la littérature catalane de catalogne nord, 1970-2000. essai d'approche bibliométrique

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1 LENGAS, 52, 2002, p. 87-115 CNRS Université Paul Valéry - Montpellier III Marie GRAU Université de Perpignan – IFCT La littérature catalane de Catalogne-Nord, 1970-2000. Essai d'approche bibliométrique Il faut bien donner des titres aux articles 1 . Celui-ci doit quelque chose à Ph. Martel. Mais dans son « L'imprimé occitan au XIXe s. : essai d'approche quantitative » 2 , Philippe Martel partait de l'histoire de la littérature avec un propos historien très construit : mesurer la pénétration du Félibrige dans la littérature occitane. Je pars des livres, et je compte. De la bibliométrie donc, au sens où Guy Rosa en dit : « Quant à savoir ce que l'on compte, on ne peut le faire qu'en comptant, et en ayant affronté réellement le problème du calcul » et aussi « le profit heuristique du travail bibliométrique se mesure, du moins, aux questions qu'il permet de poser » 3 . Une manière d'affronter des problèmes et de chercher des questions sur ce dont il est question : une production littéraire éditée en langue catalane, et un espace géographique, politique et social dans lequel cette production s'écrit, se publie, circule et supposément se lit – que nous appelons par convention Catalogne-Nord, ou encore Roussillon. Ce travail repose sur la Bibliografia de Catalunya Nord 4 de Dolors Serra [BCN], sans laquelle il n'aurait même pas été pensable. Etabli “de première main”, selon des critères précis, en vue de l'exhaustivité, l'inventaire de Dolors Serra constitue une base d'une fiabilité idéale (que n'atteignent jamais les sources habituelles : dépôt légal, bibliographies nationales, statistiques de l'édition, catalogues...) pour ce type d'enquête quantitative. C'est donc la BCN qui fournit l'essentiel des chiffres, et les chiffres et les critères de sélection et de classement de la BCN qui commandent le parcours et la démarche de cet article. Démarche hésitante ; parcours inachevé. Ce n'est pas seulement à titre de comparaison que j'ai cherché à mesurer la production en français de Catalogne-Nord 5 . Mais les comparaisons que je crois indispensables d'établir (avec la production occitane, avec d'autres littérature bilingues et d'autres situations diglossiques en France, avec la Catalogne-Sud) sont remises à une étape ultérieure de cette 1 Je remercie les personnes qui se sont intéressées à ce travail, se sont prêtées à mes questions, m'ont communiqué des documents ou des données, dont beaucoup n'apparaissent pas ici en tant que telles mais qui ont guidé mon parcours. D'abord bien sûr Dolors Serra, en bibliographe et en personne, Brigitte Manera, Marie- Andrée Calafat et nos collègues du Cedacc et de la Médiathèque Municipale ; les libraires Mijo et Joan Miquel Touron de la Llibreria catalana, Roger Coste de la Librairie Coste-Torcatis, Jacques Granal de la librairie Privat ; l'éditrice Marie-Ange Falquès du Trabucaire ; Maria Barcons présidente de l'Òmnium Cultural Catalunya-Nord. 2 Lengas, 36, 1994, p. 39-61 3 dans Alain VAILLANT (éd.), Mesure(s) du livre. Colloque organisé par la Bibliothèque Nationale et la Société des Etudes Romantiques, 25-26 mai 1989, Paris, Bibliothèque Nationale, 1992, p. 298. 4 Dolors SERRA i KIEL, Bibliografia de Catalunya Nord, Prades, 2001. (Revista Terra Nostra ; 100) 5 voir Annexe

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LENGAS, 52, 2002, p. 87-115 CNRS Université Paul Valéry - Montpellier III Marie GRAU Université de Perpignan – IFCT

La littérature catalane de Catalogne-Nord, 1970-2000.

Essai d'approche bibliométrique Il faut bien donner des titres aux articles1. Celui-ci doit quelque chose à Ph. Martel. Mais dans son « L'imprimé occitan au XIXe s. : essai d'approche quantitative »2, Philippe Martel partait de l'histoire de la littérature avec un propos historien très construit : mesurer la pénétration du Félibrige dans la littérature occitane. Je pars des livres, et je compte. De la bibliométrie donc, au sens où Guy Rosa en dit : « Quant à savoir ce que l'on compte, on ne peut le faire qu'en comptant, et en ayant affronté réellement le problème du calcul » et aussi « le profit heuristique du travail bibliométrique se mesure, du moins, aux questions qu'il permet de poser »3. Une manière d'affronter des problèmes et de chercher des questions sur ce dont il est question : une production littéraire éditée en langue catalane, et un espace géographique, politique et social dans lequel cette production s'écrit, se publie, circule et supposément se lit – que nous appelons par convention Catalogne-Nord, ou encore Roussillon. Ce travail repose sur la Bibliografia de Catalunya Nord4 de Dolors Serra [BCN], sans laquelle il n'aurait même pas été pensable. Etabli “de première main”, selon des critères précis, en vue de l'exhaustivité, l'inventaire de Dolors Serra constitue une base d'une fiabilité idéale (que n'atteignent jamais les sources habituelles : dépôt légal, bibliographies nationales, statistiques de l'édition, catalogues...) pour ce type d'enquête quantitative. C'est donc la BCN qui fournit l'essentiel des chiffres, et les chiffres et les critères de sélection et de classement de la BCN qui commandent le parcours et la démarche de cet article. Démarche hésitante ; parcours inachevé. Ce n'est pas seulement à titre de comparaison que j'ai cherché à mesurer la production en français de Catalogne-Nord5. Mais les comparaisons que je crois indispensables d'établir (avec la production occitane, avec d'autres littérature bilingues et d'autres situations diglossiques en France, avec la Catalogne-Sud) sont remises à une étape ultérieure de cette 1 Je remercie les personnes qui se sont intéressées à ce travail, se sont prêtées à mes questions, m'ont communiqué des documents ou des données, dont beaucoup n'apparaissent pas ici en tant que telles mais qui ont guidé mon parcours. D'abord bien sûr Dolors Serra, en bibliographe et en personne, Brigitte Manera, Marie-Andrée Calafat et nos collègues du Cedacc et de la Médiathèque Municipale ; les libraires Mijo et Joan Miquel Touron de la Llibreria catalana, Roger Coste de la Librairie Coste-Torcatis, Jacques Granal de la librairie Privat ; l'éditrice Marie-Ange Falquès du Trabucaire ; Maria Barcons présidente de l'Òmnium Cultural Catalunya-Nord. 2 Lengas, 36, 1994, p. 39-61 3 dans Alain VAILLANT (éd.), Mesure(s) du livre. Colloque organisé par la Bibliothèque Nationale et la Société des Etudes Romantiques, 25-26 mai 1989, Paris, Bibliothèque Nationale, 1992, p. 298. 4 Dolors SERRA i KIEL, Bibliografia de Catalunya Nord, Prades, 2001. (Revista Terra Nostra ; 100) 5 voir Annexe

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recherche. De même j'ai dû renoncer à traiter les informations déjà recueillies sur l'aval de la production (diffusion, réception,…), trop fragmentaires. 1. ENTRE LANGUE ET LIVRE, L'ESPACE DE LA LITTÉRATURE Ce qui s'appelle “littérature” dans les décomptes et les tableaux qui vont suivre, c'est l'ensemble des notices classées Literatura par BCN (voir annexe). Soit la ligne noire qui court au ras du graph. 1 et qui représente en moyenne 12 à 13 % de la masse de la production nord-catalane (en grisé), détaillée en quelques courbes intermédiaires. On pourrait multiplier ces courbes, leur faire représenter à chacune une combinaison possible des traits objectifs (langue : catalane, française, bilinguisme ; littérature, non littérature ; lieu d'édition, espace de circulation : local, Catalogne-Nord, région, France, Catalogne-Sud ; origine et position géographique de l'auteur : exils, retours, enracinement, etc.) – il s'agit toujours d'écrit et de livre, il s'agit toujours de Catalogne-Nord. Ceci pour rappeler que lorsqu'on choisit de parler de littérature catalane en Catalogne-Nord (ou d'en compter les livres), on choisit quelques critères parmi d'autres, on découpe un champ dans une réalité complexe.

