huitiÈme sÉance les sources supra-legislatives

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-1- UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Année universitaire 2016-2017 TRAVAUX DIRIGES 1 ère année Licence Droit DROIT CIVIL Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS ____________________________________________ Distribution : du 21 au 26 novembre 2016. HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES ------------------------------------------- I.- Présentation Dans l’approche classique, qui prévalait à l’époque du Code civil, la loi était la source par excellence du droit. Triomphante et dominante. On a vu qu’une telle approche est à présent nettement révolue. Au-dessus de la loi, des sources d’origines nationale mais aussi internationale s’imposent désormais à elles. Le déclin de la loi n’est ainsi pas seulement qualitatif ; il tient aussi au fait que la loi est sous l’emprise de règles qui lui sont supérieures. Cela veut dire que la loi ne saurait être contraire à ces sources. Pour se représenter cette subordination, on classe parfois les sources du droit selon une logique pyramidale, avec la Constitution au sommet, puis les traités internationaux et les lois en dessous. Cette représentation pyramidale doit beaucoup à un juriste autrichien Hans Kelsen. Elle est cependant bien discutable, notamment parce qu’on ne peut toujours mettre la Constitution au-dessus des conventions internationales. II.- Les sources constitutionnelles - La Constitution régit le fonctionnement et l’organisation des institutions. Elle vise à la répartition des pouvoirs, entre le Président de la République, le Premier ministre, les assemblées, etc. Mais elle consacre aussi, spécialement à travers son Préambule, des droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel est l’institution qui en assure la suprématie à l’encontre de la loi. Dans l’intention des rédacteurs de la Constitution de la Ve République (1958), le Conseil constitutionnel devait avoir pour principale fonction d’assurer le respect de la répartition des compétences entre le Parlement et le Gouvernement (articles 34 et 37). Il n’était ainsi pas question qu’il contrôle la conformité de la loi aux principes et aux droits auxquels le

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Page 1: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)

Année universitaire 2016-2017

TRAVAUX DIRIGES – 1ère

année Licence Droit

DROIT CIVIL Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS ____________________________________________

Distribution : du 21 au 26 novembre 2016.

HUITIÈME SÉANCE

LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-------------------------------------------

I.- Présentation – Dans l’approche classique, qui prévalait à l’époque du Code civil, la loi

était la source par excellence du droit. Triomphante et dominante. On a vu qu’une telle

approche est à présent nettement révolue. Au-dessus de la loi, des sources d’origines nationale

mais aussi internationale s’imposent désormais à elles. Le déclin de la loi n’est ainsi pas

seulement qualitatif ; il tient aussi au fait que la loi est sous l’emprise de règles qui lui sont

supérieures. Cela veut dire que la loi ne saurait être contraire à ces sources. Pour se

représenter cette subordination, on classe parfois les sources du droit selon une logique

pyramidale, avec la Constitution au sommet, puis les traités internationaux et les lois en

dessous. Cette représentation pyramidale doit beaucoup à un juriste autrichien Hans Kelsen.

Elle est cependant bien discutable, notamment parce qu’on ne peut toujours mettre la

Constitution au-dessus des conventions internationales.

II.- Les sources constitutionnelles - La Constitution régit le fonctionnement et l’organisation des institutions. Elle vise à la répartition des pouvoirs, entre le Président de la République, le Premier ministre, les assemblées, etc. Mais elle consacre aussi, spécialement à travers son Préambule, des droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel est l’institution qui en assure la suprématie à l’encontre de la loi.

Dans l’intention des rédacteurs de la Constitution de la Ve République (1958), le Conseil

constitutionnel devait avoir pour principale fonction d’assurer le respect de la répartition des

compétences entre le Parlement et le Gouvernement (articles 34 et 37). Il n’était ainsi pas

question qu’il contrôle la conformité de la loi aux principes et aux droits auxquels le

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préambule de 1958 renvoie, c’est-à-dire à ceux qui sont énoncés dans la Déclaration des

droits de l’homme de 1789 comme dans le préambule de la Constitution de 1946.

L’avènement du Conseil constitutionnel s’est fait progressivement. Consacrant la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel a admis, à partir d’une célèbre décision du 16 juillet 1971, de contrôler la conformité de la loi aux principes et droits contenus dans le préambule de la Constitution de 1958. Il devenait ainsi protecteur des droits et libertés à l’encontre de la loi. L’enrichissement du bloc de constitutionnalité s’est poursuivi, comme en témoigne la Charte de l’environnement dont le Conseil constitutionnel contrôle désormais le respect.

C’est ensuite une réforme constitutionnelle (1974), ouvrant la saisine du Conseil

constitutionnel à soixante députés ou soixante sénateurs, qui vint combler la principale

déficience du contrôle de constitutionnalité, le Conseil ne pouvant jusqu’alors être saisi que

par le président de la République, le Premier ministre et les présidents de chaque assemblée.

Il faut également ajouter, au rang des évolutions ayant permis l’essor du Conseil

constitutionnel, le rôle essentiel des méthodes qu’il a mises en place et, plus généralement,

l’influence de ses audaces jurisprudentielles (ainsi des fameuses réserves d’interprétation).

Surtout, une réforme constitutionnelle est venue ajouter en 2008 au contrôle de constitutionnalité a priori, un contrôle a posteriori, par voie d’exception. L’avancée est

considérable, qui vient ouvrir le contrôle de constitutionnalité aux justiciables et leur permet d’invoquer l’inconstitutionnalité de textes de lois en vigueur.

Entrée en vigueur en mars 2010, la réforme a pour effet de transformer la nature même du

Conseil constitutionnel. Intervenant dans les litiges en cours, il devient une véritable

juridiction avec toutes les conséquences qui en résultent sur la procédure qui doit être suivie

devant lui. En deux ans et demi, ce sont près de trois cents questions prioritaires de

constitutionnalité (QPC) qui ont pu être traitées par le Conseil constitutionnel.

Ces différentes évolutions ont entraîné une « constitutionnalisation » de l’ensemble du

droit. Le terme exprime un phénomène affectant le droit objectif, par lequel se

manifeste l’influence de la Constitution ou du Conseil constitutionnel sur une ou

plusieurs branches du droit. C’est dire par là que le contrôle de constitutionnalité de la loi à

la Constitution oriente le droit positif et conduit à faire du respect des droits constitutionnels

le fondement des diverses règles de droit.

Dans le cadre de la présente séance, on se souviendra de ce qui a été vu à la séance 3. Il importe de saisir le mécanisme même du contrôle de constitutionnalité des lois, et ainsi savoir distinguer contrôle a priori et contrôle a posteriori (sans accent sur le « a », c’est du latin…), comprendre la manière dont le Conseil constitutionnel peut être saisi et quelle est l’autorité de ses décisions.

III.- Les sources conventionnelles : Les traités internationaux sont supérieurs aux lois. Selon

l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés

ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque

accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

En cas de conflit entre un traité international et la Constitution française, la ratification ne sera

possible qu’après révision de la Constitution (art. 54 C.) pour la mettre en accord avec les stipulations du traité (ex : art. 66-1 C : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort »,

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-3-

intégré en 2005 pour permettre l’adoption du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques).

De la supériorité du Traité pour la loi, il résulte que le juge judiciaire est compétent pour

écarter la disposition légale qui méconnaît une disposition issue d’un traité : la Cour de

cassation l’a jugé dans un arrêt dit Jacques Vabres du 24 mai 1975. A la même période,

le Conseil constitutionnel s’est reconnu incompétent pour juger la conformité du traité à la

Constitution (décision IVG du 15 janvier 1975) : il contrôle la conformité des lois à la

Constitution.

