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27 L’OEUVRE DE LOUIS-ELISéE PIGUET

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L’oeuvre de Louis-eLisée Piguet

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Jean-Michel-etienne Piguet (dit Jeannot), né à genève en 1800, et décédé en 1859 au Brassus des suites du choléra, a du être un brave et hon-nête homme qui aspirait à une vie paisible. il exerçait le métier typique de l’époque de paysan-horloger, plus précisément blantier. il se maria à l’intérieur de sa propre lignée familiale.

A l’inverse de celle de Jeannot, la vie de son père danion semble avoir été passablement chaoti-que. Abran daniel Piguet dit danion quitta le hameau des «Piguet dessous» avec son frère elisée, ils s’installèrent à Paris comme horlo-ger rhabilleur. travaillant pour la cour, Abran daniel échappât de justesse à la guillotine lors de la révolution Française. de retour à genève, il eut 3 fils d’une 2ème femme, la naissance du dernier, nommé Jean-Michel etienne, coûta la vie à sa mère, il fut alors récupéré par sa tante Judith mariée à Louis Audemars. (Judith avait une sœur nommée suzette qui épousa Pierre-Henri Audemars, arrière grand-père de Jules-Louis Audemars, fondateur de la maison Audemars Piguet.Cie). Abran daniel fut élevé comme un fils et reçu en legs de ses parents adoptifs, une petite propriété dans le hameau du Bas-du Chenit.

Jeannot épousa sa cousine Marie Henriette Piguet, et de leur union naquirent sept enfants, cinq fils et deux filles. L’aîné, Jules, décéda très tôt. des quatre fils restants, trois au moins devin-rent des horlogers comme leur père.

L’un de ces trois enfants était Louis-elisée. il naquit au Brassus le 13 juin 1836.

La vie était rude dans la maison de Jeannot. très tôt les enfants furent initiés par leur père à fabriquer les parties constitutives des blancs pour subvenir aux besoins de la famille. en 1847, les conditions de vie de la grande famille s’améliorèrent grâce à un héritage d’un montant de 15.000 francs - une somme colossale compa-rée au revenu moyen d’une centaine de francs par mois. Malgré cette bonne fortune, le train de vie de la famille ne changea guère. on rap-

porte seulement que le père se permit quelques modestes petits extras. Louis-elisée apprit l’hor-logerie d’abord chez son père, durant sa scolarité à l’école primaire et surtout après.

très vite, cette formation ne sembla plus suffire à ce jeune homme qui montrait de bonnes disposi-tions. en effet vers 1858 on le retrouve apprenti chez Henri golay (dit de la Forge) à genève, célèbre pour ses grandes Complications, notam-ment pour les grandes sonneries. C’est chez lui que presque tous les élèves horlogers de l’épo-que, venus à genève depuis la vallée, feront leur apprentissage. Chez Henri golay, Louis-elisée, âgé alors de 22 ans, réalisa la première montre de poche avec grande sonnerie et répétition minutes qui ne compte plus que deux rouages au lieu de trois comme précédemment. Henri golay avait dessiné et calculé ce mouvement, sur mandat de la maison Louis Audemars. il en confia l’exécution à son apprenti. Cette fusion de deux mécanismes de sonnerie, jadis séparés l’un de l’autre, en une quadrature commune avec un seul ressort moteur, constitue une sim-plification considérable du mécanisme, déjà très compliqué au départ, et offre la possibilité d’utiliser pour ces montres le nouveau remon-toir à couronne. La version à double action de ce dernier, c’est-à-dire remontant dans les deux sens et nécessaire au nouveau système, aurait été inventé par Louis-elisée presqu’en même temps. Le nouveau remontoir fut mis en production dès 1859 par Louis Audemars fils.

vers 1859 Louis-elisée est de nouveau au Brassus, où il aurait été employé par la maison Louis Audemars fils. on raconte qu’en tant qu’ouvrier de cette entreprise il aurait développé ledit remontoir à couronne à double action. L’année suivante, en 1860, toujours chez Audemars, il aurait mis au point une étoile des heures fixe au lieu de celle précédemment mobile dans les sonneries. Ceci s’avéra une simplification con-sidérable.

La même année Louis-elisée aurait aussi amé-lioré le mécanisme du quantième perpétuel.

LA vie de Louis-eLisée Piguet

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Ce fut une période très créative, durant laquelle d’importantes inventions se succédèrent rapi-dement. Malheureusement des événements déterminants intervinrent dans la vie privée de Louis-elisée. en 1858, pendant une épidémie de choléra, son père Jeannot et son frère Michel moururent. Louis-elisée, désormais l’aîné de la famille, en deviendra le chef et reprendra le domaine familial. Ceci expliquerait son retour de genève à la vallée pour y chercher un travail, qu’il trouvera chez Audemars fils. sa formation chez Henri golay en vue de se spécialiser dans les quadratures extra-compliquées était-elle termi-née? Nous en sommes réduits aux suppositions.

deux ans plus tard, le 26 février 1860, il épouse Adrienne Henriette golay du Brassus, dont le père, une fois n’est pas coutume, n’était pas un horloger, en dépit de son nom prédestiné. il resta exclusivement un paysan et plus tard devint lai-tier. La vie conjugale du couple commença dans des conditions économiques difficiles. Adrienne Henriette, orpheline depuis l’âge de 12 ans, était des plus pauvres et ne put réunir un trous-seau que grâce à l’heureux hasard d’un héritage. Louis-elisée ne devait guère avoir été plus riche à cette époque.

Jusqu’en 1873, sept enfants se succédèrent rapi-dement, dont cinq garçons et deux filles. Les fils, tous devenus horlogers, étaient: Michel (1861-1939), Arnold (1865-1899), Henri-Louis (1867-1931), robert Alexis (1871-1966) et Adrien Auguste (1873-1936).

on a peu d’informations sur la vie de Louis-elisée Piguet entre 1860 et 1890. C’est pourtant dans les années 60 qu’il commença à exploiter conjointement avec son frère Henri-daniel une petite manufacture pour ébauches et quadratu-res compliquées. Ce frère, qui plus tard se retira de l’horlogerie pour devenir syndic, est connu comme étant l’auteur de tourbillons. Cet ate-lier continua pendant longtemps à collaborer étroitement avec la maison Louis Audemars fils, où était employé Louis-elisée. en 1874, Louis-elisée se serait fait construire une maison au

Brassus. Cette même année, un futur beau-fils, georges Henri goy, collabora également dans cet atelier en qualité de spécialiste des quantiè-mes perpétuels.

C’est pendant ces vingt années que furent appor-tées toute une série de petites améliorations et simplifications aux mécanismes à répétition et au quantième, sur lesquels nous reviendrons plus en détail, comme par exemple l’invention en 1872 de l’isolateur du sautoir dans les répéti-tions minutes.

en 1876 le Journal suisse d’Horlogerie com-mencera de paraître. Louis-elisée en devint bientôt le correspondant. il utilise le courrier des lecteurs pour y présenter ses propres inventions. A cette époque il aurait également construit une montre de poche à remontoir automatique, con-temporaine des montres de poche automatiques de forme quadratique, fabriquées par Hahn au Landeron selon le brevet de l’ingénieur viennois A. von Löhr.

C’est en 1878 que fut achevée la montre de poche à complication extrême, dite «l’extra-Compliquée», probablement la plus compliquée du monde. elle a été réalisée sur la base d’une ébauche de Louis-elisée Piguet et deviendra la célèbre «Merveilleuse». Commencée en 1874, avec ses 12 complications et 16 aiguilles diffé-rentes, signée par son ami et compagnon, Ami LeCoultre-Piguet, elle est présentée pour la pre-mière fois au public à l’exposition mondiale de Paris de 1878. on peut l’admirer aujourd’hui au Musée international de l’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds.

s’il est difficile de dire quelle fut la contribution de chacun des deux spécialistes à la réalisation de ce chef d’oeuvre, on a par contre la certitude que Ami LeCoultre-Piguet (1843-1921), spécialiste des chronographes avec rattrapante, du fait de sa surdité, travaillait la plupart du temps seul. une collaboration avec d’autres horlogers, telle que celle qu’il eut avec Louis-elisée pour réaliser cette pièce était exceptionnelle.

Louis Elisée Piguet habitait la maison de droite «Côté bise», maison en partie détruite par le cyclone d’août 1890.

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son parent et ami genevois Henri-Féréol Piguet, en la personne d’un jeune neveu du nom d’isaac elie LeCoultre. il deviendra plus tard directeur de l’ecole d’Horlogerie de Fleurier.

Le 19 août 1890, un ouragan dévastateur s’abat-tit sur la vallée. des centaines de maisons furent détruites, la plupart des toits soufflés, laissant d’innombrables sans-abris, dont les Piguet. Pour se loger, la famille se répartit tout d’abord chez les parents. un atelier provisoire fut loué dans la fabrique de Piguet frères. C’est en novembre que Louis-elisée se porta acquéreur du moulin pour en faire le nouveau foyer familial et le siège de son entreprise. Les travaux de reconstruc-tion et de transformation du moulin, fortement endommagé par la tempête, purent enfin com-mencer.

Ancien moulin datant de 1787 acquit par Louis Elisée Piguet en novembre 1890 pour y installer sa fabrique à l’aide de ses cinq fils. On remarque l’adduction d’eau pour la roue à aubes qui sera remplacée en 1892 par une conduite forcée et une turbine.

Quelques lettres écrites par Louis-elisée nous informent sur l’activité de la manufacture de 1882 jusqu’à 1884, mais les missives de ses cor-respondants font malheureusement défaut. Ces lettres nous donnent néanmoins des indications intéressantes, quoique fragmentaires, sur ces transactions commerciales.

on note tout d’abord les répercussions qu’aura la faillite de la célèbre maison Louis Audemars sur ces affaires (faillite dont la littérature horlogère suisse ne s’est guère fait l’écho jusqu’à présent). Après la mort de Louis Audemars, son fonda-teur, en 1833, et une période de transformation qui durera quinze ans, la maison fut reprise en 1848 par ses huit fils. elle employa Louis-elisée pendant un certain temps, avant d’être empor-tée par la crise horlogère des années 1875-81. Après cette faillite, les petits-fils de Louis fondè-rent en 1885 trois entreprises distinctes (Louis Audemars, François Audemars fils et Audemars frères). elles ne purent cependant maintenir l’ancien niveau de qualité et sombrèrent bientôt dans l’oubli.

en tant que fournisseur d’ébauches de Louis Audemars fils, Louis-elisée Piguet souffrit direc-tement de l’insolvabilité de cette maison.

C’est en 1883 que Louis-elisée fabriqua les pre-miers exemplaires des quadratures grande son-nerie de 19 à 20 lignes avec répétition minutes

qui devinrent un calibre standard parmi les mou-vements compliqués de cette manufacture. ils étaient produits sur la base d’une préfabrication quasiment en série à plus de 270 exemplaires, nombre relativement élevé pour des mécanismes d’une telle complexité. C’est à cette même époque que date une lettre (1er septembre 1883) à girard-Perregaux dans laquelle, en raison de modifica-tions dans la commande, il ne veut pas encore arrêter un prix. Le 10 septembre 1883 est expé-diée à Hector golay à Londres la première pièce de ce genre, une savonnette (le numéro 3094). Le prix de 650 francs demandé pour cette pre-mière horloge était relativement élevé. (Ces mou-vements furent ensuite facturés entre 250 et 320 francs, selon leur exécution). Ce prix était peut-être justifié pour une pièce d’exposition réalisée avec un soin particulier. d’ailleurs, Louis-elisée reçut un diplôme, lors d’une exposition à Zurich la même année, pour une horloge identique.

Le fait qu’il concéda cette première pièce unique à Hector golay semble bien montrer les bons rapports entretenus avec cette maison, ainsi qu’en témoigne le style presque cordial des let-tres de Louis-elisée.

un autre exemplaire d’une horloge, portant le numéro d’usine 3141, comme Louis-elisée le note soigneusement dans sa lettre d’accompagne-ment, est livré le 7 juillet 1884 à un de ses clients principaux, la maison Barbezat-Bôle au Locle. Pour cette deuxième pièce-échantillon, il factu-rera 550 francs. Autre détail intéressant: l’indica-tion qu’il donne concernant le délai de livraison: deux mois à compter de la commande.

Au début de l’été 1890, Louis-elisée commençe à s’intéresser à un ancien moulin construit en 1787 par un certain Aubert au bord de la rivière au Brassus. il envisage d’y installer avec ses fils une fabrique moderne de montres. Le choix du lieu dénote l’intention d’exploiter la force hydrauli-que en tant que source d’énergie. Louis-elisée s’était mis en quête d’un technicien susceptible de l’assister pour équiper l’atelier d’un outillage moderne. Cet assistant, il le trouva avec l’aide de

A droite, la maison de Louis Elisée Piguet.L’inscription LEP gravée dans l’encadre-ment de la porte existe encore.

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d’un embrouillamini de cours d’eau, allant de simples tranchées étroites courant dans l’herbe, des galeries ouvertes proprement maçonnées en moellons - jusqu’à des tuyaux ronds en béton plus récents.

Cette adduction d’eau conservée, mais devenue depuis caduque est un témoignage de la moder-nité de la jeune manufacture de Louis-elisée Piguet. elle illustre le rapport direct qu’il y avait entre la force hydraulique et l’énergie électrique.

