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Université de Lausanne Session de septembre 2010 Faculté des Sciences sociales Faculté de Théologie et des Sciences des religions St-Maurice, Afrique Constructions des identités collectives autour du Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique à St-Maurice Mémoire de Master interfacultaire en Sciences des religions Edmée Ballif Directeur : prof. Jörg Stolz

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Université de Lausanne Session de septembre 2010 Faculté des Sciences sociales Faculté de Théologie et des Sciences des religions

St-Maurice, Afrique

Constructions des identités collectives autour du Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique

à St-Maurice

Mémoire de Master interfacultaire en Sciences des religions

Edmée Ballif

Directeur : prof. Jörg Stolz

Remerciements Ce travail n’aurait pas été possible sans l’aide et la collaboration de nombreuses personnes. En premier lieu, je tiens à remercier chaleureusement mon directeur de mémoire, le prof. Jörg Stolz. Son soutien et ses précieux conseils tout au long de la réalisation de ce travail ont couronné une collaboration enrichissante et stimulante de deux ans au sein de l’Institut des Sciences sociales des religions contemporaines (ISSRC). J’adresse aussi tous mes remerciements aux membres de l’ISSRC qui m’ont apporté soutien technique et moral durant mon travail de mémoire : Laurent Amiotte-Suchet, Christophe Monnot, la prof. Monika Salzbrunn et Philippe Gilbert. Mes sincères remerciements vont également à la prof. Silvia Mancini (Université de Lausanne) et à Eric Morier-Genoud (Queen’s University Belfast) pour leurs précieux conseils épistémologiques et pratiques. Il ne m’aurait pas été possible de réaliser mon travail de terrain sans l’accueil et la collaboration des personnes suivantes : Claude Didierlaurent (Groupe de Coopération Missionnaire de Suisse romande - GCMSR, Missio), Michel-Ambroise Rey (Abbaye de St-Maurice), Joseph Roduit (Abbaye de St-Maurice), Marco Schmid (Migratio, Conférence des Evêques suisses), Claude Maillard (Père Blanc), Louise Barman (GCMSR), Hyacinthe Nguezi Ya Kuiza (GCMSR), Etienne Sindayihebura et Ferdinand Ilunga. Que ces personnes trouvent ici l’expression de ma gratitude pour leur aide. Je remercie de tout cœur Loyse Ballif, Jérémie Guignard, Fabio Lorenzi-Cioldi et Sylvestre Pidoux pour avoir relu et corrigé le manuscrit de ce travail. Ma famille et mes amis méritent enfin ma plus profonde gratitude pour leur soutien patient et constant tout au long de mes études.

Table des matières

LISTE DES TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS 1

1. INTRODUCTION 2

1.1. Questions de recherche 3

1.2. Contribution à la littérature 5

1.3. Limites du travail 6

2. LE PELERINAGE AUX SAINTES ET SAINTS D’AFRIQUE 8

2.1. L’histoire et le déroulement du pèlerinage 8 2.1.1. Parole et Mission 8 2.1.2. Le pèlerinage de 2002 9 2.1.3. Le pèlerinage de 2003 à 2010 11 2.1.4. Les acteurs et leurs rôles 14

2.2. L’Eglise catholique suisse et les migrants 16

3. CADRE THEORIQUE 19

3.1. La construction sociale des identités collectives 19 3.1.1. Identité collective, ethnique, raciale ou culturelle ? 19 3.1.2. L’identité collective comme construction sociale 20

3.2. Frontières et contenus culturels 22 3.2.1. Le traçage des frontières 23 3.2.2. Les contenus culturels : stéréotypes et reproduction 24

3.3.Racisme et exotisme 27 3.3.1. La notion de race 27 3.3.2. Définitions et dimensions du racisme 29 3.3.3. L’exotisme 32

4. CADRE METHODOLOGIQUE 34

4.1. La démarche qualitative et inductive 34

4.2. La construction du terrain 34

4.3. Les outils de production des données 35 4.3.1. Les entretiens 35 4.3.2. L’observation participante 36 4.3.3. Les sources écrites 38 4.3.4. La recension 38

4.4. Les méthodes d’analyse 39 4.4.1. L’analyse de discours 39 4.4.2. Le déroulement de l’analyse 40

4.5. L’utilisation des sources 41

5. LA CONSTRUCTION DES IDENTITES COLLECTIVES 43

5.1. Le traçage de la frontière : les « Africains » et les autres 43 5.1.1. Les « Africains » 43 5.1.2. Les « non-Africains » 46

5.2. Stéréotypes et reproduction de l’identité 47 5.2.1. Stéréotypes sur les « Africains » 47 5.2.2. Stéréotypes sur les « non-Africains » 50 5.2.3. Mise en scène de l’identité « africaine » 50

5.3. Mise en perspective : le racisme et l’exotisme 52 5.3.1. Les « Africains » du PSSA, une race ? 52 5.3.2. Retour sur la notion de racisme 53 5.3.3. L’exotisme : les « Africains », des « bons sauvages » ? 54

6. LES REPERTOIRES INTERPRETATIFS DU PELERINAGE 57

6.1. Le « pèlerinage pour les Africains » 57 6.1.1. Une journée « pour les Africains » 57 6.1.2. Les saints africains, un lien entre les « Africains » et l’Abbaye 59 6.1.3. Le transfert de pouvoir 61

6.2. Le « pèlerinage comme rencontre » 64 6.2.1. La rencontre contre le ghetto 64 6.2.2. L’enrichissement mutuel 64 6.2.3. L’unité chrétienne dans la diversité 65 6.2.4. Le public et le pique-nique 66

6.3. Le « pèlerinage comme mission » 67 6.3.1. Loin des sectes, près de l’Eglise 67 6.3.2. Faire des « Africains » des missionnaires 69 6.3.3. Les racines africaines du christianisme suisse 69

7. SYNTHESE ET CONCLUSION 71

8. REFERENCES 73

8.1. Sources 73

8.2. Bibliographie 76

ANNEXE 1 : INDEX DES NOMS DE LIEUX ET D’INSTITUTION S I

ANNEXE 2 : LES TEMOINS ET LEUR HISTOIRE II

ANNEXE 3 : LE DEROULEMENT DU PELERINAGE EN 2010 IV

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L ISTE DES TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS

Image 1 : Chapelle St-Sigismond et châsse des martyrs ougandais, basilique de St-Maurice. 10

Image 2 : Martyrologe dans le chœur de la basilique. 12

Image 3 : Main géante tracée à Vérolliez. 13

Tableau 1 : Editions du pèlerinage 14

Tableau 2 : Acteurs du pèlerinage 16

Tableau 3 : Comparaison des termes associés aux identités collectives 55

Image 4 : J. Roduit, C. Didierlaurent et R.K. Fiangor à Vérolliez. IV

Image 5 : Deux chorales à Vérolliez. V

Image 6 : Procession sur la route entre Vérolliez et St-Maurice. V

Image 7 : H. Nguezi Ya Kuiza et J. Roduit dans le chœur de la basilique. VI

Image 8 : R.K. Fiangor durant la messe dans la basilique. VI

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1. INTRODUCTION Le dimanche 6 juin 2010, j’assiste au Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique (ci-après : PSSA) à St-Maurice1. Depuis quelques mois déjà, je suis en contact avec les organisateurs de ce pèlerinage et les côtoie lors des réunions du comité d’organisation. Au cours de la matinée de ce dimanche, l’un des organisateurs m’aborde : « Edmée, il faudra qu’on se voie tout à l’heure, je dois te donner le texte que tu vas lire pendant la messe cet après-midi.»2 Je manifeste d’abord ma surprise et mon scepticisme: il n’était aucunement prévu que je prenne une part active au déroulement du pèlerinage, et encore moins à sa partie officielle. S’ensuit alors un échange étonnant :

« Mais pourquoi est-ce que vous m’avez choisie, moi, pour faire cette lecture pendant la messe ?

- Mais parce que tu es suisse, c’est bien, ça montrera la diversité et la mixité. »

Cette anecdote est révélatrice de deux moments-clé d’une recherche de terrain. D’abord, on m’assigne une identité nationale (« tu es suisse »), qui fait écho immédiatement à une autre identité, qui n’est pas nommée mais sous-entendue : « tu es suisse et pas africaine ». D’autre part, une politique est énoncée : il faudrait que le pèlerinage donne une image de diversité et de mixité. S’il y a mixité, c’est qu’il y a différentes identités collectives, en l’occurrence, suisse et africaine. Ce jeu d’opposition d’identités avait été omniprésent dans le discours (écrit ou oral) de mes interlocuteurs tout au long de la recherche de terrain effectuée jusqu’à ce dimanche 6 juin. Mais c’est au moment où je suis explicitement « prise » (Favret-Saada 1977) dans ce jeu des oppositions qu’apparaît la prégnance de cette dynamique d’identification et d’altérisation, et que se profile la problématique de ce travail. L’intention au début du travail de terrain avait été de nous intéresser aux mécanismes et aux dynamiques de la création d’un pèlerinage. Le PSSA est un pèlerinage récent : il a été institué en 2002 par une petite poignée de missionnaires romands qui, regrettant le manque de succès des habituelles rencontres missionnaires, souhaitaient rassembler un public large autour de divers groupes de migrants vivant en Suisse. Durant l’été 2002 étaient prévues une « journée africaine », une rencontre autour du Paraguay et de l’Amérique du Sud, et une messe selon le rite maronite. Seule la « journée africaine », rapidement renommée « pèlerinage aux Saints d’Afrique »3 en référence à saint Maurice (qui, selon la légende, serait africain) et aux reliques de saints ougandais transférées dans la basilique de St-Maurice lors de cette journée de juin 2002, a perduré. Nous étions donc là en présence d’une célébration nouvelle, où il était permis d’interroger les organisateurs de la première heure et de retracer la genèse du pèlerinage. Au fil de ces investigations, d’entretiens exploratoires en fouilles d’archives, une constante est apparue dans les discours et les interactions observées : pour raconter le pèlerinage, l’organiser ou le justifier, les acteurs parlent sans cesse « des Africains »4. Dans les mythes également, les protagonistes sont « africains »5. Et dans les relations interpersonnelles parmi

1 Dans ce travail, la graphie « saint Maurice » désignera le personnage tandis que « St-Maurice » désignera la ville valaisanne

qui porte son nom. Nous avons également respecté cette graphie dans les citations. Pour tous les noms de lieux et d’institutions, se référer à l’index en fin de dossier. 2 Les citations qui suivent sont reconstruites à partir de notes de terrain.

3 Depuis 2008, l’appellation « pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique » a été adoptée. Mais l’évènement est encore

souvent nommé « pèlerinage des Africains » ou « journée africaine » dans les comptes-rendus et les interactions orales. 4 Les guillemets sont systématiquement utilisés pour insister sur le fait que les « Africains » ou les « Suisses » sont des

conceptions émiques et non des entités considérées comme vraies. 5 « A St-Maurice, on n’oublie pas que le saint légionnaire était un Africain. » (Source 1 : Parole et Mission 2003) « Saint

Maurice et ses compagnons, ces légionnaires morts pour le Christ dans notre Valais, arrivaient d’Egypte. Mais désormais, St-Maurice rappelle aussi que d’autres « Africains » sont morts martyrs. En Ouganda en 1886, saint Charles Lwanga et ses

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les organisateurs du pèlerinage, chacun se situe clairement comme « africain » ou comme « non africain ». Cette délimitation d’identités collectives, en référence à la supposée origine géographique des individus, est omniprésente dans les dimensions du système symbolique du pèlerinage. Elle semble aller de soi pour les acteurs : elle n’est que rarement remise en question, si ce n’est au nom de l’unité des chrétiens. Ce travail va donc s’atteler à déconstruire les identités collectives construites dans les discours des organisateurs du pèlerinage. Mais cette dimension de l’analyse est encadrée par une étape précédente, l’exploration du pèlerinage, et une étape suivante, une complexification de l’analyse par la mise en lumière des répertoires interprétatifs. Premièrement donc, il a fallu comprendre de quoi le Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique était constitué. En reprenant les termes de Morinis (1992), il s’est agi de comprendre le système symbolique du pèlerinage et ses dimensions: la dimension sociale (acteurs, rôles, statuts), la dimension culturelle (mythes, récits, valeurs) et la dimension physique (organisation spatiale, objets)6, tout en y ajoutant la dimension historique de son évolution dans le temps. Si l’on comparait l’exercice du travail de mémoire à la réalisation d’une œuvre picturale, on pourrait dire que cette étape consiste à esquisser au crayon la structure générale de l’image à construire. Il s’agit de constituer les bases pour le développement d’un travail d’analyse. La seconde étape est, pourrait-on dire, la peinture des premières silhouettes, qui donnent du relief et permettent déjà de lire les grands traits de l’image. Il s’est agi en l’occurrence d’identifier, analyser et interpréter ces constructions identitaires dans l’organisation, le déroulement et les récits qui entourent le PSSA. Plus concrètement, le premier axe est de montrer sur quels mécanismes de délimitation des identités elles reposent (traçage des frontières) et quels attributs leurs sont attribués (stéréotypes). Nous nous aiderons pour cela de la distinction de F. Barth effectue entre les frontières entre les identités, dont le traçage constitue un processus de dichotomisation ou d’altérisation, et les contenus culturels qui sont associés à chaque identité, soit l’attribution de leurs caractéristiques de comportement ou de personnalité aux membres des groupes construits. C’est donc une première proposition de lecture transversale de nos sources, un regard jeté sur le terrain. Troisièmement, nous avons pris un pas de recul et proposé une analyse à partir d’un nouvel angle de vue. Nous sommes apportons des nuances à notre tableau, le rendant plus riche en détails : nous nous appuyons sur la première étape d’analyse tout en incluant gagnant en complexité. Il s’est agi de revenir sur des éléments du pèlerinage quelque peu laissés de côté dans l’étape de l’analyse des constructions identitaires : les mythes, les valeurs, les fonctions du pèlerinage. Nous retrouvons là le deuxième aspect soulevé par l’anecdote racontée plus haut : la fonction du pèlerinage est chargée de sens (en l’occurrence : promouvoir la mixité). Tout comme l’œuvre picturale, chacune des étapes de ce travail se construit sur la précédente, en prenant appui sur elle mais en offrant une nouvelle proposition d’analyse.

1.1. Questions de recherche Les questions suivantes permettront de problématiser et de structurer la réflexion développée dans ce travail. La première étape, exploratoire, ne fait pas l’objet d’une question de recherche puisqu’elle constitue un préalable indispensable au travail. Nous débutons donc par la seconde étape, celle des constructions identitaires.

compagnons étaient tués pour leur foi à la cour du roi. » (Source 2 : GB 2003). Pour les références des sources, se référer aux chapitres 4.5. et 8.2. 6 Nous nous inspirons là des travaux de Morinis (1992) selon lequel plusieurs plans sont présents dans la structure de tout

pèlerinage : le plan social, le plan culturel et le plan physique, auxquels il ajoute le plan de l’ego, que nous avons laissé de côté pour son aspect trop individuel.

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De quelle manière sont construites et entretenues les identités collectives autour du PSSA ? Il s’agira dans un premier temps de montrer les différents mécanismes par lesquels des frontières entre des identités collectives sont tracées dans les discours rencontrés autour du PSSA, et par lequel chaque acteur s’identifie à l’une ou l’autre des identités. Ce sont donc d’abord les moyens par lesquels les acteurs se distinguent les uns des autres qui seront examinés.

Quels stéréotypes sont attribués aux identités collectives construites ? Aux différentes constructions identitaires évoquées ci-dessus sont attribuées des caractéristiques comportementales ou identitaires. Nous avons pris le parti d’étudier cette dimension par le biais du concept de stéréotype. Il s’agira donc de répertorier ces catalogues de stéréotypes et d’en évaluer la portée historique et politique.

Comment mettre en perspective ces constructions identitaires avec les notions de racisme et d’exotisme ? Les constructions identitaires – frontières et stéréotypes – qui auront été exposées ne sont pas propres au contexte du PSSA ni aux acteurs rencontrés. Elles mettent en jeu un regard sur l’Afrique qui est largement partagé et diffusé dans la pensée occidentale, regard qui s’est constitué et cristallisé dans la période de la colonisation européenne de ce continent. Nous tenterons de mettre ces constructions en lien avec certaines réflexions développées par les sciences sociales sur la pensée de l’altérité, et cela à travers les notions de racisme et d’exotisme. Le but ici n’est pas polémiste, mais notre démarche consiste à faire dialoguer définitions sociologiques et données. Nous aurons donc, à ce stade, montré la construction des identités autour du PSSA. Mais nous avons souhaité ne pas nous en tenir là. En effet, il nous a semblé que ces questions ne permettaient pas de mettre en valeur l’une des spécificités centrales de notre travail de terrain, à savoir qu’il est centré sur un pèlerinage. En effet, l’étude des constructions identitaires ou des stéréotypes attribués aux « Africains » aurait pu se faire dans bien d’autres contextes. On aurait pu interroger de simples passants, des acteurs des milieux sociaux, des associations actives dans l’intégration, des policiers, des associations africaines. Mais notre terrain est centré sur un pèlerinage catholique. Il nous a donc semblé indispensable d’effectuer un retour sur certaines dimensions du pèlerinage, à la lumière de ce que nous aurons analysé des identités collectives. Nous changeons donc d’axe pour approcher notre terrain et nous interrogeons cette fois-ci les discours sous l’angle du sens donné par les acteurs concernés au pèlerinage. Nous posons une question simple.

Quel sens est donné à l’existence et à la perpétuation du pèlerinage? Pour répondre à cette interrogation, nous nous sommes appuyée sur la notion de « répertoires interprétatifs » (Potter et Wetherell 1995): nous avons cherché à mettre en lumière différentes versions dans les interprétations du pèlerinage livrées dans les sources, soit le sens donné par les acteurs au pèlerinage. La délimitation de ces répertoires interprétatifs nous permettra de comprendre d’une part comment les mythes sont produits et reproduits dans le cadre du PSSA, et ensuite ils éclaireront certains paradoxes rencontrés. L’analyse suivra donc deux fils rouges différents : la construction des identités collectives, puis les constructions de sens autour du pèlerinage. Ces deux approches doivent être comprises comme complémentaires et successives. En effet, il nous serait difficile de comprendre les répertoires interprétatifs du pèlerinage ou l’utilisation des mythes sans être attentive aux constructions identitaires sous-jacentes. La seconde partie de l’analyse doit donc être comprise comme une étape qui s’appuie sur la première.

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1.2. Contribution à la littérature Ce travail constitue d’abord une étude de cas, et ceci dans plusieurs domaines. D’abord, il permettra de mettre en lumière la réponse actuelle apportée par les milieux catholiques suisses à l’immigration en provenance d’Afrique. La Conférence des Evêques suisses (CES) fait en principe face aux vagues migratoires par la mise en place de missions linguistiques ; ce n’est pas le cas dans le cas des migrations africaines, qui ne font l’objet d’aucun programme. Le PSSA est donc une initiative émanant des cercles missionnaires romands, qui méritait d’être décrite. Ensuite, en tant que pèlerinage, le PSSA présente la particularité d’être très récent en comparaison aux autres grands pèlerinages sur le territoire suisse (Einsiedeln, St-Maurice, Vorburg, Notre-Dame de Bourguillon, etc.), et de concerner une population définie comme migrante. Deux études ont été consacrées à des cas similaires. La première traite des « pèlerinages des émigrés » dans le sud-ouest de la France, mis en place par les communautés catholiques italiennes dès les années 1920 (Teulières 2004). La seconde décrit le pèlerinage effectué à Skaro (Alberta, Canada) par des catholiques polonais immigrés (Kelker et Goa 1996). Ces deux études s’attachent à montrer le rôle que jouent ces évènements dans la structuration d’une identité collective des communautés de migrants. En offrant un repère spatial (le centre du pèlerinage) dans le pays d’accueil, le pèlerinage crée un ancrage territorial autour duquel se structure une communauté. En outre, les auteurs décrivent le rôle intégratif de ces pèlerinages en contexte d’immigration : il permet de créer des liens entre les membres de la communauté qui renforce ainsi sa prégnance sociale. Mais dans ces deux cas, il s’agit de pèlerinages initiés par les participants eux-mêmes ; le PSSA s’en différencie donc en étant une création « par le haut » à laquelle les organisateurs essaient de faire adhérer les participants. D’autres études s’intéressent aux constructions identitaires dans le cadre d’évènements festifs. C’est le cas par exemple de l’étude de Cordeiro, Hily et Meintel (2000) sur la « fête des Portugais », qui montre comment au fil du temps la fête « entre soi » des communautés portugaises a acquis une dimension sociale de mise en lien avec « les autres » à travers la présentation du folklore portugais. On peut aussi citer l’étude empirique de Salzbrunn sur les « fêtes du quartier Sainte Marthe » à Paris (2007), mettant en valeur les divers registres d’appartenances locales et transnationales produits autour de la fête. L’étude de cas du PSSA peut apporter une intéressante contribution dans la compréhension des conditions d’émergence d’un pèlerinage de migrants et des enjeux identitaires qui l’entourent. Nous proposons en effet de nous intéresser de manière plus détaillée que ces études aux constructions identitaires présentes dans le pèlerinage, et de placer cet élément au centre de notre analyse. Cette dimension est abordée par tous les auteurs cités, mais jamais placée au centre de l’attention. Nous choisissons donc de nous pencher dans le détail sur ces enjeux. Nous souhaitons également apporter une contribution aux travaux empiriques sur le racisme étudié par l’analyse de discours. En effet, il nous a semblé que certains auteurs traitant du racisme le font dans une perspective plus politique que critique (Potter et Wetherell 1998, Van Dijk et al. 1997, Van Dijk 1999). L’adéquation entre les données avancées et la définition du racisme proposée y est peu discutée. Nous avons pris le parti d’entamer une discussion ouverte sur la question : même si certaines citations feront probablement vite surgir chez le/la lecteur/trice une suspicion de racisme de la part des locuteurs, nous montrerons que les définitions courantes du racisme ne sont pas si évidentes à appliquer, et qu’il peut être profitable de faire appel à d’autres notions comme celle de l’exotisme. Enfin, ce travail pourrait permettre de s’interroger sur la manière dont est conceptualisé le pèlerinage dans les sciences sociales, en particulier en anthropologie. En effet, les définitions courantes du pèlerinage le définissent comme un rite de passage (Turner 1974, Turner et

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Turner 1978), comme un voyage (Morinis 1992) ou comme une transformation (Gothóni 1993). Ces définitions, centrées sur la fonction sociale ou individuelle du pèlerinage présentent deux inconvénients majeurs pour aborder le PSSA. Premièrement, elles impliquent de s’intéresser en priorité au vécu du point de vue des participants. Or, comme nous le verrons dans la partie suivante, ce n’est pas le choix qui a été fait ici. Deuxièmement, elles impliquent une interprétation unilatérale du pèlerinage. Nous avons choisi au contraire de valoriser le sens donné par les acteurs eux-mêmes au pèlerinage, à travers la notion de répertoires interprétatifs. Nous proposons ainsi de ne pas qualifier a priori ce que tend à être un pèlerinage mais de se pencher sur ce que les acteurs pensent ou souhaitent qu’il soit, quelle que soit leur position.