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cat CN 29 38 25 20 10 14 19 103 164 164

litt cat CN+H 21 39 36 26 19 17 31 44 77 124

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graph. 1

Avant de se demander ce que c'est que la littérature catalane de Catalogne-Nord, si et comment des textes littéraires en langue catalane produits dans ce pays trouvent leur place dans une littérature nationale catalane, il faut prendre la mesure de la géographie politique et du poids qu'elle pèse : sur la langue et sur la production d'écrit, bien évidemment, et ce sont des thèmes qu'aucune étude du fait littéraire ne peut éluder6 ; mais également sur l'édition et la 6 Et là force est de constater que l'on n'a pas pour le Roussillon l'équivalent des travaux menés par les sociolinguistes montpelliérains sur l'écriture (et l'histoire de l'écriture) minoritaire, voire, comme dit Christian Lagarde, l'écriture “bilingue” (cf. Des écritures “bilingues” : sociolinguistique et littérature, Paris, L'Harmattan, 2001). Je pense très particulièrement ici à Georg KREMNITZ, « Conditions psycholinguistiques et

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commercialisation, sur l'offre de lecture et l'accès au livre – tout le processus économico-social par lequel l'écriture (la création) devient à proprement parler un fait littéraire7. C'est un problème qui irrite les professionnels du livre catalan. Edité en Catalogne-Nord, un livre en catalan porte un ISBN en 2- qui signifie “francophone”. Publié en Catalogne-Sud, le même aurait eu un ISBN en 84- qui signifie “Espagne”. Il y a un droit commercial, une fiscalité etc. qui s'arrête aux frontières de l'Etat. Il y a des règles bibliothéconomiques internationales qui ignorent les langues non officielles des Etats. Le dépôt légal imprimeurs s'effectue pour les imprimeurs de la région à la Bibliothèque Municipale de Montpellier, qui ne ventile pas ses entrées par langue ou ville ou département d'édition, parce que ce n'est pas prévu par la Bibliothèque Nationale de France. Etc. Question d'Etat, de structures administratives et de normes internationales. Question d'échelle : les libraires de Perpignan8 non plus ne détaillent pas la part du catalan dans leur comptabilité, parce qu'elle est comptablement insignifiante. Dans la réalité du contexte économique, administratif, légal où il s'inscrit, dans ses conditions mêmes d'existence physique, le livre en catalan produit en Catalogne-Nord est un livre français et la littérature catalane de Catalogne-Nord, dans la mesure du moins où elle s'ancre dans un territoire français, est aussi une littérature régional(ist)e française, comme l'affirme sans la moindre malice la nomenclature du Cercle de la Librairie. Lorsque les Corses parlent de la littérature corse9, ils parlent de la littérature écrite par des Corses, en référence à une identité et un territoire corses, dans l'une ou l'autre langue. Les Occitans pour leur part ont une longue tradition de bilinguisme et d'(auto)traduction. Et l'on se souvient que, quand ils sont venus au secours de Roussillonnais pour publier des textes capitaux d'une littérature nord-catalane en panne de reconnaissance10, ils l'on fait avec la traduction française en regard – ce qu'aucun éditeur nord-catalan ne s'est plus avisé de faire11, avant que Jordi Pere Cerdà ne consente à se laisser arracher Paraula fonda, sens profond12. Pere Verdaguer exprime une idée bien familière aux catalanisants (et sans doute même aux francisants) de Catalogne-Nord en déclarant « aberrant » qu'on puisse se dire « catalan d'expression française »13. A vrai dire il a régné en Roussillon, depuis trente ans, une méfiance envers la traduction en français d'œuvres catalanes, comme si la qualité première de

sociolinguistiques de l'écriture occitane actuelle. », Vingt ans de littérature d'expression occitane, 1968-1988. Actes du Colloque international, Château de Castries, 25-28 octobre 1989, Montpellier, Section française de l'Association Internationale d'Etudes Occitanes, 1990, p. 17-25. A vrai dire, nous n'avons pas non plus vraiment d'histoire de la littérature catalane du Roussillon. 7 cf. Robert ESCARPIT, « La définition du mot “littérature”», in : Robert Escarpit (dir.), Le littéraire et le social : éléments pour une sociologie de la littérature, Paris, Flammarion, 1970. (Collection Champs), p. 271. « La création ne peut donc se définir en tant que littérature que comme un échange et par référence à un public donné qui participe à l'échange. » 8 Sauf, bien sûr la Llibreria Catalana, librairie spécialisée. 9 Christian PERI, « Dix années de création littéraire corse 1882-1992. Essai de bibliographie », Etudes corses, 1992, 38, p. 134-160 10 Josep Sebastià PONS, Conversa, Tolosa, IEO, 1950. (Messatges, 1) ; Jordi Pere Cerdà, Tota llengua fa foc, 1954 (Messatges ; 17) 11 A signaler le cas, unique si je ne me trompe, de Castell negre de Renada Laura Portet, dont une « version française de l'auteur » est sortie un an après l'original (1981), aux mêmes éditions du Chiendent. Et des démarches personnelles d'auteurs : Joan Morer par exemple qui écrit dans les deux langues et reste attaché à la formule de l'édition bilingue pour ses textes en catalan. 12 Jordi Pere CERDÀ, Paraula fonda, sens profond, Perpignan, Publications de l'Olivier, 1997. Texte et traduction (signée d'André Vinas) en regard. 13 Pere VERDAGUER, «Cap a una normalitat literària nord-catalana: el cas de la prosa narrativa», Entre llengua i literatura, Barcelona, Ed. de la Revista de Catalunya, 1993, p. 156-180. Voir aussi, du même auteur, «La literatura contemporània a la Catalunya del Nord», Jornades de la Secció filològica de l'Institut d'Estudis catalans a Perpinyà, 20 i 21 de maig de 1994, Barcelona-Perpinyà, IEC-Universitat de Perpinyà, 1995, p. 125-130.

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la littérature catalane en Catalogne-Nord était d'être le support, l'outil, le véhicule de langue –d'une langue qu'on s'employait à reconquérir sur les bases d'un didactisme et d'un purisme linguistique parfaitement en phase avec – pour ne pas dire tributaire de – l'énorme travail de normalisation, de “nationalisation” engagé au sud14. Peut-être faut-il penser qu'ainsi posée, pour des raisons d'efficacité pédagogique, en terme d'unité de la langue et de la culture, la question catalane de Catalogne-Nord se sera dérobée aux questionnements de l'autre langue (à la traduction et à la confrontation avec la littérature française). Le fait est que dans la perspective de la “normalisation” d'un espace unique de la catalanité (les Pays Catalans), rompant pour cela avec les options régionalistes et floralesques de la vieille lignée bilinguiste – que représentait encore tant bien que mal l'Académie du Genêt d'or –, la génération du catalanisme post-félibréen a pu donner paradoxalement l'impression d'évacuer la question du statut d'une littérature catalane de Catalogne-Nord. La contradiction entre une définition géographique et historique de Catalogne-Nord, (qui vise un territoire concret où le catalan est fortement minoritaire) et une définition linguistique15 (qui vise en quelque sorte la projection de « l'identité commune des pays où l'on parle catalan » sur ce territoire), ne se résout qu'au prix d'une tautologie, comme dans la préface de la BCN où le Catalunya Nord du titre s'explicite en « la part de la Catalunya històrica que forma avui dia Catalunya Nord »16. Ou de l'escamotage de l'incidence de la frontière sur l'identité même de ce pays, qui après tout ne peut se dire Catalogne-Nord que d'être séparé d'un sud par une frontière d'Etat. Peu importe du reste de quelle manière chaque génération constate ou élude ce trait spécifique de la littérature catalane de Catalogne-Nord : qu'elle se joue dans un champ de tension permanente entre une problématique régionale française et une dynamique sinon nationale, du moins d'aspiration (aux deux sens, actif et passif) de la capitalité culturelle barcelonaise. Espace symbolique, culturel..., référentiel des contenus ; espace politique et social de la légitimation –que la frontière structure. 2. EDITION, LITTÉRATURE, MILITANTISME : LA COUPURE DES ANNÉES 70 Depuis 1970, il s'est publié en Catalogne-Nord plus de livres de littérature catalane qu'au cours des soixante-dix années précédentes, et ils ont été écrits par un nombre double d'auteurs. De plus en plus d'écrivains produisant chacun moins d'œuvres. Cette dissymétrie, Pere Verdaguer l'observe ainsi : « Una cosa segura és que la Catalunya del Nord ha sofert un canvi radical, que és el d'una certa reconquesta de la llengua catalana escrita. El punt de

