ennoblissement textile en gaule romaine sous le haut empire

19
Dejla Garmi Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected] Iesaita Idenficaon, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Texles Anciens L’ennoblissement et la production textile en Gaule L’ennoblisseur textile confère aux étoffes leurs couleurs, leur aspect et certaines propriétés d’usage. Il blanchit la matière brute, la teint avec des colorants ou pigments d’origine végétale, l’imprime avec tout type de décors et l’apprête pour donner des effets moirés, lustrés, gaufrés, satinés, c’est toutefois ce que l’on reconnait relever de nos jours de son rôle de professionnel, mais qu’en est-il pour la Gaule et plus largement dans l’Empire Romain ? L’ennoblissement mobilise les compétences de différents spécialistes dans un seul but : la production d’étoffe, il se traduit dans l’antiquité par le travail conjoint de plusieurs spécialistes. Selon l’utilisation pratique qui est faite de ces dernières et en fonction de la ou des matières qui la composent, la transformation sera plus ou moins complexe et plus ou moins longue. Sur un territoire correspondant à notre France actuelle, quels sont les marqueurs d’une telle activité ? Retrouve-t-on la présence d’une industrie organisées telle que l’on peut l’observer en France au XVII e siècle ? La romanisation a-t-elle influencé le travail des gaulois ou pour s’accorder à la plus part des spécialistes, disons des gallo-romains ? À l’époque romaine, les provinces de Gaule fournissent non seulement de nombreuses richesses naturelles à l’Empire, mais sont aussi le théâtre d’un vaste processus de circulation de biens et de personnes, en tant que « plaque tournante » des relations commerciales nouées entre le bassin méditerranéen (Italie, Orient, Afrique du Nord), les provinces septentrionales (Helvétie, Germanie, Bretagne) et occidentales (Hispanie, Lusitanie). Ses débouchés maritimes, ainsi que le réseau de voies fluviales et terrestres développé au début de l’époque impériale, garantissaient à ce territoire un rôle économique de tout premier plan, au sein duquel la production et le commerce des textiles occupaient une part non négligeable. La production textile d’époque pré-industrielle compte, en effet, parmi les secteurs manufacturiers les plus complexes et les plus spécialisés. Dans l’Antiquité, elle répond à trois grands domaines d’utilisation, à savoir l’habillement, l’ameublement et d’autres usages techniques comme le génie naval (voilerie, calfatage des navires) ou le génie militaire (tentes), pour ne citer que ces deux exemples. Pour appréhender l’importance socio-économique que revêtent la production textile en général et l’ennoblissement des fibres en particulier, il suffit de consulter les textes législatifs antiques. À côté de richesses telles que l’or, l’argent, le blé, le vin ou l’huile, les étoffes trouvent leur place dans le droit romain 1 . À Rome durant le Haut Empire et jusqu’aux premiers temps de l’Antiquité tardive, les distributions de vêtements lors des jeux du cirque ou dans le cadre de l’annona urbis permettaient au même titre que celles d’aliments de garantir la paix publique 2 . La parure vestimentaire figure également parmi les biens en nature 1 DOMENGET 1866. 2 ROSTOVTSEFF 1957 : 129. 1

Upload: independent

Post on 29-Nov-2023

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

L’ennoblissement et la production textile en Gaule

L’ennoblisseur textile confère aux étoffes leurs couleurs, leur aspect et certaines propriétés d’usage. Il blanchit la matière brute, la teint avec des colorants ou pigments d’origine végétale, l’imprime avec tout type de décors et l’apprête pour donner des effets moirés, lustrés, gaufrés, satinés, c’est toutefois ce que l’on reconnait relever de nos jours de son rôle de professionnel, mais qu’en est-il pour la Gaule et plus largement dans l’Empire Romain ? L’ennoblissement mobilise les compétences de différents spécialistes dans un seul but : la production d’étoffe, il se traduit dans l’antiquité par le travail conjoint de plusieurs spécialistes. Selon l’utilisation pratique qui est faite de ces dernières et en fonction de la ou des matières qui la composent, la transformation sera plus ou moins complexe et plus ou moins longue.

Sur un territoire correspondant à notre France actuelle, quels sont les marqueurs d’une telle activité ? Retrouve-t-on la présence d’une industrie organisées telle que l’on peut l’observer en France au XVIIe siècle ? La romanisation a-t-elle influencé le travail des gaulois ou pour s’accorder à la plus part des spécialistes, disons des gallo-romains ? À l’époque romaine, les provinces de Gaule fournissent non seulement de nombreuses richesses naturelles à l’Empire, mais sont aussi le théâtre d’un vaste processus de circulation de biens et de personnes, en tant que « plaque tournante » des relations commerciales nouées entre le bassin méditerranéen (Italie, Orient, Afrique du Nord), les provinces septentrionales (Helvétie, Germanie, Bretagne) et occidentales (Hispanie, Lusitanie). Ses débouchés maritimes, ainsi que le réseau de voies fluviales et terrestres développé au début de l’époque impériale, garantissaient à ce territoire un rôle économique de tout premier plan, au sein duquel la production et le commerce des textiles occupaient une part non négligeable.

La production textile d’époque pré-industrielle compte, en effet, parmi les secteurs manufacturiers les plus complexes et les plus spécialisés. Dans l’Antiquité, elle répond à trois grands domaines d’utilisation, à savoir l’habillement, l’ameublement et d’autres usages techniques comme le génie naval (voilerie, calfatage des navires) ou le génie militaire (tentes), pour ne citer que ces deux exemples.

Pour appréhender l’importance socio-économique que revêtent la production textile en général et l’ennoblissement des fibres en particulier, il suffit de consulter les textes législatifs antiques. À côté de richesses telles que l’or, l’argent, le blé, le vin ou l’huile, les étoffes trouvent leur place dans le droit romain1. À Rome durant le Haut Empire et jusqu’aux premiers temps de l’Antiquité tardive, les distributions de vêtements lors des jeux du cirque ou dans le cadre de l’annona urbis permettaient au même titre que celles d’aliments de garantir la paix publique2. La parure vestimentaire figure également parmi les biens en nature

1 DOMENGET 1866.2 ROSTOVTSEFF 1957 : 129.

1

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

offerts en guise de solde, sous forme de vestis militaris ou vestes canonicae3, au même titre que le kermès, la pourpre ou d’autres matières précieuses nécessaires à ennoblir les étoffes. Par ailleurs, l’État4 fournissait gratuitement les vêtements des soldats qui échappaient au vectigal.