Avec un effectif de quatre collaborateurs (trois Piguet et un golay) en dehors des membres de la famille, l’atelier commença sa production au début de l’été 1891. La première montre à sortir de la nouvelle fabrique aurait été une petite quadrature à répétition d’un diamètre de 12’’’ (27 mm).Ce dut être la fierté, inspirée par la nouvelle fabrique, qui donna naissance à l’en-tête de lettre impressionnante dans le plus pur style des pionniers fondateurs. on y retrouve énumé-rés non seulement les acquis de l’établissement tout neuf (procédés de production mécanisés, force hydraulique fournissant l’énergie), mais aussi de façon détaillée le programme de fabri-

cation: mouvements de montres compliquées en tous genres, systèmes brevetés, répétitions quarts et minutes, chronographes, compteurs, rattrapantes, quantièmes perpétuels et simples. spécialités: grandes sonneries quarts et minutes avec mécanismes repassés et même la mention de l’existence d’un téléphone (une commodité encore peu courante).

Le cachet ovale apposé ultérieurement en-des-sous de l’en-tête de lettre illustrée ci-dessous, mentionnant l’identité des successeurs, à savoir Les Fils de Piguet en fait un document histori-que (ceux-ci, en gens économes, réutilisaient les papiers à en-tête du père).

Les choses évoluent vite et bien. un contrat daté du 1er mars 1891 avec Audemars Piguet & Cie porte sur la livraison de 400 quadratures à répé-tition de première qualité, rectifiées et anglées.

Avant la première livraison des quadratures, un délai de quatre mois fut accordé à Louis-elisée pour la préparation du calibre. une description détaillée figure au contrat: le calibre devait être du type vue (Lépine) avec 16,5’’’ (37,2 mm)

en regardant aujourd’hui de près le complexe manufacturier Frédéric Piguet - Blancpain, on constate que le bâtiment principal existant, visiblement le plus ancien, conserve encore très nettement les proportions de l’ancien moulin. La modeste bâtisse initiale, faite uniquement de moellons et de bois, a été rénovée extérieu-rement vers 1890 dans le style de l’époque, avec un crépi ainsi que des encadrements de fenêtres et de portes pour en faire une habitation bour-geoise. La direction des travaux de transformation, ainsi que de la mise en place et de l’organisation d’une fabrique horlogère moderne, incomba au fils Arnold qui, de tous les fils, était le mieux préparé à une telle tâche. il avait complètement achevé l’école secondaire et l’ecole Horlogère genevoise ce qui le rendait le plus apte à mener à bien une telle entreprise.isaac elie LeCoultre fut responsable de la mise en place de la fabrication mécanique. il planifia une turbine hydraulique fournissant l’énergie électrique, avec des transmissions vers tous les

postes de travail. Ces postes reçurent un équipe-ment moderne. La mécanisation de nombreuses opérations de fabrication avait été rendue néces-saire par la crise des débouchés mentionnée précédemment. il fallait à tout prix simplifier dans la mesure du possible les opérations pour les rendre moins chères. Forte de ces atouts et notamment de son approvisionnement en éner-gie électrique, cette manufacture était à l’époque l’une des plus modernes de la vallée de Joux. L’alimentation électrique de l’ensemble de l’éta-blissement était assurée par l’intermédiaire d’une dynamo. on raconte que beaucoup de gens de la vallée rendirent visite au moulin pour admirer cette merveille moderne: l’éclairage électrique.

L’adduction d’eau du cours du Brassus distant d’environ 50 mètres, jusqu’à la turbine à l’inté-rieur même du bâtiment, illustre bien toute la peine que l’on se donna. Le système d’adduction d’eau conservé à ce jour, quoique n’étant plus exploité pour produire de l’électricité depuis des lustres, est constitué d’un réseau parcourant le complexe industriel et se présentent sous la forme

La source du Brassus, sur la gauche l’adduction d’eau pour l’usine.

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de diamètre du mouvement, une épaisseur de 8/12’’’ (1,5 mm) sur la chaussée et une partie remontoir à moitié visible. de plus, le méca-nisme devait comporter les détails suivants: un échelonnement très serré des marteaux de son-nerie, une crémaillère interrompue, un sautoir avec isolateur selon l’invention de Louis-elisée, voir page 47 et un petit ressort dans les lima-çons de sonnerie. Cette quadrature devait être développée et fabriquée exclusivement pour Audemars Piguet & Cie et ne devait pas être vendue à d’autres fabricants.

Autre détail intéressant de ce contrat: les pièces ne devaient porter aucune marque ni signature Piguet. La signature est réservée exclusivement à Audemars Piguet & Cie.

en 1895 sa fabrique comptera onze collabora-teurs et dès 1900 elle atteindra son effectif maxi-mum de vingt collaborateurs, et ce jusqu’à la crise économique mondiale de 1930.

Le programme de fabrication, tel que l’attestent les carnets de production, intégralement conser-vés au moins pour la période de 1892 à 1914, consiste principalement en mouvements sous la forme de «blancs» complets avec répétition et/ou chronographe. Pour les exécutions les plus compliquées s’ajoute une grande sonnerie qui, avec une répétition, devinrent la spécialité de la maison. Les mouvements auxquels s’ajoutent un quantième et un mécanisme de chronogra-phe entrèrent dans la catégorie des «grandes Complications».

il y avait en outre des blancs relativement «sim-ples» ou encore des quadratures de répétition à quarts, à cinq minutes ou à minutes, avec des séries importantes, fabriquées presqu’en série avec un certain degré de mécanisation.

En-dehors de ces séries figurent quelques mou-vements plus grands, entièrement réalisés à la main, qui représentent le nec plus ultra, non seulement de la manufacture Louis-Elisée Piguet, mais de toute l’horlogerie compliquée.

on sait de source sûre qu’au moins neuf de ces mouvements «extra-compliqués» particu-lièrement grands, mesurant de 22 à 28 lignes (49,6 à 63 mm), en tout point digne d’une «Merveilleuse» ou d’une «Fabuleuse», quittèrent la fabrique entre 1898 et 1904.

L.-e. Piguet fournira au moins huit mouvements spécialement préparés pour le montage de tour-billons, destinés à la maison Capt & Meylan au solliat. en «version de base», ces mouvements avaient tous une sonnerie avec un mécanisme de répétition quarts et minutes. trois de ces mou-vements compliqués à tourbillon étaient dotés en plus d’un quantième perpétuel et d’un chro-nographe.

Ceci n’est qu’un aperçu sommaire du programme de fabrication de Louis-elisée Piguet. Nous y reviendrons par la suite de façon plus détaillée, notamment pour les montres compliquées.

A partir de 1897, l’état de santé de Louis-elisée commença à décliner. La mise en place de la nouvelle fabrique, l’insomnie persistante consé-cutive à la tension nerveuse continuelle lors de la construction des mouvements hautement com-pliqués (celle-ci se prolongeait souvent tard dans la nuit) ruinèrent sans doute sa santé.

La force produite par la turbine à eau est transmise au machines par un arbre fixé au plafond (photo Jacques Piguet 1965).

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un portrait photographique datant de cette époque montre un visage barbu, à l’expression grave, aux traits tirés avec un regard fixé droit devant lui, visiblement marqué par la maladie.

Cette même année, il fut atteint probablement par un infarctus, dont il se remit lentement. il en garda cependant une paralysie du côté droit. il reprit son travail inlassablement, se servant désormais principalement de sa main gauche. Malgré une claudication dûe à un léger raccour-cissement de sa jambe droite, il entreprenait encore de longues marches. on raconte qu’il se tenait toujours du côté gauche de la chaus-sée à cause du dévers de la route qui rendait son handicap moins perceptible. en 1902, son état de santé se dégrada cependant à un point tel qu’il dut renoncer à son activité professionnelle. Néanmoins, il aura pu participer au développe-ment et à l’achèvement des sommets de sa car-rière que furent ces fameux neuf mouvements extrêmement compliqués commandés et livrés entre 1898 et 1904.

C’est en 1905 que Louis-elisée léguera sa fabrique de montres à ses quatre fils survivants (Arnold décéda en 1899 à l’âge de 34 ans). A noter à titre de curiosité que ce legs en date du 25 janvier 1905 réserva à Louis-elisée expressément la propriété («... reste la propriété du soussigné») du système d’entraînement mécanique et de pro-duction d’électricité tant admiré pour sa moder-

nité. dans ce contrat, il engage en outre ses fils à fonder une société en vue de continuer la fabri-cation en commun. Louis-elisée vivra ensuite encore pendant 19 années, dont les quatre der-nières à l’hôpital où il s’éteindra le 27 juin 1924.

Louis-Elisée Piguet reste sans conteste l’un des plus éminents horlogers de la Vallée, voire de toute la Suisse, surtout en ce qui concerne les montres de luxe compliquées et ultra-compli-quées. C’est un homme qui, toute sa vie durant, resta modestement dans l’ombre de ces mer-veilleuses mécaniques anonymes ou secrètement marquées grâce à des abréviations en des endroits discrets. Ces chefs d’oeuvres, d’autres parce qu’ils avaient payé pour cela, étaient autorisés à attacher leur gloire et leur signature. Comment réussit-il, en même temps que d’autres quadra-turiers de sa trempe, à conserver cette modestie hors du commun? Le secret en restera à jamais gardé.

Louis-elisée restera à tout jamais comme la plus forte personnalité de la longue et nombreuse dynastie horlogère des Piguet. en témoignage de sa proverbiale modestie, un petit-neveu, qui porte le même nom que lui, raconte l’anec-dote suivante. Lorsqu’en 1920 il accompagna son grand-oncle à l’hôpital pour un séjour qui s’avéra définitif, il lui demanda quand il pour-rait lui rendre visite. Ce dernier de lui répondre: «est-ce moi qui dois en décider?».

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L’étoile des heures fixe dans les sonneries à répétition

Auparavant, dans les anciennes sonneries à répé-tition des montres de poche avec remontoir à clé, le remontage de la sonnerie se faisait à l’aide d’une chaîne avec des poulies de renvoi. L’étoile des heures avec le limaçon des heures vissé sur sa face inférieure permet que ce dernier soit tou-jours indexé dans la position correcte par rapport à l’état d’avancement de la montre - ainsi au moment du déclenchement, la pièce des heures peut palper, sur le limaçon des heures, le nombre correct de coups de sonnerie nécessaires. ils repo-saient sur une goupille vissée dans le levier de déclenchement de la sonnerie («tout ou rien») et étaient ainsi mobiles dans la même mesure (entre deux butées) que ce dernier, afin de libérer la pièce des quarts lors d’un déclenchement.

Avec l’introduction du remontoir à couronne au lieu de celui à clé, le mécanisme de déclen-chement, qui était précédemment armé par une pression sur le pendant agissant sur le barillet de la sonnerie par l’intermédiaire de la chaîne, dut être modifié.

dans les mouvements à répétition modernes avec remontoir à couronne, l’armage du mécanisme de déclenchement a désormais lieu, comme l’avait anticipé Breguet, par un poussoir ou un coulisseau sortant latéralement de la boîte. Parallèlement à cette modification, le mécanisme de sonnerie fit l’objet d’améliorations et de simplifications; non pas toutes en même temps, mais les unes après les autres au cours de plusieurs décennies, sans que le principe de fonctionnement en fût modi-fié. une amélioration importante consistait, par exemple, en un remplacement de la délicate chaîne avec ses poulies de renvoi, par un levier denté de remontage engrenant directement dans un pignon fixé sur l’arbre de barillet.

une autre de ces améliorations consistait à rem-placer l’étoile des heures mobile par une étoile des heures fixe, si bien que l’étoile et le limaçon des heures tournaient désormais librement, mais

avec un axe fixe, sous un petit pont supplémen-taire, d’où la simplification et la décharge du levier de déclenchement de la sonnerie («tout ou rien») en même temps qu’un déclenchement de la sonnerie plus précis et plus sûr.

Bien qu’il n’existe aucun document tel qu’un brevet attestant de façon indubitable l’identité de l’auteur de cette amélioration, on retrouve à ce propos deux textes qui convergent vers Louis-elisée Piguet.

dans le premier texte on constate que Louis-elisée avait inventé en 1858 cette étoile des heures fixe, classée parmi les améliorations importantes (JsH 1901, pages 50ss).

dans le second auquel il a déjà été fait allu-sion, cette invention aurait été réalisée en même temps, en 1860, par les Maisons guillaume à Fleurier et Louis Audemars fils au Brassus en 1860. Chez Audemars ce sont Louis-elisée et Jules-Louis Piguet, deux horlogers salariés, qui auraient contribué à sa mise au point (Jaquet/Chapuis, page 165 et Pierre Audemars, partie iv, page 401).

Mécanisme répetition minutes moderneA. Armage du déclenchementB. ChaîneC. Étoile mobileLe limaçon B. et l’étoile des heures C. sont un pivottement fixe, le levier de déclenche-ment A. est indépendant.

Poussoir de déclenchement

Les iNveNtioNs de Louis-eLisée Piguet

Mécanisme répetition minutes ancienA. Armage du déclenchementB. ChaîneC. Étoile mobileLe limaçon A. et l’étoile des heures B. sont montés sur le levier de déclenchement (mobile).

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L’isolateur du sautoir du mécanisme des répétition minutes

vers 1872, Louis-elisée Piguet développa pour le mécanisme de répétition minutes un dispositif qu’il appela «isolateur», ne libérant le sautoir que pendant la préparation de la sonnerie. il l’im-mobilisa et l’isola le reste du temps, afin d’éviter une influence perturbatrice sur la marche de la montre. Cet isolateur fut présenté et commenté en détail dans le Journal suisse d’Horlogerie (JsH) en 1876, ce qui fait quand même quatre années après son invention.

François LeCoultre, un éminent connaisseur, décrit ce mécanisme et son fonctionnement (pages 174ss), sur la base d’un dessin de Louis-elisée, publié dans le JsH 2/1877:

«Le fonctionnement de la surprise (placée sous le limaçon des minutes et tournant librement sur la chaussée, note de l’auteur) se fait de la même manière que dans une répétition à quarts. elle est poussée en avant par une dent de l’étoile, toutes les fois que l’aiguille des minutes arrive sur 60, mais dans une répétition minutes cette fonction doit se produire quatre fois par heure, c’est pour-quoi on a imaginé le sautoir des quarts (B) qui est chargé de régler cette fonction en temps voulu.

