l’opinion publique est-elle suffisamment compÉtente politiquement pour surveiller les dirigeants...

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1 L’OPINION PUBLIQUE EST-ELLE SUFFISAMMENT COMPÉTENTE POLITIQUEMENT POUR SURVEILLER LES DIRIGEANTS POLITIQUES DANS UNE DÉMOCRATIE? Notes de cours 1 François Pétry Département de science politique Université Laval INTRODUCTION Le chapitre précédent a abordé certaines précautions nécessaires pour s'assurer que les sondages ne tombent pas dans l'erreur et mesurent exactement l'opinion publique. Mais il n'est pas sûr que ces précautions soient suffisantes. Autrement dit, un sondage dans lequel toutes les sources d'erreur statistique, échantillonnale et de mesure ont été contrôlées risque de ne pas atteindre la perfection. Cela est dû à la présence possible d'une quatrième source d'erreur que nous appellerons l'erreur de jugement. Contrairement aux trois autres erreurs précédemment identifiées qui proviennent des sondages, l'erreur de jugement, si elle se matérialise, provient des individus qui sont sondés. Elle échappe donc au contrôle des enquêteurs. L'existence d'erreurs de jugement ne peut être mise en doute. Ce qui prête à débat, c'est l'importance qu'il faut lui accorder dans les sondages. On peut distinguer deux grandes écoles de pensée à cet égard. Selon l'école de pensée « optimiste », les erreurs de jugement des citoyens qui répondent aux questions de sondages ne posent pas un gros problème, car, même si elles reflètent souvent un manque cruel de compétence politique, elles n'empêchent pas d'atteindre un niveau de rationalité individuelle ou collective suffisant pour assurer la survie d'un régime démocratique. Autrement dit, on demande que les citoyens soient « juste assez » compétents politiquement pour être à la hauteur de l'idéal démocratique. À l'inverse, l'école de pensée « pessimiste » voit dans les erreurs de jugement des citoyens la preuve qu'ils ne sont pas assez compétents politiquement pour satisfaire l'idéal démocratique. Ce chapitre est divisé en trois sections. Dans la première, nous présenterons l'argument affirmant que les citoyens ne sont pas compétents pour répondre de manière raisonnable aux questions de sondages (la thèse). La deuxième section présentera l'argument opposé, selon lequel les citoyens sont capables de répondre de manière raisonnable aux sondages (l'antithèse). Enfin, la dernière section tentera de faire la synthèse en examinant le modèle théorique d'explication de la formation de l'opinion publique de John Zaller et les efforts pratiques de construction d'une opinion publique compétente par voie de sondages délibératifs. 1 Ces notes de cours sont destinées aux étudiantes et étudiants inscrits au cours POL-1009 Fondements et actualité de la science politique. Elles sont une version abrégée du chapitre 3 dans l’ouvrage de Vincent Lemieux et François Pétry (2010).

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L’OPINION PUBLIQUE EST-ELLE SUFFISAMMENT COMPÉTENTE POLITIQUEMENT POUR SURVEILLER LES DIRIGEANTS POLITIQUES DANS

UNE DÉMOCRATIE?

Notes de cours1

François Pétry Département de science politique

Université Laval INTRODUCTION Le chapitre précédent a abordé certaines précautions nécessaires pour s'assurer que les sondages ne tombent pas dans l'erreur et mesurent exactement l'opinion publique. Mais il n'est pas sûr que ces précautions soient suffisantes. Autrement dit, un sondage dans lequel toutes les sources d'erreur statistique, échantillonnale et de mesure ont été contrôlées risque de ne pas atteindre la perfection. Cela est dû à la présence possible d'une quatrième source d'erreur que nous appellerons l'erreur de jugement. Contrairement aux trois autres erreurs précédemment identifiées qui proviennent des sondages, l'erreur de jugement, si elle se matérialise, provient des individus qui sont sondés. Elle échappe donc au contrôle des enquêteurs. L'existence d'erreurs de jugement ne peut être mise en doute. Ce qui prête à débat, c'est l'importance qu'il faut lui accorder dans les sondages. On peut distinguer deux grandes écoles de pensée à cet égard. Selon l'école de pensée « optimiste », les erreurs de jugement des citoyens qui répondent aux questions de sondages ne posent pas un gros problème, car, même si elles reflètent souvent un manque cruel de compétence politique, elles n'empêchent pas d'atteindre un niveau de rationalité individuelle ou collective suffisant pour assurer la survie d'un régime démocratique. Autrement dit, on demande que les citoyens soient « juste assez » compétents politiquement pour être à la hauteur de l'idéal démocratique. À l'inverse, l'école de pensée « pessimiste » voit dans les erreurs de jugement des citoyens la preuve qu'ils ne sont pas assez compétents politiquement pour satisfaire l'idéal démocratique. Ce chapitre est divisé en trois sections. Dans la première, nous présenterons l'argument affirmant que les citoyens ne sont pas compétents pour répondre de manière raisonnable aux questions de sondages (la thèse). La deuxième section présentera l'argument opposé, selon lequel les citoyens sont capables de répondre de manière raisonnable aux sondages (l'antithèse). Enfin, la dernière section tentera de faire la synthèse en examinant le modèle théorique d'explication de la formation de l'opinion publique de John Zaller et les efforts pratiques de construction d'une opinion publique compétente par voie de sondages délibératifs.

1 Ces notes de cours sont destinées aux étudiantes et étudiants inscrits au cours POL-1009 Fondements et actualité de la science politique. Elles sont une version abrégée du chapitre 3 dans l’ouvrage de Vincent Lemieux et François Pétry (2010).

