de la frugalité de l'ermite au faste du prince: les codes alimentaires dans la littérature...

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Jean-Claude Mühlethaler* De la ftugallté de l'ermite au faste du prince: les codes alimentaires dans la littérature médiévalè Istarn tamen cenam multa møgnificant et emltant. Barthélemy I'Anglais' En I'an 1066, Guillaume le Conquérant, duc de Norrnandie, remportait la bataille d'Hastings. Réalisée peu après la victoire, la célèbre Tapisserie de Bayeux retrace les péripéties qui ont conduit à la conquête de l,Angle- terre. Les scènes de combat dominent dans les quelque soixanæ-dixmètres de broderie sur toile de lin, mais on y découwe également d'autres scènes de la vie féodale: conseils, arnbassades, un enterrement, un couronnement, ainsi que deux repas. Dans une des toutes premières scènes de la tapisse- rie, voici Harold - le futur adversaire de Guillaume le Conquérant - qui prend une collation sur sol anglais avant de s'embarquer et de traverser la Manche (fig. 1). La seconde scène de table se trouve à un tiers de la fin de la tapisserie (frg.2), aujourd'hui incomplète: était-elle à I'origine au milieu de I'en- semble?. . . On y voit les Normands, à peine débarqués en Angleterre, piller 'Professeur à la Faculté des letEes, section de frangais médiéval, univenité.de Lausanne. ' Barthélemy I' Anglus, De Proprietatibus Rerum livre W, chap. 24: <<De ceno>. L édi- tion disponible à la BCU de Lausanne (cote: n,¡c. u.35) est celle imprimée par Jehan petit à Pa¡is en 1515.

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Jean-Claude Mühlethaler*

De la ftugallté de l'ermiteau faste du prince:

les codes alimentairesdans la littérature médiévalè

Istarn tamen cenam multa møgnificant et emltant.Barthélemy I'Anglais'

En I'an 1066, Guillaume le Conquérant, duc de Norrnandie, remportaitla bataille d'Hastings. Réalisée peu après la victoire, la célèbre Tapisseriede Bayeux retrace les péripéties qui ont conduit à la conquête de l,Angle-terre. Les scènes de combat dominent dans les quelque soixanæ-dixmètresde broderie sur toile de lin, mais on y découwe également d'autres scènesde la vie féodale: conseils, arnbassades, un enterrement, un couronnement,ainsi que deux repas. Dans une des toutes premières scènes de la tapisse-rie, voici Harold - le futur adversaire de Guillaume le Conquérant - quiprend une collation sur sol anglais avant de s'embarquer et de traverser laManche (fig. 1).

La seconde scène de table se trouve à un tiers de la fin de la tapisserie(frg.2), aujourd'hui incomplète: était-elle à I'origine au milieu de I'en-semble?. . . On y voit les Normands, à peine débarqués en Angleterre, piller

'Professeur à la Faculté des letEes, section de frangais médiéval, univenité.deLausanne.

' Barthélemy I' Anglus, De Proprietatibus Rerum livre W, chap. 24: <<De ceno>. L édi-tion disponible à la BCU de Lausanne (cote: n,¡c. u.35) est celle imprimée par Jehan petit àPa¡is en 1515.

t-

Figure 1. Tapisserie de Bayeux, détait: Ia collation de Harold

avant I'embarcation-

DE LA FRUGALITÉ DE LERMITE AU FASTE DU PRINCE

Figure 2. Tapisserie de Bayeux, détail: le repas de Guilraume re conquérant.

table avant qu'il ne soit témoin d'une avenfure ou n'ait connaissance dequelque nouvelle étonnante. Le début du roman occit¿n Jaufrê3 offrede cette formule un développement narratif d'une longueur exceptionnelle:

Entro qe aventura vengaO calque estraina novelaDe cavaler o de piusela.

Uattente ne sera pas déçue, etArtu pourra se mettre à table (w. 4g04g4)une fois l'aventure terminée. Jaufré renverse ainsi la structure habituelledes débuts de roman, en substituant à la fonction d'ouverture du repas safonction de clôture. cette seconde fonction domine dès que le héros estentré en quête. C'est à la fin de la journée, à l'heure des vêpres, qu'appa-raissent une demoiselle ou un vavasseur prêts à offrir I'hospitalité auchevalier errant. celui-ci, tendu vers son but et la prochaine aventure, nesaurait l'accepter avant la tombée de la nuif. La séquence de I'hospita-lité comprend toujours l'accueil, le soper etle repos nocturne. Le souper -coÍrme on disait au MoyenAge et encore aujourd'hui en Suisse romande -est le plus souvent suivi d'une discussion avec I'hôte ou l'hôtesse: c'est lemoment d'un échange d'informations qui vont permettre au chevalier

1 Jaufré, I'v. 150-152, in Les troubadours, vol. I, éd. et trad. par R. Lavaud et R. Nelli,Desclée de Brouwer (<Bibliothèque Européenne>), Bruges, 1960, p.4g. - Cf. K. Busby,P e rc eval ( Iz C ont e du Graal ), Grant & Cutler, London, 1993, pp. 3f et 7 9.

a Dans I'e chevalier de Ia charrene, Lancelot refuse I'hospitalité qu'un taîfe (!) luipropose à <<none basse>> (v.2262),en hn d'après-midi.

JEAN-CLAUDE MÛHLETIIALER

repasillustrentlesfonctionsd,ouvertureetdeclôturequisontaussilesleursdanslesrécitsdu>rIfsiècle.Biendesromansarthurienss,ouvrentSrrruneréunion à la cour drr roi poo' les fêtes de Pâques' de Pentegôie ou de l'As-

cension.Cesfêtes-quandellesneSontpasminéesdel,intérieur2_serventà renforcer ra cohésion ãu groupe; e[esìérèbrent la paix qui règne dans Ie

royaume. Le rePas, élément Po

ne retient guère l'attention des

s'agit de créer une

tion va fatalementmauvaisesnouvelles,voilàunchevaliervenud'ailleurs,l'insulteàlabouche,ouunedemoiselleeproreequivientdemanderdel,aide.Laconvivialitéini-tialecréeunhorizond,attenæ,celuidel'aventureàvenir.DèsChrétiendeTroyes la séquence

"rif,gé" au point que' çà et là' Artu refuse de se mettre à

, Au début du chevalier au lion de chtêttende Troves, Artu, oublieux de ses devoirs, se

retire dans lachu-u."¿"ruåir";;õÑ;. t ansli conte duGraal\vv.903-911), ilest

abîmé dans ses pensées et indifféreni à tout ce qui se passe à table. - Pour tout renvoi aux

romans de Chréúen, """\; ã;;;;s

'i'omptètes' êd' sous la direction de D' Poirion' Galli-

mard (<La Pléiade>), Paris' 1994'

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JEAN-CLAI.]DE MT.IHLETHALER

d'orienter sa quête. La séquence de l'hospitalité mÍlrque ainsi la transition

d'un épisode à l'autre: le repas sert d'élément de clôture, la discussion

représente I'ouverture sur les aventures à venir. Le repas de Guillaume le

Conquérant a aussi une fonction de segmentation dans la Tapisserie de

Bayeux: la scène sépare la traversée de la Manche de la bataille d'Has-

tings. celle-ci est annoncéepar le personnage assis à droite, dont le geste

fait écho au geste du messager venant dire à Harold(cf. supra, fig. 1) que

les navires sont prêts. L-un et I'autre tendent le bras en pointant I'indexvers la suite de la tapisserie. trs inviænt les convives à se lever de table et,

en même temps, le spectateur à continuer la lecture de cette <bande dessi-

née> médiévale.Plus que pat sa fonction d'élément structurant, cette scène frappe par

des détails figuratifs, à travers lesquels se manifestent l'ancrage réfé¡entiel

du repas et ses enjeux symboliques. Son prélude d'abord' latazzia; à n'im-porte quelle époque de l'histoire, dans n'importe quelle guere' le ravitail-lement a toujours représenté un souci majeur des troupes en campagne.

Dans la seconde moitié du xf siècle, des romans antiques tels Le Roman

de Thèbes (vers ll54) ou le remaniement dt Roman d'Alexnndre pat

Alexandre de Pa¡is (vers 1184) lui accordent une attention particulière. Les

scènes de ravitaillement, il est vrai, ne sont pas inconnues des sources

latines dont s'inspirent ces récits; musl'amplificatio que connaît le motiftémoigne aussi de I'actualité du problème à l'époque des croisades. I¿Roman de Thèbes üansforme les combats fratricides enfie les fils d'(Edipe

en une croisade des Argiens contre les Thébains, et presque quatre cents

vers5 sont consacrés à I'expédition organisée par les assaillants pour refour-

nir l'armée en viwes. Dans Le Roman d'Alexandre,latazzia des troupes

macédoniennes dans la vallée de Josaphat est à I'origine des exploits guer-

riers rapportés dans la seconde branche, qui récrit un texte de peu antérieur,

Le Fuerre de Gadref d'Eustache. Que ce soit dans le roman antique' ou

dans la Tapisserie de Bayeux, les razzias rappellent que l'alimentation au

s I-e Rom¿n de Thèbes, éd. et trad. par F Mora, Le Livre de Poche (<<Lettres

d.4.et

al., Princeton University Press, 1976.7 Cf. Le Ro¡nan de Thèbes, w.7921-7925; dans I¿ Rotn¿n d'Alexnndre, branche III,

laisse 55, I'armê emmène des troupeaux avec elle (cf. l'évocation des truies, v. 24O2).Des

allusions au ravitaillement se retrouvent tout au long de la branche: cf. w. 1524-1525,

2t45-2148, 2215-2221,510+5 106, 60/.l-6044, 7297 -7299.