La France a approuvé ou ratifié de multiples traités internationaux. Tous n’ont pas la même importance et tous ne s’intègrent pas dans notre ordre juridique de la même façon. Deux

sources particulièrement importantes doivent retenir notre attention : le droit communautaire et le droit européen des droits de l’homme.

a).- Le droit communautaire est celui issu de l’Union européenne, construit, notamment, par les Traités de Rome de 1957 et de Maastricht de 1992. A côté des Traités fondateurs, il faut

souligner l’existence de règlements européens et celle des directives, qui sont des normes dérivées des traitées. Il y a donc en droit français un nombre très important de règles de droit

d’origine européenne, ce qui participe de l’inflation normative (Séance 4). Tous ces textes constituent ainsi un véritable ordre juridique, qui a vocation à s’appliquer de la même manière

dans les 28 Etats membres.

Document 1 : L’ordre juridique de l’Union européenne (présentation publiée sur le Site

Internet de la CJUE).

Pour veiller à l’application du droit communautaire, une juridiction a été instituée : la Cour de

Justice de l’Union européenne. Elle siège à Luxembourg et vise à faire respecter le droit communautaire et à harmoniser son application sur le territoire européen. Elle rend des

décisions qui sont parfois très importantes et qui peuvent obliger les Etats à revoir leur droit national.

b).- Il ne faut pas confondre le droit communautaire, droit de l’Union européenne, avec celui

issu du Conseil de l’Europe. Cette institution s’appuie sur un texte particulièrement

important : la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Cette organisation compte plus de

membres que l’Union européenne (47 membres, sur le territoire européen). Son objectif est

aussi différent : alors que l’Union européenne a été créée dans l’optique de favoriser les

échanges commerciaux, le Conseil de l’Europe est une organisation visant à promouvoir la

défense des droits de l’Homme et le renforcement de la démocratie.

Techniquement, la Convention européenne des droits de l’homme est donc un traité

international d’application directe signé à Rome en 1950 et ratifié par la France en 1974. Mais

c’est un traité très particulier. Il comporte l’énoncé de principes et de droits fondamentaux qui

vont devoir être respectés par les lois françaises et qui peuvent être invoqués par les

particuliers à l’occasion d’un procès devant les juridictions nationales : respect de la vie,

liberté d’opinion, de conscience, religieuse, vie privé, procès équitable… La liste a été

enrichie par l’ajout de protocoles additionnels (ex : n°1 sur le droit de propriété).

Page 4: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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Son respect est assuré non seulement par les juridictions internes de chaque Etat l’ayant

ratifié, mais également par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour EDH peut être

saisie non seulement par un Etat mais aussi, depuis 1981, par une personne (recours

individuel) qui aura épuisé les voies de recours internes (elle aura intenté un procès et à

l’issue de ce procès elle peut se plaindre devant la CEDH). Le rôle de la Cour EDH se

caractérise par sa méthode (balance des intérêts en présence) et par son interprétation

audacieuse (interprétation très dynamique du texte de la convention afin de faire prévaloir des

droits concrets et effectifs).

S’agissant de l’affaire en cause, la censure prononcée par la CEDH ne conduit pas au réexamen de l’affaire au fond, sauf en matière pénale (art. 626-1 CPP issue de la loi du 15 juin 2000). La France est condamnée mais le litige n’est pas rejugé.

S’agissant de la législation interne, la CEDH a une influence très importante, car elle peut imposer la mise en conformité des législations internes aux dispositions de la CEDH telles qu’interprétées par la Cour (ex : transsexualisme, enfant adultérin, accouchement sous x). Au reste, cette influence n’est pas sans effet sur l’office de la Cour de cassation, précisément

sur sa fonction de juridiction suprême de l’ordre judiciaire. La question est d’ailleurs au cœur

des réflexions actuellement menées sur sa réforme. En effet, les violations de la CEDH sont

souvent le fait de l’application de la loi, et non de la loi elle-même. La protection des droits et

libertés fondamentaux conventionnels devant la Cour de cassation est de la sorte en pleine

mutation. L’évolution est d’ailleurs déjà perceptible, la Cour procédant, à l’image des juges

strasbourgeois, à un « contrôle de proportionnalité », qui implique une attention particulière

aux données factuelles.

Document 2 : Cass. civ. 1re

, 4 déc. 2013, n° 12-26.066.

Cette influence de la CEDH pourrait être dans l’avenir plus forte encore. En effet, le

Protocole 16 additionnel à la CEDH, ouvert à la signature le 2 octobre 2013 (qui n’a pas, à ce

jour, été ratifié par la France), prévoit la possibilité pour les plus hautes juridictions des Etats

parties, d’adresser des demandes d’avis consultatif à la Cour sur des questions de principe

relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou

ses protocoles.

IV.- Le rapport entre les sources supra-législatives - Il y a donc deux sources supra-

législatives : la Constitution et les Traités internationaux. La question de savoir comment les agencer est très complexe. En outre, tous les juges, nationaux ou européens, ne donnent pas

nécessairement ici la même réponse, ce qui contribue à rendre l’ensemble particulièrement difficile à saisir.

Essayons de dégager des conclusions sur certains points :

a).- Le conflit entre la Constitution et le Traité : la Constitution est supérieure aux traités dans

l’ordre interne. La solution résulte de deux arrêts très importants : l’arrêt Fraisse de la Cour

de cassation et l’arrêt Sarran du Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt Sarran du 30 octobre 1998, va poser que la suprématie

conférée aux engagements internationaux par l’article 55 de la Constitution selon lequel « les

traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité

supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par

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l’autre partie » ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature

constitutionnelle.

La Cour de cassation va suivre cette position dans un arrêt Fraisse rendu par l’assemblée

plénière le 2 juin 2000. La solution peut d’ailleurs trouver un appui textuel dans l’article 54

de la Constitution qui prévoit que « si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la

République, par le Premier Ministre, par le Président de l’une ou l’autre assemblée ou par

soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte

une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement

international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ». On peut en

déduire une supériorité de principe de la Constitution.

On notera que l’arrêt Sarran n’exclut pas que la responsabilité de la France soit recherchée

sur le plan international du fait de l’insertion dans la Constitution d’une disposition qui serait considérée comme non conforme aux conventions internationales portant sur des droits

fondamentaux. L’arrêt fait ainsi la distinction entre l’ordre interne et l’ordre international.

En toute hypothèse, la solution retenue s’applique lorsqu’est en cause une norme de droit international général ou encore une norme issue de la CEDH. Un traitement particulier est en revanche désormais réservé au droit communautaire.

b).- La spécificité du conflit entre la Constitution et droit de l’Union européenne - Pendant longtemps, les juridictions françaises n’ont reconnu aucune spécificité au droit de l’Union Européenne, considérant qu’il devait plier devant la Constitution.

Mais le 10 juin 2004, à propos de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique, le

Conseil constitutionnel a abandonné cette approche. Se fondant sur l’article 88-1 de la

Constitution selon lequel « la République participe à l’Union européenne constituée d’États

qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du

traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels

qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 », il a pris en considération

cette intégration du droit de l’Union européenne au droit interne, qui lui donne une nature

particulière. Précisément, il a déduit de l’article 88-1 de la Constitution une exigence

constitutionnelle de transposition en droit interne des directives de l’Union européenne.

Ce qui l’a conduit à exclure par principe de son contrôle de constitutionnalité les

dispositions législatives qui assurent la transposition des dispositions précises et

inconditionnelles d’une directive en se bornant à en tirer les conséquences nécessaires.

La décision du 29 juillet 2004 rappelle ainsi que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être

fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution ; qu’en

l’absence d’une telle disposition, il n’appartient qu’au juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des

compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne ».

