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REVUE GÉNÉRALE ET ANALYSE PROSPECTIVE Anticorps anti-α-actinine et anticorps anti-C1q : deux nouveaux « marqueurs » pour la glomérulonéphrite lupique Anti-α-actinin and anti-C1q antibodies: new markers of lupus nephritis T. Guerrier a , S. Jousse b , M. Dueymes a , P. Youinou a, * , Y. Renaudineau a a Laboratoire dimmunologie, centre hospitalier universitaire, BP 824, 29609 Brest cedex, France b Service de rhumatologie, centre hospitalier universitaire, BP 824, 29609 Brest cedex, France Reçu le 19 janvier 2007 ; accepté le 3 février 2007 Disponible sur internet le 18 avril 2007 MOTS CLÉS Lupus érythémateux disséminé ; Glomérulonéphrite ; Autoanticorps ; α-actinine ; C1q Résumé La glomérulonéphrite (GN) est la complication la plus fréquente et la plus grave du lupus érythémateux disséminé. Son diagnostic biologique est assuré par la mise en évidence des anticorps (Ac) antinucléaires (AAN). L identification de la cible de ces derniers est domi- née par la recherche des antigènes (Ag) nucléaires insolubles comme les anti-ADN et les Ag nucléaires solubles (anti-SSA/Ro, anti-SSB/La, anti-Sm, anti-RNP). La plupart dentre eux ne sont pas associés avec lévolution de la maladie. La caractérisation récente des Ac impliqués dans la GN sest traduite par le développement de nouveaux tests dont la signification pronos- tique est meilleure que celle des anti-ADN : les anti-α-actinine et les anti-C1q. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Systemic lupus erythematosus; Nephritis; Autoantibody; α-actinin; C1q Abstract Systemic lupus erythematosus is an autoimmune disease of which glomerulonephritis (GN) is the most frequent and serious complication. Biological diagnosis of this disease relies on antinuclear antibodies (ANA) screening, and identification of their targets. These include insoluble nuclear antigens (Ags) such as anti-DNA and soluble nuclear Ags (SSA/Ro, SSB/La, Sm, RNP). However, some of them are poorly associated with the evolution of the disease. Recent characterization of Abs in GN, resulted in the development of more reliable tests. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Immuno-analyse et biologie spécialisée 22 (2007) 195201 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Youinou). 0923-2532/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.immbio.2007.02.004 available at www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/IMMBIO/

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Immuno-analyse et biologie spécialisée 22 (2007) 195–201

ava i lab le at www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: ht tp://f rance.e l sev ier.com/di rect/ IMMBIO/

REVUE GÉNÉRALE ET ANALYSE PROSPECTIVE

Anticorps anti-α-actinine et anticorps anti-C1q :deux nouveaux « marqueurs »pour la glomérulonéphrite lupique

Anti-α-actinin and anti-C1q antibodies: new markersof lupus nephritis

T. Guerriera, S. Jousseb, M. Dueymesa, P. Youinoua,*, Y. Renaudineaua

a Laboratoire d’immunologie, centre hospitalier universitaire, BP 824, 29609 Brest cedex, Franceb Service de rhumatologie, centre hospitalier universitaire, BP 824, 29609 Brest cedex, France

Reçu le 19 janvier 2007 ; accepté le 3 février 2007Disponible sur internet le 18 avril 2007

MOTS CLÉSLupus érythémateuxdisséminé ;Glomérulonéphrite ;Autoanticorps ;α-actinine ;C1q

