foucault des espaces autres, hetero to pies

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    est aprs tout bien important -, c'est aussi le problme de savoir quelles relations de voisinage, queltype de stockage, de circulation, de reprage, de classement des lments humains doivent tre retenusde prfrence dans telle ou telle situation pour venir telle ou telle fin. Nous sommes une poque ol'espace se donne nous sous la forme de relations d'emplacements.

    En tout cas, je crois que l'inquitude d'aujourd'hui concerne fondamentalement l'espace, sans doute

    beaucoup plus que le temps; le temps n'apparat probablement que comme l'un des jeux de distributionpossibles entre les lments qui se rpartissent dans l'espace.

    Or, malgr toutes les techniques qui l'investissent, malgr tout le rseau de savoir qui permet de ledterminer ou de lei formaliser, l'espace contemporain n'est peut-tre, pas encore entirementdsacralis - la diffrence sans doute du temps qui, lui, a t dsacralis au XIXe sicle. Certes, il y abien eu une certaine dsacralisation thorique de l'espace (celle laquelle l'ouvre de Galile a donn lesignal), mais nous n'avons peut-tre pas encore accd une dsacralisation pratique de l'espace. Etpeut-tre notre vie est-elle encore commande par un certain nombre d'oppositions auxquelles on nepeut pas toucher, auxquelles l'institution et la pratique n'ont pas encore os porter atteinte : desoppositions que nous admettons comme toutes donnes : par exemple, entre l'espace priv et l'espacepublic, entre l'espace de la famille et l'espace social, entre l'espace culturel et l'espace utile, entre.

    l'espace de loisirs et l'espace de travail; toutes sont animes encore par une sourde sacralisation.

    L'oeuvre - immense - de Bachelard, les descriptions des phnomnologues nous ont appris que nous nevivons pas dans un espace homogne et vide, mais, au contraire, dans un espace qui est tout charg dequalits, un espace, qui est peut-tre aussi hant de fantasme; l'espace de notre perception premire,celui de nos rveries, celui de nos passions dtiennent en eux-mmes des qualits qui sont commeintrinsques; c'est un espace lger, thr, transparent, ou bien c'est un espace obscur, rocailleux,encombr : c'est un espace d'en haut, c'est un espace des cimes, ou c'est au contraire un espace d'en bas,un espace de la boue, c'est un espace qui peut tre courant comme l'eau vive, c'est un espace qui peuttre fix, fig comme la pierre ou comme le cristal.

    Cependant, ces analyses, bien que fondamentales pour la rflexion contemporaine, concernent surtoutl'espace du dedans. C'est de l'espace du dehors que je voudrais parler maintenant.L'espace dans lequel nous vivons, par lequel nous sommes attirs hors de nous-mmes dans lequel, sedroule prcisment l'rosion de notre vie, e notre temps et e notre histoire, cet espace qui nous rongeet nous ravine est en lui-mme aussi un espace htrogne. Autrement dit, nous ne vivons pas dans unesorte de vide, l'intrieur duquel on pourrait situer des individus et des choses. Nous ne vivons pas l'intrieur d'un vide qui se colorerait de diffrents chatoiements, nous vivons l'intrieur d'un ensemblede relations qui dfinissent des emplacements irrductibles les uns aux autres et absolument nonsuperposables.

    Bien sr, on pourrait sans doute entreprendre la description de ces diffrents emplacements, encherchant quel est l'ensemble de relations par lequel on peut dfinir cet emplacement. Par exemple,dcrire l'ensemble des relations qui dfinissent les emplacements de passage, les rues, les trains (c'estun extraordinaire faisceau de relations qu'un train, puisque c'est quelque chose travers quoi on passe,

    c est quelque chose galement par quoi on peut passer d'un oint un autre et puis c'est quelque chosegalement qui passe). On pourrait dcrire, par le faisceau des relations qui permettent de les dfinir, cesemplacements de halte provisoire que sont les cafs, les cinmas, les plages. On pourrait galementdfinir, par son rseau de relations, l'emplacement de repos, ferm ou demi ferm, que constituent lamaison, la chambre, le lit, etc. Mais ce qui m'intresse, ce sont, parmi tous ces emplacements, certainsd'entre qui ont la curieuse proprit d'tre en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur unmode tel qu'ils suspendent, neutralisent ou inversent l'ensemble des rapports qui se trouvent, par eux,dsigns, reflts ou rflchis. Ces espaces, en quelque sorte, qui sont en liaison avec tous les autres,qui contredisent pourtant tous les autres emplacements, sont de deux grands types.