Le raisonnement du Conseil constitutionnel peut être résumé de la manière suivante : lorsqu’il transpose des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, le législateur ne fait

que « recopier » le droit de l’Union européenne. Dès lors, contrôler la conformité de la loi de

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transposition à la Constitution revient en réalité à contrôler la substance de la directive, ce qui

relève de la seule compétence de la CJUE.

Le Conseil constitutionnel refuse en conséquence par principe de contrôler la conformité des lois de transposition des directives à la Constitution française. Mais il y a des exceptions. Il

refuse en effet le contrôle de la loi de transposition d’une directive à la Constitution

française sauf à ce qu’elle s’avère « contraire à une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle française » (il faut sans doute entendre par là le principe de

laïcité, la définition du corps électoral politique ou encore le principe d’égal accès aux emplois publics). C’est en effet la seule hypothèse dans laquelle il considère que le contrôle que pourrait faire la CJCE ne serait pas équivalent au contrôle qu’il pourrait lui-même effectuer.

Il admet également, au nom de l’exigence constitutionnelle de transposition des

directives qu’il a reconnue, de vérifier que la loi de transposition n’est pas « manifestement incompatible avec la directive qu’elles ont pour objet de transposer ».

Mais il n’exerce ce dernier contrôle que lorsqu’il est saisi a priori et non lorsqu’il est saisi a

posteriori car l’exigence de transposition des directives n’est pas un « droit ou une liberté constitutionnellement garanti » au sens de la loi sur la QPC de nature à justifier un contrôle a

posteriori.

Il faut souligner que la jurisprudence sur l’exigence de transposition des directives n’a

pas pour effet de remettre en cause l’incompétence du Conseil constitutionnel pour

connaître de la compatibilité des lois avec le droit international, telle qu’elle est posée

depuis 1975 par le Conseil constitutionnel (déc. IVG, 15 janvier 1975, précitée).

Document 3 : Conseil constitutionnel - Déc. 2010-615 DC du 12 mai 2010 - Extraits

V.- L’affaire Perruche – Du nom de l’enfant handicapé qui sera sollicitera une

indemnisation du fait d’être né avec un handicap. Il convient de bien comprendre cette décision, c’est-à-dire le texte de loi qui en est à l’origine et la décision de jurisprudence (dite

jurisprudence Perruche) qui est elle-même à l’origine de la loi.

C’est en effet une chaîne logique, qui met en cause les relations entre la loi et la jurisprudence

puis celle entre la loi et la Constitution, via cette QPC. On relèvera que la Cour européenne

des droits de l’homme elle-même en a été saisie et est intervenue (v. infra). Bref, sur une

même affaire, il y a eu une décision de la Cour de cassation, une loi, une décision de la Cour

européenne des droits de l’homme, à nouveau des décisions de la Cour de cassation et du

Conseil d’Etat, puis une décision du Conseil constitutionnel sur la loi.

Document 4 : L’affaire Perruche et ses différentes étapes

Reprenons.

a).- Premier temps : Assemblée plénière, 17 novembre 2000 - Au départ, il y a une

décision de la Cour de cassation, très critiquée et surtout très mal comprise. Cette décision est

relative à l’indemnisation de ce que l’on a dénommé le « préjudice d’être né ». Elle est

relative au handicap de Nicolas Perruche, handicap dont il a été frappé dès sa naissance. Sa

mère a en effet contracté une rubéole non diagnostiquée. En raison de cette absence de

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diagnostic de la rubéole, elle a n’a pas pu recourir à une Interruption volontaire de grossesse

pour motifs thérapeutiques.

Par un arrêt du 17 novembre 2000, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, jugera « que

dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats

formés avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa

grossesse et ce afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut

demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes

retenues ».

La Cour de cassation a ainsi consacré le droit pour l’enfant né handicapé d’être indemnisé de

son propre préjudice (le fait que les parents soient indemnisés n’est pas contesté et n’est pas à l’origine de toute la polémique).

On a reproché à la Cour de cassation d’avoir considéré comme un préjudice le seul fait d’être né : en effet, en l’absence de diagnostic, l’enfant ne serait pas né, puisque la femme aurait

avorté. Ce dont l’enfant obtient réparation, c’est donc d’être né. Le préjudice serait l’existence elle-même.

b).- Deuxième temps : l’article L. 114-5 Code de l’action sociale et des familles – Une loi

du 4 mars 2002 va alors introduire dans le Code de l’action sociale et des familles une

disposition empêchant cette solution en prévoyant que « Nul ne peut se prévaloir d’un

préjudice du seul fait de sa naissance » et qu’il faut, pour que l’enfant puisse avoir droit a

réparation, que « l’acte fautif ait provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas

permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer » (ce qui exclut la seule erreur de

diagnostic qui empêche l’avortement).

C’est la dernière phrase de l’article qui a soulevé le plus de problèmes. Le législateur y prévoit en effet que le dispositif légal, introduit par la loi, et qui condamne la solution retenue par la Cour de cassation, s’applique immédiatement, même dans les procès qui sont en cours : Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.

c).- Troisième temps : la condamnation par la CEDH - Dans deux arrêts du 6 octobre 2005

(affaires Maurice et Draon), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à l’unanimité des 17 juges formant la Grande Chambre pour l’application rétroactive de la loi dite « anti-arrêt Perruche ».

Elle s’est fondée sur l’article 1er

du protocole numéro 1 de la Convention européenne des

droits de l’homme qui accorde « à toute personne physique ou morale » le « droit au respect de ses biens » ce qui comprend les créances, c’est-à-dire, en l’espèce, le droit d’être indemnisé pour le préjudice que la Cour de cassation française avait reconnu. Selon la Cour, « en supprimant purement et simplement avec effet rétroactif une partie essentielle des créances en réparation » auxquelles pouvait prétendre l’enfant né handicapé « le législateur français l’a privé d’une valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de son patrimoine ». Elle souligne aussi que depuis 2002, l’engagement par l’État de prendre en charge le coût lié à une naissance handicapée, à travers un mécanisme de solidarité nationale, n’avait pas été tenu.

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d).- Quatrième temps : la réaction de la Cour de cassation – Suivant les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu

trois arrêts le 24 janvier 2006.

La Cour juge que la loi « anti-Perruche » ne peut pas s’appliquer de manière rétroactive aux

affaires en cours au moment du vote du texte. Le Conseil d’État retiendra la même position

dans un arrêt du 24 février 2006. Le Conseil d’État avait précédemment estimé que la loi était

conforme au premier protocole additionnel à la CEDH.

e).- Cinquième temps : l’intervention du Conseil constitutionnel via une QPC – La loi

« anti-jurisprudence “Perruche” » va faire l’objet de l’une des premières QPC, la 2e si l’on en

croit la référence de la décision (2010-2 QPC).

Le Conseil considère l’essentiel de la loi conforme à la Constitution – précisément, ce qui a trait aux dispositions interdisant sauf exception la mise en jeu de la responsabilité par l’enfant. Mais il censure son application immédiate aux affaires en cours en considérant que « si les motifs d’intérêt général pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient,

antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice ».

f).- Sixième temps : les suites devant la Cour de cassation – Le Conseil d’Etat a tiré les

conséquences de cette censure dans une décision du 13 mai 2011 (une action introduite avant le 4 mars 2002 reste recevable devant les juridictions administratives, une action introduite

postérieurement à cette date est en revanche irrecevable), réitérée le 31 mars 2014.