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : youinou@

0923-2532/$ - see front mattedoi:10.1016/j.immbio.2007.02

univ-bre

r © 200.004

Résumé La glomérulonéphrite (GN) est la complication la plus fréquente et la plus grave dulupus érythémateux disséminé. Son diagnostic biologique est assuré par la mise en évidencedes anticorps (Ac) antinucléaires (AAN). L’identification de la cible de ces derniers est domi-née par la recherche des antigènes (Ag) nucléaires insolubles comme les anti-ADN et les Agnucléaires solubles (anti-SSA/Ro, anti-SSB/La, anti-Sm, anti-RNP). La plupart d’entre eux nesont pas associés avec l’évolution de la maladie. La caractérisation récente des Ac impliquésdans la GN s’est traduite par le développement de nouveaux tests dont la signification pronos-tique est meilleure que celle des anti-ADN : les anti-α-actinine et les anti-C1q.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSystemic lupuserythematosus;Nephritis;Autoantibody;α-actinin;C1q

Abstract Systemic lupus erythematosus is an autoimmune disease of which glomerulonephritis(GN) is the most frequent and serious complication. Biological diagnosis of this disease relieson antinuclear antibodies (ANA) screening, and identification of their targets. These includeinsoluble nuclear antigens (Ags) such as anti-DNA and soluble nuclear Ags (SSA/Ro, SSB/La,Sm, RNP). However, some of them are poorly associated with the evolution of the disease.Recent characterization of Abs in GN, resulted in the development of more reliable tests.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

st.fr (P. Youinou).

7 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

T. Guerrier et al.196

Les maladies auto-immunes forment un groupe hétérogènede désordres inflammatoires capables de passer à la chroni-cité, de mobiliser des facteurs génétiques de prédispositionet de requérir des facteurs environnementaux comme lesagents infectieux ou les médicaments. Traditionnellement,on distingue celles qui sont spécifiques d’organe — le dia-bète de type 1 par exemple — et celles qui ne le sont pas— le lupus érythémateux disséminé (LED) par exemple. Dansles affections de la deuxième catégorie, le système immu-nitaire se retourne contre des autoantigènes (Ag) ubiquitai-res [1].

Le LED est l’archétype de ces maladies auto-immunessystémiques. Sa prévalence oscille d’une ethnie à l’autreentre un cas pour 10 000 et un cas pour 20 000 habitants.Il prévaut largement chez les femmes qui représentent90 % des malades et prédomine chez celles qui sont âgéesde 10 à 40 ans. L’affection s’accompagne de signes clini-ques tellement variables que son diagnostic est parfois dif-ficile. On recourt alors aux critères cliniques et biologiquesdu collège américain de rhumatologie pour que le mode declassement des malades soit standardisé [2]. Parmi lesmanifestations les plus sévères, citons la glomérulonéphrite(GN), avec la protéinurie isolée à une extrémité et l’insuf-fisance rénale avérée à l’autre. On rencontre égalementdes troubles neurologiques, cardiaques et hématologiques.

La maladie lupique suscite une efflorescence d’autoanti-corps (Ac), puisqu’on en recense plus de 100. Parmi eux, lesAc antinucléaires (AAN) et parmi les AAN, on considère quece sont les Ac anti-ADN qui sont les plus nocifs [3]. Lesautres sont dépourvus d’effet pathogène direct, mais nantisd’une certaine utilité pour le diagnostic de la maladie.

Cette mise au point a pour objet de dresser le bilan desexamens sérologiques du LED. En raison du discrédit jetésur certains d’entre eux [4], nous nous proposons surtoutd’introduire les Ac récents en les définissant par rapport àla physiopathologie de la maladie en général, et de sa GNen particulier.

Anticorps antinucléaires

C’est Hargraves qui, le premier [5], a découvert, sur lemyélogramme d’un patient souffrant de LED, la cellule quidepuis porte son nom. Il s’agit d’un polynucléaire neutro-phile ayant phagocyté le noyau préalablement altéré

Tableau 1 Les anticorps antinucléaires (AAN) dans le lupus érythéen immunofluorescence indirecte sur cellules HEp-2

