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Chrysalides CREDAL Le transfert d'un modèle de démocratie participative Paradiplomatie entre Porto Alegre et Saint-Denis Osmany Porto de Oliveira

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Chrysalides

CREDAL

Le transfert d'un modèle de démocratie participativeParadiplomatie entre Porto Alegre et Saint-Denis

Osmany Porto de Oliveira

ISBN: 978-2-915310-98-6Collection «Chrysalides », n° 7, éditions de l’IHEAL, 2010.

Éditions de l’IHEAL, collection «Chrysalides »

IHEAL (Institut des Hautes Études de l’Amérique latine),Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3• Directeur : Georges COUFFIGNAL

CREDAL (Centre de Recherche et de Documentation sur l’Amériquelatine), UMR 7227 (CNRS/Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)• Directrice : Martine DROULERS

IHEAL-CREDAL28, rue Saint-Guillaume75007 ParisTél. : (33) (1) 44398660Courriel : [email protected]

• Responsable des publications : Olivier COMPAGNON

[email protected]• Secrétariat d’édition : Joëlle CHASSIN avec Isabelle DECHAMPS

• Assistante d’édition : Marie-Lorraine BACHELET

• Directrice de la collection : Renée FREGOSI

• Créateur de la collection : Christian GROS

DiffusionDirection de l’information légale et administrative124, rue Henri-Barbusse93308 Aubervilliers Cedex FranceTél. : (33) (1) 40157010Télécopie : (33) (1) 40 15 68 00www.ladocumentationfrançaise.fr

Conception graphiqueLA SOURIS, www.lasouris.org

Photo de couvertureOsmany Porto de OLIVEIRA, Bologne (Italie), 2006.

ImpressionImprimerie Bobillier, Morteau

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Remerciements

Ma reconnaissance va tout d’abord à David Dumoulin Kervran, pouravoir dirigé cette recherche, pour ses commentaires, toujours trèssubtils, et sa disponibilité. Le dialogue avec David Recondo et sesconseils judicieux ont été indispensables pour la réalisation de cetterecherche. Les avis de Marion Gret et de Diana Burgos-Vigna m’ontégalement guidé.Différentes personnes m’ont accompagné, chacune à sa manière,durant mon travail au Brésil et en France. Au cours de mon expériencede terrain, j’ai été accueilli de manière exemplaire à la mairie de PortoAlegre et de Saint-Denis. Je tiens à exprimer ma gratitude auxfonctionnaires qui se sont rendus disponibles pour me renseigner, mefournir des documents et m’accorder des entretiens, en particulierMarie-Christine Gimenez, Elise Roche, Céline Daviet et KarineDubreuil. Les habitants de ces deux villes m’ont beaucoup apporté enme racontant leurs expériences.Je tiens à remercier mon père pour ses encouragements sans cesserenouvelés. Bien que de loin, mes proches m’ont accompagné, àchaque instant, durant mon séjour en Europe. Sans leur soutien, cetravail n’aurait pu être réalisé.Je souhaite remercier, enfin, toutes les personnes qui m’ont donné deleur temps. Même si leurs noms ne figurent pas dans ces lignes, leurapport a été significatif. L’Institut des Hautes Études de l’Amériquelatine n’a pas été seulement un espace d’étude, mais ce fut aussi un lieude rencontres. Les personnes que j’ai connues dans cet endroitchaleureux ont joué un rôle fondamental dans la mesure où, durant

deux années intenses, les échanges d’idées, constants et soutenus, ontstimulé ce mémoire au cours de son élaboration. Je tiens aussi àexprimer ma gratitude à l’équipe des éditions de l’IHEAL pour sabienveillance.

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Sommaire

Principaux sigles utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Méthodologie de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Cadre conceptuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29Les transferts de politiques publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29Théorie politique et démocratie participative . . . . . . . . . . . . . . . . 39Les villes comme acteurs des relations internationales :la paradiplomatie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Organisation de l’ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

CHAPITRE 1

La démarche d’approfondissement

de la démocratie à Saint-Denis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Contexte sociopolitique à Saint-Denis . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52Stratégie d’approfondissement démocratique . . . . . . . . . . . . 55

CHAPITRE 2

Le budget participatif : pourquoi le modèle

de Porto Alegre? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

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Budget participatif : des raisons pour l’appliquer . . . . . . . . . 61Le modèle de Porto Alegre par ses architectes . . . . . . . . . . . . . . . . 64La mise en place du budget participatif : entre revendication populaire et projet politique . . . . . . . . . . . . . . 71Porto Alegre entre mythe et limites : le transfert du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Synthèse des budgets participatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

CHAPITRE 3

La «bonne gouvernance» et les villes

en quête de prestige international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91Normes de la «bonne gouvernance » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91Porto Alegre et le réseau «Mercocités » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95Le programme URB-AL, reliant villes européennes et villes latino-américaines . . . 101

CHAPITRE 4

Transferts et liens politiques : quel modèle en circulation? 107Mobilisation et accueil des Forums sociaux internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107Des «bonnes pratiques » au lesson-drawing . . . . . . . . . . . . . . 114

CHAPITRE 5

Transformations locales et effets internationaux . . . . . . . . . 123Le budget participatif dans la campagne électorale de 2004 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123Porto Alegre et Saint-Denis : quel avenir avec la nouvelle administration ? . . . . . . . . . . . . 127

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

Liste des personnes rencontrées et interviewées . . . . . . . . . 152

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Principaux sigles utilisés

ABONG (Association brésilienne des ONG)AITEC (Association internationale des techniciens, experts

et chercheurs)AM (Amazonas)ATTAC (Association pour la taxation des transactions pour l’aide

aux citoyens)BA (Bahia)BP (Budget participatif )CBP (Conseil du budget participatif )CE (Ceará)CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis)CPC (Commission parlementaire conjointe)CUF (Cités-Unies-France)ECO-92 (Sommet de la Terre à Rio - 1992)EDD (Empowered Deliberative Democracy)ES (Espírito Santo)FAL (Forum des autorités locales)FCES (Forum consultatif économique et social)FMCU (Fondation mondiale des Cités-Unies)FMI (Fond monétaire international)FN (Front national)FOCEM (Fundo para a Convergência Estrutural do MERCOSUL)

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FRACAB (Federação Rio-grandense de Associações Comunitárias e Amigos de Bairro)

FSE (Forum social européen)FSM (Forum social mondial)GAPLAN (Gabinete de Planejamento)MDB (Movimento Democrático Brasileiro)MERCOSUR (Marché commun du Sud)MG (Minas Gerais)MSD (Mairie de Saint-Denis)OCDE (Organisation de coopération

et de développement économiques)OIDP (Observatoire international de la démocratie participative)OLDP (Observatoire local de la démocratie participative)ONU (Organisation des Nations unies)PCB (Partido Comunista Brasileiro)PCF (Parti communiste français)PE (Pernambuco)PICE (Programa de Integração e Cooperação Econômica)PMPA (Prefeitura Municipal de Porto Alegre)PNUD (Programme des Nations unies pour le développement)PPS (Partido Popular Socialista)PT (Parti des travailleurs)RS (Rio Grande do Sul)SEAI (Secretaria Especial para Assuntos Internacionais)SP (São Paulo)UAMPA (União das Associações dos Moradores de Porto Alegre)UDF (Union pour la démocratie française)UN-Habitat (Programme des Nations unies pour les établissements

humains)URB-AL (Programa de cooperación para el desarrollo urbano en

América Latina y Europa)

Préface

Il faut se réjouir que ce livre voie le jour et se fraie un cheminvers un public élargi, dépassant ainsi l’audience confidentiellequi est généralement celle des mémoires de master. Au travers del’étude du transfert du budget participatif de Porto Alegre àSaint-Denis, les lecteurs trouveront assurément des données etdes analyses suggestives pour continuer à penser les relationsqu’entretiennent sociétés européennes et sociétés latino-améri-caines. À la croisée de l’analyse de l’action publique et de lasociologie des relations internationales, l’analyse développée parOsmany Porto de Oliveira incarne en effet ce renouveau de lasociologie politique qui rend largement caduc le vieux clivageentre science politique et relations internationales, entre études« internistes » et « externistes ». Il ne s’agit certes pas de nier l’exis-tence des frontières des États nationaux, mais de montrer qu’ilest nécessaire de les étudier de manière transversale. L’internatio-nalisation des sociétés politiques s’incarne dans des dynamiquesconcrètes de circulation dont ne rendent pas toujours compteles approches théoriques de la « globalisation». Ici, l’action inter-nationale des collectivités locales et des acteurs non gouverne-mentaux est au cœur de l’enquête puisque cet ouvrage met enlumière la circulation transatlantique des instruments depolitiques publiques à l’échelle municipale, la paradiplomatie

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des villes et des réseaux d’experts et les implications concrètesdes injonctions à la «bonne gouvernance » au sein du monde dela coopération internationale.

Qu’il soit question ici de « bonne gouvernance » n’impliquecependant pas la reproduction des canons promus par la Banquemondiale, qui n’est plus la seule à édicter des standards interna-tionaux. C’est justement l’un des intérêts de ce livre que d’ana-lyser les croisements entre différentes arènes de légitimation des« bonnes pratiques » – des plus « critiques » aux plus « mains-tream ». Il sera en effet question des alliances internationalesentre partis de gauche, mais surtout du rôle essentiel des Forumssociaux mondiaux, du Forum des autorités locales pour l’inclu-sion sociale (FAL), de l’Observatoire international de ladémocratie participative (OIDP) ou encore des réseaux URBALsuscités par l’Union européenne. L’analyse permet donc des’interroger sur la possibilité d’une internationalisation plurielle,qui laisserait place à la concurrence des modèles politiques etenterrerait définitivement le « consensus de Washington». Cetteouverture demeure toutefois ambiguë tant le slogan des alter-mondialistes, « un autre monde est possible », semble lui aussidomestiqué et normalisé par les liens avec la politique des partiset des administrations locales.

L’originalité de ce travail réside principalement dans le faitqu’Osmany Porto de Oliveira ne nous propose pas une énièmeétude de cas sur la démocratie participative. En effet, l’évalua-tion et la comparaison des pratiques participatives ne consti-tuent pas son objet d’étude, même si les dispositifs en vigueurdes deux côtés de l’Atlantique lui sont familiers et si le bilan dubudget participatif à Saint-Denis apparaît finalement mitigé. Cesont plutôt le contexte du transfert et les ressorts de celui-ci quimonopolisent l’attention : l’auteur analyse ainsi le jeu entrefactions au sein du Parti des Travailleurs à Porto Alegre et duParti communiste à Saint-Denis et prend la mesure de l’imbrica-tion intime du choix d’instruments de gestion et de la politisa-

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tion des activités au sein des mairies. Clé essentielle de compré-hension des mécanismes de transfert, les stratégies de recherchede légitimité sont finement décryptées et permettent de voir sedéployer le « double jeu » que les équipes dirigeantes des villesdoivent jouer dans leur quête simultanée de prestige internatio-nal et de reconnaissance auprès des électeurs locaux. Ce volumecontribue donc aussi à une discussion théorique en démontrantcomment l’analyse des transferts internationaux gagne à êtrepensée dans une articulation entre l’étude des mécanismes de« lessons drawing » et une approche donnant le primat aux straté-gies politiques à la fois locales et internationales qui caractérisentdésormais la paradiplomatie des villes.

Autre élément remarquable méritant qu’on le souligne, lastratégie de recherche adoptée par l’auteur s’est avérée trèsféconde. Osmany Porto de Oliveira a en effet obtenu un stagedans chacune des mairies qu’il étudiait et s’est ainsi familiarisé,au plus près du réel, avec les ressorts de l’administrationpublique locale au Brésil et en France. Ceci lui a permis decomprendre les spécificités des contextes locaux, de faire la partdes discours et des pratiques à Porto Alegre et à Saint-Denis etde mettre en œuvre, par la suite, son projet d’analyse transnatio-nale sur de solides fondements méthodologiques. La solidité desdonnées présentées dans ce livre a donc été acquise par cetteprésence prolongée sur les lieux et rappelle salutairement – bienque l’auteur n’ait pas opté pour une mise en récit incluant lesobservations et les commentaires ethnographiques – l’impor-tance des expériences de terrain en sciences sociales.

David Dumoulin KervranMaître de conférences en sociologie

Juin 2010

Introduction

Les dispositifs de participation directe de la société dans lesdébats d’intérêt public sont, de nos jours, l’objet d’une proliféra-tion massive. L’inclusion des citoyens dans les décisions sur desdomaines qui les concernent directement est devenue, nonseulement un élément de revendication des mouvementssociaux, mais également une priorité pour les différents gouver-nements. En France, des exemples visibles comme les « conseilsde quartier » et les « conseils de développement » confirmentl’élargissement progressif de cette réalité participative qui,depuis les années 1990, gagne peu à peu du terrain. Dans ledomaine participatif, l’Amérique latine est une des régions lesplus fertiles en matière d’expérimentation et d’innovation. Aussiles pratiques d’import-export de dispositifs comme d’idées à cesujet, tant au niveau infranational qu’international, se dévelop-pent-elles inévitablement. Le « budget participatif » brésilien,mis en place à Porto Alegre à partir de 1989, est l’exemple leplus frappant de cette dynamique. Devenu icône de la démocra-tie participative, ce dispositif a connu un intense mouvement detransferts à l’échelle mondiale.

Le phénomène participatif fut accompagné par l’émergenced’un intérêt croissant pour les sciences sociales, contribuant

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ainsi à la cristallisation d’une riche littérature sur le sujet.Certains travaux sur la théorie démocratique [O’Donnell, Cullelet Iazzetta, 2004] considèrent la participation comme l’un deséléments permettant d’évaluer la qualité d’un régime démocra-tique. Une autre ligne de recherche, représentée par Fung etWright [2002] aux États-Unis, et Lubambo, Coêlho et Melo[2005] au Brésil, utilise les études de cas pour observer lesconditions institutionnelles favorables à l’approfondissement dela démocratie. Par ailleurs, l’innovation des expériences debudget participatif a suscité l’attention des chercheurs et est àl’origine d’un nombre important de travaux [Abers, 2000 ;Avritzer, 2003 ; Baiocchi, 2001 ; Fedozzi, 1997 ; Gret etSintomer, 2002 ; Santos, 2003, Sintomer et al., 2008]. Ladimension participative de la démocratie est également abordéepar le prisme du type de projets politiques plus larges portés parceux qui la mettent en place [Dagnino et al., 2006].

Or, si l’ensemble des recherches au sujet de la participation etde la démocratie porte sur l’efficacité des dispositifs de participa-tion, la qualité de la démocratie, la participation elle-même etles projets politiques, il reste encore beaucoup à étudier quantaux mécanismes plus vastes de la circulation internationale desdispositifs, des idées et des modèles de participation. C’est àpartir de ce constat simple mais significatif que nous avonsentrepris ce travail. Nous avons choisi d’étudier le transfert dubudget participatif de Porto Alegre réalisé par Saint-Denis.L’analyse des contextes locaux de ces deux villes et des relationsinternationales qui les rapprochent semble indispensable afind’expliquer l’adoption du budget participatif par la villefrançaise.

Ce travail a, parmi ses objectifs principaux, celui de stimulerla réflexion autour des questions concernant la « démocratieparticipative ». Pour ce faire, nous envisageons d’intégrer l’étudedes relations internationales, en particulier des relations récentesentre la France et le Brésil, pour interpréter le transfert. Notre

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but premier n’est pas d’analyser le dispositif participatif, c’est-à-dire le fonctionnement du budget participatif lui-même, maisde comprendre les enjeux présents dans le processus de transfertdu budget participatif.

Ce type de réflexion existe déjà, certes, mais dans des écritssans vraiment de liens entre eux et sans méthodologie biendéfinie. En France, parmi les travaux de cette nature, on trouveles recherches de Diana Burgos-Vigna, qui portent sur lesquestions de la circulation du budget participatif en Amériquelatine, notamment au Pérou et, de manière plus transversale, enFrance [2004]. L’ouvrage Cultures et pratiques participatives :Perspectives comparatives, dirigé par Catherine Neveu [2007],met également en évidence la problématique des transferts etune partie de ce livre est dédiée à ce thème. En ce qui concernele budget participatif, en Europe en particulier, les travaux plusrécents d’Yves Sintomer et de ses collaborateurs ont contribuéau débat : à partir d’une analyse comparée, les auteurs dévelop-pent une typologie des dispositifs opérant pour tout le conti-nent [Sintomer et al., 2008]. Pour le cas brésilien, BrianWampler et Leonardo Avritzer, partant d’une étude quantitativesur la diffusion des budgets participatifs au Brésil, montrent queles différentes municipalités reproduisent le dispositif, indépen-damment du parti politique au pouvoir. Les partis considéréscomme étant au centre, comme les orientations politiques plusconservatrices, appliquent de nos jours le dispositif au Brésil.Wampler et Avritzer insistent sur le fait que le budget participa-tif est passé d’une expérience de radicalisation de la démocratie,soutenue initialement par le Parti des Travailleurs, à unepratique de bonne gouvernance [Wampler et Avritzer, 2006].Toutefois l’ensemble de ces recherches ne dialogue pas et iln’existe pas de corpus consistant de travaux, de méthodes rigou-reuses et d’argumentations solides sur les transferts des disposi-tifs participatifs en général et sur le budget participatif en parti-culier.

L’étude des transferts suscite un intérêt de plus en plus grand,non seulement en sciences sociales mais aussi en sciencepolitique1. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans un discoursprononcé en 1989, essaie d’éclaircir les mécanismes de la circu-lation internationale des idées, en proposant une analyse de ladimension culturelle et internationale des relations internatio-nales2. Afin de comprendre la réforme d’État en Amériquelatine, Yves Dezalay et Briant Garth mènent une recherchesociologique sur les relations de pouvoir dans le champ nationalet international. Portant sur une étude des élites, leur travailtraite des dynamiques d’importation et d’exportation detechnologies juridiques américaines dans quatre pays dusous-continent [Dezalay et Garth, 2002]. L’analyse des trans-ferts de valeurs et de savoir, selon ce point de vue structurel etsociologique, offre une contribution majeure à la compréhen-sion des logiques implicites dans le phénomène de la mondiali-sation.

L’argumentation proposée ici est cependant forgée prioritai-rement à partir des recherches plus récentes menées en sciencepolitique. Le foisonnement des études sur la thématique destransferts est dû au fait que l’apprentissage international est unepratique désormais courante [Dolowitz et Marsh, 2000 ; Levi-Faur et Vigoda-Gadot, 2006], et la « transnationalisation » del’action publique [Hassenteufel, 2005] intensifie les opérationsd’import-export du savoir et des techniques d’action publiqued’un pays à l’autre. L’action des acteurs politiques transnatio-naux est au centre de cette transformation. Les processus d’inté-gration régionale – l’Union européenne en particulier – ont mis

1. Voir Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (éd.), Dictionnaire desPolitiques Publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.2. Voir à ce propos l’article qui reproduit le discours prononcé par le sociologue à l’occa-sion de l’inauguration du Frankreichzentrum (Centre Français) de l’université deFribourg, Pierre Bourdieu « Les conditions sociales de la circulation internationale desidées », Actes de la recherche en sciences sociales, année 2002, vol. 145, n° 1, p. 3-8.

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en œuvre des procédures différenciées de transfert de politiquespubliques [Sarugger et Surel, 2005]. Par ailleurs, l’attribution deprix sur les « bonnes pratiques » – communément appelé « bestpractices » – par des organisations internationales, principale-ment la Banque mondiale, stimule la dissémination depolitiques publiques uniformes à l’échelle globale.

Face à cette dynamique complexe réunissant les espacesnationaux et internationaux, l’approche du transfert se révèleefficace et intéressante pour plusieurs raisons. Elle permet eneffet une description contextuelle avec la mise en place denouvelles classifications. Le processus de transfert peut êtreutilisé en tant que variable explicative des succès et des échecsdes dispositifs participatifs venant d’ailleurs [Dolowitz et Marsh,2001]. En outre, l’analyse du transfert offre la possibilitéd’éclaircir les différents enjeux – de nature politique ettechnique – et les stratégies des acteurs, nationaux et transnatio-naux, présents tout au long de ce processus [Dupré, 2003 citépar Vigour, 2005 : 49], ainsi que les différents usages des dispo-sitifs et modèles en circulation.

Les idées ont bien évidemment une place de choix dans lesdynamiques de transferts internationaux. Il n’est que de voircomment l’histoire de la Commune de Paris en 1871 a puinfluencer la genèse du budget participatif parmi d’autresphénomènes de même nature. Durant la IIIe République, laCommune de Paris en 1871 – cette remarquable expérience departicipation populaire à la gestion locale – a marqué l’histoire.À la suite de l’échec de la guerre franco-prussienne, l’insatisfac-tion due à la précarité de la vie dans la métropole pousse lesParisiens à s’organiser pour développer une forme radicaled’autogestion dans la capitale. L’expérience culmine avec la prisede l’Hôtel de Ville mais elle ne tarde pas à échouer. Des soldatsvenant de Versailles, où l’aristocratie s’était réfugiée, mettent finà l’expérience, exterminant physiquement la grande majoritédes communards. Cette histoire, devenue mythe, a été la source

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d’inspiration de plusieurs mouvements de revendicationpopulaire et sociale dans le monde.

L’administration de Porto Alegre, sous l’égide du Parti desTravailleurs (PT), se nourrit de l’héritage de la Commune deParis pour concevoir et défendre son modèle de démocratieparticipative, le budget participatif3. Associant la participationcitoyenne à une méthodologie d’inversion des priorités, l’objec-tif de la ville brésilienne est de compléter la participationpolitique par le biais du vote et de stimuler un processus d’inclu-sion sociale. Comme Porto Alegre, d’autres villes cherchaient àla fin du XXe siècle à développer des dispositifs sophistiqués departicipation directe de la population aux questions d’intérêtpublic.

La participation des gouvernements locaux, et notamment desvilles, à la sphère internationale, s’accentue à partir des années1990. Les villes, en effet, réalisent des actions externes pour diffé-rentes raisons qui peuvent être d’ordre politique, économique ouculturel. La coopération, par le biais des accords bilatéraux et pardes alliances politiques, est une pratique qui leur permet d’affir-mer peu à peu leur force et d’imposer leurs propres intérêts. Lesgouvernements locaux affrontent des problèmes similaires et lesexpériences d’une administration en matière de gestion locale oude stratégie politique peut être source d’inspiration pour les unscomme pour les autres. Dans ce contexte, les transferts interna-tionaux se développent inévitablement.

La coopération entre Porto Alegre et Saint-Denis est née dansun contexte de lutte politique à la fois locale et internationale, quimarque les mouvements sociaux et certains partis progressistes denotre époque. Ce n’est pas un hasard si Saint-Denis accueille leForum social européen en 2003, après la succession des Forumssociaux mondiaux de Porto Alegre. Notre propos est d’observer le

3. Voir à ce propos Tarso Genro, Ubiratan de Souza, Orçamento Participativo : aexperiência de Porto Alegre, Ed. Abramo Fundação Perseu, São Paulo, 2007, p. 23.

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dispositif de participation locale à partir de l’étude du transfert dumodèle, celui de Porto Alegre4. Si ce pari est réussi à la fin de cetterecherche il constituera un apport heuristique aux études sur ladémocratie participative ainsi que sur les transferts. C’est dumoins notre espoir. Les cas de Porto Alegre et de Saint-Denis sonttrès significatifs. Les deux villes établissent une forte coopérationpolitique à la fin des années 1990. En 1999 la premièreexpérience de budget participatif est réalisée à Saint-Denis. En2001, Porto Alegre est le siège du premier Forum social mondial.Deux ans après, c’est Saint-Denis qui accueille le Forum socialeuropéen. Des échanges fructueux s’établissent entre les villes afinde créer une communauté internationale fondée sur une vision etdes valeurs communes de ce que doit être la vie en société.

Problématique

La diffusion des modèles de démocratie participative localeest un phénomène déterminé par une interaction complexeentre les facteurs locaux et les facteurs internationaux. Ladémocratie, dans ses dimensions formelle et matérielle, semblepar ailleurs avoir été historiquement un objet de circulationinternationale5. Pour comprendre la démocratie participativepromue de nos jours par les collectivités locales, il est indispen-sable de faire retour sur l’ensemble des recherches qui prennenten compte l’imbrication de ces deux dynamiques afin d’expli-quer les phénomènes politiques contemporains.

4. Actuellement plus de 150 expériences de budget participatif ont déjà été réalisées auBrésil. Le modèle a été très tôt exporté en Uruguay et en Argentine [cf. Marion Gret,2002]. Depuis 2000, il est également pratiqué au Pérou et en Amérique centrale. Legouvernement Chávez, au Venezuela, s’est inspiré de l’expérience de Porto Alegre dans lamise en place de ses politiques participatives. Primé en 1996 par l’ONU et recommandéen 2000 par la Banque mondiale, le budget participatif est aujourd’hui une pratiqueeffective dans plusieurs gouvernements locaux de par le monde.5. Voir à ce propos le premier chapitre de l’ouvrage La démocratie directe : « Allersretours » et « import-export de la démocratie directe » in Yannis Papadopoulos, Ladémocratie directe, Economica, Paris, 1998, p. 25-36.

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Dans l’ouvrage classique sur les transitions vers la démocratieorganisée, à la fin des années 1980, par O’Donnell, Schmitter etWhitehead [O’Donnell et al., 1988], Laurence Whiteheadouvre le premier chapitre du troisième volume en s’interrogeantsur l’influence internationale sur les processus de démocratisa-tion en Amérique latine. L’intérêt pour l’influence interne etexterne sur les enjeux politiques est également présent dans letravail de Robert Putnan sur les négociations internationales.L’auteur affirme que les États dans les négociations internatio-nales jouent sur un double terrain : interne et international6. Lesnégociateurs, dans ce sens, ont des positions différentes vis-à-visde chaque espace d’action. Dans un autre contexte – celui del’importation des normes du droit en Amérique latine – YvesDezalay et Briant Garth affirment que les élites importatricespratiquent « l’art du double jeu » en se faisant les porte-parole deleurs revendications d’autonomie nationale et des puissanceshégémoniques [Dezalay et Garth : 28].

Nous nous sommes nourri des recherches de LaurenceWithehead, Robert Putnam et de Dezalay et Garth pour menerce travail. Cependant nous nous sommes approprié la proposi-tion et nous l’avons reformulée. Pour nous à l’époque actuelle,les transferts de modèles de démocratie participative locale,notamment les cas de Porto Alegre et de Saint-Denis, s’inscri-vent dans une dynamique de tension inséparable entre enjeuxlocaux et enjeux internationaux. Il y a deux dimensions dans letransfert du budget participatif. La première concerne laquestion de la relation entre gouvernance locale et participation.Il s’agit donc d’un problème plus technique, tandis que ladeuxième renvoie à la notoriété internationale que confère

6. Robert Putnam, « Diplomacy and Domestic Politics : The Logic of Two-LevelGames », International Organization, N° 42, Summer 1998, p. 427- 460. Voir égalementle volume dirigé par Peter Evans, Harold J. Jacobson et Robert Putnam, Double-EdgedDiplomacy : International Bargaining and Domestic Politics, qui a comme point de départl’article de Putnam [cf. Bibliographie].

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l’innovation du budget participatif7. C’est pourquoi nous avonspréféré utiliser la notion de double enjeu, local et international,dans la mesure où des questions de gestion locale ainsi que lesluttes pour une affirmation internationale sont systématique-ment présentées dans le processus de transfert.

Les rôles joués par les acteurs sont flous, difficiles à définir. Cesderniers, très hétérogènes, sont présents dans différents scénarios,les uns opérant sur un terrain à la fois local, international ou trans-national : ONG, gouvernements des villes, presse ou même mondeacadémique. Il ne serait donc pas surprenant que l’action et lesscènes de l’action se confondent durant le processus de transfert.Notre recherche s’est pourtant structurée à partir de la collectivitélocale : nous avons privilégié une entrée par les deux villes que nousavons choisi d’étudier. Aussi, nos questions de recherche portent-elles sur l’action internationale et locale des villes. Ce parti pris enfaveur des villes pouvant constituer une limite à notre recherche,nous avons tenté de démontrer comment ces dernières se présen-tent en tant qu’acteurs majeurs du transfert.

Étudier le transfert d’un modèle de démocratie participativeentraîne une série de questions générales. Pourquoi aujourd’huiles transferts de modèles de démocratie participative sont-ils despratiques de plus en plus fréquentes ? Pourquoi certaines collec-tivités locales préfèrent-elles importer un modèle plutôt que dedévelopper leur propre dispositif de participation citoyenne ?Les modèles sont plus variés de nos jours. Les gouvernements degauche comme ceux de droite (pour reprendre le clivage tradi-tionnel des sciences politiques) développent et mettent en placedes dispositifs de démocratie participative8. Qu’est-ce donc qui

7. Marion Gret, dans sa thèse «L’expérience de démocratie participative de Porto Alegre,étude comparative de pratiques de gouvernance en Amérique latine », énonce ces problé-matiques.8. Des travaux récents de Brian Wampler mettent en évidence le fait qu’au Brésil desmunicipalités très hétérogènes appliquent le budget participatif indistinctement du partipolitique [cf. Bibliographie].

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motive une ville à adopter un modèle développé aux États-Unis,comme les Conseils de Gouvernance de Quartier9 de Chicago,plutôt que de reprendre les Panchâyat, de l’est du Bengale et duKerala indien ou le Jury Citoyen allemand ? Pourquoi le succès dePorto Alegre, l’un des modèles les plus reproduits, intégralementou partiellement par différents gouvernements ? En quoi lesenvironnements internationaux et locaux influencent-ils letransfert d’un modèle de démocratie participative ?