La Cour de cassation va retenir une interprétation plus extensive : dans un arrêt du 15

décembre 2011, la Première chambre civile de la Cour de cassation va prendre en compte la

date de survenance du dommage jugeant que, s’agissant d’un dommage survenu

antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’article L. 114-5 du code

de l’action sociale et des familles n’était pas applicable, indépendamment de la date de

l’introduction de la demande en justice.

VI.- Exercice – Dissertation : Les sources du droit et l’affaire Perruche

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Document 1 - L’ordre juridique de l’Union européenne (Extraits)

Pour construire l’Europe, les États (aujourd’hui au nombre de 28) ont conclu entre eux des traités instituant des Communautés européennes, puis une Union européenne, dotées d’institutions qui adoptent des règles de droit dans des domaines déterminés. La Cour de justice de l’Union européenne constitue l’institution juridictionnelle de l’Union et de la Communauté européenne de l’Energie atomique (CEEA). Elle est composée de trois juridictions: la Cour

de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique, dont la mission première consiste à examiner

la légalité des actes de l’Union et à assurer une interprétation et une application uniformes du droit de

celle-ci. Au fil de sa jurisprudence, la Cour de justice a dégagé l’obligation pour les administrations et les juges

nationaux d’appliquer pleinement le droit de l’Union à l’intérieur de leur sphère de compétence et de

protéger les droits conférés par celui-ci aux citoyens (application directe du droit de l’Union), en

laissant inappliquée toute disposition contraire du droit national, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la

norme de l’Union (primauté du droit de l’Union sur le droit national). La Cour a également reconnu le principe de la responsabilité des États membres pour la violation du droit de l’Union qui constitue, d’une part, un élément qui renforce de façon décisive la protection des droits conférés aux particuliers par les normes de l’Union et, d’autre part, un facteur susceptible de contribuer à

une mise en œuvre plus diligente de ces normes par les États membres. Les violations commises par ces derniers sont ainsi susceptibles de donner naissance à des obligations de

réparation qui peuvent, dans certains cas, avoir de lourdes répercussions sur leurs finances publiques. En

outre, tout manquement d’un État membre au droit de l’Union est susceptible d’être porté devant la Cour

et, en cas de non-exécution d’un arrêt constatant un tel manquement, celle-ci peut lui infliger une astreinte

et/ou le paiement d’une somme forfaitaire. Toutefois, en cas de non communication des mesures de

transposition d’une directive à la Commission et sur proposition de celle-ci, une sanction pécuniaire peut

être infligée par la Cour de justice à un État membre dès le stade du premier arrêt en manquement. La Cour de justice œuvre également en collaboration avec le juge national, juge de droit commun du droit

de l’Union. Tout juge national, appelé à trancher un litige concernant le droit de l’Union, peut, et parfois doit, soumettre à la Cour de justice des questions préjudicielles. La Cour est alors amenée à donner son interprétation d’une règle de droit de l’Union ou à en contrôler la légalité. L’évolution de sa jurisprudence illustre la contribution de la Cour à la création d’un espace juridique qui

concerne les citoyens en protégeant les droits que la législation de l’Union leur confère dans différents aspects de leur vie quotidienne.

Principes fondamentaux établis par la jurisprudence

Dans une jurisprudence (initiée par l’arrêt Van Gend & Loos en 1963), la Cour a introduit le principe de

l’effet direct du droit communautaire dans les États membres, qui permet aux citoyens européens

d’invoquer directement des règles communautaires devant leurs juridictions nationales… En 1964, l’arrêt Costa a établi la primauté du droit communautaire sur la législation interne. Dans cette

affaire, une juridiction italienne avait demandé à la Cour de justice si la loi italienne de nationalisation du

secteur de la production et de la distribution d’énergie électrique était compatible avec un certain nombre

de règles du traité CEE. La Cour a introduit la doctrine de la primauté du droit communautaire en la

fondant sur la spécificité de l’ordre juridique communautaire appelé à recevoir une application uniforme

dans tous les États membre En 1991, dans l’arrêt Francovich e.a., la Cour a développé une autre notion fondamentale, à savoir celle

de la responsabilité d’un État membre à l’égard des particuliers pour les dommages qui leur auraient été

causés par une violation du droit communautaire par cet État. Depuis 1991, les citoyens européens

disposent donc d’une action en réparation contre l’État qui enfreint une règle communautaire…

Page 10: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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Document 2 : Cass. civ. 1re

, 4 déc. 2013, n° 12-26.066

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de

procédure civile :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... et M. Claude Y... se sont mariés le 6 septembre 1969 et

qu’une fille, née le 15 août 1973, est issue de leur union ; qu’après leur divorce, prononcé le 7 octobre

1980, Mme X... a épousé le père de son ex mari, Raymond Y..., le 17 septembre 1983 ; qu’après avoir

consenti à sa petite fille une donation le 31 octobre 1990, ce dernier est décédé le 24 mars 2005 en

laissant pour lui succéder son fils unique et en l’état d’un testament instituant son épouse légataire

universelle ; qu’en 2006, M. Claude Y... a, sur le fondement de l’article 161 du code civil, assigné

Mme X... en annulation du mariage contracté avec Raymond Y... ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé

qu’ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations

apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou

réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même du droit, retient que la

prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé

l’alliance est dissoute par divorce, que l’empêchement à mariage entre un beau père et sa bru qui, aux

termes de l’article 164 du même code, peut être levé par le Président de la République en cas de décès

de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de

sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du

cercle familial, que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être

affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux, que,

contrairement à ce que soutient Mme X..., il ressort des conclusions de sa fille que le mariage célébré

le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable

confusion entre son père et son grand père, que l’article 187 dudit code interdit l’action en nullité aux

parents collatéraux et aux enfants nés d’un autre mariage non pas après le décès de l’un des époux,

mais du vivant des deux époux, qu’enfin, la présence d’un conjoint survivant, même si l’union a été

contractée sous le régime de la séparation de biens, entraîne nécessairement pour M. Claude Y...,

unique enfant et héritier réservataire de Raymond Y..., des conséquences préjudiciables quant à ses

droits successoraux, la donation consentie à Mme Fleur Y... et la qualité de Mme Denise X... en vertu

du testament du défunt étant sans incidence sur cette situation, de sorte que M. Claude Y... a un intérêt

né et actuel à agir en nullité du mariage contracté par son père ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y... avec

Mme Denise X... revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans

l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans

opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l’article L. 411 3 du code de l’organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition prononçant l’annulation du mariage célébré

le 17 septembre 1983 entre Raymond Y... et Mme Denise X... […].

Page 11: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-11-

Document 3 : Conseil constitutionnel - Déc. 2010-615 DC du 12 mai 2010 (extraits)

[…]

En ce qui concerne les griefs relatifs au droit de l’Union européenne :

9. Considérant que les requérants soutiennent que « le droit communautaire n’impose nullement une telle

ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l’Union européenne admet au contraire le maintien des

monopoles dès lors qu’ils sont justifiés par les objectifs de protection de l’ordre public et de l’ordre social » ;

qu’ils invitent le Conseil constitutionnel à vérifier que la loi « n’est pas inconventionnelle » en se référant à

l’arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010 susvisé qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait

exercer « un contrôle de conformité des lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit

communautaire » ;

- Quant à la supériorité des engagements internationaux et européens sur les lois :

10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords

régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous

réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent

aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni

n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à

la Constitution ;

11. Considérant, d’autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l’article 61-1 de la Constitution à

tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative méconnaît les

droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7

novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l’articulation entre le contrôle de

conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité

avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et

judiciaires ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements

internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ;

12. Considérant que l’examen d’un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l’Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;

13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de

l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour

faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette

dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;