    HETEROTOPIAS

    Il y a d'abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu rel. Ce sont lesemplacements qui entretiennent avec 1'espace rel de la socit un rapport gnral d'analogie directe ou

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    inverse. C'est la socit elle-mme perfectionne ou c'est l'envers de a socit, mais, de toute faon,ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irrels.

    Il y a galement, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux rels, deslieux effectifs, des lieux qui ont dessins dans l'institution mme de la socit, et qui sont des sortes decontre-emplacements, sortes d'utopies effectivement ralises dans lesquelles les emplacements rels,

    tous les autres emplacements rels que l'on peut trouver l'intrieur de la culture sont la foisreprsents, contests et inverss, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtantils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu'ils sont absolument autres que tous lesemplacements qu'ils refltent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, leshtrotopies ; et je crois qu'entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces htrotopies, ily aurait sans doute une sorte d'exprience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, aprs tout,c'est une utopie, puisque c'est un lieu sans lieu. Dans le miroir, je me vois l o je ne suis pas, dans unespace irrel qui s'ouvre virtuellement derrire la surface, je suis l-bas, l o je ne suis pas, une sorted'ombre qui me donne moi-mme ma propre visibilit, qui me permet de me regarder l o je suisabsent - utopie du miroir. Mais c'est galement une htrotopie, dans la mesure o le miroir existerellement, et o il a, sur la place que j'occupe, une sorte d'effet en retour ; c'est partir du miroir queje me dcouvre absent la place o je suis puisque je me vois l-bas. partir de ce regard qui en

    quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l'autre ct de la glace, jereviens vers moi et je recommence porter mes yeux vers moi-mme et me reconstituer l o je suis;le miroir fonctionne comme une htrotopie en ce sens qu'il rend cette place que j'occupe au momento je me regarde dans la glace, la fois absolument relle, en liaison avec tout l'espace qui l'entoure, etabsolument irrelle, puisqu'elle est oblige, pour tre perue, de passer par ce point virtuel qui est l-bas.

    Quant aux htrotopies proprement dites, comment pourrait-on les dcrire, quel sens ont-elles? Onpourrait supposer, je ne dis pas une science parce que c'est un mot qui est trop galvaud maintenant,mais une sorte de description systmatique qui aurait pour objet, dans une socit donne, l'tude,l'analyse, la description, la " lecture " , comme on aime dire maintenant, de ces espaces diffrents, cesautres lieux, une espce de contestation la fois mythique et relle de l'espace o nous vivons; cettedescription pourrait s'appeler l'htrotopologie.

    Premier principe, c'est qu'il n'y a probablement pas une seule culture au monde qui ne constitue deshtrotopies. C'est l une constante de tout groupe humain. Mais les htrotopies prennent videmmentdes formes qui sont trs varies, et peut-tre ne trouverait-on pas une seule forme d'htrotopie qui soitabsolument universelle. On peut cependant les classer en deux grands types.Dans les socits dites " primitives " , il y a une certaine forme d'htrotopies que j'appelleraishtrotopies de crise, c'est--dire qu'il y a des lieux privilgis, ou sacrs, ou interdits, rservs auxindividus qui se trouvent, par rapport la socit, et au milieu humain l'intrieur duquel ils vivent, entat de crise. Les adolescents, les femmes l'poque des rgles, les femmes en couches, les vieillards,etc.

    Dans notre socit, ces htrotopies de crise ne cessent de disparatre, quoi qu'on en trouve encore

    quelques restes. Par exemple, le collge, sous sa forme du XIXe sicle, ou le service militaire pour lesgarons ont jou certainement un tel rle, les premires manifestations de la sexualit virile devantavoir lieu prcisment " ailleurs " que dans la famille. Pour les jeunes filles, il existait, jusqu'au milieudu XX sicle, une tradition qui s'appelait le " voyage de noces " ; c'tait un thme ancestral. Ladfloration de la jeune fille ne pouvait avoir lieu " nulle part " et, ce moment-l, le train, l'htel duvoyage de noces, c'tait bien ce lieu de nulle part, cette htrotopie sans repres gographiques.

