiers pour partager la gloire de cette expdition. Comts son pre, habitait Pirsies (9), situe prs du mont Phylle, l'endroit o l'Apidan et l'nipe mlent ensemble leurs eaux. Anim de la mme ardeur, Polyphme abandonna le sjour de Larisse, Polyphme qui s'tait autrefois signal dans le combat des Lapithes et des Centaures (10). II tait alors le plus jeune des Lapithes ; aujourd'hui son corps est appesanti par les annes, mais son courage est toujours aussi intrpide. Iphiclus ne tarda point quitter Phylac, frre d'Alcimde, mre de Jason, les liens du sang l'excitaient voler au secours de son neveu. Le roi de Phres, le brave Admte, ne voulut point rester l'ombre du mont Chalcodon, qui couvre celle ville opulente. Deux fils de Mercure, Erytus et chion, distingus par leurs richesses et savants dans l'art d'employer habilement la ruse, quittrent bientt Alop. thalide, autre fils du mme dieu, se joignit eux. Eupolmie, fille de Myrmidon, l'avait mis au monde sur les bords de l'Amphryse (11). Les deux autres avaient pour mre Antianire, fille de Mntus. Coronus, habitant de Gyrtone, tait fils de Cne. Tout brave qu'il tait, il ne surpassait pas son pre, qui avait mis en fuite les Centaures et les poursuivait avec ardeur lorsque le voyant seul et loign de ses compagnons, ils se rallirent et vinrent fondre tous ensemble sur lui. Malgr leurs efforts, ils ne purent ni le blesser ni l'abattre; mais toujours ferme et invulnrable, il s'enfona tout vivant dans les entrailles de la terre, cdant aux coups des normes sapins dont ils taient arms (12). Mopsus, habitant des bords du Titarse, instruit par Apollon lui-mme dans la science des augures, Eurydamas, fils de Ctimnus, habitant de la ville de Ctimne, prs du lac Xynias, Mnoelius, envol d'Oponte (13) par son pre Actor, voulurent aussi partager, la gloire et les dangers de cette entreprise. Eurytion, le vigoureux ribots, celui-ci fils de Tlon, l'autre d'Irus, fils d'Actor, suivirent leur exemple. Avec eux marchait Ole, aussi clbre par sa bravoure qu'habile poursuivre un ennemi qu'il a mis en fuite. L'Eube vit sortir de son sein ses plus illustres habitants. Canthus suivait avec joie les ordres de son pre Canthus, fils d'Abas. II ignorait, l'infortun! qu'il ne reverrait jamais Crinthe sa patrie, et qu'il prirait avec le devin Mopsus sur les confins de la Libye. Faibles humains, il n'est donc pas de malheur si imprvu qui ne puisse nous arriver! Ces deux guerriers sont ensevelis dans la Libye, et la Libye est aussi loigne de Colchos, que l'orient l'est de l'occident. Clytius et Iphitus, qui rgnaient dans chalie, taient fils du cruel Eurytus, Eurytus qui l'arc qu'il avait reu d'Apollon devint fatal, aussitt qu'il eut la tmrit de disputer d'adresse avec son bienfaiteur. Tlamon et Ple, tous deux fils d'acus, n'arrivrent cependant pas ensemble. Obligs de sortir d'gine cause du meurtre involontaire de leur frre Phocus, ils avaient transport leur sjour dans des lieux diffrents. Tlamon habitait l'le de Salamine, et Ple la ville de Phtie. Le vaillant Buts, fils du brave Tlon et le belliqueux Phalre avaient quitt le pays o rgna Ccrops. Quoique Phalre ft le seul rejeton d'Alcon, le fruit de sa vieillesse et le

  • soutien de ses jours, son pre lui-mme lui avait ordonn de partir pour se signaler parmi tant de hros. Tu ne pus les accompagner, illustre descendant d'rechte, gnreux Thse! Un lien fatal te retenait alors dans les cachots souterrains du Tnare, o tu avais suivi ton ami Pirithos. Sans doute votre valeur aurait, t pour les Argonautes un puissant secours! Tiphys, fils d'Agnias, habile prvoir les temptes et diriger un navire, en observant tantt le soleil et tantt l'toile du nord, partit de Sipha (14), ville des Thespiens, pour se joindre aux hros qui souhaitaient de l'avoir pour compagnon. Minerve elle-mme lui en avait inspir le dessein ; Minerve dont les mains divines construisirent avec Argus ce vaisseau fameux, suprieur tous ceux qui ont fendu jusqu'ici le sein des flots. Phlias, riche des dons de Bacchus son pre, habitait la ville d'Arthyrie (15), prs des sources de l'Asopus. Talas, Arius, le brave Lodocus, tous habitants d'Argos, taient fils de Bias et de Pro, que Mlampus obtint pour son frre, aprs avoir endur bien des maux dans les tables d'Iphiclus (16). Hercule, l'invincible Hercule, ne ddaigna pas lui-mme de se rendre aux vux de Jason. Il revenait alors d'Arcadie, d'o il avait rapport sur ses larges paules le fameux sanglier d'rymanthe, qu'il avait expos tout vivant et charg de liens aux yeux des habitants de Mycnes. C'tait de lui-mme et sans l'ordre d'Eurysthe qu'Hercule marchait cette expdition. Son fidle Hylas l'accompagnait, Hylas, en qui brillait la fleur de la premire jeunesse, qui portait l'arc et les flches du Hros. Avec eux vint Nauplius, issu d'un hros du mme nom, clbre par son habilet dans l'art de la navigation, fruit des amours de Neptune et de la belle Amymone, fille du divin Danas. Idmon fut le dernier de ceux qui arrivrent d'Argos. La science des augures lui avait appris qu'il marchait une mort certaine. Il partit cependant pour ne point fltrir sa rputation. Quoiqu'il passt pour fils d'Abas et descendant d'Eolus, il avait eu pour pre Apollon, qui lui enseigna l'art de prvoir l'avenir en observant le vol des oiseaux et les entrailles des victimes. Le vigoureux Pollux, Castor habile dompter les coursiers, tous deux fruits d'un seul et pnible enfantement, furent envoys de Sparte par leur mre elle-mme, fille d'un roi d'tolie. Digne pouse de Jupiter, Lda ne craignit point de se sparer de ses enfants chris. Les fils d'Aphare, Lynce et le violent Idas, pleins de confiance dans leurs forces extraordinaires, taient sortis d'Arne (17). Lynce, si l'on en croit la renomme, portait ses regards perants jusque dans les entrailles de la terre. Priclymne, l'an des enfants qui naquirent Nle dans la ville de Pylos, marchait avec eux. Neptune lui avait donn une force invincible et le pouvoir de prendre en combattant toutes sortes de formes (18). Deux fils d'Alus, Amphidamas et Cphe, habitants de la ville de Tge et de cette partie de l'Arcadie qui chut en partage Aphidas (19), taient accompagns d'Ance, fils de Lycurgue, leur frre an. Oblig de rester lui-mme prs du vieux Alus pour avoir soin de ce pre chri, Lycurgue avait envoy son fils avec eux. En vain, pour le retenir, Alus avait fait cacher ses armes. Le bras gauche couvert de la peau d'un ours du mont Mnale, il agitait de la main droite une norme hache deux tranchants. Auge, que la renomme disait issu du Soleil, rgnait sur les habitants de l'lide. Fier de ses richesses, il souhaitait avec passion de voir la Colchide et le roi Ets. Pousss par le mme dsir, Astrius et Amphion, fils d'Hyprasius, sortirent de Pellne, btie par leur aeul Pells sur le rivage de la mer qui borde l'Achae.