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DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

Moyen Age est avant tout une alimentation carnée: les valets d'armée deGuillaume le Conquérant emmènent un mouton, un bæuf et un porc, que lescuisiniers préparent ensuite. I-es fiavaux des historiens confirment que lit-térature et¡êaltté se rejoignent quant à la dominance de la viande lors desrep¿rs: la présence de la viande sur la table est synonyme de bien-être, saprofusion signe de richesse et, par cons{uent, de puiss ance. I-e Mesnagierde Paris offre un témoignage tatdif, mais significatif à cèt ê,gañ.Il s'agitd'un manuel rédigé vers la fin du ¡srr siècle pat un bourgeois d'un cer-tain âge, qui voulait enseigner à sa jeune épouse comment diriger la mai-son. Pour la divertir, le mari indiqueE combien de bêtes se vendent enmoyenne à Paris. tr précise le nombre de viande et de volaille nécessai¡eà l'approvisionnement de I'hôtel du roi: par semaine, il faut 120 moutons,16 bæufs, 16 veaux, 12 porcs et, chaquejour, 600 volailles,200 paires depigeons, 50 chevreaux et autant d'oisons... Après une telle énumération,comment ne pas remarquer, en regardant la Tapisserie de Bayeux (cf . frg.2),que seule I'une des deux tables a droit à la viande? Voici d'abord les person-nages assis autour des boucliers qu'on a placés à I'envers sur des tréteaux:les serviteurs leur tendent des broches avec de la volaille. Sur l'autre t¿bleen revanche, en forme de fer à cheval, n'apparaît que le poisson, accompa-gné du pain et des coupes contenant le vin. Leffet référentiel s'efface ici auprofit de I'enjeu symbolique: dans le monde médiéval chrétien, le ninômevin - pain - poissone constitue un repas de jeûne, véhiculant une significa-tion eschatologique. Le ca¡actère sacré de la table'o est doublementconfirmé par un effet de surcodage courant dans l'art du MoyenAge:

la forrne de la table est calquée sur celle qu'utilisent les artistes del'époque lorsqu'il s'agit de représenter la sainte cène;

- Et hic episc opus cibum et poturn benedicit : I' inscription met en relief legeste de bénédiction de l'évêque Odon, assis à la place d'honneur, aucenfre de la table. L évêque est le frère utérin de Guillaume le Conqué-rant et, très vraisemblablement, le commanditaire de la tapisserie, des-tinée à la cathédrale de Bayeux.Le ca¡actère sacré du premier repas du duc de Norrrandie sur sol anglais

témoigne à quel point Ia Tapisserie de Bayeux est une æuvre de propagande.

E Iz Mesnagier de Paris, éd. par G. E. Brereton et J. M. Ferrier, trad. pa¡ K. Ueltschi, LeLivre de Poche (<LetEes Gothiqueu), Paris, L994,pp.538-541.

' Cf. C. Vogel, <Symboles cultuels chrétiens: Aliments et boissons>, Concilium, L52,1980, p. 87.

m Cf. L. Musse! Ia tapisserie de Bøyeux, æuvre d'art et docunent historique,Zodiaque, Paris, 1989, pp. 286-287.

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JEAN-CLAUDE MU}ILETTIALER

Elle impose la vision normande de I'histoire en présentant la conquête de

l'Angleterre cornme une guerre juste, une croisade voulue par Dieu. Mais latable sacrée est réservée aux seuls chefs de l'expédition; le commun, lui, n'adroit qu'à un repas dont le caractère profane est souligné par la présence de laviande. Lopposition entre les deux tables rappelle que, des chansons de

geste à la fin du Moyen Age - et bien au-delà! -, I'ordre à t¿ble établit une

hiérarchie sociale: il n'est pas donné à tout le monde de s'asseoir à la <haute

table> du prince. Dans les textes, la place à table est l'expression de la valeurqu'on reconnaît à un personnage: ainsi, lorsque Guillaume d'Orange renfte,

vaincu, chez lui, son épouse le prie de s'asseoir à une <<basse table>. La tris-tesse du héros confirme son sentiment d'une dégradation, il ne se sent plus

digne de Ia <haute table> qui revient pourtânt de droit au seigneur du lieu:

Puis I'ad assis a une basse table

- Ne pout aler pur doel a la plus halte -Puis li aporte d'un senglerune espalle;Li bers la prist, si la mangat en haste,

Il la fist tant, cum s'el fust mult aate.

Et li aporte un grant pain a tamisE desur cel dovs granz gastels rostiz.Si li aporte un grant poün rosti,Puis li aporte grant mazelín de vin."

Même si Guillaume n'ose pas prendre place à la <<haute tablerr, le repas

chevaleresque - fait de viande (sanglier et paon), pain et vin - ne lui est pas

refusé pour autant. Au contraire de La Chanson de Roland, dont les héros

ignorent les besoins du corps, La Chanson de Guillaumz accorde une largeplace à la nourriture. Autant que par leur attitude au combat, les person-

nages se distinguent les uns des autres par ce qu'ils mangent et boivent.Thiébaut le lâche apparaît dès l'abord coÍrme l'homme de l'ivresse, inca-pable de maîtriser sa parole et sa peur. Son penchant pour le vin trahit lepécheur dominé par ses sens, et le Moyen Age ne peut que le condamnerdans le sillage de la Bible:

vae qui potentes estis ad bibendum vinum et viri fortes ad miscendam ebrieta-

tem.t2

'1 La Chnnson de Guillaume, éd. et trad. par. B. Schmolke-Hasselmann, W. Fink, Mün-chen, 1983, vv. 1402-l4lD. Le vers 1402 est repris, presque mot à mot, au vers 2393: après

la deuxième défaite, les vâincus prennent place <<a la plus basse table>> (v.2392).t2 Isaile 5,22: <Malheur à vous qui êtes braves à boire du vin et valeureux à préparer une

boisson eniwantel>> -Cf. Isaïe 5, Ll-12:' Prov.23,29-30.

DE LA FRUGALNE DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

Uivresse fait de Thiébaut un seigneur indigne; elle fait aussi de

l'épouse de l'empereur Louis une mauvaise impératrice. Guillaume n'hé-site pas à accuser Blanchefleur - sa propre sæur! - de gourmandise et deluxuret3, lorsque celle-ci incite I'empereur Louis à refuser toute aide mili-taire au héros. Les péchés du ventre sont incompatibles avec la fonctionroyale, et ils représentent pour le chevalier des formes dangereuses de

dérèglement. Rainouart, l'inquiétant géant au tinel'o de I-a Chanson deGuillaume et d'Aliscan¡ doit apprendre à y résister. Prisonnier sarrazinrelêgtê aux cuisines, Rainouart en sort pour combattre aux côtés deGuillaume; mais, au cæur des combats, il garde la nostalgie d'un mondequi I'a aliéné, de sa vocation guerrière. Il la reconquerra définitivement aumoment où le souvenir des bons repas le poussera, non pas à rechercher lescuisines, mais à affronter les Sarrazins avec un regain de vigueur Qaisse 169).Rainouart devient alors l'égal de Guillaume d'Orange dont I'ironie à sonégar.d - <Bien semblez hom qui tost voille dignen> (v. 2658") - n'estdésormais plus de mise. Caractérisés I'un et I'autre par un appétit impres-sionnant, ils savent néanmoins accepter les privations que leur impose laguene. L enfant Gui, trop chôyé par Guibourc, n'en est pas encore capable(laisses 116-118b): il va se restaurer en plein combat et, plus tard, est faitprisonnier par les Sarrazins. Rainouart et Guillaume évitent ce sort: pour lehéros accompli le festin ne se justifie qu'après la victoire, il est lié aux dou-ceurs de la paix. Dans .I-¿ Chanson de Guillaume,la gterre, c'est la péni-tence du chevalier, elle est son temps de jeûne. L appétit de Rainouart et deGuillaume est celui des géants et d'Hercule; il témoigne d'une force guer-rière aux relents mythiques. Mais leurs liens privilégiés avec la nourriturefont aussi d'eux les représentants d'une chevalerie profane. Ni l'un nil'autre n'atteignent la perfection de Vivien, dont la mort sur le champ debataille'6 rappelle celle de Roland à Roncevaux. Vivien meurt sous un oli-

" La Chønson de Guillaume, vv.26O4-2624. Cf. le commentaire de J. H. Grisward,Archéologie de l'épopée médiévale, Payot, Paris, 1981, pp. 236-238, et comparer à lalaisse LXD( d'Aliscans (éd. par. C. Régmer, Champion, Paris, 1990).

'o Cf. A. Labbé, <De la cuisine à la salle: la topographie palatine d'Aliscans et l'évolu-tion du persoûnage de Renouarb>, in Mourir aux Aliscans. Aliscans et la légende deGuillaume d'Orange, éd. par. J. Dufoumet, Champion, Pa¡is, 1993, pp.2ú-225; G. Gros,<Rainouaf aux cuisines, ou: Les enfances d'un héros>, et J.-M. Pastré, <Rainouart et Ren-newaf: un guerrier aux cuisines>>, in Burlesque et dérision dans les épopées de I'Occidentmédiéval, LesBellesLetnes,Pa¡is,1995,respectivementpp. lll-l22etI23-I31.

15 l-es vers 2658-2659 paraphrasent l'Eccl. lO, 16: <Væ tibi terra (...) cuius princþsmane comedunt.>>

'u La Chanson de Guillaume,laisses 13l-133: cf . Aliscans,laisses 23-28.