Dans un contexte d’émancipation progressive des villes sur lascène internationale nous pensons que le transfert du budgetparticipatif de Porto Alegre effectué par la ville de Saint-Denisest le résultat d’une stratégie de coopération politique. À partirde cette hypothèse générale, nous structurerons notre argumen-tation autour de deux sous-hypothèses.

1) Les deux villes sont liées par un projet politique communfondé par des idéaux de participation politique et de lutte contrela globalisation du capital financier.

2) Le transfert représente un lien entre ces deux villes quicherchent à établir un relais auprès des citoyens et à acquérir duprestige vis-à-vis de la communauté internationale.

Cette hypothèse nous permet de traiter le budget participatifdans sa dimension internationale, car il représente le fruit d’unengagement entre deux villes de nations différentes. Par ailleurs,cela nous offre la possibilité de considérer le budget participatifcomme un dispositif indissociable de la connotation attribuéepar le projet politique de ceux qui l’appliquent. La pratiqueparticipative perd alors sa connotation locale. En ce qui nousconcerne une analyse plus fine de la qualité du dispositif,comme de ses effets auprès de la population, ne se révèle paspertinente. La problématique proposée nous a orienté vers unestratégie de recherche susceptible de considérer le local et l’inter-

9. De l’anglais Neigborhood Governance Council.

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national. Notre recherche empirique a associé une méthodeethnographique et des entretiens « semi-directifs ».

Méthodologie de recherche

Avant de commencer une recherche qualitative, une questionmajeure se pose. Il s’agit du choix méthodologique, celui de laformule de recherche que le chercheur estime la mieux adaptéepour valider ses hypothèses. Comment faut-il enquêter à proposde l’influence internationale et locale sur le transfert d’unmodèle de démocratie participative locale ? Afin d’exposer lesoutils méthodologiques qui nous ont permis de justifier notreargumentation, nous allons rendre compte de notre « cuisineinterne10 », c’est-à-dire de notre démarche empirique.

La présente étude est le produit d’une recherche réalisée entre2007 et 2008. Durant cette année universitaire, le travail de terraina été effectué au Brésil et en France. Notre méthode s’est dévelop-pée à partir d’une combinaison de la recherche sur des documentsofficiels et des rapports, sur des observations de terrain et au traversd’entretiens. Compte tenu du temps de travail et de la difficultéqu’une enquête sur deux pays si éloignés peuvent entraîner, nousavons essayé d’appliquer une stratégie de recherche en mesured’intégrer une démarche nous permettant d’un côté, d’avoir plusd’informations primaires sur les deux terrains et de l’autre, pouvantnous rapprocher des acteurs du transfert. Nous avons identifié desacteurs qui ont participé, de manière directe ou indirecte, au trans-fert puis nous les avons interviewés. Une série d’entretiens ont étéégalement menés auprès des habitants de Porto Alegre et de Saint-Denis et des représentants des associations. Nous avons rassembléun corpus simple, mais significatif, d’entretiens.

10. En faisant référence à la méthodologie des recherches en sciences politiques,Boumaza et Campana utilisent la métaphore de la « cuisine interne » pour indiquer letravail méthodologique du chercheur. Voir l’article «Enquêter un milieu difficile : intro-duction», Revue Française de Sciences Politiques, vol. 57, n° 1, février 2007, p. 5-25.

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Il fallait tout d’abord comprendre et situer le modèle de PortoAlegre. Il était nécessaire d’observer, de sentir, de percevoir cetteville située à l’extrême sud du Brésil, devenue le lieu par excellencedu pèlerinage « altermondialiste » et des partis et mouvementsprogressistes. Nous avons effectué un séjour de trois mois au Brésil,de mai à août 2007. Durant le mois de juillet, nous avons étéattaché à la mairie de Porto Alegre en tant que «volontaire», dans lesecteur de la Governança, à l’administration du budget participatif.

Nous avons alors suivi les réunions qui structurent le corpuscentral du budget participatif, comme les Conseils du BudgetParticipatif (CBP) et les réunions thématiques. Nous avons puobserver la structure des débats dans les différents forums, lesacteurs intervenant et leur prise de parole. À la mairie, nousavons également suivi le travail des responsables administratifs,leurs tâches et leurs rapports avec les habitants. Cette démarche aété essentielle en termes de contenu. Elle nous a aidé à reconsti-tuer le contexte de Porto Alegre et à mieux connaître les modesde fonctionnement du budget participatif.

Notre deuxième étape a consisté à reconnaître les acteursintermédiaires dans la coopération entre Porto Alegre et Saint-Denis. Nous avons contacté une série d’acteurs de la sociétécivile et de la presse internationale comme les associationsspécialisées, les fondations et les journalistes11. Après une séried’entretiens, de rencontres et de conversations personnelles,nous avons pu en déduire un premier constat : les villes étaientdes acteurs majeurs dans le processus de transfert en question.

Nous avons effectué un stage à la mairie de Saint-Denis, defévrier 2007 à avril 2008, auprès du secteur des « démarches-quartiers12 ». Nous avons choisi d’étudier ces villes en fonction

11. Nous sommes notamment entré en contact avec ADELS, ATTAC France, CitésUnies France, La Fondation Léopold Meyer et Le Monde diplomatique.12. Une convention de stage a été signée entre l’université de la Sorbonne Nouvelle -Paris 3, la mairie de Saint-Denis et l’auteur afin d’accompagner le travail de la mairiedans le domaine de ses démarches participatives.

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de ce qu’elles représentent aujourd’hui en matière d’expériencesur les pratiques d’inclusion sociale et d’engagement internatio-nal quant à la promotion de ces idéaux.

Au cours de notre expérience de terrain à Saint-Denis, nousavons participé aux réunions concernant les démarches dedémocratie participative. Nous avons suivi le travail desdémarches-quartiers (dispositif de démocratie de proximité de laMairie). De novembre à janvier 2007-2008, nous avons eul’autorisation municipale pour assister aux ateliers du budgetparticipatif à la mairie de Saint-Denis. Les réunions des Conseilsde quartier ont été également l’objet d’une participation assidue,notamment dans le quartier Delaunay-Belleville. En mai, nousavons suivi la «Quinzaine du budget participatif » à Saint-Denis.

Au cours de notre recherche nous avons donc rencontré desacteurs de la société civile, des hommes politiques, des citoyens etdes responsables administratifs des municipalités. Ces rencontresont fait l’objet d’entretiens qui, dans certains cas, ont été préparésmais qui, dans leur grande majorité, se sont déroulés de façonspontanée, ce que nous avons appelé « entretiens semi direc-tifs13 ». La ligne qui dirige l’ensemble de ces entretiens est la quêteconstante de compréhension quant aux raisons, mécanismes eteffets de l’adoption du budget participatif.

Les réponses très diversifiées de chaque acteur ont éclairécertains points de notre recherche. Nous avons alors confronté cesdonnées au fur et à mesure avec les sources provenant desdocuments officiels. Nos découvertes ont été constammentsoumises aux clefs théoriques de la science politique et des relationsinternationales qui structurent notre recherche. Cette opérationconstante de va-et-vient entre théorie et terrain de recherche nousa permis d’avancer dans les hypothèses évoquées. Nous avons eu

13. Sophie Duchesne, «Entretien non-préstructuré, stratégie de recherche et étude desreprésentations : peut-on déjà faire l’économie de l’entretien «non-directif » en sociolo-gie ? », Politix, vol. 9, n° 35, 1996, p. 189-206.

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recours à l’enregistrement pour certains des entretiens tandis quepour d’autres nous avons préféré ne pas utiliser le magnétophone,cet instrument pouvant parfois rompre la spontanéité du dialogue.Lorsque c’était possible, nous avons pris des notes.

Une fois acquis un corpus d’entretiens personnels, nousavons procédé à des entretiens téléphoniques complémentaires.Variant de quinze minutes à deux heures et demie, les circons-tances dans lesquelles les entretiens se déroulent sont plus oumoins formelles. En ce qui concerne le personnel administratif,les hommes politiques et certains acteurs de la société civile, lesentretiens se déroulent de façon formelle, alors que les entretiensavec les citoyens sont plus informels. L’interview a été un outiltrès riche pour l’obtention d’informations et de contacts. Certes,les entretiens passés avec les citoyens ont été différents de ceuxqui ont été réalisés avec des personnes engagées dans la sociétécivile. Mais l’effet du budget participatif est également différentchez les personnes de la société civile à Porto Alegre et à Saint-Denis. Si l’ensemble des réponses et des résultats des entretiensest très hétérogène, ces derniers jouent cependant un rôlemajeur dans notre recherche.

Nous avons également travaillé avec les textes officiels dubudget participatif de Saint-Denis et de Porto Alegre. À Saint-Denis en particulier, nous avons effectué une série de visites audépartement d’« études locales » et au bureau des « relations inter-nationales », outre la permanence au secteur des démarches-quartiers. Cela nous a permis de comprendre le fonctionnementdes différentes municipalités et la dynamique de leurs démarchesde démocratie participative. Par ailleurs, ce travail a favorisé lerecensement des données utilisées dans notre argumentation.Grâce à la disponibilité des organismes municipaux et aux diffé-rents entretiens, nous avons pu avoir une connaissance détailléeet approfondie de notre objet d’étude. Bien que la comparaisonne soit pas l’intention principale de cette étude, le lecteur obser-vera un constant va-et-vient entre Porto Alegre et Saint-Denis.

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Un ensemble d’approches généralement dissociées ont étéchoisies afin de construire un cadre conceptuel pertinent pournotre analyse. Avec ce travail, nous avons essayé de faire dialo-guer les textes existants sur les transferts de politiques publiques,la «paradiplomatie » et la notion de «projet politique ».

Cadre conceptuel

Pour étudier le transfert international du budget participatifentre les collectivités territoriales, nous nous appuyons sur troisconcepts : le transfert des politiques publiques [Dolowitz etMarsh, 2000], la notion de «projet politique» [Dagnino et al.,2006], l’idée de « paradiplomatie » [Aldecoa et Keating, 1999].La notion de « bonne gouvernance » est complémentaire à cestrois concepts. Promue par la Banque mondiale, cette notion sefonde prioritairement sur l’hypothèse que pour réaliser une«bonne gouvernance» les États doivent promouvoir la décentra-lisation, tandis que les collectivités doivent chercher à réduire lescoûts de transaction et à augmenter l’efficacité de leurs politiquespubliques. Le budget participatif de Porto Alegre a été choisicomme une des meilleures pratiques de «bonne gouvernance »,ce qui a eu pour effet de multiplier son « émulation» internatio-nale.

Les transferts des politiques publiques

Il n’est pas nécessaire, dans le cadre de ce travail, de réaliserune classification des écrits réalisés sur les transferts14. On a ditprécédemment que cette démarche acquiert un intérêt croissantdans les différentes sous-disciplines de la science politique,notamment dans l’analyse des politiques publiques et dans lesrelations internationales [Levi-Faur et Vigoda-Gadot, 2006 :

14. Nous préférons renvoyer à la bibliographie, spécifiquement sur la thématique destransferts.

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250]. Cependant, l’analyse des transferts des politiquespubliques ne doit pas être confondue avec les courants derecherche sur la diffusion d’innovations15. Bien que proches, cesdeux perspectives qui se développent parallèlement présententd’importantes différences. Les stratégies de recherches sur lestransferts privilégient les études de cas et les analyses compara-tives, tandis que les études sur la diffusion présentent plusfréquemment une méthodologie de recherche quantitative. Letransfert est souvent interprété à partir de l’idée du lessondrawing ; la contagion, elle, fait partie des principales formes dediffusion [cf. Levi-Faur et Vigota-Gadot, 2006 : 250]. Nousavons donné la préférence à une démarche qualitative, pluspertinente pour notre étude parce que les instruments d’analyseofferts par l’approche sur les transferts sont opérationnels. Il estutile pour mener ce débat de faire une mise au point concise surle corpus de travail qui a nourri notre recherche, afin deconduire le lecteur plus directement à l’étude proposée ici.

Des travaux réalisés en France, durant les années 1990, enparticulier par Bertrand Badie sur «L’État importé » et par YvesMény sur les « Politiques du mimétisme institutionnel », ontcontribué à la réflexion sur la problématique plus large de lacirculation internationale des modèles dans le domaine de lascience politique. Dans le même temps, dans la tradition anglo-saxonne les recherches sur la convergence et sur la notion delesson-drawing se sont multipliées, donnant lieu à des écritsapprofondis sur le thème. Différents éléments peuvent fairel’objet d’une circulation internationale dans le domaine dupolitique. D’une façon générale, il s’agit de modèles politiques,d’institutions, de politiques publiques et d’idées. Pour le budgetparticipatif plusieurs de ces éléments sont requis. Porto Alegre

15. La littérature reconnaît, en science politique, les recherches de Jack L. Walkercomme étant des travaux pionniers sur la diffusion, voir J. Walker, «The Diffusion ofInnovations among the American States », The American Political Science Review, vol. 63,n° 3, sept. 1969, p. 880-899.

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représente une expérience novatrice de démocratie participativequi a atteint un caractère plus formel, en définissant des règlesde fonctionnement bien précises devenant ainsi un modèle. Lebudget participatif est, dans ce cas, indissociable de l’idée pluslarge d’approfondissement démocratique, par le biais de la parti-cipation de la population aux investissements locaux de lamairie.

Le modèle le plus utilisé afin d’expliquer les transferts a étédéveloppé par D. Dolowitz et D. Marsh. Ces auteurs s’appuientsur un ensemble de travaux réalisés dans le domaine de lascience politique d’origine anglo-saxonne. L’un de leurs apportsconsiste dans la conceptualisation, à la fois solide et détaillée16,des transferts de politiques publiques. Sept questions sont à labase de leur cadre conceptuel.

1) Pourquoi les acteurs réalisent-ils un transfert ?2) Quels sont les principaux acteurs engagés dans le processusde transfert ?3) Qu’est-ce qui est transféré ?4) D’où les leçons sont-elles tirées ?5) Quel est le degré de transfert ?6) Qu’est-ce qui facilite ou rend difficile le transfert ?7) En quoi le processus de transfert est-il lié au succès ou àl’échec de la politique publique17 ?Selon leur approche, le transfert peut être étudié comme une

variable dépendante ou indépendante. Toutefois, pour utiliser letransfert comme variable explicative, il est nécessaire decompren dre et d’expliquer son processus de transfert.

Si nous nous inspirons des travaux de Dolowitz et Marsh,nous ne reprenons cependant qu’une partie de ces questions. Letransfert d’une politique publique est difficilement une copieparfaite du modèle original. Les mimétismes ne sont pas

16. De l’anglais policy transfer.17. David Dolowitz et David Marsh, ibid.

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toujours envisagés par les importateurs. Des modifications dedifférentes natures institutionnelles, cognitives ou systémiquess’imposent à la greffe18. Dans notre cas d’étude, les évidencesempiriques indiquent que le transfert est consolidé sous formed’une « émulation », nous appuyant sur les travaux de RichardRose au sujet du lesson-drawing19.

Nous entendons par « émulation », le transfert d’un modèlequ’on adapte au contexte local. L’objet transféré conservecertaines caractéristiques du modèle original en le rendantadéquat au contexte où il sera mis en place. Ici, le modèle trans-féré garde ses traits généraux, comme la participation populaireau débat sur l’allocation budgétaire municipale. Toutefois, àSaint-Denis, les élus conservent leur pouvoir de décision sur lebudget municipal, le budget participatif restant une pratiquepurement consultative20.

Étant donné que notre étude analyse un transfert internatio-nal, la somme des contraintes est décisive sur l’« émulation» dumodèle. La nécessité de favoriser l’« émulation » rencontre desfreins qui peuvent être institutionnels, politiques ou culturels.Deux contraintes, au moins, s’imposent au transfert. La premièreest l’adaptation du modèle au contexte auquel on veut l’appli-quer, notamment à l’organisation de l’État, de la société civile et

18. Yves Mény, op. cit.19. Le terme « émulation » est employé dans la littérature anglophone en sciencepolitique, spécialement dans les travaux sur les politiques publiques et les relations inter-nationales. La notion à laquelle nous faisons référence est celle que développe RichardRose dans un article intitulé « What is lesson-drawing ? », publié en 1991, où l’auteurréalise une typologie des cas de lesson-drawing (cf. Bibliographie). Rose distingue cinqvariations du lesson-drawing : la copie, « l’émulation», l’hybridation, la synthèse et l’inspi-ration. Il donne d’« émulation» la définition suivante : « [a]doption, with adjustment fordifferent circumstances, of a programme already in effect in another jurisdiction» [p. 22].Ce terme a également été employé en français par d’autres politologues, comme ThierryDelpeuch dans «L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un étatde l’art », Questions de Recherche, n° 27, déc. 2008, disponible sur internet à l’adressesuivante : http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm, consulté le 9 juin 2010.20. D’autres villes en France ont expérimenté le budget participatif : Brou sur Chante-reine, Bobigny, Morsang-sur-Orge, Nanterre, la région Poitou-Charentes, entre autres.

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aux capacités d’appropriation du modèle par les citoyens. Laseconde est de voir quel est l’objectif du transfert d’un modèle. Seposent alors les problèmes suivants : que recherche le modèleimportateur avec la mise en œuvre d’un dispositif de démocratieparticipative locale ? En quoi les partis de l’opposition peuvent-ilsconstituer un obstacle au transfert ? Quel type de pouvoir veut-on conférer au citoyen et quelle place lui accorder ?

Analyser le transfert nous permet de lire les faits comme unestratégie politique promue par les villes progressistes dans leurengagement contre la mondialisation économique, financière etcapitaliste. L’expérience de Porto Alegre est née de la transition àla démocratie au Brésil (1985). Le mouvement populaire del’association des habitants de la ville, originaire des années 1970,revendiquait une plus grande participation populaire dans lagestion urbaine locale et, en particulier, pour les caisses de lamairie. Le Parti des Travailleurs (PT) issu, entre autres forcespolitiques, du syndicalisme industriel de São Paulo, est l’expres-sion du renouvellement démocratique au Brésil. Olívio Dutra(PT), élu en 1989 à Porto Alegre, s’approprie le projet politiquedu PT pour mettre en place un programme de cogestion dansles affaires urbaines21. L’expérience de Porto Alegre se développeau cours des années 1990 et, en 2000, elle acquiert valeurd’exemple international. Porto Alegre, ville « rouge », est lacapitale du Forum social mondial et du budget participatif.Altermondialiste par excellence, cette ville au sud du Brésil estdésormais l’icône internationale de la démocratie participative.

La relation entre Saint-Denis et Porto Alegre a pour origine laconstruction d’une coopération fondée sur des valeurscommunes. En 1996 la ville de Saint-Denis, représentée par sonmaire Patrick Braouezec, membre du Parti communiste français(PCF) choisit Porto Alegre pour établir une relation de coopéra-

21. Nous reviendrons sur la genèse de l’expérience de Porto Alegre en première partie dece livre.

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tion politique. Cette relation est née d’une affinité quant àcertaines valeurs et à une certaine vision de la société qui s’expri-ment par un engagement international contre la prédominanced’une société fondée sur des valeurs capitalistes et individualistes(nous reviendrons sur ces points ultérieurement). Un accord decoopération est mis en place en 1999, rapprochant les deuxvilles.

Toutes les nations ont des problèmes dont certains sontcommuns à plusieurs continents [Rose, 1991]. Pour faire face àun problème semblable, les hommes politiques et le personnelde l’administration publique s’inspirent des méthodes de résolu-tion des problèmes expérimentées ailleurs. Ainsi, la pratique de« tirer des leçons » ou, selon le terme anglais, draw a lesson, peutaider tel ou tel gouvernement [Rose, 1991 : 19]. Pour Rose, lanécessité de « tirer des leçons » est due à l’insatisfaction quirésulte des programmes politiques en vigueur, et qui donnel’impulsion, l’essence du lesson-drawing22. Face à un problème,les experts de l’administration vont chercher ailleurs des instru-ments qui ont été utilisés pour surmonter la même difficulté,pour ne pas perdre trop de temps avec la formulation d’unprogramme ex-nihilo. Ce processus est connu comme larecherche de la satisfaction. L’auteur distingue cinq façons diffé-rentes de tirer une leçon. Le processus d’efficacité d’une leçons’arrête au moment où la satisfaction est atteinte.

La notion de lesson-drawing nous est utile dans le cas du trans-fert de Porto Alegre à Saint-Denis. La ville dionysienne avait déjàmis en place un programme de démocratie participative locale àpartir des années 1990-1995 (la «démarche-quartier » dont nousparlerons ensuite). Le budget participatif est destiné à approfon-dir cette démarche participative et à conférer aux citoyens un

22. Pour Rose, ce phénomène peut avoir lieu à l’échelle infra-nationale ou internatio-nale.

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autre moyen de participer aux choix politiques qui les concer-nent directement. Pour ce faire, l’équipe administrative deSaint-Denis a effectué plusieurs échanges avec Porto Alegre23,une dynamique d’apprentissage étant implicite dans le transfert.La coopération entre Porto Alegre et Saint-Denis a été, parailleurs, un des moyens d’introduire le budget participatif enFrance.

Les transferts internationaux dans le monde contemporainsont influencés par une multitude d’acteurs et de facteurs quicaractérisent les relations internationales de nos jours [Bennett,1991]. Si, jusqu’à la fin de la Guerre froide, les seuls acteursprioritairement considérés par les théories des relations internatio-nales étaient les États-Nations, l’intensification du processus demondialisation a fait émerger une série de nouveaux acteurs inter-nationaux et transnationaux. Ces acteurs sont capables d’influen-cer les politiques internes et externes à l’État. Mais qui sont cesnouveaux acteurs difficiles à identifier et à légitimer?

L’importance accordée au rôle des acteurs est l’un des pointsimportants soulignés par la littérature sur le sujet, comme nousavons pu le remarquer en introduction. L’idée du mimétismeinstitutionnel24, par exemple, qui renvoie à l’analyse de la genèsedes institutions, suggère que les études peuvent se concentrer surles « mécanismes qui y président et les acteurs qui s’y investis-sent » [Mény, 1993 : 10]. Pour Mény l’importation et l’exporta-tion des institutions est une affaire d’élites. L’auteur soutient que« l’importation […] sera facilitée là où des élites informées parti-cipant d’une culture internationale plus que d’une culture“parochiale’’ sont conscientes des insuffisances du système et

23. Ces échanges s’inscrivent dans le cadre des Forums des autorités locales, qui setiennent à l’occasion des Forums sociaux.24. Le sujet du mimétisme institutionnel fait l’objet d’une section thématique auquatrième congrès de l’Association Française de Science Politique, tenu en septembre de1992. Voir l’ouvrage dirigé par Yves Mény, Les politiques du mimétisme institutionnel : lagreffe et le rejet, L’Harmattan, Paris, 1993.

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prêtes à emprunter “ailleurs’’ plutôt qu’à tenter de découvrir desvoies nouvelles… déjà inventées » [Mény, 1993 : 20]. Dans cemême sens les recherches, déjà évoquées, de Dezalay et Garth etde Bertrand Badie attribuent une grande importance au rôlejoué par les acteurs fort différents selon le cas de transfert.

La dimension des acteurs est importante dans notre travail. Ils’agit, en général, d’acteurs définis par leur caractère non-étatique25 : réseaux transnationaux [Colonomos, 1995], réseauxdes villes, groupes de réflexion organisés en forme de réseau (del’anglais think tanks)26 ou communautés épistémiques27. Danscette relation à la fois complexe et floue, il est nécessaire dedéfinir les acteurs qui font l’objet de notre étude. Dans le cas destransferts des modèles de démocratie participative locale,plusieurs acteurs interagissent.

Des universitaires soutiennent la promotion de la radicalisa-tion de la démocratie28 et sont, d’une certaine manière, lesthéoriciens et les experts de la démocratie participative locale. Ilsparticipent aux forums locaux et sociaux et leur avis est d’uneimportance considérable. Leurs travaux s’effectuent souvent encollaboration avec des organisations associatives ; aussi est-ildifficile de déterminer leur rôle et le rôle de leurs théories dansl’application pratique de la démocratie locale.

Certaines organisations non gouvernementales s’y consa-crent, leur travail étant à la fois local et international. Les ONG,qui coopèrent entre elles, sont les animatrices et les promotricesdu débat sur la démocratie participative. L’expression «diploma-tie non gouvernementale » est d’apparition récente et s’utilise

25. Risse Kappen affirme que les acteurs non étatiques sont capables d’influencer lespolitiques internes à l’État.26. Voir Diane Stone, «Think-Thanks, Global Lesson-Drawing and Networking SocialPolicy Ideas », Global Social Policy, vol. 1, n° 3, 2001, p. 338-360.27. Peter Haas, « Introduction : Epistemic Communities and International PolicyCoordination », International Organisation, vol. 46, n° 1, hiver 1992, p. 1-36.28. C’est le cas, par exemple, d’Antonio Negri, de Bernard Cassen, Boaventura de SouzaSantos, Chico Withaker, Ubiratan de Souza, entre autres.

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dans le lexique international. Ce terme s’oppose à la diplomatieclassique des États, par le biais des ministères des Affaires étran-gères, pour indiquer l’irruption des ONG sur la scène interna-tionale29. Certaines de ces organisations ont des centres derecherche et collaborent avec des universitaires, se consacrantalors à l’expertise technique, libre des influences des courantsthéoriques. C’est à cette expertise que l’on va recourir en cas denécessité de travail technique. Ces associations accompagnentles forums des collectivités locales et organisent des rencontres.Elles sont très présentes lors du processus de développement dediffusion de la démocratie participative locale30.

Les processus d’intégration régionale ont eu également uneinfluence sur la diffusion des modèles de démocratie participa-tive. Pour l’Amérique latine, le réseau Mercocités a constituéune base de communication des villes dans le cône Sud. Il s’agitd’un réseau d’influences créé par le bas afin de mieux intégrer lesvilles dans le processus d’intégration économique régionale, leMERCOSUR (Marché commun du Sud). Ce réseau, largementsoutenu par Porto Alegre, a été déterminant dans la diffusion dubudget participatif en Amérique latine. La commissioneuropéenne est également significative à cet égard, avec la miseen place d’un programme de coopération décentralisée entre lesvilles européennes et latino-américaines : le programme URB-AL. Le réseau 9 de URB-AL sur le budget participatif,coordonné par Porto Alegre, établit un pont direct pour que cemodèle parvienne en Europe.

29. En ce qui concerne le Brésil et l’Europe, leur lien est déterminé par l’ABONG(Associação Brasileira das Organizações Não Governamentais) et Coordination Sud.Dans leur terminologie actuelle émerge l’expression de «diplomatie non gouvernemen-tale », c’est-à-dire les relations internationales entretenues par les ONG.30. À Porto Alegre, trois ONG sont fortement présentes : Cidade Guayi et Solidarie-dade. Cette dernière a été l’intermédiaire pour la diffusion de budget participatif enFrance et a publié des ouvrages sur le sujet en français avec le soutien de la Fondationpour le Progrès de l’Homme. En France, c’est Adels qui s’affirme aujourd’hui commel’association spécialisée en matière de démocratie participative.

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Le choix d’étudier la relation entre les villes pour expliquer ladynamique du transfert et son résultat ne se justifie pas seule-ment par le rôle central des acteurs locaux au moment de ladécision et de la mise en œuvre de la politique, mais aussi etsurtout par la dimension pionnière de l’importation du modèle.Saint-Denis est l’une des premières villes en Europe qui a adoptéle modèle de Porto Alegre.

Dans le cas de notre étude, le transfert s’exprime par lavolonté des élus locaux de s’engager dans un mouvement contrela mondialisation et la propagation du système capitaliste danstous les domaines de l’activité humaine. Leur coopérations’insère dans un contexte de convergence où la communautéinternationale valorise les actions pour un développementdurable et où les entités locales s’efforcent de mettre en place cesprincipes. L’affinité en termes de projet politique est le facteurqui motive et donne continuité aux relations entre les villes.

Le résultat du transfert peut ne pas être positif. Le transfertdu budget participatif peut se révéler un échec complet, malgréla volonté et l’intensité de la coopération. Si le bilan du budgetparticipatif est positif, pour une période constante, à PortoAlegre, cela ne veut pas dire qu’il produira les mêmes effetsailleurs, mais ce dispositif de démocratie participative a eu unevaleur symbolique forte par sa volonté politique de radicaliser ladémocratie.

Le transfert du budget participatif porte cette idée et cesvaleurs outre mer. Une fois que cet instrument est mis en placedans une communauté locale et que la population se l’appro-prie, une transformation des relations entre la société et l’États’opère. Le transfert du budget participatif représente unnouveau point de repère entre la société politique et les citoyens,liant Saint-Denis à Porto Alegre. Cependant, comme nousl’avons déjà souligné, les expériences de budget participatif et dedémocratie participative en général ne sont plus synonymes deforces progressistes. En effet, des partis de tendances politiques

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les plus diversifiées s’approprient des pratiques pour mettre enplace des expériences. C’est pourquoi la notion de projetpolitique entre en ligne de compte dans notre démarche concep-tuelle, prenant place au cœur de notre travail.

Théorie politique et démocratie participative

L’étude des méthodes et des pratiques démocratiques est unebranche centrale des sciences sociales. Durant les années 1970,une partie de la littérature en sciences politiques se concentre surla définition de la démocratie comme forme de gouvernementpropre à l’État, avec notamment les contributions de Dahl,Huntington, Moore, Sartori et Lijphart. Ces études s’efforcentde comprendre quels sont les paramètres qui peuvent définir ladémocratie interne dans un État. Une décennie plus tard, avecles travaux de O’ Donnel, Schmitter et Whitehead, émerge lethème de la transition à la démocratie en Amérique latine. Laréflexion autour de la transitologie était déjà amorcée avec leschangements de régime en Europe méridionale, en Espagne, auPortugal et en Grèce. La vague de démocratisation sur le conti-nent latino-américain offre un terrain fertile pour la continuitédes études sur la transition vers la démocratie.