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THÈSE. LA COMPÉTENCE POLITIQUE DES CITOYENS REMISE EN QUESTION La théorie démocratique traditionnelle affirme qu'une démocratie forte et en bonne santé requiert entre autres conditions que les citoyens soient politiquement informés. Plusieurs auteurs pensent que cette condition n’est pas remplie. Ce point de vue a été exprimé avec force par le journaliste américain Walter Lippmann dans son ouvrage The Phantom Public publié initialement en 1925. Selon Lippmann, le public est trop peu informé politiquement pour que les sondages politiques puissent sérieusement servir de point d’ancrage à la démocratie. Le rôle du public devrait tout au plus se limiter « à voter pour l'équipe au pouvoir quand les choses vont bien et à voter pour l'opposition quand elles vont mal » (Lippmann, 1993 [1925], 189)2. L'opinion publique est illusoire et reste plus un écho de ce que pensent les élites que le reflet des préférences des masses. Avec des citoyens tout juste capables de choisir correctement l'équipe qui les gouverne, la meilleure façon pour les politiciens de gouverner démocratiquement est de remplir du mieux possible le mandat (programme) pour lequel ils ont été élus. Qu'en est-il en réalité ? Quel est le niveau d'information politique des citoyens canadiens ? Est-ce qu'on peut généraliser les résultats canadiens aux citoyens d'autres pays ? Nous définirons ici l'information politique comme « la connaissance des faits politiques conservée dans la mémoire consciente » (Delli Carpini et Keeter, 1996, 10). Faible niveau et distribution inégale de l'information politique Grâce aux enquêtes de sondage universitaires, nous disposons d'une riche information sur les connaissances factuelles des citoyens en matière de politique au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays. Au Canada, l'enquête sur l'élection canadienne pose à chaque élection fédérale des questions sur les connaissances des citoyens touchant, entre autres, à l'identité des leaders fédéraux et provinciaux (nom des chefs de partis fédéraux ; nom du chef de gouvernement de la province du répondant), à l'identité d'autres personnalités politiques peut-être moins connues (chefs de gouvernement étrangers, ministres du cabinet), et à la position des partis politiques sur les principaux enjeux durant la campagne électorale. À titre d'exemple le tableau 3.1 donne les réponses à trois questions d'information politique dans l'enquête sur l'élection canadienne de 2004. On voit que 75 % des Canadiens sont capables d'identifier correctement le premier ministre fédéral (contre moins de 3 % de réponses incorrectes). Le taux de réponse correcte tombe à 46 % lorsqu'il s'agit d'identifier le parti ayant promis de déréglementer le contrôle des armes à feu (mais le pourcentage de réponses incorrectes demeure relativement faible, à moins de 15 %). Il semble donc que le pourcentage de réponses correctes soit plus faible sur les questions reliées aux enjeux

2 Lippmann semble même parfois douter que le public soit capable de bien remplir l'unique tâche de « sortir les sortants » lors d'élections et propose plutôt de mettre en pratique l'idée du « roi-philosophe » de Platon en remettant les affaires de l'État aux mains d'experts non élus.

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publics que sur les questions touchant des personnalités politiques. Mais l'observation ne vaut que pour les personnalités politiques de premier plan. Seuls 8 % des Canadiens ont correctement identifié le nom du ministre des Finances, Ralph Goodale, au moment des élections de 2004. Il convient de noter que Ralph Goodale avait été nommé à la tête du ministère des Finances seulement quelques semaines auparavant. Cela explique en partie son faible coefficient de reconnaissance dans l'opinion publique. À noter que le pourcentage de « ne sais pas » et « refus de réponse » est toujours plus élevé que celui des réponses erronées ; il n'en demeure pas moins que les Canadiens donnent parfois des réponses incorrectes aux questions factuelles qui leur sont posées. Dans ce cas, il faut parler non pas de citoyens peu informés, mais plutôt de citoyens mal informés. Pour être bien informés, les gens doivent répondre à deux critères : ils doivent tout d'abord avoir des croyances factuelles et ces croyances factuelles doivent ensuite être vraies. Les gens peu informés ne disposent tout simplement pas de beaucoup de croyances factuelles, étant sous-entendu que cette lacune peut assez facilement se corriger par un supplément d'information. Les gens mal informés ont quant à eux des croyances factuelles fausses, et plus ces croyances fausses sont nombreuses et fermes dans leur esprit, plus il sera difficile de les en défaire.

TABLEAU 3.1 Niveau d'information politique des Canadiens « Quel est le nom du chef du Parti libéral du Canada ? » Réponse correcte (Paul Martin) 75,3 % Autres réponses 2,7 % Refus de répondre, ne sait pas 22,0 % Total 100,0 % « Quel est le nom du parti qui a promis d'abolir le registre des armes à feu ? » Réponse correcte (Parti conservateur) 46,1 % Autres réponses 14,9 % Refus de répondre, ne sait pas 39,0 % Total 100,0 % « Quel est le nom du ministre des Finances ? » Réponse correcte (Ralph Goodale) 8,0 % Autres réponses 35,3 % Refus de répondre, ne sait pas 56,7 % Total 100,0 %

Source : Canadian Election Study/Étude électorale canadienne (2004).

Les conséquences de la mauvaise information risquent d'être encore plus graves que celles du manque d'information, en particulier en ce qui concerne les opinions sur les politiques publiques. Si les citoyens possèdent des informations incorrectes à propos des

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principaux enjeux de politiques publiques, le débat public à propos de ces enjeux risque fort d'être affecté négativement. Les enquêtes sur les élections fédérales canadiennes suggèrent non seulement que les citoyens sont peu (et parfois mal) informés, mais aussi que le niveau d'information ne progresse pas avec le temps (il diminue même parfois). Par exemple, 57 % des Canadiens connaissaient le nom du parti d'opposition officielle en 1990, mais seulement 30 % en 2000. Le lecteur trouvera au tableau 3.2 des données indiquant parfois une hausse et parfois une baisse dans le temps du niveau de connaissances politiques factuelles des Canadiens et des Américains. TABLEAU 3.2 Changements avec le temps du niveau de connaissances politiques factuelles des Canadiens et des Américains Questions Canada Année % Commanditaire Capables d'identifier le parti d'opposition officielle

2000 30 CR

1990 57 IRPP Capables d'identifier le ministre des Finances

2004 8 EEC

1997 37 EEC Capables d'identifier le Premier ministre de leur province

2000 82 EEC

1997 78 EEC 1984 90 EEC Questions États-Unis Année % Maison de sondage Capables d'identifier le gouverneur de leur État

1989 74 SRLV

1973 89 Harris 1945 79 Gallup Savent qu'il y a deux Sénateurs dans chaque État

2001 60 Gallup

1978 52 NORC Savent quel parti a plus de membres à la chambre des représentants

2000 55 NES

1989 68 SRLV

Légende États-Unis : SRLV : Survey Research Laboratory, Virginia Commonwealth University; NORC : National Opinion Research Center; NES : National Election Study. Légende Canada : CR : Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis; IRPP : Institut de recherche sur les politiques publiques;

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EEC : Enquête sur l'élection canadienne / Canadian Election Study.