L’extrémité de ce sautoir est formée de deux pans inclinés qui se rejoignent en un point appelé «sommet» et forment entre eux un angle d’à peu près 110 degrés.

Le ressort (N) oblige ce sautoir à s’appuyer cons-tamment contre la surprise, sur le plan duquel il se trouve. ... Ce système de sautoir des quarts, tel que nous venons de le décrire, a l’inconvénient d’offrir une grande résistance, lorsque la surprise le fait monter sur son diamètre, ou d’augmenter la force motrice du grand rouage, lorsqu’il des-cend. outre ce défaut, l’usure du sommet du sau-toir et des quatre dents de la surprise, provoquée par le frottement prolongé des deux pièces, l’une contre l’autre, provoque des écarts assez sensibles au moment du saut en avant de la surprise.

Pour remédier à cet inconvénient, L.-e. Piguet, horloger au Brassus, imagina le dispositif appelé «isolateur» (C).

Cet isolateur est une bascule à deux leviers, tour-nant librement sous une vis à portée, vissée sur la barrette d’échappement. Lorsque le mécanisme de répétition est au repos, le court levier est appuyé contre la goupille (e) implantée dans le sautoir des quarts, et le long levier contre le prolonge-ment de la vis (d) du doigt de décrochement.

Ce long levier est formé d’une courbe dont le centre ne correspond pas à celui autour duquel se meut la vis (d) du doigt de décrochement, ce qui fait que lorsqu’on actionne la sonnerie en poussant la crémaillère en avant, l’isolateur peut se déplacer, sous la pression du ressort (N) et ainsi permettre au sautoir des quarts d’accom-plir sa fonction.

Pendant l’exécution de la sonnerie, la crémaillère revient à son point de départ, et la vis du doigt de décrochement force l’isolateur à se mouvoir dans le sens contraire et, par ce fait, relève le sautoir des quarts, jusqu’à ce que le sommet de celui-ci se trouve encore engagé très légèrement à l’intérieur de la circonférence parcourue par le diamètre de la surprise obligeant celle-ci à se placer sous le limaçon des minutes, toutes les fois qu’elle rencontre ce sommet, soit tous les quarts d’heure.»

un mécanisme isolateur semblable, mais cons-truit de façon plus compliquée, avait déjà été présenté dans le numéro de Mai 1876 du JsH par un certain Monsieur e. Pacaud mention-nant à ce propos qu’il n’avait pas pu identifier les auteurs de cette construction réalisée d’abord à la vallée de Joux.

dans une description de son isolateur - rédigée en décembre 1876 et parue dans le numéro de février 1877 du JsH - accompagnée de deux illustrations, donnée par Louis-elisée Piguet lui-même, il mentionne que la construction décrite par Pacaud n’est pas de lui. dans cet article, il

Illustration parue dans le JHS (Journal Suisse d’horlogerie) en 1877 pour illustrer un article de Louis Elisée Piguet.

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d’après François LeCoultre (pages 178ss et fig. 37), Louis-elisée Piguet aurait reconnu après un certain temps que l’invention de l’isolateur avait certes réduit, mais pas totalement supprimé les problèmes de friction et l’usure relative de la crête du sautoir. C’est pourquoi il inventa un ressort faible logé dans un ajourement du lima-çon des quarts et agissant sur une goupille logée dans le limaçon des minutes. Ce ressort main-tient la surprise sous le limaçon aussi longtemps qu’elle n’est pas poussée en avant par le sautoir. C’est seulement maintenant que le sautoir peut être dégagé complètement du périmètre balayé par la surprise pendant la période de repos de la sonnerie.

L’amélioration du mécanisme de chronographe

dans le mécanisme de chronographe normal, développé dans sa forme définitive vers 1880, la rotation de la roue des secondes est transmise sur l’arbre supplémentaire de l’aiguille centrale du chronographe par l’intermédiaire de trois roues finement dentées approximativement de même diamètre, fixées à titre supplémentaire respectivement sur l’axe de la roue des secondes, l’axe intermédiaire et l’axe central de la roue des minutes.

Louis-elisée Piguet avait imaginé un mécanisme dans lequel l’axe central de l’aiguille du chrono-graphe est entraîné directement par un deuxième pignon situé sur l’axe de la roue d’échappement.

Pour cette construction, un brevet allemand lui fut octroyé sous le numéro 63141 le 24 avril 1891.

La roue moyenne (g) sise sur l’axe de l’aiguille du chronographe est particulièrement grande dans cette construction, car elle doit pouvoir s’engrener avec le deuxième pignon (ex) sur l’axe de la roue d’échappement. une autre modifica-tion par rapport au chronographe normal vient du fait que les trois marteaux respectivement

nécessaires pour la mise en marche, l’arrêt et la mise à zéro, soit le marteau à coeur, le marteau-fouet et la bascule d’embrayage, sont ici réunis en un seul marteau (N). outre le marteau de commutation qui fait avancer cran par cran la roue de commutation (o), ce n’est donc plus que ce marteau (N) qui a prise sur la roue de commutation. Ce marteau (N) d’aspect compli-qué a pour effet qu’après l’avancement d’un cran de la roue de commutation, la came en coeur (P) est libérée et que - par l’intermédiaire du mar-teau (M) à ressort et à plan incliné - le pignon d’échappement (ex) se met à s’engrener avec la roue moyenne (g), ce qui fait démarrer l’aiguille du chronographe. L’avancement de la roue de commutation entraîne le rappel du marteau (N) dans une encoche de cette roue, ce qui a pour effet de libérer simultanément le marteau (M) à ressort et, partant, de dégager la roue moyenne (g) de son engrènement avec le pignon d’échap-pement (ex) - d’où arrêt de l’aiguille du chrono-graphe - ainsi que d’amener le second bras du marteau (N), soit (Nx), en prise avec la came en coeur, ce qui ramène l’aiguille du chronographe à zéro.(Fonctionnement décrit de manière simplifiée.)

Avec la réalisation de ce mécanisme, Louis-elisée Piguet comptait sur un enclenchement et un déclenchement simplifiés, sûrs et simul-tanés de la roue moyenne de l’aiguille du chro-nographe, il obtint en outre une réduction de l’épaisseur de la montre, puisque le marteau (N) à trois bras situé dans un même plan remplaçait trois marteaux différents. il semble toutefois que cette construction ne se soit pas imposée dans les montres de poche, car on ne connaît pas de montre équipée de ce mécanisme de chronogra-phe, aisément reconnaissable par l’absence des trois roues supplémentaires finement dentées sur les arbres des secondes et des minutes et celui de la roue des minutes, à la très grande roue moyenne et au marteau (N) à trois bras pliés de façon très compliquée. dans le patrimoine légué par Piguet, il n’y a pas non plus d’ébauche dotée de ce mécanisme.

Patente impérialeBerlin, le 24 avril 1891

présente encore une variante précédente de son isolateur (fig. 1) se distinguant de celle décrite ci-dessus (fig. 2) par le fait qu’un ressort prépa-ratoire (A) maintient sous pression le sautoir à titre supplémentaire. il avait ensuite supprimé ce ressort, parce que trop onéreux, sans que la séquence de fonctionnement du sautoir et de l’isolateur en eut été entravée. il écrit, bien au contraire, que tout fonctionne maintenant plus simplement et plus sûrement.

il faut croire que ces descriptions des inventions de Louis-elisée étaient trop sommaires aux yeux de Charles-Henri Audemars, un des huit fils de Louis Audemars, spécialiste des montres extra-compliquées. Pour donner plus de poids à ces descriptions, il envoya au JsH un exposé sur les avantages de cette construction, très importants à son sens, qui fut imprimé à la suite de l’ex-posé mentionné ci-dessus de e. Pacaud dans le numéro de Mai 1876:

«tout horloger qui a tenu des répétitions minutes ayant marché quelque temps, a pu se convaincre des perturbations qu’apporte, dans les services qu’on exige de ce genre de montre, le sautoir des minutes tel qu’il a été construit jusqu’à présent.

Ces perturbations sont de deux sortes, celles produites dans la marche de la montre, et celles produites dans les fonctions de la sonnerie.

Le frottement du sautoir des minutes sur la sur-prise étant un frottement acier contre acier, il est nécessaire d’y mettre de l’huile afin de faciliter le glissement de la surprise le long du plan incliné du sautoir; ce glissement a lieu pendant environ six ou sept minutes à chaque quart d’heure. si l’on ne mettait pas d’huile à ce frottement, la surprise ne tarderait pas à se gripper contre le sautoir; la montre ferait alors des variations de marche considérables, et finirait par s’arrêter tout à fait, si le ressort du sautoir est un peu fort.

Avec le nouveau sautoir, ces dangers de varia-tion et d’arrêt n’existent plus, puisque le sautoir est toujours levé, sauf lorsque le particulier fait

sonner sa répétition; par conséquent, il n’a aucun frottement pendant la marche de la montre.

L’huile qui, dans un cas (la marche de la montre), est de toute nécessité, devient un inconvénient grave dans l’autre cas (les fonctions de la sonne-rie). voici pourquoi: lorsque l’huile qui, comme chacun le sait, a tendance à se répandre autour du point où on la met, vient à passer entre le limaçon des minutes et la surprise, elle colle cette dernière au limaçon. La surprise n’étant plus libre, sa fonction ne se fait pas et la sonnerie accuse à faux chaque fois que l’aiguille des minu-tes est sur les points 15, 30 et 45 du cadran, soit tous les quarts d’heure.

Avec le nouveau système, l’huile n’étant d’aucune utilité, l’inconvénient n’existe plus. Cette amélio-ration est due, je crois, à L.-e. Piguet du Brassus, l’un des collaborateurs de votre journal.»

Louis-elisée répondit à cet éloge d’Audemars dans le courrier des lecteurs du 11 novembre 1876:«Monsieur le rédacteur,Je viens de recevoir le dernier numéro du Journal suisse d’Horlogerie; j’y ai trouvé une correspondance de M. C.-H. Audemars, du Brassus, laquelle fait connaître les avantages que réalise, dans les répétitions à minutes, le méca-nisme isolateur du sautoir des minutes, de mon invention. votre honorable correspondant ayant ignoré quelques points, quant en ce qui me con-cerne, je viens les compléter en vue qu’il ne me soit attribué que ce qui m’appartient. J’ai donc à dire: 1˚ que c’est à M. H.r. ekegrén, à genève, qu’est due la première idée du dégagement du dit sautoir; 2˚ que c’est à sa demande que j’ai étudié et exécuté le dit mécanisme.»

A partir de ces différents exposés, on peut con-clure que l’idée de cet isolateur du sautoir éma-nait du marchand de montres et régleur genevois Heinrich ekegrén (1824-1896) et qu’elle fut développée et exécutée par Louis-elisée Piguet, et ensuite perfectionnée au cours du temps. il existe des variantes de toutes sortes de cet isola-teur en forme de bascule.

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et après, les montres compliquées avec grande sonnerie, étaient la plupart du temps combinées avec une sonnerie à répétition (à la demande). elles possédaient un rouage pour la grande son-nerie et un autre pour la répétition, soit au total trois rouages avec trois ressorts moteurs.

de même, les montres avec trotteuse indépen-dante, où l’aiguille des secondes centrale ne fait qu’un saut par seconde et qu’il est possible d’ar-rêter ou de laisser marcher sans arrêter le mou-vement de marche, ont la plupart du temps, en raison de la grande force motrice nécessaire, un deuxième rouage avec son ressort moteur propre pour l’entraînement de l’aiguille des secondes.

sont également pourvues d’un deuxième rouage avec leur propre ressort moteur, les montres avec seconde foudroyante, dans lesquelles une petite aiguille des secondes parcourt la seconde en quatre ou cinq sauts. dans de rares cas, on trouve également un rouage propre avec ressort moteur dans des montres de poche avec remon-toir à couronne pour une sonnerie à répétition.

dans les montres avec remontoir à clé, il n’y avait aucun problème pour armer les différents ressorts moteurs car chacun est armé séparé-ment par son propre carré de remontoir. Avec l’introduction du mécanisme à couronne, il a fallu développer un dispositif permettant d’ar-mer avec une seule couronne deux barillets indépendamment l’un de l’autre. Ceci d’une part parce que les deux rouages peuvent avoir des temps de marche différents, ce qui dans le cas d’un remontoir à action simultanée aurait pour effet que l’armage d’un ressort moteur déjà détendu se trouve bloqué par l’autre ressort, non encore détendu (Adrien Philippe avait toutefois trouvé une solution à ce problème avant 1850), et d’autre part parce qu’il est peu commode d’af-fubler une boîte de montre de poche de deux couronnes de remontoir - ce qui ne semble pas encore avoir été tenté à ce jour.

on s’imagine aisément qu’un horloger aussi créatif et inventif que Louis-elisée Piguet, spécialisé dans

les mécanismes compliqués, associerait les problè-mes non encore résolus de façon satisfaisante, et développerait une construction de remontoir à couronne pour plusieurs ressorts moteurs, sans se soucier si d’autres feraient de même.

Bien avant la date où le brevet fut octroyé, Piguet semble s’être penché sur ce problème, car dès 1858 il se serait préoccupé de la réduction du nombre de rouages dans les montres de poche compliquées. déjà durant son apprentissage, chez Henri golay à genève, et sur les idées de ce dernier, il aurait construit la première quadra-ture pour grande sonnerie et répétition à minu-tes, laquelle, en lieu et place des deux rouages rencontrés jusque là, n’en comportait plus qu’un seul avec un unique ressort moteur pour ces deux mécanismes. on rapporte même qu’il aurait inventé à la même époque un remontoir à double effet, c’est-à-dire remontant dans les deux sens. en fait l’un des divers mécanismes de ce type per-mettait de remonter respectivement l’un et l’autre des deux ressorts dans chaque sens de rotation.

