[the infection theory in atherosclerosis]

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Atelier Hoechst, Deauville 13-15 mai 1998 1 Service de médecine interne, L’Hôtel-Dieu, 75181 Paris cedex 04 THEORIE INFECTIEUSE DE L’ATHEROSCLEROSE Titre court : Infections et athérosclérose Loïc Capron, Benjamin Wyplosz

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Atelier Hoechst, Deauville 13-15 mai 1998 1

Service de médecine interne, L’Hôtel-Dieu, 75181 Paris cedex 04

THEORIE  INFECTIEUSE  DE  L’ATHEROSCLEROSE  

Titre court :

Infections et athérosclérose

Loïc Capron, Benjamin Wyplosz

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RÉSUMÉ

L’athérosclérose a les caractères d’une inflammation chronique. Cela mène à identifier les

agressions qui allument et entretiennent l’inflammation athéroscléreuse. L’infection est une

réponse envisageable, impliquant des microbes dotés de plusieurs caractéristiques : large

distribution épidémiologique, tropisme artériel, rémanence, latence, récurrence. La théorie

infectieuse a pris corps en 1978 avec les travaux de Fabricant et al. sur les lésions artérielles

déterminées par l’herpesvirus de la maladie de Marek chez le poulet. À ce jour un virus

(cytomégalovirus) et 2 bactéries (Chlamydia pneumoniæ et Helicobacter pylori) ont été mis en

cause dans l’athérosclérose humaine sur des arguments expérimentaux, séro-

épidémiologiques ou anatomo-pathologiques. Aucun dossier n’est encore absolument

convaincant. Cependant, partant des soupçons montés contre C. pneumoniæ, des arguments

thérapeutiques provocants sont récemment venus s’ajouter : selon deux études pilotes, un

traitement par macrolide paraît capable d’améliorer le pronostic de la maladie coronaire dans

ses formes aiguë et chronique. Si ces résultats sont confirmés par les essais à plus grande

échelle qui sont en cours, une ère novatrice s’ouvrira dans la compréhension, la prophylaxie

et le traitement de l’athérosclérose. L’étiologie infectieuse de l’athérosclérose est désormais à

considérer avec sérieux et déjà en voie d’être soumise à une recherche expérimentale et

clinique plus intensive.

3

SUMMARY

INFECTIOUS THEORY OF ATHEROSCLEROSIS

Atherosclerosis displays all the features of a chronic inflammatory process. Aggressions

that ignite and fuel atherosclerotic inflammation warrant keen attention. Infection is a

potential clue, implying microbes with certain discrete characteristics: a wide epidemiologic

distribution, a tropism for the arterial wall, and an aptitude for persistence, latency and

recurrence. The infectious theory has built up from the pioneering observations of Fabricant

et al. (1978) on the arterial lesions provoked by Marek’s disease herpesvirus in chicken. So far

one virus (cytomegalovirus) and two bacteria (Chlamydia pneumoniæ and Helicobacter pylori)

have been implicated in human atherosclerosis, based upon experimental, sero-

epidemiologic, or pathologic evidence. None of these potential contributions has yet been

established beyond reasonable doubt. However, grounded on the suspicion about

C. pneumoniæ, provocative therapeutic evidence has added recently: according to two pilot

studies, treatment with macrolide antibiotics appear to improve the prognosis of coronary

artery disease in both its chronic and acute forms. If ongoing larger-scale studies confirm

these preliminary results, a novel era will open in our capacity for explaining, treating and

preventing atherosclerosis. An infectious ætiology of atherosclerosis is now to be considered

earnestly, and is already being submitted to more intensive clinical and experimental

investigation.

4

DU POSSIBLE AU PLAUSIBLE

Lors d’un précédent Atelier Hoechst, en novembre 1987, il avait pu paraître saugrenu, voire

incongru d’intituler un exposé « Cause de l’athérosclérose : l’hypothèse virale ».1 Partant des

données alors disponibles, il y était dit que « L’intervention de virus dans l’athérosclérose

permettrait d’éclaircir le rôle des facteurs de risque classiques en expliquant certaines de

leurs influences paradoxales. De plus, elle offrirait des perspectives inattendues de

prévention ». Après plus de 10 ans, le thème s’est bien enrichi, jusqu’à acquérir une place de

premier plan dans les conceptions progressistes de l’athérosclérose. Plusieurs avancées y ont

contribué : l’implication potentielle des herpesvirus s’est trouvée consolidée par les résultats

de nombreux travaux, principalement axés sur le cytomégalovirus ; des bactéries, Helicobacter

pylori et surtout Chlamydia pneumoniæ, ont étoffé la liste des microbes suspects ; et, à un

niveau plus conceptuel, la participation infectieuse s’est heureusement articulée avec une

synthèse intégrée de l’athérosclérose qui la considère comme une inflammation chronique de

la paroi artérielle.