Le cadre chronologique pour cet article est le Haut Empire « élargi » au début de l’Antiquité Tardive (du Ier aux IVe-Ve siècle après J.-C.). C’est une époque durant laquelle la Gaule vivait une période de stabilité politique et de grande prospérité économique. Sous la Pax Romana, les artisanats liés à la production textile ont connu un développement particulièrement dynamique, que le nombre de spécialiste illustre à travers l’épigraphie.

Cet article se propose de mettre en évidence les liens qui existent entre les différents domaines de la production et de l’ennoblissement textile ; souvent étudiés séparément, ils sont par nature interdépendants les uns des autres. L’industrie textile est composée d’un grand nombre de sous-secteurs qui couvrent tout le cycle de production, allant de la production ou extraction des matières premières, aux produits semi-finis (fils, tissus chaîne et trame et étoffes en maille) à finis (vêtements, draperie). Nous tenterons de mettre en évidence la part dévolue à l’ennoblissement dans l’ensemble de ces secteurs. La chaîne opératoire de fabrication textile commence par la production et la récolte des fibres brutes, alors que l’ennoblissement au sens le plus large comporte les prétraitements, la teinture, l’impression, l’apprêtage, l’enduction, comprenant aussi les opérations de lavage et de séchage. Les procédés en rapport avec la réalisation des étoffes, situés en amont, tels que le filage ou le tissage seront abordés de façon plus succincte, puisqu’ils peuvent avoir une influence non négligeable sur les traitements d’ennoblissement, précédant ou suivant les transformations de la matière fibre. Ces derniers interviennent en effet à différentes étapes de la production textile (sur le tissu, le fil, la fibre en bourre…). La séquence des traitements étant très variable et largement fonction des exigences de l’utilisateur, comme des finalités d’utilisation du produit textile, on s’attachera à montrer comment ces modes de fonctionnement s’articulent, en pointant les particularités propres à une profession. Tout comme cela se faisait dans les campagnes françaises jusqu’au XVIIe siècle et parfois même jusqu’à nos jours, nombre de personnes en Gaule exerçaient plusieurs activités à la fois. Dans chaque cité, le nombre d’artisans exerçant le même métier durant plusieurs années devait être important. Pourtant certains éléments archéologiques laissent entrevoir la parfaite polyvalence de quelques spécialistes ou ateliers maitrisant tout ou partie de l’ensemble des procédés intervenant dans la chaine opératoire de production. Cette polyvalence s’explique souvent par les contraintes de vies induites par les aléas du climat qui rythmaient les journées de travail.

L’économie textile, comme la plupart des secteurs artisanaux antiques, est en grande partie liée aux productions des villae et des établissements ruraux, mais la rareté des données 3 CALLU 2004 : 187-194.4 CAGNAT : 1882, p. 108.

2

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

provenant de fouilles récentes ne facilite pas son identification. Au IIe siècle ap. J.-C., l’économie de la villa5 paraît reposer essentiellement sur l’agriculture et l’élevage, mais les découvertes permettant d’identifier précisément la part de production textile restent rares et dispersées dans une multitude de publications. De manière plus générale, les sources convocables pour une appréhension globale des métiers de l’ennoblissement sont très inégales d’une période à l’autre, d’une province à l’autre et d’une cité à l’autre.

Les fibres sont dites textile lorsque naturellement ou suite à certaine manipulation, la matière est susceptible d’être tissées6. L’analyse des sources littéraires dévoile un univers textiles gallo-romain très riche en matières fibres qui se classent en trois groupes, les fibres d’origine végétale, les fibres d’origine animale, les fibres d’origine minérale.

Certaines de ses fibres sont de production locale ou liées à l’environnement proche alors que d’autres sont rendues disponible par voies commerciales. Du fait de la grande maitrise que possédaient les gaulois à produire de la laine, nous choisirons de présenter les procédés de traitements qui lui sont liés. Le mot laine est communément employé pour désigner les fibres produites par les différentes races d’ovins dits « bêtes à laine7 ». La laine, matière vivante, dépend totalement du mouton et des soins qui lui sont apportés. En Celte, elle se dit glouan8, il s’agit d’un poil dont le diamètre varie d’épaisseur d’une espèce à l’autre. La laine est un des trois éléments9 qui composent la toison du mouton avec le crin et le jarre. Le pourcentage de ces trois types de poil caractérise10 la qualité des toisons. Le mouton se dit en Celte, multo « bélier » ainsi qu’ovi- qui permet la formation de mot « ovin »11, et signifie brebis12. Il s’agit d’un des animaux emblématiques de la Gaule Belgique. Strabon précise dans sa Géographie que les troupeaux que les Belges possèdent au Ier siècle av. J.-C. alimentent abondamment de saies et de salaisons les marchés de Rome et d’Italie (Strabon, Geogr., IV, 4, 4), cette réalité est également soutenue par Virgile (R. R., I, 6), qui la généralise à l’ensemble des territoires des provinces gauloises. Précisons que les saies gauloises étaient vendues à la fin du IIIe siècle ap. J.-C. 8000 deniers la pièce (Ed. Dioc., XIX). Le prix excessif du produit révèle à lui seul l’excellence de la fibre gauloise et le résultat de leur spécialisation dans cette production.

Ainsi, le premier acteur (indirect) de l’ennoblissement se trouve être le berger. il existe plusieurs appellations pour le désigner, les Romains utilisaient pour cela ovium pastor, ocium

5 BERGER, ROYET, ARGANT, FOREST : 2003, pp. 157-172.6 GILONNE, FLINDERS, BALLEY : 1929, p. 2.7 GILONNE, FLINDERS, BALLEY : 1929, p. 209.8 CAMBRY : 1806, p. 38.9 CARDON : 1999, p. 41-44.10 CARDON : 1999, p. 50.11 LACROIX : 2005, p. 83.12 CARLIER : 1770, t. I, p. 65.