Aspect Fréquence (%)NucléaireHomogène 30–40Moucheté 60–70PCNA (proliferating cell nuclear antigen) 2Dots < 5Nucléolaire 5–10Appareil mitotique < 5Membrane nucléaire cytoplasmique < 5Cytosquelettea 10–30Ribosomea 1–10Mitochondrie 5–10Lysosome < 5a Au seuil de détection des AAN (1/160e), ces spécificités ne sont pas touj

d’une autre cellule. Ces altérations sont causées par lesAAN. Évidemment, l’étude des cellules de Hargraves, exa-men fastidieux s’il en est et aux résultats peu spécifiques, aété supplantée par la recherche des AAN. On se sert de latechnique d’immunofluorescence indirecte (IFI) développéepar Friou [6]. Cette méthode est toujours en usage, mais lescellules de la lignée cellulaire humaine HEp-2 (pour humanepithelioma cells-2) ont remplacé les hépatocytes de cou-pes de foie de rat comme substrat.

Systématiquement, l’inventaire (Tableau 1) des auto-Acd’un LED débute par le dépistage et le titrage sur cellulesHEp-2 de l’ensemble des AAN [7]. En raison de sa grandesensibilité dans le LED puisque l’examen est positif dansplus de 95 % des cas, la mise en évidence d’AAN est peuspécifique de cette affection : ainsi, les trouve-t-on dans30 à 70 % des cas de polyarthrite rhumatoïde (PR), 15 à90 % des cas de sclérodermies systémiques (SS) et chez 5 %des témoins normaux. À l’inverse, leur absence ne permetpas d’éliminer le diagnostic de LED, car leur apparition esttardive dans 1 à 5 % des cas.

L’IFI nucléaire adopte trois dispositions principales(Fig. 1A). L’aspect oriente vers des Ac anti-Ag nucléairesinsolubles, comme l’ADN, les histones et les nucléosomes,quand il est homogène, vers des Ac anti-Ag nucléaires solu-bles, comme les ribonucléoprotéines (RNP), quand il estmoucheté et vers des Ac anti-ARN ou antiprotéines dunucléole quand il est nucléolaire. Toutefois, l’adéquationentre la nature de l’Ag et l’aspect de l’IFI souffre bien desexceptions, car les Ac anti-ADN par exemple donnent unefluorescence homogène souvent et une fluorescence mou-chetée parfois. De plus, aspect homogène et aspect mou-cheté se superposent quand deux AAN coexistent dans lemême sérum. Enfin, la fluorescence ne doit pas être négli-gée quand elle se cantonne au cytoplasme, car elle peutêtre due à des Ac anti-SSA en cas de mouchetures, à desAc antiribosomes, à des Ac antimitochondries, ou à des Acanticytosquelette.

Anticorps antiantigènes nucléaires insolubles

Anticorps antiacides nucléiques

Les Ac anti-ADN sont plus hétérogènes qu’il n’y paraît. Àtelle enseigne qu’on les classe en trois familles. Ceux de

mateux disséminé : principales cibles, fréquences, et aspects

Cibles associées

ADN, nucléosome, histoneADN, SSA/Ro, SSB/La, Sm, U1-RNPCyclineSp 100SSB, fibrillarine, KuNuMA-1, HsEg5LamineActine, α-actinine, vimentineProtéine P (P0, P1 et P2)Pyruvate déshydrogénaseInconnues

ours visibles.

Figure 1 A : recherche des anticorps (Ac) antinucléaires parimmunofluorescence indirecte sur cellules HEp-2. La fluores-cence peut apparaître sous plusieurs aspects : 1) moucheté ;2) homogène avec renforcement périphérique ; 3) nucléolaire ;et 4) cytoplasmique. B : nucléosome : l’ADN fait 1,75 spireautour des huit spécimens d’histones. Le nucléosome(ADN + octamère d’histones) comme la chromatine H1 (particu-les polynucléosomiques) peuvent être la cible d’auto-Ac, et ce,même en l’absence d’Ac anti-ADN double brin et d’Ac antihisto-nes. C : histones. Les histones peuvent être la cible d’auto-Ac,notamment lors du lupus induit.