Les chiffres du tableau 3.2 risquent d'alarmer certains lecteurs. D'autres ne résisteront pas à la tentation de tourner les Canadiens en ridicule pour leur ignorance politique. À ces derniers, il est conseillé de lire l'encadré 3.1 en annexe et de vérifier s'ils sont suffisamment informés politiquement pour passer le test de citoyenneté canadienne. Qu'est-ce qui détermine la variation dans le niveau d'information politique des citoyens? Comme tout comportement, le comportement qui consiste pour une personne à s'informer politiquement résulte de trois conditions (Delli Carpini et Keeter, 1996, 76). Cette personne doit d'abord être exposée à une certaine quantité d'information politique (condition d'opportunité) ; elle doit ensuite avoir la capacité intellectuelle suffisante pour retenir et organiser cette information (condition d'habileté) ; elle doit enfin avoir de bonnes raisons pour faire l'effort de s'informer (motivation). Le politologue Patrick Fournier a utilisé les données de l'enquête sur l'élection canadienne de 1997 pour mesurer statistiquement l'influence de différents facteurs dans la variation du taux d'information politique des Canadiens. Le tableau 3.4 résume ses résultats d'analyses (les enquêtes américaines trouvent à peu près les mêmes déterminants). Le tableau montre par exemple que le fait d'être un homme, d'être plutôt âgé et d'avoir un niveau d'instruction élevé augmente les chances de remplir les trois conditions conduisant à un haut niveau d'information politique. Il existe bien sûr des femmes pauvres et peu éduquées qui sont bien informées politiquement, mais elles sont en proportion relativement peu nombreuses. L'information politique est donc une ressource inégalement distribuée auprès de la population. TABLEAU 3.3 Déterminants du niveau d'information politique Attributs Haut niveau Bas niveau Âge vieux jeune Sexe homme femme Années de scolarité beaucoup peu Origine géographique Québec Reste du Canada Langue Anglophone Francophone Source d'information Journaux télévision Emploi Secteur privé Secteur public Intérêt pour la politique élevé limité

Source : Compilation des résultats d'analyse de Fournier (2002, 125).

Absence de contrainte idéologique et « non-attitudes »

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Même si les gens peu informés souhaitent acquérir plus d'information politique, il n'est pas sûr qu'ils puissent intégrer ou « fixer » cette information dans une structure mentale ou un système préétabli de croyances leur permettant de s'en souvenir et de l'utiliser le moment venu. Dans un texte maintenant devenu classique, le psychologue politique américain Phillip Converse a affirmé que les gens n'avaient pour la plupart aucune opinion établie et répondaient à « pile ou face » aux questions de sondages sur les enjeux politiques (Converse, 1964). Converse a mesuré le degré de cohérence entre les croyances des individus, degré qu'il nomme « contrainte idéologique ». Il a trouvé qu'un petit nombre d'individus avaient effectivement des croyances très cohérentes et donc faciles à prédire, mais la plupart démontraient une absence de contrainte dans ce sens qu'ils étaient incapables d'identifier les enjeux qui « vont ensemble » (par exemple, l'appui à la peine de mort et l'opposition à la réglementation des armes à feu « vont ensemble » dans une idéologie de droite, alors que l'appui à la réglementation des armes à feu et l'opposition à la peine de mort « vont ensemble » dans une idéologie de gauche). Selon Converse, le système de croyances des masses ne se structure pas autour de grands principes idéologiques stables et abstraits (comme la droite ou la gauche ou le conservatisme et le libéralisme), mais plutôt autour d'objets concrets et familiers tels que la personnalité des leaders ou les liens sociaux des individus avec leur famille et leurs collègues de travail ou leurs amis. Converse concluait que les gens, équipés de si peu de connaissances politiques qu'ils étaient incapables de les intégrer dans un système cohérent de croyances, ne pouvaient donner que des opinions superficielles et changeantes en réponse aux questions de sondages. Pire, Converse soupçonnait que les gens inventaient les réponses qu'ils donnaient aux enquêteurs sur le moment pour éviter de paraître trop ignorants. Pour résumer son argument, Converse utilise le terme de « non-attitude » ce qui veut dire que les gens répondent au hasard aux questions d'attitudes politiques. Son argument pose naturellement un double problème. Un problème théorique d'abord lié à la question de savoir si les citoyens sont « prêts » pour la démocratie telle que les théoriciens la conçoivent. Un problème pratique ensuite pour les firmes qui administrent les sondages et pour les acteurs et les groupes qui les commanditent. Si les citoyens n'ont pas réellement d'attitudes, les résultats de sondages risquent de n'être ni valides ni fiables même si toutes les précautions ont été prises pour contrôler les erreurs. Pire, si l'opinion publique n'existe pas en dehors des questions de sondages qui la fabriquent, les sondages ne risquent-ils pas de devenir des instruments de manipulation du public ? Le faible niveau d'information politique et l'absence de structure idéologique des citoyens ont d'importantes implications et soulèvent donc des questions pour les sondages, d'une part, et pour la démocratie, d'autre part. • Le niveau d'information politique des Canadiens est dans l'ensemble peu élevé et

inégalement distribué. Cela ne correspond pas aux standards de la théorie démocratique traditionnelle. Faut-il chercher à augmenter le niveau d'information politique pour mieux adapter la réalité à l'idéal théorique, ou bien faut-il adapter la théorie démocratique traditionnelle aux réalités politiques actuelles ?

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• Une opinion publique faite principalement de « non-attitudes », donc volatile et capricieuse, peut-elle raisonnablement servir de guide à des politiques publiques (y compris la politique étrangère) cohérentes ?

• Les opinions et les valeurs des gens bien informés politiquement diffèrent-elles systématiquement des opinions et des valeurs des gens moins bien informés ? Une réponse affirmative entraîne des questions supplémentaires.

• Les gens peu informés refusant de répondre aux questions de sondages beaucoup plus souvent que les gens bien informés, leur voix n'est-elle pas sous-représentée dans les sondages par rapport à celles des gens bien informés qui donnent une réponse ?

• Les opinions des gens bien informés ne reflètent-elles pas mieux leurs véritables prédispositions et intérêts que les opinions de gens moins bien informés ?

• En définitive, les sondages de masses ne risquent-ils pas de représenter de façon disproportionnée les besoins et les valeurs des élites mieux informées ?

Nous apporterons des éléments de réponse à ces questions dans les deux prochaines sections. Nous présenterons d'abord les arguments affirmant que l'opinion collective est rationnelle en dépit de l'apparente irrationalité des opinions individuelles. Nous tenterons ensuite de faire la synthèse des arguments qui appuient ou au contraire s'opposent à l'idée que les citoyens sont politiquement compétents. ANTITHÈSE. LA COMPÉTENCE POLITIQUE DES CITOYENS RÉHABILITÉE EN PARTIE Dans cette section nous examinerons certains arguments et théories qui prennent le contre-pied du modèle des « non-attitudes » de Converse, à commencer par le plus fameux d'entre eux, l'argument de la « rationalité collective » des politologues américains Benjamin Page et Robert Shapiro (Page et Shapiro, 1992). La « rationalité collective » de l'opinion Page et Shapiro pensent que l'on ne doit pas craindre l'opinion publique. Bien au contraire, on devrait lui faire confiance puisqu'elle représente le principal moteur d'un gouvernement démocratique . Ils affirment que le public américain est à la hauteur de la tâche que la théorie de la démocratie lui assigne. Voici les preuves qu’ils fournissent à l’appui de leur affirmation (Page, Shapiro et Monnoyer-Smith 2001, 98-99): • L'opinion publique collective existe. Le public américain en tant qu'entité collective a de

véritables préférences concernant la plupart des problèmes politiques du moment, et pas seulement des opinions aléatoires et sans signification.

