souffrances individuelles et voix collectives : la stratégie orale des témoignages des femmes au...

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Cultures Sud 172

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Un demi-siecle de « feminitude » Quarante ans d'ecriture au feminin Odile Cazenave

Souffrances individuelles et voix collectives: la strategie orale des temoignages des femmes au Rwanda Beatrice Rangira Gallimore

L'Exil au feminin Entretien avec Gisele Pineau Propos recueillis par la redaction

L'engagement philosophique au feminin T anella Boni

Femmes cineastes d'Afrique et des Cara",bes : Ie dur desir de creer dans un monde effarant Frieda Ekotto

Entretiens, cheminements litteraires et artistiques Ananda Devi ou I'intime conviction de I'ecriture Propos recueillis par Sami T chak

Chemin d'ecriture Veronique Tadjo

Effets de retour: entretien avec Michele Rakotoson Propos recueillis par Patricia Celerier

Trois sCleurs de theatre, d'un ocean a I'autre, d'une histoire a I'autre Sylvie Chalaye

Retourner la marge en centra lite. Entretien avec Yanick Lahens Propos recueillis par Yolaine Pari sot

Odile Tobner : subvertir Ie discours dominant Propos recueillis par Ambroise Kom

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Figures feminines et enleux soclaux Femmes d'action Laure Naimski

Une nouvelle generation de romancieres anglophones : des exilees a I'epreuve de I'ailleurs et de I'autre Denise Coussy

L'essai au feminin en Afrique francophone : les travaux d'Aminata Traore et de Tanella Boni Irene d'Almeida Assiba et Sonia Lee

Ecritures feminines contemporaines du Moyen-Orient Morc Kober

Quand les artistes femmes 5'exposent Catherine Millet

Inedits Le tissu des reves Ananda Devi

Art Maieur Yama Sanchez

Dounya... Mame Diorra Diop

5 Actualites 160 Notes de lecture

181 Index des notes de lecture

182 Vient de paraitre

186 Breves

SouHrances individuelles et voix collectives : la strategie orale des temoignages des femmes au Rwanda Beatrice Rangira Gallimore*

Dans son ouvrage Remembering: Oral History PerformanceI, Della Pollock

montre que la performance est un instrument important de resistance pour Ie spec­

tateur aussi bien que pour Ie locuteur : « Performance is a promissory act. Not

because it can promise possible change but because it catches its participants -often

by surprise- in a cont~'act with possibility: with imagining what might be, could be,

should be. »

Dynamiques associatives et strategies de prise de parole

Le Rwanda postgenocide compte aujourd'hui plus d'une quarantaine d'associa­

tions feminines. S'associer apres Ie genocide etait au depart un acte de survie, un

besoin de s'entraider ; la dynamique associative etait done au depart un acte social.

Mais de ce lien social est ne aussi le partage de la parole et de l' ecoute necessaire a leur survie. Parmi les associations qui mettent l'emphase sur la parole, citons AVEGA2, connue aussi sous Ie nom de kinyarwcmda « AgaJJozo » (La Berceuse),

dont une branche affiliee, situee au sud du pays se nomme « Duhozanye »

(Reconfortons-nous). II y a aussi l'association « Mbwira ndunva » (Parle-moi,

j'ecoute) de Kigali, et enfin Abasa (celles qui se ressemblent ou celles qui partagent Ie meme destin) de Butare.

Dans Survivantes3, Mujawayo nous explique que l'AVEGA est nee du desir de

combIer un manque, celui de l'ecoute, que la societe postgenocide leur refusait

alors que les femmes en avaient besoin pour survivre. Mujawayo s'explique : « Tt1 commences araconte0 raconte~~ et iis n 'acceptent pas d'ecouter, et c'est terrible. Ils disent: "C'est trop horrible." Ils disent : "C'est trop, trop ... ". » (p. 20). Les resca­

pes Tursi des annees « 1959 et 1973 », qui rentraient dans Ie pays tant reve apres

des annees d'exil, « ~a les aurait arrange qU'on ne soit pas la pour raconter... »,

explique Mujawayo (p. 20). Enfin, les Hutu coupables ne voulaient pas non plus

ecouter ces temoignages qui pesaient lourdement sur leur conscience. En plus, les

rescapees devaient affronter les obstacles sociolinguistiques que leur imposait la