Tableau 2 Réactivité des anticorps (Ac) anti-ADN doublebrin détectée par immunofluorescence indirecte (IFI) surCrithidia luciliae (CL) et/ou par le test de Farr(FarrzymeTM) et des Ac anti-ADN double brin (db) détectéepar enzyme-linked immunosorbent (Elisa) en fonction de laprésentation clinique : la double positivité est un signe del’activité du lupus érythémateux disséminé (LED)

CL et/ou LED actifFarrzymeTM Elisa Non (%) Oui (%)+ + 13 81+ – 29 0– + 33 6– – 25 0

Anticorps anti-α-actinine et anticorps anti-C1q : deux nouveaux « marqueurs » pour la glomérulonéphrite lupique 197

la première reconnaissent exclusivement l’ADN double brin(db), où ils pointent un épitope conformationnel. Ceux dela deuxième famille se fixent à l’ADNdb mais aussi à l’ADNsimple brin (sb). C’est le squelette de phosphodésoxyribosequi en est la cible. Les Ac anti-ADN de la troisième famillesont spécifiques de l’ADNsb et en particulier de ses basespuriques et pyrimidiques, puisque celles-ci ne sont accessi-bles qu’une fois que les deux brins d’ADN ont été séparés.Seuls les Ac des deux premières familles offrent une cer-taine spécificité pour le LED alors que les Ac de la troisièmesont tellement courants qu’ils n’ont rigoureusement aucunintérêt pour le clinicien.

De manière à couvrir toute la gamme des Ac anti-ADN, lesfirmes de biotechnologies ont multiplié les techniques dedétection. Si on ne garde que celles qui ont été consacréespar l’usage, il en reste trois. Dans l’IFI, l’ADNdb est offertpar le kinétoplaste du Crithidia luciliae. Le test de Farr estbasé sur la précipitation par du sulfate d’ammonium des com-plexes appariant Ac anti-ADN et ADNdb radiomarqué. Enfin,viennent les tests en phase solide où la fixation des auto-Acà l’ADNdb immobilisé sur un support est révélée par un Acanti-immunoglobulines humaines conjugué à une enzyme ouà un fluorochrome. Plusieurs supports permettent de présen-ter cet ADNdb : une plaque de plastique dans les enzyme-linked immunosorbent assays (Elisa), une membrane de nitro-cellulose dans les Immunodots et, d’introduction plus

récente, les particules de latex de la technologie LuminexTM.Ces tests ne sont équivalents ni en termes de sensibilité, ni entermes de spécificité, et ils diffèrent par la structure de l’ADNqui y sert de substrat et par l’affinité des Ac qui le reconnais-sent. Il y a plusieurs stratégies pour ne pas passer à côté decertains Ac anti-ADN. L’une multiplie les tests ; certes, onaugmente inéluctablement la sensibilité de l’examen, maiscette inflation est aussi financière que technique. L’autres’en tient, dans un premier temps, au test le plus sensiblepossible, même s’il est peu spécifique, l’Elisa par exemple,puis confirme sa positivité par un test moins sensible maisplus spécifique que l’Elisa, en particulier le test de Farr etl’IFI sur C. luciliae. Cependant, pour 20 à 30 % des LED, les Acanti-ADN échappent au test de Farr et/ou au test de l’IFI surC. luciliae (Tableau 2). Une dernière option associe une tech-nique de type Elisa et le test de Farr ou bien l’IFI surC. luciliae : c’est celle que nous avons retenue [8]. Cetteastuce améliore significativement les performances de nosrecherches d’Ac anti-ADN dans le LED (Fig. 2). Du reste,quand le premier et l’un des deux derniers tests sont positifs,il s’agit souvent d’une forme active de la maladie lupique(Tableau 2).