  • Euphmus quitta le promontoire Tnare (20) ; Euphmus, issu de Neptune et d'Europe, fille du gant Tityus, qui pouvait courir sur les flots en mouillant seulement la plante de ses pieds (21). Deux autres fils du mme dieu, Erginus, le fier Ance, habiles dans l'art de combattre et de conduire un vaisseau, taient partis l'un de l'illustre Milet et l'autre de Samos, demeure de Junon Imbrasienne (22). Le fils d'OEne, Mlagre, peine sorti de l'enfance, parut aussi parmi ces hros. S'il ft rest encore un an Calydon, Hercule seul et pu l'emporter sur lui. Le soin de sa conduite tait confi Laocoon, dj avanc en ge, n du mme pre qu'OEne, mais d'une mre esclave. Il tait encore accompagn d'Iphiclus, son oncle maternel, aussi habile lancer un javelot qu combattre de prs l'ennemi. Au milieu d'eux, on voyait s'avancer pas ingaux, Palmonius, fils de Lernus, ou plutt du dieu Vulcain. Tout boiteux qu'il tait, il fut admis parmi les hros arms pour la gloire de Jason, et sa valeur le mettait au-dessus de toute insulte. Le lien sacr de l'hospitalit unissait avec Jason Iphitus, fils de Naubolus et petit-fils d'Ornytus. C'tait en allant Delphes consulter l'oracle sur son expdition, que le fils d'son avait t reu chez ce gnreux habitant de la Phocide. Deux fils de Bore, Calas et Zths, attiraient sur eux les regards tonns. Leur mre Orithye se jouait sur les bords de l'Ilissus (23), lorsqu'elle fut tout coup enleve par Bore, qui la transporta jusqu'aux extrmits de la Thrace et, l'enveloppant de nuages pais, lui ravit sa virginit prs du rocher de Sarpdon et du fleuve Erginus. Les fruits de cet hymen, touchant lgrement la terre de leurs pieds, agitaient de larges ailes parsemes d'toiles d'or. Une paisse chevelure flottait au gr du vent sur leurs paules. Acastus lui-mme, fils du roi Plias, ne put se rsoudre rester oisif dans le palais de son pre. Bientt il devait se joindre aux Argonautes, aussi bien qu'Argus qui avait construit le vaisseau sous les ordres de Minerve. Tels taient les compagnons de Jason, qui, descendus comme lui la plupart des filles de Minyas (24), se faisaient appeler les princes Minyens. Regrets d'Alcimde, mre de Jason Dj tout tait prpar pour le dpart, et ils traversaient la ville d'Iolcos pour se rendre au port de Pagases, sur le rivage de la Magnsie. Le peuple accourait en foule sur leur passage. Couverts de leurs armes, ils s'avanaient grands pas au milieu de cette multitude, semblables des toiles, dont l'clat perce travers les nuages : Grand Jupiter, disait-on, autour d'eux, quel est donc le dessein de Plias ? et pourquoi envoyer loin de la Grce un si grand nombre de hros ? Sans doute le jour mme qu'Ets refusera de leur livrer la brillante Toison, objet de leurs dsirs, il verra son palais devenir la proie des flammes. Mais, hlas! que de chemin parcourir ! que de dangers essuyer ! Tandis que les hommes parlaient ainsi, les femmes, levant leurs mains au ciel, priaient les dieux d'accorder aux Argonautes un heureux retour et se disaient l'une l'autre en pleurant : Mre infortune, pauvre Alcimde, le sort, qui t'avait pargne si longtemps, te fait aujourd'hui sentir ses rigueurs et tu n'as pu goter le bonheur jusqu' la fin de tes jours ! Et toi, malheureux Eson, ne vaudrait-il pas mieux que tu fusses dj descendu dans le tombeau ! Plt aux dieux que le flot qui fit prir Hell et aussi prcipit Phrixus et son blier dans la mer ! Mais non, par un prodige effroyable,

  • l'animal fit entendre une voix humaine pour tre cause un jour du malheur d'Alcimde (25). Cependant la mre de Jason, environne d'une troupe d'esclaves et de femmes plores, tenait son fils serr dans ses bras ; tandis que son, accabl sous le poids des ans et retenu dans son lit, s'enveloppait le visage et touffait ses sanglots. Le hros, aprs avoir tch de les consoler, demande enfin ses armes. Des esclaves consterns les lui prsentent en gardant un morne silence. Alcimde sent alors redoubler sa douleur et, tenant toujours son fils embrass, elle verse des torrents de pleurs. Telle une jeune fille qu'un sort cruel, aprs lui avoir enlev tous ses parents, a rduite vivre sous l'empire d'une martre qui lui fait tous les jours essuyer de nouveaux outrages, lorsqu'elle se trouve seule avec sa fidle nourrice, se jette entre ses bras, laisse clater sa douleur et donne un libre cours ses larmes : Malheureuse que je suis, s'criait Alcimde, plt aux dieux que j'eusse rendu le dernier soupir le jour mme o j'ai entendu Plias prononcer cet ordre fatal ! Tu m'aurais toi-mme ensevelie de tes mains, mon cher fils ! C'est le seul devoir que j'avais encore attendre de toi, puisque j'ai dj reu, dans tout le reste, la rcompense des soins que m'a cots ton enfance. Mais maintenant, abandonne comme une esclave, moi dont toutes les femmes thessaliennes enviaient autrefois le bonheur, je scherai de douleur dans un palais dsert, prive d'un fils qui faisait toute ma gloire, pour qui seul j'ai dli ma ceinture et implor le secours de Lucine. Car la desse, pour me rendre cette faveur plus chre, ne voulut pas qu'elle ft suivie d'aucune autre. Cruelle destine ! l'aurais-je pu jamais penser, que la fuite de Phrixus serait la source de mon malheur! Tandis qu'Alcimde se plaignait ainsi d'une voix entrecoupe de sanglots, ses femmes attendries, gmissaient autour d'elle : Ma mre, lui rpondit tendrement Jason, cessez de me dchirer par cet excs de douleur. Vos larmes, au lieu de remdier mes maux, ne font que les irriter. Les dieux dispensent leur gr les malheurs aux faibles mortels. Supportez avec courage ceux qu'ils vous envoient, quelque cruels qu'ils soient. Ayez confiance dans la protection de Minerve, dans les oracles d'Apollon, enfin dans le secours de tant de hros. Surtout, restez dans ce palais avec les femmes qui vous entourent et n'apportez pas par vos pleurs un sinistre prsage au dpart du vaisseau vers lequel mes amis et mes esclaves vont m'accompagner. Il dit et s'avance grands pas hors du palais. Tel qu'on voit Apollon dans lle de Dlos, Delphes, Claros, ou dans les plaines de la Lycie, sur les bords du Xanthe, lorsque sortant de son temple, parfum d'encens, il parat aux yeux des mortels, tel Jason marchait travers la foule du peuple, qui faisait retentir l'air de ses acclamations. (26) La vieille Iphias, prtresse de Diane, desse tutlaire de la ville, se rencontrant sur son passage, lui baisa la main droite. Elle aurait aussi voulu lui parler, mais la foule plus alerte la repousse, et Jason est dj loin d'elle. Jason est lu chef de l'expdition. Lorsqu'il fut arriv sur le rivage de Pagases, ses compagnons, qui l'attendaient prs du vaisseau s'avancrent sa rencontre et s'assemblrent autour de lui. Ce fut alors qu'on vit avec tonnement descendre de la ville, Acaste et Argus, qui accouraient de toutes leurs forces l'insu de Plias. Argus tait couvert de la peau d'un taureau noir, qui lui descendait jusqu'aux pieds. Acaste portait un superbe manteau dont sa sur Plopie lui avait fait prsent. Jason, sans s'amuser leur faire aucune question sur leur arrive,