La fin du bloc communiste et celle de la diffusion de ladémocratie libérale marquent une nouvelle ère pour les États-Nations. Or la démocratie s’affirme comme condition sine quanon aux États pour participer aux relations internationales. Audébut des années 1990, si la démocratie électorale est en placedans la majorité des pays latino-américains, cette transition versla démocratie ne correspond pas à une amélioration effective desconditions de vie. La situation politique de ces pays est marquéepar la faim, la pauvreté extrême, la corruption, l’instabilitééconomique, etc. Leur démocratie pèche par sa qualité.

Il ne s’agit pas d’une caractéristique particulière à l’Amériquelatine ou à d’autres pays du Sud. La santé démocratique est mise àmal, c’est ce que révèle un rapport publié par le Latinobarómetro

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(ONG qui réalise des sondages d’opinion publique en Amériquelatine) dans les années 1990, selon lesquels la majorité des citoyensaurait préféré un retour à la dictature au détriment des régimesdémocratiques en vigueur. En 2004, cette impuissance de ladémocratie est également mise en accusation à la suite du rapportde la PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développe-ment) sur la qualité de la démocratie en Amérique latine.Néanmoins, la précarité démocratique ne semble pas être uneprérogative latino-américaine: elle atteint, toute proportion gardée,certaines régions métropolitaines en Europe et aux États-Unis.

Les faibles taux d’affluence électorale dans différents payssemblent remettre en cause le système de démocratie représenta-tive. Cette remise en question du système représentatif se trouveaggravée par la complexité des compétences de l’État et la difficultéde ce dernier à élaborer des politiques publiques capables de satis-faire une grande partie de la population. La domination du capitalfinancier dans l’économie mondiale a affaibli la marge de pouvoirde l’État. Face à cette impuissance, certains politiciens reconnais-sent la nécessité de remettre en cause le rôle de l’État. C’est priori-tairement au sein des gouvernements de gauche qu’émerge etprend force l’idée d’intensifier les pratiques participatives.

L’intérêt pour ces pratiques suscite l’attention des différentesdisciplines et en diversifie les approches : géographie eturbanisme, théorie et philosophie politique, anthropologiesociale, politiques publiques, droit constitutionnel, relationsinternationales, etc. La collaboration entre les chercheurs et lasociété civile et les trajectoires des acteurs de la société civile à lasociété politique, provoquent une fusion et, parfois, une confu-sion entre la théorie et la pratique. La démocratie dite «partici-pative » est un thème opaque et difficile à définir.

Certains auteurs se concentrent sur l’analyse du projet insti-tutionnel des dispositifs participatifs. Leur réflexion s’appuie surle potentiel délibératif des instruments participatifs de gestion,la modalité selon laquelle ils radicalisent la démocratie et le

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niveau d’empowerment31 qu’ils comportent32. Si une grandepartie des recherches attribue une connotation positive auxpratiques participatives, c’est-à-dire à l’approfondissementdémocratique, il existe un courant plus sceptique [Lubambo etal., 2005]. Les recherches plus critiques sur le fonctionnementdes dispositifs font valoir que les participants aux forums dedémocratie participative manquent de légitimité vis-à-vis de lapopulation et que la distribution du pouvoir est inégale entre lesparticipants des forums.

Cependant la vague des pratiques participatives initialementimposées par les gouvernements de gauche connaît rapidementune réponse favorable. La société civile s’approprie vite les dispo-sitifs et fait pression pour qu’ils soient appliqués, d’où une multi-plication considérable des expériences. Certains soutiennentl’argument de l’émergence de véritables « cultures participa-tives33 ». Un troisième courant de pensée qui émerge est celui dumodèle contre-hégémonique. Celui-ci se révèle enthousiasmé parles expériences réalisées au Sud et l’intérêt contre-hégémonique deces modèles envers les pays du Nord [Santos, 2003]. Toutefois, lamise en place de certaines pratiques participatives n’est pastoujours couronnée de succès. Comme l’affirme David Recondo,faisant référence au cas des politiques mises en place dans lesrégions indigènes au Mexique et en Colombie, «des transferts desens et des malentendus opératoires surgissent inévitablement34 ».

31. Les termes « empower » et « empowerment » sont fréquemment employés dans le débatanglo-saxon contemporain sur la démocratie et la participation. Le dispositif de partici-pation qui « empower » peut être interprété comme celui qui confère du pouvoir ou quiaugmente les capacités des moins favorisés à influer sur la politique.32. Voir le modèle EDD (Empowered Deliberative Democracy), Archon Fung ; Erik OlingWright, «Deeping democracy : Innovations in Empowered Participatory Governance »,Politics and Society, vol. 29, n° 5, 2001, p. 4-42.33. Voir Catherine Neveu (dir.), Cultures et pratiques participatives : perspectives compara-tives, L’Harmattan, Paris, 2007.34. David Recondo, «Les paradoxes de la démocratie participative en Amérique latine.Une comparaison des trajectoires mexicaine et colombienne », in Catherine Neveu (dir.),Cultures et pratiques participatives : perspectives comparatives, L’Harmattan, Paris, 2007

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De nos jours, les pratiques participatives ne sont pas uneprérogative des politiques de gauche. Les démarches participa-tives reflètent le projet politique qui les soutient [Dagnino et al.,2006]. Ainsi, les dispositifs incarnent la vision de la société desgouvernements qui s’en font les porteurs. Une pratique implan-tée par une gestion qui envisage les privatisations et la dépolitisa-tion de la politique aura un effet différent par rapport à celled’une gestion qui envisage la participation populaire et l’égalitédes opportunités. Dans la réflexion menée par Dagnino et al., onpeut distinguer deux types de projets politiques dans l’Amériquelatine contemporaine : le projet néolibéral et le projet démocra-tique participatif. La construction de la démocratie en Amériquelatine est caractérisée par le tiraillement entre ces deux projets35.

Lorsque nous observons le budget participatif, nous sommesface à un dispositif qui renvoie à un projet politique bien précis.Ce projet politique a pour objet d’asseoir la démocratie etd’impliquer les citoyens dans des choix politiques qui les concer-nent directement. Par ailleurs, avec la perpétuation des forumssociaux, il est devenu l’icône du combat contre l’essence de lapolitique néolibérale qui domine la scène mondiale de nosjours. Les projets politiques font référence à des «projets collec-tifs qui se caractérisent fondamentalement par leur dimensionsociétale, dans le sens où ils contiennent des visions sur ce quedoit être la vie en société36 ». Certes, nous pouvons souligner leseffets pervers du budget participatif : la professionnalisation dela société civile, les relations de pouvoir qui se créent lorsque leshabitants prennent la parole, la façon dont cet instrument peutêtre utilisé pour communiquer directement au citoyen desmessages correspondant à un parti politique précis au momentdes élections. Puisque ces questions ne sont pas la partie centralede l’objet d’étude, nous n’allons pas les approfondir.

35. Evelina Dagnino, Alberto Olvera et Aldo Panfichi, A disputa pela construçãodemocrática na América latina, Paz e Terra, Campinas, 2006.36. Ibidem, p. 40.

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Les auteurs cités précédemment distinguent trois implica-tions concernant la notion de projet politique. Tout d’abord, laposition centrale du sujet et de l’action humaine dans lapolitique. Cela demande de considérer le politique comme unchamp de luttes menées par les individus portant un ensemblepropre de valeurs et de visions de la société. Ensuite, les projetspolitiques ne se limitent pas à la stratégie politique mais ilsexpriment des significations produisant des répercussions dansle domaine de la culture générale. Enfin, « les représentations, lescroyances et les intérêts s’expriment dans l’action politique, avecdes degrés différents d’explicitation et de cohérence37 ».

Le budget participatif est le fruit du projet politique du PT àPorto Alegre. Différentes tentatives d’implanter le BP ailleursont été réalisées (Belo Horizonte, São Paulo, Recife, etc.), maisc’est dans cette ville que le mythe s’est construit. Le budgetparticipatif représente une vision de la société caractérisée par lavie collective, le partage du pouvoir, la participation citoyenne àla politique, l’égalité des opportunités. Vision qui s’oppose auprojet néolibéral, défini par l’individualisme, la suprématie del’économie, le désengagement de l’État, etc.

Les formes d’approfondissement démocratiques provoquent,dans la société qui les accueille, une transformation dans leurrelation avec l’État. Le budget participatif est un instrument dedémocratie participative caractérisé par sa volonté explicite derendre transparent le budget municipal. Cet outil permet, parailleurs, une participation citoyenne à la formulation des inves-tissements publics. C’est un moyen de rendre compte auxcitoyens du travail politique. Si, d’un côté, les instruments dedémocratie participative permettent aux citoyens de participer àl’action publique, de l’autre, ils contribuent à rapprocher lesgouvernants des gouvernés.

37. Ibidem, p. 40.

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Nous pouvons ainsi définir le budget participatif comme undispositif d’inclusion populaire, plus ou moins intense, auprocessus d’allocation budgétaire38. Cette définition minimalenous permet de surmonter la problématique de l’exportationdes modèles. Un budget participatif est alors un instrument del’action publique d’inclusion populaire dans un domaine dontl’accès était auparavant restreint : le budget municipal. Ilcomporte différents degrés, c’est-à-dire qu’il peut être plus oumoins intense. À Porto Alegre, une véritable mobilisation dedélibération a lieu tandis qu’à Saint-Denis le jeu se structureplutôt autour d’une logique modeste de participation et deconsultation des citoyens au profit des élus.

Nous avons mentionné auparavant que Porto Alegre représen-tait pour Saint-Denis un partenaire idéal afin de construire unecommunauté fondée sur des valeurs. La coopération est le fruitde l’identification d’un projet politique commun. Ce projets’insère dans la lutte contre un monde marqué par l’extensionglobale de l’économie de marché et du capitalisme. L’alliance deces villes dans un engagement contre la mondialisation et pourune solution alternative, pourrait être définie par ce qu’UlrichBeck appelle le contre-pouvoir dans la mondialisation39. PortoAlegre devient le siège par excellence du Forum social mondial,tandis que la ville de Saint-Denis s’affirme comme le siège duForum mondial européen. La stratégie commune aux deux villesest de radicaliser la démocratie, par le biais de l’augmentation desdispositifs participatifs. Avec ces outils de « gestion de proxi-mité », l’État est plus présent et la société plus active, en contra-diction avec le projet politique néolibéral.

38. Considérant l’hétérogénéité des expériences de budget participatif, définir ce dispo-sitif se révèle une tâche difficile. C’est pourquoi il n’y a pas une seule définition. Lesauteurs développent des définitions qui peuvent être opérationnelles pour leursrecherches. Pour d’autres définitions se reporter à Avritzer et Navarro, 2002, p. 14 etSintomer et al., 2008, p. 168.39. Ulrich Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation, Flammarion,Paris, 2003.

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Le rapprochement des villes de Porto Alegre et de Saint-Denis peut être interprété comme une stratégie formulée dansun contexte de manque de légitimité interne et de quête dereconnaissance internationale, devenue fondamentale à l’heurede la mondialisation. L’action locale des villes comme leurstratégie internationale requièrent une conceptualisationcapable d’interpréter le phénomène. La notion de « paradiplo-matie » apparaît, par conséquent, comme le dernier élémentpour compléter notre démarche conceptuelle.

Les villes comme acteurs des relations internationales :

la paradiplomatie

Les villes émergent dans le contexte national à la suite dumouvement de décentralisation de l’État. Cette prérogative desannées 1990 se vérifie en Europe et en Amérique latine. LesÉtats confèrent plus d’autonomie aux régions et aux villes.L’État transfère son pouvoir dans différents domaines, notam-ment dans celui des finances, bien que cette présence soit peusignificative.

Cette légère restitution de pouvoir aux entités localesalimente leur revendication d’autonomie. Pour certaines villesmarquées par des aspirations indépendantistes, la volontéd’autonomie est depuis longtemps objet de débat. C’est notam-ment le cas de la Catalogne en Espagne, du Québec au Canadaet des Flandres en Allemagne. L’ancrage des entités locales auxÉtats est fortement érodé avec la globalisation. Certains auteursavaient déjà mis en évidence le phénomène [Badie, 1995 ; Bull,1971 ; Camilleri et Falk, 1992 ; Creveld, 1999]. La croissancedes échanges entre les nations, l’évolution des transports et desmoyens de communication, favorisent la manifestation desentités locales sur la scène internationale. Certaines collectivitéslocales revendiquent la reconnaissance de leur identité natio-nale, comme c’est le cas de la Catalogne en Espagne, desFlamands en Belgique ou du Québec au Canada. D’autres

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s’affirment grâce à leur capacité économique et revendiquentplus d’autonomie, comme la ville de São Paulo.

La notion de «paradiplomatie » est introduite par Aldecoa etKeating, dans leur ouvrage Paradiplomacy in Action : the ForeignRelations of subnational governments, publié en 1999. Les auteurspartent du constat que les gouvernements sous-nationaux semanifestent de façon assidue dans l’arène internationale. Leterme «paradiplomatie » s’oppose à la diplomatie traditionnelle,effectuée par les États-Nations, par le biais de leurs ministèresrespectifs des Affaires étrangères. Pour Aldecoa et Keating, lesfacteurs qui motivent les gouvernements sous-nationaux à parti-ciper aux relations internationales sont économiques, culturelsou politiques40.

Notre étude de cas s’inscrit dans un type de coopérationpolitique dont l’objectif est de construire une communauté devaleurs. Aldecoa et Keating affirment que la «paradiplomatie» estfonctionnelle, spécifique et a un but bien précis. Elle se présentesouvent comme opportuniste et expérimentale. Une caractéris-tique de la «paradiplomatie» est la forte participation de la sociétécivile. Le rapprochement des villes de Porto Alegre et Saint-Denisvoit le jour dans le cadre des réunions de l’ONU sur le développe-ment durable. La conférence Habitat II, réalisée à Istanbul en1996, fait suite à un travail amorcé durant la rencontre mondialesur l’environnement tenue à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992,l’« ECO-92 ». En 1996, les maires de plusieurs communautésterritoriales participant à la conférence insistent sur la nécessité dereconnaître le rôle des autorités locales et de faire participer lesvilles aux enjeux internationaux. Les villes qui participent auxrencontres sont pour la plupart des villes de gauche.

En 2001, Porto Alegre décide d’accueillir le premier Forumsocial mondial (FSM). Initialement, il s’agit d’un événement qui

40. Francisco Aldecoa et Michael Keating, Paradiplomacy in Action : The ForeignRelations of Subnational Governements, Frank Cass, Londres, 1999, p. 4.

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souhaite s’affirmer contre le Forum économique mondial, tenudans le même temps à Davos, en Suisse. Parallèlement au Forumsocial mondial, qui se veut une rencontre des mouvementssociaux du monde entier, a lieu le premier Forum des autoritéslocales (FAL). L’ampleur du FSM surprend ses organisateurs.Cette rencontre est la consécration d’une véritable lutte pourune autre mondialisation. Durant le FAL de Porto Alegre laprésence des villes brésiliennes est dominante. Pour répercuter leFAL en France, la ville de Saint-Denis, qui avait déjà un accordavec Porto Alegre, s’est proposée en tant que siège des autoritéslocales en France.

La coopération entre les villes renforce aujourd’hui leurcapacité d’action sur deux fronts : interne et externe. Larecherche des entités locales pour capter des ressources auprès desbailleurs extérieurs doit être soulignée, notamment auprès desentreprises privées, fondations, organisations internationales ettransnationales et fréquemment auprès du ministère des Affairesétrangères. Par ailleurs, les villes utilisent le réseau internationalpour s’affirmer à l’intérieur d’un pays contre un parti ou contreun idéal, par le biais du soutien économique ou idéologique. Lebinôme PT-PCF nous semble bien respecter cette logique.

Organisation de l’ouvrage

Afin de répondre à la problématique proposée en introduc-tion, l’ouvrage a été divisé en cinq chapitres. Les deux premiersabordent le budget participatif à Porto Alegre et à Saint-Denis,principalement, et portent sur les enjeux du transfert, tandis queles trois derniers sont consacrés aux relations internationales deces villes, tant sur les réseaux et les modèles en circulation quesur les effets locaux des changements politiques et leurs réper-cussions internationales.

Le premier chapitre se concentre sur les changements dans laville de Saint-Denis et les motivations qui ont incité celle-ci à

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s’inspirer du modèle de Porto Alegre dans l’approfondissementde sa démarche participative. La situation sociopolitique commeles politiques municipales de démocratie participative serontcontextualisées. Ce chapitre sert d’introduction au processus detransferts qui sera approfondi dans le chapitre suivant.

L’expérience de Porto Alegre est abordée dans le deuxièmechapitre, qui traite spécifiquement des enjeux présents à l’ori-gine du budget participatif. La question de l’internationalisationde l’expérience brésilienne sera également soulevée dans cechapitre, ainsi que l’influence des organisations internationalesdans ce processus, et les facteurs qui ont permis le succès dumodèle de Porto Alegre seront mis en évidence. Le transfert dubudget participatif est expliqué en conclusion du chapitre.L’étape suivante consiste à analyser les stratégies internationalesdes villes et la tension entre les enjeux locaux et internationaux.

Le troisième chapitre traite des relations de Porto Alegre, enparticulier dans le contexte du Cône Sud de l’Amérique latine etdu réseau URB-AL qui renforce les relations entre les villeslatino-américaines et européennes. L’idée selon laquelle il existeun lien étroit entre transferts et liens politiques est présentéedans le quatrième chapitre. Il s’agit d’essayer de montrercomment les Forums sociaux donnent visibilité aux villes et àleurs politiques publiques, comment ils stimulent les transfertsdes modèles. Cette réalité est également renforcée par lesélections des «bonnes pratiques », comme nous le verrons.

Les effets des alternances politiques municipales ont inévita-blement des conséquences sur les relations internationales desvilles. Ce problème se pose dans notre étude, lorsque le Parti desTravailleurs connaît en 2004 un échec électoral. C’est la théma-tique abordée dans le cinquième chapitre. Les relations entre laville brésilienne et Saint-Denis se détériorent en fonction decette transformation politique. Cela a des conséquences égale-ment sur la configuration des réseaux de villes auxquels parti-cipe Porto Alegre. Il y a un double effet en fonction du change-

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ment de parti au sommet de la ville de Porto Alegre, à la foislocal et international. Ce phénomène, dans une certaine mesureinattendu, montre la fragilité des coopérations fondées sur desaffinités politiques.

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CHAPITRE 1

La démarche d’approfondissement

de la démocratie à Saint-Denis

Afin de mieux comprendre les enjeux qui conduisent Saint-Denis à avoir recours au transfert, une analyse de type généalo-gique est indispensable. Nous nous pencherons d’abord sur laconjoncture générale de la société dionysienne au début desannées 1990. Nous chercherons à répondre aux questionssuivantes : pourquoi choisir le transfert du modèle de PortoAlegre ? Quels sont les effets que la municipalité souhaite provo-quer sur la vie locale avec l’approfondissement démocratique ?

Dans le cas de Saint-Denis, la classe politique d’orientation réfor-miste envisage de mettre en place, dans les années 1990, unedémarche semblable de renforcement démocratique. Il en est demême, au même moment, pour Porto Alegre au Brésil dont lamunicipalité, nous l’avons vu, montre une forte volonté d’inclusionsociale et de démocratie participative. Cependant les deux expériencessont très différentes l’une de l’autre, le transfert s’avère difficile. Ladimension politique est associée à cette volonté de changer et derenforcer la participation ce qui signifie pour Saint-Denis, renforcer lelien entre l’administration et les habitants de la ville, d’où le choix dumodèle de Porto Alegre comme source d’inspiration.

Contexte sociopolitique à Saint-Denis

À Saint-Denis, tout indique que les facteurs qui déclenchentla motivation du transfert expriment, dans une certaine mesure,l’insatisfaction sur la façon dont la ville est gouvernée. Le trans-fert effectué par Saint-Denis est issu d’une quête de nouvellesvaleurs et de nouvelles formes d’aménagement urbain.

La fin de la Guerre froide et la chute du mur de Berlinmarquent fortement l’histoire de la gauche à l’échelle mondiale.Une fois les héros soviétiques démythifiés et la démocratielibérale érigée comme modèle par excellence pour la commu-nauté internationale, les partis de la gauche extrême et modéréedoivent chercher de nouveaux idéaux. La mondialisation etl’avancée du capitalisme financier constituent dans les années1990 une forte barrière à laquelle les partis en question doiventfaire face. Au Brésil et en France, le problème est le même : seconfronter à la nouvelle réalité politique mondiale.

Depuis les années 1970 la France, un État marqué tradition-nellement par son pouvoir centralisé, se heurte à une plusgrande délégation d’autonomie. Le phénomène est d’ampleureuropéenne et le politologue Yves Mény qualifie ces années de« décennie de la décentralisation » [Mény, 1982]. Les loisDeferre du 2 mars 1982, du 7 janvier et du 22 mars 1983représentent l’engagement de la décentralisation du pouvoird’État en France, en conférant aux collectivités territoriales unpouvoir de décision et d’autonomie majeur dans leur propregestion. En 1992 et 1995 la loi Joxe et la loi Pasqua renforcentla notion de développement des territoires afin que lespolitiques publiques soient mieux adaptées aux besoins desterritoires.

Parmi les départements créés en 1967, les représentants duParti communiste s’installent au pouvoir en Seine Saint-Denis.Pourtant, un clivage politique et géographique sépare lescommunistes de ce département en trois lignes majeures : les

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refondateurs, les légitimistes et les dissidents1. À Saint-Denis,l’orientation politique proche de la ligne refondatrice du PCFest représentée par les trois maires successivement élus : Berthe-lot (1971-1991), Braouezec (1991-2004) et Paillard (2004)2.

La décennie de 1990 marque Saint-Denis par une forte trans-formation de la vie locale. Le chômage augmente considérable-ment, passant de 6,9% en 1975 à 14% en 1990, pour atteindre17,5 % en 19953. En second lieu, une forte vague d’immigra-tions se produit, immigrations ayant des causes diverses :rupture familiale, expulsés ou expropriés, personnes d’origineétrangère des DOM-TOM, travailleurs en quête d’améliorationprofessionnelle4. La majorité des immigrés arrive dans desconditions difficiles et précaires, et la question du logement estcruciale. Les habitations sont occupées par un nombre d’occu-pants supérieur à leur capacité et les mal-logés se multiplient.

D’autre part, on note un malaise électoral. La diversificationdes nouveaux arrivés se combine avec une baisse de fréquenta-tion aux urnes [Vidal, 1999]. Alors que Saint-Denis est une villedont le nombre de votants a toujours été supérieur à la moyennefrançaise, durant les élections présidentielles et municipales de1995 et lors des législatives de 1997, la ville connaît un reculdans ce domaine5.

À ce facteur, il faut ajouter la montée des nouveaux partisd’extrême droite qui marque la vie politique en France et enEurope. C’est notamment le Front national (FN) qui, en

1. Libération du 31 mars 2008.2. Marcelin Berthelot (maire et député) réélu aux municipales de 1989, renonce à safonction de maire en 1991 au profit de Patrick Braouezec. Didier Paillard est élu pour lapremière fois en 2004 ; il est l’actuel maire de Saint-Denis réélu au premier tour auxélections municipales de mars 2008.3. Les informations et les chiffres présentés ici proviennent de l’ouvrage collectif, éditépar la mairie de Saint-Denis avec les données recensées par le secteur des « étudeslocales » de la municipalité. Jean-Claude Vidal (coord.), Saint-Denis : la croisée deschemins, Saint-Denis, 1999.4. Vidal, op. cit., p. 132.5. Ibid., p. 239.

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s’appuyant sur un discours à la fois nationaliste et xénophobe,dévore la droite traditionnelle et commence à remporter progres-sivement plus de voix dans tout l’Hexagone. À Saint-Denis, lamontée en puissance du FN est sensible, passant de 19,80% desvoix en 1989 à 24,43% en 1995. Durant les élections de 1995,la configuration générale montre que « là où la gauche a perdu duterrain, le Front national en a gagné de manière tout aussi specta-culaire : +10,88 % à Sémard, +7,09 % à l’est, +6,4 % à Franc-Moisin6 ». La gauche communiste doit alors lutter contre cetensemble d’éléments afin d’assurer ses mandats.

À Saint-Denis, c’est le député-maire7 Patrick Braouezec qui sefait le porte-parole d’une nouvelle gauche communiste au seindu PCF. L’élu est en quête de nouvelles valeurs et, surtout,prenant ses distances avec les anciennes pratiques de la gauchetraditionnelle, en quête de nouvelles façons de gouverner et defaire de la politique. Braouezec, d’une famille d’ouvriers,commence sa trajectoire politique comme militant associatif ets’affilie au PCF en 19728. Il sera d’abord élu en tant que conseil-ler municipal à Saint-Denis, avant d’être maire. Actuellementprésident de la Communauté d’agglomération PlaineCommune9, l’homme politique est considéré comme l’artisandes relations internationales à Saint-Denis. Dans le cadre de sestravaux paradiplomatiques, figurent tout particulièrement lesrelations qu’il a établies avec Porto Alegre et avec Barcelone.Parmi les propos de Braouzec, extraits de son blog, on peutrelever :

« Je me suis particulièrement investi dans les relations interna-tionales et les coopérations décentralisées entre autres, aux côtés

6. Ibid., p. 246.7. Patrick Braouezec est élu député avec 61,82% des suffrages en 1993.8. Le blog de Patrick Braouezec, consulté le 8 janvier 2010, http://www.patrickbraoue-zec.net/about.html.9. Créée en 2001, la Plaine Commune regroupe huit villes : Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, La Courneuve, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains etVilletaneuse. Se reporter au site internet http://www.plainecommune.fr/.

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de Porto Alegre (Forum social et démocratie participative) deBarcelone (Charte des Droits de l’Homme dans la Ville) etmembre du bureau exécutif de la CGLU, co-animateur de lacommission Inclusion Sociale et Démocratie Participative enson sein10 ».

Par ailleurs, la ville est active dans les réseaux URB-AL (enparticulier, les réseaux 9, 10 et 12) sur le budget participatif,l’inclusion sociale et les questions sociales et elle met en place denombreux accords de coopération décentralisée avec des paysd’Afrique et d’Amérique latine.

Avec l’élection de Braouezec, une série de réformes sontentreprises dans la ligne du travail amorcé par le maire précé-dent Marcelin Berthelot. La volonté qui guide les nouvellespolitiques de la municipalité est celle d’utiliser l’originalité enmatière de renouvellement de l’aménagement urbain pours’affirmer politiquement11. La création de la communautéd’agglomération est une façon de mettre à disposition desressources communes. En outre, la construction du Stade deFrance représente un moyen pour attirer l’intérêt sur la ville. En1998 s’y déroule la Coupe du monde de football, dont l’équipede France sort victorieuse, pour la première fois, face au presti-gieux football brésilien.

Stratégie d’approfondissement démocratique

Différentes solutions auraient pu être utilisées pour résoudrele malaise électoral de Saint-Denis : des politiques publiquesrenforcées pour l’amélioration des logements, des contraintes dediverses natures pour décourager l’immigration, entre autres.Pourtant ce qui l’emporte c’est une véritable politique de renfor-

10. Le blog de Patrick Braouezec, consulté le 8 janvier 2010, http://www.patrickbraoue-zec.net/about.html.11. Libération du 31 mars 2008.

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cement démocratique inscrite à l’agenda de la politique munici-pale. La démocratie participative permet à la mairie d’arriver àdes espaces jusqu’alors inexplorés ou d’accès difficile, comme lesquartiers moins favorisés ou issus de population immigrée.Cette pratique correspond à l’idéal politique porté par PatrickBraouezec au sein du Parti communiste français.

La « démocratie participative » est au cœur des initiatives àSaint-Denis. La municipalité met en place un ensemble dedispositifs visant à rapprocher la vie municipale des citoyens etdes usagers, cherchant à éloigner la dimension professionnelle etinstitutionnelle de la mairie, à établir une sorte de rapportaffectif entre elle et le citoyen. La municipalité est ainsi vuecomme un grand acteur qui doit prendre soin de son public12.

La démocratie participative à Saint-Denis se proclame sansmodèle :

« La municipalité a basé la construction de ses pratiques dedémocratie participative sur des principes garde-fous : non passur des structures institutionnelles mais sur des formesmouvantes, toujours ouvertes et perméables, de mise encommun ; ne pas limiter la citoyenneté à quelques-uns ;disposer d’espaces d’échanges et de confrontation où il estpossible aux citoyens de s’exprimer très en amont des décisions ;démultiplier les occasions d’échanges et les niveaux de cesespaces ; favoriser partout un débat contradictoire, sans recher-cher nécessairement un pseudo-consensus ; faire en sorte que laterritorialité favorise la venue des individus à la participationaux décisions par la confiance qu’ils peuvent avoir dans unerelation directe et restreinte mais sans confiner les questionstraitées au seul quotidien micro-territorial13. »

12. Jean-Claude Vidal, Saint-Denis : la croisée des Chemins, op. cit., p. 268.13. Ibid., p. 423.

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Aussi la ville se dote-t-elle de certaines pratiques, le point fortde cette démocratie participative étant la démarche-quartier14

mais ce n’est pas le seul. D’autres pratiques sont également misesen place comme le «bonjour voisin», les «visites de quartier», les« comités consultatifs » et les « rencontres ponctuelles avec lesélus».

Carte 1 • Démarches-quartiers à Saint-Denis en 2004

Source : MSD.

Centrée autour d’un accompagnement de quartier à quartierpar des professionnels municipaux, la démarche-quartier vise àétablir le dialogue direct entre la mairie et l’habitant. L’expé-rience débute à la fin des années 1980 de façon expérimentale

14. Nous avons suivi plusieurs des réunions des démarches-quartiers en 2008, avecl’administration et avec les habitants de Saint-Denis. Par ailleurs, nous avons réalisé unentretien avec la responsable des démarches-quartiers à Saint-Denis, Marie-ChristineGimenez.