14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7

novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée

d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans attendre la décision relative à la question

prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en

urgence et, d’autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi

suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la

préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et

garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution pas

plus que les articles 23 1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le

juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne

fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à

la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige ;

15. Considérant, en dernier lieu, que l’article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de

l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et

judiciaires, y compris lorsqu’elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou,

lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de l’obligation de

saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en application de l’article 267 du

traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Page 12: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-12-

16. Considérant que, dans ces conditions, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de

l’article 61 ou de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les engagements

internationaux et européens de la France ; qu’ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à

Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations

de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les

engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l’Union européenne, doit

être écartée ;

- Quant à l’exigence de transposition des directives européennes :

17. Considérant qu’aux termes de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l’Union

européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en

vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils

résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu’ainsi, la transposition en droit interne d’une

directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ;

18. Considérant qu’il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l’article 61 de la

Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au

respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une double limite ;

qu’en premier lieu, la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe

inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; qu’en second lieu,

devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil

constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement de l’article 267 du traité

sur le fonctionnement de l’Union européenne ; qu’en conséquence, il ne saurait déclarer non conforme à l’article

88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a

pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il appartient aux juridictions administratives et judiciaires

d’exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas

échéant, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel ;

19. Considérant, en revanche, que le respect de l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ne relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

20. Considérant qu’en l’espèce, la loi déférée n’a pas pour objet de transposer une directive ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 88-1 de la Constitution doit être écarté ;

21. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit de l’Union européenne doivent être rejetés ;

[…]

Page 13: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-13-

Document 4 : L’affaire Perruche et ses différentes étapes

a).- Assemblée plénière, 17 novembre 2000

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal formé par les époux X..., et le

deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis, formé par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne : Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ; Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part, que M.

Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A..., avaient commis

des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez Mme X... alors qu’elle était

enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l’enfant avait développé de graves séquelles

consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu’elle avait décidé de recourir à

une interruption volontaire de grossesse en cas d’atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait

croire à tort qu’elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l’enfant n’était

pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au

préjudice de l’enfant, l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que " l’enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice

indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises " par des motifs tirés de la circonstance que les

séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu’il

ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des

contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice

résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des pourvois : CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée que lors de l’audience du 17

décembre 1993.

b).- Article L114-5 (modifié en 2005)

I. - Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à

une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le

handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents

peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges

particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été

irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.

c).- CEDH, 6 octobre 2005, n° 11810/03, Maurice c. France

[…]

62. Appréciation de la Cour.

63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du

Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette

disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y

compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme

une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la

Page 14: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-14-

créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmée par une

jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance

légitime ».

64. Quant à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré dans l’affaire Pressos Compania

Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation résultant d’accidents de navigation

censés avoir été causés par la négligence de pilotes belges. En vertu du droit belge de la responsabilité, les

créances prenaient naissance dès la survenance du dommage. La Cour qualifia ces créances de « valeurs

patrimoniales » appelant la protection de l’article 1 du Protocole no 1. Elle releva ensuite que, compte tenu d’une

série de décisions de la Cour de cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance légitime » de

voir concrétiser leurs créances quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la responsabilité.

[…]

66. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’ « espérance légitime »

lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient de manière suffisamment établie une créance immédiatement

exigible. La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une « contestation réelle » ou d’une

« prétention défendable » comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime »

protégée par l’article 1 du Protocole no 1. La Cour estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de

l’ordre de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur patrimoniale » que s’il a une base suffisante

en droit interne, par exemple quand il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecký c.

Slovaquie [GC], no 44912/98,§§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).

67. Pour juger en l’espèce de l’existence d’un bien, la Cour peut avoir égard au droit interne en vigueur lors de l’ingérence alléguée. Il s’agissait d’un régime de responsabilité pour faute exigeant qu’existent un préjudice (ou

dommage), une faute, et un lien de causalité entre le dommage et la faute. La Cour relève que ni l’AP-HP ni le Gouvernement ne contestent que l’inversion des résultats des analyses concernant les requérants et ceux d’une autre famille soit constitutive d’une faute. Le seul point en litige est le lien de causalité entre la faute de l’établissement hospitalier et le préjudice subi par les requérants. A cet égard, l’AP-HP estime que ce lien

n’existe pas compte tenu de ce que, même en l’absence d’inversion des résultats, le diagnostic prénatal qui aurait été communiqué aux requérants aurait été incertain, du fait de la présence de sang maternel dans le prélèvement effectué sur la requérante. La responsabilité de l’AP-HP n’étant donc pas établie, les requérants ne bénéficieraient pas, selon le Gouvernement, d’une indemnisation automatique, et ne pourraient donc pas se

prévaloir d’une « espérance légitime ».

68. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève que les juridictions nationales ont établi sans ambiguïté, aussi bien dans le cadre des décisions rendues en référé qu’au fond, et à tous les stades de ces

procédures, l’existence d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le préjudice subi. Les juridictions

ont en effet considéré qu’en l’espèce la faute de l’AP-HP a faussement conduit les requérants à la certitude que l’enfant conçu n’était pas atteint d’amyotrophie spinale infantile et que la grossesse pouvait être normalement

menée à son terme, alors que les requérants avaient clairement manifesté leur volonté d’éviter le risque d’un

troisième accident génétique. La faute ainsi commise a rendu sans objet tout examen complémentaire que la requérante aurait pu faire pratiquer dans la perspective d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique,

ce qui aurait sans doute été le cas dans l’hypothèse d’un diagnostic incertain. Pour effectuer ce constat, les juridictions se sont fondées d’abord sur la jurisprudence Quarez précitée, puis sur les dispositions de la loi du 4

mars 2002 entrées en vigueur par la suite, qui n’ont d’ailleurs pas modifié les conditions d’établissement du lien

de causalité entre la faute, même caractérisée, et le préjudice des parents de l’enfant né handicapé.

69. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP sur le fondement de la jurisprudence Quarez

étaient donc bien réunies, et les requérants disposaient par conséquent d’une créance s’analysant en une « valeur

patrimoniale ». Quant à la manière dont cette créance aurait été traitée en droit interne sans l’intervention de la

loi litigieuse, la Cour estime que, compte tenu de l’arrêt Quarez rendu par le Conseil d’Etat le 14 février 1997 et

de la jurisprudence constante établie depuis par les juridictions administratives en la matière, les requérants

pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges particulières

découlant du handicap de leur enfant tout au long de sa vie.

70. De l’avis de la Cour, avant l’intervention de la loi litigieuse, les requérants détenaient une créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de la responsabilité pour

faute, et donc un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1, lequel s’applique dès

lors en l’espèce.

Page 15: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-15-

[…]

iii. Proportionnalité de l’ingérence 86. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences

de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu

(voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le

souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi

dans la seconde phrase qui doit se lire à la lumière du principe consacré par la première. En particulier, il doit

exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure

privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, p. 23, § 38).

87. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas

peser sur les requérants une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités

d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d’une

somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une

atteinte excessive, et un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du

Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles (Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994,

série A no 301-A, p. 35, § 71, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII, et

Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 94, CEDH 2005-VI).

88. La Cour rappelle que le Conseil d’Etat avait reconnu, par son arrêt Quarez du 14 février 1997, que l’Etat et

les personnes de droit public telles que l’AP-HP, établissement public de santé assurant le service public

hospitalier, étaient soumis au droit commun de la responsabilité pour faute. Elle note que cette jurisprudence, si

elle était relativement récente, était stable et constamment appliquée par les juridictions administratives. La

jurisprudence Quarez étant antérieure à la découverte du handicap de C. et surtout à la saisine des juridictions

nationales par les requérants, ces derniers pouvaient légitimement espérer en bénéficier.