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JEAN.CLAT]DE MTIHLETTIALER

vier, près d'une source, après avoir reçu I'hostie des mains de Guillaume.De I'iwesse pécheresse au pain de la communion, la tension enfre le sacréet le profane ftaverse La Chnnson de Guillaurne.' le monde carnavalesquedes cuisines, le repas du seigneur dans la salle haute, témoignent des mul-tþles nuances dont est susceptible le traitement de la nourriture dans untexte médiéval. tr y a certes des constantes dans la littérature de l'époque:mais les viandes ou les boissons évoquées ne se répètent pas simplementd'un texte à I'autre. Le changement ou I'ajout d'un élément dans une énu-mération sont significatifs, ca¡ ces altérations sont tributaires du contextedans lequel se trouve la scène de repas. Amoureux du détail, le critiquedoit entrer dans la logique du récit et s'interroger sur la façon dont un repas

est intégré à l'ensemble: toute évocation de la nourriture est connotée parles liens qu'elle entretient avec d'autres éléments du récit. Dans chaquetexte le repas est placé sous un nouvel éclairage; selon l'æuwe où il figure,un même mets peut être valorisé de façon négative ou positive. Valorisa-tions et connotations: c'est sur ces subtils jeux de va¡iations que j'aimeraisattirer ici l' attention.

Le jeu des nuances: variété des triangles symboliques

Des chansons de geste aux romans du xtr siècle, les listes de mets etboissons sont rares. Le héros épique et le chevalier errant ont aufre chose àfaire que de jouir de la table, que de sombrer dans ce que le Moyen Ageappelait la <<recreantise>>. D'où ces interventions du narrateur qui, comrnechez Chrétien de Troyes, explicitent le refus de s'attarder à une scène derepas. La nourriture n'intéresse pas en soi, et I'auteur évite de <<servin> àson public des plats que celui-ci peut goûter à sa propre table. Un tel arêtna¡ratif serait source d'ennui. tr risquerait aussi d'introduire une failledans le regisüe héroique en attirant I'attention sur les besoins quotidiensdu corps:

Por tant qu'as plusors despleüst,Ne vuel parole user ne perdre,

Qu'a mialz dire me vuel aerdre.rT

'1 Cligès, vv.2342-2344 (cf. vv. 5022-5024): cf. Erec, vv. 5580-5581 et 6931-6936; Graal, w. 1566-1568. Pour le roman antique, cf.: Thèbes, w. 1010-1011;Eneas (éd. par J.-J. Salverda de Grave, Champion, Paris, 1983/1985), vv. 828-832et4'7'15-4778.

DE LA FRUGALITÉ DE LERMITE AU FASTE DU PRINCE

La littérature médiévale n'entend pas offri¡ une <<tranche de vie> balza-cienne. Même les chroniques - dont l'écriture se veut référentielle -n'énumèrent guère les mets servis lors des grandes festivités. Dans ledomaine de la nourriture, les récits de fiction recourent au procédéde la réduction symbolique. Les travaux d'Anita Guerreau-Jalabert'8 sur leroman arthurien l'ont amenée à distinguer deux triangles de base: le tri-angle chevaleresque et le triangle érémitique. Le premier est de nature pro-fane: il comprend le pain, le vin et la viande. Le second, expression durenoncement au monde, se compose de pain, d'eau et de végétaux. C'estbien là l'opposition fondamentale, telle qu'elle se manifeste notammentdans les récits du Graal. Chez Chrétien de Troyes, Perceval est d'abordaccueilli par Blanchefleu¡ ensuite par le Roi-Pêcheur et enfin par sononcle ermite. L hospitalité mondaine de Blancheflew et la table fastueusedu Roi-Pêcheur font contraste avec le repas frugal que I'ermite partageavec Perceval .Dans La Queste del Saint Graalle, récit en prose du xtr siècle,un autre ermite impose à Lancelot de renoncer à la viande et au vin: l'élé-vation spirituelle passe pil la mortification de la chair. Chevalier élu,Bohof refuse dans le même texte la viande et le poisson que lui offrentles moines d'une abbaye cistercienne. Comme Aristote darc I-e Romnnd'Alexandre'0, il se contente d'eau et de pain: dans l'imaginaire médiéval,le saint rejoint le philosophe antique. Leur rejet du monde est mis en évi-dence par le fait qu'il réduisent le trinôme érémitique à un simple binôme.Cette réduction est un premier indice que les deux triangles symboliquesde base ne sufFrsent pas à cerner le thème de la nourriture dans sa com-plexité. Les listes des mets aux )ilr et >ctr siècles sont autant déterminéespar les variations que par Ies constanteù et c'est aux premières que sontliés les effets de sens particuliers. Les variations dans la combinaison desmets et des boissons justifient de distinguer cinq catégories fondamentalesd'aliments.

Le tableau de la page 16 permet d'envisager de multiples possibiütésde combiner mets et boissons. Ce sont là les vi¡tualités qu'exploitent lesdescriptions médiévales de la table, mais aucune ne saurait les actualisertoutes en même temps. Les cinq catégories fondamentales peuvent toute-fois fai¡e partie d'un seul et même repas, et cette accumulation fait voleren éclats le triangle symbolique de base. La structure triangulaire est dans

18 Voir la bibliographie en fin de volume.te La Queste del Saint Graal, éd. par. A. Pauphilet, Champion (cFÌ',rA), Pa¡is, 1980,

pp. 129 et 183. Pour Le Conte du Graal, voir les w. 1910-1917,3280-3319, ø99-65U.^ Lc Roman d' Alexandre, branche fV, hisse 5 l, w. I 020- I 025.

t4 l5

5a. Les boissons: vin (rouge, blanc, de mûres, aromatisé)

5b. Lesboissons:siroPs5c. Les boissons: cervoise @ière), cidre

5d. Lesboissons: eau (de source)

4a. Les végétaux: racines, légumes (herbes)

4b- Les végétaux: épices (+ miel, poivre, et sel [= minéral])

4c. Les végétaux: fruits, baies, noix

3a. Les produits laitiers: fromages

3b. Les produits laiúers: lait (caillé)' flans

2a. Le pain: pain de qualité variable, galettes, biscuits (etc.)

2b- Le pain: farine, blé, froment, millet (etc.: les céréales)

2c. Lepain:panades(vspoøges- 1b+4a)2d. Les pâtisseries

la.1b.

1c.

1d.

1e.

1f.

Les quadrupèdes: produits de chasse

Les quadrupèdes: produits d' élevage

Les oiseaux: produits de chasse

Les oiseaux: produits d'élevage

[,es poissons (d'eau douce, de mer): lapêche

Les poissons (des viviers"): l'élevage

JEAN-CLAUDE IVÍTNil-ETHALER

ce cas occultée par la profusion des mets; des <<suites>> (mets servant d'ac-

compagnement) s'ajoutent aux plats principaux pour signifier la richesse

du repas. Certaines sous-catégories en revanche s'excluent mutuellement.

Ainsi, le vin (5a), la <<cervoise> et le cidre (5c) ne figurent pas sur la même

table: I'un est réservé aux repas des nobles, les deux autres sont les bois-

sons des catégories sociales moins favorisées. C'est la raison pour laquelle

I_e Conte du Graal (vy. l77L-1773) relève l',absence à la fois de vin, de

bière et de cidre dans la ville de Beaurepaire assiégée: les riches comme

les pauwes sont touchés par la disette. De même, I'eau (5d) et le vin (5a)

s'opposent habituellement: quand I'eau de l'ermiæ apparaît, le vin du che-

DE LA FRUGALNE DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

valier disparaît. Ce principe de substitution n'est toutefois pas valable auchevet d'un malade: Erec convalescent ne reçoit que du vin coupé d'earn,<<car li purs li estoit trop rades>> (Erec, v. 5163). l-e principe de complérnen-tarité est dans ce cas I'expression d'une situation exceptionnelle. En pas-sant d'un texte à un autre, on constate des alternances entre le principe decomplémentarité etle principe de substitution aussi dans le domaine de lapremière catÉgorre: gibier, oiseaux et poissons apparaisòent volontiers surla même table, mais ils peuvent aussi se substifuer les uns aux autres.D'autre paf, chacune des sous-catégories est susceptible de Taire I'objetd'une énumérafion: les textes offrent çà et là des listes de viandes ou depoissons, de même qu'il peut être question des différents vins'se¡¡is aucours d'une soirée. Nous parlerons alors du principe de démultiplication.

Principes de cornplémentarité, de substitution et de démultþlicationsont les trois mécanismes de base sur lesquels reposent les effets de sensproduits par les énumérations de mets et boissons. Ala lecture, ce sont lesjeux de substitution qui frappent d'abord: ils brisent la prédominancepresque absolue du triangle chevaleresque dans la littérature médiévale etamènent le critique à opérer avec différents triangles symboliques.Ouwons quelques textes pour les lire dans cette perspective!