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dans deux quartiers (Cosmonautes et La Plaine), et a pour butde mener la gestion locale avec le concours des habitants15. En1989, l’expérience s’étend à quatre quartiers puis à six, jusqu’àfaire partie du programme officiel de la mairie en 1995.

Initialement, la ville a été répartie en douze quartiers,aujourd’hui ils sont quatorze (cf. carte 1), chacun d’eux ayant unresponsable municipal. Les démarches-quartiers sont pilotées parun responsable administratif de la mairie (dans la phase expéri-mentale, un maire adjoint). L’objectif est de faire parvenir à lamairie des questions de société ou des problématiques de quartier,issues des habitants, mais aussi de donner rapidement au citoyenl’état du traitement de la question par la municipalité. Ainsi lamairie peut observer les problèmes à traiter localement et lesquestions qui font partie de l’ensemble de la ville. Les démarchesfonctionnent en forums. Ceux-ci représentent un véritable lieu derencontre entre les citoyens et les responsables de la mairie.

Tous les dispositifs de gestion de proximité et de participationcitoyenne à Saint-Denis sont articulés autour de la démarche-quartier :

Le « Bonjour Voisin », rencontre organisée annuellement,permet le dialogue direct entre élus et habitants ;

Le « Forum des quartiers » se présente comme une réuniondont le but est de renforcer le dialogue entre les quartiers, lesélus et l’administration et de rassembler les délégués de quartier,les élus et les habitants ;

Les rencontres avec le maire organisées deux fois par an aucours desquelles le maire visite personnellement le quartier enportant son attention sur la parole des habitants ;

Les « Conseils de Quartier » sont les assemblées d’habitants,représentants de quartier ;

15. Rapport municipal, Les démarches-quartiers : bilan 2002-2003. Synthèse, l’expres-sion des acteurs, analyses et commentaires, Ville de Saint-Denis, Secteur des étudeslocales, janvier 2004, p. 60.

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Le « budget participatif » est un espace de dialogue entre lesélus et les citoyens autour des finances locales dont nous parle-rons ensuite, également articulé avec les démarches-quartiers.

La démarche-quartier est un dispositif de gestion de proxi-mité permettant à la municipalité de se rapprocher progressive-ment des habitants. Les efforts de la municipalité s’étendent àtoute l’activité sociale car l’organisation des rencontres entre etavec les habitants est prise en charge par la mairie. Les acteursmunicipaux sont ponctuellement présents dans la vie sociale,dans la vie des quartiers.

Ainsi la transformation locale à Saint-Denis incite la munici-palité à adopter une nouvelle ligne de renouvellement urbain,qui sert, d’un côté, à mieux gérer la ville et, de l’autre, à lancerune nouvelle ligne interne au parti confronté aux transforma-tions de conjoncture à la fois nationale et internationale.

C’est dans ce contexte que la ville dyonisienne adopte lesystème complexe de démocratie participative, les démarches-quartiers. L’insatisfaction municipale peut se trouver dans lafaçon traditionnelle de gouverner la ville. Le gouvernementtraditionnel n’est pas capable de satisfaire la transformationurbaine des années 1990, inquiété par la crise de représentationet par la montée en puissance de l’extrême droite et son carac-tère populiste, en particulier du Front national. De ces constats,émergent les réformes mises en œuvre visant à combattrel’exclusion sociale, le chômage, la précarité des logements,l’expression du malaise social par le vote, etc.

La démocratie participative est un tremplin pour reconquérirla légitimité politique perdue les années précédentes. Stimuler laparticipation politique signifie encourager les personnes à serendre aux urnes. La volonté de créer un relais avec la société estexplicite dans le programme des refondateurs communistes deSaint-Denis. Les démarches-quartiers et le budget participatifsont des moyens pour concrétiser ce relais.

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CHAPITRE 2

Le budget participatif :

pourquoi le modèle de Porto Alegre?

En 1996, Porto Alegre reçoit une prime de l’ONU pour sapratique de gouvernance locale : le budget participatif. Cet acteest le début du développement de l’expérience de Porto Alegrecomme référence internationale en matière de démocratie parti-cipative. Mais le budget participatif de Porto Alegre est-il unmodèle parfait qui peut être appliqué mondialement ? Etpourquoi la mairie de Saint-Denis a-t-elle choisi précisément cemodèle ?

Budget participatif : des raisons pour l’appliquer

Porto Alegre a représenté un terrain extrêmement fertile pourles sciences sociales. Il existe aujourd’hui un grand nombre detravaux universitaires sur le thème du budget participatif dePorto Alegre1, souvent enthousiastes devant le succès et l’inno-

1. Pour une analyse critique sur la littérature autour de l’expérience de Porto Alegre voirMarion Gret, «La place des revues dans l’expérience de Porto Alegre », in Jean Bauduinet François Hourmant, Les revues et la dynamique des ruptures, Presses Universitaires deRennes, p. 165-180.

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vation de l’expérience. Mais explorer ce terrain est très difficile,comme le reconnaissent les spécialistes eux-mêmes2.

Un des premiers travaux sur Porto Alegre qui acquiert unereconnaissance internationale est la thèse de doctorat deRebecca Neaera Abers soutenue en 1997, à l’University ofCalifornia Los Angeles (UCLA), publiée en 2000 sous le titreInventing Local Democracy : Grassroots Politics in Brazil, oùl’auteur explique comment la politique publique participativemise en place à Porto Alegre confère du pouvoir à la sociétémoins aisée de la ville3. En France, la première thèse sur PortoAlegre fut réalisée par Marion Gret, et soutenue en 2002 ensciences politiques, à l’Institut des Hautes Études de l’Amériquelatine. Marion Gret analyse le mécanisme de participationconstitué à Porto Alegre et y voit une politique publique degouvernance locale qui promeut l’émergence, la formulation etla concrétisation de l’intérêt collectif4. Quant à GianpaoloBaiocchi, professeur à l’université de Brown aux États-Unis, ilavance l’argument selon lequel le dispositif participatif de PortoAlegre offre une résolution aux problèmes de délibération entrepersonnes inégales [Baiocchi, 2001]. Pour Santos, le budgetparticipatif de Porto Alegre est l’expérience par excellence dumodèle contre-hégémonique de démocratie que nous avonsmentionné en introduction. L’auteur insiste sur les capacités deredistribution du dispositif afin de conforter ses affirmations[Santos, 2003].

Parmi les écrits brésiliens, certains auteurs mettent l’accentsur la dimension innovante du dispositif [Avritzer et Navarro,2003]. Dans une autre perspective, Teixeira et Albuquerqueconsidèrent que les résultats du budget participatif dépendent

2. Marion Gret, entretien du 5 juin 2008.3. Rebecca Neaera Abers, Inventing local democracy : grassroots politics in Brazil, LynneRienner, London, 2000.4. Marion Gret, 2002, op. cit.

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de la configuration existant entre la société civile et la sociétépolitique et le projet politique présent au sein de chacuned’entre elles [Teixeira et Albuquerque, 2006].

Pour nous, le budget participatif de Porto Alegre a pu êtreune source de reconfiguration sociale au début de l’expérience.Durant notre travail de terrain nous nous sommes aperçu que lebudget participatif n’était pas le même qu’il y a dix ans. Enpremier lieu, le changement d’administration a été un défi pourle dispositif participatif, ce que les témoignages des habitantsnous ont confirmé. Loin d’être un dispositif neutre, le budgetparticipatif porte le projet politique du PT. Le parti se sert dusuccès de l’expérience afin d’asseoir sa légitimité au niveaunational et international. Quoi qu’il en soit, le budget participa-tif a été largement soutenu par l’ONU, la Banque mondiale et,dans une certaine mesure, par l’Union européenne.

Comme nous l’avons déjà affirmé, ce modèle a été choisi etreproduit par différentes villes du Brésil et du monde5. Pourmener une réflexion sur le transfert du modèle, il est indispensa-ble de comprendre d’abord le modèle. Toutefois, étant donnél’existence de travaux approfondis sur le fonctionnement dubudget participatif et compte tenu du fait que cela ne constituepas l’objet de notre recherche, nous ne reviendrons pas sur lesdétails du mode de fonctionnement ni sur l’analyse qualitativedu dispositif. Ce que nous souhaitons montrer c’est pour quellesraisons le modèle de Porto Alegre est si séduisant. Nous nouspencherons d’abord sur l’histoire et la construction du modèlepar la municipalité du PT à Porto Alegre. Puis, nous explique-rons comment l’imbrication idéologique et la revendicationpopulaire donnent vie à ce budget participatif. Cette étape estindispensable pour mieux comprendre le transfert et soncontexte. Deux éléments sont importants à retenir : en premier

5. Il est intéressant de noter que certains auteurs affirment que les premières expériencesde budget participatif ont été réalisées en 1986, à Vila Velha, dans l’État de l’EspíritoSanto au Brésil, cf. Teixeira e Albuquerque, 2006, p. 179.

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lieu, le modèle qui circule au niveau national et international estcelui conçu par Genro et Souza ; en second lieu, ce modèle naîtdans un contexte très particulier au Brésil, celui du Rio Grandedo Sul des années 1980-1990.

Le modèle de Porto Alegre par ses architectes

Le modèle de Porto Alegre se met en place en 1989, de façonexpérimentale, sous le gouvernement de Olívio Dutra6. Origi-naire du Rio Grande do Sul, Dutra participe au mouvementsyndicaliste paulista et devient à la fin des années 1970 l’un desacteurs qui marque la genèse du PT avec Luiz Inácio Lula daSilva, dit Lula, l’actuel président du Brésil7. Si le gouvernementde Dutra à Porto Alegre est important pour la mise en place dumodèle, c’est avec son successeur, Tarso Genro, qu’il s’affirme etprend de la consistance. Ce dernier, diplômé en droit dans lesannées 1960, commence sa trajectoire politique dans le cadre dumouvement des étudiants. Il milite auprès du MovimentoDemocrático Brasileiro (MDB) et devient Vereador de lamunicipalité de Santa Maria (État du Rio Grande do Sul)pendant la dictature. Faisant l’objet d’enquêtes judiciaires quimenacent la poursuite de ses activités au sein du MDB, il s’exileen Uruguay pendant la décennie de 19708. Tarso reprend sacarrière politique dans les années 1980 avec l’émergence du PT.En 1989, il est élu à Porto Alegre vice-prefeito (maire-adjoint) deDutra avant d’être élu maire en 1992.

Le collaborateur de Tarso Genro dans l’élaboration du budgetparticipatif de Porto Alegre est Ubiratan de Souza. Économiste etmilitant du PT, Ubiratan de Souza intègre l’équipe municipale aucabinet de planification de la mairie (GAPLAN) dès l’élection de

6. Sur le modèle de Porto Alegre, voir Abers [2002] ; Gret [2002] ; Gret et Sintomer[2005].7. Voir Margaret Keck, The Workers Party and Democratization in Brazil, Yale UniversityPress, New Haven, 1992.8. Source : ministère de la Justice au Brésil, se rapporter au site internet, www.mj.gov.br,consulté en 2008.

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Tarso Genro. Ubiratan de Souza, comme Tarso Genro, s’est exilédurant les années 1970, s’installant d’abord au Chili, puis à Cuba età Paris. Le modèle de Porto Alegre évolue, mais il garde encore lastructure élaborée par Tarso Genro et Ubiratan de Souza. Lestravaux de ce dernier sont la base de la formule mathématique quirégule l’attribution des priorités à répartir entre les différentesdemandes et qui garantira l’équité dans la redistribution du budgetmunicipal. C’est à partir de ce modèle que la majorité desexpériences de Porto Alegre ont fait des émules9. La formalisation etla technicisation du budget participatif de Porto Alegre constituentla clef de voûte de son exportation. Le modèle, prouvant ses capaci-tés en matière de redistribution, est reconnu internationalement.

Le budget participatif (BP) de Porto Alegre est un instrumentde gouvernement local qui implique la participation de plusieursacteurs sociaux : les habitants, les représentants d’associations, lesfonctionnaires municipaux et les élus. Le développement du BPest cyclique. Chaque cycle dure un an, au cours duquel il estdivisé en dix étapes10. Des réunions locales (départements) etmicro-locales (quartiers) constituent les trois premières étapes.La population est invitée à réfléchir, élaborer et délibérer sur lesprojets à présenter à la mairie. C’est également durant ces étapesqu’elle élit les représentants des départements et choisit lesthématiques. Dans le modèle de Porto Alegre, deux types dedemandes existent, celles qui concernent chaque département etcelles qui portent sur des thématiques préétablies. La dimensionthématique du budget participatif voit le jour avec la gestion deGenro (durant la gestion de Dutra seule la dimension régionaleétait présente), les habitants réfléchissent ensemble sur desthématiques différentes (cf. tableau 1 et 2).

9. Avec la nouvelle administration de la ville de Porto Alegre, des modifications signifi-catives ont été apportées au modèle, surtout en ce qui concerne les participants et leurpouvoir d’influence qui semble avoir été réduit.10. Une description du déroulement cyclique du BP de Porto Alegre est disponible : sereporter à la Synthèse des budgets participatifs p. 89.

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Ensuite les réunions se déplacent du niveau micro-local versle global (regroupant les départements et les thématiques). Cesont plutôt les représentants de la population (délégués etconseillers) qui dialoguent avec la mairie. Cette phase est consti-tuée d’un ensemble de réunions d’ordre général, mais aussi detravaux de la mairie au niveau technique et financier sur lespropositions des citoyens. La troisième période concerne lesvotes finals, la mise en place du plan d’investissements et de ladistribution des ressources. Chaque année un règlement interne,établissant les normes générales du mode de fonctionnement,est voté et approuvé par l’ensemble des citoyens responsables.

Tableaux 1 et 2 • Thématiques du budget participatif de Porto Alegre –1997 et 2008

Source : PMPA.

En 19971. Transport et circulation2. Santé et assistance sociale3. Éducation4. Culture et loisirs5. Développement économique et imposition

6. Organisation de la ville et développement urbain : assainissement, environnement, habitation et urbanisme

En 20081. Circulation, transport et mobilité urbaine2. Santé et assistance sociale3. Éducation, sport et loisirs4. Culture5. Développement économique, imposition, et tourisme6. Organisation de la ville, développement urbain et de l’environnement

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En 2008, le budget participatif a divisé la ville en 17 zones(du portugais brésilien região)11. Les zones sont très inégalesentre elles, inégalités qui portent sur le nombre d’habitants,l’extension territoriale et la densité démographique, mais aussisur la condition sociale. Le département du Centro-Sul compteenviron 110 000 habitants, la région Noroeste accueille plus de130 000 habitants tandis que le Nordeste compte 30 000habitants et ces trois zones s’étendent respectivement sur12 :Centro-Sul 28,82 km2 ; Noroeste 20,73 km2, Nordeste 6,78 km2.D’autre part, les conditions de vie ne sont pas égales danschaque zone du budget participatif. Selon le classement de lamairie, la qualité de vie est optimale dans le départementCentro ; moyenne au Norodeste ; basse au Norte, Cruzeiro,Humaitá, Ilhas, Eixo Baltazar, Partenon, Centro-Sul, Leste,Cristal, Sul ; très basse au Nordeste, Lomba do Pinheiro, Restinga,Extremo Sul13.

Pendant les années 1980, la ville de Porto Alegre, commed’autres métropoles au Brésil, connaît une forte transformationurbaine, résultat de deux facteurs. Depuis quelques années,voire quelques décennies, de fréquentes vagues migratoires seproduisent, allant de la zone rurale brésilienne vers les métro-poles ou les centres urbains. Le phénomène de migration est dûà la modernisation des techniques agraires, à la question de lapropriété foncière et aux conditions de vie difficiles danscertains contextes brésiliens comme la région Nordeste du pays.Les grands centres urbains attirent la population moins aisée à larecherche d’un emploi. Les nouveaux arrivés s’installent à PortoAlegre, parfois de façon très improvisée, dans la périphérie

11. Jusqu’en 2006 la ville était divisée en 16 départements. Les Ilhas étaient intégrées audépartement Navegantes.12. Les données auxquelles nous faisons référence ont été publiées dans un rapportstatistique sur l’inclusion sociale à Porto Alegre effectué par la municipalité. Il est dispo-nible sur le site internet : www.observapoa.com.br, consulté en 2008.13. Source : rapport réalisé par la mairie de Porto Alegre «Mapa da inclusão e exclusãosocial », PMPA. Disponible sur le site internet : www.observapoa.com.br.

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urbaine car les contraintes bureaucratiques et les prix élevés deslogements empêchent les migrants de s’installer au centre-ville.L’agglomération dans les périphéries de Porto Alegre n’est pasrécente, mais ce phénomène devient chronique entre 1980-1990, lorsque les difficultés économiques augmentent et quel’État se désengage de sa fonction sociale, ouvrant ainsi l’espaceà la privatisation14. D’où des conditions de précarité chez leshabitants de la ville et le manque d’infrastructures dans les zonesplus éloignées.

Les problèmes qui se posent à Porto Alegre sont les mêmesque dans d’autres régions du Brésil : défaut d’asphaltage de lavoirie, habitations illégales en situation de risque, égouts à cielouvert, manque d’écoles et de services de santé dans les zonesmoins centrales. Irma R., aujourd’hui conseillère à la régionNordeste, nous raconte son expérience avec la population locale.D’après son témoignage, nous comprenons que la situation desfamilles est très précaire dans son département. Victimes del’exode rural, de nouvelles familles s’installent régulièrementdans son quartier. Une fois qu’une famille arrive, elle se multi-plie rapidement car ses proches la rejoignent. Les habitationsdans le Nordeste sont exposées aux risques. Le froid et lestempêtes peuvent laisser des dizaines de personnes sans abri15.Les maladies comme la grippe ou la dingue16 se diffusent rapide-ment. Irma R. nous signale, lors d’un entretien réalisé à Porto

14. À partir de la seconde moitié des années 1980, le système public brésilien commenceà décliner à cause de la crise économique nationale. Durant les dix ans qui suivent, lesgouvernements ouvrent l’espace à la privatisation des entreprises d’État, notammentdurant les gouvernements Collor et Cardoso. Émergent alors au Brésil un grand nombred’entreprises privées en matière d’éducation et de santé à côté des écoles et des hôpitauxpublics.15. Précisons que le Rio Grande do Sul est l’État le plus froid du Brésil. Situé au-dessousdu Tropique du Capricorne, les températures durant l’hiver peuvent descendre jusqu’à0° Celsius.16. La dingue est une maladie assez courante dans les pays tropicaux. Elle se transmetpar le moustique Aedes aegypti et peut provoquer la mort dans les cas les plus graves. Ellese développe surtout dans les régions où les conditions de vie sont les plus précaires.Aussi l’enjeu de la fièvre de la dingue est-il complexe au Brésil.

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Alegre, qu’auparavant il fallait marcher des kilomètres pourtrouver un service de santé. Le budget participatif a permis decréer les premiers services de santé dans le département et acontribué ainsi à améliorer la situation17.

En effet, c’est par son truchement que la population défavori-sée a pu exposer ses problèmes et surtout avoir une réponseimmédiate à ses besoins. La raison en est simple : les infrastruc-tures de base à Porto Alegre se sont développées prioritairementau centre-ville. Le budget participatif permet aux habitants deréclamer de l’assistance auprès de leurs quartiers sans passer parl’intermédiaire du politique. Ainsi, depuis les années 1990, leshabitants de Porto Alegre choisissent leurs priorités en matièred’investissement micro-local, c’est-à-dire dans leur proprequartier, et de façon plus ou moins libre et indépendante.

Par ailleurs, la mairie a trouvé une façon efficace de donner dela visibilité aux travaux menés par le budget participatif. Chaquefois qu’une œuvre publique issue du budget participatif est miseen place, la municipalité installe un grand panneau indiquantque le budget participatif est le responsable de l’ouvrage encours. Cette façon de faire, proche des techniques publicitaires,permet à la fois d’informer les habitants régulièrement sur lesrésultats de la démarche, de motiver la mobilisation et de valori-ser la démarche elle-même.

Le modèle de Porto Alegre comporte trois dispositionsimportantes : la participation populaire aux débats autour dessujets qui concernent directement la vie des habitants ; la délibé-ration, c’est-à-dire le fait de conférer, dans une certaine mesure,un pouvoir de décision aux participants (citoyens ordinaires) ; etle caractère pédagogique du dispositif. Le budget participatifpermet l’inclusion sociale d’une partie de la société (la sociétécivile) dans le débat politique. Auparavant, cette société civileétait négligée ou devait avoir recours à d’autres moyens d’action

17. Entretien réalisé en juillet 2007 ; Porto Alegre ; durée 60 minutes.

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pour participer à la vie politique. Par ailleurs, ce sont les citoyensqui travaillent ensemble pour choisir leurs priorités sur le pland’investissement municipal. En outre, l’action collective autourdu budget participatif comporte un apprentissage politique : lescitoyens ordinaires faisant ainsi l’apprentissage de la viepolitique, la société se politise davantage. Ces trois dimensionsdu modèle de Porto Alegre préconisent de radicaliser ladémocratie et de mettre en place les bases pour son succèsnational et international.

Dans un ouvrage collectif, Avritzer souligne que la dimensionnovatrice du budget participatif de Porto Alegre repose sur aumoins quatre piliers : l’approfondissement démocratique, ladimension associative et délibérative, le dessein institutionnel, lacapacité redistributive18. Une autre dimension du budget parti-cipatif ne peut cependant être écartée : depuis sa création, letravail des élus à l’assemblée municipale s’est fortement réduit.

D’après la constitution brésilienne de 1988, le pouvoir dedécision sur le budget municipal est une prérogative de l’assem-blée municipale. Or, lorsque les habitants récupèrent ce pouvoir,le travail des élus consiste à approuver la matrice budgétaireréalisée par délibération citoyenne. Cela signifie que, dans lecadre du financement attribué au budget participatif, surtout enassemblée, cette matrice ne doit pas nécessairement être achevéeafin de pouvoir faire passer les projets qui la concernent.Lorsque « les habitants gèrent la ville », pour reprendre l’expres-sion de Genro et Souza, les élus perdent certaines de leurs préro-gatives fondamentales19. Le parti au pouvoir peut alors gouver-ner plus facilement sans avoir besoin de la majorité dansl’assemblée.

18. Leonardo Avritzer, Zander Navarro, A Inovação da Democracia no Brasil : OOrçamento Participativo, Cortez, São Paulo, 2003, p. 29.19. Voir à ce propos Márcia Ribeiro Dias, Sob o Signo da Vontade Popular : o OrçamentoParticipativo e o Dilema da Câmara Municipal de Porto Alegre, Belo Horizonte, EditoraUFMG, Rio de Janeiro, IUPERJ, 2002.

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La mise en place du budget participatif :

entre revendication populaire et projet politique

Dans les paragraphes qui suivent, nous essaierons de définirles motivations qui ont conduit la municipalité de Porto Alegreà adopter le budget participatif dans la ville.

Le Brésil sort de la dictature militaire en 1985. Le premierprésident civil depuis les années 1960 est Tancredo Neves, élupar suffrage non direct20. Les premières élections populairesprésidentielles directes ne se tiennent qu’en 1989. De 1987 à1988, une assemblée constituante est réunie afin de doter l’Étatbrésilien d’une constitution démocratique. Au niveau munici-pal, deux élections se déroulent durant cette période. Lespremières élections directes pour désigner le maire ont lieu ennovembre 1982 sous la tension due à la transition vers ladémocratie. Six ans plus tard, les citoyens sont à nouveau convo-qués aux urnes pour les élections municipales. Les municipalesde 1988 voient le PT gagner des municipalités importantes auBrésil, notamment celle de Porto Alegre, avec Olívio Dutra.Cependant, le candidat du PT désigné pour représenter le partien 1989 aux présidentielles, Luiz Inácio Lula da Silva, échoueface au candidat de l’opposition F. Collor.

Le PT s’impose avec vigueur à la fin des années 1980 dans lesmunicipalités. Ce parti, issu des luttes populaires ouvrières detype syndical de la zone périphérique de São Paulo, se mobilisevers la fin du régime militaire, mobilisation qui culmine avec lesgrèves de 1978 dans les usines de la région paulistana, comptantprès de 1,5 million de personnes. Comme conséquence du« réchauffement politique » amorcé par les militaires et de lareconnaissance du droit d’organisation des partis en 1979, le PTvoit son statut formellement reconnu le 11 février 198221. Leparti rassemble alors un groupe d’anciens militants du MDB et

20. Tancredo Neves meurt avant de prendre le pouvoir. Le président désigné pour leremplacer est José Sarney.21. Source : Tribunal Superior Eleitoral, Brésil.

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d’autres du PCB (Parti communiste brésilien), et s’affirmecomme le parti représentant l’intérêt du peuple brésilien,portant des idéaux de démocratie, de participation populaire etde justice sociale.

Il ne faudrait pas croire que le budget participatif soit uneprérogative unique de Porto Alegre. L’idée d’utiliser le budgetmunicipal comme moyen d’inclusion populaire à la participationpolitique fait partie de la stratégie politique petista à la veille desannées 1990. Selon Pedro Jacobi, « l’un des axes de l’actionmunicipale du PT est la décentralisation du pouvoir et l’instaura-tion de la participation populaire grâce à des changements quali-tatifs. Toutes les communes dirigées par le PT, indépendammentde leur taille, recherchent des formes de contrôle social et desocialisation de la politique au moyen de la mise en place deconseils, d’audiences publiques, d’assemblées populaires, d’éta-blissement participatif du budget et d’autres actions de participa-tion22 ». À São Paulo, lors de l’élection de Luiza Erundina, unesorte de budget participatif est tenté, mais l’échec du PT et ladimension de la ville empêchent l’évolution du projet.

Le Rio Grande do Sul, région gaúcha23, est une région parti-culière sur le territoire brésilien. Située à l’extrême sud du payset proche du Rio de la Plata, elle représente un lieu de connexionavec l’Amérique hispanophone, notamment l’Uruguay, leParaguay et l’Argentine. Durant le XIXe siècle, le Rio Grande doSul a connu une migration très forte d’Européens, alors qu’au-jourd’hui la migration provient des États les plus pauvres duBrésil et de la zone rurale.

Terre de forte culture politique, elle accueille les premiersreprésentants du mouvement communiste brésilien au début du

22. Pedro Jacobi, « Brésil : succès et limites des pouvoirs progressistes locaux dans lesmairies du PT», Problèmes de l’Amérique latine, n° 13, nouvelle série, avril-juin, 1994,p. 57-74. La présence de l’idée des forums participatifs dans le projet politique du PT estégalement signalée par Abers, 1996.23. Gaúcho, gaúcha : habitant(e) du Rio Grande do Sul.

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siècle dernier. Le Parti communiste brésilien (PCB) est né aumoment de l’émergence de l’industrie dans le sud-est du Brésil.Les difficultés du travail à l’époque encouragent les travailleurs às’organiser en associations d’aide réciproque. Le premier groupecommuniste au Brésil est celui de Porto Alegre, fondé en 1918.Si, dans l’extrême Sud du Brésil, les idées de la révolution russerencontrent un terrain fertile, il n’en est pas de même pour desvilles comme São Paulo, Rio de Janeiro et Recife où le proléta-riat se caractérise par une forte influence des idées anarchistes.Cet état de fait commence à changer dans les années 1920,lorsque de forts mouvements de grève se répandent dansl’ensemble du Brésil. L’expérience russe influence alors Rio deJaneiro : le groupe prolétaire de Rio de Janeiro organise desréunions communistes. À partir de ce noyau, le communisme sediffuse au sein du prolétariat des autres villes brésiliennes. Enfévrier 1922, une initiative part de Porto Alegre vers Rio deJaneiro pour mettre en place un Parti communiste. Le premiercongrès des communistes brésiliens a lieu fin mars, à Rio deJaneiro. De cette rencontre naît la Constitution du Particommuniste brésilien. Dans cette région naît Getúlio Vargas,expression personnalisée la plus significative du populismebrésilien. Ce leader marque l’histoire nationale et latino-améri-caine.

Un des États brésiliens les plus riches, le Rio Grande do Sul,est classé parmi les meilleures régions en matière d’alphabétisa-tion, de distribution de la richesse et de développement humain.C’est aujourd’hui certainement l’une des régions les plusinfluentes dans le contexte de l’intégration régionale dans lecône sud «MERCOSUR», grâce à son poids économique et à saposition stratégique.

Depuis les années 1970, les conditions précaires des habitantsde Porto Alegre jouent un rôle central dans la naissance desrevendications sur la participation populaire au sein du budget

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municipal de la ville. La combinaison de la transformationurbaine et l’émergence de certaines associations à la périphériede Porto Alegre sont à l’origine de l’União das Associações dosMoradores de Porto Alegre (UAMPA). Durant les années 1960, ladictature brésilienne s’enracine dans la majorité des associationsd’habitants du pays, dont le contrôle se perd pourtant progressi-vement avec l’avancée de l’ouverture politique.

Dans la périphérie de Porto Alegre, une série d’associationsvoient le jour à la fin de la décennie 1970. En 1983, ces associationsse regroupent et décident de créer l’UAMPA, dont le but premierest d’améliorer les conditions de vie des habitants de la ville.L’UAMPA est dominée par des partisans du PT et du PTB et en1986 elle devient la référence majeure en tant qu’association organi-sée de gauche dans la ville24. Durant le mandat de Collares (1985-1988), l’UAMPA exerce une forte pression sur la municipalité pourinclure les associations dans le débat sur le budget municipal25.