    Mais ces htrotopies de crise disparaissent aujourd'hui et sont remplaces, je crois, par deshtrotopies qu'on pourrait appeler de dviation : celle dans laquelle on place les individus dont lecomportement est dviant par rapport la moyenne ou la norme exige. Ce sont les maisons de repos,les cliniques psychiatriques; ce sont, bien entendu aussi, les prisons, et il faudrait sans doute y joindreles maisons de retraite, qui sont en quelque sorte la limite de l'htrotopie de crise et de l'htrotopie

    de dviation, puisque, aprs tout, la vieillesse, c'est une crise, mais galement une dviation, puisque,dans notre' socit o le loisir est la rgle, l'oisivet forme une sorte de dviation.

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    Le deuxime principe de cette description des htrotopies, c'est que, au cours de son histoire, unesocit peut faire fonctionner d'une faon trs diffrente une htrotopie qui existe et qui n'a pas cessd'exister; en effet, chaque htrotopie a un fonctionnement prcis et dtermin l'intrieur de lasocit, et la mme htrotopie peut, selon la synchronie de la culture dans laquelle elle se trouve, avoirun fonctionnement ou un autre.

    Je prendrai pour exemple la curieuse htrotopie du cimetire. Le cimetire est certainement un lieuautre par rapport aux espaces culturels ordinaires, c'est un espace qui est pourtant en liaison avecl'ensemble de tous les emplacements de la cit ou de la socit ou du village, puisque chaque individu,chaque famille se trouve avoir des parents au cimetire. Dans la culture occidentale, le cimetire apratiquement toujours exist. Mais il a subi des mutations importantes. jusqu' la fin du XVIIIe sicle,le cimetire tait plac au cour mme de la cit, ct de l'glise. L il existait toute une hirarchie despultures possibles. Vous aviez le charnier dans le lequel les cadavres perdaient jusqu' la derniretrace d'individualit, il y avait quelques tombes individuelles, et puis il y avait l'intrieur de l'glisedes tombes. Ces tombes taient elles-mmes de deux espces. Soit simplement des dalles avec unemarque, soit des mausoles avec statues. Ce cimetire, qui se logeait dans l'espace sacr de l'glise, apris dans les civilisations modernes une tout autre allure, et, curieusement, c'est l'poque o lacivilisation est devenue, comme on dit trs grossirement, " athe " que la culture occidentale a

    inaugur ce qu'on appelle le culte des morts.

    Au fond, il tait bien naturel qu' l'poque o l'on croyait effectivement la rsurrection des corps et l'immortalit de l'me on n'ait pas prt la dpouille mortelle une importance capitale. Au contraire, partir du moment o l'on n'est plus trs sr d'avoir une , que le corps ressuscitera, il faut peut-treporter beaucoup plus d'attention cette dpouille mortelle, qui est finalement la seule trace de notreexistence parmi le monde et parmi les mots.

    En tout cas, c'est partir du XIXe sicle que chacun a eu droit sa petite bote pour sa petitedcomposition personnelle; mais, d'autre part, c'est partir du XIXe sicle seulement que l'on acommenc mettre les cimetires la limite extrieure des villes. Corrlativement cetteindividualisation de la mort et l'appropriation bourgeoise du cimetire est ne une hantise de la mort

    comme " maladie " . Ce sont les morts, suppose-t-on, qui apportent les maladies aux vivants, et c'est laprsence et la proximit des morts tout ct des maisons, tout ct de l'glise, presque au milieu dela rue, c'est cette proximit-l qui propage la mort elle-mme. Ce grand thme de la maladie rpanduepar la contagion des cimetires a persist la fin du XVIIIe sicle; et c'est simplement au cours duXIXe sicle qu'on a commenc procder aux dplacements des cimetires vers les faubourgs. Lescimetires constituent alors non plus le vent sacr et immortel de la cit, mais l' " autre ville " , ochaque famille possde sa noire demeure.

    Troisime principe. L'htrotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu rel plusieurs espaces,plusieurs emplacements qui sont en eux-mmes incompatibles. C'est ainsi que le thre fait succdersur le rectangle de la scne toute une srie de lieux qui sont trangers les uns aux autres; c'est ainsi quele cinma est une trs curieuse salle rectangulaire, au fond de laquelle, sur un cran deux dimensions,on voit se projeter un espace trois dimensions; mais peut-tre est-ce que l'exemple le plus ancien deces htrotopies, en forme d'emplacements contradictoires, l'exemple le plus ancien, c'est peut-tre lejardin. Il ne faut oublier que le jardin, tonnante cration maintenant millnaire, avait en Orient dessignifications trs profondes et comme superposes. Le jardin traditionnel des persans tait un espacesacr qui devait runir l'intrieur de son rectangle quatre parties reprsentant les quatre parties dumonde, avec un espace plus sacr encore que les autres qui tait comme l'ombilic, le nombril du mondeen son milieu, (c'est l qu'taient la vasque et le jet d'eau); et toute la vgtation du jardin devait serpartir dans cet espace, dans cette sorte de microcosme. Quant aux tapis, ils taient, l'origine, desreproductions de jardins. Le jardin, c'est un tapis o le monde tout entier vient accomplir sa perfectionsymbolique, et le tapis, c'est une sorte de jardin mobile travers l'espace. Le jardin, c'est la plus petiteparcelle du monde et puis c'est la totalit du monde. Le jardin, c'est, depuis le fond de l'Antiquit, unesorte d'htrotopie heureuse et universalisante (de l nos jardins zoologiques).