---------------------~---..--.--. Rarlgira Beatrice Galiimore cst actuellemer;t profe"eur a l'Universite du Missou~i-Columbia (Etats-Ur;is). Elle a publ;e et coedite des owvrages dans Ie domaine de la litterature africaine francophone, et a egalement publitd plusieurs articles dans ce domaine. Ses recherches actuelles portent sur Ie genocide de, Tutsi au Ru'anda : dle a coedite un recu.eil. d'e5~ais et a pub~ie plusieurs articles sur c,e sujet. Son travail d,: recherche en cours cons­tltue tme analyse socwlznguLStzque des temozgnages de Rwandazses surv!vantes du genoade.

1. Della Pollock, Remembering: Oral History Performance, New York, Palgrave Macmillan, 2005. 2. Association des Veuves du Genocide. 3. Temoignage raconte par Esther Mujawayo et ecrit avec La collaboration de Souad Belhaddad.

u ures u engagement au emlnin ,

« Tu commences a raconter, reconter,

et Us n'acceptent pas d'ecouter, et c'est terrible. 115 disent : HC'est trop horrible". »

tradition rwandaise ; « Dans la culture rwandaise, on te dit toujours de garder en

toi tes douleurs : «Uhishe mu nda imbwa ntimwiba" (Celui qui garde dans son

ventre n 'est jamais vole par les chiens). » (p. 207).

Dans son ouvrage, Introduction a la poesie orale", Paul Zumthor definit ainsi la voix : « Radzcalement sociale autant qu'individuelle, La voix signale fa maniere dont l'homme se situe dans Ie monde et al'egard de L'autre. Parler en effet implique une ecoute (meme si quelque circonstance empeche celle~ci), demarche double OU

des interlocuteurs ratifient en commun des presupposes fondes sur une entente, en general tacite mais toujoun (au sein d'un meme milieu culturel) active. » (Zumthor, 1983, p. 31). C'est l'AVEGA qui offre aux veuves du genocide un espace qui leur permet cette complicite entre les interlocuteurs dont parle Zumthor dans Ie texte

ci-dessus. L'association leur fournit egalement un forum « 014 les jeux du langage s'affran­

chissent aisement des regulations institutionnelles... » (Zumthor, 1983, p. 31). Par exemple, c' est au sein d'AVEGA que les femmes vont se permettre de subvertir certains codes linguistiques. Parlant du proverbe cite prealablement qui definit l'ethos rwandais du silence, Mujawayo explique : « A AVEGA, on a explique que, seion nous, fa dictee de ce pro·verbe trouvait son sens auparavant parce que notre 'ventre pouvait aion contenir nos peines ou nos malheurs precedents, ce qu'on a subi et survecu du genocide, personne ne peut le tenir dans un ventre ou alon, tout eclatera a l'interieur de ce ventre. » (p. 207).

Aux «femmes qui se croyaient folles acause de fa perte de leur memoire » (p. 207),

leaders d'AVEGA ont « longuement explique que leurs symptomes apparem­

ment anormaux haient, en fait, des plus normaux et que la vraie anormalite, elle, residait dans ce qu'elles avaient subi d'inoui'» (p. 207). L;'association s'est transfor­mee petit a petit en un lieu initiatique qui entraine un groupe de neophytes femi~ nines a surmonter les epreuves du genocide grace a I' entraide et au respect mutuel, pour essayer de verbaliser Ie mal absolu qu'elies ont vecu.

II est interessant de noter ici que la subversion du langage saisie dans Ie jeu de la performance au sein d'AVEGA est mise en abyme dans Survivantes par Ie face-a­face entre les deux femmes. Ce contact cree entre eUes un sentiment de conniven­ce qui parfois leur permet Ie viol de la langue et du recit. Comme c'est Ie cas parmi les femmes d'AVEGA, la narratrice et la narrataire de Survivantes semblent affran­

chies de toute contrainte. Dans ce temoignage, on y rencontre ce que Zumthor

Introduction it la poesie orale, Paris, Seuil, 1983.