Les deux problèmes distincts, à savoir:1) la diminution du nombre des rouages et

ressorts moteurs dans les mouvements avec grande sonnerie et répétition, respectivement de deux à un;

2) le développement d’un remontoir à cou-ronne capable d’armer deux ressorts moteurs indépendamment l’un de l’autre, sont étroi-tement liés. C’est pourquoi Louis-elisée Piguet s’en préoccupa conjointement; préoc-cupation d’autant plus impérative qu’à l’épo-que, vers 1860, la solution de ces problèmes s’avéra des plus urgente pour les horlogers de précision de la vallée, spécialisés dans les mouvements de montre compliqués.

Le problème principal du remontoir avec deux ressorts moteurs indépendants l’un de l’autre et une seule couronne, est l’embrayage d’un des barillets qu’il s’agit de remonter au moment donné et le débrayage simultané de l’autre, afin qu’ils ne soient pas entraînés conjointement.

dans les montres-bracelets, par contre, le prin-cipe de la transmission de la rotation de la roue des secondes à la roue moyenne du chronographe par un pignon intermédiaire, dit pignon flottant, en lieu et place des trois roues de transmission usuelles à denture fine, connut plus de succès. B. Humbert (pages 100ss) décrit en détail deux cali-bres différents exécutés selon ce système dans les années 50, assez différents toutefois de ceux de Piguet. il précise que ce système est plus simple et moins cher à produire que le système normal avec les roues de transmission à denture fine.

un brevet suisse pour mécanisme de chronogra-phe très similaire a été octroyé le 11 février 1889 à Adrien Aubert, un fabricant de blancs compli-qués de derrière-la-Côte près du sentier. dans cette construction, la roue moyenne est aussi directement mise en marche par un pignon inter-médiaire. du fait d’une description simple et de l’absence de dessin, on ne peut vérifier si la cons-truction destinée à assurer l’enclenchement et le déclenchement de la roue moyenne est compara-ble avec ceux de Piguet ou si le brevet contient au moins une telle construction, car les indications concernant l’entraînement font défaut dans cette description. en voici le résumé exact:

«Je revendique comme constructeur l’invention pour laquelle je forme la présente demande de brevet:

dans les chronographes, la combinaison d’un pignon ou d’une roue fixés sur l’axe de la roue d’échappement avec une roue ou un pignon à denture correspondante portant l’aiguille du chronographe et avec un mécanisme quelcon-que de mise en marche, d’arrêt et de retour à 0 de l’aiguille du chronographe.»

dans le brevet Aubert est inscrite une cession de revendications en faveur de Louis-elisée Piguet, datée du 15 août 1890. Le 8 octobre 1890, Piguet sollicitait, à Washington, un brevet amé-ricain pour sa construction de chronographe, fondé sur le même dessin et la même description que le brevet allemand mentionné ci-dessus. Le

7 avril 1891, un brevet américain correspondant lui fut octroyé sous le numéro 449.915.

on pense qu’Aubert eut l’idée de base de l’entraî-nement direct de la roue moyenne du chronogra-phe par un pignon intermédiaire supplémentaire, qui la fit breveter, à la suite de quoi Piguet déve-loppa la construction de l’entraînement qu’il protégea sous son nom. Avec le brevet américain, envisageait-il d’étendre ses activités sur les usA - du moins avec ce mouvement de chronographe simplifié? Ce n’est bien sûr qu’une supposition.

Le remontoir à couronne agissant dans les deux sens pour montre de poche à deux barillets

Pour assurer la marche à puissance constante d’une montre, il est important de disposer d’un entraînement à ressort avec une action aussi régulière que possible. Au cours des siècles, il s’est avéré, à la suite à de nombreuses expérien-ces, que la meilleure façon d’y parvenir est un ressort moteur pas trop fort, bloquant aussi loin que possible au début et à la fin. or, un res-sort moteur destiné, hormis le mouvement de marche, à entraîner encore d’autres mécanismes de la montre, doit forcément être soit puissant, donc excessivement long, ce qui influence négati-vement la constance de marche du mouvement.

C’est pourquoi, pour de nombreuses compli-cations demandant une force d’entraînement propre, régulière et relativement élevée, les horlo-gers se sont très tôt déjà engagés dans la voie d’un rouage indépendant du mouvement de marche, doté d’un ressort moteur propre. Cela concerne principalement les montres avec grande sonnerie. L’un des rouages entraîne l’aiguille des heures et celle des minutes, et le deuxième le mécanisme de sonnerie à auto-déclenchement, lequel exige une traction du ressort constante relativement élevée et qui (contrairement à ce qui est le cas pour le mouvement à répétition) doit être cal-culé assez exactement. Jusqu’au XiXème siècle

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deux systèmes furent développés pour résoudre ce problème:1) L’un possède des arrêtages situés à l’intérieur

ou l’extérieur des roues à rochet, dont les cli-quets arrêtent un barillet dans le sens dans lequel l’autre est en même temps libéré.

2) dans le deuxième système, la roue de cou-ronne centrale est reliée à une petite roue dentée située entre les deux roues à rochet et montée sur une bascule qui la fait pivoter vers la droite lorsque le remontoir est actionné en rotation à droite, et vers la gauche lorsqu’il est actionné dans le sens inverse, si bien qu’elle engrène chaque fois avec la roue à rochet du barillet en train d’être armé (voir p. ex. Meis (3) fig. 808/25).

il existe un brevet suisse du 3 mai 1895 attribué à Louis-elisée Piguet portant le numéro 10183, montrant un mécanisme de remontoir pour montres de poche à deux barillets et fonction-nant en principe selon le système décrit ci.dessus. dans le préambule du texte du brevet, Piguet a expliqué son invention dans les termes suivants:

«dans les montres à deux barillets chacun des arbres de barillet est pourvu, en outre du rochet d’encliquetage actionné par un cliquet fixé sur ledit arbre pour empêcher le retour de ce der-nier sous l’effort du ressort moteur, d’un rochet d’encliquetage également fixé sur l’arbre mais actionné par un encliquetage (généralement formé de deux cliquets diamétralement oppo-sés) fixé au rochet de remontage, les rochets de remontage des deux arbres de barillet étant actionnés par une roue de couronne commune.

Cette construction bien connue est compliquée et coûteuse; elle sera remplacée avantageuse-ment par l’invention qui fait l’objet de la pré-sente demande de brevet».

La nouveauté dans la construction de Piguet tient dans le fait que l’un des deux enclique-tages à action inverse est remplacé par un sys-tème à deux rochets superposés (d et g dans le dessin du brevet, voir fig. 5) s’engrenant l’un

dans l’autre par une denture en couronne et décrochant respectivement dans l’un des sens de rotation (le rochet inférieur étant maintenu en même temps par le cliquet) lorsque l’autre res-sort moteur est armé.

Cette construction se distingue optiquement par le fait que les deux encliquetages avec leurs deux cliquets respectifs à action inverse ne sont plus visibles ouvertement, mais sont cachés par les deux rochets à denture en couronne les coiffant et par-dessus lesquels est tendu le pont à ressort (A), dont les deux bras élastiques pressent ces rochets supérieurs (g) sur les rochets inférieurs respectifs, afin d’assurer l’engrènement des den-tures en couronne.

un pont à ressort semblable, mais à deux bras légèrement coudés, se trouve également dans une construction à deux barillets d’Adrien Philippe selon un brevet de ce dernier datant de 1889, avec un accouplement rigide des deux barillets et en utilisant un ressort moteur libre (voir Hubert & Banbery, pages 53ss).

Piguet explique que la denture de chant des deux roues à rochet superposés est facile à réa-liser, tandis que les arrêtages doubles de la cons-truction usuelle, avec ses cliquets à effet inverse, ne sont réalisables que par un travail manuel minutieux. on voit ainsi que Piguet distingue déjà nettement le travail mécanique, c’est-à-dire bon marché, du travail manuel, coûteux. Ce brevet vise donc une fabrication d’un remontoir à couronne pour deux barillets mécanisable, et meilleur marché.

Cette construction semble ne pas avoir eu beaucoup d’avenir, car on la voit extrêmement rarement. dans les ventes aux enchères de ces dernières années, une seule horloge, anonyme, utilise cette construction de remontoir (vente aux enchères Kegelmann/Francfort n° 50 du 31 mars 1990, lot 174). dans les horloges issues de l’atelier de Piguet, on ne la trouve pas une seule fois: il ne l’aura donc guère utilisée, préférant recourir à l’onéreuse construction classique.

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Système de numérotation et de signature

entre 1870 et 80, Louis-elisée Piguet marqua tous les mouvements qu’il produisit, simples ou compliqués, de ses propres numéros de fabrication. Les premiers de ces numéros sont authentifiés par des lettres datant de 1883, d’où il ressort qu’en 1883 c’était le tour des numéros compris entre 2200 et 2800. en décembre 1883, on trouve encore le numéro 3094 et au milieu de l’année 1884 le numéro 3141. si l’on estime la production annuelle à 250/300 mouvements par an, Piguet aurait commencé son système de numérotation vers 1873.

une numérotation systématiquement enregistrée et documentée ressort des carnets de fabrication, conservés environ à partir de l’ouverture de la nouvelle fabrique en 1892. Cette numérotation n’est toutefois pas toujours logique, et ne reflète qu’une chronologie approximative, ceci est très clairement démontré par deux suites de numéros mis en évidence à titre d’exemples extrêmes:

Numéro de fabrication Date de livraison

3839 26.06.1892

3840 16.03.1894

3841 15.10.1894

4787 28.02.1890

4123 07.12.1893

4783 février 1896

La suite de numéros est toutefois globalement chronologique.

Cette numérotation consciencieuse, se rapportant à des montres individuelles a été maintenue jusqu’en 1914 environ, portant des numéros de fabrication autour de 20’000. La production se développant, le numéro 30’000 est atteint en 1918 et le 35’000 en 1919. L’enregistrement de la numérotation devient plus sporadique et cesse après 1919.

eNseigNeMeNts tiré du grANd Livre de FABriCAtioN

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La liste est relativement complète bien que non exhaustive. Pour quelques mouvements, les numéros de fabrication faisaient défaut et le type de complications était lui aussi peu clair. dans ce cas on a renoncé à les faire figurer.

souvent, figurent dans le carnet de fabrication des mouvements sous la dénomination «horloge» sans aucune autre indication. Cette désignation est quelque peu déroutante, car généralement - comme dans le lexique Berner - la notion d’hor-loge se rapporte à une grande pendule implantée à demeure. dans le Jura suisse l’horloge désigne des montres de poche avec grande sonnerie et répétition minutes. C’est pourquoi les horlo-ges de Piguet sont portées sur la liste avec leurs caractéristiques de complication.

voici les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette liste. tout d’abord des ensei-gnements d’ordre quantitatif.

La manufacture Louis-elisée Piguet a fabriqué de 1892 à 1914 au total 460 mouvements de montres de poche compliqués durant ces 22 ans. durant la même période, la production annuelle totale était de 740 mouvements en moyenne. 270 de ces 460 mouvements c’est-à-dire plus de la moitié de tous les mouvements compli-qués étaient des mouvements dits horloges, avec grande sonnerie et répétition minutes.

40 de ces mêmes 460 mouvements étaient des mouvements dits grandes Complications. Le plus grand nombre de mouvements compliqués fut livré en 1897 (avec 49 pièces) et en 1898 (avec 59 pièces), la même année ont été créés, ou plutôt terminés et/ou livrés, pas moins de six grandes Complications, nombre presque incroyable représentant près d’un tiers de toutes les grandes Complications connues de L.-e. Piguet. L’année 1897 vit ainsi naître un mou-vement environ par jour, chaque semaine un compliqué et tous les deux mois, une grande Complication. il va de soi qu’il ne s’agit pas de temps de fabrication, mais bien de livraison.

42 pièces sur les 59 mouvements livrés en 1898 étaient également des horloges, avec trois grandes Complications terminées la même année, dont la célèbre Horloge universelle, nom qui lui sera donné ultérieurement. Les étonnan-tes performances fournies par la manufacture durant ces deux années étaient le fruit de quinze collaborateurs. Après 1900, la production des mouvements compliqués tomba rapidement à dix mouvements par an. C’est cependant durant ces années, vers 1900, que furent réalisés les six mouvements les plus compliqués de tous, les «extra-Compliquées».

Malgré le grand nombre de mouvements très compliqués, les délais de livraison de Piguet se maintenaient dans des limites acceptables. Pour les mouvements «extra-Compliquées» tels que les numéros 7321, 8400 ou 8401 avec dix complications ou plus, le délai était entre 11 et 17 mois environ. Les trois mouvements légère-ment moins compliqués portant les numéros 6074 à 6076 (La Fabuleuse et les deux Horloges universelles) furent livrés 6 mois après leur com-mande. Le délai pour une horloge normale était de deux mois environ; ainsi, le numéro 5815 fut commandé par d. vaunier en mars et livré le 4 mai 1900.

Les Grandes Complications

si on extrait de la liste (Appendice v) des 460 mouvements compliqués réalisés entre 1892 et 1914, les mouvements appelés grandes Complications, c’est-à-dire comportant au moins grande sonnerie, répétition minutes, quantième perpétuel et chronographe, on en dénombre 40 durant ce laps de temps. A noter toutefois que le nombre des grandes Complications fabriquées avant 1892 n’est pas enregistré et que cette quantité inconnue n’est certes pas négligeable.