  • invita tous ses compagnons tenir conseil. Les voiles encore roules et le mt, qui tait couch par terre, leur servirent de siges : Compagnons, leur dit-il, tout est prpar pour notre dpart, le vaisseau est pourvu de tout ce qui est ncessaire, et si les vents secondent nos dsirs, rien ne peut dsormais nous arrter. Mais puisque nous n'avons tous qu'un mme dessein, puisque nous devons affronter ensemble les dangers du voyage et revenir ensemble dans la Grce, unissons-nous par un lien commun. Choisissez hardiment le plus vaillant d'entre vous, qu'il commande aux autres, qu'il veille sur tout, et qu'il fasse son gr la paix ou la guerre avec les nations chez lesquelles nous devons aborder. A ces mots, chacun tournant les yeux vers Hercule, assis au milieu de l'assemble, un cri gnral lui dfrait le commandement. Le hros, sans se lever, fit signe de la main et pronona ces mots : Qu'aucun de vous ne songe m'accorder cet honneur, je ne puis ni l'accepter ni souffrir qu'aucun de ceux qui sont ici l'accepte. Celui dont le danger nous rassemble aujourd'hui, doit seul nous commander. On lance le vaisseau la mer Ce discours magnanime fut suivi d'un applaudissement gnral, et Jason reprit ainsi la parole avec joie : Amis, puisque vous voulez bien me confier ce glorieux emploi, que rien ne nous retienne plus ici davantage. Implorons la faveur d'Apollon par un sacrifice, clbrons en son honneur un festin, et en attendant que mes esclaves aient amen les victimes qu'ils vont choisir parmi mes troupeaux, lanons le vaisseau la mer, et tirez les places au sort. Nous lverons ensuite sur le rivage un autel au dieu qui doit protger notre embarquement et m'a promis dans ses oracles de nous servir lui-mme de guide travers l'immensit des mers si je commenais cette entreprise en lui adressant mes vux. Il dit, et le premier se dispose au travail. A son exemple, tous ses compagnons s'tant levs, dposrent leurs vtements sur un rocher poli qui, baign dans les temptes par les eaux de la mer, tait alors l'abri des flots (27). Leur premier soin fut d'entourer le vaisseau, suivant le conseil d'Argus, d'un cble bien tendu pour assujettir la charpente et la fortifier contre la violence des flots. Ils creusrent ensuite depuis la proue jusqu' la mer, un foss d'une largeur suffisante et dont la pente augmentait toujours de plus en plus. On le garnit de pices de bois bien polies, et on inclina la proue sur les premires, afin qu'emport par son propre poids et pouss force de bras, le vaisseau glisst plus facilement. On retourna les rames et on les attacha plus fortement aux bancs. S'tant ensuite rangs autour du vaisseau, ils appuyrent contre les extrmits des rames leurs bras et leur poitrine. Tiphys, mont sur la poupe, donna le signal en jetant un grand cri. Au mme instant, chacun dploie toutes ses forces; le vaisseau s'branle, un dernier effort le pousse en avant, il glisse avec rapidit. On le suit en courant et en jetant des cris de joie. Les poutres gmissent et crient sous le poids, une paisse fume s'lve dans les airs, le vaisseau se prcipite dans les flots. On le retient avec des cordes prpares pour cet usage. On arrange ensuite les rames, on apporte les voiles, le mt et les provisions. Tout tant ainsi dispos, on tira les places au sort. Chaque banc contenait

  • deux hommes. Celui du milieu fut rserv d'une commune voix Hercule et Ance. Tiphys fut charg de diriger le gouvernail. Sacrifice en l'honneur d'Apollon On ramassa ensuite des pierres sur le rivage, on leva un autel Apollon, protecteur des rivages et des embarquements, et on tendit dessus des branches sches d'olivier. Dans le mme temps, les esclaves de Jason amenrent deux taureaux. Les plus jeunes d'entre les Argonautes les conduisirent au pied de l'autel, et prsentrent avec l'orge sacre l'eau ncessaire pour laver les mains. Jason s'adressant alors Apollon : toi ! dit-il, protecteur de Pagases et de la ville d'sonie, laquelle mon pre a donn son nom, Apollon, coute ma prire! Ce sont tes oracles qui m'ont engag dans les prils que je vais affronter. Tu m'as promis lorsque j'allai te consulter Delphes de faire russir cette expdition. Conduis donc toi-mme notre vaisseau vers ces bords loigns, et ramne-le toi-mme dans la Grce avec tous mes compagnons. Nous t'immolerons sur ce mme autel, notre retour, autant de taureaux que nous serons alors de guerriers chapps aux prils, et j'enrichirai de mes prsents les temples de Delphes et de Dlos. Reois donc aujourd'hui la premire offrande que nous te prsentons en montant sur ce vaisseau. Fais, dieu puissant, que nous partions heureusement sous tes auspices, qu'un vent favorable enfle nos voiles et que le calme nous accompagne toujours. En achevant cette prire, Jason rpandit l'orge sacre sur la tte des victimes qu'Hercule et Ance se prparaient dimmoler. Hercule dcharge l'un des taureaux un coup de massue sur le front, et l'abat ses pieds. Ance frappe l'autre de sa hache, et lui fend le cou, l'animal chancelle et tombe sur ses cornes. Aussitt on les gorge, on les dpouille et on les coupe par morceaux. Les cuisses, consacres au dieu, sont mises part. On les recouvre exactement de graisse et on les fait briller sur l'autel, tandis que Jason fait des libations de vin. Cependant la flamme brille de toutes parts, et la fume s'lve en longs tourbillons de pourpre. Le devin Idmon se rjouit en voyant ces heureux prsages de la faveur du dieu: Vous reviendrez, s'cria-t-il aussitt, oui, vous reviendrez dans la Grce chargs de la Toison d'or; telle est la volont des dieux. Mais combien vous aurez soutenir auparavant de combats ! Pour moi qu'un destin cruel condamne ne plus revoir ces lieux, je vais chercher au loin la mort dans les champs de l'Asie. De sinistres augures m'avaient instruit dj de mon sort. Cependant j'ai quitt ma patrie pour vous suivre, et laisser ainsi mes descendants une gloire immortelle. Les Argonautes, entendant ce discours, furent aussi touchs du sort d'Idmon que flatts du retour qu'il leur annonait. Querelle entre deux des Argonautes Le soleil avait dj parcouru plus de la moiti de sa carrire, et les ombres des rochers s'tendaient dans la plaine, lorsque les compagnons de Jason, ayant couvert le rivage d'pais feuillages, s'assirent tous ensemble pour prendre leur repas. Des viandes abondantes sont servies devant eux, un vin dlicieux coule dans les coupes, des discours agrables se mlent au festin. Une gaiet dlicate et qui ne connat point l'injure outrageante, se rpand parmi les convives. Cependant Jason, occup de soins plus importants, avait les yeux baisss et rflchissait profondment : Fils d'son, s'cria le bouillant Idas avec insolence, quel dessein roules-tu dans ton esprit ? Dcouvre-nous tes penses. La crainte, ce tyran des mes faibles, s'emparerait-elle de toi ? J'en atteste cette lance avec laquelle j'ai acquis dans les combats une gloire que rien n'gale, cette lance qui vaut mieux pour moi que le secours