• L'opinion publique peut être mesurée par les enquêtes d'opinion. Il est possible d'apprendre de façon relativement précise ce que sont ces préférences politiques collectives, grâce à des entretiens avec des citoyens appartenant à un échantillon représentatif.

• L'opinion collective forme des ensembles cohérents qui discernent les politiques alternatives suivant une orientation raisonnable qui reflète les valeurs et croyances américaines.

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• L'opinion publique collective est généralement assez stable. Elle change peu, et ne connaît que très rarement des revirements.

• Quand l'opinion publique change, elle le fait de façon cohérente et compréhensible. Les changements ne sont ni capricieux, ni erratiques, ni inexplicables, mais suivent des principes et des schémas clairs.

• De plus, l'opinion publique change presque toujours de façon raisonnable et sensée. C'est à- dire qu'elle change en réaction à des événements objectifs, à des évolutions dans la réalité qui affectent les coûts et bénéfices des politiques alternatives, et en réponse à de nouvelles informations véhiculées par les mass-medias. Le public réagit de façon sensée aux informations qui sont mises à sa disposition.

FIGURE 3.1 Comportement stable et prévisible de l'opinion publique canadienne

. Source : Bélanger et Petry, 2005

Source : Bélanger et Pétry (2005, 26) Page et Shapiro constatent au départ que si les gens ne donnaient que des opinions

superficielles et changeantes en réponse aux questions sur les grands enjeux politiques, cela se verrait dans les résultats de sondages. Les résultats de sondages sur les mêmes questions

100

0 1966 1969 1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1993 1996 1999 2002

% fa

vora

ble

Permettre l’euthanasie pour maladies incurables

Augmenter l’immigration

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seraient exposés à des variations importantes qu'on ne pourrait expliquer scientifiquement. Or, cela ne semble pas être le cas. L'opinion publique américaine change bien évidemment avec le temps, mais les changements d'opinion sont d'une ampleur limitée (augmentation ou diminution d'un ou deux points de pourcentage d'une prise à l'autre), réguliers et facilement explicables. Le même phénomène s'observe au Canada. La figure 3.1 illustre la nature régulière et prévisible des changements de l'opinion publique canadienne face aux questions de l'immigration et de l'euthanasie en cas de maladie incurable. Visiblement, le comportement de l'opinion publique qui émerge de ces diagrammes ne coïncide pas avec les attentes basées sur le modèle des non-attitudes de Converse. Page et Shapiro proposent deux explications du mystère. La première a trait à l'agrégation statistique des opinions individuelles, la deuxième renvoie à la formation sociale des préférences à travers la délibération collective présupposant des systèmes de communication sophistiqués. Examinons plus en détail ces deux mécanismes d'explication. Le miracle de l’agrégation Le principe de l'agrégation statistique est assez voisin de la conception bien connue de la « sagesse des foules » selon laquelle les décisions de groupes sont souvent meilleures que les décisions d'individus isolés3. La conception a été formalisée au XVIIIe siècle par le Marquis de Condorcet sous la forme de son théorème du jury. On suppose N membres d'un jury exprimant chacun indépendamment leur opinion sur la culpabilité ou l'innocence d'un accusé. Chaque membre du jury a une probabilité p de faire le bon choix et une probabilité p-1 de faire le mauvais choix. Le théorème démontre que la probabilité que le jury fasse collectivement le bon choix est supérieure à la somme des probabilités individuelles et que la probabilité de faire le bon choix collectif augmente avec le nombre de membres du jury4. Une formalisation plus récente du principe de l'agrégation statistique est due à Phillip Converse sous forme de son modèle « blanc et noir » (Converse, 1973). Selon ce modèle, les opinions de la grande majorité des gens sont instables, incohérentes et dépourvues de sens (opinions aléatoires aussi appelées « non-attitudes »). Seules les opinions d'une petite minorité sont stables, cohérentes et éclairées (opinions non aléatoires). L'agrégation conduit les opinions aléatoires des gens peu informés (le bruit de fond) à s'éliminer mutuellement, laissant ainsi le terrain aux opinions non aléatoires de la minorité informée (le signal). Les résultats de sondages enregistrent le signal, pas le bruit de fond. Ainsi, dans le diagramme de la figure 3.2, les opinions aléatoires (non-attitudes) de la majorité (en blanc) s'éliminent mutuellement. Les opinions non aléatoires (true attitudes) de la minorité (en noir) déterminent la direction de l'opinion majoritaire en faveur de l'option A et contre l'option B.

3 Voir à ce sujet le best-seller de James Surowiecki (2008). 4 Le théorème du jury évoque l'expérience qui consiste à remplir un bocal de billes et de demander à chacun des sujets d'un groupe d'évaluer combien de billes il y a dans le bocal. La moyenne des évaluations individuelles est plus proche du nombre réel que l'évaluation de la plupart des sujets du groupe.

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Page et Shapiro s'inspirent de la même idée pour affirmer que même si les réponses individuelles aux sondages d'opinion sont en grande partie aléatoires, sujettes à des erreurs de mesure et instables, quand elles sont agrégées dans une réponse collective, cette réponse collective peut être raisonnable, sensée et stable. Si les conditions sont favorables, les erreurs de mesure individuelle seront indépendamment aléatoires et tendront à s'annuler les unes les autres. Les erreurs dans une direction tendront à annuler les erreurs dans la direction opposée. Ce qui restera après élimination sera une mesure précise de l'opinion publique. FIGURE 3.2 Le modèle « blanc et noir » de Phillip Converse Le même raisonnement d'agrégation statistique s'applique non seulement aux erreurs de mesure individuelles, mais aussi aux fluctuations des opinions des individus dans le temps, pour autant que ces fluctuations sont indépendantes les unes des autres. Même si les gens changent d'opinion sur un enjeu selon un va-et-vient désordonné, tant qu'ils ont une véritable préférence sous-jacente à leur opinion, les fluctuations momentanées s'annuleront les unes les autres pour produire, en fin de parcours, une opinion collective raisonnable et stable. La délibération collective Le passage des opinions individuelles non rationnelles à une opinion collective rationnelle s'explique aussi selon Page et Shapiro par le processus de délibération collective auquel les gens participent à des degrés divers. L'agrégation des opinions individuelles fait plus que les additionner. Elle produit et diffuse l'information par l'intermédiaire d'une structure