Abase est la seule association feminine rwandaise qui reunisseexclusivement las survivantes des violences sexuelles.

appelle « fa flexibilite de /'enonce », c'est-a-dire les « gfissements de registre, les sautes de discours (de l'assertion a La priere, du ddt a l'intermgation... » (Zumthor,

1983, p. 31), et beaucoup d'autres ruptures qui contribuent a la fragmentation nar­

rative, une des caracteristiques du recit oral.

l;association Abasa n§unit une soixantaine de survivantes qui ont ete violees

pendant Ie genocide. C'est la seule association feminine rwandaise qui reunisse

exclusivement les survivantes des violences sexuelles et dont les membres ont

accepte d'assumer publiquement leur identite negative dans un pays OU parler

publiquement du viol reste un tabou. Comme toutes les survivantes du genocide,

elles dOlvent affronter une experience innommable, impossible a concevoir et a partager, mais en plus, elles doivent pader de leur corps, notamment du corps

sexueP.

Dans cette association, Ie denouement de la parole se realise difficilement et Ie

groupe y tient Ie role du tiers, d'un intennediaire par lequelle lien feminin se tisse

pour encourager Ie temoignage. Le temoignage individuel prend la forme de ce que

Paul Zumthor appelle «performance » poetique. Dans son ouvrage, La Poesie et La voix dans La civilisation medie'vale6

, il definit ce concept comme « l'actionvocale par laquelle Ie texte poitique est tmnsmis it ses destinataires [et par laquelleJ La transmission de bouche it oreille opere litteralement Ie texte » (Zumthor, 1984,

p.38).

Lors du partage de la parole chez les Abasa, la performance est mise en reuvre :

l'improvisation joue un role de premier plan: Ie sens, la musique d'un mot suffi­

sent pour faire jaillir un poeme au milieu de la prose du temoignage. Voici

comment dIes s'exhortent mutuellement a liberer leur voix :

Abasa ? Barasangira (Abasa ? Elles partagent) Abasa ? Barasabirana, (Abasa ? Elles prient les unes pour les autres) Abasa Barasabana ? (Abasa ? Elles offrent l'hospitalite) Abasa Basangira ijambo ? » (Abasa ? Elles partagent Ie mot ou, dans ce cas-La,

le temoignage).

5. Nour;; avons discuus de nombreux obstacles socioculturels aux temoignages des survivantes rwandaises dans tfn {Hticle aui 'Va etre pub/iii en ligne par rUnesco en 2009, imituLe, « Comprendre et abatt;e Ies obs,tacles so_~zo­cultmAs dUX temoignages desvict,mes de viols sexuels : un pas ven la fm de la culcure d zmpumte et une 'Vote 'veys /a politique de reconciliation ».

6. La Poesie et la voix dans la CIvilisation medievale, Presses Universitaires de France, 1984.

Un forum au Ie moi individuel est soutenu

par Ie nous coliectif.

Dans ce texte qui leur sert de devise, la construction de differentes formules qui

Ie composent est basee sur des effets de symetries et d'echos sensoriels. Quand la

presidente interpelle les Abasa, elles repondent a l'appel en utilisant les verbes

d'action obtenus en jouant sur les sons « ba » et « sa » qui forment Ie radical du

nom « Abasa ». La devise ci-dessus nous plonge dans l'univers de la performance ou la sensation auditive se realise en meme temps que l'idee et la pensee. Chacune

de ces formules est prononcee, ou plutot scandee, par la presidente dans des cir­

constances particulieres pour exhorter les membres des Abasa a faire quelque

chose, a parler, ou tout simplement pour les rassurer. Le jeu des sons elabores a partir du nom « Abasa » est un jeu poetique sur lequel sont construits Ie titre et Ie

refrain de leur chanson emblematique « }v'[uze murebe Abasa, barasanganwa »

(Venez voir les Abasa, elles sont accueillantes).