Triomphe de la viande?. . . Certes, mais il y a viande et viande. tr y a le cruet le cuit, les produits d'élevage et les produits de chasse, la viande salée(ou fumée) et la viande fraîche. Des jeux de substitution s'avèrent pos-sibles à I'intérieur même du triangle chevaleresque, et on se demanderas'il ne faut pas le distinguer de ce que nous appellerions volontiers le tri-angle guerrier... Quand est-il question de viande salê ou fumée? Toujoursdans les mêmes situations: lors d'un siège, d'une longue navigation oud'uneexpédition lointaine. Voici Guillaume assiégé dans le donjon d'Orange,voilàAlexandre le Grand se préparant à traverser le désert, le père de Cli-gès s'embarquant pour I'Angleterre'?3: prépaÉe pour la conservation, laviande salée ou fumée sert, dans nos textes, au ravitaillement des troupes.Le triangle guerrier appanîtcomme une va¡iante du triangle chevaleresque,

2 A l'époque de Charles V[ Eustache Deschamps corrmence son Notable enseigne-ment pour continuer sanúé (dont il sera encore question) par le même conseil (in (Euvres

complètes, éd. par le marquis de Queux de Saint-Hilai¡e, Johnson Reprint, New York, 1966,vol. VItr, p.339).

a La Prise d'Orange, laisse 35. - Le Rom¿n d'Alexandre, branche Itr, laisse 6 (cf.laisse 138 où, nouvelle variation, la viande disparaît, remplacée par fèves et lentilles). -Dans Cligàs, w.232-234, tl est question de <vin, char et de bescuio. La substitution du painpar des biscuits, faciles à conserver, implique que la viande est salée ou ñ¡mée.natwel.

t6 t7

JEAN-CLAI]DE MThILETHALER

caf il est lié pour les nobles à des situations d'épreuve dans lesquelles la

chasse est impossible. Jamais on ne servirait de viande salée ou fumée

à l, occasion diun festin courtois ! . . . C' est là un mets paysan (cf. infra) et, ìt

l,occasion, bourgeois, si I'on en croit le témoignage dt conte de Floire et

Btnncheflorz (vãrsion aristocratique, 1150-1160?). Parti depuis peu à la

rechercúe de son amie, Floire arrive chez un bourgeois et celui-ci fait

acheter au marché de laviande en grande quantité, ainsi que du pain et du

vin pour toute la comPagnie (w. 1

amène ensuite Floire à Baudas (Bagd

geois qui offre aux voyageurs <<char

Ëo*q*i ces indicatiols-précises, par lesquelles la seconde table se dis-

tiog"å de h première? Leãeuxième hôte est un <<notoniefs>> (v. 1419), qui

fait ses affaires en transportant la ma¡chandise en bateau. Ses activités

expliquent la présence de la viande salée sur sa table: ne doit-il pas consti-

tuer des réserves en prévision des voyages?"' Différents' les deux repas

bourgeois sont touæfiis caractérisés l'un et I'autre par I'absence des pro-

duits de chasse; ceux-ci ne figurent que sur la øble fastueuse de Daire,

çreudome> (v. |574) de Babylone, où est enfin pleinement réalisé le ni-

angle chevaleresque.

Il en va autrement lorsqu'il y a passage de la viande cuite à la viande

crue et, d'habitude, substitution du vin par l'eau et disparition du pain' Ala

suite des travaux de Claude Lévi-Strauss6, on verra dans cette transforma-

tion du régime alimentaire I'expression de la dégradation de l'homme'

Manger le-cru revient à viwe colnme les bêtes, et la folie d'Yvain, darc I'e

Chelafier au Lion, Tlfistebien cette perte de la dignité humaine. Yvain est

frapÉdefoliepourn,avoirpasrespectélaparoledonnéeàsadame:horsd" ,åns, il s'élance dans la forêt, espace sauvage où il survit en dévorant de

laviande crue6. Plus tard, * "t-iæ

lui offre du pain de mauvaise qualité

etcuitlegibierqu,Yvainrapportedelachasse;c'estunpremierpassurlechemin dé retour à la civilisãtion. Mais manquent encore le sel et le poirne,

condiments qui - avec te pain bluté - sont les signes distinctifs de la table

du noble. Yvain est dans une situation comparable à celle où se trouvent

A Le conte dc Floire et Blancheflo| éd. par J.-L. Iæclanche, champion (cru¡)' Paris'

1980, w. 1433-1438 et1673-1692.s Cf. J. Iæ Gotr, L,ilnaginaire médíêval, Ç¡llimard, Pa¡is, 1985, pp- 151-187: <Iévi-

Strauss en Brocéliande>>.--ìÞo* ¿'uot

"s exemples dans la littérature mé'diévale' cf' D' Régnier-Bobler' <Exil et

retou¡: la nourriture des oiigines>, Médiévales 5, 1983, pp' 67-80'

DE LA FRUGALITÉ DE UERÀIITE AU FASTE DU PRINCE

Tristan et Iseut dans la forêt du Morrois". Eux aussi ont le feu, mais pas de

sel, le pain mQms leur fait défaut - absence qui témoigne d'une régressioninquiétante: le pain est l'aliment cuit par excellence, puisque l'ermite lui-même n'y renonce pas. Cette vie de privations conduit Tristan et Iseut àregretter la vie de cour, puis fait naître le remords: leur arnour n'est-il pasune folie qui les exclut de la communauté des hommes? Régime exclusi-vement carné, viande crue et marginalisation vont d" prt, à moins quece ne soit un signe de l'ailleurs, de la merveille:les Ichtyophagesaqu'Alexandre le Grand rencontre en Inde vivent nus, ils sont velus commedes bêtes et se nourrissent de poisson cru.

L Inde n'est pas seulement le pays des monstres, c'est aussi le pays oùl'homme vit en accord parfait ave¡, la nature sans devoir la travailler.Ainsi, les filles-fleurs boivent de I'eau et mangent la viande, les fruits etles épices produits par les plantes. Les Bratrmanesæ, eux, se contententd'eau, de lait et de végétaux. Les deux menus s'éloignent du triangle che-valeresque, mais ni I'un ni I'autre ne s'identifient au triangle érémitique:ce sont deux variantes dtt triangle de I'âge d'or.L)ãge d'or abolit la dif-férence entre état de nature et êtat civfüsé en offrant spontanément àI'hornme des aliments tout prêts. La viande des filles-fleurs n'est ni unproduit de chasse, ni un produit d'élevage: comme dans le pays deCocagne, elle s'offre aux gens déjà prête à être savourée. Cette viande estcertainement cuite puisque rien n'empêche les soldats d'Alexandre d'ygoûter. Dans le cas des Brahmanes on relèvera la substitution de la viandepar le lait. Est-ce une réminiscence de l'aurea ætas ov'tdienne? Jean deMeun, en tout cas, s'en inspire dans In Roman de Ia Rose3o (après 1270):lorsque Ami évoque l'âge d'or, il allonge sensiblement la liste des fruits,des noix, des baies et des céréales qui, avec le miel, le lait et l'eau, consti-tuent le menu des origines. Si 1'on relit le séjour de Tristan et Iseut dans laforêt du Morrois à la lumière de ce contexte culturel, l'absence de lait(v.1297t¡ paraît hautement significative. Les amants ne préféreraient-ils

? Tþxtes: Le Ch¿valier au Lion, vv- 2826-2903 et 3460-347O; Tristan et Iseut, éd. ettrad. par Ph. Walter, Le Livre de Poche (<Lettres Gothiques>), Pa¡is, 1989, version deBéroul, w. 1275-1655-

B Lc Rotnan d'Alexandre, branche III, laisse 147.Ð Filles-fleurs: Le Roman d'Alexandre, branche III, laisse 199. - Lettre des Brahmanes

à Alexandre, décrivant lew puram vitam (p.76): Historia Alexandri Magni (Historia dePreläs). Rezensionf2, zweiterTeil, éÅ.pæA.HtJ&aetR. Grossmann,A. Hain, Meisenheim,1977,p.8O.

r Iz Rornan de la Rose, éd. et trad. par A. Strubel, Le Livre de Poche (<<[.ettresGothiques>), Paris, 1992, vv- 8359-8458. Cf . Métamorphoses I, vt. lÙl-112.

t918

tan et Iseut connaissent la régression à la vie sauvage' L époque

violence d'homme à la forêt.

sés. Le vin n'est remPlacé ni Pdu paysan qui, Pourtant, n'igndans le contexte d'Erec,lev'tnchevaleresqu fau-

cheurs, à qui stitut

de la viande vient

DE LA FRUGALITÉ DE L-ERMITE AU FASTE DU PRINcE

s'ajouter à la viande sur la table des nobles, ce repas se place volontiersdans un cadre champêtre. Dans I-e Roman de la Rose de Jean Renart33, quiest écrit au début du xtr siècle, le fromage apparaît lors d'une partie deplaisir dans une clairière: loin de la cour, sous les tentes, I'empereurConrad fait servir aux dames et à lews arnis du gibier, des pâtés, puis desfromages gras, le tout arrosé d'un bon vin frais. Le manoir de Guillaumede Dole se trouve aux confins de l'Empire: ce petit chevalier offre au mes-sager de I'empereur de la viande, des fromages, des flans au lait et despoires. Relevons l'importance, dans ce menu, des produits laitiers et desproduits du verger: c'est bien clans un cadre rural que Guillaume de Dole etsa sæur, la belle Liénor, passent leur vie. Les connotations paysannes dufromage semblent bien établies* puisque, jusqu'à la fin du Moyen Age,fromage et viande peuvent s'opposer. I-e Jeu de Robin et Marion, æuwedu trouvère a:rageois Adam de La Halle, est de la fin du xrr siècle: la ber-gère y refuse le gibier d'eau que le chevalier séducteur lui offre, ca¡ ellepréGre son <<froumage cras>>3t. Le fromage représente le quotidien des ber-gers, pour qui l'alimentation carnée est réservée aux jours de fête. Seule-ment, ce ne sont jamais des produits de chasse: lors de la fête charnpêtrequi clôt le Jeu, les bergers ajoutent du jambon salé au menu, et Robin pro-met en chantant pãté et chapon à sa bien-aimê (w. 653-684)... Vers lemilieu du >cl¡'siècle, Philippe de Vitry écrit I-e Dit de Franc Gontier: 1l

vante le bonheur rustique de Gontier, qui s'oppose à la vie malheureuse etaliénée des courtisans, toujours hantés par la crainte de déplaire au prince.