INFLAMMATION ET ATHÉROSCLÉROSE

En 1862, Rudolf Virchow disait de la plaque d’athérosclérose, qu’il nommait

épaississement artériel de type verruqueux : « La série complète des événements qui compose

le processus inflammatoire bien connu y est présente ».2 Depuis, ce constat s’est solidement

avéré. Nous disposons aujourd’hui de preuves indéniables que les lésions athéroscléreuses

présentent les 4 attributs classiques de l’inflammation chronique.3 (1) Infiltrat

monolymphocytaire : aux côtés des cellules musculaires artérielles, monocytes-macrophages et

lymphocytes T constituent les contingents cellulaires principaux des plaques.4 (2) Sclérose

conjonctive : signalée dans le nom de la maladie, la sclérose représente habituellement plus

des trois quarts du volume des plaques ; la part restante étant occupée par l’athérome (cœur

lipidique).5 (3) Prolifération cellulaire : contrairement à la paroi artérielle saine dont le

5

renouvellement cellulaire est extrêmement faible, les plaques présentent une activité

mitotique notable (1 à 2 % de cellules en cycle) qui concerne les cellules musculaires, les

macrophages et les lymphocytes.6 (4) Prolifération vasculaire : contrairement à l’endartère

normale qui est dépourvue de vaisseaux, l’endartère athéroscléreuse est richement irriguée

par des néovaisseaux dont le développement est proportionné à la taille de la plaque.7

La conception inflammatoire de l’athérosclérose fournit un canevas pathogénique

unificateur, allant du développement des plaques à leurs complications (sténose, rupture,

thrombose), qui peut réconcilier les deux grandes théories historiques rivales, lipidique et

thrombotique.8 En essence, l’inflammation est la réaction d’un tissu vivant à une agression ;

son objectif est la réparation ; quand l’agression se répète ou se perpétue, l’inflammation

devient chronique et peut, en dépassant son but, être source de lésion. Aborder

l’athérosclérose sous ce point de vue mène, au-delà des préoccupations pathogéniques, à

formuler la question cruciale de l’étiologie en ces termes : quelle est la nature de l’agression

ou des agressions qui allument et entretiennent l’inflammation athéroscléreuse ?3 Les facteurs

de risque consacrés (cholestérol, diabète, hypertension artérielle, tabac) sont les réponses

communément apportées. L’infection en est une moins orthodoxe, mais qui ne manque ni

d’ancienneté,9 ni d’arguments.

DE L’INFLAMMATION À L’INFECTION

Même si on la compare parfois à un abcès, avec son cœur lipidique mou et sa coque

fibreuse dure, la plaque d’athérosclérose n’a pas de prime abord l’allure d’une lésion

infectieuse classique. Si l’infection joue un rôle, elle s’y déroule à bas bruit, provoquée par

des agents dotés a priori de plusieurs caractéristiques : une distribution épidémiologique

large qui réponde à l’extrême diffusion de la maladie dans l’espèce humaine ; un tropisme

marqué pour l’intima artérielle ; des capacités de latence, de rémanence et de récurrence qui

rendent compte de leur persistance cachée dans certaines cellules de la plaque, entrecoupée

6

de phases d’éveil rythmant les poussées évolutives cycliques de la lésion, dont le point

culminant est la rupture de plaque. Les microbes répondant à ce cahier des charges sont ceux

vers qui l’attention peut logiquement se porter, ce qui écarte en principe tous les pyogènes

banals.

L’hypothèse de microbes directement impliqués dans l’athérosclérose parce qu’ils

infectent l’intima artérielle sera seule envisagée ici, laissant de côté la possibilité

d’interventions infectieuses indirectes selon deux modalités concevables. La première

considère toute infection, quels qu’en soient l’agent ou la localisation, comme un déclencheur

d’inflammation généralisée avec mise en circulation de médiateurs inflammatoires

(cytokines, fibrinogène, protéine C-réactive, formes activées de l’oxygène, éicosanoïdes, etc.)