0

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20

30

40

50

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Option A Option B

Opinion aléatoire Opinion véritable

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sociale complexe mettant en jeu un processus de division spécialisée du travail et de larges réseaux de communication. Les experts et les décideurs politiques diffusent leurs idées et les interprétations qu'ils en font auprès des commentateurs et des leaders d'opinion qui à leur tour communiquent avec le grand public directement à travers les journaux, les magazines et la télévision, et, indirectement, par les réseaux sociaux liés à la famille, aux amis, à l'école et au travail. Selon Page et Shapiro, « de nouvelles informations et de nouvelles idées peuvent affecter l'opinion publique collective même si la plupart des citoyens n'en ont pas une connaissance approfondie. Même lorsque les individus sont peu informés, l'opinion publique collective peut réagir pleinement et de façon sensée aux événements, aux idées et aux découvertes. Ce que le système de délibération collective ne peut garantir, cependant, c'est que l'information transmise au public soit toujours fiable, utile et non tendancieuse » (1992, 165). Page et Shapiro ajoutent que l'opinion publique collective est raisonnable et sensée tant que les informations dont le public dispose sont elles-mêmes raisonnables et sensées. Pour eux, le cœur du problème se trouve moins dans l'aptitude du public que dans la qualité de l'information qu'il reçoit. Leur thèse est donc « parfaitement compatible avec la possibilité que le public rationnel soit victime de désinformation, d'interprétations erronées, et par là, soit trompé » (1992, 172). Les raccourcis heuristiques et l'actualisation permanente de l'opinion Page et Shapiro expliquent l'émergence d'une opinion collective rationnelle par l'agrégation « miraculeuse » d'opinions individuelles irrationnelles et la délibération collective. D'autres chercheurs pensent que ce sont les opinions individuelles elles-mêmes qui, à défaut d'être rationnelles, parviennent tout de même à ressembler à des opinions rationnelles grâce à l'utilisation de divers processus de délibération individuelle connus sous le nom de « raccourcis heuristiques ». Un raccourci heuristique consiste à utiliser des règles empiriques pratiques, simples et rapides, facilitant la recherche des faits et l'analyse de situations, dans un objectif de résolution de problèmes et de prise de décision dans un domaine particulier. Les répondants aux sondages d'opinion contourneraient ou compenseraient leur faible niveau d'information politique en utilisant des raccourcis affectifs et cognitifs leur permettant de simplifier leurs choix politiques et d'arriver à des opinions individuelles raisonnables. Plusieurs formes d'heuristiques ont été suggérées dans la littérature, à commencer par les raccourcis utilisés par les gens lorsqu'ils décident pour quel candidat voter lors d'une élection. Dans son ouvrage The Reasoning Voter, Samuel Popkin (1991) a suggéré que les électeurs utilisent le comportement personnel des candidats à la présidence américaine (leur pratique religieuse par exemple) comme approximation de leur caractère, et leur compétence pendant la campagne électorale (performance lors des débats des chefs par exemple) comme approximation de leur comportement au pouvoir dans l'éventualité où ils seraient élus. Parmi les multiples mécanismes qu'utilisent les électeurs pour passer de la perception du comportement d'un candidat à la décision de le soutenir ou non se trouve en particulier la confiance que les électeurs ont envers un candidat. Cette confiance peut se

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comparer à un réservoir de soutiens politiques des électeurs à un candidat. Un comportement mal perçu peut entraîner une perte de confiance pouvant déboucher sur le retrait du soutien. Dans son ouvrage (1991, 12), Popkin présente une anecdote qui résume l'influence que l'image comportementale d'un politicien peut avoir sur le soutien qu'il reçoit de certains secteurs de l'électorat. Après sa défaite contre Jimmy Carter en 1976, Gerald Ford s'était fait poser la question suivante par un journaliste : « Qu'avez-vous appris de votre campagne ? » Il a répondu : « Toujours décortiquer son tamal ! » En effet, au cours des primaires républicaines, Ford avait axé son attention sur la communauté hispanophone pour obtenir des appuis en vue de la négociation autour du canal de Panama. Il s'était rendu, accompagné des médias, à San Antonio dans une fête mexicaine. Le repas était composé entre autres de tamales, un mélange de maïs et de viandes épicées enrobé d'une feuille de banane ou de maïs qui, elle, n'est pas comestible. Au moment où les caméras étaient braquées sur lui, Gerald Ford a commencé à manger son tamal sans retirer au préalable la feuille de maïs. L'image a fait le tour des États-Unis et a été perçue par les membres de la communauté hispanophone comme un manque de connaissance de leur culture. Gerald Ford avait perdu leur confiance. Lors du scrutin présidentiel de novembre 1996, le vote hispanophone est allé en majorité à Jimmy Carter5. Le modèle de Popkin se limite au vote, mais d'autres chercheurs ont trouvé que les gens utilisent les heuristiques pour former leurs opinions à propos de toutes sortes de questions y compris les grands enjeux politiques comme l'immigration, les taxes ou les relations internationales. En règle générale, le genre d'heuristique utilisé varie selon le niveau d'information politique des gens qui les utilisent. L'usage de l'affectif est plus probable chez les gens peu informés, alors que l'usage de la cognition est plus probable chez les gens plus informés. Arthur Lupia (1994) a trouvé une tendance chez les électeurs californiens à juger les mérites d'une réforme de l'assurance sociale en se basant non pas sur les informations dont ils disposaient à ce sujet, mais plutôt sur le degré de sympathie qu'ils éprouvaient pour les dirigeants politiques qui proposaient ladite réforme. Paul Sniderman et ses collaborateurs (1991) ont identifié l'heuristique de « l'avantage mérité » selon lequel les gens évaluent les programmes sociaux en se demandant si les bénéficiaires les méritent. Un autre raccourci heuristique qui semble jouer un rôle important dans le processus de formation des opinions individuelles sur les politiques d'un gouvernement est l'heuristique du vote rétrospectif qui consiste à soutenir le parti au pouvoir quand les choses vont bien, et au contraire à soutenir l'opposition quand elles vont mal (Fiorina, 1981). De nombreuses analyses ont montré que les électeurs mettent au premier rang la performance passée du candidat sortant (surtout sa performance économique) quand il s'agit de déterminer pour qui ils voteront aux élections présidentielles américaines. Un phénomène semblable s'observe lors des élections présidentielles françaises ou des élections

5 La confiance dans un individu qui est évoquée ici ne doit pas être confondue avec la confiance politique qui s'applique aux institutions gouvernementales et aux politiques publiques à l'échelle du système politique dans son entier.