  • de Jupiter ; non, puisque Idas est avec toi, tu n'as rien craindre et rien ne pourra te rsister, quand mme un dieu combattrait contre toi. Tel est, puisqu'il faut me faire connatre celui qui, pour te secourir a quitt le sjour d'Arne. Il dit, et saisissant deux mains une coupe remplie de vin, il avale d'un trait la liqueur cumante qui se rpand sur ses joues et sur sa poitrine. Un murmure d'indignation s'lve aussitt parmi les convives, et le devin Idmon adressa ainsi la parole Idas : Tmraire, est-ce ton audace naturelle qui t'inspire ces sentiments, ou bien est-ce le vin qui t'enfle le cur et te fait courir ta perte en blasphmant les dieux. On peut consoler un ami et relever son courage par d'autres discours. Les tiens sont aussi insenss que ceux des enfants d'Aloe (28) lorsqu'ils vomissaient des injures contre les dieux. Apollon les fit expirer sous ses flches rapides, et cependant leur force tait beaucoup au-dessus de la tienne. A ce discours, Idas ne rpondit d'abord que par des clats de rire ; bientt il adressa d'un ton moqueur ces mots au devin : Peut-tre les dieux me rservent-ils un sort pareil celui que ton pre fit prouver aux enfants d'Aloe. Tu peux nous faire part de leurs desseins, mais si ta prdiction est vaine, songe te soustraire ma fureur. Idas en parlant ainsi, frmissait de colre ; il allait se porter aux derniers excs, mais ses compagnons l'arrtrent, et Jason apaisa la querelle. Orphe chante en s'accompagnant de sa lyre Dans le mme temps le divin Orphe prit en main sa lyre, et mlant ses accords les doux accents de sa voix, il chanta comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus ensemble, avaient t tirs de cet tat funeste de chaos et de discorde, la route constante que suivent dans les airs le soleil, la lune et les autres astres, la formation des montagnes, celle des fleuves, des Nymphes et des animaux (29). Il chantait encore comment Ophyon et Eurynome, fille de l'Ocan, rgnrent sur l'Olympe, jusqu' ce qu'ils en furent chasss et prcipits dans les flots de l'Ocan par Saturne et Rha, qui donnrent des lois aux heureux Titans. Jupiter tait alors enfant ; ses penses taient celles d'un enfant. Il habitait dans un antre du mont Dict, et les Cyclopes n'avaient point encore arm ses mains de la foudre, instrument de la gloire du souverain des dieux. Orphe avait fini de chanter, et chacun restait immobile. La tte avance, l'oreille attentive, on l'coutait encore, tant tait vive l'impression que ses chants laissaient dans les mes. Le repas fut termin par des libations qu'on rpandit, selon l'usage, sur les langues enflammes des victimes, et la nuit tant survenue, chacun se livra au sommeil. Dpart du vaisseau L'aurore brillante clairait de ses feux naissants les sommets du mont Plion, et les flots de la mer se balanaient doucement au souffle d'un vent lger. Tiphys s'veille et excite ses compagnons s'embarquer. Aussitt le rivage retentit d'un bruit affreux, au milieu duquel une voix sortie du vaisseau se fit entendre. C'tait la poutre merveilleuse tire par Minerve d'un chne de la fort de Dodone qui pressait elle-mme le dpart. Frapps de, ce prodige, les hros entrrent promptement dans le vaisseau, s'assirent sur les bancs, chacun la place que le sort lui avait marque, et dposrent auprs d'eux leurs armes. Ance et le puissant Hercule remplissaient le banc du milieu. Hercule avait prs de lui sa massue, et sous ses pieds le vaisseau s'tait enfonc plus avant dans les flots. Dj on retire les cbles et on fait sur la mer des libations de vin. Jason dtourne du rivage de sa patrie ses yeux baigns de larmes. Tels que des jeunes gens qui, dansant au son du luth autour de l'autel d'Apollon, soit Delphes, soit Dlos, ou sur les bords de

  • l'Ismnus, attentifs aux accords de l'instrument sacr, frappent en cadence la terre d'un pied lger : tels les compagnons de Jason, au son de la lyre d'Orphe, frappent tous ensemble les flots de leurs longs avirons. La mer est agite, l'onde cume et frmit sous leurs puissants efforts, les armes tincellent aux rayons du soleil, de longs sillons blanchissants, semblables aux sentiers qu'on distingue travers un champ couvert de verdure, marquent la trace du navire. Tous les dieux, attentifs ce spectacle, voient avec complaisance du haut de l'Olympe voguer sur les flots les plus vaillants des Hros issus de leur sang. Les Nymphes du Plion, rassembles sur leurs sommets, admirent la fois l'ouvrage de la desse d'Itone (30) et les hros dont les efforts font voler le vaisseau sur les ondes. Souhaits du centaure Chiron Le fils de Philyre, Chiron lui-mme, descendant du haut de la montagne, s'avance sur le rivage en leur faisant signe de la main et leur souhaitant un heureux retour. Prs de lui son pouse Chariclo, portant dans ses bras le jeune Achille, le prsente tendrement son pre Ple (31). Lorsque par la prudence et l'adresse de Tiphys, qui dirigeait leur course en levant le gouvernail, ils furent sortis du port, alors ils dressrent le mt, le fixrent avec des cbles, dployrent la voile et l'attachrent par des cordages aux deux cts du vaisseau. Elle fut aussitt enfle par un vent frais qui, laissant reposer le bras des Argonautes, les porta bientt au-del du promontoire Tise. Orphe chante en s'accompagnant de sa lyre Orphe clbrait alors sur sa lyre l'illustre fille de Jupiter, Diane, protectrice des vaisseaux, qui se plat parcourir ces rivages, et veille sur la contre d'Iolcos. Attirs par la douceur de ses chants, les monstres marins et les poissons mmes, sortant de leur retraite, s'lanaient tous ensemble la surface de l'onde et suivaient en bondissant le vaisseau, comme on voit dans les campagnes des milliers de brebis revenir du pturage en suivant les pas du berger qui joue sur son chalumeau un air champtre. On aborde lle de Lemnos Dj la terre fertile des Plasges se drobe aux regards des navigateurs. Ils laissent derrire eux les rochers du Plion. Le promontoire Spias disparat. On dcouvre l'le de Sciathus, plus loin la ville de Pirsies, le rivage tranquille de Magnsie et le tombeau de Dolops o, sur la fin du jour, le vent contraire les obligea de relcher. A l'entre de la nuit, ils honorrent la mmoire du hros par un sacrifice. Les vagues taient courrouces, et la tempte dura deux jours. Le troisime, ayant dploy la voile, ils quittrent ce rivage, dont le nom rappelle encore le sjour qu'ils y firent (32). Mlibe, toujours battue par les vents, Omol, situe sur le bord de la mer, l'embouchure de l'Amyrus, Eurymnes, les valles humides de l'Ossa et de l'Olympe se prsentrent successivement eux. Les ctes de Pallne et le promontoire Canastre furent parcourus la faveur du vent qui souffla pendant la nuit. Le matin on dcouvrit le mont Athos. Il est loign de Lemnos du chemin que peut faire un vaisseau lger depuis le matin jusqu' midi ; cependant l'ombre du sommet couvre une partie de l'le et s'tend jusqu' la ville de Miryne. Le vent, qui s'tait soutenu pendant tout le jour et la nuit suivante, cessa de souffler au lever du soleil. On gagna force de rames l'le de Lemnos, sjour des antiques Sintiens (33).