89. En annulant les effets de cette jurisprudence, outre ceux de l’arrêt Perruche de la Cour de cassation, pour les

instances en cours, la loi litigieuse a appliqué un régime nouveau de responsabilité à des faits dommageables

antérieurs à son entrée en vigueur et ayant donné lieu à des instances toujours pendantes à cette date, produisant

ainsi un effet rétroactif. Sans doute, l’applicabilité aux instances en cours ne saurait-elle en soi constituer une

rupture du juste équilibre voulu, le législateur n’étant pas, en principe, empêché d’intervenir, en matière civile,

pour modifier l’état du droit par une loi immédiatement applicable (voir, mutatis mutandis, Zielinski et Pradal et

Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII).

90. Mais, en l’espèce, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a purement et simplement supprimé, avec effet

rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, que les parents d’enfants

dont le handicap n’avait pas été décelé avant la naissance en raison d’une faute, tels que les requérants, auraient

pu faire valoir contre l’établissement hospitalier responsable. Le législateur français a ainsi privé les requérants

d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de leurs « biens », à savoir une créance en réparation

établie dont ils pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant conformément à la jurisprudence

fixée par les plus hautes juridictions nationales.

91. La Cour ne saurait suivre l’argumentation du Gouvernement selon laquelle le principe de proportionnalité

aurait été respecté, une indemnisation adéquate, et donc une contrepartie satisfaisante, ayant été prévue en faveur

des requérants. En effet, elle ne considère pas que ce que les requérants ont pu percevoir en application de la loi

du 4 mars 2002, seule forme de compensation des charges particulières découlant du handicap de leur enfant,

pouvait ou puisse constituer le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur de la créance

perdue. Certes, les requérants bénéficient de prestations, prévues par le dispositif en vigueur, mais leur montant

est nettement inférieur à celui résultant du régime de responsabilité antérieur et il est clairement insuffisant,

comme l’admettent le Gouvernement et le législateur eux-mêmes, puisque ces prestations ont été complétées

récemment par de nouvelles dispositions prévues à cet effet par la loi du 11 février 2005. En outre les montants

qui seront versés aux requérants en vertu de ce texte, tout comme la date d’entrée en vigueur de celui-ci pour les

enfants handicapés, ne sont pas définitivement fixés (paragraphes 57 à 59 ci-dessus). Cette situation laisse peser

encore aujourd’hui une grande incertitude sur les requérants et, en tout état de cause, ne leur permet pas d’être

indemnisés suffisamment du préjudice déjà subi depuis la naissance de leur enfant. Ainsi tant le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la solidarité nationale que

l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de la loi de 2005 ne peuvent faire

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-16-

regarder cet important chef de préjudice comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée

depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002.

92. Quant à l’indemnisation accordée, à ce jour, par le tribunal administratif de Paris aux requérants, la Cour

constate qu’elle relève du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence, et non des charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de sa vie. A cet égard, force est de constater que le montant de l’indemnisation accordée par ledit tribunal est très inférieur

aux expectatives légitimes des requérants et que, en tout état de cause, il ne saurait être considéré comme

définitif, puisqu’il a été fixé par un jugement de première instance dont il a été interjeté appel, la procédure étant actuellement pendante. L’indemnisation ainsi octroyée aux requérants ne saurait donc compenser les créances

perdues.

93. Enfin, la Cour estime que les considérations liées à l’éthique, à l’équité et à la bonne organisation du

système de santé mentionnées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 6 décembre 2002 et invoquées

par le Gouvernement ne pouvaient pas, en l’espèce, légitimer une rétroactivité dont l’effet a été de priver les

requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant

ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante. Une atteinte aussi radicale aux droits des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les

exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.

94. L’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a donc violé, dans la mesure où il concerne les instances qui étaient en cours le 7 mars 2002, date de son entrée en vigueur, l’article 1 du Protocole no 1.

[…]

- CEDH, 6 octobre 2005, n° 1513/03, Draon c. France

[…]

B. Appréciation de la Cour 1. Sur l’existence d’un « bien » et d’une ingérence dans le droit au respect de ce « bien ».

65. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1er du

Protocole no 1 à la Convention que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses « biens »

au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs

patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être

considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no1, il faut que

le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est

confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la

notion d’« espérance légitime ».

66. Quant à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré dans l’affaire Pressos Companía

Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation résultant d’accidents de navigation

censés avoir été causés par la négligence de pilotes belges. En vertu du droit belge de la responsabilité, les

créances prenaient naissance dès la survenance du dommage. La Cour qualifia ces créances de « valeurs

patrimoniales » appelant la protection de l’article 1er du Protocole no 1. Elle releva ensuite que, compte tenu

d’une série de décisions de la Cour de cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance

légitime » de voir concrétiser leurs créances quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la

responsabilité.

67. La Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres que l’« espérance légitime » était un élément ou un corollaire du droit de propriété revendiqué. Il résultait toutefois implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait entrer en jeu en l’absence d’une « valeur

patrimoniale » relevant du domaine de l’article 1er

du Protocole no 1, dans le cas d’espèce une créance en

réparation. L’« espérance légitime » identifiée dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres n’était pas en elle-même constitutive d’un intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la manière dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale » serait traitée en droit interne, et spécialement à la présomption selon laquelle la jurisprudence constante des juridictions nationales continuerait de s’appliquer à l’égard des dommages déjà causés.

Page 17: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

-17-

68. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’ « espérance légitime »

lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient de manière suffisamment établie une créance immédiatement

exigible. (...) La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une « contestation réelle » ou d’une

« prétention défendable » comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime »

protégée par l’article 1er du Protocole no 1. (...) La Cour estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de

l’ordre de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il a une base

suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux

(voir Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).

69. Par ailleurs, l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 33).

70. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect d’un « bien », au sens de

l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Les parties reconnaissent en effet, eu égard au régime de

responsabilité interne pertinent lors de l’intervention de la loi litigieuse, et notamment à une jurisprudence

constante des tribunaux administratifs établie depuis l’arrêt Quarez précité, que, d’une part, les requérants

avaient subi un préjudice causé directement par une faute de l’AP-HP, et que, d’autre part, ils détenaient une

créance en vertu de laquelle ils pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y

compris les charges particulières découlant du handicap de leur enfant.

71. La loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé les requérants de la possibilité d’être

indemnisés à raison de ces « charges particulières » en application de la jurisprudence Quarez du 14

février 1997, alors que, dès le 29 mars 1999, ils avaient saisi le tribunal administratif de Paris d’une

requête au fond et que par deux ordonnances de référé, rendues le 10 mai 1999 et le 11 août 2001, les

juridictions internes leur avaient accordé une provision d’un montant substantiel, compte tenu du

caractère non sérieusement contestable de l’obligation de l’AP-HP à leur égard. La loi litigieuse a donc

entraîné une ingérence dans l’exercice des droits de créance en réparation qu’on pouvait faire valoir en

vertu du droit interne en vigueur jusqu’alors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs

biens.

72. La Cour relève que, en l’espèce, dans la mesure où la loi contestée concerne les instances engagées avant le 7

mars 2002 et pendantes à cette date, telles que celle des requérants, cette ingérence s’analyse en une privation

de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole no 1 à la

Convention. Il lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.