Le tiers de ces grandes Complications, soit 13 pièces était destiné à Audemars Piguet & Cie. Principal client de ces mouvements, il avait

Du prix des montres Piguet

des notions aussi prosaïques que le prix de revient d’une montre ne jouissent certes pas d’une haute considération dans les descriptifs his-toriques de montres. Mais à la lumière de la rela-tion prix/qualité entre les différents composants d’une montre compliquée, cette notion revêt un signification non négligeable dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire au tournant du siècle.

un exemple concret qui illustre cette relation nous est donné avec l’exemple d’une savonnette en or, répétition minutes de Jules Jürgensen datant de 1892 et portant son numéro de fabri-cation 15078, car on possède un extrait détaillé de cette montre tiré du livre-matricule.

Cet exemple montre qu’un grand nombre de collaborateurs et de fournisseurs ont participé à la réalisation d’une montre complète dans le cadre du système de sous-traitance à domicile, 21 fournisseurs pour cette seule pièce.

Louis-elisée Piguet livrait, en 1890, l’ébauche de 19 lignes finissage compris, c’est-à-dire avec des roues passées à la fraise à rondir et un rouage vérifié et retouché, pour 200 francs. une telle ébauche aurait dû coûter 140 francs seulement; 200 francs était donc un prix assez élevé qui dénotait un degré d’achèvement élevé des ébau-ches justifié par la finition.

dans l’extrait du livre-matricule relatif au prix de revient de cette Jürgensen n° 15078, figurent trois facteurs de coût principaux:

1) l’ébauche avec 200 francs,2) la boîte, une savonnette pesant 90 gram-

mes, en or, pour 275,25 francs, livrée par Jaccard & Cie

3) le repassage, c’est-à-dire l’ultime vérifica-tion et contrôle de tous les composants et fonctions du mouvement avec les travaux de retouche nécessaires, l’ajustage du mou-vement dans la boîte, pour 115 francs par Aimé Perrelet.

Le prix total de fabrication de cette montre, après l’addition des 24 postes individuels, atteint un montant final de 889,05 francs, soit 6 à 7 salaires mensuels d’un ouvrier qualifié. A titre de comparaison avec les salaires et prix actuels, cette montre coûterait donc aujourd’hui près de 20’000.- francs.

Liste partielle des mouvements compliqués

La liste en annexe des mouvements de montres compliqués a été compilée à partir des carnets de fabrication de la maison Louis-elisée Piguet pour la période allant de 1892, juste avant l’ins-tallation de la fabrique dans le moulin rénové au Brassus, jusqu’en 1914 - elle se poursuit donc au-delà du départ de Louis-elisée en 1905.

La liste n’offre qu’un aperçu du programme de livraison total et répertorie les mouvements qui possèdent au moins une grande sonnerie.

Cependant, la liste comprend un petit nombre de mouvements sans grande sonnerie présentant un si grand nombre de complications que la sonnerie serait normalement de rigueur, tels les numéros 5449 et 5450. Ces calibres glashütte semblent d’une assez grande importance, et la première notamment peut être considérée comme une grande Complication, même sans la grande sonnerie.

La restriction arbitraire aux mouvements dits compliqués a été décidée pour une raison plus quantitative que qualitative. La liste serait deve-nue beaucoup trop longue et illisible. Le nombre des mouvements munis seulement d’une répéti-tion à quarts, à cinq minutes ou à minutes, d’un quantième simple ou perpétuel ou d’un chro-nographe, ou encore des combinaisons les plus diverses de ces complications, est bien plus élevé que le total des mouvements listés ici.

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de plus, les ébauches compliquées étaient nor-malement livrées sans l’échappement, organe auquel appartient le tourbillon. La fabrication, la pose de l’échappement, du balancier et éga-lement du tourbillon, étaient du ressort du donneur d’ordre, si bien que Piguet n’eut guère l’occasion de fabriquer un tourbillon. dans les rares cas où la mention «avec tourbillon» ou «échappement tourbillon» figure au carnet de fabrication, cela signifie la plupart du temps que le rouage et les platines ne sont que préparés pour le montage d’un tourbillon, mais que ce dernier n’en fait pas encore partie. Cette hypo-thèse est corroborée par le fait que les prix de certaines ébauches de même complexité, avec ou sans tourbillon, ne diffèrent pas les uns des autres.

Nous avons mentionné plus haut que le propre frère de Louis-elisée, Henri daniel, collabora un temps dans l’atelier et réalisa des tourbillons. Ceci est antérieur aux travaux documentés par les carnets de fabrication, c’est-à-dire avant 1892. Henri daniel abandonna l’horlogerie vers 1874. r. Meis (Meis (2) page 43) mentionne qu’un tourbillon fabriqué par Henri-daniel Piguet serait conservé.

Les carnets de fabrication de Louis-elisée Piguet font mention, entre 1899 et 1904, de huit mou-vements en tout préparés pour le montage d’un tourbillon, dont sept furent livrés à Capt & Meylan au solliat, et le huitième à Capt & Cie. Ces huit ébauches étaient toutes particulière-ment grandes, soit entre 21 3/4’’’ et 27 1/2’’’ de diamètre de mouvement (49 à 62 mm).

dans la succession de Louis-elisée, on trouve une photo d’un tourbillon avec balancier et roue d’échappement, prise par le fabuleux photogra-phe Auguste reymond ayant oeuvré au Brassus entre 1860 et 1910. Ce type de tourbillon a été fabriqué entre 1890 et 1900. il est connu pour son échappement de chronomètre à ressort; la photo montre d’ailleurs un modèle typique de roue d’échappement de chronomètre.

Les clients de Louis-Elisée Piguet

Les 136 fabricants de montres, commerçants en horlogerie et repasseurs, en très grande majorité suisses, qui formaient la clientèle de la manu-facture de Louis-elisée Piguet (Appendice ii), sont un échantillon typiquement représenta-tif du petit monde horloger dominant la scène vers le tournant du siècle. on retrouve de nom-breuses petites entreprises aujourd’hui presque inconnues et presque toutes les grandes marques telles que Audemars Piguet & Cie, Hector Capt, Paul ditisheim (actuelement eBeL), girard-Perregaux, Hector golay, Jules Jürgensen, Patek Philippe & Cie ou vacheron & Constantin. La liste des maisons célèbres est presque exhaustive si bien que les grands absents se font d’autant plus remarqués: ulysse Nardin ou Antoine LeCoultre. Ce dernier ne se contentait pas de fournir des montres terminées, il fabriquait éga-lement les mouvements, en partant de blancs et d’ébauches comme Piguet. des relations com-merciales existaient bel et bien entre Piguet et LeCoultre, ainsi que l’atteste une lettre de Louis-elisée du 6 mai 1898, dans laquelle il commanda d’urgence un jeu de pignons pour montres avec répétition et mécanisme de réveil.

il arriva également que d’autres fabricants d’ébau-ches commandassent des mouvements Piguet, notamment les blantiers Adrien Aubert, Charles et victorin Piguet et la maison reymond-golay, qui constituaient sa clientèle fixe dans la vallée. Les onze fabricants de montres terminées recen-sés à la vallée de Joux vers 1895 (voir annexe) font bien entendu tous partie de sa clientèle.

en ce qui concerne l’origine de ses clients, par ordre décroissant d’importance, c’est genève qui vient en tête avec 24 clients, suivie du Locle avec 19, La Chaux-de-Fonds avec 15 maisons, Les Ponts-de-Martel avec 14 maisons, et finalement le village natal du Brassus avec tout de même 10 d’entre elles. trois quart de la clientèle de Piguet provient donc de la région immédiatement avoi-sinante située dans un rayon d’une cinquan-taine de kilomètres. on compte seulement six

des exigences particulières: toutes les grandes Complications pour AP étaient conçues pour des boîtes de type savonnette. Cinq de ces 13 mouvements portent, dans le carnet de fabri-cation Piguet, la mention «glashütte», ce qui indique qu’elles étaient destinées à des maisons de glashütte, peut-être dürrstein (union), qui avait commandé chez AP, entre 1895 et 1914, un grand nombre de montres de poche compliquées en tant que calibre glashütte sous la forme bien connue d’un mouvement 3/4 platine. Parmi ces ébauches compliquées livrées à dürrstein durant ce laps de temps, 35 proviennent de Piguet, ainsi que le montre le carnet de fabrication AP. La plupart de ces 35 mouvements étaient de sim-ples répétitions minutes. en ce qui concerne ces mouvements pour glashütte, il est probable que le rôle joué par AP était celui d’un simple inter-médiaire. A ce nombre s’ajoutent les trois mou-vements extra-compliqués portant les numéros de fabrication 6074 à 6076, dont nous savons qu’ils étaient destinés à dürrstein à glashütte.

Les grandes Complications de Louis-elisée Piguet, attestées comme étant des calibres glashütte, étaient toutes livrées à AP qui semble avoir détenu une sorte de monopole pour la vente de mouvements Piguet hautement com-pliqués à dürrstein.

si tant est qu’un tel monopole exista, il ne s’étendit toutefois pas aux mouvements moins compliqués. de ces mouvements - avec des com-binaisons variées de répétition avec chronographe et quantième simple ou perpétuel, souvent avec la seule répétition - AP en reçut la majorité, soit 27 pièces, mais les calibres glashütte étaient aussi fournis à des maisons comme Wolfensberger au Locle ou Jean Piguet au sentier.

Le deuxième gros client des grandes Compli-cations de Piguet après Audemars Piguet & Cie, fut la maison Capt & Meylan au solliat avec cinq pièces. Cette maison riche en tradition fut fondée vers 1837 par Adolphe Nicole et Henri Capt sous le nom de Nicole & Capt. elle avait son siège à Londres et à genève et une fabrica-

tion au solliat, où après 1875 elle oeuvra sous le nom de Capt & Meylan en tant que spécialiste de mouvements compliqués de genre anglais. Quatre de ces cinq grandes Complications des-tinées à Capt & Meylan avaient un tourbillon; cette même maison reçut trois autres mouve-ments à tourbillon, qui ne furent toutefois pas des grandes Complications.

Quatre grandes Complications furent livrées au successeur de Capt & Meylan, Capt & Cie, dont les mouvements portant les numéros 8400 et 8401, les plus compliqués et les plus chers que Piguet n’ait jamais fabriqués. trois grandes Complications furent encore livrées à Barbezat-Bôle.

Les Tourbillons

Les mouvements avec tourbillon sont choses rares dans l’oeuvre de Louis-elisée Piguet. Le mouvement de précision n’était pas son cré-neau de prédilection, c’était plutôt le mouve-ment compliqué avec de nombreuses fonctions. exception faite d’un mouvement de chrono-mètre de marine qu’il livra au chronométrier londonien robert gardner le 26 août 1899 et d’un mécanisme de sonnerie pour un chrono-mètre de poche apparemment compliqué, livré à Audemars Piguet & Cie et destiné à Barraud & Lund à Londres.

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maisons à l’étranger: deux à Londres, dont l’une (Hector golay) était un horloger émigré de la vallée, trois à Besançon et une à Paris.

Par exemple Patek Philippe & Cie

A tout seigneur tout honneur, la maison Patek Philippe & Cie sera un des clients Piguet les plus renommés de Piguet.

entre avril 1900 et juin 1904, les achats effectués par cette maison auprès de Louis-elisée Piguet, comme en témoigne la liste en annexe, totali-sèrent 249 mouvements compliqués pour mon-tres de poche, soit cinq mouvements par mois environ. Quelques décennies plus tard, Patek Philippe recevra de Frédéric Piguet des quantités plus importantes de mouvements pour montres-bracelets.

Quels mouvements pour montres de poche furent livrés à Patek Philippe? Parmi ceux-ci, près des trois quarts, étaient des mouvements avec une seule sonnerie à répétition, dont les deux tiers avec répétition minutes, et neuf exem-plaires avec deux barillets et poussoir de déclen-chement. Ce dernier mouvement représentait une construction onéreuse, rarissime pour des répétitions minutes. Leur prix unitaire était le double d’un mouvement avec répétition minu-tes de type normal.

dans les descriptifs techniques des mouvements, on rencontre assez fréquemment deux formes de calibre, à savoir «ponts» et «1/4 platine», c’est-à-dire des mouvements à ponts multiples ou à un seul pont recouvrant le quart de la platine. sur demande, Piguet concevait également la forme du mouvement selon les désirs du client, notam-ment lorsque ce dernier désirait une forme de calibre caractéristique. Ainsi, le calibre à ponts proprement dit, même dans son exécution avec un pont pour le barillet et seulement un petit pont pour la roue à rochet de remontoir, est

typique des mouvements de Patek Philippe. il en est de même de sa variante avec trois quarts platine pour la partie remontoir. Là, il fut éga-lement spécifié à l’avance s’il devait s’agir d’un remontoir visible ou couvert, sous le pont. A titre d’information, on peut voir un calibre à pont typique avec remontoir couvert dans Hubert & Banbery, fig. 96b, et un calibre typi-que avec pont 1/4 platine et remontoir couvert, fig. 97b. Le calibre avec remontoir visible est très rare chez Patek Philippe et uniquement dans les modèles à tourbillon et les constructions spécia-les avec plusieurs barillets. on en trouvera une illustration chez Hubert & Banbery, fig. 116c.

Concernant les grandeurs de fabrication, il est à noter que Patek Philippe avait une préférence pour les petites tailles: 51% des mouvements sont de 17’’’, 35% mesurent 18’’’ et la maison Patek Philippe a été citée à titre d’exemple, les autres clients célèbres font l’objet d’une annexe à la fin de l’ouvrage.

A propos des différents modèles de montres de Piguet qui seront étudiés plus en détail ci-après, il ne s’agira pas de pièces simples, mais d’ouvrages de pointe, c’est-à-dire de grandes Complications.

en effet pour les montres plus simples, elles ne sont pas toutes connues en raison des difficultés mentionnées (mouvements non signés et non numérotés, ou dont la signature de Piguet est difficilement retrouvable). de toutes façons, le total n’excède pas une dizaine.