  • Tous les hommes y avaient pri misrablement l'anne prcdente, victimes de la fureur des femmes. Depuis longtemps elles ne prsentaient Vnus aucune offrande. La desse irrite les rendit odieuses leurs maris qui, les ayant abandonnes, cherchrent de nouveaux plaisirs dans les bras des esclaves qu'ils enlevaient en ravageant la Thrace. Mais quels attentats ne se porte pas la jalousie ? Les Lemniennes gorgrent, dans une mme nuit, leurs maris et leurs rivales, et exterminrent jusqu'au dernier des mles, afin qu'il n'en restt aucun qui pt un jour leur faire porter la peine de leur forfait. Hypsipyle seule, fille du roi Thoas, pargna le sang de son pre, dj avanc en ge. Elle l'enferma dans un coffre et l'abandonna ainsi au gr des flots, esprant qu'un heureux hasard pourrait lui sauver la vie. Des pcheurs l'ayant en effet aperu, le retirrent dans l'le d'OEno, appele depuis Sicinus (34), du nom d'un fils que Thoas eut de la nymphe OEno, l'une des Naades. Les Lemniennes, devenues les seules habitantes de l'le, quittrent les ouvrages de Minerve, qui seuls jusqu'alors avaient occup leurs mains, et s'accoutumrent sans peine manier les armes, garder les troupeaux et labourer la terre. Cependant elles tournaient toujours avec inquitude leurs yeux vers la mer, et craignaient sans cesse de voir les Thraces venir fondre sur elles. Remplies de cette ide, ds qu'elles aperurent le navire Argo qui s'approchait de leur le force de rames, elles s'armrent la hte, sortirent de Myrine, et se rpandirent sur le rivage, semblables des Bacchantes en furie. Hypsipyle, portant l'armure de son pre, tait la tte de cette troupe que la frayeur rendait muette et interdite. Les Argonautes dputrent pour hraut thalide, auquel ils avaient confi le ministre et le sceptre de Mercure son pre. Ce dieu lui avait donn une mmoire inaltrable qu'il ne perdit point en traversant le fleuve d'Oubli, et quoiqu'il habite aujourd'hui, tantt le sjour des ombres, et tantt les lieux clairs par le soleil, il conserve toujours le souvenir de ce qu'il a vu. Mais pourquoi m'arrter l'histoire d'thalide ? Hypsipyle, persuade par ses discours, permit aux Argonautes de passer sur le rivage de l'le la nuit qui s'approchait. Cependant le vent du nord qui s'leva le lendemain les empcha de continuer leur route. Hypsipyle assembla aussitt les femmes de Lemnos et leur tint ce discours : Chres compagnes, envoyons promptement ces trangers les provisions et le vin dont ils peuvent avoir besoin, afin que n'ayant rien venir chercher dans cette ville, ils ne puissent dcouvrir ce qu'il serait dangereux que la renomme publit. Il faut l'avouer, notre vengeance fut un coup hardi qui pourrait dplaire mme ces inconnus. Voil mon avis ; si quelqu'une de vous connat un meilleur expdient, qu'elle se lve. C'est pour vous consulter que je vous ai rassembles ici. En achevant ces mots, Hypsipyle s'assit sur la pierre qui servait autrefois de trne son pre. La vieille Polixo, sa fidle nourrice, empresse de parler, se lve aussitt. Un bton soutenait son corps chancelant. Auprs d'elle taient quatre jeunes filles encore vierges dont les blonds cheveux flottaient sur les paules. Polixo s'avana jusqu'au milieu de l'assemble, et dressant avec peine la tte sur son dos recourb, elle parla ainsi : Suivons le conseil que propose elle-mme Hypsipyle, et envoyons des prsents ces trangers, j'y consens, mais, dites-moi, que gagnerez-vous les loigner de ces murs, et comment dfendrez-vous seules votre vie si les Thraces ou quelque autre ennemi viennent un jour fondre sur vous ? De telles invasions ne sont que trop communes. Ces

  • trangers eux-mmes ne sont-ils pas arrivs ici au moment o nous y pensions le moins ? Supposons cependant qu'une divinit favorable dtourne de vous ce danger, d'autres malheurs, plus terribles mille fois que la guerre, vous attendent. Lorsque la mort aura moissonn les plus vieilles d'entre vous, et que les jeunes seront parvenues sans postrit une triste vieillesse, comment ferez-vous alors, malheureuses ! pour soutenir les restes d'une misrable vie ? Vos taureaux, subissant volontairement le joug, traneront-ils d'eux-mmes la charrue et moissonneront--ils vos champs ? Pour moi, quoique les Parques m'aient pargne jusqu'ici, je descendrai bientt dans le sein de la terre, et je recevrai les derniers honneurs avant de voir arriver cette calamit. C'est celles qui sont plus jeunes y penser srieusement. Vous pouvez viter aujourd'hui ce cruel avenir. Saisissez l'occasion et remettez votre ville et vos biens entre les mains de ces trangers. Toute l'assemble applaudit ce discours. Hypsipyle se leva aussitt : Puisque vous approuvez, dit-elle, le conseil de Polixo, je vais envoyer sur-le-champ une de mes femmes au vaisseau. Et s'adressant Iphino, qui tait auprs d'elle, elle lui ordonna d'aller trouver le chef de ces trangers, de l'inviter se rendre dans son palais pour apprendre de sa bouche cette rsolution, et d'engager tous ses camarades entrer sans crainte et avec des sentiments de paix dans la ville. Hypsipyle congdia ensuite les Lemniennes et se retira dans son palais. Iphino, prompte remplir ses ordres, arrive auprs des Minyens, qui s'empressent autour d'elle pour savoir le sujet qui l'amne : Hypsipyle, leur dit-elle, fille du roi Thoas, m'envoie vers vous pour inviter votre chef venir apprendre d'elle une agrable nouvelle et pour vous engager tous entrer sans crainte et avec des sentiments de paix dans la ville. Les Minyens, charms de ce discours, pensrent aussitt que la mort avait enlev Thoas, et qu'Hypsipyle, sa fille unique, rgnait sa place. Ils pressrent Jason de partir et se disposrent eux-mmes le suivre. Description du manteau de Jason Le Hros se revtit d'un ample manteau, ouvrage de Pallas, qui le lui avait donn lorsqu'elle travaillait elle-mme au vaisseau et montrait Argus en rgler les dimensions. Son clat surpassait celui du soleil. Le fond tait rouge, et sur les bords, couleur de pourpre, taient reprsents avec un art infini, diffrents sujets. On y voyait les Cyclopes sans cesse occups des mmes travaux, fabriquant un foudre Jupiter, dont l'clat blouissait les yeux. Il n'y manquait plus qu'un rayon qui dj s'tendait sous les coups redoubls des marteaux (35), au milieu d'un tourbillon de flammes. On y voyait aussi les deux fils d'Antiope, Amphion et Zthus. Prs d'eux s'levait une ville qui n'tait pas encore couronne de tours, c'tait Thbes dont ils venaient de jeter les fondements. Zthus portait sur ses paules un rocher semblable au sommet d'une haute montagne et marchait avec peine, courb sous ce fardeau. Prs de lui Amphion, faisant rsonner sous ses doigts sa lyre dore, se faisait suivre par une pierre deux fois plus grande. Vnus y tait reprsente la main appuye sur le bouclier du dieu Mars. Sa tunique dtache tombait d'un cot sur son bras et laissait voir il dcouvert une partie de son sein, image que rptait encore l'airain poli du bouclier. Plus loin on aperoit de gras pturages au milieu desquels les fils d'lectryon (36) tchent de repousser les Tlboens sortis de Thaphos (37) pour enlever leurs troupeaux. Une gale fureur anime les combattants. L'herbe est teinte du sang qui se mle avec la