3

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

custos et pecarius13 pour définir les deux fonctions qui lui sont dévolues, à savoir soigner les bêtes et leurs toisons et les nourrir comme il se doit.

Figure 1 - Relief de Reims, conservé sur un monument public, sur la Porte de Mars, Place de la République ; Ht : environ 120 cm – longueur environ 150 cm, tirée de Breyel C., Coessens B., Walschot J., U. L. B., «  Essai d’analyse de l’image du vallus dans l’iconographie funéraire », La moissonneuse gallo-romaine, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2000, p. 41.

De par les soins qu’il prodigue aux bêtes et les moyens zootechniques qu’il emploie pour l’obtention de la fibre, dépendent les prétraitements appliqués à celle-ci. Une fois la toison tondue, les fibres sont roulées et prennent sous cette forme le nom d’uellus ou uellimnum (Palladius, R. R., II, 72). Pline rapporte qu’une fois tondue la laine est recueillis en fonction de la région de la toison d’où elle provient (Pline, H. N., XXIX, 30-32).

Le dégraissage

Dans les campagnes sous la direction de la villica14 travaille le lanipendus (CIL VI, 8870) en charge des laines. Le Lanipendus après la récolte des toisons veille au tri des flocons, mais aussi à leur dégraissage. Cette opération, comme la plupart des opérations de transformation de fibres pouvaient être exécutées aussi bien dans les villae suburbaines que dans des ateliers structurés ou officient des foulon-purgator. En ce qui concerne le traitement de la laine post-tonte peu de sources, datées du Haut Empire nous sont parvenues. En nous appuyant sur les nombreuses études réalisées au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles en France ayant pour sujet l’Art du lainier, nous proposons d’interpréter un relief découvert à Arlon (fig. 2) en Gaule Belgique disparu à ce jour.

Figure 2 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. V, 1913, p. 283, n° 4125.

13 GOUDINEAU : 1998, p. 160.14 MARQUARDT : 1892, t. 1, p. 183.

4

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Il s’agirait d’après la synthèse de nos lectures de la représentation unique du premier lavage donné à la laine dans les campagnes ou de la première phase de dégraissage de la laine en surge. Pour l’exécuter, il est recommandé de préférer l’eau courante des rivières aux eaux dormantes cette opération ne dégraissant pas la laine. Le lavage est toujours le fruit du travail de trois hommes15, comme cela est illustré sur le relief d’Arlon (Fig. 2). Le relief d’Arlon représenterait la première phase du désuintage16, la fibre est plongée dans un bain d’eau chaude et d’urine continuellement agitée à l’aide de bâton. Cette opération est renouvelée trois fois afin d’en extraire tout le suint ce qui expliquerait la représentation de trois hommes sur le relief. Après cette opération la laine est soigneusement séchée, puis recueillie en fonction de la région de la toison d’où elle provient (Pline, H. N., XXIX, 30-32). Le respect du triage17 est nécessaire, du fait que les fibres étant très différentes d’une partie à l’autre de la toison, un traitement spécifique leur est accordé pour une destination tout aussi précise. Ce tri rigoureux augmente la valeur de la laine. Ce dernier effectué les laines pouvaient être Les flocons sont épluchés et déliés puis étendus sur une table par des lanifricarii18. Toutes les loquettes ou mèches et portions détachées sont mises à part. Si les toisons sont trop serrées ou tassées, on les ouvre à l’aide d’un instrument de fer appelé fourchette, à pointes courtes, écartées et recourbées (fig. 3).

Figure 3 - fresque du portique Sud du Temple Iside découverte le 13 avril 1765, conservée au Musée Archéologique de Naples, n° inv. 9909 – extrait de l’ouvrage de Pugliese Carratelli G., Pompei, Pitture e Mosaici, Regio VIII, Regio IX, partie I, Rome, 1990, p. 780, n° 77.

Une fresque19 (fig. 3) composée de cinq fragments découverts le 13 avril 1765 avait dans la zone du temple d’Iside été interprétée comme la représentation d’une scène de cuisine. Il s’agirait d’après nous, de la représentation du travail de préparation de la laine et plus précisément un atelier de lavage/arçonnage. Cette opération doit son nom à l’outil qui permet

15 DE FOUGEROUX : 1774, p. 451.16 BORGNIS : 1820, p. 3.17 BAILY : 1835, p. 99-100 ; MARQUARDT : 1893, t. 2, p. 137.18 C.I.L., IV 1190.19 PUGLIESE CARRATELLI : 1990, p. 780, n° 77.

5

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

de la réaliser : l’arçon20. Il s’agit d’un objet ressemblant à un archet, muni d’une corde de boyau qui mise en vibration permettait de faire voler des flocons de laine placés sur une claie.

L’opération de battage21 qui permet de faire sortir la poussière et de séparer tous les petits débris peut enfin avoir lieu. La laine placée sur des claies est battue à l’aide de deux baguettes lisses de bois, dont on frappe alternativement la laine avec les deux mains. Une fois débarrasser de la poussière la laine peut être lavée, il s’agit du premier traitement d’ennoblissement que subit la laine. La claie est formée par des cordes de la grosseur d’un doigt, passées dans des barres percées et disposées de manière qu’on puisse les serrer en lacet à volonté, c’est très précisément l’objet qui semble représenté appuyé contre le mur (fig. 3). La mise en scène des flocons de laine placés dans des paniers à claire-voie22 également dénommés mannequins23 à jour indique qu’ils ont subi un désuintage à fond et qu’ils sont entrain de sécher à l’abri du soleil. Ce dernier rendrait les flocons secs et seraient à l’origine de fils cassant et non résistant la traction lors du tissage.

Une fois secs les mèches ou flocons de laine pouvaient dès lors être peignées par un pectinatores (C.I.L. V, 4501) ou cardés par un carminatores24 comme il est mention dans la région de Modème ou ces ouvriers interviennent en amont du filage. La solution utilisée pour le lavage des laines pouvait comporter de l’eau chaude additionnée d’alcali tel que la racine de saponaire saponaria officinalis25ou de l’urine voire même de la laine en suint non utilisable pour le filage, car trop crasseuse.