1.3. Limites du travail La principale difficulté rencontrée dans ce travail vient de la richesse des sources. Les seules sources d’archives récoltées constituent déjà plus de 600 pages. Il y aurait donc matière à bien des analyses sur le PSSA. Nous avons dû effectuer des choix importants pour tracer des limites au travail de terrain. Le principal parti pris pour répondre à nos questions de recherche a été celui de s’adresser principalement aux organisateurs du pèlerinage. Plusieurs éléments ont influencé ce choix :

- Accessibilité des personnes. Le PSSA n’ayant fait l’objet d’aucune recherche préalable, les seuls noms publiquement associés au pèlerinage sont ceux des organisateurs. C’est pourquoi la recherche de terrain a débuté par des entretiens avec ce groupe de personnes. Les participants au pèlerinage étant répartis sur tout le territoire suisse et non organisés en collectif, le contact avec eux s’est révélé fastidieux et risquait fort de ne pas refléter la diversité de leurs points de vue. Une démarche de sampling de ces participants aurait de loin dépassé en ampleur les limites de ce travail.

- Monopolisation de la parole publique. Les organisateurs du pèlerinage exercent un monopole presque total sur les discours publics émis lors et autour du PSSA. Autant les discours officiels (discours de bienvenue, messe) du PSSA que les articles annonçant ou relatant le pèlerinage émanent tous des organisateurs ou de membres de leurs institutions respectives (Abbaye de St-Maurice, Pères Blancs, Missio). Ainsi, les discours publics visant à donner du sens au pèlerinage, basés principalement sur les constructions d’identités qui nous intéressent, sont portés par les organisateurs.

- Création du PSSA. Le PSSA est un évènement créé « par le haut », par les institutions (organismes missionnaires et Abbaye de St-Maurice), et non pas issu d’un mouvement populaire. Les organisateurs ont donc d’entrée développé une « histoire officielle » du pèlerinage, qui peut être analysée.

- Archives. Les archives du comité d’organisation du pèlerinage ont été une source importante d’informations, mais elles ne transmettent bien entendu que les opinions des organisateurs. De telles sources écrites sont inexistantes du côté des participants.

Bien entendu, cette focalisation sur les organisateurs rend difficilement évaluables les phénomènes de contestation des discours officiel, de réinterprétation, de récupérations. A aucun moment nous ne pensons que ces dynamiques seraient sans intérêt. Au contraire, il serait certainement éclairant d’examiner ce que le public du pèlerinage fait des discours qui lui sont proposés. Simplement, une telle démarche outrepasserait en temps les limites imposées à ce travail. De plus, la majorité des organisateurs se définissant comme « non-Africains », on pourrait arguer qu’un biais massif vient troubler les données. Cependant, tout d’abord, nous avons été attentive à refléter les opinions contestataires au sein des organisateurs – qu’elles proviennent des « Africains » ou pas. Ensuite, supposer l’existence d’un biais implique qu’il existerait une réalité plus juste et plus équilibrée. Dans la position constructiviste adoptée (voir chapitre

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4.1.), ce serait une assertion difficile à défendre. De plus, les individus classés comme « non-Africains » ayant un monopole massif sur les discours, il en résulte que leurs visions sont adoptées souvent par l’ensemble des acteurs. Sans émettre sur ce point un quelconque jugement, c’est un fait qui doit être pris en compte.

Enfin, nous revenons sur les limites quantitatives et temporelles imposées par la forme du travail de mémoire. Même en cessant tout contact avec les organisateurs et le terrain, les données à disposition pourraient déjà donner lieu à des analyses supplémentaires. Nous affirmons donc la dimension exploratoire, partielle et provisoire des analyses présentées ici.

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2. LE PÈLERINAGE AUX SAINTES ET SAINTS D ’A FRIQUE

Avant d’entrer dans l’analyse à proprement parler, il a semblé important de retracer l’histoire et les acteurs principaux du pèlerinage. Nous commençons par la description de la création du pèlerinage, de ses éditions successives et des acteurs impliqués dans son organisation. Ensuite, nous replacerons le PSSA dans le contexte plus général de la politique de l’Eglise catholique suisse à l’égard des migrants.

2.1. L’histoire et le déroulement du pèlerinage

2.1.1. Parole et Mission Au début de l’année 2000, le Groupe de Coopération Missionnaire de Suisse romande (ci-après : GCMSR), qui regroupe en son sein des représentants d’organismes missionnaires catholiques romands, entame une réflexion sur les évènements qu’il a pour habitude d’organiser. Les rencontres missionnaires, jusqu’ici nommées Mission et Romandie et organisées tous les quatre ans, n’attirent guère que les membres des instituts missionnaires de Suisse romande, mais pas le grand public, ce que déplore le comité du GCMSR (Source 3). L’Assemblée générale du 5 mai 2000 charge un groupe de travail de réfléchir à une nouvelle formule (Source 4). Ce groupe est formé de Michel-Ambroise Rey (chanoine de St-Maurice et président du GCMSR) ainsi que de deux Pères Blancs7. Au cours de l’année 2001, les décisions suivantes sont prises : le nouveau projet de réunions missionnaires se nommera Parole et Mission, et aura lieu en été 2002 à St-Maurice, « à cause de son passé religieux, de son rôle missionnaire et des pèlerinages qui s’y déroulent toute l’année » (Source 5 : Comité Parole et Mission 2001)8. L’objectif de Parole et Mission est d’abord le « ressourcement et [la] formation missionnaire » (Source 5 : Comité Parole et Mission 2001). Au fil du développement du projet, d’autres objectifs s’ajoutent : faire de St-Maurice « un lieu permanent d’animation missionnaire » (Source 6 : GCMSR 2001) ou « un lieu privilégié pour l’étude de la mission [et] l’histoire et la mission en Suisse » (Source 7 : Comité Parole et Mission 2001), ou encore « offrir à toutes les personnes qui le désirent des possibilités de mieux connaître les chemins de la Parole de Dieu » (Source 8 : Comité Parole et Mission 2001). Le public visé par ces activités est constitué par les « communautés catholiques en Suisse Romande » et les « couches actives de la population et les jeunes » (Source 9 : Rey 2001), ainsi que les milieux missionnaires romands. Au fil du temps, ce sont de plus en plus les « communautés étrangères qui sont en Suisse » (Source 8 : Comité Parole et Mission 2001) qui sont visées. Le but premier de ces rencontres est donc clairement la mission et l’évangélisation. Plus spécifiquement, Parole et Mission se donne pour but d’inviter les communautés étrangères à être missionnaires ici », à « être co-acteurs dans la Mission ici et là-bas » (Source 8 : Comité Parole et Mission 2001) – nous reviendrons et commenterons ces objectifs missionnaires dans le chapitre 6.3. Sont prévues une exposition, des conférences et des liturgies « en faisant appel aux immigrés dans notre pays selon leurs races et provenances » (Source 5 : Comité Parole et Mission 2001). Ce sont ces différentes liturgies qui vont retenir notre attention. En mai, le programme se précise : il s’agirait de prévoir le premier dimanche de juin « animé par les Congolais », le premier dimanche de juillet « animé par les Libanais », le premier dimanche de septembre « animé par un groupe asiatique » et le premier dimanche d’octobre « animé par un groupe sud-américain » (Source 10 : GCMSR 2001). Le Père Blanc Fridolin Zimmermann est chargé

7 Se référer au chapitre 2.1.4. pour des détails sur les acteurs de l’organisation du pèlerinage. Nous précisons d’ores et déjà

que tous les noms de personnes cités dans ce travail sont des noms qui sont associés publiquement au pèlerinage. De plus, chacune des personnes a donné son accord oral à la mention de son identité dans ce travail. 8 Comment nous le verrons plus loin, le choix du lieu de St-Maurice sera ensuite l’objet d’une vaste palette de justifications.

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dès avril 2001 de rencontrer des « prêtres africains » (Source 5) pour envisager leur participation à l’une des liturgies prévues. Le 22 janvier, le GCMSR décide de nommer cette journée le « pèlerinage à saint Maurice l’Africain » (Source 11), et le 19 février suivant le projet de « relever solennellement les reliques des s. Charles Lwanga et Matthias » (Source 12), deux saints ougandais, est évoqué. Dès lors, ces figures de martyrs ougandais seront systématiquement associées à la journée du premier PSSA, et l’on ne parlera plus de liturgie congolaise mais africaine. En même temps, le déroulement de la journée est fixé – il ne changera pratiquement pas par la suite : accueil des pèlerins dès 10h, messe à 11h, repas canadien, cérémonie de clôture avec transfert des reliques et fin vers 16h.

2.1.2. Le pèlerinage de 2002 Le jour du premier pèlerinage africain, le 16 juin 20029, les pèlerins sont accueillis sur le parvis de la basilique où F. Zimmermann prononce un discours sur le thème de la porte et du passage. Puis les participants entrent dans la basilique, où J. Roduit, père-abbé de St-Maurice, commente les vitraux de la passion de saint Maurice. La basilique est décorée par des panneaux relatant l’histoire de la traite négrière. Le temps fort de cette journée est constitué par le transfert dans la basilique de reliques de martyrs ougandais, qui étaient jusque là conservées par les Pères Blancs à Fribourg. La raison de la présence de ces reliques à Fribourg est obscure ; mais celles-ci sont attribuées aux martyrs de l’Ouganda, un groupe de chrétiens fraîchement convertis par les Pères Blancs et passés par les armes par le roi du Buganda entre 1885 et 1887 (voir Annexe 2). Le transfert de ces reliques, qui sont placées dans une châsse à l’intérieur d’une chapelle de la basilique, correspond à la volonté des organisateurs de « renforcer le lien entre l’Abbaye et l’Afrique » et d’ « offrir aux ressortissants africains un lieu dans lequel ils puissent se ressourcer et se recueillir » (Source 2 : GB 2003). Les saints – Maurice et les Ougandais –, en plus d’offrir un modèle exemplaire de foi chrétienne, forment donc pour les organisateurs un lien entre l’Abbaye et le public visé par l’évènement, soient les « chrétiens du continent africain résidents en Suisse » (Source 13).

9 En principe, le PSSA a lieu chaque année le premier dimanche de juin, en raison du fait que les martyrs ougandais sont

fêtés le 3 juin. Mais certaines années, comme c’est le cas en 2002, 2004 et 2006, le pèlerinage est anticipé ou retardé d’une semaine : il arrive que la basilique de St-Maurice ait été réservée pour un autre pèlerinage.

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Image 1 : Chapelle St-Sigismond et châsse des martyrs ougandais, basilique de St-Maurice. © Edmée Ballif

2010.

Le public est constitué surtout de chorales africaines, qui ont été spécifiquement invitées par F. Zimmermann et réunissant une trentaine de personnes. Par la suite, d’année en année, les chorales constitueront toujours le noyau dur des participants au PSSA. C’est en effet la forme principale de regroupement des catholiques « africains » en Suisse, et donc un moyen privilégié d’entrer en contact avec le public-cible du PSSA. Suite au pèlerinage, les organisateurs se félicitent de son succès : « ce « Parole et Mission » a été une réussite tant sur le plan de l’ambiance et convivialité que sur celui de la participation » (Source 14 : Comité Parole et Mission 2002), même si des voix se sont élevées pour critiquer le manque de participation (Source 15). Le pèlerinage africain est le seul événement de Parole et Mission qui sera pérennisé : toutes les autres rencontres, ainsi que le concept même de Parole et Mission, seront abandonnées après 2002. Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer ce fait :

- Comparativement aux autres journées, le pèlerinage africain semble effectivement avoir rencontré un relatif succès. Les autres rencontres n’ont apparemment attiré que très peu de monde.

- Le père-abbé de St-Maurice, J. Roduit, avait très tôt exprimé son scepticisme quant au regroupement de toutes les activités de Parole et Mission à St-Maurice. En octobre 2002, il s’exprime clairement : il « ne désire plus que « Parole et Mission » se célèbre à St-Maurice, sauf pour le 1er juin : le pèlerinage africain » (Source 16 : Comité Parole et Mission 2002). Les raisons de cette position ne sont pas connues, mais sont peut-être liées au mauvais succès des autres rencontres.

- Le Père Blanc F. Zimmermann s’est investi personnellement et activement dans la mobilisation de ses réseaux de connaissances parmi les communautés africaines. En parallèle, il a mené des projets de rassemblements africains en Suisse romande. Il a ainsi milité en faveur de la pérennisation du pèlerinage.

- Le transfert des reliques des saints ougandais est désigné comme le point de départ d’un lien durable entre « Africains » et l’Abbaye, comme le montre cette citation issue du message d’accueil de F. Zimmermann lors du pèlerinage de 2002.

En effet dans le cadre de « Parole et Mission » de nombreux Africains vont venir déposer les reliques de s. Charles Lwanga et s. Matthias Mulumba, martyrs ougandais, dans la basilique abbatiale. Il y aura désormais un autel qui leur sera consacré et chaque année nous espérons qu’un pèlerinage puisse se dérouler dans la cité agaunoise avec nos frères et sœurs d’Afrique. (Source 17 : Zimmermann 2002)

11

Dès les cérémonies de la journée africaine de 2002 était donc exprimé le vœu de voir l’évènement perdurer. Ce sera le cas chaque année depuis lors.

2.1.3. Le pèlerinage de 2003 à 201010 Dès 2003 donc, le GCMSR se concentre exclusivement sur l’organisation du pèlerinage africain. Il s’inscrit dans le même but missionnaire que Parole et Mission, mais maintenant est centré sur un public-cible – les « Africains » : « nous appelons les Africains domiciliés en Suisse à devenir des apôtres et des messagers du Christ » (Source 18 : Rey 2003). Dès février 2003, le pèlerinage est renommé « pèlerinage aux saints d’Afrique », mettant ainsi en valeur les figures des martyrs – non plus seulement saint Maurice mais aussi les saints ougandais (Source 19). Ces figures sont dès lors citées dans tous les documents sur le pèlerinage. Une médaille est également créée, qui représente saint Maurice sur une face et les martyrs ougandais sur l’autre, scellant l’union de ces figures. Le programme de la journée est sensiblement le même qu’en 2002, mais l’eucharistie – « africaine », selon le programme – a maintenant lieu l’après-midi, ce qui est encore le cas en 2010 (Source 20). Le pèlerinage rassemble 300 personnes en 2004, selon les organisateurs (Source 21). En 2005 est évoquée la possibilité de faire évoluer le pèlerinage sur deux jours, mais l’idée n’a à ce jour pas abouti (Source 22). Pour la première fois cette année-là, une invitation est lancée par l’abbé jurassien Nguezi Ya Kuiza aux « hommes, femmes et enfants et familles de toutes les nationalités » (Source 23). Le pèlerinage est désormais nommé « Pèlerinage aux saintes et saints d’Afrique » (Source 24)11. Chaque année, les organisateurs se félicitent du succès du pèlerinage. En 2006, la journée débute non pas dans la basilique mais dans l’église St-Sigismond de St-Maurice, et une procession se déroule entre cette église et la basilique (distantes d’env. 500 mètres) (Source 25). Cette année-là également est créée une plaque qui est apposée à la chapelle St-Sigismond, dans laquelle sont conservées les reliques des martyrs ougandais. En novembre 2006, la présidence du GCMSR passe à Claude Didierlaurent (Source 26). Celui-ci introduit une volonté de meilleure gestion financière et pratique du pèlerinage. On étudie la possibilité de demander une participation financière aux pèlerins pour leur déplacement (jusque là pris en charge par le GCMSR), le travail médiatique doit être amélioré, les médailles inventoriées (Source 27). Le pèlerinage prend en 2008 une ampleur plus importante. Cette année-là, Missio s’investit financièrement et logistiquement dans l’organisation du pèlerinage – cette décision n’étant sans doute pas étrangère à l’arrivée de Claude Didierlaurent à la présidence du GCMSR, puisqu’il est le directeur romand de Missio. Avec le motif « Viens et partageons », Missio souhaite s’investir ponctuellement dans des actions pastorales en Suisse romande. Pour sa première – et à ce jour unique – édition, « Viens et partageons » s’investit donc dans le PSSA. Les changements apportés sont les suivants :

- Couverture médiatique. La couverture médiatique de l’événement est nettement supérieure aux années précédentes. Des photographes professionnels sont présents, et un article paraît dans Frères en marche, la revue missionnaire des capucins suisses, ainsi que sur le site internet de l’Apic12 (en plus des habituels articles dans Le Nouvelliste et les revues des Pères Blancs et de l’Abbaye). Un DVD est aussi créé (Source A).

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Voir Tableau 1 à la fin de ce chapitre. 11

Ce n’est qu’en 2008 que des figures féminines de saintes seront mises à l’honneur, avec saintes Perpétue, Félicité et Joséphine Bakhita. Mais dès 2005, l’idée des organisateurs est de rendre hommages à tous les saintes et saints d’Afrique lors du pèlerinage. 12

Agence de Presse et d’Information Catholique suisse, qui publie chaque année depuis un compte-rendu du pèlerinage.

12

- Témoins. En 2008, trois saintes africaines sont mises à l’honneur, en plus de saint Maurice et des saints ougandais. Il s’agit de sainte Joséphine Bakhita, esclave soudanaise ayant vécu au début du XXe siècle, et de saintes Perpétue et Félicité, une maîtresse et son esclave martyrisées à Carthage en 203. Dès lors, chaque année aura son témoin mis à l’honneur. Un martyrologe est créé, grand livre dans lequel sont copiés les récits de vie des témoins. Il est sorti chaque année pour le pèlerinage.

Image 2 : Martyrologe dans le chœur de la basilique. © Edmée Ballif 2010.

- Vérolliez. La journée du pèlerinage débute à Vérolliez, lieu-dit proche de St-Maurice et, selon la légende, véritable lieu du martyre de saint Maurice. Une cérémonie y a lieu le matin en plein air, puis les participants se rendent en procession vers la basilique pour y manger et y suivre l’eucharistie.

- Animation pour les enfants. Les enfants présents au pèlerinage sont invités à participer à un atelier organisé par les collaboratrices de Missio-enfance. Leurs dessins sont présentés pendant la messe.

- Conteur. Un conteur parisien, Rogo Koffi Fiangor, est invité pour la journée et est chargé de raconter la vie des martyrs et des témoins durant la matinée. Il est de nouveau invité en 2010.

- Symbole de la main. La journée est placée sous le thème de la main, et une forme de main est tracée par la foule à Vérolliez.

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Image 3 : Main géante tracée à Vérolliez. © Missio 2008.

L’année 2009 voit la continuation de la plupart des changements introduits en 2008. La figure-témoin est celle de Baba Simon, abbé camerounais en cours de béatification. Le thème est celui de la porte ouverte et de la clé. Cette année-là est également marquée par la venue de Marco Schmid, directeur fraîchement nommé de Migratio, la commission de la CES pour la pastorale des migrants. Sa présence marque la première présence officielle de la CES, en dehors bien entendu de celle de J. Roduit13. Quant à l’édition 2010, elle voit la figure de Maurice Leiggener mise en avant, Père Blanc décédé en août 2009 qui avait été parmi les organisateurs du pèlerinage après le départ de F. Zimmermann en 2007. Rogo Koffi Fiangor est de nouveau invité et chargé du récit de vie des martyrs mais également de l’homélie durant la messe de l’après-midi14. L’affluence au pèlerinage augmente globalement d’année en année, mais pas autant que ne le souhaiteraient les organisateurs. Si une vidéo du pèlerinage en 2002 montre une affluence d’une trentaine de personnes, les discours recueillis en comptent une centaine (Source 28, Entretien avec J. Roduit). En 2008, les estimations varient entre 500 (Source 28, Entretien avec C. Didierlaurent) et 750 (Source 29). En 2010, un comptage sur place a donné une estimation de 380 participants (enfants compris), et quatre prêtres « africains » concélébrants ; l’Apic annonce 800 participants, donc une vingtaine de prêtres « africains » (Source 30). Ce gonflage des chiffres résulte certainement du souhait des organisateurs de voir ce pèlerinage gagner en ampleur.

13

M. Schmid ne se déplacera pas en 2010. Il travaille actuellement à créer un autre pèlerinage africain, à Einsiedeln, qui devrait avoir lieu pour la première fois en août 2011. Ses relations avec le GCMSR sont inexistantes. 14

L’Annexe 3 relate le déroulement de la journée du PSSA de 2010.