Que mangent Gontier et son amie Hélaine dans une campagne idyllique?

Fromage frais, laict, burre, fromaigee,Craime, matton, pomme, nois, prune, poire,Aulx et oignons, ssç¡illengne froyeeSur crouste bise, au gros sel, pour mieulx boire."

33 Le Roman de la Rose ou de Guillaume de DoIe, éd. par F. tæcoy, Champion (crrr,ra),Paris, 1979, w. 365-378 et 1239-1247 . Sur les va¡iations dans le domaine de la viande, cf.infra.

x Dans le fabliat I¿ meanier et les .ij. clerslefromage est <la viande del boschage>: cf.L. S. Crist, <<Gastographie et pornographie dans les fabliaux>, in: Continuations. Essøys onMedieval French Litercture and Language in Honor of John L. Grßby, éd. par N. J. Lacy etG. Tonini-Roblin, Snmma, Birmingham" 1989, p. 255.

s <d,e Jeu de Robin et Marion>, v. 382, in Adam de La Halle, CEuvres complètes, êd. ettrad. parP.-Y. Badel, LeLiwe de Poche (<<Lettres Gothiques>), PaÅs,1995,p.710.

s f,e texte (w. 5-8) est édité parA. Piaget <Le Chapel des Fleurs de Lys>>, Romania2T,1898,p.63.-Matton: laitcaillé; escaillongnefroyee...:painfrottéavecdel'oignond'As-calon ( échalotte).

2t

3' Erec et Enile, vy.3129-3198. - Cf. J. Le Gotr, <<Quelques fenufques_ su¡ les codes

vestimentai¡e et alimentai¡e dans Erec et Enide>>,inLa chanson de Seste et le Wth'e caro-

tlnyi"". Mélanges RenéLouis,Saint-Père-sous-Yézelay,1982, vol.il' pP ' 125+1255', cf. M. ciosson, <us et coutumes de la table du xf au xv" siècle à travers les minia-

twes>>' in Manger et boíre au Moyen Age,I,es Belles I.ettres, Pa¡is, 1984, tome 2, w. 28-

29.

JEAN-CLAI.IDE MÛ}ILETHALER

20

JEAN-CLAUDE MUTil,ETT{AIÆR

La démultiplication des produits laitiers et des végétaux traduit une

richesse simþle qui se suffit à elle-même. L'idéal d'une vie rustique et

libre, c'est le rêve de renouef avec le bonheur de l'âge d'or, de trouver une

nouvelle entente avec la nature, mais cette fois reconquise par le travail de

I'homme. Lorsque François villon parodie le poème de Philippe de vitrydans I¿s Contredits Franc Gontiefl, il réduit le menu du couple: Franc

Gontier et Hélaine vivent d'oignons, de ciboules, de lait caillé, de potée,

de pain bis, d'orge et d'avoine. Lavafrétê des produits laitiers a disparu, et

le lait caillé est un produit simple qui, au contraife du fromage, ne saurait

La nature ne paraît guère généreuse,

ts et de noix. r--accent est mis sur les

causentforte alaine> (v. 1485)!... Pas

d,abondance donc, et une simplicité perçue comme dégradanæ, parce que

trop proche de Idécouwe par leun chanoine etposé de vin, de sucre, de cannelle, de gingembre et de garingal, se servait

ãvec des sucreries ou des fruits: ainsi se terminait la soirée commencée par

un bon repas. L exclu rêve d'une vie de luxe, d'un accueil tel que Jocaste le

réserve à Gdipe au début du R omnn de Thèbes (c1. inlra). Dans l'æuvre de

François Villon, il n'y a aucune nostalgie de l'âge d'ot ou de ses avatars

bucoliques, inspirés de Virgiler.comme le fromage, le poisson peut flgufer sur la même table que la

viande: c'est |e cas encore aujourd'hui lors d'un repas de fête. Comme le

repas se compose de brochets, de perches, de saumons, de truites et de

poiresrr. La démultiplication des poissons - d'eau douce, très appréciés! -

37 Testament, w. 1473-l5}6,in Poésies complètes, éd. et tad. par c. Thiry, t e Livre de

Gimipano. La <vita bello> est un idéalhérons et oies, que le cuisinier est prié de

d'oiseaux et de pain blanc en buvant duM. Picone, Città di San Gimignano, 1988' p. 92)-

22

DE LA FRUGALITE DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

fait que la table d'Arhr reste une table royale; pain et vin sont sous-enten-dus. Seule I'intégration des fruits au repas témoigne d'une certaine sinpli-cité: lors des grands festins on les sert plus ta¡d dans la soirée, avec du vin.Il s'agit d'un repas bref, destiné à restaurer un héros en pleine quête etaffaibli par ses blessures. La scène reste exceptionnelle dans l'æuwe deChrétien de Troyes. De manière générale les auteurs précisent rarement lesmets qui figurent sur la table en temps de jeûne - sauf dans une catégoriede textes: fruits, noix, légumes et poissons sont à l'honneur dans cespoèmes qui, du Moyen Age à la Renaissance, reprennent le thème de ZøBataille de Caresme et de Charnng¿€. Au cours d'une bataille culinaire,ces aliments affrontent les viandes et les autres mets dont les gens jouis-sent pendant les jours gras du Carnaval; c'est le sujet d'un célèbre tableau(Vienne, Kunsthistorisches Museum), que Pieter Brueghel le Vieux a réa-lisé en 1559.

Le triangle monastique (ou, plutôt, de jeûneat), même s'il reste raredans les textes étudiés ici, est à ajouter aux autres triangles symboliques.En voici un tableau récapitulatif, dans lequel on trouvera la configurationdes cinq triangles de base, ainsi que la configuration du triangle guerrier,considéré coflrme une va¡iante du triangle chevaleresque.Ente crochetsnous indiquons des extensions possibles des triangles (--+ ca:rés, etc.)dans la mesure où notre corpus de textes en offre des exemples. L alimentdistinctif de chaque catégorie est imprimé en caractères gras. On remar-quera que, par I'absenc e du pain,le triangle de I'ôge d'or futfigwe ùpartdans la série. C'est un triangle de nature mythique sans caractère rêfêren-tiel dans la mesure où il ne renvoie pas au <<vécu>> du public, celui de laré,alité féodale et courtoise. Il s'oppose par là aux autres triangles qui, liésentre eux, servent à établfu des distinctions enfre les différents groupes.Ils structurent ainsi la société, telle que la présentent les æuvres littérairesduMoyenAge:

$ M.I-e*co,I¿ Battaglia di Quaresimø e Cameval.e, hatiche, Parm4 1990. - On y rat-tachera la bataille au royaume de Torelore (Aucassin et Nicolene, éd. et trad par J. Dufour-net, GR Pa¡is, 1984, chap. >oc): dens cet univers à I'envers les gens se battent à coups defromages frais, pommes blettes et champignons des prairies.

a' La règle de saint Benoft (cf. G. et M. Duchet-Suchaux, Les ordres relígiern. Guidehistorique, Flammarion, Paris, 1993, p. 301) n'interdit pas la viande aux moines, qui ontdroit à deux mets cuits parjour. I*triangle morustique (de jetne), telqu'tlest défi¡i ici, estun insüument de cavail destiné à mieux saisi¡ une ÉaÈté littéraire.

23

2. Trianglemonastique(dejeûne)

JEAN-CLAUDE MUILEffiALER

la. Triøngtc chevaleresque VÏande (1a-fÐ + pain (2a) + vin (5a) + [fromage(3a) + végétaux (4a-c)l

lb. Triangle guerrier Viande tumée/salée (1b) + pain lou biscuits] (2a)

+vin (5a) [cuit]

Poisson (1e-1Ð + pain (2a) + vin (5a) + [végétaux(4a4c)l

DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

ture et le vêtement, dénonce une société du paraître. En plein temps de

carême43, Damp Abbé fête l'arivée de la Dame des Belles Cousines parun repas somptueux: sur les tables sont exposés une gnnde variété de

poissons, des salades, des flans, des fruits et des pâtisseries. On remar-quera l'absence de viande, conforme aux exigences du jeûne. La trans-gression de la sobriété - règle de vie proclamée au début du roman parMadame elle-même - est liée non pas à la nature des mets,'mais à la variétédes plats þlus élaborée que dans les listes du xf siècle), leur abondance etsurtout leur preparation rafhnée. Les poissons se6 þotrillis, frits ou rôtis,en pâæ ou présentés avec des sauces agréables à I'ceil. Cette table est

emblématique pour les amours naissantes de Darnp Abbé et Madame, carelle est placée sous le signe du triomphe des sens: s'y allient le souci de lapréparation des mets et le goût du luxe - que cond¡mnait, dès le xf siècle,Hugues de Saint-Victor*. La démultiplication des plats est un sigue d'os-tentation que le moraliste ne saurait tolérer; à ses yeux les plaisirs de la tableexpriment la séduction des biens terrestres et conduisent à I'oubli de Dieu.

Principe de démultiplication etvølorisations de latable

Symboliquement, la table du seigneur sert à exprimer la domination de

la nature par I'homme. Oo y trouve tout ce qu'<<aers uffris ni terra nimars>>ns, c'est-à-dire que le repas associe volontiers oiseaux, quadrupèdes

et poissons pour suggérer l'idée d'une totalité. Souvent pourtant ladémultiplication des mets ne se rapporte qu'à l'une ou à deux de ces troisclasses d'animaux: f idée de totalité ne disparaît p¿rs pour autant, mais lechoix des plats connote chaque fois le repas de manière différente. Voyonsquelques exemples en passant de la chanson de geste au roman!