Les structures de lavages identifiées sur le territoire Gaulois ne sont pas nombreuses, seule la ville de Narbonne semble en possédée une clairement identifiable, quoique les structures en place montrent davantage un bassin de trempage plus qu’un lavatorium. Les travaux effectués par Philippe Borgard26 ont montré la situation particulière dans la ville de Pompéi des ateliers de foulons-purgator, ce qui témoigne d’une installation raisonnée correspondant à notre sens aux spécificités du métier. Outre cela, s’il semble qu’à Pompéi comme peut-être en Gaule Narbonnaise les laines aient été traitées dans les lavatorii, les ouvrages que nous avons consultés en rapport avec l’Art du lainier en France indiquent le déroulement du dégraissage dans les campagnes au sein d’espaces souterrains aménagés à cet effet. Les fouilles archéologiques pourront peut-être mettre en évidence ce type d’aménagement pour le Haut Empire et ainsi non seulement permettre de mieux appréhender les espaces, mais aussi justifier la transmission des savoirs faire gallo-romains en France.

Opérations mécaniques sur la fibre : filage et tissage

20 FAGNIEZ : 1877, pp. 219-220. 21 BORGNIS : 1820, p. 4.22 DAUBENTON : 1782, p. 165.23 BORGNIS : 1820, p. 3.24 MARQUARDT : 1893, t. 2, p. 137.25 WIPSZYCKA : 1965, p. 28.26 BORGARD, PUYBARET : 2002, p. 52.

6

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Les opérations liées au filage et au tissage de nature principalement mécanique, n’entrent pas directement dans le procédé d’ennoblissement textile, mais selon le produit recherché, elles influencent le travail des ennoblisseurs.

Le filage27 consiste à transformer par diverses opérations certaines matières organiques, filamenteuses et textiles en un fil régulier, d’une longueur indéfinie et dont l’épaisseur et la résistance sont déterminées par la nature de la matière employée, ainsi que de l’usage à venir de celui-ci. Cette transformation pour les fibres et l’antiquité, de premières importances, pour l’identification et la caractérisation de la matière, à tel point que la matière est régie par des lois. Ainsi, Gaius dans son analyse du code romain dont certaines lois étaient héritées des premiers rois, nous apprend (Gaius, Instit., § 260) qu’une fibre comme la laine change d’état lorsqu’elle est transformée en vêtement. Toutefois, ce changement d’état de la fibre n’implique pas un changement de propriétaire, même si la transformation en fil ou vêtement est payée par un tiers. Dans le Digeste (41, I, 26) composé entre 529 et 534, nous trouverons que cette caractérisation de la fibre perdure :

« La laine n’existe plus quand elle est employée en habit, parce qu’alors il y a un nouveau corps de matière de laine. »

Les villes de Beaune (fig. 4) et de Reims (fig. 5) ont livré des reliefs sur lesquels on distingue très bien les fuseaux lestés et chargés de fibres. Le filage se réalise en appliquant aux fibres un sens de rotation vers la droite créant un fil épousant le biais de la lettre S, ce qui donne un fil de torsion « S ». Si le sens de filage est inversé, la torsion épousera alors le biais de la lettre Z et le fil obtenu sera dit de torsion « Z ».

Figure 5 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. III, 1910, p. 182, n° 2097.

Figure 6 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. V, 1913, p. 32, n° 3678. 

Le relief découvert au Luxembourg est réalisé dans une pierre provenant de Trèves. Il faisait partie d’après Espérandieu de la collection des Jésuites conservée au Luxembourg, aujourd’hui malheureusement perdu. Le dessin que nous présentons ici (fig. 7) fut réalisé par Wiltheim. La représentation est datée des Ier-IIIe siècle ap. J.-C. La scène représente trois

27 JULLIEN, LORENTZ : 1843, p. 5.

7

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

personnages dont seulement deux sont clairement visibles ; ils s’échangent des corbeilles à ouvrage contenant des pelotes et des bobines.

Figure 7 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. VI, 1915, p. 260, n° 5013. 

Le filage de la laine techniquement n’est pas différent de celui du lin, toutefois il se distingue de deux manières28 par celui des laines de cardes et des laines peignées. Cette différentiation est d’un intérêt majeur pour l’archéologie des textiles, dans la mesure où les laines peignées se distinguent des laines cardées. Celles-ci sont longues et mesurent entre 30 et 40 cm, alors que les laines cardées mesurent moins de 10 cm. Comprenons par-là que les fils cardés peuvent servir à la réalisation d’une infinité de tissus, alors que les fils peignés ne se prêtre qu’à la réalisation de tissus fins destinés à une production luxueuse. Ainsi le cardage et le peignage communiquent à la laine des propriétés29 bien différentes. Le premier permet à la laine d’en obtenir un fil velu comme l’exige la draperie, alors que le second en produisant un fil lisse, permet la réalisation d’étoffes rases.

28 DAUMAS : 2004, p. 43.29 BORGNIS : 1820, p. 2.

8

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Le travail de ces deux grands types de laines était confié durant le Haut Empire aux lanarii carminatores (CIL XI, 1031) et aux lanarii pectinarii. Ces spécialistes intervenaient dans le cadre d’une production professionnelle et très tôt réglementée, comme le montrent les différentes lois qui ne cesseront de s’établir tout au long du Haut Empire.