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Tableau 1 : Editions du pèlerinage

Année Date Témoin(s) Nouveautés 2002 16 juin Saint Maurice et saints ougandais 2003 1er juin idem 2002 Nommé « pèlerinage aux Saints

d’Afrique » 2004 30 mai idem 2002 2005 5 juin idem 2002 Nommé « pèlerinage aux Saintes et Saints

d’Afrique » 2006 11 juin idem 2002 Introduction d’une procession ; pose d’une

plaque dans la basilique 2007 3 juin idem 2002 2008 1er juin idem 2002, saintes Joséphine Bakhita et

saintes Perpétue et Félicité Le pèlerinage débute à Vérolliez. Introduction de nouveaux témoins et d’un thème. Intervention d’un conteur. Soutien par Missio.

2009 7 juin idem 2008, Baba Simon 2010 6 juin idem 2009, Maurice Leiggener

2.1.4. Les acteurs et leurs rôles Revenons maintenant sur les différents acteurs institutionnels, collectifs et individuels qui sont actifs autour du PSSA. D’une part, il faut mentionner les différentes institutions en présence (voir aussi Annexe 1) :

- GCMSR. Le comité du Groupe de Coopération Missionnaire est impliqué dans son ensemble dans l’organisation du pèlerinage. Il finance l’entier du PSSA (20'000.- par année), qui représente sa plus importante activité chaque année. Le comité est actuellement formé de C. Didierlaurent (président), M.-A. Rey (délégué à la mission, VS), H. Nguezi Ya Kuiza (délégué à la mission, Jura) et L. Barman (Laïcat missionnaire, secrétaire). Le « comité d’organisation du pèlerinage » est une structure informelle dérivée du GCMSR.

- Missio. Les Œuvres Pontificales Missionnaires représentent la deuxième source de financement du GCMSR (5000.- par an et une décharge de 20% pour le président), et donc du pèlerinage, après Action de Carême. Depuis 2008, ses collaborateurs sont plus largement impliqués dans l’organisation du pèlerinage (publicité, animation jeunesse).

- Pères Blancs, Africanum. Les Pères Blancs basés à Fribourg, ne sont pas pas directement membres du GCMSR. Mais F. Zimmermann, Père Blanc, a siégé au GCMSR en tant que délégué du canton de Fribourg. Depuis, un représentant des Pères Blancs au moins s’investit dans l’organisation du pèlerinage – actuellement, il s’agit de Claude Maillard. L’Africanum accueille les réunions du GCMSR.

- Abbaye de St-Maurice. L’Abbaye accueille depuis sa création le PSSA. L’Abbaye fournit les locaux (basilique, cour du collège pour les pique-niques jusqu’en 2007), mais n’apporte aucune aide financière directement au pèlerinage. Son vin est vendu pendant la journée.

Ces institutions sont représentées à travers les principaux acteurs, présents et passés, du pèlerinage :

- Claude Didierlaurent (GCMSR et Missio). Directeur romand de Missio, il est le président du GCMSR depuis novembre 2006. Il souhaite vivement décharger le GCMSR de l’organisation du pèlerinage.

- Louise Barman (GCMSR). Secrétaire du GCMSR depuis une vingtaine d’année, elle est chargée de divers aspects pratiques de l’organisation du pèlerinage : achat de nourriture et de boissons, contacts avec les autorités communales.

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- Claude Maillard (Père Blanc). Il se charge de la couverture médiatique du pèlerinage depuis 2007. Il n’assiste pas aux réunions du comité d’organisation du pèlerinage, mais il est le seul Père Blanc encore impliqué dans le PSSA.

- Fridolin Zimmermann (GCMSR, Père Blanc). Il a été membre du comité du GCMSR jusqu’en 2007. Il a joué un rôle décisif dans la mise en place de contacts entre le GCMSR et les chorales africaines, et a plusieurs fois présidé les cérémonies du PSSA. Il a ensuite été écarté pour cause de problèmes de santé. Il vit actuellement à l’ Africanum mais souffre de pertes de mémoires. Il n’assiste depuis lors plus au PSSA.

- Maurice Leiggener (GCMSR, Père Blanc, décédé). Il reprend le rôle de F. Zimmermann après son éviction. Il est subitement tombé malade au printemps 2009, laissant l’organisation du pèlerinage à C. Didierlaurent. Il est décédé d’une tumeur au cerveau en été 2009. Il est la figure-témoin du pèlerinage 2010.

- Michel-Ambroise Rey (GCMSR, Abbaye). Chanoine de St-Maurice, il a été président du GCMSR de 1997 à 2007. Selon ses propres dires, c’est lui qui a imposé le choix de l’Abbaye pour Parole et Mission. Il est toujours membre du comité du GCMSR et se charge de contacts avec l’Abbaye et de la liturgie. En 2010, il a laissé ce rôle à Ferdinand Ilunga, étant en voyage au moment du PSSA.

- Joseph Roduit (Abbaye). Père-abbé de St-Maurice15, en poste depuis 1999, il a d’abord fait preuve de réticence à l’égard de Parole et Mission, puis a soutenu le PSSA. Il préside l’eucharistie du PSSA chaque année. Il ne participe pas à son organisation.

- Ferdinand Ilunga (Abbaye). Jeune prêtre congolais, il passe quelques mois en 2010 à l’Abbaye de St-Maurice avec trois compagnons. Il est chargé par Michel-Ambroise Rey d’organiser la liturgie du PSSA 2010.

D’autres personnes sont étroitement impliquées dans l’organisation du pèlerinage, sans être rattachées aux institutions nommées ci-dessus.

- Etienne Sindayihebura. Requérant d’asile de nationalité burundaise, il vit en Suisse depuis 2001. Il a fait la connaissance de Miche-Ambroise Rey lors du PSSA en 2002, et depuis lors participe à son organisation. Il est notamment chargé du contact avec les chorales et les journalistes.

- Hyacinthe Nguezi Ya Kuiza. Curé en Haute-Ajoie, il s’est impliqué dès 2002 dans l’organisation du PSSA. Il organise notamment des cars de pèlerins depuis le Jura, et officie durant la messe.

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Et à ce titre membre de la Conférence des Evêques suisses.

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Tableau 2 : Acteurs du pèlerinage

Comitéd’organisation

du PSSA

PSSA

Abbaye

M.-A. Reychanoine

F. Ilungaprêtre

Pères Blancs

Cl. Maillard

F. Zimmermann, M. Leiggener (†)*

Missio

Comité du GCMSR

Cl. Didierlaurent L. BarmanE.

Sindayihebura

H. NgueziYa Kuiza

* Ces deux personnes ne font aujourd’hui plus partie de l’organisation du PSSA.

2.2. L’Eglise catholique suisse et les migrants Replaçons maintenant le PSSA dans le contexte plus général de l’attitude de l’Eglise catholique envers les communautés de migrants. La Conférence des Evêques suisses (CES) possède une commission, nommée Migratio, qui est chargée de la pastorale des migrants. C’est Migratio qui est en charge d’organiser une prise en charge pour toutes les vagues de migrants qui arrivent sur le territoire suisse. Cette prise en charge a pris dès les années 1950 la forme de missions linguistiques. Au niveau de l’Eglise catholique internationale, c’est dans la période de l’Après-guerre, marquée par des premières migrations massives en Europe, qu’apparaissent les premiers textes régulant la prise en charge des migrants dans les pays d’accueil (voir le travail de Lopez 2004). En particulier, l’ « Instruction sur la pastorale des migrants » de 1969 fixe les bases actuelles de la pastorale des migrants. Ce texte donne en particulier aux évêques la responsabilité de trouver des prêtres parlant la même langue (d’où le terme de mission linguistique) que la population migrante afin de leur accorder une assistance spirituelle. Pour nous, il est intéressant que cette approche accorde une importance déterminante à la langue parlée : elle serait vecteur de différences culturelles qui doivent être prises en compte par l’Eglise du pays d’accueil : « les migrants emportent avec eux leur façon de penser, leur langue, leur culture, leur religion » (Instruction sur la pastorale des migrants : 855). Ces spécificités doivent être respectées par l’Eglise d’accueil, qui doit leur fournir une prise en charge adaptée. Mais le souci est aussi exprimé de ne pas transformer les missions linguistiques en ghettos : les prêtres et évêques du lieu doivent s’impliquer dans la pastorale des migrants, et ne pas laisser les « missionnaires des migrants » s’isoler de la vie locale de l’Eglise. En Suisse, les premières missions linguistiques, italiennes, voient le jour au début des années 1950. Un Conseil national suisse pour l’émigration est créé en 1962, et il est renommé Commission catholique suisse pour les migrants en 196516. Depuis les années 2000, cette

16

Sur la composition et le travail de cette commission, voir Weibel 1991 : 60-65.

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commission est nommée Migratio. Elle reçoit de la Conférence des Evêques suisse la charge de la pastorale des migrants. Les missions linguistiques sont des structures transversales aux diocèses et aux paroisses mais qui partagent les infrastructures des paroisses locales. En 2010, il en existe treize : les missions italienne, portugaise, espagnole, croate, albanaise, philippine, coréenne, polonaise, slovaque, tchèque, tamoule, vietnamienne et hongroise (par ordre décroissant de taille). Chaque mission est composée de différentes communautés (ou une seule, selon la taille), qui sont dispersées sur le territoire suisse. Sur un total de 120 communautés linguistiques, 51 sont italiennes et 18 sont espagnoles. Selon les explications de M. Schmid, l’actuel directeur de Missio, c’est des groupes de migrants que doit venir une demande pour organisation une nouvelle mission linguistique.

D'abord les gens ils viennent ici. Et puis ils sont là, et ils constatent qu'ils ne trouvent pas l'accès à des communautés déjà existantes ici, parce qu'ils ne comprennent pas la langue, ou ils ont une autre culture, un autre rite, hein. […] Pour un qui est pas habitué à voir une liturgie, telle liturgie, ne se sent pas à l'aise, ne se sent pas chez soi. Et puis il commence à parler, peut-être à un responsable de l'Eglise, là ici il prend des contacts. Et puis un jour je reçois un e-mail, voilà, et on demande si on pourrait faire quelque chose et puis moi je prends le premier contact avec ces gens qui ont donné ce désir de avoir aussi quelqu'un qui les accompagne spirituellement. (Entretien avec M. Schmid)17

Migratio a fixé un critère quantitatif à l’établissement d’une mission linguistique : il faut un minimum de 800 bénéficiaires potentiels : « On a certains critères chez nous, développés, que par exemple il faut avoir au moins 800 adresses au moins pour créer une communauté pour eux » (Entretien avec M. Schmid). Selon lui, les défis actuels posés à la pastorale des migrants touchent d’une part à l’avenir des missions linguistiques « anciennes ». Les missions italienne ou espagnole sont en perte de membres et de moyens financiers. La question se pose pour Migratio de la pertinence de les maintenir puisque « c'est déjà la troisième ou même quatrième génération qui est là, est-ce qu'il faut encore faire une pastorale spécifique pour eux ou pas? » (Entretien avec M. Schmid). D’autre part, certaines nouvelles vagues de migration posent un défi. Les migrations en provenance d’Afrique en particulier, citées spontanément par M. Schmid, posent le problème de la masse critique. En raison des différences linguistiques entre les migrants africains, une pastorale unifiée est impossible. Mais aucun groupe linguistique n’est suffisamment grand pour justifier le financement d’un prêtre. Mais alors que les organisateurs du pèlerinage regrettent le manque de structures mises en place par l’Eglise suisse pour ces migrants africains, M. Schmid relève que de son côté aucune demande ne lui est parvenue.

Bon pour les Africains on a pas tellement- C'est pas en discussion parce que bizarrement jusqu’à maintenant j'ai pas reçu une demande de la part des Africains qui aimeraient avoir une communauté. Mais pourquoi, je ne sais pas vraiment... Mais je vois moi-même qu'il y a ce besoin. Et si je parle avec des gens, ils me disent, oui, ils sont un peu perdus les Africains. (Entretien avec M. Schmid)

Migratio a connaissance d’initiatives locales pour la pastorale des Africains, comme l’existence d’une « messe africaine » dans une paroisse de Bâle, mais n’a elle-même aucun projet de la dimension d’une mission linguistique. M. Schmid, nommé au poste de directeur en 2009, s’est aussitôt rendu au Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique à St-Maurice. Voici ses impressions.

Ben je trouvais, voilà, c'était vraiment un lieu où une fois on peut rassembler les Africains ensemble, où ceux qui sont aussi catholiques mais aussi pas catholiques peuvent trouver, se retrouver et aussi [être] reconnus […] Et donc comme ça l'Eglise leur offre de dire « voilà, vous [faites] partie de notre

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Pour toutes les citations issues des entretiens, nous avons pris le parti de conserver la forme orale du discours. Nous n’avons pas transformé les citations pour qu’elles soient grammaticalement correctes, afin de refléter au mieux les manières de parler de nos interlocuteurs.

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communauté, on vous donne un espace et on est avec vous ». Je trouve c'était vraiment un évènement très très bon. […] C'était vraiment une très belle, très belle expérience, au moins de leur offrir une fois par année la possibilité dans leur tradition catholique de se retrouver, de se rassembler, de donner un espace. (Entretien avec M. Schmid)

Enthousiasmé par la journée, M. Schmid prend la décision de lancer le projet d’un pèlerinage africain à l’Abbaye d’Einsiedeln. Il s’agirait d’une offre similaire à St-Maurice mais en Suisse allemande, et autour de la figure de la Vierge noire d’Einsiedeln plutôt que de saint Maurice. Le projet est actuellement en cours d’élaboration avec divers prêtres suisses allemands et devrait avoir lieu pour la première fois en août 2011. Les responsables du PSSA, ayant appris l’existence de ce projet, ont pour le moment refusé de communiquer leurs contacts avec les chorales et les groupes africains, craignant une mise en concurrence des deux pèlerinages. A ce jour, la communication entre Migratio et le GCMSR est nulle, les deux pèlerinages se développant en parallèle.

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3. CADRE THÉORIQUE Pour répondre à nos questions de recherches, nous mobilisons des concepts qui doivent être définis et discutés. Nous commencerons par exposer les deux choix centraux qui ont été effectués dans l’approche des identités collectives : premièrement, il s’agit du choix même de la notion d’identité collective, qui a été préféré à celle d’identité ethnique, raciale ou culturelle. Deuxièmement, nous expliciterons l’approche constructiviste qui est la nôtre. Celle-ci s’appuie notamment sur les travaux de F. Barth, à qui nous empruntons la distinction entre les frontières identitaires (les processus de dichotomisation) et les contenus culturels qui sont associés aux identités collectives (langue, style de vie, attitudes, etc.). Le chapitre suivant sera consacré à ces deux aspects de la construction des identités. Enfin, la dernière partie sera consacrée à deux notions qui expriment des postures face à l’altérité, à savoir le racisme et l’exotisme.

3.1. La construction sociale des identités collectives Les processus de construction des identités collectives et de l’ethnicité ont été abondamment commentés dans la littérature scientifique (Mottier 2000, Poutignat et Streiff-Fénart 2008, Martiniello 1995). Nous avons choisi de nous concentrer sur certains aspects seulement de ces débats, qui nous paraissaient aptes à répondre aux questions de recherche formulées plus haut. Nous commencerons par aborder un problème de vocabulaire conceptuel : nous expliquerons pourquoi nous avons choisi le concept général d’identité collective pour décrire notre objet d’étude. Puis nous décrirons le passage effectué dans les sciences sociales d’une conception essentialiste de l’identité à une perspective constructiviste, à l’exemple du vocabulaire ethnique.

3.1.1. Identité collective, ethnique, raciale ou culturelle ? La notion d’identité, individuelle ou collective, est si délicate et sujette à débats que peu d’auteurs se risquent à la définir. Il est remarquable que dans la plupart des dictionnaires de sociologie ou d’anthropologie sociale n’existe pas d’entrée « identité », ni « identité collective », alors que les tenants de ces deux disciplines utilisent abondamment ce concept. L’une des rares définitions trouvées est celle d’Ashmore et al. :

A collective identity is one that is shared with a group of others who have (or are believed to have) some characteristic(s) in common. […] Such commonality may be based on ascribed characteristics, such as ethnicity or gender, or on achieved states, such as occupation or political party. (2004: 81)

Cette vision présente l’avantage de comprendre une perspective non essentialiste: l’identité collective peut être basée sur la croyance en des traits communs partagés, elle ne correspond pas forcément à une réalité objective. On peut par contre lui reprocher de n’envisager l’identité collective que comme partagée, donc du point de vue des personnes qui font partie du groupe. Qu’en est-il des identités-étiquettes, imposées de l’extérieur, qui ne deviennent pas des identités partagées ou revendiquées ? Cette définition évacue les processus de catégorisation identitaire, sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Nous retiendrons donc la définition d’Ashmore et al. avec la réserve que l’identité n’est pas toujours volontairement partagée. Mais si les débats autour du concept d’identité collective ne nous apportent pas véritablement une problématisation suffisante pour notre propos, certains concepts apparentés ont fait l’objet d’une élaboration diverse et raffinée de la part des chercheurs en sciences sociales : il s’agit de l’identité ethnique en premier lieu, ainsi que de l’identité raciale et de l’identité culturelle. Ces identités-là peuvent être vues comme des sous-catégories de l’identité collective d’Ashmore et al.: elles mettent chacune un accent différent sur ces « caracteristic(s) in

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common » que les membres du groupe sont censés partager. L’identité raciale, ethnique ou culturelle fait référence à ce que les individus concernés pensent partager (ou partagent vraiment, selon le degré de distanciation établi par le chercheur). Cela pose donc le problème ardu de définir a priori ce que partagent les individus. Or, c’est justement ce point qui fera l’objet de notre discussion : comment et sur la base de quels arguments les individus se différencient-ils les uns des autres ? Qualifier a priori ces différences d’ethnique, culturelle ou raciale nous semble d’abord difficile, et constituerait aussi un appauvrissement de la discussion. C’est pourquoi nous choisissons de nous en tenir au terme d’identité collective qui, par sa généralité, permet de ne pas qualifier a priori les traits qui soutiennent la construction d’une identité.

3.1.2. L’identité collective comme construction sociale De manière générale, les auteurs s’accordent sur une perspective constructiviste de l’identité, qu’elle soit qualifiée de culturelle ou d’ethnique : les identités sont construites, produites et reproduites dans les discours et les interactions sociales. La plupart des auteurs s’accordent à dire qu’on ne saurait délimiter dans l’humanité des entités fermées, partageant des traits biologiques ou culturels propres, exclusifs et essentiels. Les termes de race, d’ethnie ou de culture subissent donc le reproche d’essentialiser et de figer les différences culturelles (Kilani 2000a, Rivera 2000a, Bayart 1996)18. Pour éviter de découper eux-mêmes les sociétés en entités distinctes, les sociologues et anthropologues ont donc cherché à mettre l’accent sur la construction sociale de la différence, par exemple en faisant recours aux termes « ethnicité », « ethnicisation » ou « racisation » (Jounin et al. 2008). Il s’agit de se demander non ce qui différencie (objectivement) les groupes humains, mais comment les acteurs eux-mêmes perçoivent et construisent de la différence. Les sciences sociales tentent donc de ne plus elles-mêmes essentialiser ou naturaliser les différences, mais observent comment, dans la société ou au sein des sciences, les différences sont construites comme naturelles. Nous illustrerons cette évolution de la substance au processus à la lumière du vocabulaire ethnique, car ces concepts (ethnie, ethnicité, ethnicisation) ont donné lieu à quantité de publications autant en sociologie qu’en anthropologie, traitant souvent l’ « identité ethnique » comme un concept général englobant (presque) toute forme d’identité partagée. De manière intéressante d’ailleurs, le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie de P. Bonte et M. Izard (1991), sous « identité », renvoie à l’article « ethnie ».

Le vocabulaire ethnique : de l’essence au processus

Le terme d’ethnie est dérivé du grec ethnos, qui désignait « une population aux institutions mal affirmées » (Rivera 2000b : 102) par opposition à la polis antique. Repris ensuite par l’Occident médiéval chrétien pour désigner les païens, le terme garde une connotation de manque, d’imperfection (Taylor 1991 : 242). Dans le contexte de la colonisation, dès le XIXe siècle, le concept d’ethnie prend son sens moderne, d’un « ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille » (Taylor 1991 : 242). C’est donc dans le contexte où l’Occident conquiert et domine le reste du monde que le terme devient courant dans les sciences. Cette volonté de classifier les populations soumises en groupe distincts sert directement la politique coloniale, en simplifiant la complexité des groupements humains conquis. Mais cette vision essentialiste va longtemps persister dans les sciences sociales. C’est dans les années 1960, notamment avec le texte de Barth (2008, paru en 1969) sur les

18 Certains auteurs relèvent d’ailleurs combien parfois les termes de race, ethnie et culture sont utilisés pour désigner une même réalité : « D’aucuns pensent que le terme [d’ethnie] serait le plus approprié pour nommer les différences sans recourir au vocabulaire racial ; d’autres enfin le considèrent, ou le « pressentent » comme plus spécifique et plus juste, sinon plus noble que le terme de culture. » (Rivera 2000b : 98).