[…]

d).- Cour de cassation, 24 janvier 2006, n° 02-12260

Attendu que Mme Y... a donné naissance à une enfant présentant un spina-bifida avec myéloméningocèle ; que

les époux Y... ont engagé contre M. X... , gynécologue obstétricien qui avait suivi la grossesse, et la société Le

Sou médical, son assureur, une action en réparation de leur préjudice et du préjudice subi par l’enfant du fait de

son handicap ; que l’arrêt attaqué a retenu que M. X... avait commis une faute en ne prescrivant pas

d’échographie morphologique au terme de 20-24 semaines alors que cet examen aurait, avec deux chances sur

trois, permis la découverte du spina-bifida et le recours de Mme Y... à une interruption thérapeutique de

grossesse, débouté les époux Y... de leur demande en réparation du préjudice de l’enfant, condamné in solidum

M. X... et la société Le Sou médical à indemniser les époux Y... de leur préjudice constitué par la perte d’une

chance, avant-dire droit ordonné deux expertises sur la réparation de ce préjudice, condamné in solidum M. X...

et la société Le Sou médical au paiement de dommages et intérêts provisionnels et débouté la CPAM du Loir-et-

Cher de ses demandes contre M. X... et la société Le Sou médical ;

Page 18: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. X... et la société Le Sou médical invoquant l’application

de l’article 1er-I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système

de santé qui est préalable, après l’avertissement prévu à l’article 1015 du nouveau Code de procédure civile : Attendu qu’en l’absence de contestation que la faute commise par le médecin dans l’exécution du contrat formé avec Mme Y... aurait privé cette dernière de la possibilité de voir déceler l’affection de l’enfant et d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et que les parents auraient ainsi subi un dommage correspondant à une perte de chance et donc à une fraction des différents chefs de préjudice résultant du handicap, les époux Y... pouvaient, avant l’entrée en vigueur de l’article 1er -I, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;

Attendu que l’article 1er -I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que "nul ne peut se

prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d’un professionnel de santé est

engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une

faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice

ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap et que la

compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d’un droit de créance en réparation d’une action en

responsabilité, c’est à la condition, selon l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de

l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n’est pas le cas en

l’espèce, dès lors que l’article 1er I, en prohibant l’action de l’enfant et en excluant du préjudice des

parents les charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, a institué un

mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de

réparation intégrale quand les époux Y... pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée

en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait les charges particulières

découlant tout au long de la vie de l’enfant, du handicap ; d’où il suit, ladite loi n’étant pas applicable au

présent litige, que le moyen est inopérant ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi formé par la CPAM du Loir-et-Cher :

Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour débouter la CPAM de sa demande, l’arrêt attaqué relève que les dispositions de l’article L.

376-1 du Code de la sécurité sociale ouvrant au bénéfice de la Caisse un recours contre le tiers auquel peut être

imputé l’accident à l’origine de ses prestations, étaient manifestement inapplicables aux faits de la cause, l’état de l’enfant et celui de sa mère, n’étant pas la conséquence d’un pareil événement ;

Attendu, cependant, que dès lors que la cour d’appel a retenu que les parents avaient subi une perte de chance

résultant de la faute commise par M. X…, les tiers payeurs pouvaient, au titre des prestations versées en relation directe avec le fait dommageable, exercer leur recours sur les sommes allouées en réparation de cette perte de

chance, à l’exclusion de la part d’indemnité de caractère personnel ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes, l’arrêt

rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans, autrement composée

- Cour de cassation, 30 octobre 2007, n° 06-17325

Sur le moyen unique qui n’est pas nouveau :

Vu l’article 1er du protocole n° 1, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ; Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que si une personne peut être privée d’un droit de créance, c’est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect de ses biens ; que le second de ces textes ne répond pas à cette exigence, dès lors

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qu’il prohibe l’action de l’enfant né handicapé et exclut du préjudice des parents les charges particulières qui en découlent tout au long de sa vie, instituant seulement un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, tandis que les intéressés pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice réparable inclurait toutes les charges particulières évoquées ;

Attendu que Mme X... a donné naissance, le 5 décembre 1999, à un enfant prénommé Brahim, atteint d’une

trisomie 21 ; que, le 8 novembre 2000, Mme X... a assigné M. Y..., médecin généraliste, en référé-expertise en

vue de rechercher si elle avait bénéficié des examens médicaux permettant de déceler le mal en cours de

grossesse et si l’obligation d’information avait été correctement exécutée ; qu’au vu du rapport déposé le 7 mars

2002, Mme X..., agissant en son nom personnel et en sa qualité d’administratrice légale de son fils mineur a, le

13 octobre 2002, assigné le praticien au fond ; que l’arrêt attaqué, retenant que l’article 1er I de la loi du 4 mars

2002 dispose que le préjudice des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse ne

peut inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie, de ce handicap, la compensation de ce

dernier relevant de la solidarité nationale, a débouté Mme X... de ses demandes de réparation du préjudice subi

par l’enfant mineur et de son propre préjudice matériel, l’indemnisant de son seul préjudice moral ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses constatations que la révélation du dommage était

nécessairement antérieure à l’entrée en vigueur de la loi, dont elle a fait application, la cour d’appel a

violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 octobre 2005, entre les parties, par la cour

d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai, autrement composée ;

[…]

e).- Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (extraits)

1. Considérant qu’aux termes du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents

peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges

particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.

« Les dispositions du présent paragraphe I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation » ;

2. Considérant que les trois premiers alinéas du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 précité ont été codifiés à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le 1 du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée ; que le 2 de ce même paragraphe II a repris le dernier alinéa du paragraphe I précité en adaptant sa rédaction ;

[…]

- SUR LE 2 DU PARAGRAPHE II DE L'ARTICLE 2 DE LA LOI DU 11 FEVRIER 2005 SUSVISÉE :

19. Considérant qu'aux termes du 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée : « Les

dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont

applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à

l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation » ;

Page 20: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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20. Considérant que, selon la requérante, l'application immédiate de ce dispositif « aux instances en cours et par

voie de conséquence aux faits générateurs antérieurs à son entrée en vigueur » porte atteinte à la sécurité

juridique et à la séparation des pouvoirs ;

21. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie

des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;

22. Considérant en conséquence que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider

un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de

respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et

des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur

constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la

portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;

23. Considérant que le paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est entré en vigueur le 7

mars 2002 ; que le législateur l'a rendu applicable aux instances non jugées de manière irrévocable à cette date ;

que ces dispositions sont relatives au droit d'agir en justice de l'enfant né atteint d'un handicap, aux conditions

d'engagement de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l'égard des parents, ainsi qu'aux

préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée ; que, si les motifs d'intérêt général précités

pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux

situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits

des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de

leur préjudice ; que, dès lors, le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée doit être

déclaré contraire à la Constitution,

DÉCIDE:

Article 1er.- Les premier et troisième alinéas de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles sont

conformes à la Constitution.