Dans Le Voyage de Chnrlernagne4, le souper, puis le dîner d'adieu duroi Hugues se composent de cerf, de sanglier, de gtues, d'oies sauvages

43 Antoine de la Sale, Ielnn de Saintré, éd. et trad. par J. Blanchard et M. Quereuil, LeLivre de Poche (<d-ettres Gothiques>>), Paris, L995,pp.436439-

* De Insrtturtone Novirtorur4 chap. nru (<De disciplina in mensa servanda, et primo inhabitu et gestu>), où il dénoncele luxus,la curiositas etla superstitio (rn Opera omni4 &.parJ.-P. Migne, Ganrier, Paris,1880l= Patr. Lat. l76l,col.950).

as Flamencaorcnanoccitanduxttf siècle, éd.parJ.-Ch.Huchet, 10/18(<Bibliothèquemédiévalo), Paris, 1988, w. 517-518.

4 Le Voyage de Charlernagne à Jérusalem et à Constantinople, ê.d. par P. Aebischer,Droz (rrr), Genève, 1965, w. 3994L4et831-837.

25

3. Triønglepøysan Fronage (3a) [et viande (1b) lors des fêtes] + pain

(2a) + vin (5a) [ou cidre (5c)] + lvégéøux(4a,k)l, et (4b) sous forme de sell

4. Tiangle érémitique Végétaux (4a-4c) + pain (2a) + eau (5d) [ou cidre

(sc)l

5. Triøngle de l'âge d'or Lait (3b) lou viande toute prête (1x)] + végétaux

(4a-4c) + eau (5d)

Dans la version brève du Moniage Guill.aumea,Le triangle ou, plutôt, le

carré monastique constitue le repas des moines dans I'abbaye où s'est

retiré Guillaume d'Orange. Leur menu comprend du poisson, du pain, du

vin et des Êves. Dans la version longue de cette même chanson de geste,

les moines ont droit au triangle chevaleresque démultiplié: ils se régalent

par. W. Cloetta S.A.T.F.'<Guillaume et Rainoua¡thumaio, inBurlesque ets, Pa¡is, 195, PP. 93-110.

24

JEAN-CLAUDE MT]HLETTIALER

(gentes) et de paons au poiwe. Les deux énumérations, identiques, tien-nent de la formule épique et sont parfaiæment adaptées au rythme soit de

l'alexandrin, soit du décasyllabe: on rencontre des listes comparables dans

Le Chnrroi de Nîmes et La Prise d'Orangeq.Vidêe, de totalité s'exprimed'abord à travers I'association de l'air et de la terre, mais aussi à travers lacomplémentarité du sanglier (la bête noire) et du cerf (la bête rouge).

Chaque fois, on ne sert que des produits de chasse, activité emblématiquedes nobles: l'hospitalité du roi Hugues est celle d'un grand seigneur. Dif-férente est la situation dans Lcs Narbonnaif , où la liste est pourtant com-plète puisqu'elle intègre les produits de la terre, de I'eau et de l'ai¡.Guillaume d'Orange et ses frères y mangent du cerf, du sanglier, du bæuf,du porc, des oiseaux gras et des poissons. L énumération accorde une largeplace aux produits d'éIevage, et ceci s'explique aisément: <<l'ostel Rol-lanb>, où se trouvent les fils d'Aimery de Narbonne, est la propriété d'unriche bourgeois, et non pas d'un noble. Produits de chasse et d'élevage se

complètent aussi dans La Chanson de Guillaum¿,' seulement, le contexteest différent et les connotations ne sont pas les rnêmes. Dans son palais, lehéros reçoit du pain, du vin, ainsi qu'une épaule fls s¡nglier et un grand rôtide porc - viandes auxquelles s'ajoute une fois un paon rôti. Le repas de

Guillaume est à l'image de sa situation: il est à la fois guerrier et seigneur.

La chasse lui rappelle le combat qui l'attend, tandis que l'élevage renvoieà la gestion du domaine en temps de paix. Remarquons que, des oiseauxpossibles, seul le paon est évoqué: la grue et l'oie sauvage, autres mets fré-quemment cités, manquent à l'appel. Avec le sanglier, le porc et le paon, laliste ne comporte que des animaux mâles et adultes. Le poussin au poiwe,a¡rosé de vin servi dans des coupes à couvercle - signe de luxe! -, est réservé

à I'impératrice. Au rôti du guerrier s'oppose le raffinement d'une femmeluxurieuse: le mets prêféré, de Blanchefleur, ainsi que la sauce au poiwe,ont ici des connotations érotiques évidentes. Ce système d'oppositions estparticulier à La Clnnson de Guillaurne.Dans d'autres chansons de geste(Le Voyage de Clnrlemagne; Le Chanoi de Nîmes),les chevaliers ont,eux aussi, droit au poiwe, qui sert à assaisonner le paon. Mais le lien entrela nourriture etl'eros est étroit, et il ne cesse de refaire surface au MoyenAge, de I'apparition de la courtoisie à cette <<amoureuse cuisine>> qu'évoque,

n Le Clwnoi de Nîmcs, é.d. par D. McMillan, Klincksieck, Pa¡is, 1978, laisse 30 (san-glier, gnres, oies sauvages, paons en poiwe); I¿ Prise d'Orange, laisse I 8 (grues, oies sau-vages, paons rôtis).

* Lcs Narbonnaia éd. par H. Suchier, F. Didot (srr), Paris, 1898, laisse 60.

26

DE LA FRUGALIÉ DE L'ERMITE AU FASTE DU PRINCE

ironique, Charles d'Orléansne. Dans /.¿ Roman de Thèbes, les mets5o sonténumérés seulement lors des noces d'(Edipe et de Jocaste; la liste des platsest absente du souper offert à Tydée et à Polynice parAdraste, roi d'Argos(vv.996-1021). A la table du roi impofe le faste déployé (cf. infra) et nonpas la nourriture. I-lattention accordée aux mets connote négativementl'union incesteuse d'(Edipe et de Jocaste, que le narrateur avait qualifiéed'entrée de <pechié> (v.27). Leur union est placée sous le signe du plaisiret des sens, et le repas confirme ce que disait la première rencontre(w.435-40) des futurs époux. Vers la fin de la soirée, Jocaste ordonne depréparer les lits, puis offre vin, hydromel et vins épicés au meurfier de sonépoux: elle met ainsi en place un programme de séduction où le vin a unefonction d'ouverture... Le roi Adraste en revanche sert le vin à ses hôtesaprès lew avoir présenté ses filles: ce viri scelle un double accord demariage et d'aide militaire. tr est placé sous le signe de lalégalité, et n'estpas une invit¿tion à la luxure. Le vin et la table associés à la séductionféminine réapparaissent dans Le chevalier de la charrette de ch¡étien deTroyes: la table de la demoiselle entreprenante est couverte d'une nappe etLancelot aperçoit à la lumière des chandelles des hanaps d'argent doréainsi que deux pots - I'un rempli de vin de mûres, I'autre de <<fort vinblanc> (v.997). Aucun autre mets, aucune auûe boisson ne seront évo-quées lors du repas commun: le vin et le luxe s'allient pour signifier laséduction. De ce point de vue, l'hospitalité de{a demoisellè enûeprenanteannonce I'hospitalité que le Roi-Pêcheur accorde à Perceval5'. Dans lechâteau du Graal, la table est une t¿ble ostentatoire, de l'ébène des tréteauxarD( coupes d'or sur une nappe digne du pape: après le copieux repas onsert des fruits et des électuaires, puis on clôt la soirée en buvant des vinsaromatisés et du sirop52 clair. Dans cette scène, aussi bien que dans celle duChevalier de la Charrette, tout est soumis aux plaisirs de la vue, du goût etdu toucher: ce sont, dans l'æuwe de Chrétien, les deux seules scènes où lenarrateur précise que I'eau pour se laver les mains est chauffée et qu'on

'e Charles d'Orléans, Ballades et rondeaux, éd. et ùad. par J.-C. Mählethaler, Iæ Livrede Poche (<<[,ettres Gothiqu.es>>), Pa¡is, 1996', rondeau n" 277. Les plaisirs de table sontrarement évoqués dens les rondeaux du duc: cf. n* 43, 181, 281, 283.295.

e Lc Roman de Thàbes,w.470481 (daims, cerfs, cygnes, paons, oies sauvages, hérons).5' Lc Conte du Graal, yv.3254-3333.52 Expression d'un luxe inconnu à Perceval, ces boissons et ces mets choisis faciliænt

aussi la digestion. La valeur médicale du sirop est signalée par Barthélémy I'Anglais, DeProprietatibus Rerum,livre vI,. chap. 22: <<TÞrtium genus potus est potus et medicina sictttest oximel et synrppus.>>