  • rose, mais enfin le grand nombre l'emporte et les brigands sont vainqueurs. Prs de l deux chars se disputaient le prix de la course. Plops, accompagn d'Hippodame, son amante, fait voler le premier sur l'arne et secoue avec ardeur les rnes de ses chevaux. Le second est conduit par Myrtile. Prs de lui, son matre, OEnomas, poussant en avant sa lance pour percer son vainqueur, tombe lui-mme sur les dbris de son essieu bris. On voyait ensuite Apollon dans un ge encore tendre, perant d'une flche le tmraire qui voulait entraner sa mre en la tirant par son voile. C'est Tityus, fils de Jupiter et d'lar, nourri depuis et enfant de nouveau par la terre (38). Enfin, on avait reprsent sur ce manteau, Phrixus prtant l'oreille au blier qui semble lui adresser la parole. En les voyant, on est saisi d'tonnement. On croit qu'ils vont parler, et dans cette attente, on ne se lasse point de les considrer. Tel tait le prsent que Jason avait reu de Minerve. Il prit ensuite un long javelot, gage d'hospitalit qu'Atalante lui avait donn sur le mont Mnale. Cette jeune hrone voulait alors marcher elle-mme la conqute de la Toison d'or, mais Jason l'en dtourna, craignant que sa beaut ne charmt les Argonautes et n'excitt parmi eux la discorde. Dans cet quipage, Jason s'avanait vers la ville, semblable un astre brillant que de jeunes filles voient s'lever sur leur demeure et rpandre dans l'air ses feux clatants, qui charment leurs regards. Tourmente de l'absence d'un amant auquel elle doit tre bientt unie, sa tendre amante en conoit un heureux prsage et croit que ce jour va lui ramener enfin l'objet de ses dsirs. Les Lemniennes, transportes d'une joie pareille en voyant entrer dans la ville leur nouvel hte, se prcipitent en foule sur les pas du hros qui marchait gravement et les yeux baisss, vers le palais d'Hypsipyle. A sa vue les portes s'ouvrirent. Iphino le conduisit travers un superbe portique dans l'appartement de sa matresse et le fit asseoir devant elle sur un sige richement orn. La jeune reine baissa les yeux et rougit d'abord la vue du Hros : tranger, lui dit-elle ensuite, pourquoi vous tenir si longtemps loign de nos murs ? Cette ville n'est point habite par des hommes. Ils l'ont quitte pour aller cultiver les campagnes fertiles de la Thrace, et pour que vous sachiez la cause de cet vnement, je vais vous raconter fidlement tous nos malheurs. Tandis que Thoas mon pre rgnait sur nos citoyens, ils s'embarqurent plus d'une fois pour aller ravager la partie de la Thrace la plus voisine de cette le. Ils en revenaient toujours chargs de butin et ramenant avec eux toutes les jeunes filles qu'ils pouvaient enlever. C'tait un pige que Vnus leur tendait pour accomplir ses funestes desseins. Bientt cette perfide desse les plongea dans un tel aveuglement qu'ils abandonnrent leurs femmes lgitimes et les chassrent mme de chez eux pour se jeter entre les bras de leurs captives. Les perfides ! en vain nous attendmes longtemps que la raison reprit sur eux son empire. Le mal allait toujours en augmentant. Une race infme commenait crotre, les enfants lgitimes taient mpriss. Des filles sans poux, des mres veuves erraient honteusement dans la ville. Le pre voyait avec indiffrence sa fille dchire sous ses yeux par la main d'une injuste martre. Les enfants ne vengeaient plus comme autrefois l'injure de leurs mres, et le frre tait insensible au sort de sa sur. D'indignes captives taient seules honores dans les maisons, dans les assembles, dans les ftes et dans les festins. Un dieu nous inspira enfin un courage au-dessus de notre sexe. Un jour qu'ils taient alls faire une nouvelle incursion dans la Thrace, nous leur fermmes au retour les portes de la ville, afin de les forcer de reprendre notre gard des sentiments plus justes ou de s'aller tablir ailleurs avec leurs captives. Ils choisirent ce dernier parti, et ayant redemand tous les mles qui taient encore dans la ville, ils reprirent le chemin de la Thrace, o ils habitent aujourd'hui. Ne craignez donc