    Quatrime principe. Les htrotopies sont lies, le plus souvent, des dcoupages du temps, c'est--dire qu'elles ouvrent sur ce qu'on pourrait appeler, par pure symtrie, des htrochronies ; l'htrotopie

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    se met fonctionner plein lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leurtemps traditionnel; on voit par l que le cimetire est bien un lieu hautement htrotopique, puisque lecimetire commence avec cette trange htrochronie qu'est, pour un individu, la perte de la vie, etcette quasi ternit o il ne cesse pas de se dissoudre et de s'effacer.

    D'une faon gnrale, dans une socit comme la ntre, htrotopie et htrochronie s'organisent et

    s'arrangent d'une faon relativement complexe. Il y a d'abord les htrotopies du temps qui s'accumule l'infini, par exemple les muses, les bibliothques; muses et bibliothques sont des htrotopies danslesquelles le temps ne cesse de s'amonceler et de se jucher au sommet de lui-mme, alors qu'au XVIIe,jusqu' la fin du XVIIe sicle encore, les muses et les bibliothques taient l'expression d'un choixindividuel. En revanche, l'ide de tout accumuler, l'ide de constituer une sorte d'archive gnrale, lavolont d'enfermer dans un lieu tous les temps, toutes les poques, toutes les formes, tous les gots,l'ide de constituer un lieu de tous les temps qui soit lui-mme hors du temps, et inaccessible samorsure, le projet d'organiser ainsi une sorte d'accumulation perptuelle et indfinie du temps dans unlieu qui ne bougerait pas, eh bien, tout cela appartient notre modernit. Le muse et la bibliothquesont des htrotopies qui sont propres la culture occidentale du XIX' sicle.

    En face de ces htrotopies, qui sont lies l'accumulation du temps, il y a des htrotopies qui sont

    lies, au contraire, au temps dans ce qu'il a de plus futile, de plus passager, de plus prcaire, et cela surle mode de la fte. Ce sont des htrotopies non plus ternitaires, mais absolument chroniques. Tellessont les foires, ces merveilleux emplacements vides au bord des villes, qui se peuplent, une ou deuxfois par an, de baraques, d'talages, d'objets htroclites, de lutteurs, de femmes-serpent, de diseuses debonne aventure. Tout rcemment aussi, on a invent une nouvelle htrotopie chronique, ce sont lesvillages de vacances; ces villages polynsiens qui offrent trois petites semaines d'une nudit primitiveet ternelle aux habitants des villes; et vous voyez d'ailleurs que, par les deux formes d'htrotopies, serejoignent celle de la fte et celle de l'ternit du temps qui s'accumule, les paillotes de Djerba sont enun sens parentes des bibliothques et des muses, car, en retrouvant la vie polynsienne, on abolit letemps, mais c'est tout aussi bien le temps qui se retrouve, c'est toute l'histoire de l'humanit qui remontejusqu' sa source comme dans une sorte de grand savoir immdiat.

    Cinquime principe. Les htrotopies supposent toujours un systme d'ouverture et de fermeture qui, la fois, les isole et les rend pntrables. En gnral, on n'accde pas un emplacement htrotopiquecomme dans un moulin. Ou bien on y est contraint, c'est le cas de la caserne, le cas de la prison, oubien il faut se soumettre des rites et des purifications. On ne peut y entrer qu'avec une certainepermission et une fois qu'on a accompli un certain nombre de gestes. Il y a mme d'ailleurs deshtrotopies qui sont entirement consacres ces activits de purification, purification mi-religieuse,mi-hyginique comme dans les hammams des musulmans, ou bien purification en apparence purementhyginique comme dans les saunas scandinaves.Il y en a d'autres, au contraire, qui ont l'air de pures et simples ouvertures, mais qui, en gnral, cachentde curieuses exclusions; tout le monde peut entrer dans ces emplacements htrotopiques, mais, vraidire, ce n'est qu'une illusion : on croit pntrer et on est, par le fait mme qu'on entre, exclu. je songe,par exemple, ces fameuses chambres qui existaient dans les grandes fermes du Brsil et, en gnral,de l'Amrique du Sud. La porte pour y accder ne donnait pas sur la pice centrale o vivait la famille,