La derniere formule « Abasa basangira ijambo » (Abasa partagent la parole/Ie

temoignage) est utilisee par 1a presidente pour inciter les membres a donner leur

temoignage ou pour inviter quelqu'un d'autre aprendre la parole quand la parole

d'une narratrice refuse de se livrer. Nous avons constate aussi qu'elle utilise la

meme formule pour inviter les femmes de l'association au partage de la parole quand une d'entre elies la monopolise. L'association Abasa a ainsi fourni a ses membres un forum OU Ie moi individud est soutenu par Ie nous collectif, un espace

dans lequdia parole individuelle et Ia parole collective s'articulent sans s'opposer.

Quand Ie collectif prend Ie pas sur I'individuel

Un autre temoignage qui illustre ce partage au sein du groupe est un temoignage

en apparence etrange, recueilli aupres de la presidente d'une association de survi~

vantes de Butare. Au cours des interviews individuelles realisees avec les membres

de cette association, nous avons remarque avec surprise qu'il y avait des ressem­

blances entre Ie temoignage de la presidente de l'association et certains temoigna­

ges des membres du groupe. Interrogee sur ces ressemblances intrigantes, la

presidente a repondu innocemment que certaines de ses cons<xurs n'osaient pas

toujours parler de tout ce qu'elles avaient subi, et qu'elle se sentait parfois obligee de parler pour dies. « Nous avons partage Ie meme sort ici, dans ce village, je peux done parler pour elles. De toutes les fafons, je n 'ai pas invente, ee que je dis est vrai, fa s'est passe ainsi », nous a-t-die explique (temoignage recueilli au Rwanda en

2006). Pendant Ie genocide, Ie chef des miliciens « Interahamwe » l'a prise en otage

sexuelle et a promis de lui epargner la vie, mais l'a sommee d'assister continuellement

C'est a travers cette voix polyphonique qu'elle peut exorciser sa douleur, trouver so propre voix et verbaliser son propre h~moignage.

a toutes sortes de crimes commis par ses sujets : « Tu dais temaigner plus ta1'd de

l'existence d'une certaine race tutsi qui existait dans le pays », lui disait-il. Au debut

de son temoignage, Ia presidente nous a explique que, pour elle, temoigner n'etait

pas un choix, mais que c'etait la raison de sa Sllrvie en 1994 et, qu'aujourd'hui, c'est devenu sa raison d'etre.

Dans son role de temoin oculaire, eUe a vecu mentalement les souffrances de cer­

tains membres de l'association, une association qU'elle a eUe-meme fondec et a laquelle elle a servi de presidente jusqu' a aujourd'hui. Au cours des interviews

qu'elle a faites en public, elIe a formule et reformule certains morceaux de temoi··

gnages de ses compagnes, qU'clle a fini par integrer dans son propre temoignage.

Une metamorphose narrative s'est operee au cours de differentes performances: Ie

« je » de l'enonciation, qui au debut representait une conscience individuelle, s'est

metamorphose progressivement en « je » pluriel, qui soutient et represente une

conscience du groupe et, dans ce cas-la, les membres de son association. Omnipresente dans son role de temoin, elle est devenue comme une eponge qui a

fini par absorber et assumer les souffrances des victimes.

11 est bien vrai que la validite de ce temoignage peut etre mise en jeu au sein des instances juridiques. Cependant, sa veracite nouvc sa justification dans l'univers

de l'oralite. L'appropriation du temoignage de l'autre et l'identification au temoin

montrent que la pnSsidente a Hni par se transformer en temoin/conteur des recits oraux. Un conte est souvent une variation sur differents recits d'une meme histoi~

re, et aforce de raconter I'histoire, Ie conteur finit par se l'approprier7.

On peut aussi dire que cette technique associative, d'appropriation et d'identifi­

cation est, pour Ia presidente, un moyen de s'administrer une dose therapeutique.

Elle a ete temoin du mal absolu qu'elle n'arrive pas acommuniquer sans passer par

la parole de ses compagnes. En mdangeant son histoire acelles des autres membres de l'association, elle a acquis Ie pouvoir de parler pour les autres mais aussi la pos­

sibilite d'adoucir ses souffrances. Le « je » englobant de son temoignage rend sa

voix solidaire de celles des autres femmes de l'association. C'est atravers cette voix

polyphonique qU'elle peut exorciser sa douleur, trouver sa propre voix et verbali~

ser son propre temoignage.