  • plus, tranger ! de vous mler parmi nous. Je dirai plus, si vous voulez fixer ici votre demeure, le sceptre de Thoas vous attend. Vous rgnerez sur une contre qui ne peut manquer de vous plaire, puisque notre le est la plus fertile de toutes celles que baigne la mer ge. Allez donc trouver vos compagnons, faites-leur part de mes offres et ne restez pas plus longtemps hors de cet ville. Ainsi parlait la reine de Lemnos, dissimulant avec adresse le massacre des Lemniens. Jason lui rpondit en ces termes : Hypsipyle, nous recevons avec reconnaissance les secours que vous nous offrez si gnreusement. Je vais rendre compte de tout mes compagnons, et dans peu je serai de retour auprs de vous. Quant au sceptre que vous m'offrez, qu'il reste entre vos mains : quelque prix qu'il puisse avoir mes yeux, le Destin m'entrane loin de ces bords, je vole aux combats qu'il m'a prpars. En achevant ces mots, il toucha la main de la reine et partit aussitt. Des jeunes filles sans nombre l'accompagnrent jusqu'aux portes de la ville en faisant clater leur joie. Quelque temps aprs, elles montrent sur des chars qui renfermaient des prsents de toute espce et arrivrent au rivage lorsqu'il finissait de raconter ses compagnons le discours d'Hypsipyle. Elles engagrent elles-mmes les Argonautes les suivre, et ceux-ci se laissrent facilement entraner, car Vnus, pour complaire Vulcain qui voulait voir bientt son le chrie peuple de nouveaux habitants, avait elle-mme fait natre ce doux dsir dans le cur des Hros. Jason retourna prs d'Hypsipyle, et chacun de ses compagnons suivit celle que le hasard lui donna pour guide. Cependant Hercule et quelques autres, ddaignant les offres des Lemniennes, restrent prs du vaisseau. Aussitt toute la ville se livre au plaisir. Ce ne sont partout que danses et festins en l'honneur des dieux. La fume des sacrifices s'lve de toutes parts. L'illustre fils de Junon (39), Vnus son pouse, sont de tous les Immortels ceux dont on implore le plus ardemment la faveur par des chants et des offrandes. Dpart de Lemnos Cependant le dpart tait diffr de jour en jour. Les Argonautes, retenus par les douceurs de Lemnos, auraient fait dans cette le un trop long sjour si le brave Hercule, les ayant assembls hors de la ville, ne leur et ainsi reproch leur mollesse : Compagnons, avons-nous donc t chasss de notre patrie comme des meurtriers, ou sommes-nous venus chercher ici des femmes au mpris de nos citoyennes et avons-nous rsolu d'y fixer notre demeure ? Sera-ce en restant si longtemps attachs des trangres que nous acquerrons la gloire laquelle nous aspirons ? Attendez-vous qu'un dieu sensible nos vux nous apporte ici la Toison d'or pour prix de notre oisivet ? Croyez-moi, retournons tous dans notre pairie et laissons notre chef passer au gr de ses dsirs tout le jour dans les bras d'Hypsipyle. Qu'il remplisse Lemnos de sa postrit et qu'il rende par cet exploit son nom immortel. Ce discours couvrit de confusion ceux qui il s'adressait. Personne n'osa rpondre Hercule ni mme lever les yeux sur lui, et l'on se disposa sur-le-champ partir. Aussitt que les Lemniennes se furent aperues de ce dessein, elles accoururent en foule sur le rivage. Comme on voit des essaims d'abeilles sortant d'un rocher qui leur servait de retraite se rpandre dans une riante prairie, voltiger en bourdonnant autour des fleurs et cueillir et l leur suc dlicieux (40), ainsi elles s'empressent toutes en soupirant autour des Argonautes et leur font les plus tendres adieux en priant les Immortels de leur accorder un heureux retour.

  • Adieux d'Hypsipile et de Jason Hypsipyle elle-mme, tenant les mains de Jason, lui adressa ce discours en pleurant : Pars donc et que les dieux le ramnent avec tous tes compagnons, rapportant, comme lu le dsires, la Toison d'or de Plias. Cette le et le sceptre de mon pre seront toujours toi si tu reviens un jour en ces lieux, et tu pourras y rassembler de plusieurs contres un peuple innombrable. Mais non, je le vois, jamais cet empire n'aura pour toi de charmes. Souviens-toi du moins d'Hypsipyle et pendant ton voyage et lorsque tu seras de retour dans ta patrie, et dis-moi ce que je dois faire si les dieux m'accordent de mettre au jour un fruit de nos amours. - Hypsipyle, lui rpondit Jason, puissent s'accomplir les vux que vous formez pour le succs de notre entreprise ! Mais, au nom des dieux, connaissez mieux mes sentiments. Jamais on ne me verra renoncer ma patrie. Tout mon bonheur serait de l'habiter un jour en paix aprs avoir heureusement achev cette expdition. Si mon destin est de ne jamais revoir la Grce et que vous mettiez au jour un fils, envoyez-le ds qu'il sera sorti de l'enfance Iolcos, afin qu'il serve de consolation aux auteurs de mes jours, si toutefois ils vivent encore, et qu'il soit lev dans leur palais, loin des regards de Plias. On descend dans lle de Samothrace et ensuite dans le pays des Dolions, sur les bords de la Propontide Il dit et monta le premier sur le vaisseau. Ses compagnons s'empressrent de le suivre. Argus lche le cble qui retenait le vaisseau, et tous commencent ramer avec une nouvelle ardeur. Le soir ils abordrent, par les conseils d'Orphe, dans l'le de Samothrace, pour se faire initier dans ses mystres sacrs et parcourir ensuite les mers avec moins de danger. Mais qu'allais-je faire en poursuivant mon rcit ? Salut l'le elle-mme ! Salut aux dieux invoqus dans des mystres que je ne puis rvler ! Les Argonautes traversrent le lendemain le golfe Mlas, ayant d'un ct la Thrace, de l'autre file d'Imbros, et arrivrent peu aprs le coucher du soleil la pointe de la Chersonse. Le vent du midi qui s'levait leur fit dployer la voile et les porta dans le dtroit rapide auquel la fille d'Athamas a donn son nom. L, ayant droite la contre au-dessus de laquelle s'lve le mont Ida, ils doublrent le promontoire Rhte, et laissant derrire eux Dardanie, Abyde, Percote, le rivage sablonneux d'Abarnis et l'illustre Pytyie (41), ils arrivrent heureusement, dans cette mme nuit, l'extrmit de l'Hellespont. Combat contre des gants Dans la Propontide, au-del du fleuve spe, s'avance en forme de presqu'le une immense montagne appele par les peuples du voisinage la montagne des Ours. Un isthme escarp, prs duquel les vaisseaux trouvent en tout temps un abri commode, la spare des plaines fertiles de la Phrygie. Elle est habite par des fils de la terre, gants fiers et froces, dont la vue seule inspire l'tonnement et l'effroi. Chacun d'eux fait mouvoir avec facilit six bras d'une force prodigieuse, dont deux sont suspendus leurs paules et quatre sont attachs leurs larges flancs. Les Dolions, que la protection de Neptune, dont ils tiraient leur origine, mettait couvert des insultes de ces gants, habitaient l'isthme et la plaine qui s'tend au-del. Le vaillant Cyzique, fils d'ne (42)