Nous avons dit que le PT est un parti qui rassemble plusieurscourants au niveau interne, cela tient au dynamisme de sagenèse. En effet, le PT représente une nouvelle force de gaucheau moment de la transition brésilienne, c’est pourquoi il sera lelieu de rencontre d’une série de fractions et de partis clandestinsde la gauche modérée à l’extrême gauche brésilienne de l’époque(MR-8, PCdoB, PRC, etc.). Selon Rebecca Abers, au momentde la genèse du budget participatif à Porto Alegre, il y avaitquatre tendances principales internes au PT local26. Les partispolitiques ont joué un rôle déterminant sur les associationspopulaires au Brésil ; à Porto Alegre c’est notamment le PT dansle cas de l’UAMPA.

24. Rebecca Abers insiste sur la forte présence idéologique dans l’UAMPA: voir RebeccaNeaera Abers, Inventing local democracy : grassroots politics in Brazil, Lynne Rienner,London, 2000, p. 40.25. Ibid., p. 42.26. Ibid., p. 54.

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Un premier courant s’est centré sur la figure de Dutra, un despromoteurs du PT au Rio Grande do Sul. Dutra est très prochede Lula, ce qui caractérise sa tendance politique. Le deuxièmecourant est composé d’anciens militants de la gauche révolution-naire, marqués par les idéaux trotskistes. Leur point d’ancrage estla personne de Raúl Pont. Cette tendance interne au PT avait uneforce considérable à l’intérieur du parti. Un troisième courant,avec moins d’impact sur le parti au niveau local, est caractérisé parla présence du mouvement de l’Église Progressiste, proche duMouvement des travailleurs sans terre (MST). Le dernier courantreste celui de la Nova Esquerda (Ancien Partido RevolucionárioComunista). Ce groupe représente le courant progressiste du PT àPorto Alegre. Incarné par Tarso Genro, ce courant, plutôtmodéré, s’impose après la chute du mur de Berlin, désirantprendre ses distances vis-à-vis des idéaux radicaux de la gauche enproposant d’établir de nouvelles alliances27.

Le budget participatif permet au PT de concilier les volontésde la société civile avec celles de la société politique de PortoAlegre. Fondé sur la participation populaire, la redistribution desdemandes sociales et la transparence budgétaire, le budget parti-cipatif offre tous les instruments pour surmonter les rapports detype clientéliste, les favoritismes et la corruption qui sontinhérents à la tradition politique brésilienne. Par ailleurs, commeon l’a vu, le dispositif ouvre un espace de débat politique endehors de l’Assemblée municipale. Enfin, il permet au parti defaire approuver les projets retenus comme prioritaires par lapopulation sans passer par la lutte politique à l’intérieur de lamunicipalité. C’est donc une formule presque magique, permet-tant à la municipalité à la fois de désarticuler la concurrencepolitique et de satisfaire la population. La grande majorité desécrits semblaient d’ailleurs favorables au budgetparticipatif dePorto Alegre alors que la ville était encore sous la gestion du PT.

27. Ibid., p. 54.

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Le dispositif participatif a déjà suscité une forte réaction enAmérique latine lorsque l’Europe s’y intéresse à son tour. EnFrance, le Monde diplomatique publie depuis 1998 des articlessur le sujet. La fondation Leopold Meyer28 est également activedans la diffusion de l’idéal de Porto Alegre en France, tradui-sant l’ouvrage de Genro et Souza Orçamento Participativo, aexperiência de Porto Alegre, initialement publié par la maisond’édition du PT, la Fundação Perseu Abramo29, et internationa-lisant l’ONG Solidariedade avec la publication de l’ouvragePorto Alegre, les voix de la démocratie : vivre le budget participa-tif, une série de photos qui racontent les scènes de vie quoti-dienne des habitants impliqués par le budget participatif dePorto Alegre.

Le Parti des Travailleurs du Brésil devient une nouvelleréférence pour la gauche internationale. Saint-Denis s’intéresseau succès de Porto Alegre. Trois dimensions rapprochent lesdeux villes : la similitude des problèmes, l’affinité idéologique etla volonté de tisser un dialogue international. Un processus detransformation politique similaire à Porto Allegre était déjà misen place, à l’époque, à Saint-Denis. Le maire cherche alors à serapprocher de la ville de Porto Alegre également intéressée pourinstaurer des liens forts avec l’Europe et il est certain que lacoopération décentralisée est un moyen de les obtenir.

28. Fondation pour le progrès de l’homme (FPH). D’origine suisse, elle est créée en1982 grâce aux fonds testamentaires de Charles Léopold Meyer. Présidée actuellementpar Pierre Calame, elle a une philosophie et des stratégies d’action. La FPH est activedans quatre régions du monde : Europe, Afrique, Asie et Amérique. La fondationtraitant des questions d’environnement, de gouvernance et de globalisation s’est engagéedans les questions d’inclusion sociale dans les années 1990 et fut un des tremplins du BPpour s’implanter en Europe (www.fph.ch).29. Tarso Genro et Ubiratan de Souza, Quand les habitants gèrent vraiment leur ville. Lebudget participatif : l’expérience de Porto Alegre au Brésil, Jean-Blaise Picheral, MartineToulotte, Eliane Costa Guerra (trad.), Éd. Charles Léopold Meyer, Paris, 1998.

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Porto Alegre entre mythe et limites :

le transfert du modèle

L’Amérique latine a toujours été source d’inspiration et demythification pour l’Europe. L’image idéalisée de l’arrivée desEuropéens sur la côte atlantique de l’Amérique et les premierscontacts de ceux-ci avec les Indiens fut reprise par les Lumièrespour justifier le «mythe du bon sauvage ». Plus tard, la révolu-tion mexicaine, «Cuba» et la figure de Che Guevara ont nourril’imaginaire de la gauche sur l’Ancien Continent. L’idéal latino-américain est à nouveau présent dans l’anomie de la gaucheeuropéenne de l’époque postcommuniste, avec l’idée que, dansun contexte de mondialisation progressive du capital financieret des valeurs d’une société de plus en plus individualiste, existel’espoir d’«un autre monde possible ».

Au Brésil, comme dans le reste de l’Amérique latine, ladécennie 1990 est marquée par le retour du « populisme » quiprésente une nouvelle composante, celle de l’outsider. Fujimori auPérou semble être l’exemple le plus illustratif de ce type de leaderpour le sous-continent. L’exemple brésilien est Fernando Collorde Mello. Personnage politique largement soutenu par le réseautélévisé «Globo», il remporte les premières élections directes pourla présidence de la République. Le Parti des Travailleurs,deuxième aux présidentielles de 1989, concentre sa stratégie surles élections municipales. Diffusant des idéaux tels que la transpa-rence, la participation citoyenne et se faisant le porte-parole del’identité de la classe populaire, le PT parvient en 1989 à s’établirau pouvoir dans différentes municipalités au poids économique etadministratif significatif comme Porto Alegre et São Paulo et, en1993, à Porto Alegre, Goiânia, Santos et Belo Horizonte. En2002, avec l’élection du président Lula, le progrès du PT au Brésilne peut plus être négligé par la gauche internationale.

Si, durant les années 1980, l’enjeu pour l’Amérique latineétait de concilier le changement de régime politique et la stabi-

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lité économique, lorsque la démocratie électorale est consolidée,les problèmes sont autres. Durant la décennie 1980, les recom-mandations des hautes instances internationales, comme leFMI, pour le développement en Amérique latine, sont connuessous le nom de « consensus de Washington». Une décennie plustard, la question de la stabilité économique reste toujoursd’actualité mais, face à la globalisation, d’autres questions s’ins-crivent dans l’agenda latino-américain : la tâche pour les gouver-nements latino-américains consiste à concilier l’approfondisse-ment démocratique et le développement. À cet égard, PortoAlegre devient alors l’exemple d’une réussite, soutenue etconseillée internationalement par la Banque mondiale :

«Cities need to be proactive in establishing formal but friendlyinstitutional mechanism to encourage partnerships that willbring dynamism to development. The much-appraisedexperience of Porto Alegre, Brazil, offers an example of howsuch process can be initiated. In Porto Alegre, a city of 9,6 [sic]million30, the mayor organized a division of the city into 16districts, each of which set up a popular council made up ofrepresentatives of community associations. Two elected repre-sentatives from each district council sit on the citywide councilof representatives, and city hall officials are assigned to act aspermanent liaisons with the district representatives.The key institutional innovation in Porto Alegre is themunicipal budget forum, where the council of representativesset the agenda for municipal speaking based on district priori-ties. The final decisions on public spending are made in a threeway meeting of city hall officials, the council of representatives,and the chamber of councilors (who are elected on a citywidebasis). Once projects are selected, community representativessupervise their progress and monitor expenditures. The oppor-tunity to articulate community demands and vote on project

30. Porto Alegre compte à ce jour environ 1,4 million d’habitants selon l’IBGE.

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selection creates an incentive for neighborhoods to organizethemselves. Participatory budgeting is now in place in some 50other Brazilian cities, and the system is scheduled to be imple-mented in Buenos Aires and Rosario, Argentina and inMontevideo, Uruguay31. »

Si l’adoption du modèle de Porto Alegre est recommandée, letransfert présente pourtant des limites considérables. Lestravaux menés par Diana Burgos-Vigna sur Villa el Salvador, unquartier sensible de Lima, au Pérou, montrent les enjeuxpolitiques et sociaux concernant l’importation du modèle dePorto Alegre32. Selon l’auteur, l’intervention de la municipalitéavec l’instauration du budget participatif (copie du modèle dePorto Alegre) est porteuse d’une déstructuration de l’actioncollective préexistante dans le quartier depuis des années. Lebudget participatif, mis en place en 2000, représente un moyenpour la municipalité d’étendre l’institution jusqu’aux bidon-villes. Le dispositif se présente comme un instrument à disposi-tion de la municipalité pour redéfinir la participation politiquelocale, tout en renforçant l’autorité politique exercée par lamairie auprès du barrio (quartier).

Un deuxième obstacle au budget participatif est la questionde son échelle d’application33. Olívio Dutra, à l’issue de sonmandat à Porto Alegre, s’affirme comme gouverneur de l’Étatdu Rio Grande do Sul. Il parvient à adopter le budget participa-tif et fait fonctionner le dispositif à l’échelle de l’État. LorsqueLula devient président de la République, le budget participati-

31. World Bank, Entering the 21st Century, World Development Report 1999-2000,Oxford University Press, Oxford, 2000.32. Diana Burgos-Vigna, Action collective et participation politique dans une barriada deLima, Villa el Salvador, thèse de doctorat, université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III,19 décembre 2003.33. Le « défi de l’échelle » est également évoqué par les travaux de Marion Gret. VoirMarion Gret, 2002, op. cit. et Marion Gret, Yves Sintomer, Porto Alegre : l’espoir d’uneautre démocratie, La Découverte, Paris, 2005.

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fest désormais présent dans plusieurs villes – petites, moyenneset grandes – et il représente un emblème du PT. Se pose alors laquestion d’adopter le dispositif à l’échelle nationale en considé-rant la complexité du dispositif et la difficulté de le fairefonctionner au niveau de l’État fédéral. Malgré cela, leprogramme du parti préparé pour la campagne mentionne, bienque de façon discrète, l’intention d’appliquer le budget partici-patif sur le plan fédéral. Cependant, même si certains défendentle transfert du dispositif au niveau national, les spécialistesécartent cette possibilité. La politologue Maria VictoriaBenevides, professeur à l’université de São Paulo, insiste sur lefait qu’il n’est pas possible d’implanter le budget participatiffédéral sans un renforcement des institutions démocratiques etune nouvelle définition du pacte entre les entités de la fédéra-tion. Une position semblable est défendue par Francisco deOliveira, professeur de science politique, lui aussi de l’universitéde São Paulo, qui déclare cette possibilité irréalisable34.

Nous avons évoqué en introduction la grille de Dolowitz etMarsh pour analyser le processus de transfert. Nous nous inspi-rons des points clefs proposés par ces auteurs dans l’analyse dutransfert.

Les collectivités territoriales (mairies, régions, provinces, etc.)qui ont importé le budget participatif de Porto Alegre, l’ont faitde leur propre chef. Cependant, lorsque ce modèle est primé en1996 et que cette pratique commence à faire partie des «normesde la bonne gouvernance » promue par les grandes organisationsinternationales, notamment la Banque mondiale, « faire dubudget participatif » devient une pratique presque obligatoire.L’imposition des normes par un soft power35 de la part desgrandes instances internationales suggère l’adoption des

34. Folha de São Paulo, 18 août 2002, site internet du périodique. www1.folha.uol.com.br/folha/brasil/ult96u36154.shtml, consulté le 6 janvier 2010.35. Joseph Nye, « Soft Power », Foreign Policy, n° 80, Twentieth Anniversary, Autumn1990, p. 153-171.

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modèles et des normes politiques dans le transfert. La notion desoft power renvoie à une conception du pouvoir impalpable dansles relations internationales. Il s’agit notamment de la capacitéd’un acteur à imposer sa volonté à un autre, sans utiliser depouvoir provenant de la force. Cela concerne principalement lepouvoir d’imposition culturelle et idéologique.

Dans les cas d’importation du budget participatif en France,on constate une forte médiation d’acteurs externes à la collecti-vité territoriale, notamment de la part des ONG et des réseauxde villes et militants. Toutefois, Saint-Denis se distingue grâce àla forte présence de la municipalité dans le transfert du modèle.La particularité de Saint-Denis repose sur le caractère pionnierde l’expérience, puisque c’est l’une des premières collectivitéslocales à avoir expérimenté le modèle.

Comme nous l’avons affirmé précédemment, le budget parti-cipatif gagne en notoriété internationale avec le prix de l’ONUen 1996. Le modèle se diffuse durant les années 1990 à l’inté-rieur du Brésil et dans différentes collectivités locales enAmérique latine, en particulier dans la région du Rio de la Plata.À partir de 2001, il gagne en reconnaissance au niveau interna-tional. Des collectivités territoriales du monde entier l’impor-tent (aux États-Unis, en Europe, en Afrique, en Inde, enThaïlande, etc.). C’est grâce au premier Forum social mondialque l’expérience de Porto Alegre élargie sa visibilité internatio-nale, grâce au développement d’un réseau international desautorités locales par les ONG spécialisées et les médias partisansdu modèle.

Les relations entre Saint-Denis et Porto Alegre précèdent cemoment. Lors de la conférence Habitat II 1996, tenue à Istanbul,a lieu la première rencontre entre Patrick Braouezec et Raul Pont,futur maire de Porto Alegre36, rencontre qui a lieu par hasard,dans un espace rassemblant diverses autorités des collectivités

36. Entretien réalisé avec P. Braouezec, le 19 mars 2008, d’une durée de deux heures.

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territoriales. À l’occasion de ce dialogue, les deux hommespolitiques prennent conscience de la convergence de leurs finalitéspolitiques. Saint-Denis avait mis en place les démarches-quartierspour tenter de résoudre certaines questions urbaines en se rappro-chant des citoyens, tandis que Porto Alegre s’affirme avec succèsgrâce au résultat de son programme inédit de gestion budgétaire.

Les relations avec Porto Alegre se développent rapidement. Lebureau des relations internationales de la mairie et l’AssociationCités-Unies-France (CUF)37 s’occupent de la gestion de ladémarche. En 1998, lors de la Coupe du monde de football,Raul Pont se rend en France où il a l’occasion de visiterSaint-Denis et d’assister aux matchs du Brésil au Stade de France.Par la suite les visites de Pont en France se font de plus en plusfréquentes et les discussions avec la municipalité de Saint-Denisau sujet de la démocratie participative s’enrichissent. Leurcommunication est facilitée par les traducteurs de l’ouvrageQuand les habitants gèrent vraiment leur ville de Genro et Souza,qui avaient des relations très proches au Rio Grande do Sul àl’époque et qui s’intéressent à la reproduction de l’expérience enFrance38. Dans la ville française, des « ateliers budgétaires » sontmis en place à l’intérieur des démarches-quartiers. L’accord decoopération décentralisée entre Porto Alegre et Saint-Denis estsigné en 1998 et confirmé officiellement l’année suivante.L’objectif de la coopération est d’approfondir les questions enmatière de démocratie participative à travers l’échange d’expé-riences. La volonté de créer une sorte de communauté de valeursest implicite dans les relations qui rapprochent les deux villes.

De l’autre côté de l’Atlantique, un forum sur la démocratieparticipative se déroule à Porto Alegre en 1999. Cette rencontrequi rassemble différentes directions des villes latino-américaines,aura comme seuls participants européens Barcelone (Espagne)

37. Association responsable pour l’animation de la coopération décentralisée en France.38. Entretien avec Patrick Braouezec, réalisé le 19 mars 2008.

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et Saint-Denis (France). La ville de Barcelone est une deuxièmeporte d’entrée pour la ville de Porto Alegre en Europe grâce à unaccord de jumelage dont les ambitions sont très proches del’accord avec Saint-Denis : promotion de la démocratie partici-pative, échange des expériences et renforcement des relationsintercontinentales entre les deux villes.

La suite des rencontres latino-américaines sur la démocratieparticipative et la volonté d’une société civile internationale, deplus en plus organisée depuis la rencontre de Seattle en 1999,donnera lieu au premier Forum social mondial (FSM), pourconsolider un mouvement d’opposition à la mondialisationéconomique et à l’ascension du capital financier. Parallèlementau FSM, se déroule le premier forum des autorités locales pourl’inclusion sociale (FAL)39. La présence des représentantseuropéens est encore une fois très faible par rapport aux déléguéslocaux du Brésil et de l’Amérique latine. À partir de cetterencontre naît l’idée d’établir la ville de Saint-Denis commeporte-parole du FAL en France. Nous verrons par la suitecomment les relations entre Porto Alegre et Saint-Denis abouti-ront au Forum social européen (FSE).

Une première tentative de participation populaire à l’alloca-tion budgétaire est expérimentée à Saint-Denis en 199940. Lebudget participatif ne fait cependant officiellement partie desdémarches municipales qu’en 2001. Lors de l’implantation dubudget participatif à Saint-Denis la municipalité décide degarder une forte marge de manœuvre sur les décisionscitoyennes41 et le degré du transfert reste très modeste. Le modèlede Saint-Denis est une réplique simplifiée du modèle de PortoAlegre. S’il reprend l’idée de base de la participation citoyenne àl’allocation budgétaire municipale et le nom du dispositif, sa

39. Nous reviendrons sur les FAL dans la seconde partie de ce travail.40. Entretien avec P. Braouezec, ibid.41. Entretien avec Marie-Christine Gimenez, responsable des démarches-quartiers à laMairie de Saint-Denis, décembre 2007, durée 1 heure.

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forme et ses effets sont fort éloignés du modèle porto-alegrense.Le budget participatif de Saint-Denis se structure autour du

dispositif des démarches-quartiers. Le recensement desdemandes des citoyens recueillies dans les différents quartiers estréalisé par les délégués de quartier (fonctionnaires municipaux)durant l’année. La municipalité analyse les demandes, la faisabi-lité du projet, les coûts de mise en œuvre, pour ensuite fournirune réponse au citoyen.

Entre la fin septembre et le début janvier, le budget munici-pal est discuté avec les citoyens dans des « ateliers thématiques »et des « ateliers budgétaires ». Ces temps comptent sur laprésence des fonctionnaires municipaux, des élus et descitoyens. D’une part, les priorités thématiques (santé, éduca-tion, assistance sociale) sont discutées avec les citoyens ; d’autrepart, l’allocation budgétaire est présentée par les fonctionnairesmunicipaux. Les réunions, dont le taux de participationcitoyenne fluctue (une réunion peut compter sur la présence desconseillers de quartier et un nombre limité d’habitants selon lathématique et l’ordre du jour de la réunion)42, servent d’espacepour la municipalité afin de rendre des comptes sur le servicemunicipal aux citoyens.

Le budget concerné par la démarche participative est double.Il correspond à l’investissement de la ville de Saint-Denis et de laPlaine Commune (Budget 2007 : Saint-Denis, fonctionnement151,9 millions, investissement 34,9 millions ; Plaine Commune,fonctionnement 247,7 millions, investissement 131,6 millions).Si à Porto Alegre il y a une véritable mobilisation populaire etune délibération43 de la part de la société civile sur le budgetmunicipal, ce n’est pas le cas à Saint-Denis. Lors de l’adoption dumodèle, la mairie a voulu garder une marge de manœuvre sur

42. À titre indicatif, l’atelier du budget participatif du 28 novembre 2007, auquel nousavons participé, comptait sur la présence de moins de vingt habitants.43. La «délibération», dans le sens utilisé dans ce travail, comporte une prise de décisionde la part des citoyens.

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l’allocation budgétaire44. Le système de Saint-Denis est doncseulement un dispositif de consultation populaire sur l’allocationbudgétaire envisagée par la municipalité. L’ensemble du proces-sus de décision sur l’enveloppe budgétaire s’effectue dans le débatau sein des deux assemblées, Conseil municipal et de la PlaineCommune. L’influence citoyenne sur le choix des investisse-ments se révèle alors très faible.

Si le but premier de la mairie de Saint-Denis est d’améliorerle dialogue entre la municipalité et la population, de sérieuxproblèmes de compréhension sont actuellement au cœur de ladémarche en ce qui concerne le budget participatif. Dans lequartier Delaunay-Belleville, les conseillers de quartier enréunion extraordinaire sur la question du budget participatifcommentent leur décision dans une lettre de doléances adresséeau maire quant à la démarche. La méthode du budget partici-patif est critiquée : les documents fournis ont été tropnombreux, non adaptés aux participants, trop techniques. Ils’agissait en fait plutôt de rapports destinés au bureau munici-pal. D’autre part, le conseil de quartier met en évidence l’exis-tence d’un décalage entre les priorités municipales présentées etles demandes des quartiers qui concernent plus particulière-ment la vie quotidienne, la sécurité, la propriété, le respect desrègles de vie en commun. Les conseillers se montrent mécon-tents des réponses qui leur ont été fournies à la suite desdemandes présentées dans la démarche-quartier. Pour conclure,craignant une démobilisation générale, le conseil de quartiersouhaite une évolution de la méthode. Il exige que lesdemandes de quartiers soient davantage prises en compte,qu’elles influent plus fortement sur les priorités municipales,que les études et travaux soient plus simples, rédigés succincte-ment et lisibles par tous45.

44. Entretien avec M. Gimenez, ibid.45. Conseil de quartier de Delaunay-Belleville, réalisé le 24 janvier 2008, de 18 heures à19h30, Saint-Denis.

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Dolowitz et Marsh insistent sur l’analyse du processus detransfert afin de comprendre l’échec d’une politique publique.Dans notre cas d’étude, il nous semble que l’objectif premier dela municipalité n’était pas de réussir la mise en place du budgetparticipatif, mais plutôt d’approfondir le dispositif de démocra-tie participative préexistant dans la ville, la démarche-quartier.Le transfert sert également de tremplin pour lancer la relationavec Porto Alegre, sujet que nous aborderons ensuite et c’estpourquoi nous ne nous attardons pas sur l’analyse de la qualitédu dispositif, ni sur le succès ou l’échec de l’expérience. Notreanalyse repose sur la question des relations internationales descollectivités locales à l’heure actuelle.

Dans les deux derniers chapitres, nous montrerons que letransfert effectué par la ville de Saint-Denis est issu d’unevolonté de changer la forme du gouvernement local. Ce queSaint-Denis recherche c’est une forme de gouvernance optimale.Dans les années 1990, la ville connaît une dégradation de la vieurbaine, notamment en matière de logement. Elle est égalementtouchée par une forte vague d’immigration, qui contribue àaugmenter la population locale et à la diversifier. Depuisquelques années, les représentants du Parti communiste à Saint-Denis cherchent à imposer une réforme au sein du PCF, d’abordavec Berthelot, puis avec Braouezec et enfin avec Paillard.

Porto Alegre répond très bien aux exigences de la ville deSaint-Denis. Le Brésil, pays exotique à forte tradition de reven-dications sociales, donne le ton de l’orientation communiste àSaint-Denis. Importer le modèle signifie donner un exemplealternatif et susciter l’espoir chez les habitants.

Si l’expérience de Porto Alegre était connue en France grâce àla médiatisation dont elle bénéficie de la part du Monde diplo-matique et de certaines ONG, c’est Saint-Denis qui montre lafaisabilité du transfert. La ville dionysienne est pionnière dansl’adoption du budget participatif en France, prouvant ainsi quel’expérience est possible dans la France républicaine.

Synthèse des budgets participatifs

Budget participatif de Porto Alegre

Transparence : publication systématique des travaux réalisés dans lecadre du budget participatif ; mise en ligne des événements du budgetparticipatif ; information électronique bien développée.

Principe de redistribution : fondé sur un système complexe d’attributionde coefficients à chaque demande en fonction de la population concer-née par le projet, l’urgence du projet et la région.

Cycle du budget participatif (règlement interne 2008)46 :Le développement du BP est cyclique. Il est divisé en dix étapes au coursde l’année. Des réunions locales (départements) et micro-locales(quartiers) constituent les trois premières étapes. La population estinvitée à réfléchir, élaborer et délibérer sur les projets à présenterauprès de la mairie. Ce sont également durant ces étapes que la popula-tion élit les représentants des départements et choisit les différentesthématiques.Dans un deuxième temps, les réunions se déplacent du niveau micro-local au global (réunions de départements et réunions thématiques). Cesont plutôt les représentants de la population (délégués et conseillers)qui dialoguent avec la mairie. Cette phase est constituée d’un ensemblede réunions d’ordre général, mais aussi de travaux de la mairie au niveautechnique et financier sur les propositions des citoyens. La troisièmepériode concerne les votes finals, la mise en place du plan d’investisse-

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Sur les conditions qui rendent le transfert possible, troisfacteurs sont à retenir : leur affinité idéologique, l’excellencedu modèle du budget participatif et une forte volonté decoopération internationale. Nous verrons que si le degré dutransfert reste faible, la collaboration internationale est trèsforte quand le PT est au pouvoir à Porto Alegre.

46. Pour le cycle du BP ancien, voir Tarso et Souza, 1996, Gret etSintomer, 2005.

ments et de la distribution des ressources et les votes sur les normes duBP pour l’année suivante.Selon le règlement interne du BP de 2007, la préparation du processusdébute aux mois de mars et avril. C’est l’étape dite des «Réunions prépa-ratoires » (du portugais Reuniões preparatórias). Il s’agit des réunionsmicro-locales, qui ont lieu dans chaque département et dans les diffé-rents quartiers. Au cours de cette étape, les réunions thématiques sontégalement intégrées. Dans les réunions préparatoires, le règlementinterne entre en vigueur. La prestation des comptes de la part de laMairie est alors à l’ordre du jour et le plan des investissements estprésenté pour l’année suivante. Les candidats aux postes de « conseil-lers» se présentent à partir des réunions préparatoires, l’élection a lieu àl’étape suivante.Durant la deuxième quinzaine d’avril, la deuxième étape du BP estconstituée de réunions toujours au niveau des départements et desthématiques. Le vote pour les priorités thématiques et les élections desconseillers sont à l’ordre du jour. C’est au cours de cette étape que lenombre des Délégués est défini. La démarche de prestation des comptesest toujours présente.Durant trois mois les réunions se tiennent de façon assidue. La troisièmeétape est composée par les réunions de départements et de théma-tiques. C’est à ce moment-là que sont élus les délégués. Les travaux etservices demandés sont hiérarchisés. Au Forum des délégués les propo-sitions sont votées.La quatrième étape du BP est la plus importante. Dans la premièrequinzaine de juillet, les nouveaux conseillers prennent leurs fonctions.Les œuvres et services sont remis auprès de la mairie et des discussionsgénérales sur le BP ont lieu.Au mois de juillet, août et septembre, le gouvernement municipaleffectue une analyse technique et financière des propositions, puis ilpasse à la construction du plan des investissements budgétaires (MatrizOrçamentária).En août et septembre le plan des investissements est voté. Durant cetteétape, le processus de distribution des ressources se met en marche(départements et thématiques).L’étape qui va d’octobre à décembre est caractérisée par la conclusionde la distribution des ressources. Ensuite, à l’occasion des réunions desdélégués, la proposition gouvernementale – l’analyse technique et finan-cière des travaux et services – est votée.Deux étapes achèvent le cycle du BP. Entre novembre et janvier, des

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discussions ont lieu dans les Forums régionaux sur les modifications durèglement interne, sur les critères techniques et régionaux. Enfin, lesmodifications et le règlement interne sont votés. Le BP est interrompu enfévrier.

Budget participatif de Saint-Denis

Recensement systématique des demandes de chaque quartier dans lesdémarches-quartiers (année en cours – durant toute l’année).Quinzaine du budget participatif mai-juin : rassemblement de la popula-tion quartier par quartier sur le thème spécifique du budget participatif ;propositions d’investissements par les habitants dans chaque quartier.Septembre-décembre : réunions thématiques en mairie et présentationdes orientations budgétaires par les élus aux citoyens. Dialogue entreles élus et les citoyens.Janvier : Vote du budget en assemblée, conseil municipal et PlaineCommune.

Synthèse du transfert

Chronologie du transfert :1998 – Date de signature de l’accord de coopération et début deséchanges d’expériences en matière de budget participatif.2001 – Mise en place officielle du dispositif.2004 – Fin de la coopération entre Saint-Denis et Porto Alegre.Éléments du transfert :Idée du budget participatif et de la participation des citoyens à l’alloca-tion du budget municipal (inclusion sociale par participation).Réunions sur des thématiques spécifiques.Volonté de transparence sur l’activité municipale.Degré du transfert :Faible : «émulation » du modèle original.Niveau d’engagement politique :Fort : coopération décentralisée fondée sur une affinité idéologique et unprojet politique commun.