Le tissage agent principale de la production textile était strictement réglementé par une codification juridique. Les sources à notre disposition nous permettent de retrouver un certain nombre d’outils, de méthodes de travail et nous proposons non pas de retracer l’histoire du tissage, mais de faire une synthèse du matériel à disposition des professionnels du Haut Empire. Au XVIIIe siècle en France30, l’essentiel de la population non agricole est occupé par une activité liée au secteur textile. Nous ne pouvons au vu des éléments fournis par l’archéologie et les différentes sources historiques affirmer une pareille situation pour la Gaule, mais nous pensons que la vérité n’en était pas loin. Si toute la Gaule tisse des toiles comme l’affirmait Pline (H. N., XIX, 9) au Ier siècle ap. J.-C., Martial (Epigr. IV, 19) rapporte que ce territoire exporte ses productions textiles à Rome. Les productions de vêtements gaulois sont si importantes qu’elles habillent les classes moyennes romaines (Martial, Epigr., VI, 11), ainsi que les pauvres (Martial, Epigr., XIV, 126). Les casaques à capuche de Saintonge (Martial, Epigr., XIV, 128), les draps de laine rousse (Martial, Epigr., XIV, 129) qui habillent les enfants et les soldats demandent une organisation de production standardisée, seule garantie de qualité. Tout au long du Haut Empire, le secteur textile explose en Gaule et dans plusieurs territoires de l’Empire Romain, pour preuve le nombre important de collèges professionnels au pouvoir économique important. Une évolution, voir même une révolution technique a du accompagner une production d’ordre industrielle ou les produits répondent à une désignation précise, impliquant l’existence de cahier des charges comme en témoignent l’Édit de Dioclétien (XIX, XXV), le Code Théodosien (I, 15, 6 ; XVI, 2, 15) ou encore le Code Justinien (I, 2, 21 ; I, 53, 1 ; IV, 32, 25 ; 40, 1 ; IV, 44, 18 ; IV, 59, 2 ; V, 37, 22 ; VI, 37, 1 ; X, 48, 7 ; XI, 9, 1 ; XI, 9, 2 ; XI, 9, 3 ; XI, 12, 1 ; XII, 57, 12).

Blanchiment et blanchissage

Le blanc31 teinte hautement symbolique ne s’obtient que par les opérations de blanchiment et se préserve par l’action du blanchissage. Les opérations de blanchiment sont très différentes selon la nature des fibres qui composent l’étoffe. Le blanchiment et le blanchissage sont pour l’Antiquité intimement liés, car relevant des mêmes opérations, et cela bien qu’il s’agisse de deux opérations distinctes. Les professionnels du blanchiment connus sous le nom de foulon semblent avoir assuré l’entretien de cette teinte sur les textiles, pour le blanchissage. Toutefois et nous le montrerons dans la suite de notre exposé, la corporation des foulons englobe un certain de spécialistes, au savoir-faire très différent. Le blanchiment32 est un art chimique, au

30 JORDA : 2002, p. 9.31 GUIGNET : 1889, p. 221.32 MALEPEYE : 1860, p. 48.

9

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

moyen duquel on parvient à enlever aux fibres, leur couleur naturelle afin de les amener à un blanc aussi parfait que possible. Cet art présente une division naturelle bien distincte, l’une comprend le blanchiment des substances animales et la seconde celle des matières végétales. L’invention33 de cet art proviendrait d’après la littérature du monde grec et est attribuée à Nicias de Mégare. L’ensemble des fibres utilisées durant l’Antiquité pour les besoins textiles demande certaines préparations, afin de se soumettre à ceux à quoi on les destine. D’un point de vue général, elles doivent être blanchies afin de supporter avec succès la teinture et les autres apprêts. Toutefois, la préparation de certains textiles34 demande à conserver les fibres intactes, sans les altérer. Tout au long du Haut Empire, les foulons spécialisés dans l’entretien des étoffes, que nous identifierons comme des dégraisseurs-teinturiers, furent strictement réglementés par un ensemble de lois se rapportant à la custodia35.

Si les lavatorii et les foulons-purgator semblent avoir été spécialisés dans le blanchiment des laines et probablement soies, des ateliers offraient également l’entretient des textiles. Dès le IIe siècle av. J.-C. l’un comme l’autre sont nécessaires à la vie sociale et sont établis aussi bien, dans les milieux urbains (Plaute, Aulul., III, 5, 505-520), qu’au cœur des domaines rustiques (Caton, D. A., 17, 2 ; Varron, R.R., I, 16, 3-4). Au Ier siècle ap. J.-C. il semblerait que le mot foulon ait un sens qui désigne des compétences qui dépassent le cadre du dégraissage et du blanchiment. La mention de Pline (H. N., XIX, 7-14) rapportant que les foulons préféraient pour le ravaudage des textiles, l’utilisation du lin Pélégiens, incite à croire que ces spécialistes savaient « retisser » les étoffes abîmées. Toutefois, les articles de loi témoignent d’un champ de compétence limité, dans la mesure, où l’on trouve également, très tôt à Rome, dès le IIe siècle av. J.-C. et peut-être même avant, la présence de ravaudeur (Plaute, Aulul., III, 5, 505-520).

Troisième groupe d’ennoblisseurs : les teinturiers et impression textile

L’art de la teinture consiste à fixer sur des fibres de différentes natures, des colorants de toutes espèces, selon leurs affinités respectives. Le teinturier doit être capable de fixer différentes couleurs, sur les étoffes en considérant les altérations que peuvent produire l’air et la lumière du soleil. La teinture est essentiellement un art chimique ou la juste combinaison des matières qui naturellement s’attirent. D’un point de vue général la teinture n’est ni difficile ni compliquée, elle consiste à imprégner la substance qu’on veut teindre des parties colorantes qui sont tenues en dissolution dans un bain. Il faut savoir utiliser l’action de l’air et de la lumière, soit pour la fixation des parties colorantes ou à leur développement. Les sources présentent deux types de teintures à froid et à chaud, à mordançage avant teinture ou post-teinture, sans mordant…le choix de tel ou tel mode de coloration de textile dépend d’un certain nombre de paramètres difficile à identifier pour le Haut Empire. Les éléments textuels 33 MONGEZ : 1818, p. 252.34 BAILLOT : 1819, p. 100.35 ROBAYE : 1988, p. 9.

10

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

permettent toutefois de retrouver l’expertise des teinturiers dans les colorants de grand et petit teint.

Ainsi nous savons que la production de couleurs fixes en Méditerranée orientale impose l’application du mordant sur la fibre dans un bain préalable à la teinture, mais dans certain cas il n’est qu’un composant de la recette tinctoriale. Par nature les fibres d’origine végétale sont plus difficiles à teindre que les fibres d’origine animale ce qui explique le choix fait de les favoriser dans la teinture.