Anticorps antinucléosomes et anticorpsantihistones

La symbiose entre l’ADN et les histones constitue une struc-ture immunogène en elle-même, c’est-à-dire immunogèneindépendamment de l’ADN et des histones (Fig. 1B,C).L’épitope en cause réside soit dans le nucléosome enroulant1,75 spire d’ADN autour de huit spécimens d’histones, soitdans des particules polynucléosomiques mises en forme parl’histone H1 (on parle d’ailleurs de chromatine H1). Ces Acantinucléosomes apparaissent dans 70 à 80 % des cas de LED.C’est intéressant, mais ce qui l’est beaucoup plus, c’est que,dans 5 % des cas de LED, on trouve des Ac antinucléosomesen l’absence d’Ac anti-ADNdb à proprement parler [9].

Malheureusement, ils manquent de spécificité, car on lesretrouve dans 10 à 50 % des cas de SS, 40 % des connectivitesmixtes et 50 % des hépatites auto-immunes de type I [10,11].Ac anti-ADN et Ac antihistones peuvent, en effet, être inter-prétés comme des Ac antinucléosomes, car les préparationsde nucléosomes contiennent des segments d’ADN et des his-tones détachées de cet ADN. Cette équivoque est en partielevée si ces nucléosomes sont fixés sur une membrane denitrocellulose, et non pas déposés au fond d’un puits de plas-

Figure 2 Ce dendrogramme évalue la prévalence des anticorps (Ac) anti-ADN dans une cohorte de malade souffrant de lupusérythémateux disséminé (LED) en fonction des tests réalisés. L’usage veut que l’on distingue les Ac anti-ADN double brin (db),détectés par immunofluorescence indirecte sur Crithidia luciliae, auxquels on rattache les Ac anti-ADN détectés par le test deFarr (dans les deux cas, il s’agit d’Ac de forte avidité, très spécifiques du LED), des Ac anti-ADNdb mis en évidence par n’importequelle technique en phase solide.

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tique. En pratique, nous avons décidé de réserver cet exa-men aux cas où il n’y a ni Ac anti-ADN, ni Ac antihistones,alors que le diagnostic de LED est probable.

En effet, les histones sont des auto-Ag en elles-mêmes.Les Ac antihistones surviennent dans 30 à 70 % des cas deLED, mais les sérums positifs représentent 90 à 95 % descas de lupus induit par un médicament, et 5 à 50 % des casde PR et de SS. Ils n’offrent d’intérêt que dans le lupusinduit. Encore faut-il que deux conditions soient remplies :qu’il n’y ait pas ou peu d’Ac anti-ADNdb, et que le taux desAc antihistones baisse lors de l’arrêt du médicament etremonte lors de sa réintroduction.

Anticorps antiantigènes nucléaires solubles

Le LED est la maladie auto-immune où la plus grandevariété d’Ac anti-Ag nucléaires solubles (> 40) a été décrite[12]. L’usage en a retenu quatre qui reconnaissent des RNPformées par l’accrochage de protéines à un petit ARN. Deuxde ces particules sont exclusivement nucléaires (Sm etSm/U1-RNP) et deux éclosent dans le noyau, mais peuventgagner le cytoplasme (Sicca syndrome A : SSA et Sicca syn-drome B : SSB).

L’incidence des Ac anti-Sm au cours du LED varie d’ungroupe humain à l’autre : elle est de 5 % chez les européenset de 30 à 50 % chez les Afro-Américains (Tableau 3). Toute-fois, la qualité de la spécificité des Ac anti-Sm pallie lamédiocrité de leur sensibilité. Dans la majorité des cas, ilscoexistent avec des Ac anti-Sm/U1-RNP. Ce qui tombe sousle sens car le complexe heptamérique Sm est pendu à la

Tableau 3 Prévalence des principaux anticorps antiantigè-nes solubles dans le lupus érythémateux disséminé (LED),le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) et la polyarthriterhumatoïde (PR)

LED (%) SGS (%) PR (%)Anti-Sm 5–30 0 0Anti-U1-RNP 10–40 4 3Anti-SSA 30 60–70 5Anti-SSB 5 25 1–3

particule RNP de type U1. Les autres Ac anti-U1/RNP queles Ac anti-Sm orientent vers une connectivite mixte.