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CHAPITRE 3

La «bonne gouvernance» et les villes

en quête de prestige international

Normes de la «bonne gouvernance»

Depuis les conférences internationales comme le Sommet dela Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992 ou Habitat II en 1996 àIstanbul, certaines organisations internationales, comme laBanque mondiale, le FMI et l’OCDE, se sont appropriées lanotion de gouvernance. Ces organisations donnent aujourd’huides directives sur ce qu’elles considèrent être la «bonne gouver-nance1 », prérogative indispensable au développement. À cetégard, les interventions comme l’attribution de prix sur lesbonnes pratiques, le financement direct, la mise en place deprogrammes et l’évaluation des performances sont fréquentes.

En termes de choix rationnel et selon les postulats de l’écono-mie, la gouvernance est d’abord une question de réduction descoûts de transaction et d’augmentation de l’efficacité des dispo-

1. Voir Jean P. Gaudin, Pourquoi la gouvernance ?, Presses Sciences Po, 2002 ; Marie-Claude Smouts, «The Proper use of Governance in International Relations », Internatio-nal Social Science Journal, n° 50, vol. 1, p. 85-94 ; Laëtitia Atlani-Duault, «Les ONG àl’heure de la “bonne gouvernance” », Autrepart, n° 35, p. 3-17.

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sitifs [Le Galès, 2003 : 30]. Le terme renvoie aussi à la politiquepublique qui favorise la transparence, la responsabilitépolitiques et l’élimination de la corruption, et qui privilégie laparticipation et l’inclusion sociale. L’autorité avec laquelle sontimposées les directives des grandes organisations internationaleset supranationales (Union européenne) se fonde sur leurpuissance normative, ce qui, selon les termes de Zacki Laïdi,pourrait se résumer par une « puissance dont l’identité et lastratégie reposent sur une préférence pour la généralisation derègles comportementales applicables à l’État » [2005, p. 54]. Seconfronter à la « bonne gouvernance » est aujourd’hui incon-tournable pour les États, qu’ils se situent au Sud ou au Nord.Avec la décentralisation de l’État, ce sont les gouvernementssous-nationaux, comme les régions et les villes, qui connaissentprioritairement l’impact des normes de « bonne gouvernance ».Nous verrons plus loin que les collectivités territoriales jouentsur un double terrain, interne et externe, dans la formulation deleurs dispositifs de participation citoyenne et dans la promotionde ce qu’elles considèrent comme les bonnes pratiques de parti-cipation.

Nous entendons par normes de « bonne gouvernance »l’application des conseils d’organisations internationales commela Banque mondiale et des orientations suggérées par l’Unioneuropéenne dans la redéfinition des rôles entre État et collectivi-tés territoriales. Les instances internationales sont d’avis que lescollectivités territoriales s’engagent dans la formulation depolitiques publiques efficaces, afin de concilier le recours à desressources financières externes et les politiques d’inclusionsociale. Face aux impositions de ces « normes », sans forcejuridique mais soutenues par un soft power qui renvoie à lanotion que nous avons évoquée en première partie de cetteétude [Nye, 1990], les collectivités locales ont une marge depouvoir trop étroite à cause des limitations économiques et descontraintes administratives par rapport aux États. Or elles se

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trouvent confrontées à un double enjeu adaptation/action.D’un côté, elles doivent s’adapter aux normes de la « bonnegouvernance », de l’autre elles doivent lutter pour revendiquer etassurer leurs projets et intérêts politiques. Leur stratégie face auxnormes de la « bonne gouvernance » consiste à mettre enpratique des dispositifs qui légitiment leur action au niveauinterne, permettant également de renforcer leur poids sur lascène internationale. L’analyse de la stratégie des villes estimportante : c’est elle qui nous aidera à déterminer la façon dontles contextes internationaux et locaux influencent le transfert dumodèle. Elle nous permet d’observer l’interaction des enjeuxlocaux de Porto Alegre et de Saint-Denis dans un contexte detransformation des relations Europe-Amérique latine, caracté-risé par le rapprochement entre les deux continents.

À l’époque contemporaine, les collectivités territorialesd’avant-garde ont intégré les grandes lignes de la « bonnegouvernance », promues par les organisations internationales etelles réussissent à faire transmettre leur projet politique par cebiais de l’usage de la «bonne gouvernance ». Leurs instrumentsd’action sont l’intervention directe sur la scène internationale, laformation et l’extension de réseaux, le dialogue en forums, lamise en place de politiques publiques de plus en plustechniques, l’attribution de prix et l’encouragement de cequ’elles considèrent comme les «bonnes pratiques ». Dans cetteconstellation de collectivités territoriales progressistes, les trans-ferts de techniques de gouvernance sont très développés.

Nous ne pouvons pas négliger la volonté de pédagogie decertaines villes en ce qui concerne la démocratie participative.En effet, des attributions de prix aux best practices (bonnespratiques) se mettent rapidement en place. Initialement, lemodèle de référence est celui de Porto Alegre, mais d’autrespratiques se concrétisent, enrichissant la démocratie participa-tive. Le transfert du budget participatif de Porto Alegre à Saint-Denis est issu de cette stratégie d’action des collectivités territo-

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riales. Le lien qui rapproche les deux villes participe d’untriangle : celui qu’elles forment avec Barcelone. Ces trois villessont au cœur d’un noyau où agissent de nombreux acteurs peuvoyants comme les chercheurs, les groupes d’intérêt spécialisés,les militants et les ONG. Le « réseau » est l’instrument qui lesrelie et canalise leur échange d’informations. Nous chercheronsà situer le rapport qui lie plus particulièrement Porto Alegre etSaint-Denis dans cette nébuleuse de réseaux qui s’entrecroisent.

Les réseaux de collectivités territoriales ne sont pas unepratique nouvelle2, mais il s’avère que, de nos jours, une série deréseaux de villes s’est constituée pour renforcer le pouvoir d’inter-vention des collectivités locales dans des contextes précis et avecdes objectifs spécifiques comme celui de la démocratie participa-tive et de la décentralisation. Nous ne cherchons pas à réaliser iciune analyse du mode d’organisation, ni de la structure interne duréseau, mais nous voulons observer pour quelles raisons cesréseaux se mettent en place et quelles sont les positions que PortoAlegre et Saint-Denis occupent à l’intérieur de ceux-ci3.

Il semble difficile de parler du lien entre les villes latino-américaines et européennes sans faire référence à leurs contexteset transformations locales. C’est pourquoi nous reviendronsrapidement sur les réseaux qui lient les villes en Amérique latine,puis sur ceux qui rapprochent les villes des deux continents.Nous ferons référence au réseau « Mercocités », au programme«URB-AL» créé entre l’Europe et Amérique latine.

2. Voir Hélène Rivière d’Arc, «La géographie et les réseaux internationaux des villes eturbanistes. Une vision euro-latino-américaniste », Cahiers des Amériques latines,n° 51/52, p. 63-74.3. Pour une proposition d’analyse plus approfondie sur la notion de réseau voir DavidDumoulin Kervran, « Usages comparés de la notion de réseau : proposition d’analysepour l’action collective », Cahiers des Amériques latines, n° 51-52, 2006. Sur l’utilisationde la notion de réseau pour les études latino-américaines, voir «Des sociétés en réseau »,Cahiers des Amériques latines, 2006, n° 51-52.

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Porto Alegre et le réseau «Mercocités»

Sa position stratégique lie Porto Alegre aux villes du cône Sud– Montevideo (Uruguay), Buenos Aires (Argentine : 1100 km)– tandis qu’elle est éloignée des villes brésiliennes situées plus aunord – Vitória (ES-Brésil : 2 000 km), Salvador (BA-Brésil),Recife (PE-Brésil) ou encore Manaus (AM-Brésil). Son statut decapitale de l’État du Rio Grande do Sul et le poids économiquede la région qui l’entoure favorisent l’affirmation de cette villeen tant qu’intermédiaire brésilienne dans la région du Río de laPlata. En observant la carte 2, nous pouvons remarquer que leRio Grande do Sul est un acteur majeur dans le processus d’inté-gration régionale, qui fait de Porto Alegre le cœur duMERCOSUR4 et du réseau Mercocités (en portugais Mercoci-dades) et aussi une ville pionnière en matière de formation d’unréseau de villes dans l’Amérique latine contemporaine. Certes, ilexistait déjà en Amérique latine des réseaux de villes mais moinsformels et moins structurés, étant donné les limites imposées audialogue entre les pays du sous-continent par la vague de dicta-tures.

La fin de celles-ci met un terme aux politiques réalistes desgouvernements militaires au Brésil comme en Argentine.L’ouverture diplomatique et économique encourage peu à peul’interaction entre ces deux pays du Cône Sud, marqués par unehistoire politique, économique et culturelle semblable. De 1985à 1988, on compte pour le Brésil 25 documents sur la coopéra-tion avec l’Argentine. Parmi ceux-ci figure le PICE (Programa deIntegração e Cooperação Econômica), pilier fondateur de l’intégra-tion entre le Brésil et l’Argentine qui entre en vigueur le 10décembre 1986.

En 1991, les deux pays décident de donner vie à un Marchécommun auquel adhèrent le Paraguay et l’Uruguay, le

4. Mercosur en espagnol et Mercosul en portugais.

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MERCOSUR5. Dans le traité constitutif signé à Asunción(Paraguay), les objectifs déclarés sont la construction d’un Marchécommun, la coordination des politiques macroéconomiques etl’adoption d’un tarif externe commun, ce qui confirme l’exclusi-vité économique de l’intégration régionale. Cependant, l’accordqui vient compléter le Marché commun, le «Protocole de OuroPreto », introduit un premier signe d’ouverture politique, encréant deux organes consultatifs, la Commission parlementaireconjointe (CPC) et le Forum consultatif économique et social(FCES) représentant les acteurs de la société civile.

À la suite de la crise du Paraguay en 1996, un compromis surla démocratie est établi par les membres du marché et les paysassociés (le Protocole de Ushuaia). Aujourd’hui le MERCOSURest doté d’un parlement (créé en 2005, il est encore en phase dedéfinition) et d’un mécanisme de fonds structuraux pour l’inté-gration (FOCEM). Les nouveaux passeports des citoyens despays membres portent la mention « MERCOSUR ». La simplelibre circulation des personnes semble aller vers une citoyennetémercosudienne6.

Or, le MERCOSUR, né sous le signe d’une prédominanceéconomique, conduit à une ouverture politique, c’est-à-dire àune ouverture à la participation et à la protection des intérêts dela société. L’ouverture politique du Marché commun restetoutefois très limitée car la méthode intergouvernementale deprise de décisions échappe complètement à la participationpopulaire et freine par ailleurs l’idée d’un intérêt commun auMERCOSUR, qui reste encore centralisé sur les préférencesnationales. Toutefois, les relations entre le noyau de villes ducône Sud augmentent considérablement.

5. Sur l’intégration régionale au Mercusud, voir Marcelo de Almeida Medeiros, La genèsedu Mercosud, L’Harmattan, Paris, 2000 ; Marco Aurélio Guedes de Oliveira, O Mercosul epolitica, LTR, São Paulo, 2001 ; Luiz Eduardo W. Wanderley, Tullo Vigevani, Governossubnacionais e sociedade civil- Integracão regional e Mercosul, Puc-sp, São Paulo, 2005.6. Il existe à ce jour un passeport commun pour les citoyens des pays membres duMercosur.

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Le rapprochement des villes est une conséquence inévitable duMERCOSUR. Le but initial du traité d’Asunción qui donne vieau MERCOSUR est d’accélérer l’intégration économique. LeMarché commun est fondé sur le caractère strictement intergou-vernemental des prises de décisions et présente de fortes restric-tions vis-à-vis de la participation d’autres acteurs politiques etsociaux que ceux des pays membres représentés. Cependant, lesvilles du cône Sud s’organisent pour former le réseau Mercocités.Il s’agit d’une forme d’intégration régionale par le bas.

Carte 2 • Le Rio Grande do Sul

Source : IHEAL/CREDAL7.

7. Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, produits de la recherche. Se reporterà l’adresse suivante : http://www.iheal.univ-paris3.fr/mercosur_fr/

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L’initiative provient des différents maires et gouverneurs desvilles situées dans les pays engagés dans la première phase duprocessus d’intégration (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay).Les villes et gouvernements sous-nationaux, déjà en concurrenceavec les pouvoirs nationaux, voient leurs intérêts locaux encoreplus menacés par la dimension du projet d’intégration régionaleet ses méthodes imperméables de prise de décision. L’objectif descollectivités territoriales est de promouvoir la participation descollectivités locales au processus d’intégration et de lutter pour lacréation d’un espace institutionnel au sein du bloc incluant leurparticipation. Leur ambition est de développer une coopérationde type horizontal entre les villes des États membres8.

Le projet naît en mars 1995 à l’occasion du séminaire Mercosur :Oportunidades y Desafíos para las Ciudades qui a regroupé àAsunción plusieurs villes et capitales du cône sud. Cette rencontredonne lieu à la Déclaration d’Asunción, qui manifeste explicite-ment la volonté de créer un réseau de villes au cône Sud.

En julio del mismo año [1995], en la ciudad de Porto Alegre,los Alcaldes firmaron el «Compromiso de Porto Alegre » dondeexpresaban su aspiración de profundizar el protagonismo de lasciudades en el proceso de integración. En ese documento sedefinieron también las características principales que tendríala nueva organización de ciudades y se estableció un plazopara la fundación de la misma. Finalmente, en noviembre de1995, se realizó en la ciudad de Asunción la I Cumbre deAlcaldes, Intendentes y Prefeitos donde se firmó el ActaFundacional de Mercociudades. Las ciudades fundadorasfueron doce : Asunción (Paraguay), Rosario, La Plata,Córdoba, Buenos Aires (Argentina), Florianópolis, PortoAlegre, Curitiba, Río de Janeiro, Brasilia, Salvador (Brasil), yMontevideo (Uruguay)9.

8. Pour le réseau Mercocidades se reporter à l’adresse suivante : www.mercociudades.org9. Extrait publié sur le site officiel du réseau Mercociudades, voir sur internet à l’adresseci-dessus.

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Actuellement le réseau Mercocités rassemble plus de 180villes, soit un total d’environ 80 millions de personnes. Il intègreprogressivement les pays récemment incorporés ou avec lesquelsle MERCOSUR entretient des relations, le Venezuela, le Chili,la Bolivie et le Pérou10 (cf. carte 3).

Carte 3 : Le réseau des Mercocités en 2003

Source : IHEAL/CREDAL11

Ville du réseau

Fortaleza

Belém

Recife

Salvador

Vitória

FlorianópolisPorto Alegre

MONTEVIDEO

Bahía BlancaMar del Plata

Tucumán

MendozaSANTIAGO

Concepción

Valparaíso

La Paz

BUENOS AIRES

Rosario

Córdoba

Curitiba

La Plata

ASUNCIÓN

BRASÍLIA

BeloHorizonte

0 1 000 kmAtlas du Mercosur © L.D., 2003

Équateur

Tropiquedu Capricorne

PARAGUAY

URUGUAY

ARGENTINE

BRÉSIL

GUYANA

SURINAMGUYANE FR.

CHILI

COLOMBIE

PÉROU

ÉQUATEUR

BOLIVIE

VENEZUELA

Santa Cruz

RafaelaLa Rioja

Comodoro Rivadavia

Resistencia

RioCuarto

Catamarca Santiago del Estero

Villa María

Paysandú

Rancagua

Ushuaia

Villa Mercedes

Calama

Joinville

Rio Grande

Rivera

Goiânias

Londrina

Uberlândia

Riberão Preto

Salto

Source : Intendance Municipale de Montevideo

CampinasJuiz de Fora

Macaé

Rio de JaneiroSão Paulo

São Carlos

10. Pour une analyse des stratégies de coopération et de la participation du réseau au seindu Mercosur voir Romero del Huerto, « Poder local y relaciones internacionales encontextos de integración regional, El caso de la red de mercociudades y la ReuniónEspecializada de Municipios e Intendencias (GMC)», in Tullo Vigevani, Eduardo LuisWanderley et al. (Orgs.), A dimensão subnacional e as relações internacionais, EDUC-UNESP, São Paulo, 2004.11. Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, produits de la recherche. Sereporter à l’adresse suivante : http://www.iheal.univ-paris3.fr/mercosur fr/

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Le réseau crée un espace de dialogue ouvert entre les villes ducône Sud. L’intégration régionale favorise l’intégration des villeset leur revendication de pouvoir et de participation. L’État duRio Grande do Sul est fort et actif dans la revendication d’uneforte participation des gouvernements sous-nationaux dans lesrelations internationales. Il a créé en 1988 un centre spécialpour les affaires internationales (Secretaria Especial para AssuntosInternacionais – Seai), qui s’est renforcé dix ans plus tard avecl’arrivée de Olívio Dutra au gouvernement12.

Le réseau n’est pas seulement un outil d’action pour les villesafin de faire pression au sein des instances qui promeuventl’intégration ; c’est aussi un moyen de communication pouréchanger les expériences et les techniques de gestion urbaineentre les villes. Ainsi, de nombreuses réunions au sujet de ladémocratie participative ont lieu à la fin des années 1990 entreles villes du réseau.

L’organisation de villes en réseau, grâce auquel les expériencesde démocratie participative et de budget participatif se diffu-sent, est primordiale dans l’échange des techniques de gouver-nance. Dans ce premier cercle de villes, l’idée de la « bonnedémocratie participative » trouve sa place. Le réseau «Mercoci-tés » est le premier pas vers une organisation des villes en réseauen Amérique latine afin que celles-ci s’imposent pour affirmerleurs droits au sein des États. L’action des villes se réalise dans unespace extérieur à l’État-Nation pour trouver plus de force dansleurs revendications internes. En Europe, un réseau de mêmenature émerge pour revendiquer les intérêts locaux auprès del’institution supranationale, l’Union européenne. Le lien entreces deux réseaux augmente leur capacité à s’imposer.

12. Tullo Vigevani, op. cit., p. 100.

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Le programme URB-AL, reliant villes européennes

et villes latino-américaines

Un réseau de villes existe en Europe : l’Eurocities. Créé en1986, le réseau compte actuellement plus de 180 villes. Sonaction a pour objet de répercuter la voix des villes européennesauprès des Institutions de l’intégration régionale dans desdomaines qui touchent directement le territoire. Nous pouvonsconstater que l’intégration régionale encourage l’intégration desvilles13.

En ce qui concerne les relations Europe-Amérique latine, leréseau URB-AL se veut porteur de l’intégration des villesd’Amérique latine et d’Europe. Lancé par la commissioneuropéenne le 20 décembre 1995, il se caractérise par la volontéde l’entité supranationale de donner un espace de développe-ment à la coopération décentralisée dans le cadre des relationsentre l’Europe et l’Amérique latine. La coopération décentraliséeest un concept mis en place par la convention de Lomé IV de1989, signée par les pays de l’Asie, du Pacifique et des Caraïbes.Il permet à des entités comme les gouvernements sous-natio-naux (villes, régions, États, provinces…), les ONG, les coopéra-tives, les syndicats… d’engager des relations directement avecd’autres pays ou collectivités territoriales afin de promouvoir ledéveloppement, sans passer par le sommet de l’État et les minis-tères des Affaires étrangères respectifs14.

Le réseau d’URB-AL permet l’échange entre les villes latino-américaines et européennes et favorise l’internationalisation deleurs projets. Les transferts touchent à différents domaines :rénovation des centres urbains, politiques publiques, protection

13. Se reporter à l’adresse suivante : http://www.eurocities.org14. La réflexion autour du réseau URB-AL a été amorcée dans le cadre d’un travailportant sur ce thème réalisé par Yann Baudelocq et Osmany Porto de Oliveira dans lecadre du séminaire «Les relations Europe-Amérique latine » tenu à l’Institut des HautesÉtudes de l’Amérique latine, en 2007.

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environnementale, transports, etc. D’après les déclarationsofficielles de l’Union européenne, le programme se fonde sur « lepatrimoine de valeurs communes à l’Amérique latine et àl’Europe […], l’engagement très tôt de l’Union européennepour relever les grands défis du monde contemporain [envisa-geant] avant tout l’aspect humain avec, pour principaux acteurs,les différents groupes de la société civile15 ».

Le projet URB-AL est sans doute un projet de vaste portée,dont l’existence permet à certaines collectivités territoriales depercevoir des financements très élevés. Les contributionsd’URB-AL permettent aux collectivités territoriales d’assurerdes programmes, des politiques publiques locales, l’échanged’informations et la formation d’un personnel spécialisé. Parailleurs, URB-AL permet à certaines villes de devenir des spécia-listes dans des domaines précis comme la démocratie participa-tive et de garantir la diffusion des pratiques. Il est aussi intéres-sant d’insister sur l’importance du projet ainsi que sur la taille dela collectivité qui le pilote. Des villes, comme Issy-les-Mouli-neaux (52642 habitants) par exemple, ont réussi à coordonnerun des programmes, le réseau n° 3 « La démocratie dans laVille ». Comptant plus de 1 000 collectivités territorialesd’Europe et d’Amérique latine, le programme URB-ALmobilise la société civile et ses réseaux, les experts administratifs,les ONG, et fertilise par ailleurs un vaste terrain pour lessciences politiques et sociales, des universités accompagnantnotamment les projets16.

En 1999, lorsque la mairie d’Issy-les-Moulineaux prépare sonprojet pour la coordination du réseau n° 3, elle doit déjà faireface à un concurrent de taille : la ville de Porto Alegre. Cettedernière venait d’être primée à l’UN-Habitat et était largement

15. Commission européenne, Guide du programme URB-AL Phase 1, présentation,octobre 1997.16. Dans le cas du réseau 9 sur le budget participatif, c’est l’université de Paris 8 et l’uni-versité fédérale do Rio Grande do Sul qui accompagnent le projet.

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soutenue par la Fondation Mondiale des Cités Unies(FMCU)17. Faire face à Porto Alegre n’était pas facile. En effet,la proposition de la mairie d’Issy-les-Moulineaux, impulsée parla base, avait pour objectif de porter sur le devant de la scèneune petite ville française afin qu’elle intègre et pilote un projeteuropéen. Le projet proposé par le maire de la ville française,André Santini (UDF) a bénéficié du soutien de l’experte MarieVirapatirin, qui avait déjà travaillé pour la Banque mondiale. Leréseau « Démocratie dans la ville » représente l’un des réseauxpionniers d’URB-AL. C’est un projet de la première phaselancée à la fin des années 1990 qui se structurait autour dequatre axes de recherche (jeunesse et citoyenneté, financesmunicipales, insertion des nouvelles technologies dans la forma-tion des élus de la ville, femmes dans la ville) et comptait sur laparticipation de plusieurs villes des deux continents. À ce jour leprojet du réseau a été achevé selon le calendrier fixé par l’Unioneuropéenne.

La Commission Européenne approuve le financement pourla deuxième phase du programme URB-AL, par les décisions du29 décembre 2000 et du 31 juillet 2001. La mairie de PortoAlegre se lance à nouveau pour obtenir le pilotage d’un projetdans le domaine de la démocratie participative. Le financementlui est accordé. L’équipe chargée de monter le projet compte surla participation des experts Yves Cabannes (Français, maître deconférences en urbanisme) et Sérgio Baierle (Brésilien, politisteet conseiller technique à l’ONG Cidade). Le groupe de la mairiede Porto Alegre prend le rôle de coordinateur du réseau 9intitulé « Finances locales et budget participatif » du projetURB-AL. Le « lancement » du projet démarre sous le mandat du

17. FMCU est l’ancienne représentante des villes à l’échelle internationale ; elle a étéfusionnée avec l’Union internationale des villes (en anglais « International Union ofLocal Authorities » - IULA) fondée en 1913 pour promouvoir les gouvernements locaux.Voir sur internet à l’adresse suivante : http://www.fmcu-uto.org/ ; Entretien avec MarieVirapatirin, le 15 mars 2007, durée 2 heures.

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maire João Verle (PT), qui arrive au pouvoir à la suite de larenonciation du maire Tarso Genro (PT). Ce dernier est élupour la deuxième fois en 2000, mais doit laisser son poste pourprendre ses fonctions au ministère brésilien de l’Éducation.

Le pilotage du projet URB-AL est encore une source dereconnaissance pour le modèle de Porto Alegre, comme nouspouvons le constater dans les propos tenus par EduardoMancuso, maire adjoint, chargé des relations internationales deJoão Verle, au FAL de Saint-Denis en 2003 :

«La Commission Européenne a élu Porto Alegre pour coordon-ner le réseau 9 du Programme URB-AL sur le thème “budgetparticipatif et financement local” associant près de 200 collecti-vités. Le séminaire de lancement (26-28 janvier 2004) pourradonner l’impulsion à d’autres villes pour expérimenter le budgetparticipatif et la démocratie participative18. »

Bien que le PT ait investi beaucoup d’énergie dans la candi-dature d’URB-AL, avec les élections de 2004 et la chute du partidans la capitale, le réseau 9 passe à la gestion de la nouvelleadministration du Parti Populaire Socialiste.

La recrudescence des relations entre les villes et l’encourage-ment à la coopération décentralisée se traduisent par la prise encharge par différents acteurs du financement des projets. Unepremière source de financement des projets de coopération estfournie par les collectivités elles-mêmes, qui consacrent unepartie de leur budget aux projets internationaux. Des fonds sontaussi mis à disposition par l’Union européenne, la Banquemondiale, l’ONU, de grandes fondations diverses et le ministèredes Affaires Étrangères (français). Le soutien à l’intervention descollectivités locales et à la mise en place de politiques publiquesnovatrices et efficaces est dynamique et actif.

18. Forum européen des autorités locales : Saint-Denis, 11-13 novembre 2003, Actes,PSD, Presses Delta Graphique Service à Montreuil, 2004, p. 20.

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La France compte actuellement 6000 accords de coopérationdécentralisée19. Dans cet univers de liens internationaux entrecollectivités locales, nous pouvons distinguer au moins deuxtypes d’accords : ceux qui promeuvent des coopérations de typetechnique (aide humanitaire, aménagement de l’eau, etc.) oùl’engagement politique est plus dilué, et ceux qui encouragentdes coopérations en matière de démocratie participative etd’inclusion sociale, où l’engagement politique est plus visiblecomme dans le cas de Porto Alegre et Saint-Denis.

Porto Alegre est un véritable acteur international, grâce à lamarge de manœuvre que lui confère la législation fédérale brési-lienne, grâce à son poids économique et à son désir de s’étendrehors frontières, alors que l’ambition de Saint-Denis est plusmodeste. Cependant, malgré ses limites économiques et géogra-phiques, la ville française est très engagée et souvent présente dansles réunions et conférences internationales des villes, et elle bénéfi-cie d’un prestige considérable parmi les autres collectivités localescomme Porto Alegre et Barcelone qui soutiennent les relationsinternationales des villes «progressistes20 ».

Le programme URB-AL est un réel outil de transfert destechniques de gouvernement urbain de l’Amérique latine versl’Europe. Différentes organisations et villes participent à ceprogramme de coopération décentralisée. Comme associésinternes en France figurent Saint-Denis, Brou-sur-Chantereine(77), Nanterre (92), La Roche-sur-Yon (85) et Bobigny (93).Dans le même réseau l’association AITEC, le réseau Démocrati-ser Radicalement la Démocratie et l’université de Paris 8 sontinscrits comme «associés extérieurs21 ».

Le renforcement des liens entre les collectivités localesfavorise l’échange des techniques de gouvernance entre elles,

19. Source Cités Unies France.20. Nous verrons dans le chapitre suivant comment Saint-Denis importe les idées dePorto Alegre en France et accueille le Forum social européen.21. Liste des associés Réseau 9 – URB-AL, source PMPA.

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grâce auquel les municipalités utilisent des méthodes et desgrilles d’analyse complexes et développées, approfondissent etconfrontent leurs expériences en cherchant l’amélioration desdispositifs.

Avec les deux réseaux d’URB-AL (3 et 9), un petit noyaud’experts de la démocratie participative est né. Depuis lors, lesrencontres internationales sur ce sujet sont de plus en plusfréquentes. Le dialogue en Forum est un deuxième moyen derassembler les collectivités territoriales. Dans ces rencontres, ilest d’usage de réaliser des ateliers qui rassemblent des responsa-bles administratifs de différentes mairies ou gouvernementslocaux et au cours desquels les experts de la démocratie partici-pative s’expriment. Les forums sont des lieux pédagogiques,essentiels aux transferts des formes de gouvernance.

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CHAPITRE 4

Transferts et liens politiques :

quel modèle en circulation?

Les réseaux développent la communication entre les communau-tés locales, qui réalisent progressivement des transferts entre elles.L’échange lors des forums est particulièrement fertile, les forums deplus grande ambition comme les Forums sociaux mobilisant uneville entière dans ses divers secteurs, du tourisme aux associations dequartier. Les transferts sont fréquents, mais comment choisir sonmodèle? Il est vrai que certains modèles et expériences ont plus devisibilité que d’autres lors des rencontres internationales.

Mobilisation et accueil des Forums sociaux

internationaux

D’après Bernard Cassen, tout a commencé à Paris, mais c’esten Amérique que les faits ont lieu : le cri part du Chiapas,envahit Seattle pour se concrétiser à Porto Alegre1. En janvier2001, l’aéroport Salgado Filho, à Porto Alegre, est en pleine

1. Bernard Cassen, Tout a commencé à Porto Alegre : mille forums sociaux, Mille et unenuits, Paris, 2003.

effervescence. Les délégations de plus de 4 500 associations dumonde entier, prioritairement latino-américaines, se réunissentà l’extrême Sud du Brésil. Les organisateurs n’ayant pas prévuune telle affluence – plus de 20 000 participants de 117 paysdifférents – restent perplexes. Les années suivantes, le Forumsocial mondial de Porto Alegre accueille encore plus de partici-pants. Né de l’idée de s’opposer au Forum économique réalisé àDavos en Suisse, le Forum social devient désormais le lieu alter-mondialiste par excellence, le nouvel emblème de la gaucheprogressiste. On compte autant de caméras à Porto Alegre qu’àDavos, ce qui donne à l’événement une ampleur internationale.