Comme Ie genocide est un crime contre l'humanite, une victime, ou plutot un survivant, represente tous les ctres humains qui ant etc extermines et ceux qui sont

7. un article, ({ Cornlnenl conter peut etre it raconter et raconter J>, D'un conte a l'autre~ vana­, I dans la litterature orale, Paris, editions GOTOg (CNRS, p. iVartine Ii1ariotti montre comment la variabilite de l'histoire devient representative de parametres a personnalite du conteur.II

I

I

Dans son role de porte-parole, Esther

Mujow-oyo a fini par assumer I'jdentite victimes violences sexuelles dont les histoires peuplent sa memoire.

encore vivants mais incapables de trouver Ies mots adequats pour dire Ie genocide.

Dans Survivantes, Esther Mujawayo nous dit : « Je n'eprouve pas de besoin

profond de raconter ma propre histoire... Si Uimoigner de mon parcours, (a peut

etre utile, alon oui. M ais atitre personnel, je ne sais pas... » Cp. 17).

Dans certains passages de Survivantes, Mujawayo nous fait penseI' a la presi­

dente de l'association ; comme elle, elle s'approprie parfois Ie temoignage des

autres veuves d'AVEGA et meme s'identifie avec elles. Ce phenomene peut se

lire dans les passages suivants qui nous semblent en apparence contradictoires.

Sur un ton solennel, nous rappelant celui du juridique, Esther nous

prend a temoin et denonce l'injustice du Tribunal international d'Arusha

«charge de les criminels de genocide [qui] foumit gratuitement une trithe­

rapie aux ditenus » (Mujawayo, p. 199). Certains des tueurs, contrairement aux

d'AVEGA, sont soignes pour temoigner au tribunal. Indignee par cette

injustice, elle declare: « Et, entretemps, je Ie je martele, Ie ressasse,

ceux qui nous ont contaminees re(oivent une tritherapie a Arusha. » (p. 200).

A notre grande surprise, quelques pages plus loin dans Ie meme livre, l'auteur

nous declare solennellement qu'elle est indemne : « iifoi, Esther lvlujawayo, je

n 'ai pas re(u un seul coup de machette sur Ie visage ni ai he coupee, je n 'ai pas

he vioUe, ni contaminee par Ie sida, je n 'ai pas eu faim, ni ete dans la pauvrete

et surtout, surtout, je n'ai perdu aucune de mes trois filIes ... » (p. 246-247).

Ce qui nous paralt etre une contradiction flagrante ne l'est pas reellement.

Comme la presidente de l'aJ£ociation, temoigner est pour Mujawayo un acte

d'engagement. Dans son role de leadership et porte-parole, elle a fini par

assumer l'identite des victimes de violences sexuelles dont les histoires peuplent

sa memoire.

Un modele de communication f

Cet engagement feminin ne au sein associations va depasser I'espace ferme

de l'association pour entrer dans l' arene publique au sein des tribunaux natio­

naux. Pour mettre fin a la culture d'impunite, certaines femmes d'AVEGA et

des Abasa ont meme accepte de comparaitre devant Ie Tribunal penal interna­

tional pour Ie Rwanda (TPIR) pour temoigner des violences sexuelles qU'elles

ont C'est grace iii cet engagement public que Ie TPIR, qui, auparavant, ne

se sentait pas concerne par ce genre de crime, a deerete une loi a repercussions

internationales, declarant que Ie viol sexuel tel qu'il etait impose aux femmes

u tures Sud 172 L'engagement au feminin '

Fengogement ferninin s'est etendu

egalement a (' echelle internationale

grace a la publication de nombreux temoignages realises par fes survivantes rwandaises.