14 Mais il faut noter que, lui aussi, « l'occitanisme moderne, issu de l'Institut d'Estudis Occitans après la Libération, a été pendant longtemps réticent à la traduction en français, en partie parce que de cette façon le texte occitan pouvait devenir trop facilement une simple illustration du français […], en partie sans doute par opposition au Félibrige » (Georg KREMNITZ, art. cit.). Pour les fondateurs du GREC, qui se sont beaucoup inspirés des méthodes et des analyses des occitanistes, les deux raisons ont joué. En Catalogne-Nord, la critique du “felibrisme” est en grande partie une importation de l'occitanisme (et de R. Lafont) qui a pu fausser (ceci est une hypothèse) l'interprétation du floralisme spécifiquement roussillonnais. D'un autre côté, les rares auteurs nord-catalans d'expression française traduits en catalan, sont ceux qui “auraient pu” écrire en catalan, tant leur œuvre répond à l'idée qu'on se fait de ce que pourrait être une littérature catalane de Catalogne-Nord (Michel Maurette, mainteneur des Jeux Floraux section française – Barcelona, 1959 et Mallorca, 1963 ; et bien sûr Ludovic Massé « le plus catalan des écrivains français », dès après sa mort – Céret, 1982 et Perpignan, 1987), c'est-à-dire à la définition d'une “littérature régionaliste” ou “de terroir”. La traduction, parce qu'elle est le point de rencontre des langues et du texte, et en quelque sorte d'un désir des linguistes et d'un désir des écrivains, mériterait d'être étudiée pour elle-même. On se contentera ici de souligner que la « réticence à la traduction » a été particulièrement active en Catalogne-Nord. 15 voir le titre même de la BCN ou de l'article de Verdaguer plusieurs fois cité. 16 « La part de la Catalogne historique qui forme aujourd'hui la Catalongne-Nord ». BCN, p. 5.

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partida va ser la creació del Grup Rossellonés d'Estudis Catalans… »17, et le lien de causalité entre ce “progrès” dans l'ordre du littéraire et le militantisme linguistique est un topique de la critique actuelle. Il y a néanmoins une évidente symétrie. Pour les deux périodes, la production reste dominée de manière écrasante par le petit groupe des plus gros producteurs. Quel que soit le nombre des personnes capables d'écrire, celui des personnes capables d'élaborer dans la durée une œuvre d'un certain poids reste réduit. La « reconquête de la langue écrite » ne peut s'évaluer sur les seuls critères de la production littéraire. En contrepartie, les études littéraires doivent certainement s'émanciper d'un autre topique, celui du malheur de la langue, toujours quelque part entre perte et reprise. Non pas, bien sûr, que la littérature n'en soit pas tributaire – du moins ses auteurs (un Jordi Pere Cerdà typiquement, militant de la langue et de l'écrit, mais dont l'œuvre est de celles dont aucun bulletin de victoire ne saurait rendre compte). Les auteurs majeurs (présents à la BCN avec plus de 10 références18) de la période 70-99 sont : Jordi Carbonell, Jordi Pere Cerdà, Patrick Gifreu, Jep Gouzy, Joan Tocabens, Pere Verdaguer. A la période antérieure, ce sont Esteve Caseponce, Carles Grandó, Josep Sebastià Pons et Albert Janicot, tous auteurs dont l'œuvre en catalan reste quantitativement plus modeste que celle de leurs successeurs. Ce qui fait masse, ce n'est pas le volume de ces œuvres mais la multiplication des parutions auxquelles elle donne lieu. D'une part à cause des pratiques éditoriales de l'époque qui favorisent la publication en brochures, cahiers, d'autre part par le jeu des retirages et rééditions. Le cas de Caseponce est exemplaire ; c'est par les rééditions de ses Contes vallespirencs en fascicules séparés qu'il figure comme l'auteur le plus référencé de la BCN, alors qu'il est loin d'être l'écrivain le plus prolifique19. On touche évidemment ici aux limites de la pertinence de la bibliographie quantitative. Le voisinage de Janicot et de Pons dans une même catégorie statistique ne semble pas a priori devoir ouvrir une piste nouvelle aux études textuelles de la littérature. La définition d'une catégorie des “auteurs majoritaires” reste valide cependant pourvu qu'on la rapporte au substrat technico-économique où elle se constitue. La comparaison de la série Carbonell-Cerdà-Gifreu- Gouzy-Tocabens-Verdaguer et de la série Caseponce-Grandó-Pons-Janicot de cette manière aurait quelque chose à dire – non pas d'une valeur intrinsèque de la littérature, mais de sa valeur d'échange, économique et symbolique au sein d'un société donnée. En chiffres bruts (graph.1), la mutation des années 70 apparaît de manière évidente. Mais le profil des courbes invite à distinguer une phase intermédiaire entre le brusque accroissement de la production, qui survient dans la fin de la décennie, et une avant-guerre, marquée par un relatif parallélisme entre les séries. Les chiffres, on l'a vu, ne sont pas exactement comparables tout au long du siècle. Mais il est intéressant de noter, sur la période 1900-1939, la meilleure tenue relative de la production en catalan. Il est vrai que la BCN, en omettant les périodiques, donne une image un peu faussée de la production à une époque où la revue est un support privilégié de diffusion de l'écrit. Le contexte dans lequel s'inscrit la production catalane jusqu'à la fin des années 30, serait celui d'une d'économie culturelle de pénurie, avec une offre d'écrit rare en quantité et en diversité générique (prédominance de la littérature populaire ou traditionnelle). Peu de production, une consommation parcimonieuse, aux petites doses que supposent des éditions souvent réduites à un seul cahier, de textes déconnectés de

17 « Ce qui est sûr, c’est que la Catalogne-Nord a connu un changement radical qui est celui d’un certain degré de reconquête de la langue écrite. Le point de départ a été la création du GREC. » Pere VERDAGUER, art. cit. Le GREC s'est créé en 1960, en partie dans la dynamique du Mouvement Laïque des Langues Régionales, « en particulier pour faire appliquer la loi Deixone ». 18 Traductions exclues. Gifreu figure ici pour son œuvre de création, non pour ses nombreuses traductions du catalan ou en catalan. 19 23 citations dont 20 pour les 2 éditions barcelonaises successives (en 10 vol. illustrés) des Contes Vallespirenchs, qui dans leur première édition (Perpignan, 1907) ne représentaient qu'un volume de 200 p.