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parlementaires au Canada. Le vote rétrospectif tient parfois le candidat sortant comme responsable de l'aggravation des conditions économiques dont il n'a pas le contrôle. Dans ce cas, le raccourci heuristique est incorrect. Il conduit les électeurs à faire des choix erronés (en punissant un candidat sortant pour la mauvaise raison). Le psychologue politique Milton Lodge et ses collaborateurs (1995) ont quant à eux proposé l'hypothèse selon laquelle les gens n'ont pas besoin de stocker en permanence dans leur mémoire les informations politiques sur lesquelles leurs réponses aux questions de sondages sont censées reposer. Ils formeraient leurs opinions on-line par un phénomène d'actualisation permanente de l'opinion. Les gens n'ont pas besoin de se rappeler la substance de chaque enjeu politique pour en retenir une impression profonde dans leur mémoire. Ils ont seulement besoin de se rappeler l'impression ou l'émotion associée à cet enjeu pour se faire une opinion. Le traitement de l'information « en ligne » leur permettrait ainsi de combler leur manque d'information et de répondre de façon satisfaisante aux sondages d'affaires publiques sans avoir à mettre à contribution un niveau élevé de connaissance. Limites des théories de la rationalité collective Comment les théories cherchant à réconcilier la rationalité collective avec le faible niveau d'information des gens résistent-elles à l'épreuve des faits ? Voyons d'abord le modèle « noir et blanc » de Phillip Converse et la théorie de l'agrégation de Benjamin Page et Robert Shapiro. Une idée centrale de ces théories, illustrée à la figure 3.2 (voir plus haut) est que les non-attitudes de la majorité (en blanc) s'éliminent mutuellement parce qu’elles sont aléatoires, laissant alors la place au « signal » représenté par les attitudes authentiques de la minorité (en noir) qui déterminent la direction de l'opinion publique. Mais, comme nous le verrons plus bas, l’évidence empirique montre que les opinions de la majorité peu informée politiquement, loin d’être aléatoires, sont parfois systématiquement biaisées. Dans de tels cas, il se pourrait bien que ce soient les non-attitudes de la majorité (en blanc) qui déterminent la direction de l'opinion majoritaire (en faveur de l'option A) comme l'illustre la figure 3.3. Page et Shapiro affirment que l'opinion publique change de façon stable et prévisible en réponse à des stimuli dans la société. Mais le fait qu'elle réponde de façon prévisible aux changements ne signifie pas nécessairement que l'opinion publique est rationnelle dans le sens donné par Page et Shapiro. Comme le remarquent James Kuklinski et Paul Quirk, « l'opinion collective pourrait très bien être favorable à des peines criminelles extrêmement dures tout en répondant de façon prévisible aux changements du taux de criminalité ou à des dépenses militaires deux fois plus élevées qu'il n'est nécessaire tout en variant en proportion du niveau de tension internationale » (2000, 167). Il est bien sûr possible que l'opinion collective stable et cohérente dans le temps observée par Page et Shapiro résulte d'un processus de délibération démocratique. Mais cette stabilité et cette cohérence pourraient tout aussi bien résulter de la déférence servile d'un public « manipulé » par les élites au pouvoir.

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Les modèles d'explication de la compétence politique par voie de raccourcis heuristiques ou de l'actualisation permanente des opinions se heurtent eux aussi à de sérieuses objections. L'évidence empirique (fondée principalement sur l'expérimentation) montre que les raccourcis cognitifs sont utiles seulement lorsque les sujets qui les utilisent possèdent déjà un certain niveau d'information politique. Or, un nombre étonnamment élevé de citoyens ne possède aucune information politique (voir plus haut) et ne peut donc pas les utiliser. L'avantage des raccourcis heuristiques est leur simplicité. L'inconvénient, c'est qu'un raccourci trop simplifié peut conduire à des biais cognitifs pouvant mener à des erreurs de jugement et de comportement (recours à des stéréotypes, excès de confiance, résistance à la raison)6. FIGURE 3.3 Critique du modèle « blanc et noir » de Phillip Converse Une autre objection aux théories de la rationalité collective provient d'un programme de recherche récent qui consiste à tester la prédiction selon laquelle les gens peu informés arrivent à des jugements et à des opinions qui ne se distinguent pas des opinions informées. Plusieurs tests empiriques à l'intérieur de ce programme de recherche apportent un démenti aux théories rationnelles en montrant au contraire que les gens peu informés et les gens bien informés arrivent parfois à des jugements politiques sensiblement différents. La méthode utilisée consiste à se demander ce que donnerait une opinion publique dans laquelle tous les groupes socioprofessionnels disposeraient d'un niveau d'information politique uniformément élevé. Pour ce faire, les chercheurs attribuent, par voie de simulation statistique, les préférences des gens les mieux informés de chaque groupe à tous les membres du groupe.

6 Sur les limites des raccourcis heuristiques, voir en particulier Lau et Redlawsk (2001).

0

10

20

30

40

50

60

Option A Option B

Opinion aléatoire Opinion véritable

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Larry Bartels (1996) a simulé les intentions de vote aux élections présidentielles américaines et a montré que les intentions de vote « observées » (les résultats bruts des sondages préélectoraux) ne coïncident pas toujours avec les intentions de vote « simulées » (ce que donneraient les mêmes sondages si tous les gens disposaient d'un niveau élevé d'information politique). Scott Althaus (2003) a fait le même exercice en analysant cette fois les opinions sur les grands enjeux politiques. Il a montré que, sur certains enjeux, les opinions « observées » ne coïncident pas avec les opinions « simulées ». Elisabeth Gidengil et ses collaborateurs (2004) font le même exercice qu'Althaus avec des données canadiennes et montrent eux aussi qu'il y a des différences, parfois marquées, entre l'opinion observée et l'opinion simulée. Selon leurs analyses, l'opinion simulée diffère de l'opinion observée dans 5 (19 %) des 26 questions qu'ils examinent. Ils constatent par exemple que si le niveau d'information était uniformément élevé, l'opinion des Canadiens plus âgés, aux revenus peu élevés et de sexe féminin serait sensiblement plus libérale sur les questions de politique sociale que ce que nous indiquent les sondages. Quelle est la portée réelle de ces résultats ? Le point important des travaux de Scott Althaus aux États-Unis et d'Elisabeth Gidengil et ses collaborateurs au Canada n'est pas tant de constater le faible niveau d'information politique des citoyens que de nous rappeler qu'il est inégalement distribué parmi les groupes qui composent la société et que cette inégalité a des conséquences. L’inégalité dans le niveau d’information politique est elle-même fortement corrélée aux inégalités sociales et aux inégalités dans le niveau de participation à la vie politique. Les hommes blancs, riches et instruits sont non seulement mieux informés politiquement que les femmes, pauvres, peu instruites et provenant des minorités visibles, mais ils participent aussi plus activement qu'elles à la vie politique et ont de meilleures chances de faire les choix politiques qui correspondent à leurs intérêts et à leurs valeurs. La théorie de « l’ignorance rationnelle » d'Anthony Downs (1957, 299) affirme que les citoyens rationnels ne devraient pas passer trop de temps à s'informer politiquement. Le faible niveau d'information politique des citoyens n'a pas grande importance tant qu'ils en savent « juste assez » pour défendre leurs intérêts et leurs valeurs dans le système politique. On peut également considérer le manque d'information politique de manière moins anodine et répliquer que, premièrement, de nombreuses personnes n'ont pas le choix de rester ignorantes, et que, deuxièmement, ceux-là mêmes qui souhaitent s'informer politiquement risquent de ne pas pouvoir le faire s'ils ne bénéficient pas d'un environnement social favorable à la délibération publique. SYNTHÈSE Le politologue américain John Zaller (1992) a proposé un modèle qui fait la synthèse des différentes interprétations de l'opinion publique qui ont été présentées plus haut.7 Ce modèle a influencé de façon importante les recherches récentes sur les sondages et l'opinion publique, et l'ouvrage d'où il est tiré est devenu un classique incontournable de la littérature.