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Les horloges

En concentrant notre attention sur les horloges de Louis-Elisée Piguet, la question que l’on pouvait se poser était de savoir si un fabricant d’ébauches comme lui, qui devait s’adapter aux désirs de ses clients, pouvait développer un style de construction de calibre si exclusif et si typi-que qu’il soit possible d’y reconnaître la patte du fabricant, comme cela est le cas pour les mouvements provenant de Glashütte, de Jules Jürgensen, IWC, Albert Potter, Patek Philippe ou Breguet, pour ne citer que les plus mar-quants.

On peut répondre à cette question par l’affir-mative: Louis-Elisée a développé une forme de mouvement avec un pont des minutes central, complété la plupart du temps par un pont plus petit pour l’échappement à roue de rencontre de la sonnerie, pour former un cadre en quart de cercle, tout aussi typique et facilement identifia-ble que les formes de pont comparables de Jules Jürgensen, Albert Potter, Ulysse Nardin ou Patek Philippe & Cie. Cette dernière maison a même fait protéger sa forme de pont caractéristique par un brevet aux USA en 1891. Le pont de Piguet présente une forme très mouvementée et variée, décrochant à l’angle droit auprès du coussinet central de la roue des minutes, respectant ainsi son environnement, s’esquivant pour prendre des contours presque amorphes, là où d’autres campent des ponts typiques, sûrs et même un peu rigides dans leur volonté d’imposer leur forme propre telle une marque de fabrique, à l’instar de ceux, très semblables, d’Ulysse Nardin et Patek Philippe & Cie, par exemple.

Cette forme de pont typique ne se retrouve pas dans tous les mouvements Piguet. A plus forte raison dans les mouvements hautement com-pliqués pour une simple question d’encombre-ment. Mais les horloges de L.-E. Piguet ont cependant une physionomie typique. Ce déve-loppement d’une forme de calibre propre au fabricant, aura également été favorisé par le fait que Piguet fabriquait des horloges mécanisées depuis 1884/85 environ.

A PrOPOS dES dIfférENtS MOdèLES dE MONtrES

Louis-Elisée Piguet

Ulysse Nardin Jules Jürgensen

Patek Philippe & CO. Albert Potter

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Quatre exemples de ces horloges normales sont présentés ci-après:

Le premier porte le numéro de fabrication 5815 de Piguet sur le côté du cadran de la platine du mouvement. Ce mouvement soigneusement ter-miné avec des surfaces lisses, rhodiée côté mou-vement et perlée côté cadran, a été livré le 4 mai 1900. Emboîté dans une boîte or jaune 18 carats, il porte sur le cache-poussière la signature «n° 13798 A.H. rodanet constructeur de chro-nomètres, Paris».

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La troisième horloge, portant le numéro de fabrication 5856, fut également livrée à Barbe-zat-Bôle: ce dernier acquit le mouvement en mai 1900 et le termina avec un dorage de platine et le monta dans une boîte or de type savonnette. Encore une fois il resta anonyme. Sur le gros plan on retrouve la signature «L.EéePIGUEt» à l’endroit usuel. Ce mouvement porte également l’indication 11948 se référant à un brevet. Cette montre a une sonnerie Westminster quatre tim-bres et autant de marteaux.

La particularité de la quatrième horloge, égale-ment signée et logée dans une boîte or de type savonnette, réside dans une construction très rare du remontoir à deux barillets, exécutée pour Piguet selon le brevet n° 10183 (voir pages 54).

La deuxième horloge conservée porte le numéro de fabrication 5832. Son mouvement a été vendu le 26 février 1907 au principal client de Piguet, Barbezat-Bôle du Locle, dans le cadre d’une petite série de six mouvements similaires. Elle est aussi signée «L.EéePIGUEt» sur le bord de la platine côté cadran.

Le mouvement de cette horloge est entièrement doré, sauf le rouage côté cadran. Par rapport au numéro 5815, sa sonnerie possède trois mar-teaux et trois timbres, ce qui en fait un carillon. Sur le pont de la roue des minutes est gravée une indication désignant un brevet suisse 11948. Hormis la marque cachée «L.EéePIGUEt», cette montre n’est pas signée. Comme dans la majo-rité des cas répertoriés, le termineur et vendeur Barbezat-Bôle est resté anonyme.

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Un autre exemple d’ébauche d’horloge se trouve au Musée International de l’Horlogerie à La Chaux-de-fonds. Non signé et portant le numéro 2699, il est attribué à Louis-Elisée Piguet en atteste la forme typique du pont de la roue des minutes. Cette ébauche se distingue des constructions connues jusque là, par de nombreux détails tels que sa roue de couronne particulièrement grande. On est probablement en présence d’une des premières horloges avec remontoir à deux barillets. Côté mouvement, on remarque l’énorme pont de la sonnerie à répéti-tion, couvrant tous les marteaux de la sonnerie, et côté cadran la fixation des deux barillets, d’un type rare, avec deux ponts recourbés, disposés symétriquement.

Un exemplaire typique d’horloge produite par L.-E. Piguet, est montré par les photos ci-contre. On remarquera que la pièce n’est pas «repassée» à l’exeption des trois marteaux. Le rouage est complet, il manque le balancier et l’échappement, qui ne font traditionnellement pas partie d’une ébauche ou d’un blanc.

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Une horloge de Louis-Elisée Piguet, conservée à un stade très précoce de sa fabrication, est également visible au Musée d’Horlogerie de La Chaux-de-fonds. Il s’agit d’une pièce dite plaque de travail, utilisée pour la fabrication des platines, pour un mouvement de montre avec grande sonnerie et répétition, destinée à une montre de poche avec remontoir à couronne et deux barillets, dont les contours sont nette-ment reconnaissables. C’est sur ces plaques de travail en laiton ou en nickel qu’étaient tracés au compas et ensuite percés et fraisés les détails et contours du mouvement.

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La pièce suivante est une montre de poche avec un mouvement Piguet compliqué, elle porte le numéro 5843. Son pont de la roue des minutes est caractéristique. Outre une grande sonnerie et une répétition minutes, elle possède un quantième perpétuel avec phases de lune, dont la quadrature est logée sous le cadran. Ce mouvement, de grandeur usuelle de 19’’’ et pos-sédant des surfaces lisses rhodiées, a été vendu à Barbezat-Bôle le 7 mai 1900. Ce dernier le mit dans une boîte or 18 carats de type savonnette. Le mouvement est signé et numéroté par Louis-Elisée Piguet aux endroits habituels, sous le cadran. Sa sonnerie possède trois marteaux et trois timbres.

Inscription originale dans le carnet de fabrication pour

le mouvement n° 5843.

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Ci-contre montre savonnette or 18 carats avec un mouvement doré de 20 lignes présentant en partie des quadratures polies miroir. Les complications de cette montre sont: • grande sonnerie avec trois marteaux sur trois timbres (carillon), • répétition minutes, • quantième perpétuel avec phases de lune • chronographe simple avec compteur 60 minutes et grande aiguille centrale. Le mouvement est signé «L.EéePIGUEt», sur la platine côté cadran, et porte également en marge le numéro 2762 lequel a certainement été gravé par le termineur.

Selon toute vraisemblance, il ne peut s’agir que du mouvement portant le numéro de fabrication 4842, livré à Barbezat-Bôle le 15 février 1897, que ce dernier a revendu encore une fois non signé. L’inscription du numéro 4842 dans le carnet de fabrication est la suivante:

«1 mouvement 20’’’ savonnette gde sonnerie (répétition) minutes carillon chronographe compteur au centre, quantième perpétuel, mécanismes repassés, sauf le quantième.

Les Grandes Complications

Au total 40 Grandes Complications (à savoir des mouvements comportant au minimum grande sonnerie, répétition minutes, chronographe et quantième perpétuel) issues de l’atelier Louis-Elisée Piguet ont été répertoriées.

En voici queleques exemples.

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Mouvement de première qualité, comme le numéro 4606 vendu à Audemars Piguet & Cie en 1897.

À gauche, vue du côté cadran, à droite, vue du côté ponts sous le mécanisme du chronographe quelque peu recouvrant, on reconnaît nettement le pont de roue des minutes aux contours mou-vementés, caractéristique de Piguet.

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Une autre montre conservée de type Grande Complication signée par la maison Lange & Söhne de Glashütte. Elle porte le numéro de fabrication 49985 sur les coquilles du mouve-ment, ce qui permet de dater son achèvement vers 1907.

Cette montre est logée dans un lourd boîtier or 18 carats de style Louis XV et porte sur le fond un grand monogramme en or jaune, à savoir un G coiffé d’une couronne à sept piques.

Ce mouvement en maillechort de 19 à 20 lignes, très finement achevé, et signé «A. Lange & Söhne» à côté du coussinet de la roue d’échap-pement, possède des roues de chronographe en or avec des leviers de chronographe en acier poli miroir et un coq incrusté or. Une montre d’une telle qualité est évidemment dotée d’un échap-pement à ancre en or du genre Glashütte. Les complications du mouvement sont la grande et la petite sonnerie, la répétition minutes, le quan-tième perpétuel avec phases de lune, ainsi qu’un chronographe à rattrapante avec compteur 30 minutes sur une échelle combinée avec le petit cadran supérieur des mois.

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Une autre Grande Complication doit être pré-sentée ici, quoique nous ignorions si elle a été conservée. Il en existe cependant deux bonnes photographies prises du temps de sa fabrication par Auguste reymond du Brassus.

Il s’agit d’une savonnette or dans une boîte visi-blement très lourde et massive. Le mouvement logé dans sa boîte a été photographié cuvettes déposées, respectivement côté cadran et mouve-ment. Sur ce dernier, on ne distingue aucune signature ni aucun numéro. Il n’existe malheu-reusement aucune vue du cadran.

L’étude attentive de ces photos révèle des détails techniques inhabituels. Côté mouvement et au-dessus de celui-ci, la quadrature du quantième perpétuel est montée de façon ouvertement visible. Cela se voit très nettement au grand disque denté des phases de lune couvrant par-tiellement le balancier et non encore peint ou émaillé. Avec un quantième avec phases de lune côté mouvement, on déduit que cette montre portait donc au verso un deuxième cadran avec les indications de quantième. Comment ces dernières étaient-elles réparties sur le cadran? La petite roue à 31 dents triangulaires sur l’axe

Louis-Elisée Piguet a fabriqué d’autres mouve-ments pour A. Lange & Söhne, en témoignent deux photographies d’Auguste reymond con-servées dans la succession Piguet, montrant un calibre de montre de poche de Glashütte respectivement du côté mouvement et du côté cadran. Il s’agit d’un mouvement en maillechort achevé, d’une qualité très soignée, avec des déco-rations taillées à la meule sur les platines et un jeu de leviers polis, auquel il manque cependant encore, le balancier et l’échappement. Le mou-

vement est signé «A. Lange & Söhne Glashütte b. dresden» et porte le numéro de fabrication 17689 ce qui situe son achèvement en 1884. En tant que complication, il possède une répétition minutes et un chronographe avec rattrapante. Ce dernier était incomplet lors de la prise de vue car il manque la roue de la double trotteuse, le levier correspondant et les pinces avec leurs ressorts.

Jour de la semaineMois

Réserve de marche

Date (quantième)

Heure locale

ChronographeHeure d’autre fuseau

Petite seconde

Mouvement gravé «Lange Söhue Glashutte dresde» sur pont 3/4 platine

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Les Extra-Compliquées

Il n’y a pas de frontières exactement définies entre les Grandes Complications «normales» et les montres de poche extra-compliquées, telles qu’elles ont été désignées par Piguet dans son carnet de fabrication. toutes sont des Grandes Complications, qu’elles possèdent au minimum quatre complications ou qui peuvent en comp-ter dix, voire davantage.

Selon Piguet, l’Extra-Compliquée est une montre de poche qui outre le mouvement normal pos-sède au moins sept complications. La grande Complication elle n’en possède que 4 (grande sonnerie, répétition minutes, quantième perpé-tuel, chronographe).

dans les carnets de fabrication de Piguet, on recense huit mouvements qui satisfont à cette définition, à savoir les numéros de fabrication 6074, 6075, 6076, 6772, 7321, 8400, 8401 et 8789. Si l’on ajoute à ce compte la «Mer-veilleuse», fabriquée en 1878 et, en tenant compte du fait qu’aucune documentation n’existe pour l’époque antérieure à 1892, on constate qu’au moins neuf mouvements extrêmement compliqués sont sortis de l’atelier Piguet, c’est-à-dire plus que tout autre atelier de la Vallée.

Ces neuf oeuvres d’art horloger permettent de considérer Louis-Elisée Piguet comme l’un des plus grands horlogers de son temps, le faisant ainsi entrer dans l’histoire.

Les progrès techniques de l’horlogerie com-pliquée donnent régulièrement lieu à des surenchères. Pour peu que l’une d’elles soit médiatisée lors d’une vente aux enchères, elle sera systématiquement désignée comme «la montre de poche la plus compliquée au monde». A ce jour près d’une douzaine d’entre elles ont connu cet honneur. Cette situation résulte du fait que les Extra-Compliquées sont devenues de plus en plus compliquées au cours du temps. Les créateurs durent se surpasser à tour de rôle afin que leur montre, à un moment donné, soit

effectivement la plus compliquée du monde, et ceci jusqu’à l’arrivée de la suivante, encore plus compliquée.

Voici un bref aperçu des montres de poche les plus compliquées du monde.

La première est signée Abraham Louis Breguet, c’est la célèbre montre Marie-Antoinette. Elle fut commencée en 1783 sur commande d’un officier inconnu de la garde royale, et elle ne fut achevée que vers 1827. Avec ses sept complica-tions, elle faisait sensation à l’époque, car elle était unique en son genre.

Ses complications: répétition minutes, quan-tième perpétuel, équation de temps, seconde morte centrale indépendante, thermomètre, indi-cateur de réserve de marche, remontoir automa-tique.