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toute actualité, souvent réédités20. Néanmoins, la régularité de cette production catalane, combinée avec la présence régulière de ces revues qui font place à l'expression catalane et à l'actualité sud-catalane, pourrait attester le bon fonctionnement d'un système – qu'il faudrait alors analyser avec des critères adéquats. Notamment comme expression d'un type de sociabilité qui trouve facilement ses correspondances au sud ; et en tous cas dans le cadre d'un rapport nord/sud relativement équilibré. Si l'effondrement des années 40 (la guerre, l'Occupation et les pénuries d'après-guerre) se marque dans une proportion comparable à la production nationale française, la reprise de la production nord-catalane semble anormalement retardée, lente et irrégulière, avec, notamment à partir du milieu des années 50, des pourcentages de progression inférieurs (graph. 2). L'édition extérieure (parisienne et/ou sud-catalane) vient compenser en partie une inertie qui semblerait ainsi davantage due à la faiblesse du milieu local qu'à l'inactivité des écrivains et intellectuels nord-catalans. Durant ces années 50-60, rappelons-le, Cerdà publie à Toulouse et à Mallorca, Pons à la Selecta et chez Gallimard, Verdaguer et Gomila chez Triangle (Barcelona) ; la collection « Tramuntana » est créée à Barcelona (ed. Barcino) ; du côté français, Bernadi, Maurette, Lloansi, Muchard, etc. (et même Pierre Verdaguer) publient à Paris – pendant que Josep Queralt exilé fait vivre tant bien que mal la maison barcelonaise Proa à Perpignan même. Pour l'édition nord-catalane, le bilan est en tout cas lamentable : à la fin de la décennie 1960, la production, dans toutes les catégories considérées, est encore inférieure à ce qu'elle avait été au début du siècle.

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graph. 2 Evolution de la production 1950-1984

Pere Verdaguer note, en historien de la littérature nord-catalane et mémorialiste du catalanisme contemporain :

Erem al començament dels anys cinquanta […] Els més pessimistes d'entre nosaltres opinaven que la llengua es perdria en l'espai d'una generació. Un moment clau, doncs. El nombre de publicacions, com ho subratlla Dolors Serra en un interessant estudi, passava per un mínimum

20 N'oublions pas qu'un des auteurs les plus lus est Oun Tal, (41 réf. au total dans BCN), dont on a le plus grand mal à suivre les rééditions et retirages.

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absolut. El moviment literari s'havia estancat en un felibrisme mediocre al qual només escapaven els millors, com Josep Sebastià Pons21

On pourrait objecter que du point de vue de la création littéraire, le moment où Josep Sebastià Pons sort de sa solitude pour rencontrer Jordi Pere Cerdà n'a rien de désolant ; ou encore qu'en fait de perte de la langue, beaucoup restait encore à faire… Mais la clé que Pere Verdaguer retrouve dans BCN, c'est le climat psychologique dans lequel s'est ancrée l'action de « reconquête de l'écrit » dont il a été lui-même l'un des moteurs. On peut faire un lecture différente de ces courbes tendancielles assez catastrophiques. Le marasme frappe tout autant l'écrit catalan que l'écrit français. Le ”félibrisme”, même et surtout en y incluant les connotations politiques et sociologiques qu'y met Pere Verdaguer, en soi ni cause ni effet, pourrait bien plutôt représenter un symptôme d'un état qui concernerait, au-delà de la littérature catalane, toute la société nord-catalane22. Le redressement qui s'initie dans la deuxième moitié des années 70 bénéficie d'abord au catalan, certainement à un moment où le GREC a réussi à imposer un renouvellement de la question catalane, et de l'identité catalane du Roussillon, mais certainement bien trop tôt pour y voir déjà les résultats de son action linguistique. En fait, ce redressement correspond à un phénomène éditorial assez largement européen, et particulièrement marqué en France. On a appelé « printemps des éditeurs »23 la brusque floraison d'entités éditoriales qui entrent en activité à partir de 1974. Le phénomène, pour ce qui nous intéresse ici, touche préférentiellement les marges de la traditionnelle capitalité parisienne de l'édition française, et les interstices du marché de grande consommation en vue duquel s'opère au même moment une première vague de concentration des industries du livre. Un peu plus de la moitié des nouveaux éditeurs (associations, éditeurs occasionnels personnels ou institutionnels, micro-structures bénévoles,…) sont implantés en province ; 39 % revendiquent le “régionalisme” comme une ou leur seule spécialité (nomenclature Cercle de la librairie)24. D'autre part, le décrochage des années 70 apparaît (graph.3) indépendant du traditionnel recours ou support que Perpignan trouve à Barcelona. Alors que de 1900 à 1969, l'édition sud-catalane a produit 36 % des livres nord-catalans25, elle n'en produit plus que 21 % au cours des trois décennies suivantes.

21 Pere VERDAGUER, « Jordi Pere Cerdà, premi d'Honor de les Lletres Catalanes. Discurs de Pere Verdaguer », Conflent, 1996, 197, p. 48-53. « On était au commencement des années 50 […]. Les plus pessimistes d'entre nous pensaient que la langue se perdrait en l'espace d'une génération. Un moment clé, donc. Le nombre des publications, comme le souligne Dolors Serra dans une intéressante étude [BCN], atteignait un minimum absolu. Le mouvement littéraire s'était sclérosé en un félibrisme médiocre auquel n'échappaient que les meilleurs, par exemple Josep Sebastià Pons. ». 22 Du reste Pere Verdaguer lui-même s'est employé au diagnostic : El Rosselló avui, Barcelona, Dalmau, 1969. 23 Jean-Marie BOUVAIST et Jean-Guy BOIN, Du printemps des éditeurs à l'âge de raison : les nouveaux éditeurs en France (1974-1988), Paris, Sofédis-La Documentation française, 1989. 24 Un autre décompte fait apparaître l'“histoire régionale” (20 %) au deuxième rang des “genres dominants”, au même niveau que le roman, suivi par l'“ethnographie régionale” (18 %), au même rang que la poésie, enfin la “littérature régionale” (14 %) – comme d'habitude dans les statistiques, sans précision de langue. 25 C'est la création de la collection Tramuntana (Barcino) sous l'inspiration première du roussillonnais Charles Bauby, qui provoque ce pic. L'édition est en grande partie réservée au marché nord-catalan. Par ex. sur les 800 ex de L'ocell de les cireres (1957) de Brazès, 500 réservés au nord contre 300 au sud. Les auteurs sont rémunérés en exemplaires. (ADPO 87J. fonds Bauby). Chiffres confirmés par Jordi Pere Cerdà en ce qui concerne ses propres œuvres.

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graph. 3 3. 1970-2000 : L'INSTITUTIONNALISATION DE LA LITTÉRATURE

graph. 4 Le graph. 4 permet de comparer l'évolution de la production roussillonnaise globale (quelle que soit la langue) et celle de la catalane (où qu'elle soit produite) à la production nationale française (statistiques du dépôt légal [DL])26. A cette échelle, l'“explosion” de l'activité éditoriale en Catalogne-Nord ne peut plus se lire que comme une mise à niveau d'une production qui n'avait jusque là jamais cessé d'être, non seulement très pauvre, mais surtout déconnectée de l'histoire et des rythmes de l'édition française27. Le changement s'inscrit trop

26 source : Bibliothèque nationale de France, Les statistiques de la bibliographie nationale française 1997-2000 [en ligne], Paris, BNF, [2001]. disponible sur www.bnf.fr/pages/zNavigat/frame/depotleg.htm [consulté le 15/12/2001]. Le service du Dépôt Légal de la BNF n'ayant pas répondu à mes courriers, j'ai complété avec données du DL citées dans Hervé RENARD et François ROUET, « L'économie du livre : de la croissance à la crise », L'Edition française depuis 1945, Paris, Cercle de la Librairie, 1998, p. 685. 27 Les années 1959-1972, si pauvres en Catalogne-Nord, sont qualifiées par Hervé Renard et François Rouet de « les glorieuses de l'édition françaises », « où les années de croissance [en chiffre d'affaire] à deux chiffres ne