venant attiser de manière non spécifique le foyer athéroscléreux.10 La seconde modalité met

en jeu un mimétisme antigénique aboutissant à une réaction de type auto-immun : un

anticorps dirigé contre un antigène microbien croise sa spécificité avec une protéine naturelle

exprimée dans les plaques, ce qui y éveillerait une réaction immune capable d’aviver

l’inflammation locale ; certaines protéines de choc thermique (heat shock proteins, HSP)

bactériennes dont la structure est restée très proche des HSP humaines sont incriminées dans

une telle réaction.11

L’implication directe de microbes dans l’athérosclérose peut s’appuyer sur plusieurs

catégories d’arguments. (1) L’expérimentation induit des lésions in vivo chez l’animal entier

ou des perturbations in vitro dans des modèles cellulaires, ayant une parenté avec le

processus athéroscléreux humain. (2) L’épidémiologie établit, au moyen d’études cas-

témoins ou d’études prospectives de cohortes, des associations entre la survenue de maladies

artérielles et le titre d’anticorps sériques spécifiquement dirigés contre l’agent infectieux

suspecté ; le taux très élevé de séropositivité contre un tel agent dans la population peut

cependant atténuer la sensibilité des méthodes épidémiologiques. (3) Diverses techniques

7

histologiques peuvent détecter des corps microbiens entiers ou, plus souvent, des molécules

microbiennes spécifiques (protéines, acides nucléiques) au sein des plaques humaines. Ce

pourrait sembler la démonstration la plus suggestive, mais le contre-argument du

« vagabondage inoffensif »12 n’est jamais à perdre de vue : étant un foyer d’inflammation

chronique, la plaque recrute et héberge des leucocytes circulants, en particulier des

monocytes qui ont pu phagocyter et conserver en eux des microbes en état plus ou moins

dégradé lors d’une précédente mission de défense en un autre endroit de l’organisme (voie

respiratoire, digestive, urinaire, etc.) ; la détection de ces agents dans les plaques attesterait

alors non pas de leur implication dans la formation de la lésion, mais de son seul caractère

inflammatoire.

Un quatrième argument, bien plus décisif, s’ajoute aux trois précédents : matérialiser tout

l’intérêt potentiel de l’hypothèse infectieuse en démontrant qu’un médicament anti-

infectieux protège contre les complications cliniques de l’athérosclérose.

Sur ces bases, une famille virale (herpesvirus) et deux bactéries (Chlamydia pneumoniæ et

Helicobacter pylori) ont à ce jour été incriminées dans l’athérosclérose. Leur palmarès quant

aux preuves d’implication, résumé dans le tableau, a récemment fait l’objet d’une excellente

synthèse quantitative.13

VIRUS ET ATHÉROSCLÉROSE

Le premier indice solide qu’une infection puisse participer à l’athérosclérose est venu

d’expériences impliquant des herpesvirus, publiées il y a 20 ans.14 Tout est parti de

l’observation fortuite, chez le chat, que des cellules d’épithélium urinaire en culture se

chargent de cholestérol quand elles sont infectées par un herpesvirus félin. Sur la base de ce

constat inopiné, des poulets furent infectés avec un herpesvirus aviaire, le virus de la maladie

de Marek. Il en résulta des lésions artérielles étonnamment ressemblantes à l’athérosclérose,

avec un épaississement fibreux contenant un athérome. Depuis, le dossier s’est enrichi

8

d’observations essentiellement axées sur deux herpesvirus humains, herpesvirus simplex de

type 1 et cytomégalovirus. S’ils ne sont pas capables de déclencher des lésions artérielles

expérimentales aussi spectaculaires que le virus de la maladie de Marek, ces virus peuvent

pourtant infecter les cellules artérielles et altérer certains de leurs comportements dans un

sens favorable à la formation des plaques : transformation spumeuse (accumulation

cytoplasmique de vacuoles lipidiques) et prolifération des cellules musculaires lisses ;

dysfonctionnement des cellules endothéliales avec effet prothrombotique et expression de

molécules d’adhérence ; production de cytokines par les monocytes macrophages.15

Le cytomégalovirus (ou HHV5, 5e des 8 herpesvirus humains connus) domine la scène

clinique. Les infections qu’il provoque chez les sujets immunocompétents sont très souvent

asymptomatiques ou bénignes (syndrome mononucléosique) mais sa séroprévalence est très

élevée, variant entre 50 et 90 % dans la population adulte, avec une forte influence des

conditions socio-économiques. Seize études histologiques ont utilisé divers moyens pour

détecter le cytomégalovirus dans un total de 398 artères saines et 607 artères

athéroscléreuses. Globalement, le taux de positivité n’a été que marginalement plus élevé

dans les lésions que dans les échantillons normaux [47 % contre 39 %, soit un odds ratio

pondéré à 1,4, avec intervalle de confiance à 95 % (IC95 %) de 1,0 à 1,9]. L’odds ratio s’élève à