7 Voir Zaller et Blondiaux (2001) pour des extraits traduits en français de l’ouvrage de Zaller. Blondiaux (2007) offre un intéressant inventaire critique des écrits sur la notion de compétence politique.

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Ce modèle mérite donc qu'on s'y arrête pour en exposer les détails et mesurer sa portée scientifique. Le modèle d'échantillonnage des considérations de John Zaller Le modèle de Zaller s'articule autour de trois concepts théoriques : « recevoir » (receive), « accepter » (accept) et « échantillonner » (sample). • Les citoyens diffèrent sur le plan de l'attention portée à la politique et du niveau

d'exposition à l'information politique véhiculée par les médias. Les citoyens qui portent plus d'attention à la politique et ont un niveau d'information politique élevé ont plus de chances de recevoir de nouveaux messages politiques qu'ils ajouteront à leur liste de considérations.

• Leur capacité de réaction critique aux arguments des élites dirigeantes et des médias est fonction du niveau d’information politique. Les citoyens bien informés politiquement ont plus de chances d'accepter les messages qui coïncident, et de rejeter ceux qui ne coïncident pas, avec leurs prédispositions8.

• Les citoyens ne possèdent pas d'opinions préexistantes à propos des enjeux sur lesquels ils sont sondés. Ils construisent leurs opinions à l'instant où on leur pose une question de sondage en choisissant accidentellement les considérations le plus immédiatement accessibles à l'esprit. Ce dernier élément est probablement le plus marquant du modèle de Zaller ; c'est pourquoi on a coutume de l'appeler le modèle « d'échantillonnage des considérations ».

Comment le modèle de Zaller se compare-t-il aux différentes théories exposées plus haut ? En premier lieu, Zaller s'accorde avec Converse pour considérer que les citoyens n'ont pas d'opinions préalables sur les enjeux politiques : ils formulent leurs réponses à l'instant même où on leur pose les questions. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que leurs réponses sont entièrement aléatoires, dans la mesure où ils possèdent quand même des valeurs et des contraintes idéologiques qui donnent une certaine authenticité à leurs opinions. L'hypothèse de John Zaller est que, même quand nous exprimons deux positions opposées à une question qu'on nous pose deux fois sur le même enjeu, nous exprimons à chaque fois des sentiments authentiques. C'est l'angle sous lequel nous percevons la question qui a changé, ou le contexte dans lequel elle a été posée. Rien n'indique que les réponses changeantes à chaque occasion n'aient pas le même degré d'authenticité. Deuxièmement, John Zaller s'accorde avec Benjamin Page et Robert Shapiro pour considérer que l'opinion publique répond de façon raisonnable aux stimuli (nouvelles) dans les médias. Mais il est beaucoup moins enthousiaste que Page et Shapiro sur la signification d'une opinion publique raisonnable pour la démocratie. Voici ce que Zaller a à dire à ce sujet (1992 : 135) :

8 Les deux premiers éléments du modèle de Zaller ont été posés initialement par McGuire (1969).

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Mon argumentation conduit à remettre en cause l'idée selon laquelle il existerait une position véritable, unique et stable de l'opinion, au plan individuel comme au plan collectif, sur une question donnée à un moment donné. [...] Si différents formats et différents libellés de questions produisent des résultats différents, ce n'est pas parce que certaines questions donnent la bonne mesure de l'opinion véritable et d'autres en donnent une mesure biaisée, donc incorrecte ; c'est au contraire parce que le public, n'ayant pas d'opinion fixe, se fonde implicitement sur les éléments du libellé et du format de chaque question et se sert de cette information pour interpréter les enjeux et mobiliser à l'instant même les considérations pertinentes qui lui permettent d'y répondre.

Le modèle de Zaller fait la synthèse des théories qui l'ont précédé en incorporant de façon cohérente les prédictions contradictoires de chacune d'entre elles.

• Le modèle prédit, tout comme la théorie de Converse, la grande sensibilité des personnes interrogées au format et au libellé des questions de sondages. Tout comme Converse, Zaller prédit aussi que les gens sont capables de donner des opinions sur des enjeux fictifs.

• Le modèle prédit comment les citoyens vont répondre aux nouvelles informations politiques qu'ils reçoivent sur la base de leurs prédispositions. Cette prédiction est conforme à l'argument agrégationniste de Page et Shapiro selon lequel l'opinion collective répond de manière prévisible aux nouveaux messages transmis par les médias, même si certaines personnes ignorent ces messages et d'autres les rejettent.

• Le modèle fait une place importante aux médias dans la formation des opinions. L'effet des médias est le plus fort sur les gens moyennement informés et moyennement intéressés par la politique. Le public bien informé et intéressé (qu'on a coutume d'appeler « public attentif ») est capable de bien résister aux messages persuasifs des élites qui sont diffusés par les médias. Quant au public peu informé et peu intéressé, il reste tout simplement insensible aux messages médiatiques à cause de son ignorance et de son éloignement des flux d'information.

Si on accepte le modèle de Zaller, on doit renoncer à considérer les sondages comme un outil neutre de mesure de l'opinion publique. On doit par la même occasion renoncer à considérer les maisons de sondage et les médias comme des acteurs neutres se situant en dehors d'un système qu'ils observeraient et dont ils rendraient compte « objectivement ». Les entreprises qui rédigent et administrent les sondages et les médias qui en diffusent les résultats sont placés dans une position semblable aux décideurs gouvernementaux. Les maisons de sondage et les médias participent au même titre que les décideurs gouvernementaux à la construction des enjeux politiques et interviennent sur la manière dont le débat public sur ces enjeux est cadré. Ajoutons que pour John Zaller, les phénomènes de cadrage de l'opinion publique par les sondages sont inévitables « car dans la mesure où le public ne possède pas d'attitude fixe sur ce qu'il voudrait voir advenir, mais seulement un ensemble divers de considérations partiellement cohérentes entre elles, il faut bien que quelqu'un se charge de simplifier et de cristalliser les enjeux de manière à rendre l'action possible ».