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exactement dans le mouvement intellectuel de l'après-mai 68 et du « printemps des éditeurs » (et avec une réactivité notable puisque le phénomène est très précisément daté : 1974-1980), pour n'être pas le signe aussi d'une accélération de l'intégration des phénomènes culturels locaux dans un contexte et des modes d'action nationaux français. Après cette période de dynamisme passablement désordonné, l'édition en catalan atteint, au début des années 80, un rythme de production plus régulier en chiffres bruts, mais qui accuse sur la durée un essoufflement évident, et finalement une régression, pendant que la production en français progresse continûment (voir graph 1 chiffres bruts)28. a- la conquête de la prose Le trait dominant de la période 70-99 est bien celui d'une modification du rapport littérature/non-littérature dans la production, et du rapport des genres à l'intérieur de la littérature.

graph. 5

sont pas rares ». L'essentiel de la puissance éditoriale est parisienne et le Languedoc-Roussillon est à ce moment-là une des régions les plus pauvres en implantations éditoriales. Il n'y a pas nécessairement corrélation entre le chiffre d'affaire et le nombre de titres publiés (le seul qui intervienne dans cet article), mais la remarque reste éloquente. 28 Voir aussi l'enquête de Claire Paulhan sur la situation de l'édition et de la librairie dans les Pyrénées-Orientales. (Livre-hebdo, 8, 22 fév. 1984, p. 60-63). Elle y conclut que « La situation de l'édition et de la vente du livre en Catalogne apparaît donc bien pauvre. » La pauvreté s'entend ici par rapport à d'autres régions. Il est piquant, mais représentatif de l'esprit du temps, de voir la très institutionnelle revue du Cercle de la Librairie, nommer “Catalogne” le département des Pyrénées-Orientales.

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graph. 6 L'incidence de la littérature reste cependant bien marquée et constamment supérieure à ce qu'elle est pour la production en langue française (graph 5)29. Elle tend régulièrement à regagner le terrain tout au long de la période, passant de 33 % du total de la production catalane dans la décennie 70 à 55 % dans la dernière, où elle retrouve le niveau des années 60. Cette progression est en grande part due à la progression des genres de la prose, mais l'inversion du rapport prose/poésie, au courant des années 80 (graph 6) ne doit pas faire oublier la stabilité de la poésie dont il serait intéressant d'apprécier ce qu'elle doit à la persistance des pratiques traditionnelles (graph. 7)30. Il faut enfin garder présent à l'esprit que les chiffres considérés, sont sous-évalués par rapport à la réalité. Ne sont pas pris en compte en effet (puisque la BCN les omet) des publications périodiques anthologiques aussi importante pour l'histoire de la littérature roussillonnaise que sont les Almanachs (Almanac Català Rossellonès de la Veu del Canigó, 1921-1939 et 1950-1952, puis Almanac Català del Rosselló du GREC depuis 1975) et palmarès des Jeux Floraux (depuis 1923). Cette absence ne fausse pas gravement les résultats, dans la mesure où elle ne joue que sur la puissance de la couche “littérature”, pas sur son profil31.

29 Les bases de calcul sont explicitées dans l'annexe. 30 Et de comparer à la production française en Catalogne-Nord et catalane en Catalogne-Sud. A titre de comparaison, la poésie ne représente que 11 à 14 % de la production littéraire nationale française (DL 1997-2000). 31 cf. graph. 9

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graph. 7 La claire domination32 du groupe de 6 écrivains “majeurs” – majeurs en nombre de titres publiés, puisqu'il s'agit de ceux qui ont plus de 10 références dans BCN – : Jordi Carbonell, Jordi Pere Cerdà, Patrick Gifreu, Jep Gouzy, Joan Tocabens, Pere Verdaguer33 s'efface dans les années 90, à la fois parce que se multiplie le nombre des nouveaux écrivants, mais aussi parce que s'affirme la relève générationnelle (graph.8).

graph. 8

32 Les chiffres ne correspondent pas aux chiffres manipulés jusqu'ici, car il s'agit d'un décompte personnel, toujours à partir de BCN, mais avec d'autres critères : ne sont pas pris en compte les rééditions de textes antérieurs à 1970, ni les ouvrages anthologiques, etc.. Les chiffres sont à prendre comme des ordres de grandeur. 33 Tocabens cependant n'a rien publié dans la première décennie et Gouzy dans la seconde.

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De ces auteurs, seul Jordi Pere Cerdà a déjà avant 1970 la carrure d'un écrivain. Il a déjà publié et fait jouer ses œuvres théâtrales à des dates et chez des éditeurs qui le mettent en contemporanéité avec la génération d'avant-guerre des Pons, Gomila (Oc, Barcino), Gay, Brazès, (Barcino). Pere Verdaguer qui, d'une dizaine d'année plus jeune, commence à publier en 1966 (El cronomòbil, Barcelona), fait le lien avec la génération suivante, qui cette fois n'est pas une génération biologique, mais “linguistique”. Carbonell (né en 1920 comme Jordi Pere Cerdà) et Josiana Cabanas (1952) ont été formés à la JAEC, Portet (1927) qui a également publié des travaux d'onomastique, est passée par l'enseignement de Guiter à l'Université de Montpellier, etc. La phase 1970-1980, relativement médiocre au point de vue de la création littéraire, est bien la période d'intense activité de “reconquête de la langue”, articulée plus ou moins conflictuellement avec un catalanisme politique, qui, vu du côté bibliographique, se révèle un laboratoire de l'écriture de la langue. A côté des outils linguistiques que Pere Verdaguer écrit et publie à un rythme ahurissant, il faut compter son abondante activité journalistique ; pendant ce temps Jordi Pere Cerdà paralyse son travail de création pour investir sa plume dans les débats militants et surtout dans la vulgarisation de l'écriture et de la culture (à travers Sant Joan i Barres et Almanac català del Rosselló qu’il dirige, et par ses collaborations avec le chanteur populaire Jordi Barre et le Fanal Sant-Vicens). Il faut signaler aussi, dans cette dynamique, le passage au catalan d'écrivains en français (Joan Morer), ou l'effort d'un Gérard Vassalls rédigeant son grand œuvre d'épistémologue en catalan34. Mais le fait le plus marquant est sans doute l'arrivée d'une génération pour qui l'écrit catalan est découplé du désir d'écriture, et qui met en action ces préoccupations linguistiques en publiant en catalan ses travaux de recherche (notamment dans le cadre de ce qui n'est encore que le Centre Universitaire de Perpignan, où se constitue en décembre 1972 un Centre Pluridisciplinari d'Estudis Catalans…) – ou des analyses et programmes politiques. Ce n'est pas m'éloigner du sujet : le renouveau de la littérature catalane est indissociable du contexte intellectuel de l'après-mai 68 où le catalan se trouve investi d'une valeur de modernité et d'exemplarité, d'autant plus séduisante qu'elle est bien relayée par les médias nationaux. Politiquement, le travail des “conquérants de l'écrit” et des militants se rencontre avec une actualité qui place la problématique linguistique et nationale au confluent de deux puissants courants emblématiques d'un esprit du temps : le complexe régionalisme-anticolonialisme-autogestion de ce côté-ci de la frontière et la séquence luttes anti-franquistes-transition démocratique-autonomie de l'autre. Linguistiquement, comme langue minoritaire à “normaliser”, le catalan devient un laboratoire d'essai de théories sociolinguistiques et de méthodes pédagogiques en cours de vulgarisation. Rarement la société nord-catalane aura reçu de l'extérieur une image aussi positive de la langue catalane. b- la diffusion de l'écrit C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'arrivée d'une série d'œuvres exemplaires d'une sorte de mise à niveau, là aussi, de la littérature nord-catalane (la prose narrative à coup sûr, comme mode d'expression spontané, mais aussi une poésie libérée des codes formels et thématiques hérités35), des œuvres qui au fond justifiaient la validité du débat catalaniste par leur seule nouveauté, leur effet de rupture avec le “provincialisme” de la tradition littéraire

34 La ciència no pensa, Barcelona, Ed. 62, 1975. Vassalls (1910-1994) s'est particulièrement impliqué dans le débat linguistique, d'une part sur la récupération et la normalisation de la langue scientifique, notamment à la Universitat Catalana d'Estiu dont il fut président de 1973 à 1977 ; d'autre part pour promouvoir l'enseignement et la codification du dialecte roussillonnais. 35 Le premier recueil de Patrick Gifreu, justement sous-titré «Altra llengua, altra escriptura» fit l'effet d'une bombe. Patrick GIFREU, Fang tou, Paris, ed. de l'Agora, 1976.