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groupes ethniques, que s’amorce une rupture19. On reproche au concept d’ethnie d’essentialiser la différence culturelle :

En réalité, même si le terme d’ethnie est jugé plus neutre ou moins connoté que certains autres, il cache souvent […] cette conviction ou ce préjugé que la différence dans la culture ou dans le mode de vie se fonde sur quelque principe ancestral ou quelque identité originelle. (Rivera 2000b : 98)

Ce reproche d’essentialisation, de clôture des groupes, mènera certains auteurs à adopter le terme d’ethnicité (Rivera 2000b, Jenkins 2003, Bastenier 2004, Martiniello 1995). Ce concept se réfère non pas aux différences perçues entre les groupes, à leur substance, mais à la « construction sociale et politique de ces substances et de ces différences biologiques et culturelles » (Martiniello 1995 : 18). Ce concept apporte donc une perception constructiviste de l’identité ethnique, se focalisant sur la construction d’une pertinence sociale accordée à certains traits culturels ou biologiques, plutôt qu’à leur réalité. On étudie le processus de l’ethnicité plutôt que la substance de l’ethnie. Afin d’insister plus encore sur la dimension processuelle de la construction de l’identité ethnique, certains auteurs ont opté pour un autre néologisme : l’ethnicisation (De Rudder 1995, Rivera 2000b, Jounin et al. 2008). Ce terme décrit un processus social qui voit des arguments ethniques prendre le dessus sur d’autres dans l’organisation des rapports sociaux :

On identifie sociologiquement ou politiquement un processus d’ « ethnicisation » des rapports sociaux lorsque l’imputation ou la revendication d’appartenance ethnique […] deviennent […] des référents déterminants (englobants et dominants, voire exclusifs) de l’action et dans l’interaction. (De Rudder 1995 : 42)

En contraste avec le terme d’ethnie, l’ethnicisation comprend une perspective processuelle et complexe de la construction d’une identité, qui peut être aussi bien imputée que revendiquée, et qui surtout est vue comme construite. Comme le soulignent Jounin et al., « le recours au concept d’ethnicisation est un moyen, pour les chercheurs, de spécifier une posture théorique et épistémologique à la fois dynamique, constructiviste et relationnelle » (2008 : 10). Ce bref parcours du vocabulaire ethnique employé en sciences sociales laisse ouvert le débat de fond : que sont ces caractéristiques ethniques, ces traits qui, une fois mis en avant, constitueraient la base des identités ethniques ? Qu’auraient-ils de spécifique ? A quoi s’opposent-ils ? En d’autres termes, lorsque l’on a montré, à juste titre à notre avis, que l’ « identité ethnique » est une construction, un processus, a-t-on pour autant spécifié en quoi elle serait « ethnique » ? Si l’on prend la définition de l’ethnicité par Martiniello, on relève qu’il estime que de nombreuses dimensions de l’identité peuvent servir de base à la construction d’une identité ethnique :

[L’ethnicité] repose sur la production et la reproduction de définitions sociales et politiques de la différence physique, psychologique et culturelle entre des groupes dits ethniques. (Martiniello 1995 : 18)

Bastenier (2004) lui, revendique avec Juteau (1999) une définition culturelle de l’ethnicité : elle serait « un rapport social au sein duquel sont mobilisées et rendues opérantes les différences culturelles entre les acteurs sociaux » (Juteau 1999 : 177, cité par Bastenier 2004 :142). L’ethnicité est donc vue comme un type de différenciation sociale qui s’appuierait sur un registre culturel. D’autres auteurs, comme Barth (2008 : 213) ou Poutignat et Streiff-Fénart (2008 : 154), donnent aussi une définition large de l’ethnicité bâtie sur la « différence culturelle ». S’il faut saluer les efforts des chercheurs pour s’éloigner de toute essentialisation

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Mais l’on peut déjà lire une prise de distance vis-à-vis du substantialisme ethnique dans les travaux de Max Weber, qui met en valeur l’importance du sentiment d’appartenance dans la définition des groupes ethniques, et donc la nature symbolique de l’ethnicité (Weber 1971 (1922)).

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des groupes humains, le vocabulaire ethnique semble donc ne pas offrir de solution miracle ; c’est pourquoi, nous l’avons signalé, nous ne l’utiliserons pas dans ce travail.

3.2. Frontières et contenus culturels L’approche développée par Barth dans un essai publié en 1969 a marqué fortement la recherche sur les identités collectives. Bien que n’utilisant pas le terme « ethnicité » mais celui de « groupe ethnique », il invite à s’intéresser à la construction sociale de la différence, et cela en rupture nette avec les conceptions essentialistes antérieures. Il reproche aux sciences sociales d’avoir étudié les groupes humains comme des entités figées, établissant une équation simple « une race = une culture = une langue » (2008 : 206).

Cette définition nous induit à penser que le maintien des frontières n’est pas en soi problématique et découle simplement de l’isolement qu’impliquent les caractéristiques recensées. […] Cette histoire a produit un monde de peuples séparés, ayant chacun sa propre culture, et étant chacun organisé en une société que l’on peut légitimement isoler pour la décrire comme une île coupée du reste du monde. (2008 : 207-208)

Prenant le contrepied de ces approches, Barth propose de s’intéresser plutôt aux processus de traçage des frontières entre les groupes, qu’il oppose aux « contenus culturels » attribués aux identités.

Le point crucial de la recherche devient la frontière ethnique qui définit le groupe, et non le matériau culturel qu’elle renferme. (2008 : 213)

C’est le principe de dichotomisation, qui préside à l’émergence de groupes ethniques, qui intéresse Barth, et non les contenus culturels qui sont utilisés pour construire la frontière. Dans un processus de dichotomisation, le « nous » et le « eux » sont vus comme différents en termes de langue, de religion, de style de vie, de valeurs, d’attitudes (Bastenier 2004 : 136). Ces caractéristiques sont bien entendu une construction sociale et ne sont pas forcément objectives.

Certains traits culturels sont utilisés par les acteurs comme signaux et emblèmes de différences, alors que d’autres ne sont pas retenus. […] Seuls les facteurs socialement pertinents deviennent discriminants pour diagnostiquer l’appartenance, et non les différences manifestes « objectives » qui sont engendrées par d’autres facteurs. Quels que soient les écarts manifestes de comportement entre les membres du groupe, cela ne fait aucune différence. (Barth 2008 : 211-212)

L’argument principal de Barth pour ne pas se focaliser sur ces contenus repose sur le fait que les frontières persistent même lorsque le contenu culturel associé à un groupe se modifie ou lorsque des membres du groupe changent d’appartenance identitaire (2008 : 204, 241). Ainsi, il invite les chercheurs à se focaliser sur la construction sociale de la différence, sur la dichotomisation des identités, qui seules permettent de comprendre l’émergence et la persistance des groupes ethniques. Si cette posture constructiviste nous semble éminemment intéressante, nous pensons avec Bastenier (2004 : 136) que les contenus culturels ne sont pas pour autant dénués d’intérêt. En effet, ces contenus, mêmes changeants et subjectifs, jouent un rôle important dans les relations sociales entre les groupes, qu’elles soient amicales ou hostiles. Ce sont ces contenus essentialisés qui sont au cœur de la reproduction sociale des identités et des mobilisations qui peuvent prendre les identités pour objet. Les stéréotypes, images-types associées à un groupe d’individus, peuvent avoir des effets sociaux concrets (par exemple une discrimination à l’embauche pour des Africains victimes d’un stéréotype négatif les qualifiant de « peu ponctuels»). Si la frontière définit le « qui » - qui sommes-nous ? qui sont-ils ? – les contenus culturels définissent le « comment », même provisoirement, même de manière contradictoire. Nous allons donc maintenant aborder les deux dimensions de la construction des identités différenciés par Barth : le traçage des frontières et les contenus culturels.

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3.2.1. Le traçage des frontières Le processus de traçage de frontières décrit par Barth et repris par Mottier sous le terme de boundary drawing (2002) consiste en une construction d’un « soi » et d’un « autre ». Il s’agit d’observer les mécanismes par lesquels des groupes humains se posent comme différents d’autres groupes, ou affirment la différence des autres. Ce processus est éminemment relationnel, mettant toujours en jeu deux entités : l’endogroupe et l’exogroupe. Il est aussi agissant sur la réalité et les relations sociales.

Dimension relationnelle de l’identité

Un point sur lequel les sociologues et anthropologues contemporains s’accordent en général est la dimension relationnelle de l’identité. L’identité est toujours dialogique : elle met en jeu aussi bien le « soi » que l’ « autre » (Kilani 2000a). Poutignat et Streiff-Fénart relèvent que « le Nous se construit par opposition au Eux » (2008 : 134). Lorsqu’un collectif se définit et s’identifie comme un « nous », il le fait nécessairement en excluant un ou d’autres collectifs, les « eux ». Comme le dit Bastenier à propos de l’ethnicité,

on n’assiste jamais à l’émergence d’une affirmation ethnique isolée, mais à celle d’un système d’affirmations ethniques complémentaires se répondant par le truchement d’un réseau d’imputations identitaires croisées. (Bastenier 2004 : 132)

Les termes d’endogroupe et d’exogroupe (Gallissot 2000a) peuvent être utiles pour désigner les acteurs impliqués. L’endogroupe est ce que de nombreux auteurs appellent simplement le « nous », soit le groupe auquel s’identifie le locuteur d’un discours. L’exogroupe constitue les « autres » ou le « eux ». Bien entendu, chaque groupe humain est simultanément, selon le point de vue, endogroupe et exogroupe. Ce processus peut être aussi décrit par les termes utilisés par Mottier (2005): ordering et othering. La construction d’une identité crée un ordre, une organisation, parmi les individus en présence, et à altériser une partie de ces individus, à en faire des « autres ».

Définitions endogène et exogène

Selon que la définition d’un groupe est imposée de l’extérieur ou émise par les membres du groupe eux-mêmes, certains chercheurs ont choisi de différencier une catégorie sociale d’un groupe social (Poutignat et Streiff-Fénart 2008, Lamont et Bail 2005, Jenkins 2003).

[A category is] a class whose nature and composition is decided by the person who defines the category ; for example, persons earning wages in a certain range may be counted as a category for income tax purposes. A category is therefore to be contrasted with a group, defined by the nature of the relations between the members. (Mann 1983: 34)20

La catégorie sociale est construite de l’extérieur, par une définition exogène21, le groupe social par une définition endogène. Il ne faut pourtant pas considérer qu’un groupe humain puisse être classifié définitivement comme catégorie ou comme groupe : cette distinction est avant tout analytique et met simplement l’accent sur le double aspect – interne et externe – de toute construction d’identité.

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Il faut relever le terme de « classe » utilisé par Mann, qui fait le lien avec les théories marxistes. Jenkins (1996) relève le parallèle entre les pôles catégorie/groupe et classe en soi/classe pour soi. Les premiers termes de chaque duo sont définis par l’extérieur selon une caractéristique que les membres du groupe auraient en commun (dans le cas de Marx : le rapport aux moyens de production) ; les seconds termes désignent un groupe qui considère partager cette caractéristique commune et se constitue une conscience de classe. Cette parenté avec les théories marxistes souligne le potentiel de chaque catégorie de devenir un groupe, mettant ainsi en lumière la potentielle puissance de la catégorisation sociale, qui peut en venir à faire exister ce qu’elle nomme. 21

Poutignat et Streiff-Fénart parlent d’ « endodéfinition »/« exodéfinition » ou de « définition endogène/exogène », Jenkins (2003) de « définition interne » et « définition externe ».

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Most social collectivities can be characterized as, to some extent, defined in both ways. Each side is implicated in the other and social identity is the outcome of the conjunction of processes of internal and external definition. Whether, in any specific instance, one chooses to talk about a group or a category will depend on the balance struck between internal and external processes in that situation. It is a question of degree. (Jenkins 2003 : 62)

Les définitions endo- et exogènes sont en constante redéfinition et s’influencent mutuellement. En particulier, Poutignat et Streiff-Fénart se sont intéressés à cette dialectique et affirment qu’endo- et exodéfinition « sont rarement congruentes mais nécessairement liées entre elles » (2008 : 156). Ce sont donc surtout les processus de construction des catégories et des groupes par les définitions endo- et exogènes (catégorisation et identification) qui intéressent les chercheurs (Jenkins 2003, Lamont et Bail 2005, Poglia Mileti 2000, Tajfel 1972).

La performativité des discours identitaires

Enfin, il faut préciser que les constructions identitaires, et a fortiori les mécanismes de définition exogène (ou catégorisation sociale) ne sont pas sans effets sur les groupes concernés. Mottier (2005) s’appuie en cela sur les travaux d’Austin sur la performativité du langage : tout énoncé contient une dimension d’action sur la réalité sociale (voir Austin 1991, Searle 1969, Butler 1993). Cette idée a été largement reprise dans les recherches sur l’ethnicité.

Le fait que l’ethnicité soit un artefact, un modèle, une « fiction » ou un critère de classement et d’auto-identification ne signifie pas pour autant que les catégories définies par elle soient des cases vides. Au contraire, ces catégories sont investies d’une grande charge affective et émotionnelle, et perçues comme des données réelles par ceux qui se reconnaissent en elles […]. En somme, bien qu’elle soit une construction idéologique, l’ethnicité n’est pas une illusion, puisqu’elle a une efficacité sociale. […] L’identité ethnique a une valeur performative, en ce sens qu’elle finit effectivement par orienter le comportement des acteurs sociaux et par leur offrir un horizon de sens et une possibilité de mobilisation. (Rivera 2000b : 108-109)

Ainsi, la catégorisation sociale comporte également une dimension normative : « dire qui est l’Autre, c’est par conséquent aussi dire – et lui dire – ce qu’il doit être, et comment il dit se comporter à la place qu’on lui assigne » (Poglia Mileti 2000 : 5). Une identité, même imposée de l’extérieur (comme par exemple la catégorie des homosexuels, construite par la médecine), peut aussi être appropriée par le groupe concerné et devenir le support de revendications politiques.) Nous avons donc vu que la construction des identités collectives passe par le traçage d’une frontière entre un endogroupe et un exogroupe, processus qui tend à définir en même temps les deux entités. Les définitions endogènes et exogènes des collectifs peuvent entrer en conflit aussi bien qu’être revendiquées. Nous allons maintenant nous intéresser à l’autre aspect des identités : les contenus culturels qui leur sont associés.

3.2.2. Les contenus culturels : stéréotypes et reproduction Les discours identitaires se nourrissent et s’accompagnent de nombreux stéréotypes, « images raccourcies » qui attribuent à un groupe, de manière uniforme et indistincte, des traits de caractère ou de comportement. C’est par le biais des stéréotypes que nous avons choisi de traiter les traits culturels associés à chaque identité collective. En effet, parmi les contenus culturels évoqués par Barth (2008) ou par Bastenier (2004) (langue, religion, style de vie, valeurs, attitudes), c’est surtout en termes de comportement ou de traits de caractères que les groupes sont caractérisés dans nos données. Le stéréotype, en tant qu’image simplifiée de l’autre, nous a paru un concept propre à qualifier ces constructions. Si la dichotomisation des identités informent sur qui est l’autre (et qui nous sommes), les stéréotypes informent sur

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comment est l’autre, comment il se comporte. Parmi les stéréotypes courants, on peut mentionner celui de la blonde idiote, de l’Ecossais rusé ou du Juif avare. Ces exemples nous montrent que les stéréotypes peuvent s’appliquer à tout type de collectif, déterminé par des traits physiques, une nationalité ou une religion. Nous commencerons par examiner une définition du stéréotype et à en discuter les différentes dimensions. Nous verrons que le stéréotype peut être défini comme un schéma de pensée collectivement partagé et porteur d’un jugement de valeur. Puis nous aborderons les manières dont les stéréotypes sont mis en scène afin de renforcer l’identité de groupe.

Définition

Le terme de stéréotype a une origine typographique : au XIXe siècle, un ouvrage stéréotype est imprimé avec des planches typographiques fixes, que l’on réutilise pour d’autres tirages (Amossy et Herschberg Pierrot 1997). La notion est introduite en 1922 dans les sciences sociales par W. Lippmann dans Public opinion (1997 (1922)) ; celui-ci qualifie le stéréotype assez vaguement d’« image dans notre tête ». Suivant cette idée, les chercheurs, principalement des psychologues sociaux, qualifient le stéréotype d’image mentale, de représentation ou de schéma (Amossy 1991 : 26-27). Nous proposons de retenir la définition de Nederveen Pieterse:

Stereotypes are taken to be schemas or sets which play a part in cognition, perception, memory and communication. Stereotypes are based on simplification and generalization, or the denial of individuality; they can be either negative or positive. Though they may have no basis in reality, stereotypes are real in their social consequences, notably with regard to the allocation of roles. They tend to function as self-fulfilling prophecies. (1992: 11)

Revenons sur divers éléments de cette définition. - Simplification et généralisation. Le stéréotype simplifie et généralise : c’est un

« schéma abstrait » qui standardise et réduit les caractéristiques d’un groupe à quelques traits supposés significatifs. « Il tend à cerner un groupe par quelques traits et à désigner toutes les unités qui le composent par ces éléments, sur le mode « Quand on en a vu un, on les a tous vus ». » (Kilani 2000b : 250). Ce faisant, les membres du groupe sont dés-individualisés : ils sont vus comme uniquement sous l’angle de leur appartenance collective. Ceci ne veut pas dire que le stéréotype soit nécessairement faux, inventé de toutes pièces (voir ci-dessous, « Lien avec la réalité »).

- Positif ou négatif. Les stéréotypes portent donc un jugement de valeur et une dimension normative. Mais le stéréotype n’est pas toujours négatif, agressif ou moqueur : les images du « noir avec le rythme dans la peau » ou de la « femme douce et attentionnée » en témoignent.

- Le rôle constructif des stéréotypes. Cette idée peut être mise en lien avec la notion de « bivalence du stéréotype » développée par R. Amossy. Le stéréotype est en effet souvent perçu, notamment par le sens commun, comme un terme péjoratif. Le stéréotype simplifie à outrance, tronque la réalité, généralise ; bref, il n’est pas critique. Si tout cela est vrai, et potentiellement destructeur (dans le cas où le groupe stéréotypé se trouve gravement discriminé), le stéréotype a aussi une valeur constructive : il permet l’appréhension et la compréhension du monde social. « Nous avons besoin de rapporter ce que nous voyons à des modèles préexistants pour pouvoir comprendre le monde, faire des prévisions et régler nos conduites. » (Amossy et Herschberg Pierrot 1997 : 28). Ainsi, le stéréotype ne fournit pas un simple répertoire d’images que l’on reproduit, il permet de lire et de comprendre le monde social dans des termes certes simplifiés mais ainsi plus faciles à retenir et à comprendre.

- Lien avec la réalité. Les stéréotypes « peuvent se propager en dehors de toute base objective » (Amossy et Herschberg Pierrot 1997 : 36) ou expérience personnelle. Les

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représentations des femmes véhiculées par les médias et la culture renforcent et entretiennent des stéréotypes comme celui de la femme bonne ménagère ou objet esthétique (1997 : 37). C’est dans ce sens que certains ont qualifié le stéréotype de croyance, relevant de l’imaginaire plutôt que du réel. Mais ce n’est pas forcément le cas : le stéréotype peut être également basé sur une expérience personnelle ou des données scientifiques. Pour le dire dans les termes de l’individualisme méthodologique, les acteurs peuvent avoir de « bonnes raisons » d’appliquer un stéréotype à un groupe (Boudon 2003 ; voir aussi Stolz 2000 : 35-36). Il n’appartient cependant pas au chercheur d’apporter un jugement sur ce point. Nous montrerons quels sont les stéréotypes qui sont véhiculés, sans se prononcer sur leur pertinence.

- Efficacité sociale. Le stéréotype peut avoir une efficacité sociale concrète. Il n’est pas cantonné au monde des représentations mentales et des discours, mais il peut avoir, comme la race, des effets réels. Notamment, les groupes qui font l’objet d’un stéréotypage sont enclins (ou poussés) à s’y conformer : les femmes continuent à exercer la plupart des métiers liés à la petite enfance (Ballif 2008). D’autre part, certains groupes peuvent instrumentaliser le stéréotype, comme les Japonais abondamment décrits par la presse et la littérature comme ayant une mentalité profondément non occidentale.

Il est en effet fréquent de décrire et de reconstituer l’ « énigme » japonaise en insistant sur l’incompatibilité de ce système avec celui des pays occidentaux : ils sont différents, ils n’observent pas les mêmes règles que nous, etc. Arguments d’autant plus écoutés qu’ils sont avancés par les Japonais eux-mêmes, qui ont amplement utilisé l’argument de la différence contre toutes les critiques et pour ne pas faire de concessions. (Kilani 2000b : 264)

La définition de Nederveen Pieterse du stéréotype, bien que riche, nous semble manquer de quelques éléments essentiels. Aux dimensions évoquées devrait encore être ajouté que les stéréotypes sont changeants et historiquement déterminés. Si certaines images traversent les siècles (la femme « bonne mère », d’autres changent radicalement (de l’Africain « bon sauvage » au trafiquant de drogue). De plus, le stéréotype est une image élaborée et reproduite collectivement ; il ne s’agit pas d’un schéma individuel.

Il s’agit des associations d’idées partagées par les membres d’un groupe, idées si prégnantes qu’il est difficile de s’y attaquer et de remettre en question. […] Le stéréotype est un schéma abstrait donné d’avance par le milieu social et culturel […]. (Kilani 2000b : 249)

Le stéréotype est une image abstraite partagée. Pour être qualifié de stéréotype, il faut donc qu’un cliché soit partagé par un certain nombre des personnes, soit intelligible et agissant pour une collectivité.

Reproduction de l’identité

Si nous considérons les stéréotypes comme construits, ils sont aussi l’objet de mises en scène et de représentations, qui rendent visibles et perceptibles l’identité et l’altérité. C’est dans ce sens qu’Ebaugh et Saltzman Chafetz (2000) s’intéressent à la reproduction de l’ethnicité dans leur étude sur les communautés religieuses de migrants aux Etats-Unis. Elles relèvent que l’appartenance au groupe est marquée et reproduite non seulement par des discours et des dispositifs institutionnels (en l’occurrence : la mise sur pied de communautés religieuses « ethniques »), mais aussi par les vêtements portés lors des cérémonies, les objets mis en avant, et la nourriture consommée. Ces signes extérieurs contribuent à créer et reproduire ce que les membres des communautés considèrent comme leur identité partagée. Lemercier (2010) relève un phénomène similaire dans une étude sur les politiques locales françaises de mixité ethnique. Elle signale que les fêtes organisées dans les quartiers par les autorités locales, censées promouvoir les « échanges interculturels », comportent

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nécessairement un partage de nourritures diverses censées représenter la « culture d’origine » des migrants.