Le relief découvert à Arlon (fig. 8), probablement en 1671, aujourd’hui perdu représente un homme coiffé d’un bonnet ou d’un capuchon, vêtu d’une tunique courte de type exomine, debout contre une cuve placée sur un trépied remplie d’un liquide. Il plonge une de ses mains dans ce dernier et le remue de l’autre, avec trois bâtons. Le geste de tremper la main dans la cuve pourrait indiquer une prise de température du bain qu’elle contient, alors que la présence de trois manches d’éventuels tranchoirs pourrait symboliser le fait de répéter trois l’opération en cours. Les vaisseaux de bois sont propices à la teinture36 de toutes les fibres au pastel et la stéréotypie des représentations ne peut que nous pousser à identifier à Grand (fig. 9, 10), Épinal.

Figure 8 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. V, 1913, p. 298, n° 4136. Arlon, Belgique.

36 PAVIE : 1811, p. 191.

11

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Figure 9 - Photo tirée d’Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. III, 1911, p. 233, n° 2215.

Figure 10 - tirée de l’article Poisson J., « Aperçu sur la pharmacopée gauloise », Revue d’histoire de la pharmacie, 92e

année, n° 343, 2004, p. 385.

L’impression

La production d’étoffes sophistiquées37 remonte à la préhistoire, comme semble en témoigner la sculpture ou encore l’iconographie vasculaire. Bon nombre d’ornementations se distinguent très clairement sur la statuaire protohistorique occidentale, sans toutefois qu’il soit possible de préciser, si les motifs relèvent, du tissage, du brochage, de la peinture, de l’impression ou de la broderie. D’un point de vue général, l’impression sur étoffes constitue l’art de reproduire38, sur un tissu, des motifs quelconques de dessin servant à son embellissement. Cette méthode d’ornementation se manifestait par différentes applications manuelles :

- À la réserve,

- Au pinceau,

- Au tampon ou à la planche.

L’impression à la réserve est la technique la plus anciennement rapportée par la littérature, son premier témoin est Hérodote (L’Enq., I, 303). Premier exemple de l’impression à la réserve, certainement maîtrisée depuis un certain temps, l’historien détail avec soin et méthode l’application d’un mordant ou d’une pâte de réserve, préalablement à la teinture permettant la création de motifs. L’Égypte ancienne employait également cette technique comme le rapporte Pline (H. N., XXXV, 150), le ou les motifs se révèlent lors de la teinture

37 GILLOW, BARNARD : 2008, p. 14.38 GILONNE, FLINDERS, BALLEY : 1929, p. 162.

12

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

classique. À part une préparation préalable au bain révélateur, les étoffes étaient traitées de la même façon que celles ne présentant pas de motifs. Les ornements pouvaient être appliqués sur les textiles teints ou lorsqu’ils étaient simplement blanchis, tout dépendait de l’effet recherché par le commanditaire et l’exécutant.

Pour imprimer un motif sur une étoffe, il est nécessaire d’utiliser un matériel permettant la dépose d’une préparation permettant de l’animer d’un motif quelconque. Pour cela il faut employer des planches ou des tampons. Ces objets sont gravés en creux de motifs aux traits larges, afin que l’application de mordants ou de pâtes colorantes ne crée pas de bavures qui nuiraient au résultat final. En Égypte des tampons et planches d’impression (fig. 11) ont été découverts lors des fouilles d’Achnim-Panopolis en 1898 par M. Forrer. Ces objets simples de réalisation ont certainement pu être utilisés en Gaule Romaine et plus largement en Méditerranée occidentale.

Figure 11 - Planche et tampon d’impression découvert dans les fouilles d’Achnim en 1898, photo tirée de Dépierre J., L’impression des tissus spécialement l’impression à la main à travers les âges et dans divers pays, Paris, 1910, p. 8, fig. 1-2 et p. 9, fig. 5.

Le goût des tatouages des Gaulois rapportés par Pline (H.N., XXII, 2) au Ier siècle ap. J.-C., est aussi mentionné par Hérodien au IIe siècle ap. J.-C. (Hist. de l’Emp., III, 14, 7), difficile donc d’imaginer que ce peuple n’ait pas pratiqué l’impression et la peinture sur étoffe. À ce titre la nécropole des Martres-de-Veyre a livré dans la fouille de la tombe D, une robe à manches de type stola39 en laine blanche et présente sur son ensemble des motifs floraux marron et bleu. L’observation de l’emploi de cette technique toujours en cours en Inde nous permet d’avoir une idée des gestes pratiqués par les spécialistes de l’Antiquité.

Outre les deux techniques d’impression connue et pratiquée dans l’Antiquité pour agrémenter de colorant déposé au pinceau sur l’étoffe. La peinture sur étoffe est mentionnée dans la littérature pour la première fois dans l’œuvre d’Apulée (Les mét., VIII, 27), seulement au IIe

siècle ap. J.-C. Également suggérée par Clément d’Alexandrie (Paedag. II, 10) à la même époque, il mentionne les toiles égyptiennes ou d’autres du même genre. L’auteur s’exprime en ces termes :

39 AUDOLLENT : 1923, pp. 316-317.

13

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

« On peut bien livrer à l’usage des femmes, des étoffes souples et fines, mais qu’il ne faut pas fabriquer de ces toiles où l’on voit des fleurs coloriées, semblables à des peintures, attendu que cette peinture s’efface en peu de temps ».

Cette technique d’ornementation très simple est identifiée sur un vêtement40 découvert dans la nécropole du Fin Renard et datée du Ier siècle de notre ère. Cette tunique d’enfant, simplement rehaussée de deux bandes longitudinales de couleur verte, témoigne du goût des Gaulois pour cet apprêt, appliqué même aux vêtements d’enfants. Au IVe siècle ap. J.-C., nous retrouvons dans l’œuvre de Claudien, la mention de l’importation de toiles peintes provenant d’Inde. Il explique qu’après les folies et les crimes d’Eutrope (Claudien contre Eutrope, I, v. 350) :

« …rien ne devait paraître incroyable ; on peut nous offrir des monstres de toute espèce ; des tortues, des figures humaines mariées à des coquilles de limaçons, tout ce que l’Inde enfante de bizarre et qui se retrouve sur les toiles peintes aux abords du Nil ».