Ni les Ac anti-SSA, ni les Ac anti-SSB ne sont spécifiquesdu LED ; ils ne lui sont pas moins fréquemment associés. Laparticule SSA contient deux protéines immunogènes, l’uneaccuse 60 kDa et l’autre 52. La spécificité des Ac anti-SSA-60 pour le LED, par opposition à celle des Ac anti-SSA-52pour le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) a été soute-nue, puis infirmée. Néanmoins, il est conseillé de vérifierséparément les Ac anti-SSA-52 et les Ac anti-SSA-60 chezla femme enceinte car ce sont les premiers et non lesseconds qui risquent de provoquer le développement d’unbloc auriculoventriculaire chez son fœtus [13].

Glomérulonéphrite lupique

Anticorps anti-ADN

La fréquence des néphropathies dans le LED n’est que de20 % en Europe, mais elle peut grimper à 70 % en Asie.Leurs manifestations s’étendent de la protéinurie asympto-matique ou de l’hématurie microscopique avec une fonc-tion rénale normale jusqu’au syndrome néphrotique. Enl’absence de traitement, celui-ci peut évoluer vers l’insuf-fisance rénale terminale, voire provoquer la mort. Dans laplupart des cas, la néphropathie se développe dans les troisans qui suivent le diagnostic.

Plusieurs arguments concourent à incriminer les Ac anti-ADN dans la genèse de cette complication. L’atteinte rénalegrave est annoncée par une hausse du taux des Ac anti-ADN,et son amélioration consommée par une baisse. Statistique-ment, une réduction thérapeutique des Ac anti-ADN de 50 %diminue le risque de rechute rénale de 50 %. De plus, les Acanti-ADN qui ont précipité dans les glomérules rénaux sedistinguent de ceux qui sont restés dans le sérum par leurplus grande affinité pour l’ADN, leur isotype particulier(IgG1 et parfois IgG3), des réactivités croisées avec d’autresprotéines et leur concentration plus élevée.

Pourtant, certaines GN se développent en l’absence d’Acd’anti-ADN. Du reste, des taux élevés d’Ac anti-ADN ne sontpas obligatoirement associés à une GN et il n’y a que 10 %

Figure 3 Mécanismes d’action des auto-anticorps lupiques sur les glomérules rénaux. A : 1) dépôt de complexes immuns (CI)circulants ou formation in situ de CI à partir d’antigènes « plantés » sur la membrane basale glomérulaire (MBG) ; 2) réactioncroisée entre certains Ac anti-ADN et des Ag glomérulaires. B : aggravation du processus par la mise en jeu du complément,notamment de C1q, et des Ac anti-C1q.

Anticorps anti-α-actinine et anticorps anti-C1q : deux nouveaux « marqueurs » pour la glomérulonéphrite lupique 199

des Ac élués des glomérules lupiques qui reconnaissentl’ADN [14]. La synthèse de ces observations a débouchésur trois mécanismes pour expliquer l’action des auto-Acsur le glomérule rénal (Fig. 3A). D’abord, les dommagessont dus au dépôt de complexes immuns circulantsADN/anti-ADN ou nucléosomes/antinucléosomes. Ces der-niers proviennent de l’accroissement d’apoptose des leuco-cytes qui caractérise le LED. Ensuite, les complexes immunsse forment in situ entre les auto-Ac et les nucléosomes et/ou les histones plantés dans l’épithélium des glomérules.Enfin, les auto-Ac s’agrippent à des Ag qui appartiennentau glomérule lui-même. Plusieurs réactions croisées entrel’ADN des Ac anti-ADN et des Ag glomérulaires (alpha-actinine, héparane sulfate, laminine) ou non glomérulaires(ribosome) ont été rapportées.