Avec les premiers Forums sociaux mondiaux (FSM) unnombre progressif de villes adoptent le budget participatif.Certains journaux de la presse nationale et internationaleaccusent le Forum de vendre le budget participatif de PortoAlegre. Le modèle de cogestion municipale, conçu par le PT,s’affirme en effet comme un modèle de référence. La Folha deSão Paulo, l’un des plus grands réseaux de presse écrite etélectronique du pays affirme que le Forum social mondial sertde pilier pour l’exportation de l’idée du budget participatif «OFórum Social Mundial, em Porto Alegre, está servindo como umaespécie de entreposto para a exportação da idéia do orçamentoparticipativo2. » Deux ans plus tard, la BBC Brésil (réseau média-tique anglais) publie un article de même nature :

«A participação orçamentária introduzida pelo PT (Partido dosTrabalhadores) está servindo de modelo de exportação no FórumSocial Mundial 2003. Prefeituras como Medellín, naColômbia, Buenos Aires, na Argentina, Veneza, na Itália, eBarcelona, na Espanha, estão interessadas em adotar a idéia nassuas cidades, como contou à BBC Brasil André Passos, coordena-dor do programa na prefeitura de Porto Alegre. O prefeito da

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2. Source : Folha de São Paulo – UOL, se reporter à l’adresse suivante :http://www1.folha.uol.com.br/folha/brasil/ult96u14684.shtml. Consulté en 2008.

cidade, o petista João Verle, conta que com a eleição do presi-dente Luiz Inácio Lula da Silva aumentou o interesse dos colegasde outras cidades pela administração participativa3.»

L’apport d’un événement d’une telle ampleur à l’exportationd’un projet politique est désormais indéniable. En effet, leForum n’est pas seulement un lieu de réflexion altermondialisteet de protestation à la globalisation néolibérale. Il représentesurtout un point de rencontre international de plusieurs acteurssociaux et politiques partageant une même vision de société4.Dans le cas des Forums sociaux, le message politique est impli-cite et se définit par la volonté de lutter contre la proliférationdu capitalisme à l’échelle planétaire et de la globalisation del’économie financière. Dans ces rencontres internationales, lavoix est donnée à l’expression des mouvements sociaux.

En observant les faits à partir d’un autre point de vue, cetteconjoncture favorise trois facteurs : primo, il donne une dimen-sion et une visibilité internationales à une ville ; secundo, ilfavorise la diffusion de ses modèles de gestion locale (le budgetparticipatif dans le cas de Porto Alegre) ; tertio, il encouragel’affirmation de son projet politique. Saint-Denis est ponctuelle-ment présente dans les Forums sociaux avec une délégationd’experts administratifs de la municipalité. Dans l’une deséditions, un tirage au sort est réalisé afin d’offrir un voyage auFSM de Porto Alegre à un petit groupe d’habitants5.

Le dialogue dans les forums internationaux devient de nosjours une pratique courante des collectivités locales. C’est leurespace de rencontre, d’échange, de définition d’agenda et deréflexion sur leurs stratégies politiques. Le dialogue en forum

3. Source : BBC – Brasil, voir sur le site internet à l’adresse suivante :http://www.bbc.co.uk/portuguese/noticias/2003/030123_carmoebc.shtml, Consultéen 2008.4. Les Forums mondiaux regroupent des représentants de collectivités territoriales,associations, parlementaires, syndicats, universitaires, mouvements sociaux.5. Source, Mairie de Saint-Denis, Bureau des relations internationales, entretiens diversavec les fonctionnaires administratifs et avec les habitants qui ont participé au voyage.

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n’est pas nouveau, ce type de réunion existe en effet depuis lemonde antique. Néanmoins, c’est aujourd’hui qu’il gagne del’intensité, de la fréquence et une dimension internationale. Eneffet, nous pouvons compter de nombreux forums internatio-naux auxquels participent les collectivités territoriales. Dansnotre étude, le Forum le plus significatif est le Forum des autori-tés locales pour l’inclusion sociale (FAL).

À l’occasion du premier FSM, les collectivités territorialesprésentes décident de créer le Forum des autorités locales pourl’inclusion sociale (FAL), déjà mentionné. La première rencon-tre du FAL bénéficie de la présence de 180 autorités locales,dont de nombreuses autorités brésiliennes et latino-américaines,quelques représentants européens et africains. Leur réflexionconduit à considérer que les problèmes d’exclusion socialedoivent être traités localement et que c’est aux collectivités terri-toriales de se charger de mettre en place les politiques publiquesnécessaires. Les participants présents signent ainsi la Charte dePorto Alegre. Le FAL se réunit régulièrement à l’occasion desFSM. En réalité, le FAL est un dispositif permettant la rencon-tre de différentes autorités locales du monde entier cherchantdes réponses efficaces et durables pour des problématiquescontemporaines de la gestion urbaine, comme l’inclusion socialeet l’environnement.

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Tableau 3 • Forum social mondial en chiffres

Source : FSM6.

Le deuxième FSM a lieu à Porto Alegre peu de temps avantles élections législatives en France. Plusieurs des principauxcandidats progressistes se sont rendus au Brésil, envisageant detrouver du soutien dans le réseau7. Pour les villes européennes etfrançaises, la prédominance des autorités latino-américaines etnotamment brésiliennes dans les premiers FAL a représenté unelimite. Le deuxième FAL, réalisé en 2002, compte sur laprésence de 1240 participants, dont 210 maires, parmi lesquels18 étaient français, mais dont la majorité reste encore de natio-nalité brésilienne.

FSM Siège Nombre de pays

Nombre departici-pants

ONGs Campingjeunesse

Nombre d’activités

2001 Porto Alegre 117 20000 4700 délégués - 400

2002 Porto Alegre 124 Plus de 50000 - -

27 conférences, 96 séminaires,622 activitésautogérées

2003 Porto Alegre 123 100000 20000délégués 25000 1300

2004 Bombay 11774126 (60224

indiens)1653 2732 1203

2005 Porto Alegre 151 Plus de 155000 6872 35000 2500

2006Bamako,Caracas,Karachi

- 1000, 53000 2500 -

160, plus de 1000,

360

6. Source Forum social mondial, site officiel www.forumsocialmundial.org.br. Consultéen 2008.7. Entretien avec Céline Daviet, chargée de mission des relations internationales à laPlaine Commune.

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Participants au deuxième FAL

Source FAL.

C’est pour cette raison que le maire adjoint de Saint-Denis,Stéphane Peu, soutient à l’occasion du deuxième FAL la volontéde donner plus de résonance à l’événement en Europe9. L’idéed’internationaliser la démarche s’impose. À la suite du premierFAL, une deuxième rencontre internationale a lieu entre lesautorités locales à Barcelone, où les mairies de Saint-Denis, PortoAlegre et Barcelone s’engagent à créer un observatoire internatio-nal de la démocratie participative. La réflexion dans les FAL porteavant tout sur la recherche de méthodes de gouvernance, donnantpriorité à l’inclusion sociale et à la diversité culturelle en tenantcompte des écarts sociaux, politiques et économiques qui divisentles citoyens dans les zones urbaines. La mairie de Saint-Denis sepropose comme intermédiaire du FAL en France. L’objectif desreprésentants de Saint-Denis est d’abord de renforcer le réseau parle biais de l’augmentation d’adhérents en Europe, puis d’insisterpour qu’il s’enracine de façon significative sur le continent10.

Il est important de souligner la volonté d’indépendance duFAL par rapport au FSM. Si le FSM est l’événement quiexprime la voix des mouvements sociaux, le FAL est l’expression

Maires par pays :

Albanie : 1 ; Argentine : 4 ; Belgique : 5 ; Brésil : 128 ; Cameroun : 1 ; Cambodge : 1 ;Colombie : 1 ; Côte d’Ivoire : 3 ; Équateur : 4 ; Espagne : 5 ; France : 18 ; Gabon : 1 ;Hongrie : 1 ; Iran : 1 ; Italie : 17 ; Liban : 2 ; Maroc : 4 ; Mexique : 1 ; Mozambique : 4 ;Paraguay : 1 ; Pérou : 2 ; Portugal : 2 ; Suisse : 2 ; Turquie : 1 ; Uruguay : 18.

8. Source FAL, documents originaux de la première et deuxième version, source : bureaudes relations internationales, Plaine Commune. Pour plus de détails, voir sur internet àl’adresse suivante : http://www.autoridadeslocais.com.br, consulté en 2008.9. Réunion de préparation du Deuxième Forum mondial des autorités locales — PortoAlegre, tenue le 11 janvier 2002, compte rendu Cités-Unies-France, source : bureau desrelations internationales MSD, document non publié.10. Discours de Patrick Braouezec à la clôture du FAL de Porto Alegre, le 22 janvier2003, source MSD.

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des autorités locales. Les réunions se déroulent en même temps,mais chacune exprime sa propre voix.

L’année qui a suivi le premier FSM de Porto Alegre, la ville deFlorence, en Italie, accueille le premier Forum social européen(FSE)11. Deux ans après le FSM et après le FSE, la ville de Saint-Denis réalise le premier FAL-Europe parallèlement au FSE deParis et Saint-Denis. Le FAL-Europe de Saint-Denis est la ported’entrée en France pour les idées issues des forums de PortoAlegre.

Saint-Denis veut se lancer sur le plan international, enpromouvant ses ambitions locales. L’événement mobilise uneville entière et rassemble, dans la banlieue parisienne de 95000habitants, différents acteurs internationaux : des représentantsde collectivités territoriales et du monde associatif commeATTAC (Association pour la Taxation des Transactions pourl’Aide aux Citoyens) et d’autres réseaux d’ONG commel’ABONG (Associação Brasileira das ONG) et Coordination Sud.Grâce à cette manifestation, Saint-Denis est considérée commela ville altermondialiste en France. Leur message est clair, lors del’ouverture de l’événement, Patrick Braouezec insiste sur le rôledes collectivités territoriales dans la transformation de ladémocratie12 :

« Connue par sa Basilique royale et son stade bientôtolympique, Saint-Denis est depuis plus d’un siècle une villeouvrière. Louise Michel, une insurgée de la Commune deParis, nous a déjà montré à l’époque qu’un autre monde étaitpossible. À Saint-Denis, nous nous attachons à cultiver unemémoire partagée, une identité commune et une dignité que

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11. Succession des FSE : Florence 2002, Paris-Saint-Denis 2003, Londres 2004, Athènes2006.12. Voir les actes de l’événement et les articles publiés dans la presse : Forum européendes autorités locales : Saint-Denis, 11-13 novembre 2003, Actes, PSD, Presses DeltaGraphique Service à Montreuil, 2004 ; Libération du 4 novembre et L’Humanité du 11novembre 2003.

nous construisons collectivement. Saint-Denis, terre d’Europe,ville du monde, rayonne par le caractère international de sapopulation, par ses métissages culturels, par ses plus de dixlangues couramment parlées. Ici, nous vivons sensibles auxespérances et aux souffrances du monde […] [é]lus locaux,nous devons faire de nos territoires des caisses de résonance etdes lieux de concrétisation pour les débats du Forum social[…] [c]e moment d’échanges sera aussi l’occasion d’aborder laconstruction de l’Europe Sociale, du rôle de notre continentpour la paix et le développement […] une collectivité locale[…] peut insuffler un air nouveau à la démocratie en sefondant sur la participation des citoyens13. »

Le dialogue en Forum devient ainsi un outil dans le répertoired’action à disposition des villes dans leur stratégie à l’aube dunouveau siècle. Il est important de s’affirmer comme un interlo-cuteur de qualité et de transmettre son propre messagepolitique. Accueillir un événement de portée internationale estindispensable à une collectivité territoriale pour conquérir duprestige et renforcer le réseau. Nous verrons ci-après commentce réseau de villes s’étend et s’affirme progressivement commel’expert en matière de démocratie participative.

Des «bonnes pratiques» au lesson-drawing

Dans la première partie de notre travail nous avons faitréférence aux théories concernant le transfert en politiquespubliques. Nous revenons à présent sur la question du lesson-drawing dans le contexte de la démocratie participative à l’heureactuelle. Pour Richard Rose, les politiciens, face à un problèmecommun, regardent comment leurs homologues mettent en place

13. Discours prononcé à l’ouverture du FAL de Saint-Denis, voir Forum européen desautorités locales : Saint-Denis, 11-13 novembre 2003, Actes, PSD, Presses DeltaGraphique Service à Montreuil, 2004.

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des politiques publiques afin de normaliser la situation. Ils parvien-nent ainsi parfois à tirer les leçons de leurs homologues étrangers :

«Confronted with a common problem, policymakers in cities,regional governments and nations can learn from how theircounterparts elsewhere respond. More than that, it raises thepossibility that policymakers can draw lessons that will helpthem deal better with their own problems. If the lesson ispositive, a policy that works is transferred with suitableadaptations. If it is negative, observers learn what not to dofrom watching the mistakes of others14. »

L’auteur poursuit en définissant ce qu’est un lesson-drawing :« A lesson is here defined as an action-oriented conclusionabout a program or programs in operation elsewhere; thesetting can be another city, another state, another nation or anorganization own past. Because policymakers are action-oriented, a lesson focuses upon specific programs that govern-ments have or may adopt. A lesson is more than an evaluationof a program in its own context; it also implies a judgmentabout doing the same elsewhere. A lesson is thus a politicalmoral drawn from analyzing actions of other governments15. »

La notion de lesson-drawing renvoie alors à l’idée qu’un acteurpolitique tire des leçons à partir du succès ou de l’échec d’unepolitique publique mise en place ailleurs (dans le temps ou dansl’espace) pour résoudre des problèmes propres à son contexted’opération politique. En effet, s’inspirer de l’expérience réaliséepar d’autres est une pratique moins coûteuse et qui prend moinsde temps que l’élaboration d’une politique publique ex-nihilo.En outre, collaborer et réfléchir ensemble sur des thématiques

14. Rose Richard, «What is Lesson-Drawing ? », Journal of Public Policy, vol. 11, n° 1,janv.-mars 1991, p. 4.15. Ibid. p. 7.

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similaires permet aux agents politiques de parvenir plus rapide-ment à des résultats efficaces. Or, dans le contexte de ladémocratie participative16 le modèle de Porto Alegre est, dansun premier temps, considéré comme la référence. De plus, lesvilles de Saint-Denis et Barcelone soutiennent l’expérience.

Le modèle de démocratie participative de Porto Alegres’impose donc. Le budget participatif, recommandé par laBanque mondiale, est le modèle qui a le plus de visibilité àl’échelle internationale. De nos jours, des forums sont exclusive-ment consacrés au thème du budget participatif17. La notoriétéde Porto Alegre semble, d’une certaine manière, justifier sonexcellence18, aussi reste-t-il aujourd’hui le modèle le plusdiffusé19. Néanmoins, il perd du terrain face aux mairiesprogressistes lors des quatre dernières années à cause de l’échecdu PT et de l’ascension du PPS (parti hybride de centre-gauche)au pouvoir municipal. Cela étant, il serait erroné de penser quel’expérience du budget participatif est finie dans cette ville. Acontrario, ce changement a été une mise à l’épreuve pour lebudget participatif de Porto Alegre. En outre, le contexte inter-national sur la démocratie participative a changé, les réseaux sesont renforcés et de nouvelles expériences ont été mises enpratique.

Nous avons évoqué l’existence d’un Observatoire Internatio-nal de la Démocratie Participative (OIDP), réseau international

16. Il est important de rappeler que nous faisons référence aux pratiques participativesissues des relations Europe-Amérique latine et que d’autres cas plus spécifiques dedémocratie participative propres à d’autres contextes comme le Canada, les États-Unisou l’Inde ne sont pas pris en compte.17. Voir Yves Cabannes, «Les budgets participatifs en Amérique latine : de Porto Alegreà l’Amérique centrale, en passant par la zone andine, tendances, défis et limites »,Mouvements, n° 47/48, 2006, p. 128-138.18. Sur la question de la notoriété de Porto Alegre voir Marion Gret, De l’expérience dePorto Alegre…, op. cit.19. Il est intéressant de noter que le modèle du budget participatif n’est pas le seul àavoir fait des émules ou à avoir été transféré. D’autres cas s’inspirent du modèle de BeloHorizonte (MG — Brésil), d’autres encore de certaines villes en Australie.

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issu de l’expérience de la première phase du Programme URB-AL, dans le cadre du réseau n° 3 (étudié au chapitre précédent).La présentation du projet de l’OIDP date des rencontres entreles villes dans la préparation du premier FSM, constitué ennovembre 2001 à Barcelone. Les objectifs mentionnés dans leprojet démontrent que le réseau est un autre dispositif d’actionpour les collectivités territoriales. Effectivement, l’OIDPenvisage de

« construire un espace commun pour partager les expériences dedémocratie participative […] promouvoir la coopération entreles gouvernements locaux pour faire face aux pressions de laglobalisation […] approfondir le concept de démocratie parti-cipative par la réflexion et l’analyse […] soutenir la mise enplace pratique des expériences de démocratie participative […]encourager la création de mécanismes et de systèmes d’évalua-tion des expériences participatives20 ».

L’OIDP est financé par l’Union européenne jusqu’en 2004.Bien qu’il reçoive encore des subventions européennes, actuelle-ment l’observatoire est soutenu financièrement par les villesmembres, des fondations internationales privées et des associa-tions internationales (notamment par la Fondation Ford et parla Cities Alliance)21. Une fois par an, la rencontre autour del’OIDP a lieu dans une ville différente (Barcelone – Espagne :2001, Quetzaltenango – Guatemala : 2002, Lille – France :2003, Buenos Aires – Argentine : 2004, San Sébastian(Donostia en Catalan) – Espagne : 2005, Recife – Brésil : 2006,Nanterre – France : 2007). L’OIDP s’impose comme unerencontre internationale sur la démocratie participative mobili-sant des acteurs appartenant aux mondes politique, associatif et

20. Document de Presse, OIDP – 2007.21. Informe Técnico Intermedio, URB-AL Proyecto común ALR/B7-3110/2000/021/R3-B1-04 : «Observatorios Locales de Democracia Participativa », mars, 2006.

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universitaire. C’est également un tremplin pour internationali-ser les expériences et les projets politiques d’une ville.

Le réseau international est coordonné par la ville de Barce-lone. Son activité se structure autour du recensement desexpériences, de la mise en place d’outils, comme des méthodolo-gies de démocratie participative, de recensement de documents,d’élaboration d’un agenda et de la réalisation d’une rencontreannuelle.

Dans le cadre des travaux de l’OIDP durant le programmeURB-AL, un autre projet de démocratie participative a été crééen 2004, cofinancé par l’UE et la mairie de Barcelone. Nousfaisons allusion aux projets de l’Observatoire local de ladémocratie participative (OLDP), mis en place dans neuf villes :Barcelone (Espagne), San Sébastian (Espagne), Saint-Denis(France), São Paulo (Brésil), Porto Alegre (Brésil), Buenos Aires(Argentine), Cuenca (Équateur), El Bosque (Chili) et La Paz(Bolivie). Les observatoires travaillent ensemble afin de diffuserleur expérience et leur expertise.

Les actions entreprises par les autorités locales cherchent àdonner une structure de plus en plus solide aux expériences.L’investissement autour de la thématique est très fort et engagedes experts pour y travailler. Il y a une volonté manifeste dedonner progressivement un caractère technique, presque scienti-fique, aux projets d’inclusion participative. En effet, les travauxsont menés avec des méthodes bien précises et engagent souventdes chercheurs (sociologues et urbanistes ayant une formationdoctorale) dans la réalisation des projets. Utilisant un savoirscientifique, leur travail permet aux dispositifs d’avoir plus decrédibilité auprès des instances internationales, tout en excluantles effets pervers que la démocratie participative peut provoquer.Il est intéressant, à ce propos, de mentionner les travaux deDavid Recondo, par exemple, sur les effets des vagues décentra-lisatrices et participationnistes dans les zones indigènes surve-nues au Mexique et en Colombie depuis les années 1980. Il

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affirme que l’«État cherche à […] intégrer les pratiques coutu-mières dans le cadre moderne de la gestion décentralisée desaffaires publiques22 ». Par ailleurs, l’auteur constate que le« “placage” d’une nouvelle nomenclature sur d’anciennespratiques contribue également à l’émergence de nouveauxespaces et de nouvelles dynamiques de participation23 ».

Depuis les deux dernières éditions (2006 et 2007), l’OIDPremet des prix aux meilleures pratiques de démocratie participa-tive suivant une grille complexe composée de 10 critères :

Source : OIDP24

1. Caractère novateur2. Capacité de reproduction de l’expérience3. Faisabilité4. Impact positif (l’expérience doit produire les effets envisagés)5. Planification (établissement d’un ensemble de phases en relation les unesavec les autres et ordonnées de façon rationnelle afin d’aboutir aux résultatssouhaités dans un domaine d’intervention du gouvernement local)6. Leadership social solide7. Des responsabilités bien définies8. Système d’évaluation9. Implication de la citoyenneté10. Peer-recognition (valorisation et reconnaissance de l’expertise des profes-sionnels de l’administration locale sur ses domaines d’action spécifique).

22. David Recondo, «Les paradoxes de la démocratie participative en Amérique latine :une comparaison des trajectoires mexicaine et colombienne », in Catherine Neveu (dir.),Cultures et pratiques participatives, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 255.23. Ibid., p. 271.24. Pour l’élaboration de cette grille nous avons consulté les documents publiés au siteinternet de l’OIDP, respectivement en 2008 et 2010. Pour les critères plus complexesnous avons ajouté des explications. Cf. Grupo de Trabajo n° 3, Creación de una ficha deBuenas Prácticas en participación ciudadana en el ámbito del gobierno local, OIDP, nov.2006, et le Règlement du concours de 2010 de la Ve édition de la Distinction OIDP«Bonne pratique en participation citoyenne encouragée par les gouvernements locaux »,http://www.oidp.net.

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À ces critères généraux s’ajoutent quatre questions complé-mentaires. Qui participe ? Sur quoi participe-t-on ? Commentparticipe-t-on ? Quelles sont les conséquences25 ?

Les distinctions « OIDP Bonne Pratique », en participationcitoyenne sont :

2006, « Processus et mécanismes d’inclusion sociale desfemmes indigènes dans la gestion locale : le budget participa-tif de Cotachi (Équateur) » ;2007, «Budget participatif digital : Mairie de Belo Horizonte(Brésil) ».En paraphrasant cette grille, nous nous apercevons que, pour

qu’une démarche soit considérée comme bonne, elle doit êtrenovatrice, efficace, inclusive et transposable. C’est, en quelquesorte, une institutionnalisation de la spontanéité dans laquelleémergent les mouvements sociaux et les mobilisations contesta-taires. Le pouvoir administratif municipal doit bureaucratiser laparticipation et l’expression de la citoyenneté ou les analyserdans un espace d’expression spécifique. Les modèles doivent êtretransposables afin de pouvoir être reproduits dans d’autrescollectivités territoriales et dans d’autres contextes. La formalisa-tion d’une grille d’analyse nous indique la recherche de légiti-mité des modèles soutenus par l’OIDP qui cherche à donnerune image technique, méthodologiquement fondée, afin devalider les nouvelles bonnes technologies de gouvernance parti-cipative locale.

Grâce à la puissance économique et au nombre d’adhérentsqui alimentent le réseau, l’OIDP est aujourd’hui l’une deshautes instances de la démocratie participative. Parmi sesmembres les plus anciens se trouvent les villes de Barcelone,Porto Alegre et Saint-Denis. En outre l’OIDP a une dynamiquepédagogique : les thématiques d’inclusion sociale et de participa-

25. Grupo de Trabajo n° 3, Creación de una ficha de Buenas Prácticas en participaciónciudadana en el ámbito del gobierno local, OIDP, novembre 2006.

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Le transfert d'un modèle de démocratie participative

tion sont présentées et discutées dans des ateliers avec des élus,responsables administratifs, chercheurs et militants associatifs.L’OIDP s’est lancé dans la conquête d’un autre espace interna-tional de dialogue entre les collectivités locales comptant actuel-lement 340 membres, les collectivités territoriales, les centres derecherches, les coopératives, etc. Il perçoit des financementsélevés. C’est un organisme qui s’est autopromu comme légitimepour définir les dispositifs les plus efficaces en la matière et cepar le biais de l’attribution annuelle de prix sur les « bonnespratiques ». Comme le dit le dossier de presse de l’événement, ceprix « a pour objectif la reconnaissance dans le domaine de ladémocratie participative, d’expériences novatrices, coordonnéespar des collectivités locales et pouvant faire l’objet de transposi-tion».

Les expériences des collectivités territoriales gagnent alors envisibilité dans les ateliers et conférences plénières sur lesquelleselles sont appelées à intervenir. Les villes d’accueil ont égalementla possibilité de présenter leurs travaux et leur expérience enmatière de démocratie participative durant l’événement. Ainsi,lors de la dernière rencontre, la ville de Nanterre a pu diffuserson expérience de 30 ans dans l’engagement de la démocratieparticipative et ses dispositifs actuels.

En ce qui concerne la pratique de lesson-drawing, la visibilitéacquise dans les forums et rencontres internationales est grande.Les collectivités territoriales réalisent des échanges intenses.Certaines villes réussissent à transmettre leurs messages etexpériences plus que d’autres, grâce au statut d’expert qui leurest conféré lorsqu’elles se présentent aux tables rondes. En effet,des villes comme Barcelone, Saint-Denis et Belo Horizonte sonttoujours représentées dans les FAL ou dans l’OIDP en tantqu’intervenants. Cependant, la ville d’Issy-les-Moulineaux,coordinatrice du réseau d’URB-AL, ne figure ni sur leprogramme du FAL (première et deuxième édition) ni sur lesdernières éditions de l’OIDP.

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26. Voir l’adresse internet suivante : http://www.citydiplomacy.org, consultée en 2008.

Le réseau est à la fois moyen d’action et d’échange. Il est portépar des villes qui ont derrière elles un projet politique bienprécis, la gauche progressiste, ancré dans leur histoire et dansleur culture locale comme Porto Alegre, Saint-Denis et Barce-lone. Si nous devons souligner le caractère éphémère de certainsréseaux cela ne semble pas être le cas pour le réseau des villes. Eneffet, ces réseaux ont réussi à propager une véritable force centri-pète, engageant à la fois universités, ONG et militants. Au moisde juin 2010, une première conférence mondiale sur la diplo-matie des villes eut lieu à la Hague en Hollande26. Les villess’organisent et exercent une pression pour transformer lesrelations à l’intérieur de l’État et la coopération entre PortoAlegre et Saint-Denis s’inscrit dans cette action.122

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Le transfert d'un modèle de démocratie participative

CHAPITRE 5

Transformations locales

et effets internationaux

Le budget participatif est au cœur du débat électoral dans lesélections municipales de 2004 à Porto Alegre. La démarcheparticipative de délibération populaire sur le budget municipaln’est assurée par aucun dispositif légal. C’est un programme dela municipalité.

La vie du dispositif est très vulnérable car un changement departi au sommet du pouvoir municipal pourrait éliminer ladémarche. Or, que se passe-t-il quand la mairie change decouleur politique ? Quels sont les effets de ce changement sur leréseau des villes progressistes ? C’est à ces deux questions quenous allons tenter de répondre.

Le budget participatif

dans la campagne électorale de 2004

L’ouverture de la campagne électorale pour les électionsmunicipales de 2004 commence plutôt mal pour les candidatsdu PT. Une affaire scandaleuse de corruption, largementdiffusée par les médias, éclate à Brasília, entachant la bonne

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image du PT1. À Porto Alegre, l’opposition profite rapidementde l’opportunité pour demander des précisions à Raul Pont,candidat aux municipales. Ce dernier est fréquemment attaquépar ses adversaires durant les débats télévisés mais, malgré cela, ilreste en tête dans les sondages.

Pour la première fois depuis l’élection de Tarso Genro, quiavait été élu à une large majorité de voix en 2000, la stabilité duPT à la mairie de Porto Alegre est mise en danger. Raul Pontconcentre sa campagne sur les espaces conquis par le PT danscette ville comme le budget participatif et le Forum socialmondial. Selon Raul Pont, le budget participatif s’achèvera si unautre parti que le PT gagne la ville. Cela peut être interprétécomme une stratégie de campagne électorale, dans la mesure oùil est possible de reconnaître que le budget participatif a été l’élé-ment central dans le maintien du PT au pouvoir durant seizeans à Porto Alegre. Le Forum social mondial et notamment lebudget participatif étaient, jusqu’à ce moment, indissociables duPT. Cependant, si ces deux expériences étaient devenues lesemblèmes du PT et la carte de visite de Porto Alegre à l’étranger,les partis de l’opposition ne partageaient pas le même point devue, au moins dans un premier temps, et les faits montrent quedurant la campagne pour les élections de 2004 aussi, le budgetparticipatif a acquis une nouvelle place dans le discours del’opposition.

Raul Pont passe au premier tour des élections avec plus devoix que son adversaire, José Fogaça (PPS). Même si l’opposi-tion ne soutient pas la démarche, le budget participatif estnéanmoins indispensable afin de conquérir l’électorat. Ladémarche n’est garantie par aucune loi, ce qui permet à unenouvelle administration de la supprimer. C’est ce qui est advenuà São Paulo lorsque le travail des politiques publiques participa-

1. Le PT gagne une bonne image auprès de la population depuis l’élection de LuizInacio Lula da Silva avec plus de 60% des voix.

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tives du gouvernement du PT ont été abandonnées par l’admi-nistration suivante durant les années 1990.