Article 2.- Le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est contraire à la Constitution.

f).- Cour de cassation - Première chambre civile 15 décembre 2011 (10-27.473) Donne acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société clinique Victor Pauchet de Butler, venant aux droits de la clinique Sainte-Claire ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 5 octobre 2010), que M. R... C... est né en 1988 atteint d’une anophtalmie

bilatérale, que celui-ci, ses parents, M. et Mme C..., agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de

représentant de leur enfant mineur G..., ainsi que sa sœur, Mme A... C..., ont assigné les 25 et 31 octobre 2006

M. X..., médecin qui avait pris en charge Mme C..., ainsi que la société Clinique Victor Pourchet de Butler,

venant aux droits de la clinique où s’était déroulé l’accouchement, afin d’obtenir l’indemnisation de leurs

préjudices résultant de l’impossibilité d’interrompre la grossesse en raison d’une erreur de diagnostic prénatal ;

que l’arrêt dit notamment que l’article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du

code de l’action sociale et des familles, n’est pas applicable au litige, ordonne une expertise sur la responsabilité

et sursoit à statuer ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen, que dans sa décision n° 2010-2

QPC en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a, rappelant que le paragraphe I de l’article 1er de la loi

du 4 mars 2002 susvisée est entré en vigueur le 7 mars 2002 et que le législateur l’a rendu applicable aux

instances non jugées de manière irrévocable à cette date, que ces dispositions sont relatives au droit d’agir en

justice de l’enfant né atteint d’un handicap, aux conditions d’engagement de la responsabilité des professionnels

et établissements de santé à l’égard des parents, ainsi qu’aux préjudices indemnisables lorsque cette

responsabilité est engagée, jugé que, si les motifs d’intérêt général[…] pouvaient justifier que les nouvelles

règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement,

ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient,

Page 21: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice (cons.23) ;

qu’aux termes de l’article 62 in fine de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux

pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; que l’autorité des décisions visées

par cette disposition s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien

nécessaire et en constituent le fondement même ; qu’il ressort des motifs de la décision précitée n° 2010-2 QPC

que les règles issues de l’article 1er, § 1 de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action

sociale et des familles sont applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées

antérieurement au 7 mars 2002, date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; que la cour d’appel a constaté

que M. R... C... est né en 1988 et que lui-même, ses parents et sa sœur, n’ont engagé d’action en responsabilité à

l’encontre de M. X... que par actes en date des 25 et 31 octobre 2006, ce dont se déduit que les consorts C...,

relativement à une situation juridique constituée avant le 7 mars 2002, ont engagé postérieurement à cette date

une procédure en vue d’obtenir la réparation de leurs préjudices respectifs, de sorte que les règles issues de

l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles doivent s’appliquer à l’action en responsabilité

formée à l’encontre de M. X... par les consorts C... en vue d’obtenir la réparation de leurs préjudices respectifs ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé par refus d’application l’article L. 114-5 du code de

l’action sociale et des familles, ensemble l’article 62 de la Constitution ;

Mais attendu que si l’autorité absolue que la Constitution confère à la décision du Conseil constitutionnel

s’attache non seulement à son dispositif mais aussi à ses motifs, c’est à la condition que ceux-ci soient le

support nécessaire de celui-là ; que le dispositif de la décision 2010-2 QPC du 11 juin 2010 énonce que le 2

du paragraphe II de l’article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des

chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est contraire à la Constitution ; que,

dès lors, faute de mention d’une quelconque limitation du champ de cette abrogation, soit dans le

dispositif, soit dans des motifs clairs et précis qui en seraient indissociables, il ne peut être affirmé qu’une

telle déclaration d’inconstitutionnalité n’aurait effet que dans une mesure limitée, incompatible avec la

décision de la cour d’appel de refuser d’appliquer au litige les dispositions de l’article L. 114-5 du code de

l’action sociale et des familles ; que le grief n’est pas fondé ;

Et sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que M. X... fait encore grief à l’arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en toute hypothèse, la loi obéissant à d’impérieux motifs d’intérêt général s’applique immédiatement aux

effets des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ; que, dans sa décision n° 2010-2 QPC en date

du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en édictant l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, le

législateur a pris en compte des considérations éthiques et sociales et que le même texte obéit à des motifs

d’intérêt général ; que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action

sociale et des familles, qui obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général, s’applique donc immédiatement à

l’action en responsabilité formée par la mère de l’enfant né handicapé à l’encontre du médecin en raison de la

mauvaise exécution du contrat conclu entre eux, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette disposition, soit

le 7 mars 2002 ; que lorsque la mère de l’enfant né handicapé n’a pas intenté son action en responsabilité

contractuelle à l’encontre du médecin avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, elle

ne dispose pas d’une créance pouvant être considérée comme une valeur patrimoniale, au sens de l’article 1 du

Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

dès lors que cette créance n’avait pas de base suffisante en droit interne, en ce qu’elle n’était plus confirmée par

la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 avait modifiée, et que

la mère de l’enfant n’avait donc plus d’espérance légitime de voir concrétiser sa créance quant à l’indemnisation

des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de son handicap ; que la cour d’appel a

constaté que M. R... C... est né en 1988 et que lui-même, ses parents et sa sœur, n’ont engagé d’action en

responsabilité à l’encontre de M. X... que par actes en date des 25 et 31 octobre 2006 et donc après l’entrée en

vigueur de la loi du 4 mars 2002, ce dont se déduisait que Mme C... C... n’avait pas d’espérance légitime de voir

concrétiser sa créance quant à l’indemnisation des charges particulières découlant, tout au long de la vie de son

enfant, de son handicap ; qu’en refusant cependant de faire application de l’article L. 114-5 du code de l’action

sociale et des familles, en ce qu’il priverait Mme C... C... de son droit de créance, sans que soit respecté le juste

équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect de ses

biens résultant de l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention, la cour d’appel a violé par fausse

application de cette dernière disposition, et par refus d’application l’article L. 114-5 du code de l’action sociale

et des familles ;

2°/ qu’ en toute hypothèse, la loi obéissant à d’impérieux motifs d’intérêt général s’applique immédiatement aux

effets des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur et donc à l’action en responsabilité délictuelle

Page 22: HUITIÈME SÉANCE LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES

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formée par un tiers sur le fondement de la mauvaise exécution de ce contrat ; que, dans sa décision n° 2010-2

QPC en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en édictant l’article 1er-I de la loi du 4 mars

2002 le législateur a pris en compte des considérations éthiques et sociales et que le même texte obéit à des

motifs d’intérêt général ; que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de

l’action sociale et des familles, qui obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général, s’applique donc immédiatement

à l’action en responsabilité formée par la mère de l’enfant né handicapé à l’encontre du médecin en raison de la

mauvaise exécution du contrat conclu entre eux, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette disposition, soit

le 7 mars 2002 ; que lorsque l’enfant né handicapé n’a pas intenté son action en responsabilité délictuelle à

l’encontre du médecin avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, il ne dispose pas

d’une créance pouvant être considérée comme une valeur patrimoniale, au sens de l’article 1 du Protocole n° 1

de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que

cette créance n’avait pas de base suffisante en droit interne, en ce qu’elle n’était plus confirmée par la

jurisprudence établie de la Cour de cassation, que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 avait modifiée, et que

l’enfant né handicapé n’avait donc plus d’espérance légitime de voir concrétiser sa créance en réparation du

préjudice résultant de son handicap ; que la cour d’appel a constaté que M. R...C... est né en 1988 et que lui-

même, ses parents et sa sœur, n’ont engagé d’action en responsabilité à l’encontre de M. X... que par actes en

date des 25 et 31 octobre 2006 et donc après l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, ce dont se déduisait

que M. R... C... n’avait pas d’espérance légitime de voir concrétiser sa créance en réparation de son préjudice de

naissance ; qu’en refusant cependant de faire application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des

familles, en ce qu’il priverait M. R...C... de son droit de créance, sans que soit respecté le juste équilibre entre les

exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect de ses biens résultant de

l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention, la cour d’appel a violé par fausse application de cette

dernière disposition, et par refus d’application l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;

Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu, abstraction faite de la référence, devenue

surabondante du fait de l’abrogation des dispositions transitoires précitées, à l’article 1er du premier

Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme, que, s’agissant d’un dommage

survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’article L. 114-5 du code de

l’action sociale et des familles n’était pas applicable, indépendamment de la date de l’introduction de la

demande en justice ; que les griefs ne sont pas fondés ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.