2,5 (IC95 % :1,6 à 3,8) quand ne sont prises en compte que les études ayant employé la

technique plus sensible d’amplification génomique.13 La seule conclusion ferme à tirer de ces

travaux est que le cytomégalovirus a un tropisme marqué pour la paroi artérielle où ses

principales cibles sont les cellules musculaires lisses.16 Dix-huit études épidémiologiques

mènent à estimer que le lien entre maladie athéroscléreuse et séropositivité pour le

cytomégalovirus se caractérise par un odds ratio aux alentours de 2. Leurs faibles effectifs et

leurs nombreuses imperfections méthodologiques incitent cependant à n’interpréter cette

estimation qu’avec prudence.13

9

Le cytomégalovirus a aussi été impliqué dans deux formes cliniques particulières

d’athérosclérose : la maladie artérielle des greffons, et la resténose après angioplastie. La

survenue d’une infection à cytomégalovirus, favorisée par la dépression immunitaire

iatrogénique, est souvent mais non unanimement désignée comme un facteur de risque de la

maladie coronaire des cœurs greffés.17 Beaucoup de travaux expérimentaux sont en faveur

d’une intervention du cytomégalovirus dans cette forme de rejet tardif, mais les données

histologiques sont contradictoires.18,19 Pour la resténose après angioplastie coronaire, une

étude très remarquée20 lui a trouvé une incidence nettement plus élevée chez 46 patients

séropositifs pour le cytomégalovirus que chez 29 séronégatifs : 43 % contre 8 %, soit un odds

ratio à 9 (IC95 % : 1,9 à 42,4), valeur dépassant de loin celles atteintes par les marqueurs de

risque étudiés jusqu’alors. La même équipe a présenté des résultats expérimentaux suggérant

que le cytomégalovirus puisse interférer avec l’expression de la protéine p53 (anti-oncogène)

pour lever un frein à la prolifération des cellules musculaires et favoriser la resténose.21 Une

étude récente tend à confirmer le lien entre la séropositivité pour le cytomégalovirus et la

resténose coronaire,22 mais trois au moins ne l’ont pas retrouvé.23

Les arguments les plus solides en faveur du cytomégalovirus et, plus généralement, des

herpesvirus sont donc expérimentaux. Les arguments clinico-anatomiques sont faibles, voire

contradictoires. La fragilité des données histopathologiques doit cependant prendre en

compte une particularité remarquable du cytomégalovirus : in vitro il peut durablement

altérer les fonctions des cellules musculaires artérielles qu’il a infectées, puis s’évanouir sans

laisser la moindre signature, même génétique, de son intervention (hit and run, « frapper et

filer »). 24

10

BACTÉRIES ET ATHÉROSCLÉROSE

Chlamydia pneumoniæ

Identifiée en 1986 sous le nom de C. TWAR,25 C. pneumoniæ est une bactérie gram-

négative, parasite intracellulaire obligatoire. Elle s’est révélée être un agent très commun

d’infections respiratoires : quasiment tous les individus sont infectés à un moment ou un

autre de leur vie.26 En 1988, partant du fait que l’infection à C. pneumoniæ peut se compliquer

d’endocardite et de myocardite, une équipe finlandaise a constaté qu’un titre élevé

d’anticorps contre C. pneumoniæ était plus fréquent chez 40 victimes récentes d’accident

coronaire aigu (68 %) et chez 30 patients atteints d’angor sévère (50 %) que chez 41 témoins

sains (17 %).27 Les 17 études séro-épidémiologiques publiées depuis ont généralement

confirmé l’association avec un odds ratio égal ou supérieur à 2, mais avec des limites

similaires à celles signalées pour le cytomégalovirus, et la faiblesse supplémentaire que les

techniques sérologiques n’y ont pas toujours été d’une grande fiabilité.13 Treize études

histologiques de détection (portant sur la présence de protéines, d’acide nucléique ou de

corps élémentaires chlamydiaux) ont conclu à la positivité de 52 % des 495 lésions examinées,

contre seulement 5 % des 118 échantillons artériels indemnes d’athérosclérose ; soit un odds

ratio pondéré d’environ 10 (IC95 % : 5 à 22).13 L'expérimentation n’a pas apporté de preuve

convaincante que C. pneumoniæ soit capable d’induire à lui seul des lésions de type

athéroscléreux. Cependant, l’infection peut accélérer le développement des lésions dans

certains modèles, comme le lapin hypercholestérolémique28 ou la souris déficiente en

apolipoprotéine E.29 Les travaux portant sur les modèles cellulaires in vitro sont encore très

rares.30

L’argument le plus fort en faveur de C. pneumoniæ est donc histopathologique, mais la

réserve du « vagabondage inoffensif » est à ici prendre spécialement en considération car la