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roussillonnaise36. Je renvoie à Miquela Valls qui, dans un bilan de cette émergence de la prose narrative, trace le portrait d'une génération d'écrivains marquée par le sentiment d'une responsabilité à l'égard de la langue et de l'« identité » catalanes et évoque le climat de connivence militante qui régnait au début des années 80 « …els nostres narradors saben que la col.lectivitat els necessita i els espera per a congriar-se »37. Cependant la question de ce qu'il en est de cette « collectivité » qui les sollicite, avec qui et pour qui ils sont écrivains ne peut se suffire d'arguments tirés de la seule analyse textuelle. Ce n'est pas au texte de dire son rapport à la collectivité, mais aux structures (bien concrètes) par lesquelles il circule (sous forme d'objet) et rencontre sa « nécessité ». Le fait est qu'au cours des années 80 se met en place un ensemble de structures et de mécanismes à tous les niveaux administratifs et en tous les points de la chaîne de l'écrit. Au niveau national et régional on a déjà parlé du “printemps des éditeurs”, qui devance de quelques années la réorientation de la politique étatique de l'éducation et de la culture et singulièrement du livre et de la lecture – à la faveur de la régionalisation et de la déconcentration administrative. Au niveau local, il faut signaler des initiatives “collectives” (associatives, institutionnelles) ou individuelles qui couvrent tout le champ, de l'édition à la lecture du livre. Qu'il me suffise d'évoquer rapidement quelques faits, dans un désordre volontaire car c'est l'effet structurant de l'ensemble qui importe. La petite librairie militante du Grup Cultural de la Joventut catalana (Catalunya Llibres, 1982) n'est pas plus négligeable que la politique “catalaniste” très personnelle du conseiller régional Jean Armengol. L'une aboutit, en 1987, à la création de la Llibreria catalana, pivot de la distribution du livre catalan (nord et sud) en Roussillon ; l'autre, au moyen de conséquentes subventions du Conseil Régional à l'éditeur barcelonais Columna, œuvre pour la reconnaissance de la littérature nord-catalane au Sud38. On ne saurait minimiser le rôle de l'imprimeur Michel Fricker, spécialiste de l'édition à compte d'auteur à bas prix39. La création des Llibres del Trabucaire en 1985 est l'événement éditorial le plus important de la période, par sa politique, ses méthodes, son professionnalisme. Mais on ne peut oublier ce que l'éditeur doit au monde du militantisme dont il est issu d'une part et d'autre part aux politiques institutionnelles (Ville, département, région, Generalitat, communautés européennes) d'aide au livre, à la lecture, à la diffusion de la langue – qu'il sollicite et éventuellement contribue à orienter. La création de Centre de Documentació i d'Animació de la Cultura Catalana (Ville de Perpignan) est l'autre pôle de développement du livre (Bibliothèque, créée en 1977, organisation de manifestations en relais parfois des programmes de promotion de la Institució de les Lletres Catalanes (Generalitat). Le mécénat privé ou d'entreprise n'est pas absent (Margarida de Descatllar, Modest Sabaté,…), notamment dans la dotation de concours littéraires organisés sous l'égide d'institutions (Ville de Perpignan, Òmnium cultural). Etc. Il serait intéressant d'inventorier, de décrire tous ces éléments et d'en analyser les articulations et le fonctionnement. C'est cet ensemble de faits et d'entités interdépendantes, c'est ce système, qu'évoque Jaume Queralt quand il parle d'institutionnalisation :

Il y a un travail considérable qui a été fait, ne serait-ce qu'au niveau de l'institutionnalisation d'une petite société catalane… Lorsque Jordi Pere Cerdà écrit dans les années 50 et lorsqu'il

36 … « un Roussillon tout neuf […]. Un Roussillon qu'il nous sera peut-être un jour donné de connaître […] plus jeune, plus vif (moderne ?) sans plus rien de rance, plus rien de provincial, mais toujours catalan. ». Gérard Mayen dans sa préface à Castell negre de Renada Laura Portet (voir n. 10). 37« Nos narrateurs savent que la collectivité a besoin d’eux et les attend pour se joindre à eux ». Miquela VALLS, «La realitat nord-catalana a la narrativa actual», Sant Joan i Barres, 92-93, hivern 1983-84, 79 p. Les narrateurs étudiés sont : Carbonell, Cabanas, Verdaguer, Tocabens, Portet. 38 Sous cette formule, seront édités ou réédités, entre 1988 et 1992, avec une qualité éditoriale jamais atteinte en Catalogne-Nord : J. S. Pons, Francis Català, Simona Gay, Jep Gouzy, et surtout Jordi Pere Cerdà. Columna a aussi edité aussi Gifreu et Portet. 39Jordi Carbonell publie chez lui quasiment toute son œuvre.

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écrit Passos estrets40aujourd'hui, le paysage littéraire a bougé. Aujourd'hui, la littérature nord-catalane, ça occupe des rayons de bibliothèques… c'est un phénomène historique, aujourd'hui on est capable de bâtir un colloque … parce qu'il y a un société qui s'est constituée, qui… s'est donné, qui cherche à se donner une conscience catalane.41