    et tout individu qui passait, tout voyageur avait le droit de pousser cette Porte, d'entrer dans la chambreet puis d'y dormir une nuit. Or ces chambres taient telles que l'individu qui y passait n'accdait jamaisau cour mme de la famille, il tait absolument l'hte de passage, il n'tait pas vritablement l'invit. Cetype d'htrotopie, qui a pratiquement disparu maintenant dans nos civilisations, on pourrait peut-trele retrouver dans les fameuses chambres de motels amricains o on entre avec sa voiture et avec samatresse et o la sexualit illgale se trouve la fois absolument abrite et absolument cache, tenue l'cart, sans tre cependant laisse l'air libre.

    Sixime principe. Le dernier trait des htrotopies, c'est qu'elles ont, par rapport l'espace restant, unefonction. Celle-ci se dploie entre deux ples extrmes. Ou bien elles ont pour rle de crer un espaced'illusion qui dnonce comme plus illusoire encore tout l'espace rel, tous les emplacements l'intrieur desquels la vie humaine est cloisonne. Peut-tre est-ce ce rle qu'ont jou pendant

    longtemps ces fameuses maisons closes dont on se trouve maintenant priv. Ou bien, au contraire,crant un autre espace, un autre espace rel, aussi parfait, aussi mticuleux, aussi bien arrang que le

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    ntre est dsordonn, mal agenc et brouillon. a serait l'htrotopie non pas d'illusion mais decompensation, et je me demande si ce n'est pas un petit peu de cette manire-l qu'ont fonctionncertaines colonies.

    Dans certains cas, elles ont jou, au niveau de l'organisation gnrale de l'espace terrestre, le rled'htrotopie. je pense par exemple, au moment de la premire vague de colonisation, au XVIIe sicle,

    ces socits puritaines que les Anglais avaient fondes en Amrique et qui taient des autres lieuxabsolument parfaits.

    Je pense aussi ces extraordinaires colonies de jsuites qui ont t fondes en Amrique du Sud :colonies merveilleuses, absolument rgles, dans lesquelles la perfection humaine tait effectivementaccomplie. Les jsuites du Paraguay avaient tabli des colonies dans lesquelles l'existence tait rgleen chacun de ses points. Le village tait rparti selon une disposition rigoureuse autour d'une placerectangulaire au fond de laquelle il y avait l'glise; sur un ct, le collge, de l'autre, le cimetire, etpuis, en face de l'glise, s'ouvrait une avenue qu'une autre venait croiser angle droit; les famillesavaient chacune leur petite cabane le long de ces deux axes, et ainsi se retrouvait exactement reproduitle signe du Christ. La chrtient marquait ainsi de son signe fondamental l'espace et la gographie dumonde amricain.

    La vie quotidienne des individus tait rgle non pas au sifflet, mais la cloche. Le rveil tait fixpour tout le monde la mme heure, le travail commenait pour tout le monde la mme heure; lesrepas midi et cinq heures; puis on se couchait, et minuit il y avait ce qu'on appelait le rveilconjugal, c'est--dire que, la cloche du couvent sonnant, chacun accomplissait son devoir.

    Maisons closes et colonies, ce sont deux types extrmes de l'htrotopie, et si l'on songe, aprs tout,que le bateau, c'est un morceau flottant d'espace, un lieu sans lieu, qui vit par lui-mme, qui- est fermsur soi et qui est livr en mme temps l'infini de la mer et qui, de port en port, de borde en borde,de maison close en maison close, va jusqu'aux colonies chercher ce qu'elles reclent de plus prcieuxen leurs jardins, vous comprenez pourquoi le bateau a t pour notre civilisation, depuis le XVIe siclejusqu' nos jours, la fois non seulement, bien sr, le plus grand instrument de dveloppementconomique (ce n'est pas de cela que je parle aujourd'hui), mais la plus grande rserve d'imagination.Le navire, c'est l'htrotopie par excellence. Dans les civilisations sans bateaux les rves se tarissent,l'espionnage y remplace l'aventure, et la police, les corsaires.