Il faut attendre le VIe siècle ap. J.-C., pour retrouver mention des toiles peintes par Grégoire (Instr., mor., 46, 16), qui en indique l’importation d’Inde. Les dessins41 sont tracés au trait sur l’étoffe préalablement blanchie et lissée, puis les couleurs sont ajoutées une à une de la plus claire à la plus foncée. La technique de traitement des tissus n’est pas très loin de celle employée par les fresquistes, ce qui permet de penser qu’elle aurait très largement pu être employée en occident.

Une fois le vêtement ou le textile élaboré, il est possible de pratiquer dessus d’autres apprêts selon les besoins et demandes des commanditaires. Ils sont soit de confort, soit ornementaux et peuvent être mécanique comme la broderie ou chimique, dans le cas d’emploi de bain anti-parasites, de ceux-ci dépendra le prix à la vente des étoffes. Pour les présenter en détail il faudrait la publication d’autres articles.

L’apparente homogénéité qu’offre la romanisation du territoire gaulois permet de définir ce que représente l’ennoblissement textile dans une province de l’Empire durant le Principat. Si le modèle de la consumer city42 est fréquemment convoqué pour la production et la consommation des céramiques, les choses semblent plus difficiles à cerner pour le textile. Jean Andreau oppose volontiers la production rurale de la province de Bretagne à celle, plus urbaine, de la Gaule continentale. La réalité du territoire gaulois recouvre bien d’autres nuances. Aussi manifeste soit la présence de nombreux spécialistes du textile dans la cité, il convient de préciser le lien effectif entre productions rurales et urbaines. Ce que l’on peut retenir de ce rapide aperçu de la production textile et de l’ennoblissement, c’est que d’un point de vu général les spécialistes de l’ennoblissement se répartissent en deux groupes

40 ROCHE-BERNARD : 1993, pp. 8-9.41 GILLOW, BARNARD : 2008, pp. 91-92.42 ANDREAU 2010 : 39-42.

14

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

distincts : les uns sont spécialisés dans les apprêts chimiques, les autres dans le traitement mécanique des étoffes. Les premiers appartiennent principalement à la profession des foulons, corps de métiers qui englobe un certain nombre de spécialistes : les lanifricarii, les purgatores, les offectores et les infectores, les teinturiers qui travaillent dans les officinae tinctoriae, les crocotarii crocus, les spadicarii, les violarii, les purpurarii ou encore les carinarii, les parfumeurs. Les apprêts mécaniques sont principalement réalisés par les tendeurs, qui utilisent les tendiculae, et les tondeurs qui se divisent en deux groupes, utilisant respectivement des grandes forces ou des petites forces pour la tonte à fin.

Certains textes littéraires corrélés à la documentation épigraphique corroborent l’importance de la production et de l’ennoblissement textile gaulois dans l’Empire Romain. Si les sites archéologiques sont parfois difficiles à identifier, l’instrumentum et l’iconographie funéraire témoignent d’une industrie prolifère. Les monuments de type Igel, présents dans plusieurs cités gallo-romaines des Trois Gaules et des Germanies, à Narbonne, notamment à Arles, au Puy-en-Velay, à Mesancy et Verdun, mettent en évidence des centres de commercialisation de tout premier ordre. A l’instar d’autres bas-reliefs funéraires, ils portent fréquemment des représentation de métier mettant en scène des drapiers, des tailleurs et des vestiarii, autant d’acteurs indirects de la place du textile dans l’économie gallo-romaine et plus largement dans l’ensemble de l’Empire.

Bibliographie

Andreau J., L’Économie du monde romain, Paris, Ellipses, 2010.

Audollent A., « Les tombes gallo-romaines à inhumation des Martres-de-Veyre », Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 13, 1923, pp.275-328, pi. VII-XI.

Baillot ( ?), Nouveau manuel du teinturier ou guide pratique des apprentis et des ouvriers dans l’art de la teinture, Paris, 1819.

Baily F., Histoire de la manufacture du coton dans la Grande-Bretagne, avec une notice historique sur cette industrie en Orient et dans les autres parties du globe, depuis les temps les plus reculés, Londres, 1835.

Berger J.-F., Royet R., Argant J., Forest V., « Une villa gallo-romaine en milieu humide : Le Vernai à saint Romain-de-Jalionas (Isère) », Favory F., Vignot A., Actualités de la recherche en histoire et archéologie agraires, Actes du colloque international AGER V de Bensançon, sept. 2000, Besançon (Série Environnement, sociétés et archéologie, 2002), 2003, pp. 157-172.

15

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Borgard, Ph.; Puybaret, M.-P., « Approche Archeologique du travail de la laine au Ier siecle apres J.-C. », Cresci Marrone, G.; Tirelli, M. (ed.) Produzioni, merci e commerci in Altino preromana e romana. Rome, 2003, pp. 299-318.

Borgnis J.-A., Traité complet de mécanique appliquée aux Arts, Paris, 1820.

Breyel C., Coessens B., Walschot J., U. L. B., « Essai d’analyse de l’image du vallus dans l’iconographie funéraire », La moissonneuse gallo-romaine, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2000.

Cagnat R., Etude historique sur les impôts indirects chez les Romains jusqu'aux invasions barbares, Paris, 1882.

Cambry J., Notice sur l’agriculture des Celtes et des Gaulois, Paris, 1806.

Cardon D., La draperie au Moyen Age : essor d’une grande industrie européenne, CNRS, Paris, 1999.

Carlier Cl., Traité des bêtes à laine, ou méthode d’élever et de gouverner les troupeaux aux champs et à la bergerie, Paris, 1770.

Callu J.-P., « L'habit et l'ordre social: le témoignage de l'Histoire Auguste », Antiquité tardive: revue internationale d'histoire et d'archéologie, Nº. 12, 2004 , pp. 187-194.

Daubenton L. J.-M., Instruction pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux, Paris, 1782.