Pourtant, ce sont les acteurs des institutions publiques locales qui gèrent cette mise en scène de la diversité culturelle. Ce faisant, ils forcent l’accent culturel et contribuent à fabriquer une communauté là où elle n’existe pas. (2010 : 110)

Ainsi, ces études nous invitent à nous interroger sur la mise en scène des identités collectives, et sur les effets en retour de cette mise en scène sur la construction des identités. Nous avons choisi d’insister sur certaines dimensions des stéréotypes, parce qu’elles nous permettent d’établir un dialogue intéressant avec notre travail de terrain. D’une part donc, nous retiendrons que les stéréotypes simplifient et généralisent un trait de caractère à un groupe entier. Ils sont toujours porteurs d’un jugement de valeur, et nous renseignent donc sur l’image globale que chaque groupe a de l’autre. Dans le cas où les stéréotypes sont globalement valorisants pour l’exogroupe – et nous verrons que nous retrouvons cette configuration dans le cadre du PSSA – il faudra nous interroger sur ce que cela nous dit des positions de chacun. Enfin, l’approche de la « reproduction de l’ethnicité » nous amène à nous intéresser à la mise en scène des caractéristiques associées à chaque groupe. A l’ « Africain » étant attribué le stéréotype du bon musicien, dans quelles formes concrètes s’exprime-t-il ? Et comment ces mises en scène peuvent-elles renforcer la frontière et le sentiment de cohésion d’un groupe ?

3.3.Racisme et exotisme Nous allons maintenant nous intéresser à deux postures face à l’altérité que la littérature a décrites : le racisme et l’exotisme. Comme nous l’avons vu, la construction d’identité collective définit l’endogroupe aussi bien que l’exogroupe, et lui attribue des caractéristiques. Nous nous interrogeons maintenant sur la posture des uns par rapport aux autres. A priori, on pourrait considérer que le racisme désigne une posture hostile face à l’altérité, alors que l’exotisme représente une opinion favorable. Mais nous verrons que les définitions des deux termes ne sont pas si simples. Les chercheurs ne s’accordent pas sur la spécificité du racisme par rapport à d’autres formes de différenciation sociale basées sur des éléments culturels22. Nous commencerons par discuter de la notion de race, qui est à l’origine du concept de racisme, puis nous examinerons quelques définitions du racisme et du néoracisme. Quant à l’exotisme, il a donné naissance à la figure ambiguë du « bon sauvage », que nous présenterons.

3.3.1. La notion de race Les origines de la notion de race sont placées par Delacampagne déjà dans l’Antiquité grecque (1983). D’autres affirment que jusqu’au XVIIIe siècle, le mot « race » ne désignait qu’un lignage et non un groupe humain (Guillaumin 2002 : 80). La notion de race connaît en tout cas un essor fulgurant au XVIIIe siècle. A ce moment-là apparaît la volonté de classer les êtres humains, comme les plantes et les animaux, dans des catégories ; ce sera fait selon des

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Notamment, le racisme n’est pas toujours clairement différencié de l’ethnisme (soit la pensée qui sépare les êtres humains entre groupes ethniques). De Rudder et al. (2000) soulignent les points communs entre les processus d’ethnicisation et de racisation : tous deux placent les individus dans une catégorie fixée par la naissance, sont des processus d’altérisation et se fondent sur des rapports de pouvoir. Cependant, la racisation comporterait une rigidité décisive : en naturalisant la différence, elle l’absolutiserait et interdirait tout changement de groupe identitaire (De Rudder et al. 2000 : 32-33). De la même manière, Jounin et al. (2008) considèrent la racisation comme une ethnicisation radicale (2008 : 12). Bastenier (2004), lui, insiste sur la nécessité de ne pas plaquer le cadre de lecture du racisme aux phénomènes contemporains, qui relèvent selon lui exclusivement de l’ethnicisation, car la différenciation sociale ne serait plus basée sur les différences biologiques (la race) mais culturelles (l’ethnie) (2004 : 135).

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critères somato-morphologiques (teinte de la peau, forme du crâne, du nez, etc.). La race est un concept issu de la zoologie, qui désigne les sous-catégories des espèces animales (comme par exemple les races canines). Appliqué à l’espèce humaine, ce concept reviendrait à classifier les groupes humains selon leurs différences morphologiques ou génétiques héréditaires. Les tentatives de classement en race de l’espèce humaine ont donné lieu à une multitude de modèles différents. Cette notion est aujourd’hui largement abandonnée par les sciences naturelles et sociales, en grande partie parce que de nombreuses études ont montré son inanité scientifique23. « La subdivision en races ne rend compte que d’une part très faible de la diversité génétique propre à l’espèce humaine » (Hiernaux 1991 : 611), cela s’ajoutant au fait que les typologies racistes sont nombreuses et variées. Mais pour des chercheurs comme Guillaumin, de toute façon, la question n’est pas celle de la réalité de la race, mais celle de son usage social.

Jamais […] nous n’avons tenté d’établir si oui ou non la réalité de la race physique existait, puisque la société, dans sa perception de la race, n’y accorde elle-même aucune importance : elle pose cette réalité aussi bien inconsciemment que consciemment. (2002 : 19)

La race est vue par Guillaumin, dans son ouvrage central sur l’idéologie raciste (2002), comme appartenant à l’univers de l’imaginaire, du symbolique : « une différence physique réelle n’existe que pour autant qu’elle est ainsi désignée, en tant que signifiant, par une culture quelconque » (2002 : 96-97). C’est l’élaboration sociale de la différence qui fait exister la race, et non la réalité physique. « L’apparence, contrairement aux affirmations racistes sans cesse reposées, joue un rôle relativement secondaire [dans la notion de race], c’est la croyance en la différenciation bio-physique – et non l’apparence – qui est impliquée » (Guillaumin 2002 : 95)24. Kilani qualifie en conséquence la race de croyance en une différence biologique.

La notion de race est dans ce sens une croyance, la croyance en une différenciation biologique. A ce titre, elle effectue une « biologisation de la perception » qui amalgame le trait physique et le trait culturel. C’est du maniement de la marque biologique qu’elle tire son efficacité. (2000a : 30)

Car c’est bien cela qui fait la spécificité de la notion de race, ce qui la définit du point de vue sociologique : il s’agit d’une construction culturelle, une classification des êtres humains ancrée dans un argumentaire biologique. Mais Guillaumin et Kilani relèvent également que la non-pertinence scientifique de la notion de race n’enlève rien à son efficacité sociale et à sa persistance dans le sens commun.

Aussi peu fondée soit-elle sur le plan scientifique, la notion de race fonctionne comme une représentation sociale efficace, et le chercheur doit en rendre compte dans les termes de sa construction et de son fonctionnement. Malgré l’abolition de la notion de race dans le champ de la biologie et de la génétique des populations, et la répudiation de son emploi dans le langage des sciences humaines, celle-ci ne reste pas moins agissante dans le discours quotidien, elle n’en relève pas moins d’un usage banal que l’on ne peut ignorer. (Kilani 2000a : 29-30)

Ainsi, si la race n’existe pas scientifiquement, elle n’en a pas moins des conséquences sociales directes. L’on peut penser par exemple au régime de l’apartheid en Afrique du Sud, aboli en 1994, dans lequel l’attribution d’une race à chaque individu était obligatoire et impliquait des droits et devoirs très différenciés25. Les sociétés anglo-saxonnes font également

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Voir Taguieff 1987 : 100-102 et Bonniol 1992. 24

Cet argument mène Guillaumin à adopter une définition très large de ce qui peut être identifié comme une race dans la société. Pour elle, toutes les « catégories institutionnelles revêtues de la marque biologique » (2002 : 12), soient les genres, les catégories d’âge, dans certains cas les catégories sociales (classes) ou légales (aliénés, criminels, marginaux) sont traités de manière similaire, et sont donc considérés comme racisées. Nous reviendrons plus bas sur les conséquences de cette vision sur sa définition du racisme. 25

Un très intéressant documentaire de Yolande Zauberman, tourné clandestinement en Afrique du Sud en 1988, montre par ailleurs à quel point les races créées par le régime sud-africain étaient une construction culturelle et non une évidence

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usage de la race pour classifier leurs citoyens. Dans tous ces systèmes, la postulation de l’existence d’une « race noire » est une constante.

3.3.2. Définitions et dimensions du racisme Si la race est un concept classificatoire, le racisme est en général désigné comme le volet idéologique ou théorique qui l’entoure. Si les auteurs ne s’accordent pas sur les dimensions à inclure dans le racisme, il existe un consensus qui place l’émergence du racisme dans le contexte occidental et colonial du XIXe siècle. A cette époque, sous l’influence notamment des sciences naturelles et dans le contexte de la colonisation, la pensée historique et sociologique adopte une vision biologisée des groupes humains et du monde. La pensée même de la différence biologique n’est pas nouvelle, on l’a vu avec la notion de race. Mais le XIX e, « en affirmant avec force le principe de la causalité biologique, va porter à son accomplissement la perception de l’autre comme définitivement et par essence différent. » (Rivera 2000c : 118). On a donc, selon les termes de Guillaumin, l’introduction d’une « coupure au sein de l’humanité » (2002 : 40) : les groupes racisés sont irrémédiablement différents, par la force de la biologie. Et le franchissement des frontières devient par conséquent impossible, les groupes humains étant définis par leurs marques physiques. Nous examinerons trois définitions proposées par des chercheurs en sciences humaines. Elles nous permettront d’aborder différentes dimensions du racisme. La première est proposée par Todorov (1989). Celui-ci prend d’abord le parti de différencier racisme et racialisme : le premier serait un « comportement, fait le plus souvent de haine et de mépris à l’égard des personnes ayant des caractéristiques physiques bien définies », tandis que le racialisme serait une « idéologie » sur les races humaines (1989 : 133). De fait, ce que Todorov entend par racialisme correspond à ce que les autres chercheurs nomment racisme (une idéologie spécifiquement moderne, née au XIXe siècle), ce qui nous permet de nous pencher ici sur sa définition du racialisme – nous reviendrons plus loin sur le volet comportemental du racisme. Pour Todorov donc, le racialisme peut être résumé par cinq propositions fondamentales (1989 : 133-140):

1. L’existence de races : le racialisme « affirme l’importance et la pertinence de cette notion » (1989 : 134).

2. La continuité entre physique et moral : les différences physiques sont considérées déterminer des différences culturelles.

3. L’action du groupe sur l’individu : « le comportement de l’individu dépend, dans une très large mesure, du groupe racio-culturel […] auquel il appartient » (1989 : 136-137). En d’autres termes, l’action individuelle est déterminée par la race.

4. La hiérarchie unique des valeurs : l’idéologie racialiste classe et hiérarchise les races selon des valeurs ethnocentriques.

5. La politique fondée sur le savoir : le racialisme comporte une volonté d’agir sur le monde social afin de le faire correspondre à sa vision du monde (par exemple par une politique de non-métissage).

Selon le propos de Todorov, le racialisme est donc ancré dans la notion de race et l’idée d’un déterminisme biologique (la race, définie en terme physiques, déterminant le comportement individuel). Il procède en outre d’une vision ethnocentrique du monde et des populations humaines. Mettons cette définition en regard de celle de Rivera :

biologique. En effet, lors des procès de classification des individus, le critère biologique était le premier argument (couleur de peau, test du crayon dans les cheveux – si le crayon est retenu par la chevelure, l’individu est « noir »). Mais les critères sociaux ont également un rôle à jouer : les relations sociales, le parcours de vie ou le quartier d’habitation pouvaient être déterminants dans l’attribution de la race. De nombreuses personnes ont d’ailleurs bénéficié ou pâti d’un « reclassement » dans une autre race, sans bien entendu que les données biologiques aient été modifiées.

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[…] le racisme est très exactement la croyance en l’inégalité postulée comme fondée sur des critères physiques ou héréditaires. Ce qui caractérise le racisme, stricto sensu, est l’idée que le comportement, la culture et la personnalité d’un individu ou d’un groupe sont déterminés par certains de ses caractères somatiques, ou par son patrimoine biologique ou génétique. C’est également l’idée que, sur la base de cette prétendue détermination, on peut établir une hiérarchie entre les groupes humains qui rend légitimes les rapports de domination, d’exclusion, de persécution ou d’extermination. (Rivera 2000d : 215-216)

Cette définition reprend les principaux arguments de la version de Todorov : différenciation basée sur le biologique, détermination du comportement individuel par le biologique, hiérarchisation de la différence (« inégalité ») et conséquences concrètes (domination, exclusion, persécution, extermination). Par contre, on ne trouve pas chez Rivera la référence directe au terme de race. Si l’on se penche maintenant sur la définition de Guillaumin, on constate qu’elle est beaucoup plus large.

[On nomme racisme] toute conduite de mise à part revêtue du signe de la permanence. Ce signe de mise à part étant actuellement le signe biologique qui offre toute garantie de permanence dans notre système idéologique […]. (2002 : 110-111)

Pour elle donc, le trait central du racisme réside dans l’absolutisation d’une différence (constatée ou supposée) par son ancrage dans la biologie. Si elle postule ailleurs, comme Todorov, que le racisme établit une continuité entre physique et psychique (2002 : 96), les notions de race, de hiérarchie ou de conséquences concrètes sont absentes. Cette définition large amène donc Guillaumin à considérer comme racistes tous les discours différenciateurs et essentialisants basés sur le genre, la couleur de peau, la religion, la nationalité ou la classe (2002 : 281). La notion de race n’est plus que l’une des modalités de la pensée raciste. Si Guillaumin a le mérite de mettre en parallèle des discours différencialistes et essentialisants tous aussi potentiellement destructeurs les uns que les autres, l’on peut se demander s’il est pertinent de tous les étiqueter de « racisme ». N’étant plus liée à la notion de race, la notion de racisme n’y perd-elle pas son contenu? Elle risque en tout cas d’y perdre en précision et en spécificité.

Néoracisme, racisme culturel : un racisme sans race ?

Venons-en maintenant à l’un des points de désaccord entre les trois définitions du racisme présentées : le rapport entre racisme et race. Le racisme est une pensée de la différence certes, mais est-il forcément toujours basé sur des différences raciales, c’est-à-dire somato-biologiques ? Comme nous l’avons vu à l’exemple de Guillaumin, certains auteurs qui se sont penchés sur la question du racisme dans les sociétés contemporaines ont soulevé le même constat : ce sont aujourd’hui les cultures, réifiées et absolutisées, qui sont posées comme des différences incommensurables entre groupes humains, plutôt que les races. Le racisme, devenu honteux après la Seconde Guerre mondiale, est petit à petit remplacé par un différentialisme culturel (Gallissot 2000b : 194) : chaque groupe humain posséderait une culture propre, unique. Dans cette essentialisation constatée des cultures, certains26 ont vu la forme moderne du racisme. On parle alors de « néoraci(ali)sme culturel » ou de « racisme culturel ».

Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un « néoracialisme culturel » qui, comme son nom l’indique, se fonde sur la culture pour exprimer les idées du racisme hiérarchique et de l’exclusion, Le terme culture (les diversités culturelles) en vient à prendre le relais du terme race dans le discours quotidien ou politique. (Kilani 2000a : 27)

Le phénomène, désormais, serait moins sensible à l’infériorité biologique ou physique qu’à la différence culturelle des groupes visés. (Wieviorka 1998 : 6)

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Taguieff 1987, Rivera 2000e, Wieviorka 1998.

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L’on assisterait donc à une expansion de la notion de racisme, à son affranchissement de la notion de race au sens de groupe somato-biologique. Le racisme n’a plus besoin de faire référence au physique, il fonctionnerait maintenant sur la base du différentialisme culturel. La continuité entre les deux pensées – racisme et néoracisme – serait assurée par l’essentialisation et la naturalisation des différences. Le racisme peut donc se passer de la race. Mais cette conception ne va pas sans poser de problèmes. Bastenier notamment fait remarquer que penser le racisme sans race revient à qualifier « toutes les formes d’un refus social, d’une ségrégation ou d’une exclusion des autres [comme] du racisme » (2004 : 23). On en viendrait selon lui à postuler l’existence d’une sorte de « racisme éternel » (2004 : 28) donc les formes concrètes (basées sur la race ou la culture) varieraient selon les époques. C’est pourquoi il plaide pour ne pas superposer racisme et ethnisme, soit de ne pas qualifier de raciste le différentialisme culturel, mais d’ethnique. Nous en revenons donc ici à la question posée plus haut sur la spécificité du racisme. En effet, le risque est grand de faire du racisme, par le néologisme de « néoracisme culturel », une notion fourre-tout, indistincte de toute autre forme de différenciation sociale. Pour notre propos, nous retiendrons de la notion de néoracisme culturel qu’il est profitable de penser le différentialisme culturel actuel en contraste avec la pensée raciste « classique » du XIXe siècle. Car si le racisme classique est devenu honteux et parfois illégal, le discours culturaliste n’a-t-il par dans certains cas pris le relais, avec les mêmes postures et les mêmes effets ?

Racisme et hostilité

Revenons sur un autre point qui ne fait pas consensus parmi les auteurs qui définissent le racisme : celui-ci est-il nécessairement hiérarchisant ? Nous aborderons la question de la hiérarchisation sous l’angle de l’hostilité. La hiérarchisation des races engendre en effet la question de ses conséquences comportementales : le racisme comporte-il nécessairement une dimension d’hostilité (comme semblent le supposer Todorov et Rivera) ? Guillaumin développe sur ce point une réflexion qui nous semble particulièrement intéressante. Si nous n’adhérons pas sans réserve à son approche du racisme, elle a pu attirer l’attention sur l’invisibilisation du racisme non-hostile. En effet, la plupart des auteurs, de même que le sens commun, assimilant le racisme à une idéologie ouvertement agressive et potentiellement dangereuse, l’on en vient à évacuer tout énoncé qui ne serait pas connoté négativement.

L’admiration dédouane, l’amitié individuelle rassure, seuls mépris et haine sont considérés comme racistes. Or […] mépris et haine ne sont pas nécessairement présents dans le racisme, ils ne sont que des épiphénomènes, du surcroît non obligés, d’une vision essentialiste de l’histoire de l’espèce humaine. (2002 : 71)

Ainsi, l’auteure invite à bien inclure dans une définition du racisme les comportements positifs.

[N]e pas considérer ces attitudes « positives » comme partie intégrante du racisme en tant qu’il est système de rapport à l’autre, c’est ignorer à quel point les attitudes sont susceptibles de retournement à tout instant, c’est négliger cet aspect fondamental des formes affectives qu’est l’ambivalence. (2002 : 104)

Ces formes plus subtiles de racisme ont été nommées « racisme latent » par Guillaumin. Ce concept peut être rapproché du « racisme voilé » de De Rudder et al. (2000) ou du « racisme ordinaire » de Jounin et al. (2008). Il s’agit d’attirer l’attention sur les pratiques et les discours parfois animés des meilleures intentions mais qui se fondent sur les mêmes logiques de pensée que le racisme hostile.

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3.3.3. L’exotisme Une autre notion peut nous aider à réfléchir aux attitudes non hostiles envers l’altérité, celle de l’exotisme. Contrairement au racisme, il n’est pas question avec l’exotisme d’un système de classification de l’espèce humaine, d’une vision globale de l’histoire humaine. L’exotisme est une attitude, qui consiste à ériger l’exogroupe en modèle et en idéal. Dans son large panorama de la pensée française de l’altérité, Todorov (1989) y consacre un chapitre et définit la posture exotique : « l’autre est systématiquement préféré au même » (1989 : 155). Cette attitude est repérable dans de nombreuses œuvres littéraires et scientifiques (Chateaubriand, Loti, Segalen). Pour Todorov, elle relève d’une ignorance de l’autre : « ici on chérit le lointain parce qu’il est lointain. […] Les meilleurs candidats au rôle d’idéal exotique sont donc les peuples et les cultures les plus éloignés et les plus ignorés. » (1989 : 356). Tout comme nous l’avons vu à propos des stéréotypes, l’exotisme est une pensée qui simplifie et ne retient qu’une petite poignée de traits pour décrire un groupe, qui plus est connotés positivement. L’auteur relève encore que l’exotisme est en général primitiviste : l’autre est valorisé certes, mais considéré comme « en retard » par rapport au « nous » de la société occidentale ; il s’appuie donc sur une vision évolutionniste de la société, selon laquelle l’ « autre » exotique représenterait le passé et les origines de la société occidentale. L’exotisme a donné naissance au motif bien connu du « bon sauvage », qui a connu une grande diffusion dès le XVIe siècle (toujours concurrencé par une image du mauvais sauvage). Pour Kilani, au XVIIIe siècle, le « bon sauvage » est même la figure dominante dans la pensée sur l’altérité, alors que le XIXe verra la prédominance d’une image négative (1996 : 238). Il affirme également à quel point le bon (ou le mauvais) sauvage n’est qu’un prétexte pour parler de soi, exprimer une critique de l’Occident.

La référence, voire la réflexion sur les mœurs et les coutumes exotiques des autres peuples, ont ainsi été au XVIIIe siècle un des moyens de la critique sociale et de la philosophie politique. (Kilani 1996 : 237)

C’est pourquoi le « bon sauvage » n’est pas une image précise, fixe, mais elle est chargée des éléments qui semblent pertinents à l’auteur. Il n’y a en fait pas un stéréotype du bon sauvage, mais une constellation de figures qui apparaissent dans l’histoire de la pensée. Ce qu’elles ont en commun ? D’abord une image connotée positivement de l’autre (par opposition à l’endogroupe qui est dévalorisé). Mais ce contenu positif peut bien entendu varier selon les opinions politiques de l’auteur et les époques. Pour en donner un exemple, nous citerons avec Todorov la description des Hurons dans le récit de voyage du baron Lahontan en 170327. Lahontan prête les caractéristiques suivantes aux Hurons : ils sont égalitaristes (condamnation de la propriété privée, absence de hiérarchie), minimalistes (économie de subsistance, simplicité culturelle) et vivent en « conformité avec la nature » (spontanéité et lois naturelles) (voir Todorov 1989 : 363-369). Il s’agit pour l’auteur d’un jeu de miroir : il attribue et valorise chez les Hurons ce qui lui semble socialement souhaitable. Sa description reflète les débats politiques et sociaux de son époque. Sur l’ « autre » est projetée l’image de ce que l’on souhaite pour sa propre société. La figure du sauvage est opposée à la civilisation occidentale, tantôt présentée comme corrompue (face à la figure du bon sauvage), tantôt comme désirable (face à la figure du mauvais sauvage)28. La négrophilie ou la « mode black » décrites par Dewitte (1990) pourraient être considérées comme des avatars modernes de l’exotisme : par le biais d’une valorisation immodérée de la musique, de l’art ou du mode de vie étiquetés comme « noirs », on retrouve une posture acritique de l’autre propre à l’exotisme. 27

L’œuvre est divisée en trois volumes : Nouveaux voyages, Mémoires de l’Amérique septentrionale et Dialogues curieux entre l’Auteur et un Sauvage. 28

On pourrait discuter longuement sur la pertinence et la cohérence, sur l’existence même, de la figure du « bon sauvage ». N’en vient-elle pas à englober toute image positive de l’autre ? La présenter comme une modalité de l’exotisme permet de réduire son champ : le bon sauvage est l’une des expressions d’une posture particulière, qui consiste à valoriser l’autre tout en le renvoyant à la nature, aux origines, à la simplicité.