La suivante qui fit son apparition fut la Merveilleuse réalisée conjointement par Ami LeCoultre-Piguet et Louis-Elisée Piguet en 1878. Avec ses douze complications sur lesquel-les nous reviendrons en détail, elle surpassa le chef d’oeuvre de Breguet et resta longtemps sans concurrence.

Un autre sommet fut atteint avec une pièce ache-vée en même temps que la Merveilleuse, à savoir la «montre ultra-compliquée» de la maison M. Leroy à Paris. Elle fut exécutée sur mandat d’un duc russe et fit sensation à l’Exposition mon-diale de Paris en 1878 (Meis (3)). Elle comporte dix complications: répétition minutes, quantième perpétuel, phases et âge de la lune, grande trot-teuse indépendante et seconde foudroyante, ther-momètre, chronographe avec compteurs heures et minutes et sur un deuxième cadran au verso l’heure locale réglable pour 43 sites.

Cependant numériquement elle reste inférieure à la Merveilleuse. Contrairement à la plupart des autres montres extra-compliquées, conçues dans un style sobre, celle-ci arbore une boîte riche-ment ornée et gravée dans le style de l’époque

central laisse supposer une indication de la date par une grande aiguille au centre. de même, les positions de l’étoile des jours à sept dents et de l’étoile des mois à douze dents indiquent la situation des petits cadrans correspondants, à savoir légèrement décalés en direction de la moitié supérieure du cadran, symétriquement de part et d’autre de l’axe médian, soit à gauche le cadran de quantième et à droite celui des mois. Un petit mécanisme situé sur le bord inférieur du mouvement pourrait indiquer la présence d’un indicateur de réserve de marche occupant la moitié inférieure du cadran, car autrement l’encombrement dans sa moitié supérieure ne serait guère explicable.

Côté cadran, c’est-à-dire sous celui-ci et de façon non visible du côté mouvement, est fixée la mécanique du chronographe simple. En outre, une démultiplication partant de part et d’autre d’une roue de transmission centrale, indique la présence de deux petits cadrans décentrés super-posés au grand, possédant chacun leur propre mécanisme de mise à l’heure, à savoir un petit sur la gauche du centre pour l’indication horaire normale (heures et minutes), et un deuxième à droite du centre pour une heure locale régla-ble à volonté, comme dans la Merveilleuse. Le deuxième barillet indique la présence d’un mécanisme de grande sonnerie, et le curseur sur le bord, celle d’un mécanisme de répétition.

La boîte n’est visiblement pas encore tout à fait terminée au moment des prises de vue, car il manque les indications usuelles gravées sur le bord pour l’utilisation de la grande sonnerie («Sonnerie» et «Silence»).

Ces caractéristiques ne correspondent qu’à un seul mouvement parmi les Grandes Compli-cations de Piguet, à savoir le numéro 4841 de 19 lignes, qui a été vendu à Barbezat-Bôle le 18 juillet 1896. Le carnet de fabrication porte l’ins-cription originale et en toutes lettres:

«1 mouvement 19.20’’’ savonnette, grande sonne-rie à minutes, chronog dessous, quantième perpé-tuel en vue, double face».

«Chronog dessous» signifie que le chronographe est monté de façon cachée à la vue du côté mou-vement, c’est-à-dire sous le cadran. «Quantième perpétuel en vue» signifie que le mécanisme de quantième est monté de façon visible, toujours du côté mouvement, et «double face» signifie que la montre porte un cadran sur chacune de ses faces; en effet, c’est bien ainsi que se présente ce mouvement d’une construction inhabituelle. Une telle montre, en regard à la complexité de sa conception devait même être classée parmi les Extra-Compliquées.

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et possède une couronne de remontoir incrustée de perles et dont la forme rappelle la couronne d’un souverain.

Encore plus compliquée, la montre de poche de la maison Leroy, baptisée numéro 01 de 1897. Elle fut commandée par un riche portugais et exposée à l’état inachevé à l’Exposition mondiale de Paris en 1900, où elle obtint un premier prix. Elle sera achevée en 1904. Son mouvement pro-venait d’ailleurs de la Vallée de Joux: fabriqué par Léon Aubert du Brassus (1845-1920), un spécialiste pour quantièmes perpétuels, méca-nismes d’équation du temps, ainsi que des indications du lever et du coucher du soleil, et par Charles Piguet du Sentier. Ce dernier travaillait occasionnellement aussi pour Louis-Elisée Piguet, dont il acquit en tout huit hor-loges entre 1893 et 1912. Cette pièce de Leroy possède encore quelques complications supplé-mentaires par rapport à la Merveilleuse issue de la même maison:grande et petite sonneries, hygromètre, bous-sole, équation du temps, indication de réserve de marche, lever et coucher du soleil et une carte du ciel, mais elle n’a par contre ni trotteuse ni seconde foudroyante. dans cette montre dotée de 15 complications, qui restera la plus com-pliquée du monde jusqu’en 1932, l’accent est plutôt mis sur les fonctions astronomiques que sur la mesure de temps courts.

Pour respecter l’ordre chronologique, citons maintenant les deux oeuvres les plus compli-quées de Louis-Elisée Piguet, les numéros 8400 et 8401 datant de 1904, avec leurs douze com-plications, (le numéro 8400 possède en plus un mouvement à tourbillon). Ces ouvrages de pointe de Piguet ont malheureusement disparu. On sait juste que la maison Capt & Cie au Solliat s’est portée acquéreur de ces mouvements à un prix si élevé, qu’il devait s’agir de pièces exceptionnelles.

Autre pièce s’insérant parfaitement dans cette série: une montre de poche extrêmement compliquée de 27 lignes, signée et numérotée (n° 32573) par dent et fabriquée en 1904 par Capt & Cie avec la collaboration déterminante de Léon Aubert. Cette montre fut baptisée «l’Astronomique» en raison de la pléthore d’in-dications astronomiques qu’elle affiche. Outre l’indication de l’heure normale, elle possède les complications suivantes réparties sur deux cadrans:grande et petite sonneries, répétition minutes, quantième perpétuel, phases et âge de la lune en combinaison avec la représentation de la cons-tellation de la Grande Ourse, lever et coucher du soleil, indications des étoiles du matin et du soir, temps sidéral vrai et temps moyen (équation du temps), lever et coucher de la lune, signes du zodiaque.

Une autre pièce, créée quatre années plus tard par J.W. Player de Coventry, est comparable à celle de dent en tant que montre de poche astro-nomique extrêmement compliquée. Elle affiche également de nombreuses indications astrono-miques en plus des complications normales. Elle est dépourvue, à l’instar de la dent, de toute mesure de temps courts:grande sonnerie, répétition minutes, quantième perpétuel avec phases et âge de la lune, équa-tion du temps, tourbillon, signes du zodiaque, lever et coucher du soleil, lever et coucher du ciel étoilé, indications des marées et de la décli-naison du soleil.

Ces indications, qui ne furent égalées dans leur diversité que des dizaines d’années plus tard par Patek Philippe & Cie, nécessitaient deux cadrans.

3«La Merveilleuse» côté cadran

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Citons enfin Patek Philippe & Cie, la maison qui, durant ce siècle, plus que toute autre, s’est préoccupée de la fabrication de montres de poche extrêmement compliquées de manière plus intensive que toutes les autres, et le fait encore aujourd’hui.

Les premiers essais furent deux montres extra-compliquées pour le richissime constructeur d’automobiles Packard: l’une avec huit com-plications datant de 1916, et l’autre avec sept complications de 1927, lesquelles ne pouvaient cependant se mesurer aux horloges mentionnées, fabriquées depuis 1878. A ce propos, une pièce de la maison Audemars Piguet & Cie, datant de 1915, effectivement plus élaborée avec ses deux cadrans et ses dix complications, méritait davan-tage d’être citée.

Patek Philippe réussit à battre le record établi par la célèbre Leroy numéro 01 avec une montre, commandée, en 1924 par le New-Yorkais Henri Graves, collectionneur de montres Patek et qui ne fut achevée qu’en 1932. C’était un pur pro-duit de la Vallée de Joux, et avant tout de la maison Les fils de Victorin Piguet, du Sentier. Ses 15 complications comprennent:grande et petite sonneries avec carillon West-minster frappé sur timbres, répétition à minu-tes, réveil, chronographe avec rattrapante et compteurs de minutes et d’heures, indication de réserve de marche pour le mouvement et la son-nerie, quantième perpétuel avec phases et âge de la lune et, sur un deuxième cadran, temps sidéral, équation du temps, atlas céleste et lever et coucher du soleil, elle est restée sans concur-rence pendant très longtemps.

Ce n’est qu’en 1989 qu’elle fut surpassée par une Patek Philippe encore plus compliquée, le Calibre 89 fabriqué entre 1980 et 1989 sous la direction de Jean-Pierre Musy à l’occasion du 150ème anniversaire de la maison. Elle a été vendue aux enchères le 9 avril 1989 par la maison genevoise Habsburg feldmann, pour 4,5 millions francs suisses. Elle comporte neuf fonctions supplémentaires par rapport à celles de Graves de 1932, dont un tourbillon, la cor-rection de l’année bissextile, la date de Pâques et un indicateur de position de la couronne. La maison Patek Philippe affirme qu’il s’agit de la montre mécanique la plus compliquée jamais construite.

On aura compris que la compétition pour la réalisation de la montre de poche la plus com-pliquée du monde s’est toujours jouée entre la france et la Suisse, même si une des deux détentrices du record français est en fait une montre suisse. En fait, il s’agit principalement d’une compétition interne helvétique, partielle-ment financée et initiée par l’étranger, dont la dernière manche n’aura vu qu’une seule et même maison suisse entrer en lice. L’Angleterre n’a joué qu’un rôle subalterne dans cette concurrence et l’Allemagne aucun.

«La Merveilleuse» (fond ouvert)4

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Les Extra-Compliquées, La Merveilleuse

A l’Exposition mondiale de Paris de 1878, outre la Merveilleuse signée Leroy, Paris avec ses deux cadrans (voir page 93), une Extra-Compliquée de la Vallée de Joux fit sensation. Sur un pont au-dessus des deux roues à rochet du système de remontoir est gravée la signature «Ami LeCoultre Brassus Suisse». C’est pour cette raison que cette montre fut pendant longtemps considérée comme l’oeuvre du seul Ami LeCoultre-Piguet du Brassus, chronométrier très talentueux. Il est cependant resté peu connu car il aimait vivre à l’écart des mondanités.

dans le Journal Suisse d’Horlogerie (JSH) de 1882/83 on peut lire ces lignes:«... La création de cette montre intéressante, nous la devons à Monsieur Ami LeCoultre du Brassus, en collaboration avec son partenaire, Monsieur Louis-Elisée Piguet. ... On estime la valeur de cette montre de Messieurs Ami LeCoultre et L.-E. Piguet à 15’000 francs.»

dans un autre article du JSH du mois de mars 1884 (page 243), on note la remarque suivante:«... Pour conclure mentionnons encore que Monsieur L.-E. Piguet est le constructeur de cet exemple unique en son genre de l’horlogerie compliquée, que l’on pouvait admirer à l’Expo-sition de 1881 à La Chaux-de-fonds.»

d’après une biographie familiale des Piguet, Louis-Elisée Piguet aurait même assumé la plus grande partie du travail sur cette montre, aussi bien en ce qui concerne sa conception que sa réalisation. La part principale assumée par Ami LeCoultre aurait été la prise en charge du finan-cement.

Vu son prix élevé, le risque financier qu’impli-quait cette montre était loin d’être négligeable, car elle s’avéra invendable pendant longtemps. Afin de se faire une idée de la valeur qu’elle représentait à l’époque, il faut savoir que 15’000 francs correspondaient environ à 8 à 9 salaires

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annuels d’un horloger qualifié gagnant large-ment sa vie. Aujourd’hui, de telles montres coû-tent plus d’un demi-million de francs suisses.

«La Merveilleuse», dont la fabrication a duré quatre ans, est demeurée, avec ses douze com-plications, la montre de poche la plus compli-quée du monde durant près d’un quart de siècle. Malgré son étonnante complexité, elle n’est, avec son mouvement de 20’’’ (45 mm), pas plus grande qu’une montre de poche normale.

A lui seul, le cadran de cette montre logée dans une boîte or ouverte suggère toute la complexité de la pièce: conçu sur la base d’une disposition décentralisée, il arbore sept petits cadrans. L’heure normale, c’est-à-dire les heures et les minutes, se lit sur le petit cadran à chiffres romains à gauche du centre. disposés sur une petite circonférence intérieure du même cadran, de petits chiffres arabes permettent de régler un temps d’alarme, ce qui est explicité par l’inscrip-tion «réveil». Sur le second petit cadran, situé symétriquement par rapport au premier et à droite du centre, le cercle extérieur avec des chif-fres romains sert au réglage d’une heure locale quelconque, l’indication des mois étant inscrite dans ce même cercle. Le petit cadran supérieur situé sous midi montre la date sur son cercle intérieur fermé, la réserve de marche (30 heures) sur un demi-cercle situé au-dessus et l’indication du cycle des années bissextiles dans un tout petit cercle situé en-dessous. Un demi-cercle à 6 h. affiche la température en degrés réaumur, et au-dessus une petite seconde est combinée avec les phases et l’âge de la lune. A gauche de ce cadran des secondes se trouve un affichage des quatre quartiers de la lune, et symétriquement à droite, un tout petit cadran indiquant les jours de la semaine.

Le chronographe à rattrapante, avec deux gran-des aiguilles au centre et division au cinquième de seconde sur un cercle chiffré extérieur, est doté d’une troisième aiguille centrale comptant les minutes par 60. Elle se distingue des deux premières par sa plus grande épaisseur, son extrémité obtuse et l’absence de contre-poids.