11

bactérie réside et persiste essentiellement dans les monocytes-macrophages des plaques

(mais il s’en trouve aussi dans les cellules musculaires et endothéliales).31

Helicobacter pylori

L’implication d’H. pylori dans la pathologie ulcéreuse gastro-duodénale a révolutionné la

gastro-entérologie, et fourni un des plus belles démonstrations qu’une infection ignorée peut

être la clef étiologique d’une maladie longtemps considérée comme inflammatoire,

dégénérative ou cryptogénétique. Depuis 1994 au moins 20 études séro-épidémiologiques

ont cherché une association entre H. pylori et les maladies artérielles. Leur analyse conclut à

un lien faible, inconstant et hautement contestable.13,32 Aucune donnée expérimentale ou

histopathologique ne vient à l’appui d’une telle association.

DU PLAUSIBLE AU PROBABLE

Telle était naguère la situation : la théorie infectieuse tirait sa plus grande force de sa

plausibilité théorique, en lien avec l’explication inflammatoire de l’athérosclérose ; une

abondance d’indices s’étaient accumulés autour du cytomégalovirus et de C. pneumoniæ,

mais aucun, pris individuellement, n’était capable d’emporter la conviction car fondé sur des

données fragmentaires, sujettes à des biais, ou contredites par des données d’autres sources.

L’élan décisif ne pouvait venir que d’arguments thérapeutiques : nul ne s’est encore aventuré

à attaquer le cytomégalovirus contre lequel nous ne disposons que de médicaments difficiles

à manier (voie d’administration, toxicité, coût) ; mais la situation est tout autre pour

C. pneumoniæ, bactérie sensible à plusieurs antibiotiques courants et actifs par voie orale. Un

pas important a été franchi avec la publication durant l’été 1997 de deux essais

thérapeutiques pilotes utilisant un macrolide dans la maladie coronaire.

Le premier émane d’une équipe londonienne.33 Chez 213 hommes ayant survécu à un

infarctus du myocarde le pronostic cardiovasculaire, avec un recul de 18 mois, variait en

proportion du titre des anticorps sériques anti-C. pneumoniæ : il était 4 fois meilleur chez les

12

séronégatifs que chez les nettement séropositifs (titre supérieur ou égal à 1/64). Chez ces

derniers (80 patients), après tirage au sort partiel, un traitement par azithromycine

(Zithromax, 500 mg/j en une ou 2 cures de 3 j, alors séparées par 3 mois d’intervalle) fut

comparé à un placebo. L’antibiotique améliora leur pronostic cardiovasculaire au point de

l’amener au même niveau que celui, favorable, des patients séronégatifs. Le second est un

essai multicentrique mené en Argentine34 chez 202 patients atteints d’insuffisance coronaire

aiguë sans onde Q à l’électrocardiogramme (angor instable dans 90 % des cas, infarctus sans

onde Q dans 10 % des cas) pour examiner l’efficacité d’un autre macrolide actif sur les

chlamydies. Après tirage au sort, 102 malades ont reçu de la roxithromycine (Rulid, 150 mg

2 fois par jour par voie orale), et les 100 autres un placebo. Tous ont bien sûr été soumis en

plus au traitement conventionnel de la menace aiguë d’infarctus. Le traitement antibiotique a

été considéré comme effectif s’il avait été pris pendant au moins 3 j (avec l’objectif ensuite de

le poursuivre jusqu’à 30 j). L’efficacité a été jugée sur la survenue d’un infarctus du

myocarde, d’un décès de cause coronaire, ou d’une récidive de l’angor instable durant les 30 j

suivant la mise en route du traitement. L’analyse des cas effectivement traités (93 dans

chaque groupe) a comptabilisé 9 événements dans le groupe placebo (5 récidives de la

menace, 2 infarctus et 2 morts) contre un seul (une récidive de la menace) dans le groupe

roxithromycine.