Tutsi au Rwanda est non seulement un CrIme de guerre, malS aUSSl un cnme contre l'humanite et un crime de genocides,

L'engagement feminin s' est etcndu egalement a l't§chelle internationale grace a la publication de nombreux temoignages realises par survivantes rwandaises9

, Le

temoignage d'Esther, qui fait indirectement P6bjet de cette etude, est aussi Ie resul­

tat de la parole orale telle qu' eUe se deployait sous Ie jeu de la performance au sein

des associations, Le temoignage Survivantes s'est realise a travers la voix d'Esther

Mujawayo, celIe de la tierce representee par Souad Belhaddad et de nombreuses

voix de femmes emanant de l'AVEGA dont l'auteur se fait la porte-parole.

eomme dans les temoignages produits au sein des associations, celui de Mujawayo

est une transmission ecrite ancree dans l'oralite. La voix d'Esther est comparable a ceUe d'un conteur dont les manifestations physiques nous sont revelees a travers les differents sons de sa voix et des gestes indiques par des annotations entre paren­

theses, nous rappelant les didascalies des pieces de theatre. L'auditoire n'en est pas

exclu ; il est represente par la tierce personne, Belhaddad, qui joue un role actif

d'auditrice qui s'est gardee de tuer la spontaneite de la parole, en ignorant « des codes de relecture habituels » (p. 11). e'est une parole associative qui garde « Ie ton de l'oral », « les tremblements, les hesitations, les ncet1ds, et la sideration [pour)

tente[rJ de dire l'indicible : Ie genodde » (p. 10). Belhaddad cst aussi l'interm6diai­

re qui permet aEsther de communiquer son temoignage au public atravers un « tu associatif» qui s'adresse indirectement au lecteur et au public. Dans ce temoigna­

ge coecrit, nous sommes en presence d'un n:cit dialogue.

La performance nee au sein des associations feminines au Rwanda est un acte puissant de resistance qui a permis aux femmes de recuperer leur voix, de se rein­

venter, pour pouvoir communiquer leur message aun public beaucoup plus large.

eet engagement f6minin, enfant des associations feminines, a aussi envahi la scene politique. Aux elections Iegislatives du mois d' octobre, les R wandaises ont gagne

56,25 % de sieges au Parlement. Elles tiennent aujourd'hui une position unique

dans l'histoire du monde, avec un nombre femmes superieur a celui des

hommes au sein du Parlement.

Beatrice RANGIRA GALLIMORE

8. Le 2 octobre 1998, Ie Tribunal penal international pour Ie Rwanda condamne l'ancien bourgmestre Jean-Paul Akayezu atmis peines d'emprisonnement pour genocide, crimes gucne et crimes contre l'huma­nitlf. De plus, le trtbunal a condamne Akayezu a 80 annees d'emprisonnement pour 'Viol et d'autres crimes, y compris eelui d'a'Voir encourage la perpetration de 'Viols et d'actcs de violence sexuelle.

9. Nous eitons tci en exemple les temoignages publies par Yolande Mukagasana, en collaboration May, par Scholastique Mukasonga, Annick Kaynesi, Marie-Aimable Umurerwa el Marie-Beatrice

L'engagement au feminin Un demi-siede de « feminitude » Quarante ans d'ecriture au fem;n;n Odile Cazenave

Souffrances individuelles et voix collectives: la strategie orale des hSmoignages des femmes au Rwanda Beatrice Rangira Gallimore

L'Exil au feminin, Entretien avec Gisele Pineau Propos recueillis par la redaction

L'engagement philosophique au feminin Tanella Boni

Femmes cineastes d'Afrique et des Cara'ibes: Ie dur desir de creer dans un monde effarant Frieda Ekot to

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Chemin d'ecriture Veronique Tadjo

Effets de retour: entretien avec Michele Rakotoson Propos recueillis par Patricia Celerier

Trois SCJeurs de theatre, d'un ocean ci I'autre, d'une histoire ci !'autre Sylvie Chalaye

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Od;le Tobner : subvertir Ie discours dominant Propos recueillis par Ambroise Kom

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Ecritures feminines contemporaines du Moyen-Orient Marc Kober

Quand les artistes femmes s'exposent Catherine Millet

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Dounya•., Mame Diorra Diop

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