Anticorps anti-α-actinine

La découverte de l’α-actinine comme cible des Ac anti-ADNdans le glomérule résulte de travaux chez l’animal [10,15,16]. Ces résultats ont été confirmés chez l’homme [17–19].L’avènement des Ac anti-α-actinine s’est déroulé en plu-sieurs étapes. Non seulement certains des Ac monoclonauxanti-ADN qui induisent une GN sont dirigés contre l’α-actinine, mais en plus ce n’est pas le cas des Ac anti-ADNqui n’induisent pas de GN [17]. Il existe chez l’homme etchez l’animal des auto-Ac dotés de réactivité pour l’ADN etpour l’α-actinine : on les rencontre surtout dans la GNlupique. Chez la souris (mais pas encore chez l’homme), ily a un excès d’α-actinine à la surface des cellules mésangia-les des animaux lupiques [20]. Enfin, on peut induire une GNen immunisant une souris normale par de l’α-actinine, maisce n’est pas le cas si on injecte de l’ADN ou des nucléosomes

Tableau 4 Prévalence des anticorps (Ac) anti-ADN, anti-α-actinine

Anti-ADNElisa (%) FarrzymeTM (%)

LED (n = 100)a 38 33PR (n = 93) 3,2 2,5SGS (n = 22) 13,6 4,5Témoins (n = 40) 2,5 5a Voir les Tableaux 2 et 3 pour les abréviations.

[21]. Cette manœuvre déclenche une production d’Ac anti-α-actinine, mais également une sécrétion d’Ac anti-ADN.

Anticorps anti-C1q

Les Ac anti-C1q ont également été incriminés dans la GNlupique. En effet, au cours du LED, la moitié des patientsqui en possèdent souffrent d’atteinte rénale [22]. De plus,parmi les Ac des glomérules des patients, on reconnaît desAc anti-C1q, mais ils ne provoquent pas de GN lorsqu’on lesinjecte à l’animal. Pour qu’ils le fassent, il faut que d’autresAc se soient préalablement déposés dans le glomérule [23] :il peut s’agir d’Ac anti-ADN ou d’Ac anti-α-actinine. Le com-plément est alors activé, et, avec lui, le C1q reconnu par lesAc anti-C1q (Fig. 3B). Ceux-ci contribuent donc à amplifier leprocessus déclenché par les auto-Ac qui les ont précédés.

Dans la pratique

Nous avons souhaité mettre à l’épreuve ces idées nouvellesen les appliquant à l’étude de 100 malades atteints d’unLED. La consultation des dossiers cliniques a permis de lesclasser en fonction du Systemic Lupus ErythematosusDisease Activity Index, de l’atteinte histologique (gloméru-lonéphrite de stade III ou IV selon la classification del’OMS), de l’existence ou non d’une protéinurie et d’untraitement. Cent sérums de PR débutante et 22 sérums deSGS ont servi de témoins malades, et 40 sérums de don-neurs de sang de témoins normaux.

Pour étudier cette cohorte de sérums, nous avons inclusdans la batterie des tests sérologiques trois techniques derecherche des Ac anti-ADN [Elisa, IFI sur C. luciliae etrecherche des Ac anti-ADN de haute affinité par le

et anti-C1q

Ac Anti-α-actinine (%) Ac Anti-C1q (%)CL (%)26 25 182,5 3,5 3,55 4,5 4,55 5 5

T. Guerrier et al.200

« Farr-Elisa » Farrzyme™ (The Binding Site)], et pour ladétection des Ac anti-α-actinine et des Ac anti-C1q destests « maison » appliquant des protocoles validés [19,21,22].