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D’autre part, la constellation du « bon sauvage » associe en principe l’ « autre » à la nature, par opposition à la culture. Le sauvage, comme son étymologie l’indique (silva, la forêt), est proche de la nature, donc d’une simplicité et d’une pureté qui seraient originels29. La figure du sauvage est opposée à la civilisation occidentale, tantôt présentée comme corrompue (figure du bon sauvage), tantôt comme désirable (figure du mauvais sauvage)30, mais il ne lui est pas accordé d’être aussi civilisé que l’Occident. Il est bon, certes, mais il est sauvage. L’exotisme ainsi défini se différencie-t-il encore du racisme latent de Guillaumin ? Dans la posture, non ; tous les deux peuvent être amicaux envers l’autre, tout en renfermant un potentiel de stigmatisation. Mais l’exotisme ne fait pas appel, comme le racisme, à une différenciation biologique ; tout se passe ici au niveau des contenus culturels. Est-il alors à mettre sur le même plan que le racisme culturel ? Non, car le racisme culturel, lui, est défini comme hostile. Il s’agira dans l’analyse de nos données d’établir une discussion critique de ces différentes notions (racisme et exotisme) et d’évaluer leur pertinence pour notre terrain. Nous avons discuté des concepts qui nous permettront d’analyser nos données. En adoptant une vision constructiviste de l’identité, nous réfléchirons à la manière dont sont tracées des frontières entre des groupes identitaires, et aux stéréotypes qui sont associés à chacun. Cela nous permettra ensuite de lier ces constructions aux notions de racisme et d’exotisme. Une seconde partie de l’analyse (chapitre 6) s’appuiera sur la notion de répertoires interprétatifs, qui sera présentée dans le chapitre consacré aux méthodes. Il faut en effet maintenant décrire de quelle manière a été mené le travail de terrain, de production et de traitement des données, ainsi que l’analyse.

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Nederveen Pieterse relève d’ailleurs à quel point les représentations de l’Afrique sur-représentent la nature (forêts, animaux) dès le XVIème siècle. Les habitants de l’Afrique seront également très souvent représentés avec des animaux, en particulier des grands singes (1992 : 34-44). 30

On pourrait discuter longuement sur la pertinence et la cohérence, sur l’existence même au fait, de la figure du « bon sauvage ». N’en vient-elle pas à englober toute image positive de l’autre ? Je pense que de la présenter comme une modalité de l’exotisme permet de réduire son champ : le bon sauvage est l’une des expressions d’une posture particulière, qui consiste à valoriser l’autre tout en le renvoyant à la nature, aux origines, à la simplicité.

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4. CADRE MÉTHODOLOGIQUE Dans ce chapitre seront décrits les principaux choix effectués en ce qui concerne les procédés méthodologiques et épistémologiques. Nous justifierons le choix d’une méthodologie qualitative et d’une posture inductive et constructionniste, en lien avec nos questions de recherche. Ensuite, nous expliquerons comment nous avons délimité notre terrain, notre objet d’étude. Puis nous en viendrons aux outils de production des données et enfin aux méthodes d’analyse.

4.1. La démarche qualitative et inductive Les questions de recherche énoncées plus haut demandent l’utilisation d’une méthodologie qualitative. En effet, la construction des identités et les stéréotypes sont souvent exprimés dans les discours de manière subtile par les acteurs. Elles seraient donc très difficiles à saisir par un questionnaire fermé de recherche quantitative. L’utilisation d’une méthodologie qualitative en revanche permet de saisir le positionnement et les intentions des acteurs de leur point de vue. La mise en place d’un dispositif de recherche autour de ces questions demandait donc une implication à moyen terme auprès des organisateurs du pèlerinage, des temps de discussions informelles, ainsi que des entretiens. Il ne nous semble pas opportun ici d’entrer plus loin dans le vaste débat entre approches qualitatives et quantitatives ; nous renvoyons aux textes de Silverman (1993) ou de Taylor (2001b). D’autre part, c’est une démarche inductive qui a été adoptée. En effet, aucune recherche préalable n’existant sur le PSSA, il a fallu d’abord se familiariser avec l’histoire du pèlerinage, les acteurs de sa création et de son développement. Cet aspect exploratoire du travail de terrain, bien qu’informé par des lectures théoriques, n’a donc pas été guidé par des hypothèses formulées a priori. Ce choix permet de ne pas transposer des idées préconçues sur les observations, et de demeurer très ouverte face aux possibles interprétations. C’est aussi ce qui a rendu possible la réorientation du cadre théorique en cours de travail (voir partie introductive). Même si la présentation du travail laisse à penser que les questions de recherche sont premières, puisque présentées tout en début de travail, c’est bien un processus itératif qui a été à l’œuvre, va-et-vient entre construction du cadre théorique et des questions de recherche et analyse. C’est en cours de travail que sont apparus comme pertinents les questionnements développés dans ce travail. A nouveau, nous renvoyons aux discussions sur l’inductivisme chez Silverman (1993) et à la « grounded theory » de Strauss et Corbin (2003). Comme il l’est déjà assez clairement ressorti des chapitres qui précèdent, la posture adoptée est également constructionniste, dans le sens de l’approche définie par Shotter et Gergen :

A concern with the processes by which human abilities, experiences, commonsense and scientific knowledge are both produced in, and reproduce, human communities. (Shotter et Gergen 1994: i)

Cela implique que la recherche se focalise sur la manière dont les acteurs construisent leur vision du monde, leur réalité, en l’occurrence leur vision des identités collectives.

4.2. La construction du terrain L’une des tâches méthodologiques centrales (qui met en jeu bien entendu aussi la théorie) du travail de terrain est la construction, précisément, de ce terrain. Un « terrain » n’est pas un objet « déjà là »: il est construit, ses contours délimités et justifiés. Le Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique regroupe plusieurs dimensions : divers rituels accomplis pendant la journée, mythes énoncés lors du pèlerinage et dans les médias, relations entre les pèlerins et les organisateurs, motivations des pèlerins, etc. Il pourrait être étudié avec des outils psychologiques, sociologiques, anthropologiques, historiques, économiques ou géographiques.

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Il a été décidé, pour ce travail, de considérer l’évènement du pèlerinage (c’est-à-dire la journée annuelle du pèlerinage) comme l’un des temps d’observation dite participante, mais pas comme le seul. Ce choix se justifie d’abord par un aspect pratique : étant donné que le pèlerinage est annuel, il n’a pas été possible dans le cadre d’un travail de mémoire d’assister à plusieurs célébrations. Par contre, des documents vidéo de deux anciennes éditions (2002 et 2008) ont pu être consultés. D’autre part, puisque la journée du pèlerinage n’est qu’un élément du terrain, nous avons accordé une place déterminante aux réseaux de relations et aux opérations de mise en sens qui entourent le pèlerinage. Ainsi, l’objet « pèlerinage » s’élargit pour englober les discours tenus tout au long de l’année dans les médias et les relations entre les différents acteurs du pèlerinage. Enfin, comme il a été précisé en introduction, il a été choisi de se concentrer sur les organisateurs. Ce sont donc les discours émanant de et entre les organisateurs qui ont été étudiés, y compris ceux qui portaient sur les autres participants au pèlerinage. Ce sont donc toutes ces dimensions spatiales, temporelles et interactionnelles qui forment notre « terrain ».

4.3. Les outils de production des données Nous pensons avec J.-P. Olivier de Sardan (1995) que les données qui seront ensuite analysées ne sont pas simplement récoltées, comme des pâquerettes qu’il suffirait de cueillir, mais co-produites en interaction avec le/la chercheur/euse (sans pour autant affirmer qu’elles sont le pur produit de l’imagination du/le la chercheur/euse). Cela est particulièrement pertinent pour les données d’entretien, qui sont le fruit d’une relation entre intervieweur et interviewé. Pour répondre à nos questions de recherches, quatre types de données ont été rassemblées, comme le propose J.-P. Olivier de Sardan. Il s’agit de données issues d’entretiens semi-structurés menés avec les organisateurs du pèlerinage, de l’observation-participante, d’archives de journaux et du GCMSR (sources écrites) et de recensions (relevés systématiques).

4.3.1. Les entretiens La prise de contact avec les organisateurs du pèlerinage s’est faite par des rendez-vous suivis d’entretiens individuels. Il aurait en effet été difficile, voire impossible, d’assister à une réunion du comité d’organisation du pèlerinage sans avoir auparavant établi un contact avec ses différents membres. Ces entretiens ont répondu à trois objectifs : créer un lien de confiance avec les acteurs (dimension relationnelle) ; fournir des informations factuelles sur le pèlerinage (dimension exploratoire) ; et bien entendu fournir des données textuelles à analyser (dimension de production des données). Le principe du choix des participants est assez simple : il s’agissait en principe de rencontrer au moins une fois chacun des membres du comité d’organisation du pèlerinage. Dans les faits, cinq d’entre eux ont été interviewés de manière individuelle (entretien en tête-à-tête, enregistré) : C. Didierlaurent, M.-A. Rey, C. Maillard, H. Nguezi Ya Kuiza et E. Sindayihebura. Pour des raisons pratiques, les deux autres membres de l’organisation – L. Barman et F. Ilunga – ont été interrogés de manière informelle et leurs propos ont fait l’objet de notes simultanées ou postérieures. Deux entretiens complémentaires ont été réalisés avec J. Roduit, père-abbé de St-Maurice, et avec M. Schmid, directeur de la commission Migratio de la Conférence des Evêques suisses (CES), afin de comprendre le rôle joué par ces acteurs dans l’organisation du PSSA. Les entretiens ont duré en moyenne une heure, au maximum 1h30. Ils ont eu lieu dans un endroit choisi par l’interviewé (bureau, domicile, café). On pourrait qualifier ce choix de partenaires d’entretien de « purposeful sample », selon l’expression utilisée par Maxwell (2005 : 88). Il répond à un choix délibéré afin d’obtenir des informations ciblées, bien que Maxwell n’ait pas prévu la situation où tous les membres d’un

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groupe-cible sont interviewés. On pourrait aussi parler de panel: « people who are uniquely able to be informative because they are expert in an area or were privileged witnesses to an event » (Weiss 1994: 17). Il s’agit en d’autres termes encore d’ « Experteninterviews » (Schlehe 2003), soit d’entretiens avec des personnes détenant des savoirs dans un domaine spécifique : ici, à propos de la genèse et de l’organisation du pèlerinage. Les entretiens menés l’ont été avec l’aide d’un guide d’entretien, établi sur la base de la lecture de sources (articles de journaux, sites internet) ou des précédents entretiens (sur les entretiens semi-structurés, voir Schlehe 2003). Le guide d’entretien a évolué d’un interview à l’autre, selon les informations déjà obtenues et selon l’interlocuteur. A chaque fois, les entretiens ont été enregistrés – avec l’accord préalable de la personne interviewée. Le nombre d’interviews menés est ainsi relativement modeste (moins de dix), ce qui correspond à l’ampleur limitée du travail entrepris ici et à une approche par l’analyse de discours (Potter et Wetherell 1987). Les données enregistrées ont ensuite été transcrites. Pour cette étape, ce sont les conseils très pragmatiques de O’Connell et Kowal (1995) qui ont été suivis : « only the components of spoken discourse which are to be analysed should be transcribed » (1995 : 98). Bien que de nombreux manuels d’analyse de discours suggèrent de transcrire très soigneusement les silences (en dixièmes de secondes), les inspirations et expirations ou les inflexions de voix (Potter et Wetherell 1995, Potter 1996, Flick 1998), il n’a pas semblé utile ici de se lancer dans une minutie si gourmande en temps et en énergie31, puisque ces données n’auraient pas été ensuite analysées dans le détail. Nous avons transcrit ce qui, selon nos questions de recherche, pouvais être porteur de sens. Une liste de conventions graphiques a été établie et suivie pour chaque transcription32. Beaud et Weber (2008) le relèvent bien, l’enregistrement et la transcription d’entretiens n’est pas une activité neutre. Même si la transcription est la plus intégrale et la plus honnête possible, elle ne rend pas la richesse et la complexité de l’interaction entre intervieweur et interviewé. Tout en étant hautement consciente de ces dimensions, nous ne nous lancerons pas ici dans une discussion sur les multiples biais induits dans les entretiens. Pour une présentation des enjeux épistémologiques autour de l’utilisation d’entretiens, nous renvoyons à Poupart (1997), à Beaud et Weber (2008) et à Flick (1998).

4.3.2. L’observation participante L’observation participante a été érigée en méthode incontournable de l’anthropologie depuis le début du XXe siècle. La pratique de l’immersion dans le « terrain » permet de diminuer « la tentation réductionniste et les risques de déformation » ainsi que de faciliter « l’accès aux significations profondes et aux logiques sous-jacentes » (Kilani 1996 : 48). Dans le cadre de la recherche qui nous intéresse, la pratique de l’observation participante a permis à la fois l’inclusion dans les réseaux de relations des organisateurs, l’accès à des conversations et interactions informelles entre les acteurs et, bien entendu, la documentation du déroulement du pèlerinage même. L’observation participante contient dans son appellation même un continuum entre deux postures : celle de témoin-observateur et celle de co-acteur-participant (Olivier de Sardan 1995, Hauser-Schäublin 2003). Loin d’être deux attitudes distinctes – l’observateur est toujours participant, et vice-versa – il s’agit de deux aspects combinés de cette méthode de

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Potter précise que la méthode qu’il prône engendre « a ratio of one hour of tape to 20 hours of transcription time » (1996: 136)! Dans notre cas, la méthode adoptée a permis de se limiter à 1h d’enregistrement pour 4 à 5 heures de transcription. 32

Les crochets signalent toutes les interventions et les commentaires ajoutés au moment de la transcription. Les onomatopées, les hésitations et les répétitions ont été transcrites mais n’apparaissent pas dans les citations utilisées dans ce travail, afin de faciliter la lecture. L’utilisation du tiret (-) signale que le locuteur s’interrompt au milieu d’une phrase. La ponctuation a été choisie en fonction des intonations de la voix.

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travail. Un exemple peut illustrer ce propos : j’ai demandé au président du GCMSR de pouvoir assister à l’assemblée générale du groupe au mois de mai 2010. Il s’agissait a priori d’une démarche de simple observation : je pensais relever les discours développés autour du PSSA. Mais, alors que je ne devais jouer aucun rôle pendant l’assemblée générale, l’un des membres du comité m’a demandé de me présenter, puis m’a demandé mon avis à plusieurs reprises sur les options stratégiques et l’histoire du PSSA. Je bascule donc un peu plus vers le pôle « participation » : très concrètement, il s’est agi de co-construire le pèlerinage avec les organisateurs, de participer à édifier leur vision de leur propre histoire. L’activité d’observation n’est jamais neutre, et cela a été d’autant plus vrai dans ce travail de terrain. Mon intervention a été sollicitée dans chaque réunion33. Les lieux et temps où l’observation participante est pratiquée font l’objet d’une sélection, tout comme les entretiens (Beer 2003). Pour ce travail, les occasions suivantes ont été choisies :

- les séances de réunion du comité d’organisation du pèlerinage qui ont eu lieu entre le mois de mars et de septembre 2010, ainsi que l’assemblée générale du GCMSR ;

- la journée du pèlerinage, comportant une partie officielle en matinée, une procession et une messe dans l’après-midi, entrecoupés de temps d’échanges informels ;

- diverses occasions d’échanges informels (repas des migrants à l’Africanum34, pause-café à Missio35, repas chez les Pères Blancs à l’Africanum, repas avec les organisateurs, visite du site de Vérolliez avec les organisateurs).

Le choix de ces lieux et temps m’ont permis de suivre l’organisation du pèlerinage durant les quatre mois qui l’ont précédé, et durant trois mois après son déroulement. C’était là le premier objectif : le travail du comité d’organisation a pu ainsi être bien documenté. Mais il fallait aussi y ajouter des interactions plus informelles en compagnie d’un plus petit nombre de personnes, afin de permettre des conversations plus longues, et de permettre aux organisateurs de s’exprimer plus librement, notamment sur les tensions qui règnent entre eux. Enfin, la participation à la journée du pèlerinage était incontournable, afin de documenter les pratiques et les discours et d’entrer en contact avec quelques pèlerins. L’observation participante engendre des données très variées, allant des enregistrements de discours publics (en l’occurrence : les discours officiels et la messe du pèlerinage) aux croquis (configuration de la basilique de St-Maurice ou de Vérolliez, reproduction de plaques signalétiques), en passant par les procès-verbaux d’assemblées (assemblée générale du GCMSR, réunion du comité du GCMSR). La plupart de ces informations (à l’exception des discours publics du pèlerinage, enregistrés et transcrits) ont été consignées dans un journal de terrain (Beaud et Weber 2008, Copans 2008, Fischer 2003). En ce qui concerne les assemblées, cette prise de notes a pris la forme d’un procès-verbal, rédigé au cours de la séance. Dans les autres cas, les notes étaient prises a posteriori. Parfois, les notes ont d’abord été enregistrées oralement avant d’être mises par écrit. Ces notes constituent à la fois une mémoire d’éléments vus ou entendus, et un outil de mise à distance : le journal contient à la fois une narration et une critique – la narration elle-même étant déjà une sélection et une

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Pollner et Emerson (1988) indiquent que le chercheur est toujours confronté à des dynamiques d’inclusion et de distance. Dans notre cas, notons que travail a été accueilli à bras ouverts par la plupart des organisateurs (une expérience similaire est présentée par Amiotte-Suchet 2010). On peut supposer que mon identité de jeune femme universitaire ait été vue par les organisateurs – hommes en immense majorité et proches de la retraite – comme un espoir de relève. Une distance a été ressentie du côté des Pères Blancs, où l’accès aux archives a été impossible. Les raisons en sont difficiles à interpréter, mais tiennent sans doute à une volonté de garder un certain contrôle sur les informations liées au pèlerinage. 34

L’Africanum désigne le bâtiment qu’occupent les Pères Blancs à Fribourg, et qui comporte leur logement, une chapelle et une salle de réunion où a lieu chaque mercredi un repas gratuit pour les migrants de la région. J’y avais été invitée par Claude Maillard. 35

Les bureaux de Missio se situent à Fribourg, en face de l’Africanum. Les archives du GCMSR y étant stockées, je m’y suis rendue plusieurs fois pour y travailler et ai pu côtoyer les collaborateurs de Missio.

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interprétation. Le journal de terrain sert ainsi à la fois d’aide-mémoire pour enregistrer des données qui seront plus tard analysées et de support à l’élaboration de la problématique.

4.3.3. Les sources écrites Des documents d’archives de trois sortes ont été rassemblés :

- articles de journaux - archives du GCMSR - sites internet

Les articles de journaux proviennent du principal quotidien valaisan, Le Nouvelliste, ainsi que des publications de Missio (Eglises solidaires), des Pères Blancs (VoCAS, Ensemble, Présence) et de l’Abbaye de St-Maurice (Echos de l’Abbaye). En ce qui concerne Le Nouvelliste et Eglises solidaires, tous les articles concernant le PSSA (de 2002 à 2010) ont été consultés. En raison d’un accès très restreint aux archives des autres publications, seule une partie des articles sur le PSSA ont été accessibles. Ces documents permettent de repérer, dans les comptes-rendus publics du pèlerinage, les aspects mis en avant ou passés sous silence. Les auteurs étant en général les organisateurs eux-mêmes, ces documents publiés peuvent être mis en dialogue avec les autres types de données (notamment les entretiens). Quant aux archives du GCMSR, elles ont été dans leur intégralité mises à disposition par son actuel président. Elles se composent principalement de correspondances (entre le président et l’Abbaye de St-Maurice ou les chorales) et de procès-verbaux d’assemblées, mais aussi des brochures composées pour certaines éditions du PSSA36. Elles permettent de retracer les principales étapes de l’histoire du pèlerinage, ainsi que certaines propositions de changements qui ont été effectuées. Les sites internet des différentes institutions concernées (Abbaye de St-Maurice, Missio, Pères Blancs) ont apporté un complément aux articles publiés dans les journaux. Là aussi, les auteurs sont en principe les organisateurs. Les sources récoltées représentent environ 600 pages. Pour faciliter leur analyse, elles ont été classées d’abord thématiquement (chaque édition du pèlerinage constitue une thématique, ainsi que chaque institut missionnaire impliqué) puis, à l’intérieur des thématiques, chronologiquement. A chaque document a ainsi été attribuée une cote.