Le budget participatif revendiqué par le bas (associations deshabitants et UAMPA) et souhaité par le haut (idéologie du PT)implante peu à peu divers secteurs de la vie locale. Denombreuses associations se sont créées grâce à la démarche, dontcertaines consacrent beaucoup d’attention au budget participa-tif (FRACAB, Cidade, Solidariedade, etc.). Les postes deconseiller et de délégué occupent une place centrale dans la viede certains quartiers à travers des échanges entre les habitants etla mairie. La population se mobilise autour des réunions micro-locales. Le cycle du budget participatif correspond en quelquesorte au cycle de la ville, où plusieurs habitants délibèrent surdes projets dans les réunions de département et attendent le voteet la mise en œuvre dans les quartiers. Par ailleurs, le budgetparticipatif alimente une vie internationale comme nous avonspu le constater, notamment dans le cadre des engagements avecSaint-Denis et Barcelone, mais aussi avec le réseau 9 d’URB-AL,les Forums sociaux, la presse et le monde associatif.

Compte tenu de l’ampleur que la démarche avait prise sur la vielocale, le budget participatif est un sujet inévitable lors de lacampagne et le candidat de l’opposition, José Fogaça, se sert de cettesituation pour structurer sa campagne. Ce dernier insiste alors sur lemaintien du budget participatif avec le slogan préserver les conquêtes,en produisant des changements, du portugais «preservando conquistas,construindo mudanças», qui fait clairement référence à l’idée selonlaquelle la population de Porto Alegre aurait besoin d’un change-ment après les différents mandats du PT. Bien que Raul Pont arriveen tête au deuxième tour, il réalise une seule alliance, avec le PSB,tandis que José Fogaça trouve le soutien de toute l’opposition et seplace en tête d’une coalition avec onze autres partis. À Porto Alegre,le résultat d’octobre se révèle un échec pour le PT, depuis 1988 aupouvoir. José Fogaça est élu avec plus de 53% des votes, devançantRaul Pont qui obtient 46% des voix.

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D’après une étude réalisée à partir d’un sondage sur lesélections en 2004 à Porto Alegre par la politologue MarciaRibeiro Dias, trois points importants sont à retenir sur le succèsde l’opposition [Dias, 2008, p. 248]. Tout d’abord, le discourset les stratégies de campagne du PT, puis le discours du change-ment avec sécurité garantie et, finalement, la dissociation dubudget participatif du Parti des Travailleurs. La stratégie deFogaça a consisté selon Dias, non seulement à reconnaître lespoints positifs de l’administration précédente, notamment lebudget participatif, mais aussi, dans une certaine mesure, àtenter de s’identifier avec l’adversaire. Un autre slogan insiste surle fait de maintenir ce qui est bon et de changer ce qui est néces-saire, du portugais « manter o que está bom, mudar o que épreciso ». La volonté de changement ressentie par la population àPorto Alegre a, inévitablement, joué un rôle décisif dans l’échecdu PT aux élections de 20042.

Le budget participatif est maintenu dans la capitale gaúcha,mais il connaît des changements profonds. L’une des critiquesles plus fortes à cette transformation vient d’un des experts del’ONG Cidade, Sérgio Baierle. Pour ce dernier, les slogans quiexpriment cette idée de changement et de continuité fontallusion à un discours marqué par les idées positivistes [Baierle,2008, p. 187]. L’auteur poursuit en affirmant que le budgetparticipatif a été repris par un autre programme de la mairie,celui de la «Governança Solidária Local » et que la participationest devenue, à ce jour, une forme de «philanthropisation» de lapauvreté. Par ailleurs, les investissements municipaux ont connuune chute de 3% par rapport à la moyenne historique de la villeet les travaux et les investissements ont été réduits à uncinquième de ce pourcentage en chute dans le domaine dubudget participatif.

2. L’analyse de Márcia R. Dias insiste sur ce point, qui a également été confirmé lorsd’un entretien réalisé par l’auteur à l’occasion de l’OIDP en décembre à Paris avec unmembre du PT de Porto Alegre.

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L’échec électoral comporte une « fragilisation symbolique etpsychologique3 » pour le PT. Porto Alegre devient une sorte de« ville vitrine », qui exprime par excellence le succès, national etinternational du PT. Avec la défaite on note une perte duprestige de Porto Alegre et un état de dépression, aggravé par lesentiment de déception, qui affecte le personnel administratif.Cela est dû, en partie, au fait que cessent les activités et lesprojets, préparés pour aller au-delà des élections de 2004, autourde la vie municipale et politique. Les perspectives de continuitéd’un chantier ouvert depuis seize ans s’achèvent [cf. Louault,2005]. La chute du parti coïncide avec une sensation de videpour une bonne partie de la vie politique de Porto Alegre. Au-delà des frustrations et des problèmes de gestion locaux, desdifficultés surviennent dans la configuration du réseau et dans lavie internationale de Porto Alegre alors que deux autres villes –Belo Horizonte et Recife – acquièrent progressivement plus devisibilité grâce à la démarche participative.

L’alternance au pouvoir dans la ville de Porto Alegre a uneconséquence non seulement sur les problèmes locaux du budgetparticipatif, source de mécontentement, mais aussi sur la stabilitédes relations internationales de cette ville avec ses partenaires,menacée à cause de ces changements. Il est possible alors d’identi-fier ce qui représente la dimension du double enjeu, à la fois localet international dans la vie des villes. Ceci émerge clairement dansles entretiens que nous avons eus avec la responsable des relationsinternationales de Plaine Commune et avec son président.

Porto Alegre et Saint-Denis :

quel avenir avec la nouvelle administration?

Une fois élu, le maire de Porto Alegre se trouve confronté auxrelations internationales de la ville. Il réalise plusieurs voyages et,

3. Expression utilisée par Frédéric Louault pour décrire l’échec du PT en 2004.

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en 2007, il visite la ville de Puna en Inde (métropole proche deBombay), intéressée par l’adoption du budget participatif. Illance une coopération entre les villes du Brésil, de l’Inde et del’Afrique du Sud. En février 2008, Porto Alegre accueille unévénement international concernant les villes, « la conférencemondiale des cités ». Toutefois, lorsque la mairie est renouvelée,la délégation de Porto Alegre cherche à perpétuer les relationsavec Saint-Denis. Cette dernière déclare n’être plus intéressée4.

À l’occasion de l’OIDP à Nanterre, le responsable desrelations internationales de la mairie de Porto Alegre, invité àintervenir, reste très discret. On ne le voit ni dans les ateliers nilors des séances plénières5. Il semblerait presque que la parole dePorto Alegre ne compte plus pour ses homologues de la périphé-rie parisienne. Le modèle de « la gouvernance solidaire et locale »du PPS à Porto Alegre, sévèrement critiqué par Baierle, estcandidat au prix des bonnes pratiques, mais ne reçoit pas le prixdu jury de l’OIDP. A contrario, des interlocuteurs du PT commeles villes de Recife (PE – Siège de l’OIDP 2006), Belo Horizonte(MG – prix bonne pratique 2007), Osasco (SP), Fortaleza (CE),Santa Vitória do Palmar (RS) se partagent le reste des interven-tions des villes brésiliennes en atelier. Dans le cadre duprogramme de l’OLDP les coordinateurs insistent sur ledéveloppement à double vitesse du projet provoqué par le ralen-tissement dû au changement de mairie :

«Durante este periodo, 3 de las 9 ciudades socias han tenidocambios de gobierno, lo cual nos ha obligado a adoptar unnuevo calendario, produciendo así un proyecto con dos veloci-dades. Las elecciones celebradas en Cuenca, Sao Paulo y PortoAlegre y el posterior cambio de gobierno, han supuesto que losObservatorios Locales de estas tres ciudades estuvieran en stand

4. Entretien avec Patrick Braouezec, Céline Daviet, réalisé le 19 mars 2008 à Saint-Denis, durée 2 heures.5. Nous avons participé aux trois jours de l’OIDP à Nanterre, sans avoir rencontré lesreprésentants de Porto Alegre.

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by mientras se formaban los nuevos equipos de gobierno. Estoha provocado, como decíamos, que el proyecto tenga dos veloci-dades, una rápida, formada por las ciudades que llevan traba-jando desde octubre de 2004 en la creación de su observatoriolocal y una vía lenta, formada por aquellas ciudades quedebido al cambio de sus responsables políticos han retrasado lacreación de su OLDP. Sin embargo, a pesar de esa doblevelocidad fruto de las reglas del juego democrático, estamossatisfechos con la labor realizada hasta el momento. LosOLDP’s han trabajado en red y, en algunos casos, hanampliado su base territorial : El Bosque (Chile) ha ampliadosu influencia a los municipios de la zona sur de Santiago deChile ; Donostia (País Vasco-España) está colaborando conVitoria y Bilbao ; y Barcelona (Catalunya-España) estácolaborando con los 311 municipios que conforman laDiputación de Barcelona6. »

Depuis que Porto Alegre a changé d’administration, sa placedans le réseau n’est plus la même. Actuellement, la ville de Saint-Denis cherche d’autres partenaires au Brésil, comme SantoAndré dans l’État de São Paulo ou d’autres villes plus modestesdu Rio Grande do Sul. La solidité d’un réseau fondé sur le projetpolitique est très instable, comme la question de la pérennité desexpériences7. L’arrivée d’un parti plus radical ou progressiste aupouvoir pourrait renforcer la participation, tandis qu’un partiplus conservateur ou néolibéral chercherait à réduire le niveaud’influence des dispositifs participatifs.

Cependant l’axe Saint-Denis, Barcelone, Porto Alegreperdure grâce à la stabilité des élites progressistes au pouvoir.Effectivement, à Porto Alegre comme à Saint-Denis, les partis

6. Informe Técnico Intermedio, URB-AL Proyecto común ALR/B7-3110/2000/021/R3-B1-04 : «Observatorios Locales de Democracia Participativa », mars, 2006, p. 6.7. Entretiens avec les responsables des relations internationales Saint-Denis et PlaineCommune.

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PT-PCF se maintiennent au pouvoir depuis la décennie 1980(voir même pour Saint-Denis, depuis la Seconde Guerremondiale). Cette stabilité au pouvoir permet aux partis demener des réformes importantes sans interruption de mandat,ce qui n’est pas le cas à São Paulo. Le retour du Forum socialmondial à Porto Alegre était prévu pour janvier 2005, à la suitede l’édition à Bombay en 2004. À l’époque, la mairie étaitencore sous l’égide du PT. La chute de ce parti n’était pasattendue par les villes partenaires de Porto Alegre. La dernièreédition du FSM de Porto Alegre se passe au début du mandat deFogaça. L’événement se déplace ensuite de la capitale altermon-dialiste pour aller au Venezuela, au Mali et au Pakistan (cf.synthèse)8. Le Forum social mondial était de retour au Brésil en2009, cette fois-ci à Belém dans l’État du Pará, en Amazonie.L’événement fut largement soutenu par le gouvernement del’État du Pará et particulièrement par le secrétariat d’affairesinternationales de ce dernier. La fragilité d’une coopérationpassée sur des finalités et intentions politiques émerge et serévèle doublement problématique.

À Saint-Denis, un constat général indique que le budgetparticipatif perd du terrain9. Contrairement au grand enthou-siasme que la démarche a suscité auprès des habitants lors de sespremières éditions, de nos jours les délégués de quartier seplaignent de son mode de fonctionnement. Lors de la premièreréunion tenue à la mairie de Saint-Denis sur le budget participa-tif depuis les élections de mars 2008, les délégués des différentsquartiers font part de leurs déceptions10. Selon les représentantsdu quartier Delaney-Belleville (cf. carte 1), comme il a étéévoqué précédemment, c’est la forme qui n’est pas adaptée carelle reste trop technique et difficile d’accès pour les citoyens. De

8. Entretiens : Patrick Braouezec, Céline Daviet.9. Réunions en démarche-quartier et sur le budget participatif en mairie avec les repré-sentants de quartier.10. Réunion tenue le 27 mai 2008 au Bureau du Conseil municipal.

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même le représentant du quartier Cosmonautes insiste sur lanécessité de donner plus de souplesse à la démarche ; selon lui, ilest nécessaire de « faire rêver les citoyens ». Cependant, le rêve dePorto Alegre semble désormais achevé. La grande mobilisationet l’enthousiasme provoqués par la succession des Forums inter-nationaux à Porto Alegre, comme à Saint-Denis, sont retombés.

L’effet d’engrenage produit à Porto Alegre avec le budgetparticipatif ne s’est pas vérifié à Saint-Denis. Porto Alegre aréussi à incorporer différents secteurs d’activité au niveau localet international avec le budget participatif, ce qui n’est pas le casà Saint-Denis où le budget participatif amorcé reste de naturetrès technique et fondé sur une base fortement marquée par lecaractère consultatif. Des experts municipaux s’appuient sur lavie sociale de la ville et le protagoniste de la démarche est lamunicipalité et non le citoyen. Le budget participatif est unebranche de la démarche-quartier. Dans la démarche deSaint-Denis, il n’y a pas de délibération, mais une simpleconsultation et une prestation de comptes. Par conséquent, lamotivation des citoyens existe lorsqu’il y a un fort enthousiasme,mais elle s’affaiblit dans les situations contraires. Le budgetparticipatif requiert la volonté municipale pour exister, elle n’estpas revendiquée par le bas. Certes, des questions de nature insti-tutionnelle se posent dans le cas français. Malgré cela, la mobili-sation populaire est faible à ce jour.

La mise en place du budget participatif dans la ville françaiseest une conséquence des rapports entre Porto Alegre et Saint-Denis amorcés dans les années 1990. Le lien entre les deux villespermet l’augmentation des échanges entre la France et le Brésil,notamment entre les partis progressistes des deux pays. L’usagedu contact international sert de tremplin pour diffuser des idéesau niveau interne dans la politique française et pour essayerd’influencer celle-ci avec la diffusion des pratiques de démocra-tie participative locale plus profondes. L’adoption du budgetparticipatif par Saint-Denis est l’une des fenêtres d’entrée pour

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le dispositif en France dans un moment de questionnement surla démocratie représentative. Avec le déclin de Porto Alegre,faudra-t-il trouver un autre rêve ? Porto Alegre a sans douteoccupé une place cruciale dans les réseaux des villes mentionnésdans cette étude. Par ailleurs, le budget participatif a, dans unecertaine mesure, animé les débats au cœur des rencontres inter-nationales entre les municipalités. Porto Alegre ne détenant plusune position centrale, d’autres villes doivent prendre le relaispour maintenir le fonctionnement et donner suite aux activités.En ce qui concerne le budget participatif, il a été l’objet demodifications, d’adaptations, d’améliorations apportées pardifférentes villes, comme nous avons pu le constater dans lesrencontres que nous avons eues dans le cadre de cette recherche.Cependant, il reste encore beaucoup à apprendre sur lapoursuite des réseaux et sur l’évolution des politiques dedémocratie participative soutenues par ceux qui, à ce jour, necomptent plus sur un seul modèle, mais connaissent une plura-lité de nouvelles expériences qui entrent en concurrence.

Dans ce chapitre, nous avons insisté sur les enjeux locaux dela défaite de Porto Alegre et les effets que cet événement a eussur le plan externe. Les villes jouent sur un double terrain, localet international. Les municipalités sont confrontées à la réalitéde leurs territoires et doivent intégrer les orientations imposéespar les États et organisations internationales. Pour gagner duterrain sur la scène internationale, les villes s’organisent enréseaux. Elles échangent leurs expériences afin de mieuxrésoudre les problèmes urbains, certaines cherchent à s’imposerdans le réseau, notamment celles qui sont traditionnellementprogressistes.

De nos jours, les enjeux locaux ne peuvent être compris quepar rapport aux changements internationaux. Les villes setrouvent prises dans une double tension entre problèmes locauxet internationaux. Nous avons vu comment les élections à PortoAlegre ont influencé le réseau de villes et comment le budget

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participatif occupe une place centrale dans la campagne. Laparadiplomatie des villes provoque des changements à l’intérieurdes États. La démocratie participative est désormais devenueindispensable et si ce sont les organisations internationalescomme la Banque mondiale qui encouragent la pratique, lesmodalités de réalisation d’une «bonne démocratie participative »sont déterminées par les villes réputées expertes, comme PortoAlegre et Saint-Denis.

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Conclusion

Nous avons vu dans ce travail que, de nos jours, il est indis-pensable d’analyser l’imbrication du contexte international etlocal, afin de comprendre les politiques d’inclusion sociale etnotamment de démocratie participative. Les collectivités localeset leurs dirigeants participent à un double jeu. Subissant lescontraintes des États, des organisations supranationales et desgrandes organisations internationales, ils s’organisent en réseauxet se mobilisent. D’autre part, les dirigeants politiques doiventgarantir le suivi de l’exercice du pouvoir au niveau local. Letransfert est issu de cette tension.

Le cas du transfert du budget participatif de Porto Alegre àSaint-Denis est, à cet égard, exemplaire car la tension entre lesenjeux locaux et internationaux y est très intense. Le modèle dedémocratie participative de Porto Alegre devient une référenceinternationale ; il est à ce jour adopté par diverses collectivitéslocales, indépendamment de leur couleur politique. Située à lapériphérie de Paris, ville ouvrière, représentée par le Particommuniste depuis la Seconde Guerre mondiale, Saint-Denisest une ville de forte tradition politique en France. Son maire,Patrick Braouezec, est un homme politique singulier au sein duPCF qui souhaite marquer le parti d’une vision progressiste. Lemodèle de Porto Alegre apparaît comme un outil pour donner

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une nouvelle impulsion à la mairie communiste de Saint-Denis.La recherche de nouveaux idéaux et la réalisation d’une nouvelleforme d’aménagement urbain s’imposent et se combinent,Porto Alegre est le lieu de cette jonction : aussi les relations entreles mairies de Saint-Denis et de Porto Alegre se resserrent-ellesprogressivement.

Dans cette recherche, nous avons centré notre attention sur lacollectivité territoriale, qui est un acteur parmi d’autres dans leprocessus de transfert. L’espace du processus de transfertregroupe non seulement la collectivité locale mais également lesorganisations internationales, les institutions d’intégrationrégionale, les groupes de pression spécialisés, les médias, lesfondations, les associations, etc. Le fait d’analyser le transfert àpartir de la perspective de la collectivité territoriale trace cepen-dant les limites de notre étude, mais c’est le résultat de notrepremière approche sur le terrain car c’est grâce à la possibilité deréaliser un stage que nous avons pu avoir accès à la plupart denos sources, dans un premier temps à la mairie de Porto Alegre,ensuite à celle de Saint-Denis. Notre proximité avec le personneladministratif, les représentants politiques et les citoyens engagésnous a permis d’avoir une pluralité de points de vue et une richediversité de sources pour la réalisation de notre enquête.

Il est intéressant de noter que, dans les écrits consacrés à ladémocratie participative, il est courant de faire référence au sujetde la circulation des modèles, alors que le transfert comme objetd’étude est rarement privilégié par les chercheurs. La lecture dela démocratie participative se fait toujours en priorité à partir del’analyse des dispositifs, de son dessein institutionnel etconcerne les questions de délibération et d’espace public.D’autres approches se font jour à partir de la lecture des disposi-tifs participatifs par le prisme des projets politiques comme, parexemple, les derniers travaux de Dagnino et al. Une autreapproche de la démocratie participative est celle de DavidRecondo qui cherche à voir dans quelle mesure l’État provoque

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un changement dans les cultures locales par la mise en place desdispositifs participatifs.

Les politiques d’inclusion sociale et de démocratie participa-tive ne sont pas prises en compte par les travaux sur les transfertsqui privilégient d’autres types de politiques publiques. Dansnotre étude de cas, nous avons réalisé une jonction de ces deuxapproches de transfert politique et de démocratie participativepour analyser un transfert sud-nord. Certes, d’autres perspec-tives sont intéressantes pour observer la circulation du savoir,comme celle de la sociologie des élites, par exemple. Une autrefaçon d’observer les transferts est de les considérer à partir de laconstruction sociale d’un espace de consensus et de son imposi-tion hégémonique par les effets des relations transnationales[Dezalay et Garth, 1998].

Notre travail portait sur un premier volet des transferts, unmodèle de démocratie participative originaire d’un paysémergent, mais d’autres questions restent en suspens. Lapremière analyse qu’il serait nécessaire d’approfondir est latechnicisation des démarches participatives sur laquelle lesprojets politiques s’appuient et se construisent. C’est l’approcheadoptée dans un travail de sociologie politique, «Gouverner parles instruments » de Le Galès et Lascoumes. Un autre angle égale-ment intéressant est l’étude de la circulation des modèles à partirde la sociologie des organisations, afin de voir comment laBanque mondiale et l’ONU parviennent à sélectionner lemodèle de Porto Alegre et comment ces organisations contri-buent à la diffusion du budget participatif à l’échelle mondiale.Une dernière perspective est celle de l’imbrication des universi-tés et des dispositifs participatifs, dans un contexte de coopéra-tion interuniversitaire progressive. Il serait certainementfructueux de se pencher sur la circulation du savoir et sur sonutilisation par les experts de la participation ainsi que sur lacirculation des étudiants et des chercheurs vers les postesd’expertise dans les collectivités territoriales.

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Une autre façon d’explorer les enjeux concernant la circula-tion des dispositifs de participation consiste à mesurer l’impactdes idées. Dans le domaine de l’analyse des politiques publiqueset de l’étude des relations internationales, ce type d’approchegagne progressivement du terrain, principalement à la suite destravaux d’orientation néo-institutionnaliste [cf. Goldstein etKeohane, 1993 ; Hall et Taylor, 1997]. En effet, les idéesdonnent forme aux activités promues par les êtres humains ;elles font partie de la vie politique et influent par conséquent surles politiques publiques. Mécanismes et conditions structurentla circulation internationale des idées, le rôle des acteurs étantfondamental.

Nous espérons avoir montré l’importance d’une étude sur lestransferts et sur la circulation des modèles politiques, pourcomprendre les politiques publiques de participation et d’inclu-sion sociale. C’est là un terrain qui demanderait à être plusexploré par les recherches en sciences sociales. Nous avons puobserver que le transfert du budget participatif de Porto Alegre àSaint-Denis est le fruit d’une stratégie de coopération politique. Ilse développe dans un contexte de rapprochement progressif desrelations entre l’Europe et l’Amérique latine. Saint-Denis avaitdéjà adopté une démarche de démocratie participative à l’époquedu transfert. Cela dit, importer le modèle de Porto Alegre sert àdonner encore plus de légitimité à la démarche participative deSaint-Denis. Le rapprochement entre ces deux villes est trèsimportant pour Saint-Denis qui s’affirme comme une ville d’idéesnouvelles et de nouvelles valeurs en France. La coopération estégalement importante pour Porto Alegre, son modèle gagne alorsde la reconnaissance au niveau européen, ce qui valorise la villebrésilienne et plus encore le Parti des Travailleurs.

Dans un travail de thèse, nous envisageons d’élargir l’échan-tillon d’analyse, en proposant une étude de cas sur le Brésil. Lemodèle de Porto Alegre n’a pas été le seul à avoir été l’objet detransfert. D’autres expériences brésiliennes ont également été

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porteuses d’innovation et sont considérées comme source d’ins-piration pour des dispositifs de démocratie et de participationmis en place ailleurs. Le Brésil est devenu, au cours des deuxdernières décennies, un laboratoire d’expériences participativeset a développé des techniques sophistiquées de participation,plusieurs villes petites et moyennes mettant en œuvre leursprogrammes de démocratie participative, souvent avec la colla-boration des experts techniques travaillant au sein des ONG. Auplan international, les villes exercent une forte action externe. Laville de Belo Horizonte par exemple, est en relation avec larégion Poitou-Charentes. Si Porto Alegre a réussi à acquérir unereconnaissance internationale rapide grâce à la notoriété dubudget participatif et à la permanence du PT au pouvoir, larégion de São Paulo, connue pour son poids économique, asuscité peu d’intérêt pour ses pratiques sociales jusqu’à présent.Toutefois, c’est dans les villes industrielles de la périphérie deSão Paulo comme São Bernardo do Campo que le PT s’estforgé. De nos jours, São Paulo, mais aussi d’autres mairies duPT comme Santo André et Guarulhos, sont très impliquéesinternationalement dans les forums pour l’inclusion sociale.

La participation s’étend progressivement dans les domainesles plus variés de la vie des individus et dans une même propor-tion, elle concerne l’urbain, le rural et pour le Brésil, les popula-tions traditionnelles comme les Indiens. L’objectif de nosrecherches futures est de nous pencher sur les dynamiques detransferts d’idées et de technologies de gouvernance participa-tive depuis le Brésil. Il s’agira d’explorer les mécanismes à partirdesquels les dispositifs de participation se sont forgés dans lesdifférentes expériences et la façon dont ils sont mis en circula-tion. Travail long et complexe qu’il faudra réaliser à partird’entretiens et d’une solide expérience de terrain.

En janvier 2009 a eu lieu à Belém une nouvelle version duforum social mondial, de retour au Brésil. C’était une opportu-nité pour relancer le réseau FAL, qui s’est penché sur des théma-

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tiques environnementales, ainsi que sur la question de l’inclu-sion sociale. Un Forum pour les autorités locales de l’Amazonieest né à cette occasion, le FALA. Ce dernier a pour objectif derapprocher les autorités des villes dans les différents pays de laforêt amazonienne. Considérant par ailleurs que la région doitaffronter des problèmes qui lui sont propres, une coopérationimportante et le transfert de techniques de gouvernance sontenvisagés. Le forum social mondial de 2009 a été une façond’étendre le réseau de villes à des espaces fertiles mais encore peuexplorés qui sont de grande importance dans un contexte inter-national où la préoccupation pour la conservation de la natureprend une place primordiale.

Depuis le déclin de Porto Alegre, la recherche d’un nouveaumodèle de démocratie participative est une réalité qui sedéveloppe. Peut-on parler de concurrence entre les modèles ? Dequelle façon s’articulera le nouveau modèle et quels seront sespriorités et les effets envisagés ? Comment Saint-Denis et lesvilles françaises réagiront-elles à ce changement de cap ?Beaucoup de questions restent encore ouvertes, d’où la nécessitéde fertiliser ce champ de travail. En 2010, le forum social étaitde retour à Porto Alegre, c’est l’édition qui fêtait une décenniede l’événement. Cette fois il n’y aura pas d’espace de conver-gence comme les autres années, mais l’événement se déroulerade façon décentralisée au cours de l’année dans différentesrégions au monde. À Porto Alegre le scénario est autre parrapport à la première édition car la mairie continue sous l’égidede José Fogaça qui a remporté les élections en 2008 et exerce sondeuxième mandat. De nouvelles luttes politiques s’ouvrent etl’espace international, sans doute, constituera le champ debataille. Pour les sciences sociales en général, et pour la sciencepolitique en particulier, les transformations à venir représententun terrain de recherche très fécond.

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3/ Collectivités territoriales,

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Rapports et Actes

Grupo de Trabajo n° 3, Creación de una ficha de Buenas Prácticas enparticipación ciudadana en el ámbito del gobierno local, OIDP, nov.2006.

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Informe técnico Intermedio, URB-AL Proyecto común ALR/B7-3110/2000/021/R3-B104 : « Observatorios Locales de DemocraciaParticipativa », mars 2006.

Forum européen des autorités locales : Saint-Denis, 11-13novembre 2003, Actes, PSD, Presses Delta Graphique Service àMontreuil, 2004.

Les démarches-quartiers : bilan 2002-2003. Synthèse, l’expression desacteurs, analyses et commentaires, Ville de Saint-Denis, Secteur desétudes locales, janvier 2004.

Règlement du concours de 2010 de la Ve édition de la DistinctionOIDP «Bonne pratique en participation citoyenne » encouragée parles gouvernements locaux, OIDP, 2010.

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Principales sources Internet

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• ONG Guayí : www.guayi.org.br/• Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica (IBGE) :

www.ibge.gov.br• Universo on-Line (Folha de São Paulo) : www.uol.com.br• Le Monde : http://www.lemonde.fr/• Mairie de Porto Alegre : www.portoalegre.rs.gov.br• Mairie de Saint-Denis : www.ville.saint-denis.fr• Mercocités : www.mercocidades.org

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Liste des personnes rencontrées et interviewées

au cours de l’enquête de terrain

Céline Daviet • chargée de mission « relations internationales » PlaineCommune, mars 2008.

Christine Ballavoine • sociologue, responsable au secteur des étudeslocales, Mairie de Saint-Denis, avril 2008.

David Gallardo • chargé de mission démarches-quartiers Saint-Denis,février 2008.

Elise Roche • chargée de mission démarches-quartiers Saint-Denis,avril 2008.

Felicia Medina • responsable de la région Amérique latine, Cités UniesFrance, entretien réalisé à Paris le 21/02/2008.

Irma Miranda da Rosa • conseillère du département Nordeste auBudget participatif de Porto Alegre, juillet 2007.

João Luis Braga • coordinateur, thématique économie et imposition,administration du budget participatif de Porto Alegre, juillet 2007.

José Padilha • responsable de l’ONG FRACAB, association pionnièreà Porto Alegre, entretien réalisé à Porto Alegre le 12/07/2007.

Karine Dubreuil • chargée de mission « relations internationales »Saint-Denis, avril 2008.

Marie-Christine Gimenez • directrice des démarches-quartiers, Saint-Denis, entretien réalisé à Saint-Denis le 30/11/2007.

Marie Virapatirin • ancienne responsable d’URB-AL Réseau 3,Mairie d’Issy-les-Moulineaux, entretien accordé à Yann Baudelocq etOsmany Porto de Oliveira, à Paris, le 15/03/2007.

Marion Gret • politologue, auteur de la première thèse en France sur lebudget participatif de Porto Alegre, mai 2008.

Patrick Braouezec • ancien maire de Saint-Denis, président de PlaineCommune et député (PCF), entretien réalisé à Saint-Denis le19/03/2008.

Paulo Silva • coordinateur du budget participatif de Porto Alegre,entretien réalisé à Porto Alegre le 12/07/2007.

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