Figure 4 L’anticorps (Ac) α-actinine. A : l’immunofluorescenceniveau des glomérules. Grossissement ×160. B : représentation sccytosquelette, entre autres fonctions, liant les filaments d’actineétant associés de façon antiparallèle, chacune des deux extrémitéstructure tridimensionnelle de l’α-actinine : la surface de l’α-actiplus, sa structure tridimensionnelle est proche de celle de l’ADN. C

Tableau 5 Prévalence des anticorps anti-ADN double brin (db), alupique

Atteinte rénaleNon (%) Oui (%) Non (%)

Anti-DNAdb 35 55 35Crithidia luciliae 35 55 45FarrzymeTM 35 45 25Anti-α-actinine 15 35* 5Anti-C1q 5 25* 15* Statistiquement significatif (p < 0,05).

Figure 5 Évolution des taux d’anticorps (Ac) anti-α-actinine, drénale et du traitement ; GN : glomérulonéphrite.

Comme nous l’avons mentionné (Fig. 2), la sommationdes techniques d’étude des Ac anti-ADN augmente la fré-quence des Ac anti-ADN de 25 à 39 % quand chaque testest pris individuellement, et la propulse à 79 % si on en

indirecte (IFI) sur coupe de rein, l’α-actinine s’exprime auhématique de l’α-actinine : l’α-actinine est une protéine duentre eux. Elle s’organise en homodimères. Les monomères

s des homodimères possède des sites de liaison à l’actine. C :nine est acide, donc chargée négativement comme l’ADN. Dee qui pourrait expliquer l’existence de réactions croisées.

nti-α-actinine et anti-C1q au cours de la glomérulonéphrite

Forme active ProtéinurieOui avanttraitement(%)

Oui aprèstraitement(%)

< 1 g/l (%) > 1 g/l (%)

95* 55 35 5575 55 45 4595* 45 25 45*100* 5 5 55*85* 55 15 65*

es Ac anti-C1q et des Ac anti-ADN en fonction de l’atteinte

[9]

[10

[11

[12

[13

[14

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[18

[19

[20

[21

[22

[23

Anticorps anti-α-actinine et anticorps anti-C1q : deux nouveaux « marqueurs » pour la glomérulonéphrite lupique 201

cumule les résultats. Évidemment, leur spécificité diminuecar cette sommation donne 6 % d’Ac anti-ADN dans la PR.Les Ac anti-α-actinine et les Ac anti-C1q prédominent dansle LED (Tableau 4) : il y en a 25 et 18 %, respectivement,contre moins de 5 % dans les autres pathologies. Notonsque la double positivité Ac anti-ADN/Ac anti-α-actinine (24fois sur 25) et Ac anti-ADN/Ac anti-C1q (16 fois sur 18)caractérise les sérums lupiques car cette double positivitén’existe pas dans les autres sérums (Fig. 4).

Les recherches d’Ac anti-α-actinine et d’Ac anti-C1q sejustifient dans un contexte d’atteinte rénale (Tableau 5).Cependant, les résultats de ces deux tests ne sont passuperposables (Fig. 5) : les Ac anti-α-actinine peuvent pré-céder une GN lupique, ils augmentent lors de l’atteinterénale puis disparaissent dès l’instauration d’un traitementefficace ; les anti-C1q augmentent au cours de l’atteinterénale, mais sont moins sensibles au traitement.

Conclusion

L’existence d’Ac anti-ADN est un argument décisif pour lediagnostic de LED et contre celui de lupus induit. C’estd’autant plus vrai que l’on dispose de plusieurs tests pourles Ac anti-ADN et qu’on leur agrège d’autres auto-Ac spéci-fiques du LED (anti-Sm, anti-PCNA, antiribosome…).

En revanche, dès qu’il s’agit de suivre l’évolution du LED,les Ac anti-ADN font preuve d’une piètre utilité. Il est doncheureux qu’en améliorant nos connaissances sur la physiopa-thologie de la GN, les experts aient fait émerger deux nou-veaux examens, la recherche des Ac anti-α-actinine et larecherche des Ac anti-C1q.

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