27

sertduvindemûres... Auüe signe de rafEnemenÇ la sauce aupoiwe apparaît

seulement éur h table du Roi-Pêcheur dans I¿ Conte du Graal- La hanche

de cerf de haute graisse au poiwe chaud fait partie d'un repas mondain

auquel s'oppose le cortège du Graal: Perceval n'osera pas poser les ques-

tions qu,éveitte en lui ce mystère sacré". Hanté tout au long du roman par

la faim, Perceval reste prisonnier de son passé en jouissant d'un repas dont

il ne saisit pas les enjeux symboliques. cette hanche de cerf n'évoque-

t-elle pas à la fois ."i t"put antérieurs et la malédiction qui pèse sur la

famille de Perceval?... on sait que son père, tout comme le Roi-Pêcheur, a

été blessé à la hanche et que cette blessure est à l'origine du déclin de la

fa¡nille. Admirons les liens subtils que Chrétien tisse entre les différents

repas de Perceval! Le premier jour après avoir quitté le manoir maternel,

Perceval trouve à manger dans la tente d'une demoiselle qu',il a su4nise

endormie. tr prend d'abord de force les baisers et I'anneau de la demoi-

selle, puis dévore à belles dents fiois pâtés de cheweuil sans y avot¡ été

invité: Perceval viole ainsi toutes les lois de l'hospitalité. Úez Blanche-

fleur on lui sert un chevreuil, fraîchement tué, avec du pain et du vin. C'est

là, certes, un triangle chevaleresque, mais bien étrange à une lecture atten-

tive. Le cheweuil, produit de chasse, est digne de Perceval qui est un che-

valier fraîchement adoubé; le pain en revanche a éte offert par un errnite;

quant au vin, il est cuit. tr est donc destiné à la conservation et renvoie à la

situation de siège, dans laquelle se trouve la ville de Beaurepaire. Autre-

ment dit, ce triangle, apparemment chevaleresque, amalgame trois élé-

ments de provenan"" di*tt"t le chevreuil appartient au triangle chevale-

fesque, le pain au triangle érémitique et le vin au triangle guerrier. Au

nivåau symbolique, tout le pafcours de Perceval est résumé pÍrr ce repas:

de chevalier, il deviendra libérateur de la ville en mettant ses annes au sef-

vice d'autrui. Plus tard, son oncle ermite lui fera redécouwir les valeurs

chrétiennes au cours de la quête du Graal. Par le cheweuil fraîchement tué,

le repas à Beaurepaire .'oppot" aux pâtés que Perceval a mangés sous la

tente. Le pâté se mange souvent à la campagne, en forêt, et Chrétien de

Troyes leìésewe "n

pLr. aux femmes et aux malades: le pâté n'apparaît

qu'au chevet d'Erec cìnvalescent'a et sur la table de la demoiselle darc I'e

òonte d.u Graal. Du pâté de la demoiselle au cheweuil de Blanchefleur

53 Sur la scène du Graal, souvent discutée, voir la mise au point de F. Dubost <<I-e conflit

des lumières: lifre "tot el" la dramaturgie du Graal chez Chrétien de Troyes> , Le Moyen Age

98 (19921 r), PP. L87 -212.'" Erec'eiÈnide, w. 5145145. Les sæurs de Guiwet b¡nnissent aussi ail et poiwe de la

øble du malade (vv. 5202-52M) -

JEAN-CLAT]DE MÜTil.ETHALER

28

DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

et au cerf du Roi-Pêcheur, on reconnaît un mouvement de gradation duplus simple au plus noble. Mais pourquoi n'est-il question que de bêtesrouges?... pourquoi ne jamais évoquer le sanglier, mets apprécié par leshéros des chansons de geste?... Dans l'æuwe de Chrétien de Troyes55, lesanglier n'apparaît que comme élément de comparaison: il indique uneviolence extrême au combat ou qualifie, darsll¡ain, un personnage inquié-tant comme ce géant qui garde les taureaux à I'entrée de Brocéliande. Labête noire, plus sauvage, semble peu compatible avec I'idéal du chevaliercourtois qui sait dominer ses pulsions et sa force: il n'en mange pas.

Comment se fait-il que le sanglier réapparaisse dars Le Roman de InRose de Jean Renart, auteur de la génération qui suit Chrétien de Troyes?Aux noces de I'empereur Conrad et de la belle Liénor56 sont servis des san-gliers, des ours, des cerfs, des grues, des oies sauvages et des paons rôtis. Apremière vue cette profusion de viandes témoigne du ca¡actère hyperbo-lique des festivités qui clôturent le roman; elle oppose la largesse impéria1eà l'hospitalité du chevalier Guillaume de Dole. Dans son manoir (vv.1239-lù+7), celui-ci avait fait servir au messager de l'empereur des porceletsfa¡cis, des lapins tendres et des poulets ba¡dés de lard. Des produits d'éle-vage donc, et un petit gibier (ou aussi un produit d'élevage?). Dans IzRoman de la Rose,la belle Liénor passe de la simplicité du manoir de Doleà la richesse de Ia table imFériale. Le sanglier, évoqué à ce seul momentdu récit, est le mets du grand seigneur. Il le restera d'ailleurs tout au longdu MoyenAge: au début du >arr siècle les <<senglers sauvages>> (v. 1113)figurent dans la liste des mets qu'évoque l'héroïne dl Roman du cornted'Anjous'; au x\r siècle, I¿s Très Rich¿s Heures du duc de Berry montrent,pour illustrer le mois de décembre, non pas un porc égorgé par les paysans,mais un sanglier aux abois dans le bois du château de Vincennes, propriétédu duc. Mais le repas de noces de I'empereur Conrad et de Liénor ne laissepas d'étonner: que viennent chercher l'ours s¡ 1s senglier dans ce romanoù I'activité chevaleresque se réduit à ses aspects ludiques, la chasse et letournoi?... où les chants coufois et les chansons popularisantes rytbmentle rêcit2 . . . Avec 1'ours, très rare en littératwe, et le sanglier, la table impe-riale est ca¡actérisée par une surenchère de la sauvagerie. Le repas denoces récupère un modèle d'écriture antérieur aux romans de Chrétien

s Cf. W. Foerster, Wönerbuch zu Kristian von Troyes' s¿imtlichen Werken, M. Nie-meyer, Täbingen, 1973s, entrê: <sangleo.

s6 Le Roman de ln Rose ou de Guillaume de Dole, vv.544Ç5458.t Jean Maillart, Lc Ro¡nan du comte d'Anjou, éd. par M. Roques, Champion (crua¡,

Paris, 1 964, w. llß-1162-

29

JEAN-CLAUDE MTNILETTIALER DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

du même milieu parisien que l'æuvre de Jean Maillart. Mais ce qui, dans leronurn, servait à exalær la vie aristocratique, devient dans la satire unedénonciation d'un pouvoir politique perverti. I-e repas de noces du chevalFauvel - allégorie des Vices qui règnent en France - et de Vaine Gloire finitpar une orgie où triomphent la gloutonnerie et f iwesse. La liste des plats de

choix repris dtt Romnn du cornte d'Anjou débouche sur l'évocation de metsfaits <de pechiez confre nature> (v. E.468) - dont se régalent les Vices invi-tés: lieu de l'excès et de la débauche, la table appafient au domaine de lagul.a, pêchê capital. De l'Antiquité à la Renaissance les moralistes n'ontcessé de dénoncer le risque de désordre, de subversion, que génère le plaisirde table. Au MoyenAge, les mises en garde s'adressent d'abord aumondecurial: Jean de Salisbury fustige dans le Policraticuf l'intemperanti.a etproclame I'idéal delafrugalitas; c'est cette même vertu d'<<atemprance>>

qu'exigera aussi le De Regimine Principum de Gilles de Rome6'. La pre-mière partie de ce <régime des princes>, imprimé jusqu'au xvn siècle,apprend au prince à se gouverner lui-même: par la raison, il doit savoirconffôler ses passions et les plaisirs du corps. Les clercs se méfient de latable, et les poètes, pourtant atu( gages des grands, n'échappent pas au poidsdes traditions morales. C'est le cas d'Eustache Deschamps, poète de coursous le règne de Charles VI. n écrit à une époque où I'art culinaire a acquisses lettres de noblesse: le bourgeois aisé qui rédige Le Mesnagier de Parisconsacre un tiers de l'ouwage aux recettes. tr dinspire duWandier Taille-vent, célèbre traité d'art culinaire qui est encore cité par François Vìllon etque leMoyenAge atûibue à GuillaumeTirel, maîfte cuisinier de Charles V.Dans son Notable enseignement pour continuer santé en corps d'ommz,Eustache Descharnps offre à son tour un catalogue détaillé des mets habi-tuels à l'époque. Mais, loin d'exalter la richesse de la table aristocratique, ilécrit dans le sillage des regirninn sanitatis, des <cégimes de santé>>. tr pro'pose une diététique aux relents moraux en condamnant toute fonne d'excèsalimentaire. La gula ne comporte pas seulement des risques pour la santé,

mais elle ravale au rang de I'animal I'hornme qui veut - selon un proverbe6'célèbre grâce à l'Avare (scène m, l) de Molière - <<viwe pour mangien>

û loannis Saresberiensis Episcopi Carnotensis Policratici Libri VIil, éd. parC. L Webb, Oxonü e Typographeo Clarendoniano, livre VItr, chap. 6-13.

6' Traduction française (fin >m) par Henri de Gauchi: Li Livres du Gouvemement desRois, éd- par S. P. Molinaer, AMS Press, New York, 1966, livre I, partie tr, chap. 15 et 16.

" Le proverbe, puisé rl¡ns la Rheørica ad Herennium GV', 28), est courant à la fin duMoyen Age: cf. J. W. Hassel , Middle French Proverbs, Sentences, and Proverbial Phrases,Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Toronto ,1982,t" ltl77 .