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Le modèle de John Zaller remet en question la définition traditionnelle de l’opinion comme état mental stable et cohérent que nous recherchons dans notre mémoire à long terme comme nous cherchons un dossier dans un meuble classeur. Son modèle s’inspire des recherches plus récentes en psychologie montrant que les attitudes et opinions ne sont pas stables, mais qu’elles changent selon le contexte dans lequel les questions de sondages sont posées en fonction de leur libellé et des attentes du répondant.9 Les sondages délibératifs Si, comme l'affirme le modèle de John Zaller, les gens n'ont pas d'opinions préalables et forment leurs jugements politiques en fonction du contexte et selon leurs attentes, il est permis d’espérer que l’on peut modifier le contexte dans lequel les questions de sondages sont posées afin d’améliorer la fiabilité et la validité des réponses. James Fishkin (1995) a proposé la formule du sondage délibératif pour atteindre cet objectif. Le principe des sondages délibératifs est de faire ressortir ce que le public penserait sur des enjeux collectifs variés si on lui donnait l'occasion de s'informer et de délibérer sur ces enjeux avant de répondre aux questions de sondage. L'hypothèse est que beaucoup de gens ont des opinions « à froid » qu'ils n'admettraient pas s'ils avaient reçu plus d'information avant de les formuler. Des sondages délibératifs ont été organisés par des universitaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie et dans plusieurs pays d'Europe sur des enjeux tels que la criminalité et la santé. Un sondage délibératif se fait en trois étapes. La première étape est un sondage ordinaire administré à un échantillon aléatoire de citoyens adultes sur certains enjeux collectifs. La deuxième étape permet aux mêmes personnes réunies en petits groupes de s'informer auprès d'experts et de décideurs gouvernementaux en leur posant des questions sur ces enjeux. Cette deuxième étape dure au minimum quelques heures et au maximum plusieurs jours. La troisième étape consiste à sonder les personnes de la même façon qu'à la première étape. La technique du sondage délibératif permet donc de mesurer de façon en partie contrôlée la différence entre l'opinion publique « à froid » de la première étape et l'opinion publique « à chaud » de la troisième étape. Une grande différence indiquerait un défaut d'information et de réflexion à la base de l'opinion publique « à froid ». Le tableau 3.5 rapporte les résultats d'un sondage délibératif sur le soutien des Américains à la guerre en Irak qui s'est tenu en janvier 2003 à Philadelphie. On voit que la délibération a diminué sensiblement l'appui populaire à la guerre en Irak « si aucune nouvelle preuve (de l'existence d'armes de destruction massive) n'est prouvée » ainsi que l'appui à l'action unilatérale des États-Unis.

9 Voir Tourangeau et Galešic (2008 ) pour un résumé de ces recherches.

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TABLEAU 3.4 Résultats partiels d'un sondage délibératif sur l'intervention militaire des Américains en Irak Pré-

délibération Post- délibération

Favorable à l'intervention militaire si l'existence d'armes de destruction massive est prouvée

73 % 77 %

Favorable à l'intervention militaire si les preuves ne persuadent pas le Conseil de sécurité

46 % 37 %

Favorable à l'intervention militaire si aucune nouvelle preuve n'est trouvée

31 % 22 %

Appui à l'action unilatérale des États-Unis 58 % 44 %

Source : Brady, Fishkin et Luskin (2003).

Aussi intéressante qu'elle soit, la technique du sondage délibératif prête le flanc à plusieurs critiques. Premièrement, son coût lié au déplacement et à l'hébergement d'une (parfois plusieurs) centaine de citoyens pendant plusieurs jours est exorbitant. Deuxièmement, les recherches ont montré que la différence entre les opinions « à froid » et « à chaud » n'est pas toujours consistante. Elle est tantôt significative, tantôt pas significative (ne dépassant pas la marge d'erreur du sondage) sans qu'on puisse vraiment expliquer pourquoi (Sturgis et al., 2005). Enfin, l'effet cognitif de la délibération semble ne pas durer sur le long terme ; les participants qui ont changé d'avis oublient plus ou moins rapidement ce qui les a poussés à ce changement. Il n'en demeure pas moins qu'ils en retiennent la leçon que le fait même de délibérer les a fait changer d'avis. En fin de compte, même en supposant que les sondages délibératifs entraînent des changements significatifs et durables dans la direction désirée, ces changements n'affecteront au mieux que quelques centaines ou milliers de personnes. RÉSUMÉ On constate que les citoyens sont trop peu compétents et informés politiquement pour satisfaire l'exigence démocratique du « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Le point de vue optimiste affirme que le manque de compétence politique des gens n'a pas grande importance tant qu'ils disposent d'information raisonnable et sensée et tant qu'ils en savent juste assez en politique pour défendre leurs intérêts et leurs valeurs. Le point de vue pessimiste affirme qu'il y a un trop grand déséquilibre social dans la distribution de l'information politique. Les gens peu informés n'ont pas le choix de rester ignorants et de passer leur tour au festin démocratique. D'un point de vue comme de l'autre, il semble nécessaire que les leaders politiques et les médias se chargent de simplifier et de cristalliser les enjeux publics de manière à rendre l'action démocratique possible.

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ANNEXE

ENCADRÉ 3.1 Test pour la citoyenneté Réussirez-vous l'examen pour la citoyenneté canadienne ?

Voici une liste partielle de questions posées à l'examen pour la citoyenneté. La liste complète est accessible en consultant le guide de préparation à l'examen « Regard sur le Canada » http://www.cic.gc.ca/francais/citoyennete/examen.asp

1. De qui descendent les Métis ? 2. Quel commerce important la Compagnie de la Baie d'Hudson dirigeait-elle ? 3. Quel groupe de personnes a joué un rôle majeur dans la construction du

Canadian Pacific Railway dans l'Ouest canadien ? 4. Quand l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est-il entré en vigueur ? 5. Quelles sont les quatre provinces qui se sont réunies pour former la

Confédération ? 6. Quelle est la seule province officiellement bilingue ? 7. Le Parlement a créé un nouveau territoire dans le Nord canadien. Comment

s'appelle ce nouveau territoire ? 8. Comment appelle-t-on les représentants provinciaux de la reine ? 9. Comment appelle-t-on une loi avant qu'elle ne soit adoptée ? 10. Combien y a-t-il de circonscriptions électorales au Canada ? Un sondage COMPAS de 2001 révèle que seulement 17 % des Canadiens étaient capables de répondre à au moins six des dix questions ci-dessus, la proportion exigée pour réussir l'examen pour la citoyenneté. Moins d'un pour cent des répondants ont répondu correctement aux dix questions, alors que 14 % ont donné des réponses erronées à toutes les questions. La question 2 a reçu le plus haut pourcentage de réponses correctes (70 %) ; la question 10 a reçu le plus bas pourcentage de réponses correctes (2 %). Le rapport COMPAS peut être téléchargé http://www.compas.ca/polls/010621-CitizenshipPollForGlobal-P.htm Réponses correctes 1. Descendants de colons européens et de femmes indigènes. 2. Les fourrures. 3. Les Chinois. 4. Le 1er juillet 1867. 5. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l'Ontario. 6. Le Nouveau-Brunswick. 7. Le Nunavut. 8. Les lieutenants-gouverneurs. 9. Un projet de loi. 10. 308.

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