  • et d'nte, fille de l'illustre Eusorus (43) rgnait alors sur ces peuples. Ce fut prs de leur demeure que le navire Argo, pouss par les vents de Thrace, aborda dans un port que la nature elle-mme avait form (44). Les Argonautes y dtachrent, par l'avis de Tiphys, la pierre qui leur servait d'ancre et la laissrent prs de la fontaine Artacie pour en prendre une autre plus pesante. Dans la suite, les Ioniens compagnons de Nle (45), dociles l'oracle d'Apollon, consacrrent cette ancre abandonne dans le temple de Minerve, protectrice de Jason. Instruits de l'arrive des Argonautes et de leur origine, les Dolions et Cyzique lui-mme allrent au-devant d'eux, les reurent avec joie et les invitrent quitter le port dans lequel ils taient mouills pour gagner la rame celui de la ville, o ils pourraient prendre terre et amarrer leur vaisseau. Les Argonautes, ayant suivi ce conseil, levrent sur le rivage un autel Apollon, protecteur des dbarquements, et se prparrent lui offrir un sacrifice. Cyzique, averti par un oracle d'aller au-devant de tous leurs dsirs, leur fournit le vin et les victimes dont ils avaient besoin. Ce prince, comme la plupart des compagnons de Jason, tait dans la fleur de la jeunesse et ne pouvait encore se glorifier d'tre pre. Clit, son pouse, qu'il venait d'obtenir par de riches prsents, tait fille de Mrops (46), originaire de Percote. Les plaisirs qui l'attendaient auprs de cette jeune beaut ne purent l'empcher de passer la nuit avec les Argonautes et de prendre part un repas o l'on se fit mutuellement mille questions. Cyzique s'informait du but de leur voyage et des ordres qu'ils avaient reus de Plias. Les Argonautes l'interrogeaient leur tour sur les villes et les peuples du voisinage. Il leur nomma tous ceux qui habitaient les bords de la Propontide. Ses connaissances ne s'tendaient point au-del et il ne put satisfaire davantage leur curiosit. Au lever de l'aurore, ils rsolurent de monter sur le mont Dindyme pour reconnatre eux-mmes et contempler la route qu'ils allaient parcourir. Cependant le vaisseau tait toujours dans le port de Chytus, o ils l'avaient fait entrer aprs avoir quitt leur premier mouillage. Tandis qu'ils suivaient en gravissant un chemin qui fut depuis appel le chemin de Jason, les gants, par une autre route, descendirent avec imptuosit de la montagne et entreprirent de combler avec d'normes pierres l'entre du port, esprant d'y prendre le vaisseau comme on prend dans une fosse un animal froce. Mais Hercule, qui tait heureusement rest avec quelques-uns des plus jeunes, ayant band son arc, en renversa d'abord plusieurs sur le sable. Les autres, saisissant aussitt des quartiers de rocher, les lancrent contre lui et commencrent un combat que l'implacable Junon rservait depuis longtemps pour tre un des travaux d'Hercule. D'un autre ct, les hros qui n'taient pas encore arrivs au sommet de la montagne, voyant le dessein des gants, descendirent avec prcipitation, fondirent sur eux coup de flches et de lances et les exterminrent jusqu'au dernier. Tels qu'on voit des arbres, qui nagure s'levaient jusqu'aux nues, abattus par la hache et jets sur le bord de la mer pour tre humects par les flots, tels les gants, tendus sur le sable, bordent le dtroit qui forme l'entre du port. Une partie de leur corps est plonge dans la mer, l'autre est tendue sur le rivage, et ils servent en mme temps de pture aux poissons et aux vautours. Les Argonautes ayant quitt le pays des Dolions y sont rejets par les vents contraires. La nuit empche de se reconnatre ; on se bat.

  • Dlivrs de ce danger, les Argonautes profitrent d'un vent favorable et mirent la voile. Ayant vogu tout le jour au gr de leurs dsirs, ils furent repousss pendant la nuit par les vents contraires et obligs d'aborder de nouveau chez les Dolions. On attacha le vaisseau un rocher qui porte encore le nom de pierre sacre, et l'on prit terre sans que personne reconnt la presqu'le d'o ils taient partis le matin. Les Dolions, de leur ct, tromps par les tnbres et ne songeant plus aux Argonautes, qu'ils croyaient dj bien loin, s'imaginrent que c'tait une troupe de Plasges qui venait les attaquer et prirent aussitt les armes pour les repousser. Dj le bruit des lances et des boucliers retentit de toutes parts. On se mle avec la rapidit de la flamme qui dvore une aride fort (47). Les malheureux Dolions ne peuvent soutenir le choc et sont massacrs par les Argonautes. Cyzique lui-mme ne doit plus revoir son pouse chrie. Atteint la poitrine d'un coup que lui porte Jason, il est renvers sur le sable et succombe sa destine. Mort de Cyzique, roi des Dolion et de Clit son pouse Cruelle destine que nul mortel ne peut viter, comme une barrire insurmontable, tu nous environnes de tous cts! Cyzique, en voyant partir les Argonautes, se croit l'abri de tout danger de leur part, et voil qu'au milieu de cette nuit mme, en combattant contre eux, un coup mortel vient trancher le fil de ses jours. Un grand nombre de ceux qui l'accompagnaient subirent le mme sort. Tlcle et Mgabronte prissent par la main d'Hercule. Sphodris est renvers par Acaste, Prome par Idas, Hyacinthe par Clytius, Tlamon porte Basile un coup mortel, Zlys, le fier Gphyrus sont terrasss par Ple, les deux fils de Tindare font mordre la poussire Mgalosacus et Phlogius. Enfin le jeune Mlagre abat ses pieds Itymon et Artace, le plus vaillant des Dolions. Tous ces guerriers, pour prix du courage qu'ils firent alors paratre, sont encore aujourd'hui honors comme des demi-dieux par les habitants du pays. Les autres, saisis d'pouvante, fuient comme des colombes devant l'pervier qui les poursuit et se prcipitent en foule au travers des portes de la ville, qui retentit aussitt de cris et de gmissements. Le matin chacun reconnut son erreur. Les Argonautes furent pntrs de douleur en voyant le jeune prince tendu sur la poussire et baign dans son sang. Pendant trois jours ils poussrent avec les Dolions des cris lamentables et s'arrachrent les cheveux ; le quatrime, on s'occupa des funrailles. Les deux peuples, revtus de leurs armes, tournrent trois fois autour du corps (48) et clbrrent en l'honneur du hros des jeux funbres au milieu d'une prairie o son tombeau s'offre encore aux yeux de la postrit. Clyt ne voulut pas survivre son poux. Un nud fatal termina d'une manire encore plus affreuse sa vie et son dsespoir. Les Nymphes des forts la pleurrent, et pour conserver jamais la mmoire de cette pouse infortune, elles formrent de leurs larmes une fontaine qui porte encore son nom. Douleur des Argonautes ; sacrifice Cyble. Les Dolions, accabls de tant de maux, n'avaient pas le courage de prendre de nourriture. Pendant longtemps ils ne songrent pas seulement prparer le premier soutien de la vie et ne mangrent que des herbes crues. Ce sont ces jours de douleur que les Ioniens, habitants de Cyzique, rappellent encore lorsque, renouvelant tous les ans leurs libations en l'honneur des hros dolions, ils font broyer sous une meule publique la matire d'un pain grossier qui leur sert alors de nourriture. Les Argonautes restrent encore douze jours sur ce rivage, retenus par les temptes dont la mer tait agite. Sur la fin de la dernire nuit, tandis que chacun tait endormi

  • profondment et que Mopsus faisait la garde avec Acaste, un alcyon, voltigeant au-dessus de la tte de Jason, annona par un doux gazouillement la fin des orages. Mopsus entendit le chant de l'oiseau qui habite les bords de la mer et comprit le prsage. Bientt l'alcyon, obissant aux ordres de la divinit qui l'envoyait, alla se placer sur le haut de la poupe du vaisseau. Mopsus, s'approchant alors de Jason, qui reposait sur des peaux de brebis, le tira par le bras et lui dit : Fils d'son, coute ce que je viens d'apprendre par le chant d'un al