4.3.4. La recension J.-P. Olivier de Sardan (1995) propose de procéder également, sur le terrain, à des recensions : « il s’agit de produire systématiquement des données intensives en nombre fini : j’entends par là des comptages, des inventaires, des nomenclatures, des plans, des listes, des généalogies ». La recension est notamment un outil de production de données quantitatives (voir les quasi-statistiques chez Becker 1970). Dans notre cas, cet outil n’a été utilisé qu’à une seule reprise (hormis le nécessaire inventaire des personnes présentes à chaque assemblée observée) : lors de la journée du pèlerinage, un comptage des participants a été effectué par deux personnes différentes, et les résultats ont été confrontés. La combinaison de ces différents modes de production des données permet de mieux saisir la multiplicité des points de vue et la complexité du terrain qu’un travail qui ne serait basé que sur des entretiens (Olivier de Sardan 1995). De plus, ces outils s’alimentent entre eux : les sources écrites ont, par exemple, pu servir à soulever certains thèmes dans les entretiens.

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D’autres types de documents issus des archives sont : des copies d’articles de journaux parus sur le PSSA, l’évaluation de certaines éditions du PSSA par le comité, des contrats de travail passés avec des intervenants, des factures, la copie de certains discours prononcés lors du PSSA, les annonces et programmes des différentes éditions du PSSA.

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4.4. Les méthodes d’analyse L’analyse des donnés a été effectuée selon des principes largement partagés par différents courants des sciences sociales qualitatives : les données ont été codées (Flick 1998, Maxwell 2005), et les connections (ressemblances et différences) entre les éléments des textes ont été étudiées (Maxwell 2005). Mais plus précisément, c’est dans les termes du courant de l’analyse de discours que seront présentées les méthodes d’analyse utilisées ici. En effet, ce sont les questions de recherche qui orientent le choix des méthodes d’analyse (Maxwell 2005), et ce sont les outils développés par l’analyse de discours qui ont semblé les mieux adaptés à notre questionnement.

4.4.1. L’analyse de discours L’analyse de discours (AD) est principalement utilisée en psychologie sociale, mais également en sociologie et en sciences politiques. Il ne s’agit pas d’une école unifiée : de nombreux courants se revendiquent de l’AD (pour un panorama, voir Taylor 2001b). On peut cependant dégager trois points communs que partagent ces approches. Le premier est de s’intéresser au langage – textuel, oral ou non-verbal –, précisément à la manière dont les individus construisent et transmettent une vision du monde à travers le langage. « [Discourse analysis] is concerned with the way people collectively construct versions of the world in the course of their practical interactions. » (Potter et Wetherell 1998: 143). Second point commun aux analyses de discours : l’intérêt porté sur la construction de représentations à travers le langage. « Discourse Analysis could thus be seen as a quest to translate constructionist theoretical insights into more methodologically grounded frameworks of analysis. » (Mottier 2002: 59). Enfin, le troisième trait partagé est l’intérêt pour la dimension performative du langage : « discourse analysts regard all discourse as a social practice. […] People use discourse in order to do things. » (Gill 1996 : 142 ; voir aussi Austin 1991 et Searle 1969). Ces trois caractéristiques nous semblent rendre l’AD particulièrement intéressante pour répondre à nos questions de recherche. D’abord, les constructions des identités semblent être un objet de choix pour l’analyse de discours. En effet, c’est en grande partie à travers les discours et les interactions que se construisent et se transmettent ces conceptions. Les stéréotypes sont également transmis par le langage en grande partie. Ensuite, la posture constructiviste de l’AD convient particulièrement bien à nos questions de recherche, qui visent précisément à montrer comment sont construites et entretenues des représentations. Enfin, la notion de performativité du langage a déjà été abordée à propos des races et des stéréotypes : il nous semble important de considérer ce que les constructions discursives mettent en acte. Il faut maintenant préciser le sens que nous donnons dans ce travail au concept de « discours ». Il nous semble, comme à de nombreux chercheurs utilisant l’AD, qu’il serait réducteur de se cantonner à l’analyse des discours oraux, au langage parlé. Les objets d’analyse ont ici compris à la manière d’Edley (2001).

[Discourse] encompasses a whole range of different symbolic activities, including styles of dress, patterns of consumption, ways of moving, as well as talking. (2001: 191) 37

L’analyse porte donc également sur les pratiques. En raison des outils de production des données énumérés plus haut, le principal matériel à analyser est composé de données textualisées (transcriptions d’entretiens et de discours, articles). Mais la communication non-

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Mottier utilise une conception similaire : « broad historical systems of meaning including meaningful political practices » (2005: 256), une définition qui s’appuie sur les travaux de M. Foucault (1971).

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verbale et le langage corporel (rires, vêtements, positionnement des personnes dans un lieu, etc.) est aussi analysé (Howarth 1995).

4.4.2. Le déroulement de l’analyse Bien que la transcription des entretiens soit largement considérée comme un premier processus d’analyse (Beaud et Weber 2008), la plupart des manuels de méthodes font débuter le travail analytique par le codage (Maxwell 2005, Carabine 2001). Dans ce travail, le codage a été d’abord un codage ouvert, soit l’étiquetage conceptuel des données textuelles (Strauss et Corbin 2003 : 373). Les textes sont systématiquement lus et leurs thématiques comparées afin de dégager des catégories et des sous-catégories de codes. Par exemple, dans le cas du terrain qui nous intéresse, le code « Pèl_liens » est apposé aux passages qui parlent de la création de liens entre les participants au PSSA, et le sous-code « Pèl_liens_Afr » se rapporte plus précisément à la construction de liens entre « Africains ». Ce codage a été aussi ouvert que possible afin de ne pas biaiser d’entrée l’analyse par des conceptions a priori. Potter et Wetherell parlent d’un codage inclusif, qui inclurait le plus grand nombre de thèmes possible au début de la recherche (Potter et Wetherell 1987 : 167). Dans une démarche inductive comme celle qui est adoptée ici, il s’agit d’un processus cyclique, va-et-vient entre analyse, questions de recherche et codage, jusqu’à ce que la question de recherche ait été clarifiée. Ensuite, les codes pertinents pour l’analyse sont sélectionnés et regroupés autour de catégories centrales : c’est le codage sélectif (Strauss et Corbin 2003 : 375). Il s’agit donc d’un processus qui voit progressivement les catégories et les questions de recherche pertinentes se préciser. Il s’agit ensuite de mettre en lien les catégories identifiées, de les faire dialoguer, de les comparer. C’est l’étape des « stratégies de connexion » (Maxwell 2005 : 98), qui permet de dégager les conventions partagées par les locuteurs ainsi que leurs contrafictions. L’AD, tout comme la plupart des autres formes de recherche qualitative (Flick 1998, Maxwell 2005), permet de voir se dessiner peu à peu, au fil de l’analyse, des patterns, des modèles dans le discours (Taylor 2001b : 39). Il s’agira en particulier pour nous de dégager des constructions de sens qui font consensus, ou justement pas, autour de la construction des identités collectives. Nous ferons également appel à la notion de « répertoires interprétatifs » de Potter et Wetherell (1995, 1998; voir aussi Edley 2001). Ces répertoires sont des « discernible clusters of terms, descriptions and figures of speech often assembled around metaphors or vivid images » (Potter et Wetherell 1995 : 89). Ce sont des manières d’interpréter un phénomène ou une idée, qui sont partagées par un collectif. Ils sont des « available resources for making evaluations, constructing factual versions and performing particular actions » (Potter et Wetherell 1995 : 89)38. Ils permettent de comprendre comment les locuteurs construisent leur représentation d’un concept (comme le genre, la race ou la culture). Les auteurs ont utilisé ce terme dans leur étude sur les discours des Néo-Zélandais sur la culture maori. Ils ont pu montrer que dans les discours le concept de « culture maori » peut être construite et présentée de deux manières différentes : soit comme un héritage (la culture transmise de génération en génération, importante à préserver) ou comme une thérapie (la culture comme un bien perdu par les Maoris, qu’ils devraient retrouver). Ce sont là deux répertoires interprétatifs de la culture, deux manières de la considérer et de lui donner du sens, une fonction. Les deux répertoires peuvent parfaitement cohabiter au sein du même discours, ils ne sont pas opposés. Ils sont même partagés par tous les locuteurs et jamais remis en question (Potter et Wetherell 1992 :

38 Dans leur recherche sur les discours sur les Maoris en Nouvelle-Zélande, ces auteurs ont mis par exemple en lumière deux répertoires interprétatifs autour du rôle de la culture des Maoris : la « culture-as-heritage » (la culture est vue comme un héritage des générations précédentes, un ensemble archaïque) et la « culture-as-therapy » (la culture comme besoin psychologique des Maoris, qui auraient besoin de la redécouvrir) (Potter et Wetherell 1998).

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89-93). Nous utiliserons donc cet outil pour nous interroger sur les différentes mises en sens du pèlerinage lui-même (chapitre 6).

4.5. L’utilisation des sources Avant de débuter l’analyse, nous devons encore expliciter la manière dont les sources seront utilisées dans la présentation de l’analyse. Deux dangers, mis en avant par Antaki et al. (2003) et par Olivier de Sardan (1996), guettent l’analyste: l’accumulation de citations et la généralisation abusive de résultats. Premièrement, le risque de toute analyse, qu’elle se base sur des données quantitatives ou des textes, est de se contenter de juxtaposer des résultats sans les commenter, comme si les données parlaient d’elles-mêmes. Nous avons été attentive à ne pas tomber dans ce biais et à toujours commenter les sources citées. Cependant, nous n’avons pas non plus hésité à citer de nombreux passages issus de nos sources. Nous avons estimé qu’il était important de montrer le mieux possible que les stéréotypes ou les constructions de sens évoquées n’étaient pas le fait d’un seul locuteur isolé, mais étaient bien des constructions partagées collectivement et répandues. La richesse des sources qui ont servi à l’analyse transparaît donc à travers l’abondance de leurs citations, tout en ne remplaçant jamais le travail d’analyse. Deuxièmement, il a fallu éviter de généraliser abusivement les résultats de l’analyse. En l’occurrence, il s’agissait de ne pas prêter à tous les discours une même position : des divergences apparaissent par exemple clairement entre les locuteurs au sujet de l’ouverture du pèlerinage à l’œcuménisme. Cependant, le/la lecteur/trice sera peut-être surpris de constater que parfois plusieurs citations de locuteurs différents se suivent, sans que leurs positions soient explicitement comparées et différenciées. C’est que les sources accumulées pour ce travail présentent sur de nombreux points des discours similaires, parfois même identiques. Les répertoires interprétatifs du pèlerinage que nous analyserons dans le chapitre 6 apparaissent tous dans les discours de chacun de nos interlocuteurs. Ainsi, nous nous sommes parfois permis de juxtaposer les citations de plusieurs locuteurs, afin d’illustrer précisément le caractère collectif et partagé de certains motifs. Mais lorsque les positions entre les acteurs du PSSA divergent, nous l’avons signalé. Il faut encore faire une remarque sur l’autorité (au sens d’authorship) des sources utilisées. Pour ce qui est des transcriptions d’entretiens, de cérémonies du PSSA 2010 ou de DVD des PSSA 2002 et 2008, l’autorité ne pose pas de grands problèmes. Les discours prononcés par une personne lui seront attribués. Mais pour ce qui concerne les sources d’archives, la question est plus délicate. Prenons l’exemple des nombreux procès-verbaux d’assemblées du GCMSR ou du comité d’organisation du pèlerinage. Ils sont signés soit par le président soit par la secrétaire du GCMSR. Si les documents sont bien rédigés par eux, ils rapportent des propos des personnes présentes, sans que l’on puisse pour autant attribuer une phrase à une personne : les interventions rapportées ne sont jamais liées à un nom. A qui attribuer l’autorité de ces procès-verbaux ? Nous avons pris le parti de considérer les procès-verbaux comme émanant des organisateurs dans leur ensemble et faisant consensus. Bien sûr, dans la réalité ce pouvait ne pas être le cas : l’un des organisateurs a pu critiquer un point de vue sans voir son intervention consignée dans le procès-verbal ; mais ces possibles dissensions étant impossibles à reconstruire, nous irons au plus simple et considérerons que ces rapports ont une autorité collective. Quant aux articles publiés dans Le Nouvelliste, par l’Apic (Pierre Rottet) ou dans les Echos de Saint-Maurice (J.-B. Simon-Vermot), nous avons remarqué qu’ils citent souvent, sans le signaler, des textes de Missio ou du GCMSR, ou s’en inspirent fortement. Il faut donc considérer que dans ces cas-là l’auteur transmet plus la vision des organisateurs que sa propre interprétation du pèlerinage. Les sources sont citées de la manière suivante. Un nombre (Source 1, Source 2, etc.) renvoie systématiquement à l’index des sources au chapitre 8.1., où se trouve la référence complète de

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la source. Dans le cas où la source fait l’objet d’une longue citation dans le texte, sont simplement précisés l’auteur et l’année, afin de permettre au/à la lecteur/trice de disposer immédiatement des informations essentielles tout en ne surchargeant pas la lecture. Les sources ne disposant dans leur immense majorité pas de numéros de pages (et se composant de documents de moins de 3 pages en principe), il n’a pas été jugé nécessaire de préciser le numéro de page d’où provient la citation. Lorsqu’une clarification de certains termes de la citation est nécessaire, nous l’avons indiqué entre crochets. Nous avons exposé les outils utilisés pour produire, traiter et analyser les données. Nous allons maintenant présenter les résultats de l’analyse.

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5. LA CONSTRUCTION DES IDENTITÉS COLLECTIVES Le premier volet de l’analyse porte sur la construction des identités collectives dans les discours entourant le PSSA. Il mettra en lien direct les concepts théoriques commentés dans le chapitre 3 avec les données issues du travail de terrain (chapitre 5). Le second volet de l’analyse présentera un point de vue différent sur les données, à l’aide du concept de répertoires interprétatifs (chapitre 6). Revenons sur la distinction opérée par Barth entre les frontières des groupes ethniques et les contenus culturels qui y sont associés. Selon ce modèle de pensée, la différenciation comporte deux aspects : le traçage d’une frontière, qui détermine qui est « nous » (l’endogroupe) et qui est « eux » (l’exogroupe) d’une part, et l’attribution de caractéristiques, de traits culturels à chacun des groupes différenciés. Nous l’avons dit, Barth encourage à se focaliser sur le traçage des frontières, défendant ainsi une perspective interactionnelle (Poutignat et Streiff-Fénart 2008) de l’identité. Mais nous avons aussi relevé que le contenu avait également son intérêt, puisqu’il fait partie intégrante de la construction de l’altérité, et qu’il est l’enjeu de la reproduction de l’identité et de sa mise en scène. Nous allons donc traiter ces deux dimensions : la frontière, puis le contenu. Nous nous pencherons dans un premier temps sur la manière dont les discours entourant le PSSA dichotomisent des identités : les « Africains » d’un côté, et les « Suisses » ou les « Européens » de l’autre. Ensuite, nous nous intéresserons aux différents stéréotypes qui sont associés à ces identités dichotomisées et nous renseignent sur la manière dont les acteurs appréhendent les comportements des différents groupes. Pour clore ce chapitre, nous reviendrons sous la forme d’une discussion aux notions de racisme et d’exotisme abordées dans le chapitre 3. En effet, le traçage de la frontière autour du groupe des « Africains » et les stéréotypes qui leur sont attribués entrent en résonance avec la notion de « race noire », tout en évoquant une posture exotique. Il faudra donc revenir aux diverses définitions et dimensions du racisme et de l’exotisme afin d’évaluer leur pertinence dans le contexte du PSSA.

5.1. Le traçage de la frontière : les « Africains » et les autres Nous rappelons ici encore notre posture : nous considérons que les identités collectives auxquelles s’identifient les acteurs ou auxquelles ils rattachent les personnes dont ils parlent sont des constructions socio-culturelles, et non des données naturelles. En conséquence, il nous faut en premier lieu expliciter l’opposition d’identités présentée depuis le début de ce travail comme la plus significative dans le PSSA, soit l’opposition « Africains » - « non-Africains ». Citons tout d’abord quelques extraits de discours, parmi beaucoup d’autres, qui montrent bien la récurrence de la dichotomisation. Le président du GCMSR, ouvrant la journée du PSSA 2010, salue les « amis africains et autochtones » (transcription personnelle), alors que plus tard le père-abbé J. Roduit s’adresse à ses « biens chers frères et sœurs venus de tant de pays d’Afrique et [d’]Europe » (transcription personnelle). Une invitation au pèlerinage 2007 mentionne que « tous les Africains et leurs amis suisses sont invités pour célébrer la Vie ! » (Source 31 : Zimmermann et Maillard 2007). Les organisateurs s’adressent donc à ce qu’ils considèrent comme deux groupes de personnes différents ; précisons les contours tracés pour chacun d’eux.

5.1.1. Les « Africains » Nous nous penchons d’abord sur la délimitation de l’identité qui est la plus souvent mentionnée, celle des « Africains ».

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Définition exogène

L’unité des « Africains », ce qui ferait leur caractéristique commune, semble être déterminée par quatre traits : une origine géographique (le continent africain), une nationalité (d’un Etat africain), un statut de migrant en Suisse et un trait physique : la couleur de peau « noire ». Premièrement, les « Africains » sont l’immense majorité du temps nommés tels, ou par la référence au continent (« amis d’Afrique », « chrétiens d’Afrique », « ressortissants d’Afrique »). La construction de cette identité repose donc sur une présupposée origine géographique commune : les « Africains » nommés viennent d’Afrique, y sont nés. Cela pourrait paraître évident, et pourtant on peut légitimement supposer qu’une partie de ces « Africains » au moins est née sur un autre continent que l’Afrique. Deuxièmement, les « Africains » sont également renvoyés à leur appartenance nationale à un Etat du continent africain. De nombreux articles mettent en valeur les différentes nationalités censées être représentées lors du pèlerinage (Congolais, Cap-Verdiens, Rwandais, Nigérians, etc.) ; à aucun moment, ni lors des cérémonies, ni lors de conversations avec les organisateurs, n’a été évoquée l’éventualité que certains des ces « Africains » puissent être de nationalité suisse. Ce fait est même invisibilisé, comme le prouve une anecdote issue du journal de terrain sur le PSSA 2010 :

Mgr Roduit prend la parole pour saluer les participants. Il lance des noms de pays et les gens lèvent la main à la mention de leur nation : Congo, Cameroun, Togo, Côte d’Ivoire… Arrivé à court d’imagination, il fait appel à la foule pour lui mentionner les pays qu’il n’aurait pas encore cités. Certains dans l’assemblée crient : « La Suisse ! La Suisse ! ». Mais Roduit, qui les entend pourtant, les ignore pour ne continuer à citer que les pays du continent africain. (Journal de terrain, 06.06.2010)39

Les « Africains » sont renvoyés à leur rattachement au continent africain. Et, c’est le troisième aspect de la définition des « Africains », ils sont perçus comme migrants en Suisse. Dans Le Nouvelliste du 8 mai 2004 paraît une invitation au PSSA qui mentionne :

Informons nos frères et sœurs « émigrés » par nos enfants qui côtoient des camarades de couleur en classe. Joignons-nous à ces pèlerins d’Afrique « exilés » en Suisse et goûtons à leurs richesses folkloriques et liturgiques. (Source 32 : Service diocésain d’information 2004)

Un article d’une revue des Capucins suisses, rédigé par B. Maillard (directeur suisse de Missio), annonce en titre : « Venez et partageons. Des migrants en pèlerinage aux saints d’Afrique » (Source 33). Pour C. Maillard, ces migrants finiront par retourner en Afrique d’où ils viennent.

Il est bon que ces Africains qui sont ici, peut-être qui gardent quand même contact avec l'Afrique, un jour ils repartiront dans leur pays, qu'ils puissent dire quand ils retourneront dans leur pays : « Mais en Suisse on vit des choses, voyez, on peut vivre des choses belles, formidables ». (Entretien avec C. Maillard).

La quatrième caractéristique commune qui est attribuée aux « Africains » est la couleur de peau. Les citations qui font des « Africains » des « noirs » sont relativement fréquentes, même dans les textes publiés.

[A propos des participants du pèlerinage] C’est important que les Africains, les noirs soient accompagnés par des blancs, même si y a plus de noirs que de blancs. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Désormais chaque année, il y aura le premier dimanche de juin un pèlerinage des Noirs de Suisse à « saint Maurice l’Africain ». (Source 34 : Simon-Vermot 2002)

[A propos des migrations de l’Afrique vers l’Europe] Dans la seconde partie du XXe siècle, on s’habitua à voir des Africains venir étudier chez nous. A tel point que maintenant cela semble tout à fait

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Une autre anecdote illustre cela : sur le DVD réalisé à l’occasion du PSSA de 2008, on voit E. Sindayihebura en chemise imprimée. L. Barman s’exclame : « T’as le costume de ton pays, là ! ». Oui, « son » pays est forcément africain, et non la Suisse (Source A, transcription personnelle).

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naturel de voir des Noirs dans nos rues et jusque dans nos églises ou dans nos cures. (Source 1 : Parole et Mission 2003)

Un épisode du journal de terrain, relatif à l’assemblée générale du GCMSR le 7 mai 2010, peut aussi être présenté.

Nous nous asseyons autour de la table. Onze personnes sont présentes, représentant les différents groupes siégeant au GCMSR : délégués cantonaux à la mission, Laïcat missionnaire, etc. L. Barman demande combien de sandwichs elle doit commander pour les organisateurs pour le pique-nique du dimanche du pèlerinage. L’un des organisateurs lui rappelle alors : « Compte aussi le p’tit noir, là ! », en désignant E. Sindayihebura. Je regarde les personnes autour de la table ; certaines froncent les sourcils, Etienne sourit et ne dit rien. (Journal de terrain, 07.05.2010)

Si les caractéristiques précédentes faisaient référence à des appartenances géographiques ou nationales, ce dernier trait attribué aux « Africains » est quelque peu différent puisqu’il touche à l’apparence physique. Le terme « noir » qualifiant une personne en fonction de sa couleur de peau fait immédiatement écho à la notion de race et porte un lourd passif historique. Cet usage est chargé aujourd’hui d’un soupçon d’attitude raciste et non politiquement correcte. On peut interpréter la réaction de désapprobation de la part des participants à l’assemblée du GCMSR comme une gêne éprouvée face à l’utilisation du terme « noir », qui plus est assorti d’un adjectif diminutif. Nous reviendrons plus tard sur la discussion du parallèle entre la construction de l’identité collective « africaine » dans le cadre du PSSA et la notion de race.