Un monde littéraire, qui va de l'écrivain en tant qu'acteur à une collectivité structurée par une conscience catalane, en passant par les rayonnages des bibliothèques. A ce point où mon enquête s'arrête sur le constat que la production en langue catalane diminue lentement mais sûrement, la question qui se pose est celle de la consistance et de la viabilité de ce monde. Citons encore Miquela Valls : « Vist en relació amb el nombre de lectors catalans en aquest país, hi ha una producció abundant, variada, moderna, sense complexos ni de llengua ni de textos en Catalunya Nord »42. L'offre littéraire excèderait donc la demande, en quantité et en qualité ou variété. Je prends l'assertion pour ce qu'elle est : l'appréciation d'une des personnes qui connaissent le mieux la réalité sociolinguistique et la vie littéraire de la Catalogne-Nord… et que l'on n'a guère, actuellement, les moyens d'infirmer ou confirmer. Le sondages que j'ai faits pour ma part auprès des libraires et des bibliothèques révèlent un tassement de la lecture publique, la versatilité du public, et d'utre part, des irrégularités très grandes entre les auteurs, ou si l'on veut, une diversification bien marquée des niveaux de reconnaissance. Sans préjuger des résultats que l'enquête commencée pourra donner, il n'est pas exclu que ces quelques notations ne soient que très banales. Après tout, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le comportement du public de la littérature catalane en Catalogne-Nord se rapproche des comportements consuméristes qui caractérisent le rapport à la culture dans les pays développés. Et que la condition posée par Quéralt d'une « société qui cherche à se donner une conscience catalane », ne soit plus aussi pertinente qu'elle l'a été dans le passé. Du reste l'argument qu'il avance, de l'existence d'un colloque universitaire sur un écrivain nord-catalan, est à double tranchant. Ce colloque, qui en effet aurait été impensable 10 ou 20 ans auparavant, n'a pas suscité de mouvement d'adhésion à la célébration d'une personnalité unanimement reconnue dans le monde catalan – comme ç'aurait pu être le cas dans les années 80. Bien plutôt, il aura permis de mesurer la désaffection des jeunes catalanisants et écrivains nord-catalans à l'égard de Jordi Pere Cerdà (de sa génération, de son esthétique, de ses positions idéologiques ?), et, à tout le moins, de rappeler les clivages qui parcourent cette « société » et cette « conscience catalane ». Un dernier recours aux chiffres pour montrer que l'intégration de l'édition nord-catalane aux normes de fonctionnements nationaux, voire internationaux s'est poursuivi. Le graph 9 montre le poids grandissant des éditeurs sur la production, au détriment des modes de publication traditionnels, et notamment revues et autoédition – qui n'ont cependant pas beaucoup diminué en chiffres bruts. Il faut entendre par là : professionnalisation et dépendance accrue à l'égard des politiques locales de promotion du livre – ou plus exactement, collaboration acceptée. Le livre catalan en Catalogne-Nord est de plus en plus français. L'édition de la littérature catalane devient ainsi une spécialité commandée par une politique éditoriale de plus en plus « raisonnable »43, la filière dite “régionalisme” (la production non littéraire d'œuvre concernant le pays) étant dévolue au français. 40 Passos estrets per terres altes, Barcelona, Columna, 1998. Jordi Pere Cerdà a obtenu les Premi nacional de cultura 1999 pour ce roman 41 Dans le feu d'une intervention au Colloque Jordi Pere Cerdà (organisé par l'ICRESS et le Grup Català d'Estudis Rossellonesos, Osseja-Llívia, 28-30 septembre 2001). 42 Intervention au Colloque Jordi Pere Cerdà 43 Pour reprendre l'expression de BOIN et BOUVAIST, op. cit.

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c- vers une littérature affranchie ? Perpinyhard44, paru en 1995, est à lui seul un symptôme de l'évolution de la littérature catalane ces dernières années, et aussi de son contexte. Il s'agit d'un recueil de nouvelles écrites par 5 jeunes auteurs sensiblement du même âge (Joan Lluís Lluís, Miquel Sargatal, Gerard Jacquet, Alex Renyé et Joan-Daniel Bezsonoff, nés vers 1960). Sous le procédé du pseudonyme collectif, le recueil se présente en quelque sorte comme le manifeste d'une école, ou du moins d'une génération d'autant plus “nouvelle” bien sûr qu'elle s'emploie à marquer sa distance avec la précédente, autant par le genre et les thèmes choisis (roman noir, dirty novel, érotisme – hard, comme le titre l'indique), que par la liberté à l'égard de la langue (revendication du dialecte). Mais le fait qui me paraît ici le plus remarquable, c'est que ce recueil est une commande d'un éditeur (Trabucaire), et qu'autant que la capacité de renouvellement de la création catalane, il permet d'observer un aspect de cette « institutionnalisation » dont parle Quéralt. Parlant de la situation de la littérature de Catalogne-Nord en 1990, Miquela Valls remarquait : « Avec eux [les narrateurs nord-catalans actuels], c'est de rattraper le temps perdu qu'il s'agit, d'écrire ce qu'on est soi, ici et maintenant, par besoin de vivre… »45. C'est-à-dire rattraper le temps perdu au temps de la reconquête de la langue, pour faire de la langue enfin l'outil ou la matière de l'expression individuelle, se libérer des soucis de la militance (et de la responsabilité devant la collectivité) pour, tout simplement, faire de la littérature. Et il n'est pas indifférent que la phrase soit extraite d'une préface (en français) à un recueil de “nouvelles nord catalanes” sans distinction de langue. Pour une fois, la littérature nord-catalane était envisagée en tant que fait littéraire global, centré sur le seul fait qu'il s'agit de littérature et d'auteurs liés à un espace géographique. Dans le cas de Perpinyhard, un éditeur intervient directement dans la création affirmant la place qu'il occupe ou entend occuper dans le système de la littérature nord-catalane, en fixant à un groupe d'auteurs qu'il choisit un cahier des 44 Emili XATARD, Perpinyhard, Perpignan, Trabucaire, 1995, 131 p. 45 Préface à « Nouvelles de Catalogne Nord », Brèves. Actualités de la nouvelle, 1991, N° 36.

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charges qui correspond à sa propre politique éditoriale. Le cahier des charges combine l'un des traits de “modernité” littéraire (thèmes “urbains”, intérêt pour les phénomènes communautaires et les langages marginaux), et l'un des traits de la littérature régionale (référent géographique et social directement identifiable et “identificatoire” pour le public visé). On retrouve là la définition que se donne le Trabucaire en tant qu'éditeur régional et éditeur de littérature catalane, comme deux fonctions complémentaires, mais susceptibles d'exiger des stratégies séparées :

L'editorial té una certa idea de la cultura, a saber que la cultura catalana que es produeix a la Catalunya nord (en català i en francès) i la producció en occità ha de ser l'expressió dinàmica d'un poble viu, i situar-se en un alt nivell de qualitat46.

L'un des auteurs de Perpinyhard, Joan-Lluís Lluís s'était déjà fait connaître en 1993 par un roman en rupture avec la thématique régionaliste. La parution de Els ulls de sorra47 représente pareillement une date remarquable dans l'histoire de la littérature nord-catalane : pour la première fois, un écrivain nord-catalan situait d'emblée son ambition littéraire sur le marché catalan, s'économisant l'étape, inquestionnée jusque là, de la légitimation locale48.

Quan escrivia la primera novel.la, pensant a publicar-la, ho volia fer a Barcelona, que consideri que és el lloc de la normalitat quant a la literatura. Vaig enviar, doncs, per correu a unes quantes editorials el manuscrit d'El ulls de sorra, […]. No coneixia absolutament ningú d'aquest món. I va funcionar. La Magrana em va dir que sí, i així van començar els primers contactes49.

Ces quelques notations éparses ne font pas une analyse, mais ouvrent une perspective. Il serait possible d'envisager que la décrue de la production en catalan et le repli sur la littérature loin d'être une régression, accompagnerait une mutation. On assisterait à une reconfiguration de l'espace et des références de l'écrit catalan en Catalogne-Nord autour de la littérarité des textes et de la figure de l'auteur50. Il y aurait ainsi un déplacement des enjeux de pouvoir de l'amont (politiques de la langue et de l'“identité”) à l'aval (marché de la légitimité). La tension littérature régionale/nationale catalane pourrait ainsi s'ouvrir à l'espace d'une “catalanophonie”. Cela ne signifie nullement la disparition de la frontière, mais au contraire la différentiation de deux blocs géographiques autocentrés, deux systèmes littéraires51. Le passage de l'un à l'autre serait le fait d'œuvres et d'auteurs individuels, en fonction d'opportunités du marché ou de stratégies éditoriales. …Non seulement il n'est pas sûr que le Premi d'Honor de les Lletres Catalanes, attribué à Jordi Pere Cerdà la même année que la publication de Perpinyhard (1995), ait rompu « avec 46 « L’éditeur se fait une certaine idée de la culture, à savoir que la culture catalane qui se produit en Catalogne Nord (en catalan et en français) et la production en occitan, doivent être l’expression dynamique d’un peuple vivant et se situer à un haut degré de qualité. » (http://www.trabucaire.com). Le site internet des éditions du Trabucaire est trilingue. Les catalogues catalans (± 70 titres), occitan (une dizaine), français (± 90 titres) sont présentés dans leurs langues respectives, sans traduction dans les autres. La profession de foi citée ci-dessus ne figure qu’en catalan. 47 Barcelona, La magrana, 1993. 48 Signalons tout de même le cas de Jordi Carbonell qui n'a été réellement perçu en Roussillon qu'à partir du premi Sant Jordi (1978) pour Un home qualsevol (Barcelona, Proa, 1979). 49 Joan-Lluís Lluís, «Cal donar dignitat literària al rossellonès» [entrevista amb Pere Codonyan], El temps (València), 15 d'abril de 1996, p. 78 50 C'est encore ce qu'affirme le Trabucaire : (je traduis) « L’éditeur est particulièrement attentif à la normalisation du statut de l’écrivain nord-catalan. Celui-ci a sa spécificité du nord dans l’ensemble des écrivains catalans, mais aussi, comme auteur d’expression catalane dans un espace d’expression française. L’auteur nord-catalan, l’auteur occitan n’ont pas de frontière ; ils doivent être reconnus comme catalan ou occitan et comme écrivain. ». cf. note 44. 51 Cette réflexion s'inspire de J.M. KLINKENBERG, « Pour une étude de l'institution littéraire en Belgique francophone », Ecriture française et identifications culturelles en Belgique, Colloque de Louvain-la-Neuve, 20 avril 1982, Louvain, CIACO, 1984, p. 26-48.