Quelle étonnante diversité que toutes ces indi-cations, dont pas moins de 13 sont réparties sur sept petits cadrans juxtaposés sur le grand et qui offrent néanmoins une parfaite lisibilité, sans compter les indications de chronographe affichées à partir du centre, qui en portent le total à 16. Pour les Grandes Complications on ne compte normalement que huit indications par cadran environ, et d’autres Extra-Compliquées de Piguet, comme le numéro 6772 ou peut-être le numéro 4841, recevaient deux cadrans pour la moitié seulement des indications.

Ne figurent pas sur le cadran les fonctions de la grande ni de la petite sonnerie, ni de la répé-tition à minutes. Le mécanisme de réveil rend nécessaire un troisième barillet - outre les deux pour le mouvement d’horloge et le mécanisme de sonnerie, à remonter par une couronne commune, pouvant être enclenché en cas de besoin et armé conjointement avec le deuxième barillet pour la sonnerie. Une autre construction pour l’armement à choix de trois barillets a été développé par Piguet pour les trois mouvements numéros 6074 à 6076.

Les Extra-Compliquées, La Fabuleuse & L’Universelle

Le livre des compte de Louis-Elisée Piguet mentionne trois mouvements extra-compliqués livrés à Audemars Piguet entre le 17 avril et le 8 juillet 1898. trois pièces que l’on retrouve dans le «grand livre», un immense document où l’ensemble des montres fabriquées est enregis-tré suivant les numéros de fabrication par ordre chronologique.

trois ébauches hautement compliquées sont identiques mais de diamètres légèrement dif-férents, à savoir 22, 23 et 24 lignes.

La même année, Audemars Piguet & Cie vend ces trois ébauches, inchangées, sous ses propres numéros de fabrication 6142, 6143 et 6144, à la maison Union dürrstein & Cie à Glashütte, en se contentant de jouer le rôle d’intermédiaire. En effet, Piguet, qui fabriquait souvent des ébauches pour des maisons de Glashütte, ne semble jamais être entré en contact directement

avec celles-ci, mais toujours exclusivement par l’entremise d’autres maisons suisses agissant au titre de négociants. A partir de là, ces trois mou-vements vont suivre des voies différentes.

Le premier, de 22 lignes, le plus petit portant le numéro Piguet 6074, est terminé et mis en boîte or de type savonette style Louis XV caractéristique de la maison Union dürrstein. Cette montre offerte à la vente vers 1900 est aujourd’hui portée disparue. Un prospectus la décrit en détail comme horloge Universelle extrê-mement compliquée.

Le deuxième, de 23 lignes, le numéro 6075, était l’ébauche inachevée par Union. Arrivé dans les mains de Leutert (son ex-chef de fabrication) après plusieurs changements de propriétaires pendant lesquels quelques parties du mécanisme de quan-tième se sont perdues, il est acquis par Gübelin en 1982 pour être terminé et mis en boîte par richard daners après trois ans de travail. En 1988, cette montre est vendue à un acheteur resté anonyme. Elle fut appelée «La Fabuleuse».

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Le troisième, soit l’ébauche n° 6076 de 24 lignes - laissée à son tour inachevée chez Union et devenue propriété de Leutert - fut acquis en 1940 par Martin Seidel qui, après dix années de labeur, le termina et l’emboîta dans une boîte argent pour la conception de laquelle il s’inspira du type de boîte Louis XV de Glashütte. Cette montre est aujourd’hui visible au Salon des Mathématiques et de la Physique de dresde.

Pour ces trois montres, on remarquera, malgré les fabricants et les époques de finition si différents,une grande similarité dans l’aspect et la subdivision des cadrans. Cette ressemblance pro-vient évidemment de la construction similaire des trois mouvements, rendant impérative la dis-position des indications en des endroits déter-minés du cadran. Ceux-ci présentent tous une structure décentralisée et tout à fait semblable à celle du cadran de la Merveilleuse, à savoir qu’ils portent chacun sept petits cadrans auxiliaires, dont les deux du bas se chevauchent à 6 heures.

L’affichage normal des heures et des minutes n’est pas indiqué à partir du centre, comme il est d’usage, mais sur un petit cadran à gauche du centre, portant des chiffres arabes. Le cadran analogue à droite du centre avec des chiffres romains sert au réglage de l’heure de réveil, car ces montres possèdent toutes un réveille-matin. Les trois aiguilles au centre sont: Le chronographe, la rattrapante et une seconde morte indépendante. Ces trois mouvements pos-sèdent ainsi le chronographe sans doute le plus compliqué du monde, réunissant toutes les fonctions chrono possibles et imaginables.

Le petit cadran à midi porte à l’intérieur les indications des mois et des années bissextiles du quantième perpétuel, tandis que le compteur 30

minutes du chronographe est inscrit à sa circon-férence. des deux petits cadrans se chevauchant à 6 heures, celui du bas montre les phases et l’âge de lune, et celui du haut affiche deux mesures différentes des secondes, à savoir intérieurement la seconde normale (trotteuse) et extérieurement la seconde foudroyante (par sauts de 1/5 de seconde), si bien que ces montres mesurent la seconde de trois façons différentes. de plus, dans la moitié inférieure du cadran, le petit cadran de gauche affiche les jours de la semaine et celui de droite la date. Ne sont pas affichées sur le cadran les fonctions acoustiques, soit grande et petite sonneries avec trois marteaux sur trois timbres, et la répétition minutes.

En observant ces montres côté mouvement, ce qui n’est malheureusement possible que pour la fabuleuse et la montre Seidel, (pour la Montre Universelle il n’existe que l’illustration lithogra-phique du cadran dans le prospectus Union) on est frappé par leur similitude. Le seul mystère reste leurs diamètres différents de l’un à l’autre d’une ligne.

Quant au mouvement de la fabuleuse (n° 6075), il en existe des photos prises à son état d’ébau-che, peu avant son achèvement, et ainsi qu’une photo déjà citée à l’époque de sa fabrication. On est ainsi en présence de documents illustrant de façon exemplaire l’état d’apprêt d’une ébauche extrêmement compliquée.

Ces trois mouvements ont donc dix complica-tions, si on en compte une pour la grande et la petite sonnerie, quantième perpétuel et chrono-graphe avec rattrapante. On en compte cepen-dant une de plus pour le compteur de ce dernier, ce qui est tout à fait justifié étant donné le sur-croît de difficulté technique.

3N° L.E.P 6076 (Salon de Dresde)6Côté des ponts

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L’entraînement de ces mouvements compliqués est assuré par trois ressorts moteurs animant respectivement le mouvement principal et les mécanismes de grande sonnerie et de réveil, tous armés par une même couronne de remontoir. L’armement des différents ressorts moteurs est commandé par deux bascules, dont la première, à action réciproque, commande automatique-ment l’engrènement et l’armage soit du ressort moteur du mouvement principal, soit de celui de la grande sonnerie. La seconde bascule, qui doit être actionnée manuellement de l’extérieur par un petit levier, provoque le débrayage de ces deux derniers et l’embrayage du ressort moteur du mécanisme de réveil.

Sur d’autres montres, la seconde au centre et la petite seconde foudroyante 1/5 sont généra-lement indépendantes, c’est-à-dire qu’elles ont chacune leur propre rouage avec son propre res-sort moteur armé séparément, d’où également la possibilité de les arrêter et les faire redémarrer indépendamment du mouvement principal, ce qui dans cette montre aurait rendu nécessaires

quatre barillets, dont l’armement individuel par une seule couronne de remontoir n’eut guère plus été possible qu’au prix d’un investisse-ment considérable. Aussi, ces deux mesures de la seconde sont-elles combinées avec le chrono-graphe, si bien que les quatre aiguilles (à savoir: aiguille normale de chronographe, aiguille de rattrapante, trotteuse et petite seconde fou-droyante) sont démarrées simultanément par le poussoir principal et peuvent être arrêtées cha-cune individuellement, sauf la petite seconde foudroyante, qui est stoppée conjointement avec l’aiguille normale de chronographe.

Les trois mouvements sont chacun constitués de huit mouvements partiels qui s’imbriquent en montages superposés et juxtaposés. Le trai-tement de surface des ponts et des platines des deux mouvements conservés varie. La fabuleuse reçut une finition typiquement genevoise avec nickelage et décors (perlage et côtes genevoises), tandis que la montre Seidel reçut un plaquage or habituel des mouvements de Glashütte.

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Fonctions supplémentaires à l’affichage normal des heures, minutes et secondes:

1. Le quantième des jours

2. Le quantième des dates

3. Le quantième perpétuel des mois et année bissextiles

4. Les phases et l’âge de la lune

5. Le chronographe avec remise à zéro

6. La rattrapante

7. La seconde morte avec remise à zéro

8. La seconde foudroyante avec remise à zéro

9. Le compteur de minutes avec remise à zéro

10. Triple remontoir par une couronne (mouvement, sonerie, réveil)

11. Double mise à l’heure (mouvement et réveil)

12. Réveil, sonnant précisément à la minute

13. Grande sonnerie en passant, petite sonnerie, silence

14. Répétition de l’heure, des quarts et minutes; dont les quarts en carillon sur 3 timbres

Le mouvement en chiffres:

2 platines principales avec mécanisme sur 4 étages 46 ponts 86 ressorts 103 leviers 319 vis 45 tenons 22 excentriques 88 roues 61 rubis 4 timbres 13 aiguilles 1 cadran

790 pièces

Ceci est le nombre de pièces à démonter en cas de nettoyage du mouvement. Vu que la plupart des pièces ont plusieurs composants, la totalité des pièces à fabriquer dépasse les 2000.

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Les Extra-Compliquées, La Grande Sonnerie

«O Monts Indépendants»

Cette pièce unique commandée par un client des Indes le 10 octobre 1894 fut livrée par Louis-Elisée Piguet le 27 mars 1896. Chaque sonnerie des quarts était annoncée par la mélodie de l’air national anglais, air correspondant pour la Suisse française à «O monts Indépendants».

du point de vue technique cette originalité a nécessité la combinaison de la sonnerie et de la musique ainsi que la conception d’un remontoir au pendant pour ses trois barillets.

Grande sonnerie en passant, répétition à minu-tes et à volonté sept marteaux et sept timbres

donnant la mélodie de Carey: «O monts Indépendants».

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Les autres Extra-Compliquées de Louis-Elisée Piguet ne peuvent malheureusement pas être présen-tées de façon illustrée, mais seulement par leur descriptif de fabrication. Au gré du lecteur de s’ima-giner les cinq montres correspondantes.

Voici les descriptifs de fabrication en fac similé, dans leur version originale, et en toutes lettres.

Le numéro de fabrication 6772: Un mouvement de 26 1/2’’’, sous verre, calibre anglais / pour échappement carrousel, grande et petite sonneries / avec répétition à minutes et quatre marteaux avec timbres / quantième per-pétuel avec phases de lune / double face, deux cadrans / sept tours d’heures (ou indications).

Le numéro de fabrication 7321:Un mouvement de 27 1/2’’’, sous verre, 3/4 platine, remontoir à couronne avec bascule pour trois barillets / double mise à l’heure, grande et petite sonneries / répétition à minutes avec trois marteaux / chronographe à rattrapante avec compteur / quantième perpétuel, phases de lune / temps vrai et temps moyen / indicateur de développement de ressort / thermomètre / réveil réglable à la minute / préparé pour échappement tourbillon.

Le numéro de fabrication 8400: Un mouvement de 27 1/2’’’, sous verre, 3/4 platine / remontoir à couronne avec bascule pour trois barillets / grande sonnerie commutable, soit sur carillon Westminster (probablement avec 5 marteaux) / soit sur sonnerie avec deux marteaux pour répétition à minutes / chronographe à rattrapante avec compteur d’heures et de minutes, quantième perpétuel, indication de date avec aiguille au centre, âge de la lune (et probablement aussi phases, quoique non mentionnées) / équation du temps / indicateur de développement du ressort / préparé pour échappement tourbillon / double face (2 cadrans).

Le numéro de fabrication 8401:Un mouvement de 27 lignes, sous verre, double face (2 cadrans), grande sonnerie commutable à volonté, soit sur carillon Westminster, soit sur répétition à minutes avec deux marteaux, chronogra-phe à rattrapante avec compteur d’heures et de minutes, indicateur de développement de ressort, baromètre, quantième perpétuel avec phases de lune, indication du cycle quadriennal avec année bis-sextile, réveille-matin avec aiguille d’heures et minutes, raquette mécanisée, échappement à ancre.

Le numéro de fabrication 8789: Un mouvement de 27 1/2’’’, sous verre, calibre anglais, grande et petite sonneries, répétition à minu-tes, chronographe à rattrapante avec compteur, quantième perpétuel, indication de la date par aiguille au centre, indicateur de développement de ressort, remontoir avec bascule (pour 2 barillets).

Pour compléter cette énumération, rappelons encore l’existence du numéro 4841 (voir pages 87 et 88), qui possède lui aussi sept complications.

Pour être précis, le mouvement n° 6772 n’est pas tout à fait du type extra-compliqué. Il n’a été cité dans ce chapître qu’à titre exceptionnel à cause de son originalité: son inscription au carnet de fabrication fait mention de sept tours d’heures.

Cela pourrait signifier que les indications four-nies normalement sur sept petits cadrans auxi-liaires étaient réparties sur deux grands cadrans

situés sur les faces avant et arrière. On doit toutefois se demander pourquoi une montre n’affichant, outre l’heure normale, que des indications de quantième, aurait besoin de sept cadrans. On pourrait s’imaginer l’affichage, au dos de la montre, des indications de quantième par quatre petits cadrans pour le mois, la date, le jour de la semaine et les phases de lune, à l’instar du numéro 161693 de Vacheron & Constantin (voir Meis (3), fig. 822) et de face un cadran dit de régulateur, avec trois cercles distincts pour les heures, les minutes et les secondes, dont l’un peut-être avec une aiguille partant du centre.