Daumas J.-C., Les territoires de la laine. Histoire de l’industrie lainière en France au XIX e

siècle, Septentrion Presse Universitaire, Lille, 2004.

De Fougeroux A.-D., Recherches sur les ruines d’Herculanum suivi d’Un traité sur la Fabrique des Mosaiques, Paris, 1770, 1774.

Dépierre J., L’impression des tissus spécialement l’impression à la main à travers les âges et dans divers pays, Paris, 1910.

Domenget M. L., Institutes de Gaius, Paris, 1866.

Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. III, 1910.

Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. III, 1911.

16

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. V, 1913.

Espérandieu E., Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. VI, 1915.

Fagniez G., Etudes sur l’industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle, Paris, 1877.

Gilonne G., Flinders H., Balley Cl., Technique de l’étoffe et ses manipulations, Chambre Syndicale des Employés de Soirie de la ville de Lyon, Lyon, 1929.

Gillow J., Barnard N., Indian textiles, Thames & Hudson, 2008.

Goudineau Chr., Regards sur la Gaule, Paris, Errance, 1988.

Guignet Ch.-E., Les couleurs, Hachette, Paris, 1889.

Jullien Ch.-Ed, Lorentz Ed., Nouveau manuel complet du filateur ou description des méthodes anciennes et nouvelles employées pour la conservation en fils des cinq matières organiques, filamenteuses et textiles, à savoir : le coton, le lin, le chanvre, la laine et la soie, Paris, 1843.

Jorda H., Le métier, la chaîne et le réesau, petite histoire de la vie ouvrière , L’Harmattan, 2002.

Jorda H., Le Moyen Age des marchands, l'utile et le nécessaire, L’Harmattan, 2002.

Malepeyre Fr., Nouveau manuel complet du teinturier, Paris, 1860.

Marquardt J., La vie privée des romains, 1892.

Marquardt J., La vie privée des romains, 1893.

Mongez J.-A., Notice sur qu inscriptions, au-dessus desquelles sont gravées des mains levées, Paris, 1818.

Pavie B., « Observations sur le procédé pour teindre en bleu par la cuve montée à chaud, au moyen de l’Isatis tinctoria », Travaux de l’Académie, Rouen, 1811, pp. 58-81.

Poisson J., « Aperçu sur la pharmacopée gauloise », Revue d’histoire de la pharmacie, 92e

année, n° 343, 2004.

Pugliese Carratelli G., Tra Cadmo e Orfeo. Contributi alla storia civile e religiosa dei greci d'Occidente, Bologna, 1990.

17

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Robaye R., L'obligation de garde. Essai sur la responsabilité contractuelle en droit romain, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1988.

Roche-Bernard G., Ferdière A., Costumes et textiles en Gaule romaine, Errance, Paris, 1993.

Rostovtseff M.-I., Histoire Economique et Sociale de l’Empire Romain, Laffont, Paris, 1957, réed. 1998.

Wipszycka E., L’industrie textile dans l’Egypte romaine, Académie Polonaise des Sciences, Archives Philologiques, IX, Wroclow-Varsovie-Cracovie, 1965.

Auteurs antiques

Apulée, Les métamorphoses, Livre I-XI, trad. Valette P., Les Belles Lettres, Paris, 1971, 1972, 1976.

Caton, De l’agriculture, trad. Goujard R., Les Belles Lettres, Paris, 1975, 2ème édition 2002.

Claudien, Claudien contre Eutrope, André J., Filliozat J., L’Inde vue de Rome, Les Belles Lettres, Paris, 2011.

Code Justinien, « Le vêtement dans les sources juridiques du Bas Empire », Antiquité Tardive, n° 12, 2004, pp. 195-202.

Code Théodosien, Delmaire R., « Le vêtement dans les sources juridiques du Bas Empire », Antiquité Tardive, n° 12, 2004, pp. 195-202.

Grégoire, Instruction morales, Delisle L., « Inventaire des manuscrits latins de Saint-Germain-des-Près », Bibliothèque de l’école des Chartes, 1867.

Hérodien, Histoire de l’Empire depuis la mort de Marc Aurèle, III, André J., Filliozat J., L’Inde vue de Rome, Les Belles Lettres, Paris, 2011.

Hérodote, L’enquête livre I à IV, trad. Barguet A., Gallimard, Paris, 1964 ; L’enquête livre V à IX, trad. Barguet A., Gallimard, Paris, 1964.

Le Digeste, André J., Filliozat J., L’Inde vue de Rome, Les Belles Lettres, Paris, 2011.

Lépaule E., L’édit du maximum et la situation monétaire de l’Empire sous Dioclétien : à propos d’une trouvaille faite à Lancié (Rhône) en 1880, Louis Perrin, Lyon, 1883.

Martial, Epigrammes, Tome 1, trad. Izaac I, 1930 ; Tome II, livres VIII-XIV, trad. Richard P., Classiques Garnier, Paris, 1931.

Palladius, Traité d’agriculture, Tome I-II, trad. Martin R., Les Belles Lettres, Paris, 1988.

18

Dejla Garmi

Docteur en archéologie – chercheur associé laboratoire Archéométrie et Archéologie - UMR 5138 – CNRS Université Lyon 2 – [email protected]

IesaitaIdentification, Etude de Structures Archéologiques, Instrumentum & Textiles Anciens

Plaute, Aulularia, tome 1, trad. Ernout A., Les Belles Lettres, Paris, 1963.

Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XIX, trad. Andre J., Les Belles Lettres, Paris, 1964 ; XXII, trad. Andre J., Les Belles Lettres, Paris, 1970 ; XXIX, trad. Ernout A., Les Belles Lettres, Paris, 1962 ; XXXV, trad. Croisille J.-M., Les Belles Lettres, Paris, 1995.

Strabon, Géographie, I, trad. Cougny, 1986.

Varron, Economie rurale, T. I-I, trad. Heurgon J., Les Belles Lettres, Paris, 1975.

Virgile, Enéide, tome II, Livre V-VIII, trad. J. Perret, Les Belles Lettres, Paris, 1997 ; Virgile, Géorgique, trad. Saint Denis E., Les Belles Lettres, Paris, 1997.

19