Si on les considère avec bienveillance, ces résultats préliminaires qui concernent de très

modestes effectifs, font effectivement passer la théorie infectieuse dans la zone du probable :

différence significative en faveur du groupe traité par rapport au groupe placebo avec une

probabilité de l‘hypothèse nulle (p) inférieure à 0,05 dans l’étude anglaise (analyse en

intention de traiter) et dans l’étude argentine (analyse en efficacité).

13

DU PROBABLE À L’AVÉRÉ…

Si critiquables qu’en puissent être les méthodes et les résultats, les 2 études des macrolides

ont propulsé C. pneumoniæ sous les feux de la rampe. Va-t-il y brûler comme un feu de paille

ou, au contraire, rejouer aux cardiologues la scène qu’H. pylori a jouée aux gastro-

entérologues ? Les résultats anglais et argentins sont bien sûr à confirmer. On en saura

bientôt un peu plus sur l’étude argentine (résultats à 6 mois). Surtout d’autres essais avec les

macrolides à plus grand échelle ont démarré ou sont en cours de conception. L’un d’eux,

ACADEMIC, avec l’azithromycine dans la prévention après infarctus a même été malmené

par l’impatience de ses concepteurs : ses résultats cliniques non significatifs à 6 mois ont été

présentés, alors qu’il doit durer 2 ans (J.B. Muhlestein et al., communication orale au 47th

Annual Scientific Session of the American College of Cardiology, Atlanta, 29 mars-1er avril 1998).

La simple raison fait souhaiter que de telles maladresses ne soient plus commises, et incite à

attendre dans la sérénité les 2 à 4 ans requis pour obtenir un verdict sûr quant à l’intérêt des

antibiotiques dans la maîtrise de la maladie coronaire. D’ici là les travaux anatomo-

pathologiques et expérimentaux vont s’accumuler à grande vitesse, mais sans jamais acquérir

la force de conviction que peuvent avoir les essais thérapeutiques.

Une question embarrassante ne peut être éludée : la vague chlamydiale a-t-elle englouti la

piste virale qui pourtant avait allumé la mèche lente de l’infection dans l’athérosclérose ?

Tout laisserait aujourd’hui croire que oui, mais deux éventualités ne peuvent être

formellement écartées : (1) l’athérosclérose pourrait être la réponse univoque de l’intima

artérielle à diverses agressions infectieuses et même d’autres natures (métabolique,

hémodynamique, immune, toxique, etc.), ce qui en ferait une maladie « polyétiologique » ;

(2) cytomégalovirus et C. pneumoniæ pourraient être complices, l’un, agissant tôt, préparant le

terrain (formation des plaques) pour que l’autre, intervenant plus tard, exprime sa virulence

en favorisant l’expression clinique de la maladie (complications thrombo-ischémiques). À cet

14

égard, certaines modifications des cellules musculaires artérielles transfectées par le

cytomégalovirus, comme leur immortalité en culture24 ou leur transformation spumeuse,35

ouvrent d’intéressantes perspectives. En outre, d’autres agents infectieux peuvent encore

émerger : on ne saurait oublier que les herpesvirus ont éveillé les premiers soupçons

construits en 1978,14 soit 8 ans avant que C. pneumoniæ n’eût d’existence reconnue.25 Un échec

partiel ou même complet des macrolides dans la maladie coronaire ne disqualifierait pas

définitivement l’idée d’une participation microbienne dans l’athérosclérose.

La théorie infectieuse est porteuse d’immenses espoirs pour améliorer la compréhension,

la prophylaxie et le traitement de l’athérosclérose. Son essor actuel ne se fonde encore que

sur des démonstrations fragiles et justifie un enthousiasme réfléchi. Nous approchons d’un

moment crucial de vérité. L’hypothèse, après 20 ans de lente maturation, est étayée par

suffisamment d’arguments pour qu’on mette en œuvre les moyens nécessaires à la vérifier ou

à la rejeter. Jusqu’ici les collaborations entre spécialistes de l’athérosclérose et de l’infection

ont au mieux été confidentielles et timides. Elles sont désormais à encourager

énergiquement.

15

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19

TABLEAU

Hypothèse infectieuse de l’athérosclérose : palmarès des agents mis en cause.

Catégorie de preuve

Herpesvirus

cytomégalovirus

Chlamydia

pneumoniæ

Helicobacter

pylori

modèles animaux + ± –

modèles cellulaires + ± –

séro-épidémiologie + + ±

détection dans les plaques + + –

traitement – + –

Les données sont :

+ globalement en faveur

± partielles ou contradictoires

– absentes ou négatives