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l'habitude de ne pas poser le problème du Roussillon »52, mais il est possible que la “normalisation” de l'accès au marché sud-catalan d'auteurs du nord puisse contribuer à la perpétuer.

52 Comme l'espérait le récipiendaire dans son entrevue avec Quim Aranda, Avui, 9 juin 1995.

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ANNEXE Méthode La Bibliografia de Catalunya-Nord [BCN] de Dolors Serra i Kiel, bibliothécaire au Centre de Documentació i d'Animació de la Cultura Catalana (Perpignan) a été établie dans une optique patrimoniale, celle d'être la contribution nord-catalane à une bibliographie nationale catalane. Les 1111 notices, détaillées, sont présentées par ordre chronologique en 4 sections : 1/ «Llibres publicats a Catalunya Nord» ; 2/ «Llibres d'autors nord-catalan publicats fora de Catalunya Nord» ; 3/ «Traduccions al català publicades fora de Catalunya Nord» ; 4/ «Números monogràfics de revistes». La BCN, publiée d'abord à Barcelona en 199653, a été rééditée par Ramon Gual dans sa collection Terra Nostra54. J'utilise évidemment cette seconde édition, corrigée et augmentée jusqu'en 1999. Mon travail a consisté à sélectionner les notices qui intéressent mon propos, puis à les compter, de la manière la plus “objective” possible, c'est-à-dire, de manière à ce que le lecteur puisse toujours vérifier mes données en se reportant à la BCN. Les graphiques étant toujours chronologiques, je n'ai pas pris en compte les titres non datés (notices 192 à 205 et 751 à 754 de BCN) Le propos étant la littérature nord-catalane, je n'ai pas pris en considération des titres publiés à Perpignan entre 1951 et 1964 par les éditions Proa en exil. C'est le seul critère objectif que j'ai trouvé pour corriger l'incidence de cette production de l'exil sur les chiffres de la production nord-catalane à des périodes de très faible activité éditoriale. J'ai également négligé la section 3 (traductions) D'autre part, Dolors Serra n'a considéré que les numéros monographiques de revues («Números monogràfics de revistes»). Ce choix, parfaitement justifié dans la perspective qui est la sienne, présente le défaut de faire disparaître du paysage bibliographique des séries aussi significatives pour l'histoire de la littérature et de l'écrit nord-catalan que les publications annuelles des Jeux Floraux et l'Almanach Català del Rosselló. J'ai renoncé à les intégrer à mes décomptes ; je les traiterai à part. En revanche, j'ai rajouté la petite collection d'Aïnes (5 n° de 1974 à 1981), publication du Centre Pluridisciplinari d'Estudis Catalans de l'Université de Perpignan, dont l'absence me paraissait regrettable, dans la mesure où elle tronquait la production universitaire d'une série importante. Pour le reste, les décomptes suivent les critères de la BCN. Le chiffrage de la production en langue française est en revanche de ma seule responsabilité. En l'absence de bibliographie comparable à la BCN, je me suis basée sur le fonds local de la Médiathèque Municipale de Perpignan, bien proche de l'exhaustivité pour les 30 années qui nous intéressent ici, et surtout pourvu d'un catalogue d'une remarquable qualité55. J'ai tout simplement feuilleté le catalogue par ville d'édition, trié à vue les notices en suivant les critères BCN, et compté, année par année. Pour l'édition en Catalogne-Nord, j'ai sélectionné les villes de Perpignan, Céret, Prades, Saint-Estève (imprimerie Fricker) et Marcevol (éditions du Chiendent). Je n'ai pris compte ni les éditions Car rien n'a d'importance (Perpignan), ni la jeune maison des Editions de l'Agly (Saint-Paul de Fenouillet) dont la production ne concerne pas la Catalogne-Nord. Pour la production “hors de Catalogne-Nord”, je n'ai considéré que les titres édités à Paris. Les chiffres obtenus sont nécessairement approximatifs, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas toujours aisé de décider si un auteur est ou n'est pas nord-catalan… et ils sont invérifiables. Il faut les interpréter comme des ordres de grandeur vraisemblables. Mais dans ce type de travail, voué de toute manière à l'imperfection (la faiblesse des valeurs manipulées – et ces manipulations sont susceptibles de combien d'erreurs !– entraîne des marges d'incertitude très fortes), la cohérence des sources et des modes de calcul vaut autant que la précision des chiffres. Et de ce point de vue, l'utilisation d'une seule bibliographie, exhaustive (BCN), analysée en une seule fois selon des critères formels simples (et par la même personne), est, au moins, une garantie de cohérence. Restent les erreurs que j'ai pu commettre, de calcul, d'appréciation, de méthode… Il s'agit d'un travail en cours, et toute critique sera bienvenue.

53 Barcelona, Publicacions de l'Abadia deMontserrat, 1996, 209 p. (Biblioteca Serra d'or ; 159) 54 n° 100, 2001. 55 Accessible en ligne à partir du site de la Médiathèque : http://www.bm-perpignan.com/

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Légende des graphiques – Cat CN = “Production catalane de Catalogne-Nord” = Llibres publicats a CN sauf : titres non datées (notices 192 à 205), éditions Proa, traductions ; plus Collection Aïnes. – Cat H = “Production catalane hors CN” = Llibres d'autors nord-catalan publicats fora de CN (sauf titres non datés, notices 751 à 754) – Cat CS = idem sauf titres publiés en France – Litt cat = “Littérature catalane” = l'ensemble des notices que BCN fait figurer la rubrique Literatura. Il s'agit donc, sauf indication contraire, des titres produits dans et hors de Catalogne-Nord.

• “littérature” = Index Literatura • “prose” = sous-index Prosa i assaig, et Pensaments, epistolaris, memòries, Novel.la i narracions + narracions tradicionals de la rubrique Folklore (où sont indexés en autres les Contes vallespirenchs de Caseponce, les Contalles de Cerdanya de Jordi Pere Cerdà,…) • “Poésie” = Poesia • “Théâtre” = Teatre • “Autre” = autres sous-Index de Literatura.

– Frs = “production en langue française” au sens où l'entend BCN : livres publiés en Catalogne-Nord et livres d'auteurs nord-catalans publiés hors de Catalogne-Nord, soit avec les restrictions que j'ai signalées ci-dessus : – Frs CN = Livres publiés à Perpignan (sauf Car rien n'a d'importance), Ceret, Prades, Saint-Estève et Marcevol – Frs H = livres d'auteurs nord-catalans publiés à Paris. – Litt frs = littérature de langue française publiée en Catalogne et hors Catalogne-Nord.