31

de Troyes,,celui de la chanson de geste. L ironie jaillit de cette dissonance

entreunrepasdetypeépiqueetuncontextecourtois:JeanRenartjoueavec des formules héritées de la littérature antérieue et se démarque de

son grand prédécesseur. Il s'en démarque éSate-menj par I'importance

accordée à la couleur l0cale. Les noces de conrad et de Liénor ont lieu à

Mayence, et les sergents mangent un plat régional: un ragoût de mouton

"ro-tegorn", qui, rappelle le nalrateur, ne se sert qu'au printemps' Ailleurs

il préJise q,r" 1", t õ-ug", sont de Clermont et les vins de la Moselle

(ui. zøs_zl4). De telles mentions de la provenance des produits et la

à*i¿r" de les apprêter apparaissent cortme une touche de <réalisme>;

c,est une porte entrouu"tt" .* un intérêt pow la nourriture et I'art culi-

naire en soi. Seulement, le Moyen Age n',exploitera guère les possibilités

offertes par les innovations de Jean Rena¡t. tr faut attendre le début du

xrr siècle et I-e Roman du cotnte d'Anjou (1316) de Jean Maillart pour

qu,une héro.rne, chassée de la maison paternelle, regrette les riches repas du

iasse: de façon significative, c'est au moment où l'abondance ne vaplus de

soi qoe la nounitrue devient un objet de valeur. Qu',énumère la fille du

.o-i" d,Anjou? Les produits de 1a chasse et de la pêche d'abord: neuf

oiseaux appréciés, te liUier - cerfs, daims, lapins et sangliers-- ainsi que

tenæ sorteì de poisso-ns en précisant çà et là les manières de les apprêær'

Puis viennent les pâtisseries, rarement présentes jusqu'alors dans la littéra-

ture médiévale: des <<gauf[res>> aux <<ruissoles>>, l',héro'rne en énumère onze

sortes. Et enfin, voici dix-neuf vins précieux, dont le vin de Beaune' que

nous apprécions toujours, et le Saint.Pourçain que Chafles d'orléanss8

éuoqo" åo"or" à h dn du MoyenAge' La liste fournie pN I-e Roman du

,o*,, d,Anjou est d'autant plus frappante que l'histoire n, a rign d, original:

le conte de la fille qui se coupe la main pour échapper au désir incestueux

du père fait partie du folpóre international. C'était déjà le sujet de La

Maiekineq,rå ntmpp" de Rémy, seigneur de Beaumanoir' a rédigée proba-

blement u,rto* de l'iZOttZ+O: or, mets et boissons sont passés sous silence

dans cette version du conte!... tr semblerait que f intérêt pour la table soit

liéàl,époquedesderniersCapétiensdirects,PhilippelVleBeletsesfils.La longue ùste des mets et boiss ons du Roman du comte d' Ani ou estrcpnse

dans la version interpolée duRoman de Fauvelss (l3lsll320), satire issue

s" Ball.ades et rose Le Roman de du Bus, éd. par A. Långfors, F Didot, Paris' 1914-

1919, w. E.385-53 époque, cf' notre êfiide Fauvelaupouvoir: Lire la

satire médiévale, Champion, Paris' 1994'

30

JEAN-CLAI]DE MÛTil-ETTIALER

largesse, et non pas un appétit qui I'associerait au tyran'

En guise de conclusion: dire lamniesté duprince

et Chroniqueurs du MoYen Age,

éd- >)'Paris' 1952'PP'221-222'

32

DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

Saumur en lVtl. Joinville souligne encore le rang élevé des nobles qui ontservi à la haute table du roi. Le nombre et la noblesse des serviteurs sontaussi les signes de l'opulence qui règne à la cour d'Adraste rtans Iz Romnnde Thèbes, ou de la magnificence du repas qu'Artu offre à I'occasion ducoluonnement d'Erec: il y a plus de dix serviteurs chez le premier, t¿ndisque chez le second mille chevaliers s'occupent du pain, mille autres du vinet mille enfin des mets!... Ce qui fait la valeur d'un repas, c'est sa mise enscène: d'où l'importance de la musique, des jongleurs, dont Guillaumed'Orange regrette I'absence au début de I-a Pise d'Orangø. Son væufinira par êfre exaucé: les festivités à l'occasion de son mariage dureronthuit jours, le comte Bertrand servi¡a les époux et il y aura un grand hombrede <<ha4reor et juglen (v. 1883). Pas de banquet (tittéraire ou réel) sans lacantorurn et instrumentorum musicalium iocunditafs! Source de plaisir,la musique témoigne du caractère profane de la table, et Jean de Salisbury

- encore lui! - ne s'y est pas trompé:

Et ne doivent pas bien soufh¡e les disners quant a son corps nourri¡ et sachar trop eschauffer se on ne la resveille de luxures par luxurieuses chançonset instrumens et jugleries pour cuer esleescier lrejouir] et traire lincliner] avanité?6

Musique et divertissements font partie intégrante d'un repas qui - duxf siècle à l'automne du MoyenAge - se veut de plus en plus spectacle6T.

L histoire des <<entremets>> en témoigne bien: le terme désigne d'abord undivertissement quelconque, des chants ou des pièces montées, puis cescygnes et paons spécialement ornés dont parle Le Vandier Taillevent. Auxrr siècle, la magnifrcence triomphe dans les banquets à la cour des ducsde Bourgogne. Au célèbre Banquet du Faisan (Lille, l7 fêviet 1454), les<<entremets>> sont d'un côté ces châteaux, fontaines, etc., posés sur lestables, de I'autre il s'agit d'entremets <<vifs, mouvans et allans>, véritablespièces de théâtre. Les uns et les autres dewaient inciter les invités à s'enga-ger dans la croisade projetée par Philippe le Bon. Le menu du jour, sans

65 Barthélemy I'Anglais, De Proprietatibus Rerum, Iivre VI, chap. 24 (cf. note 1): <leplaisir des chants et des instruments de musique>>.

tr Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372), éÃ,. par Ch. Brucker,Droz, Genève, 1994, livrel, chap.6 (p. 117).

67 Nous renvoyons au riche a¡ticle de D. Rieger, <Qar devant lui chantent li jugleo¡Mit-telalterliche Dichtung im Kontext des <Gesamtkunstwerks>> der höfischen Mahlzeio, inEssen und Trinken in Mittelalter und Neuzeit, pp. 27-M (voir la bibliographie en fin devolume).

33

68cf.M.Meiss,TlæLitttbourgsandthcirConteøporaries,ThanesandHudson,I.on-

don, 19?4, vol. I, p. 184: <5. The Calenda¡ and is PainterÞ'u I-e Romn tl' Alexatúre, b'ranche Itr, laisse 5 1'

34

DE LA FRUGALITÉ DE UERMITE AU FASTE DU PRINCE

Figure 3. Frères Limbonrg, Les Très Riches Heuresdu duc de Berry, déteil: moß de jarwie4 Ie repas duduc.

35

Bibliographie

Contribution de Jean-Claude Mühtetlnler

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Du mnnuscit à Ia table. Essøis sur la cuisine øu Moyen Age et rêpertoire des

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Champion-Slatkine, Pa¡is-Genève, 1992.Essen und Trinlcen itn Minel.ølter und Neuzeit. Vortröge eines interdisziplinären

Symposions vom 10.-13. Juni 1987, ed Par. I. Bitsch & Alü, Jan Thorbecke,

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M. Aurell, o. Dumoulin et F. Thelamon, publications de I'université deRouen n' 178,1992.

PUBLICATTONS DE UIJNTVERSITÉDE LAUSANNE

COTJRS PIJBLIC DEUUNTVERSTTE ß95-1996

Manger

ÉnmoNs PAYor LAUSANNELTBRATRIE on ruxrvsnsrrÉ

Cette publication a été réaliséeavec I'appui financier

de l'Université de Lausanne et de fa Société de Banque Suisse

Présentation

Il est une question qui m'intéresse tout autremcnt, et dont Ie <sølut de

l'humanité> dépendbeaucoup plus que de n'importe quelle curieuse subtilitéde théologien: c'est la question du régime alin"entaire.

Frédéric Nietzsche, Ecce Homo

Photos de couverture:En haut : détail d'une miniature représentant une collation aristocratique

(Rome, Bibliothèque Casanatense).

En bas à gauche : Femme allaitant (photo archives Edipresse, Lausanne).

En bas au milieu : < La tête du prisonnier est bouillie dans une ma¡mite >>,

bois de H. Staden extraitde VeraHistoria..., Buenos Aires,l94.En bas à droite : Hot-dog þhoto Alain Ogheri, archives Edipresse, Lausame).

Dans une encyclopédie courante, I'article <<Alimentation>> occupe unebonne trentaine de pages entre les articles <<Aliénation>> et <<Allégorie>.C' est une façon comme une autre de situer la perspective dans laquelle s ' estplacé le Cours public 1995-1996 de I'Université de Lausanne. D'un côté,manger nous renvoie au monde animal et, dans ce sens, nous aliène de notrenature d'homme: pour surviwe, il faut manger, comme il faut dormir, ourespirer, ou se reproduire. Parce que cette contrainte animale est capitaledans notre économie corporelle, I'alimentation est un thème majeur de labiologie et de la médecine humaine. D'un autre côté, la nourriture sollicitetoutes sortes d'allégories autour d'elle, qui annulent et contredisent la tri-vialité de I'acte: rlans ce sens, manger est un acte d'homme, transforrné etenrichi par les représentations sociales et individuelles.

C'est pour explorer quelques-uns de ces aspects que ce cours a étéconçu. Les thèmes retenus résultent d'un choix a¡bitraire. Certains coursparlent plus spécifrquement des aspects rituels ou sociaux de I'alimenta-tion, avec les enjeux symboliques de la table au Moyen Age, le canniba-

Jnceues Scnnr¡n Eorr¡r¡n@ 1996, Editions Payotlausanne, Nadi¡ s.a.

rsBN 2-601-031948Imprimé en France

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