Définition endogène

Tous les extraits cités, sans exception, sont dus à des locuteurs qui se situent eux-mêmes dans le groupe des « non-Africains ». Ils expriment donc une définition exogène (Poutignat et Streiff-Fénart 2008). Ils tiennent un discours sur « les autres », ceux qu’ils ne sont pas et qu’ils différencient d’eux. Mais qu’en est-il du point de vue des intéressés ? Il a déjà été mentionné que la parole publique est presque exclusivement monopolisée par les « non-Africains ». Mais l’on trouve quelques extraits qui nous montrent que les « Africains » se considèrent bien comme tels, comme l’illustre ce passage d’un discours prononcé par un prêtre « africain » lors du PSSA de 2010.

Nous-mêmes, en tant qu’Africains, nous sommes aussi en communion avec tous ceux et toutes celles qui ont donné leur vie pour le Christ dans une fidélité sincère. (Transcription personnelle)

De plus, il semble que les caractéristiques mentionnées plus haut, qui délimitent les frontières du groupe des « Africains », soient considérées comme pertinentes également par les « Africains ». Lors du PSSA de 2006, une femme est invitée à apporter son témoignage de vie durant la messe. Elle s’adresse à l’assemblée dans les termes suivants :

Nous migrantes et migrants, nous vivons, de fait, une nouvelle vie dans une culture bien différente de celle dans laquelle nous avons grandi. […] Vous Suisses et Suissesses, vous vivez aussi une nouvelle vie : la culture que vous ont transmise vos parents est en pleine mutation. (Source 35 :Lusamba 2006)

Les caractéristiques mentionnées plus haut semblent donc faire l’objet d’un large consensus : les « Africains » sont nés en Afrique, ont une nationalité africaine, ont migré en Suisse et ont une pigmentation foncée. Cette dichotomisation est le principe organisateur de toutes les relations autour du PSSA. Elle est agissante, sans être pour autant explicitement défendue. Nous ne voulons pas laisser entendre que cette construction de l’identité collective « Africains » soit propre au milieu étudié. Les caractéristiques mentionnées seraient sans doute associée par une grande partie de la population suisse aux « Africains ». C’est que l’idée même d’une unité des habitants de l’Afrique est une construction historique profondément ancrée dans le sens commun occidental, et abondamment récupérée par les mouvements panafricanistes. Ce n’est donc pas là une création inédite, mais la réactualisation dans un contexte donné d’une identité collective déjà présente dans l’imaginaire occidental.

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5.1.2. Les « non-Africains » Nous avons vu dans le chapitre 3 que les sociologues ont défini l’identité collective comme éminemment relationnelle : définir un groupe, que ce soit « nous » ou « eux », implique nécessairement de décrire aussi l’autre terme de l’opposition. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons vu que les « Africains » sont définis comme entité à la fois par ceux qui ne se considèrent pas comme « Africains » (définition exogène) et par ceux qui se reconnaissent dans cette identité (définition endogène). Mais à quoi sont opposés, explicitement ou implicitement, les « Africains » ? S’ils sont « africains », c’est qu’ils ne sont pas autre chose, c’est par opposition à une ou des autres identités collectives qu’ils ne partageraient pas. Cette identité non africaine fait l’objet d’un bien plus petit nombre de discours que celle des « Africains ». C’est pourquoi il nous est impossible de cerner ses contours de manière aussi précise que pour les « Africains », et donc de différencier (ou rapprocher) une définition exogène d’une définition endogène comme pour les « Africains ». Parfois les discours nomment ce qu’ils opposent aux « Africains ». Il s’agit en général des « Suisses » (voir Source 35 ci-dessus), des « Européens » ou quelques fois des « Blancs ».

Parce que nous en tant qu'Africains quand il y a quelqu'un qui meurt, il y a des veillées de prières, il y a des célébrations, il y a des messes qu'on appelle de levée de deuil, […] et puis les chrétiens africains ont tendance à aller vite demander à un abbé africain pour faire ça, parce que l'Européen ne comprend pas. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

Noirs et Blancs hauts en couleurs. (Titre d’un article de Eglises solidaires sur le PSSA. Source 36 :Didierlaurent 2009)

Le plus souvent, les locuteurs qui s’identifient comme « non-Africains » se contentent d’opposer un « nous » aux « Africains ».

Culturellement, les ancêtres, les anciens etc., c'est essentiel dans leur culture, nous on a perdu ça. (Entretien avec C. Didierlaurent)

La rareté des discours qui concernent directement les « non-Africains » n’empêche pas que l’on puisse lire de nombreux présupposés en filigrane de la définition des « Africains ». Ainsi, si nous reprenons les caractéristiques attachées aux « Africains », nous pouvons en déduire que les « non-Africains » sont censés avoir une origine géographique et une nationalité extra-africaine, être établis en Suisse et avoir un teint clair. Mais cette définition lue en filigrane comme le contrepied de celle des « Africains » reste une construction théorique. Dans les faits, l’identité « suisse » ou « européenne » a des contours flous. Elle est surtout thématisée lorsqu’il s’agit de l’opposer à l’identité « africaine », pour mettre en valeur les qualités et les apports des « Africains ». Comment interpréter cette absence de clarté dans la définition des « Africains » ? D’abord, on peut penser simplement que comme les « Africains » constituent le public-cible du PSSA, ils sont naturellement plus fréquemment l’objet de discours. Leur groupe est l’objet de politiques d’action (voir les répertoires interprétatifs dans le chapitre 6), ils sont au centre des discussions autour du pèlerinage. Mais la réflexion de Guillaumin (2002) et de Lorenzi-Cioldi (2009) sur les groupes majoritaires et minoritaires peut apporter également un éclairage intéressant. Comme le fait remarquer Guillaumin, dans un système de construction de l’altérité, en général, « le groupe majoritaire n’est pas défini » (2002 : 121). De son analyse des articles de presse d’un grand journal français il ressort que l’appartenance raciale, religieuse, sexuée, ou socioprofessionnelle d’un individu n’est précisée que lorsque celle-ci n’appartient pas à la norme majoritaire : on précise qu’un individu est juif, mais pas s’il est catholique. De même, on signalera la présence de « noirs », mais pas de « blancs ». C’est l’écart à la norme qui est signalé et relevé. Lorenzi-Cioldi (2009) apporte un argument complémentaire à celui de Guillaumin : les individus appartenant aux groupes socialement dominants tendent à être perçus de manière individuelle et donc hétérogène, alors que les

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groupes dominés sont essentialisés et leurs membres sont dés-individualisés. La configuration groupe dominant-groupe dominé nous permet donc de comprendre pourquoi l’un des groupes, les « Africains », est plus clairement défini que l’autre. Dans le cadre du PSSA, les membres du groupe « non africain » détiennent le pouvoir organisationnel du pèlerinage, ainsi que des ressources sociales politiques et financières supérieures. Ils sont de plus les locuteurs de la plupart des documents écrits et des discours oraux. On peut donc dire qu’ils constituent une majorité dominante – non pas en termes numériques par rapport aux participants au pèlerinage, mais à l’intérieur du groupe organisateur et dans la parole publique. C’est pourquoi ils seraient moins l’objet de discours : leur identité étant la norme à partir de laquelle ils décrivent le monde, elle n’est pas thématisée et donc plus floue.

5.2. Stéréotypes et reproduction de l’identité A partir de la dichotomisation présentée précédemment, certains traits de caractère ou de comportement sont associés aux identités collectives délimitées. Il s’agit là de ce que Barth nomme les « contenus culturels », c’est-à-dire des discours définissant comment sont les « Africains », ce qui constitue leurs traits communs en matière de comportement et de caractéristiques. Nous avons déjà énoncé le fait que nous nous intéresserions aux « contenus culturels » de Barth à l’aide de la notion de stéréotype. Les stéréotypes, en tant que caractéristiques associées collectivement à un groupe, procèdent à une généralisation de certains traits de caractère et sont porteurs d’une connotation positive ou négative. Nous verrons qu’ici, les stéréotypes associés aux « Africains » sont essentiellement positifs, transmettant ainsi une image valorisée de ce groupe.

5.2.1. Stéréotypes sur les « Africains » Nos interlocuteurs ont fréquemment établi des comparaisons entre « Africains » et « non-Africains », brossant le portrait de ce que sont pour eux les caractères des uns et des autres. Enumérons quelques traits attribués aux « Africains ». Rappelons qu’il s’agit d’attitudes, de comportements qui seraient propres aux « Africains » et dont les autres seraient plus ou moins dépourvus : la bonne humeur, la ferveur, la spontanéité, la générosité, le respect des ancêtres. Nous avons ajouté à cette liste laudative l’image pessimiste d’une Afrique souffrante, qui est fréquemment transmise par les discours autour du PSSA.

Joie, bonne humeur

Les descriptions publiées du PSSA et les comptes-rendus oraux récoltés font toujours allusion à la bonne humeur générale des participants « africains » au pèlerinage. J. Roduit fait même de cette caractéristique le fil rouge des éditions du PSSA.

Y a un aspect d’une certaine continuité [d’une année à l’autre], parce qu’il y a cette joie africaine, c’est coloré, c’est chantant, c’est rythmé, y a la musique. (Source A : J. Roduit 2008, transcription personnelle)

H. Nguezi Ya Kuiza, lui, fait très explicitement de l’optimisme une caractéristique commune aux « Africains ».

Au cœur même des épreuves de toutes sortes (maladies et deuils, chômage et recherche d’emploi, manque des papiers officiels et de stabilité), les chrétiens africains en Suisse veulent en premier lieu partager l’enthousiasme de leur foi chrétienne et leur espérance, comme le signifient leurs célébrations animées de tam-tam, de chants et de danses qui sont en définitive une expression d’un optimisme de la vie qui caractérise les peuples négro-africains, malgré les vicissitudes tragiques de l’histoire contemporaine. (Source 37 : Nguezi Ya Kuiza 2008)

Cette bonne humeur régnante est, nous le verrons, opposée à un caractère triste attribué aux « Suisses ».

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Foi, ferveur

Les « Africains » se caractériseraient également par leur foi intense, plus intensément démontrée que celle des « Suisses ». C’est d’ailleurs l’un des buts octroyé au pèlerinage : les « Africains » doivent transmettre leur ferveur aux « Suisses », comme le montre ce passage de l’homélie du PSSA 2002 (voir aussi Source 37 ci-dessus).

Et aujourd’hui, ce sont les Africains qui viennent dans notre pays et qui peuvent alors que la foi se refroidit chez nous réchauffer notre croyance, nous réveiller par leurs chants et leur enthousiasme par leurs célébrations joyeuses et animées pour nous redonner goût à la vie spirituelle. (Source 17 : Zimmermann 2002)

Nous reviendrons dans le chapitre 6 sur les enjeux qui entourent justement la ferveur des « Africains ». Si F. Zimmermann semble la présenter comme allant de soi, les organisateurs sont surtout préoccupés par la création d’une relation forte entre les « Africains » et l’Eglise catholique (voir chapitre 6.3.).

Spontanéité

Aux « Africains » est encore prêtée la qualité d’une grande spontanéité.

[A propos du déroulement de la journée du PSSA 2008] C'est spontané puis moi j'aime bien ce côté-là- Moi-même j'ai vécu 20, plus de 20 ans en Afrique et puis j'ai beaucoup aimé cette spontanéité, cette liberté d'expression, je trouve qu'on y gagne que de plutôt être toujours un petit peu là. (Entretien avec C. Maillard)

Cette spontanéité est célébrée par C. Maillard mais aussi par les autres organisateurs.

Générosité, partage

Le repas de midi de la journée du PSSA est chargé d’une symbolique forte de partage, et il occupe toujours une place de choix dans les récits du PSSA. Il est toujours souligné à quel point les « Africains » ont un sens de la générosité plus développé que les « Suisses ».

Les Africains quand on leur dit, comme c'est marqué là, « pique-nique tiré du sac et mets partagés », les Africains ils viennent pas avec un sandwich, hein, ils viennent avec leur grosse casserole, avec des plats et puis voilà, et puis ils te servent dans une assiette, ils vont te porter à toi, « viens manger avec nous », c'est- Voilà, c'est à l'africaine, hein, et nous, t'as là celui qui vient avec son petit sandwich, il a l'air un peu con mais bon, voilà ça c'est... Alors c'est le partage. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Nous reviendrons sur ce motif du partage et de l’échange, en particulier autour du pique-nique, dans le chapitre 6.2. Nous y verrons que le pique-nique est érigé par les organisateurs comme emblème de la valeur du partage, alors que l’expérience du terrain nous en a laissé une autre impression.

Respect des ancêtres

Les « Africains » sont présentés comme ayant un sens aigu du culte des ancêtres, et ainsi un goût particulier pour le culte des saints, en l’occurrence des martyrs ougandais. Les locuteurs font donc un lien explicite entre ancêtres et martyrs catholiques.

Quand on connaît ce que représente pour des Africains la terre des anciens, la terre de la famille où reposent les ancêtres, on ne peut être étonnés qu’ils se trouvent chez eux car ce sont leurs ancêtres dans la foi qu’on conserve précieusement. (Source 33 : Maillard 2008)

Parce que faut voir les Africains, enfin vous verrez ça si vous venez le 6 juin, je veux dire ils sont- voilà, culturellement, les ancêtres, les anciens etc. c'est essentiel dans leur culture, nous on a perdu ça. Et c'est vrai que quand y a la procession depuis Vérolliez, qu'on arrive à la basilique, ils vont tous sur la châsse, ils caressent la châsse, etc., c'est très impressionnant, hein. […] Alors quand y a 300 ou 400 Africains, ça... Oh ça c'est des cérémonies qui... Mais à l'africaine, c'est sympa, quoi. (Entretien avec C. Didierlaurent)

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Ce qui peut frapper, c’est qu’habituellement le « culte des ancêtres » associé à l’Afrique ressort de pratiques non chrétiennes, qualifiées d’animisme, de paganisme, etc. Ici, on voit que le culte catholique des saints est implicitement placé dans la continuité de ces pratiques ; c’est une stratégie que l’Eglise a largement utilisée dans l’évangélisation. Les pratiques et coutumes antérieures à l’évangélisation sont récupérées et chargées d’un sens nouveau (Mvuyekure 1989). Ici, le culte des martyrs est inséré dans la continuité de la pratique supposée ancienne – ancestrale, pourrait-on dire sans jeu de mot – du culte africain des anciens. Les « Africains » sont ainsi supposés tout particulièrement disposés à vénérer les saints.

Misère, souffrance

Si les stéréotypes jusque là présentés donnent une image très positive des « Africains », la situation des « Africains » en Suisse – on a déjà vu qu’ils étaient considérés comme des migrants – ou celle de l’Afrique en général sont systématiquement présentées en des termes négatifs. Les « Africains » sont vus sous l’angle de leurs situations sociales difficiles.

Probablement que la majorité des Africains qui viennent, des chorales etc., ce sont probablement des requérants d'asile qui n'ont pas de papiers, qui n'ont quasiment rien pour vivre, et... et voilà. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Ces communautés africaines elles sont pas toutes très argentées donc elles doivent quand même se démener [pour payer le transport vers St-Maurice]. (Entretien avec C. Maillard)

Parce que beaucoup d'Africains qui sont là-dedans sont pas des Africains très stables non plus qui viennent au pèlerinage. Vous avez des Africains qui sont des réfugiés ou des sans-papiers, et tout ça, et puis matériellement on a pas encore des moyens logistiques vraiment pour prendre en charge complètement ce pèlerinage. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

La vie de la plupart des Africains ici en Europe est dure. (Source 17 : Zimmermann 2002)

Ces affirmations ont certainement un rapport étroit avec la réalité sociale vécue par les participants au pèlerinage. Cependant, elles constituent un stéréotype dans la mesure où elles simplifient et généralisent à tout un groupe la situation vécue par une partie d’entre eux. De manière similaire, l’histoire de l’Afrique et des « Africains » est présentées uniquement sous l’angle de ses chapitres douloureux. En particulier, la thématique de l’esclavage tient une bonne place dans les discours lors des différentes éditions du pèlerinage. En 2002, pour le premier PSSA, des panneaux étaient disposés dans la basilique, retraçant différents aspects de la traite négrière. Lors de l’édition 2010, R.K. Fiangor a déroulé son discours (en partie prononcé le matin et en partie lors de la messe) autour de la thématique de l’esclavage (avec les figures des saintes Perpétue et Félicité et d’une princesse africaine fictive), ainsi que des catastrophes naturelles touchant des descendants d’ « Africains » (tremblements de terre en Haïti). Nous pouvons mettre en lien ce motif avec les travaux sur la notion d’afropessimisme de Lavodrama (2009). Selon lui, l’Afrique et les « Africains » sont présentés dans les médias exclusivement sous l’angle de la tragédie ; les aspects positifs ne font que rarement parler d’eux. On retrouve cette posture dans le PSSA, puisque la situation contemporaine de l’Afrique et des « Africains » en Suisse est décrite uniquement sous un angle négatif. Cette vision ne doit pour autant pas être assimilée à une critique ; ce n’est pas parce qu’elle est négative qu’elle est dépréciative. Au contraire, il s’agit plutôt pour les interlocuteurs d’attirer l’attention sur les souffrances des « Africains » pour compatir et les encourager à la prière. L’utilisation de ce stéréotype dans le cadre du PSSA pourrait être comprise comme une forme d’encouragement à participer au pèlerinage : si les « Africains » sont perclus de maux en tous genre, alors ils ont d’autant plus besoin de l’intercession des saints. C’est donc une image qui se veut agissante, qui produit un besoin et donc une motivation pour se rendre en pèlerinage. On rejoint ici l’idée de performativité du stéréotype abordée plus haut.

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5.2.2. Stéréotypes sur les « non-Africains » Tout comme il est ressorti du précédent chapitre sur le traçage de la frontière, l’identité « non africaine » fait l’objet de très peu de discours. Elle est définie exclusivement en opposition à l’identité « africaine », et elle est en principe dévalorisée face à celle-ci. L’on retrouve dans ces citations les motifs attribués aux « Africains », et dont les « Suisses » seraient dépourvus : générosité, respect des ancêtres, spontanéité.

Ben on est individualistes chez nous, et puis on pense pas à la vie communautaire. Et eux ils sont essentiellement communautaires. (Entretien avec J. Roduit)

Les ancêtres ils sont vivants, ils sont plus vivants que nous, les vivants d'aujourd'hui. Donc c'est pour ça qu'y a un lien pour eux beaucoup plus que nous. Nous on est rationalistes, on est critiques, on est euh, hein? Plus ou moins, peu importe les Eglises auxquelles on appartienne, mais disons y a un- quand même une tournure d'esprit assez critique, assez distante, euh, mais eux ils vivent un petit peu- ces témoins de la foi, ils sont des grands vivants. (Entretien avec C. Maillard)

[A propos du fait que certaines chorales chantent faux] Parce que nous les Suisses on est vraiment très très cadrés, on est à cheval sur les règlements, sur la mélodie, ah une fausse note c'est un drame. Là pas du tout, pas du tout, non, d'abord la vie. (Entretien avec C. Maillard)

C’est avec tout leur corps [= des Africains] que la foi se dit et se partage. Pour nous, rigides comme la justice de Berne, c’est une invitation à nous libérer de nos schémas et de nos habitudes. (Source 33 : Maillard 2008)

A travers ces citations est donc brossé un portrait critique de l’identité « suisse » qui manquerait de certaines qualités. On y retrouve également un stéréotype largement répandu sur la froideur et la distance des « Suisses ». En 2008, ce reproche est souvent mis en lien avec le contexte politique : des votations fédérales ont lieu le 1er juin (date du pèlerinage) sur les naturalisations. Le débat fait donc rage dans le pays sur l’attitude de la Suisse à l’égard des étrangers, et les Eglises prennent le parti de critiquer la xénophobie.

Au cœur d’une Suisse plutôt portée au repli sur soi, voire parfois au rejet xénophobe, [Missio] propose à toutes celles et tous ceux qui le veulent de poser un geste d’amitié et de solidarité à l’égard de leurs frères et sœurs Africains. (Source 38 : Rottet 2008)

Le PSSA se veut même un appel à l’ouverture auprès des citoyens suisses.

En procession jusqu’à l’Abbaye de St-Maurice, les Africains de la diaspora, du Congo RDC, du Rwanda, du Togo, du Cap Vert, du Rwanda [sic] et d’ailleurs n’ont pas manqué d’apporter leur touche colorée, face aux citoyens de la ville qui s’apprêtaient à mettre dans l’urne leur bulletin de vote, en cette matinée dominicale. […] De quoi peut-être faire réfléchir, et tourner favorablement une décision indécise, pour dire non à une xénophobie chère à l’UDC. (Source 39 : Rottet 2008)

On relèvera au passage que les « Africains » sont ici implicitement opposés aux citoyens de la ville, soulignant leur non-appartenance à la communauté nationale suisse. En conclusion provisoire de cette partie sur les stéréotypes, il est frappant de constater à quel point les « Africains » font l’objet d’un discours globalement positif, face aux « Suisses » qui sont critiqués. Nous discuterons cette configuration à partir de la notion d’exotisme (chapitre 5.3.).

5.2.3. Mise en scène de l’identité « africaine » Les contenus culturels associés aux identités collectives décrits jusqu’ici ne sont pas simplement constatés et décrits par les acteurs. Ils font également l’objet, pour certains d’entre eux, d’une politique de mise en scène. En effet, la frontière et les stéréotypes associés aux uns et aux autres sont maintenus et renouvelés par certaines pratiques durant le pèlerinage. En particulier, il est attendu que les « Africains » chantent et dansent, exprimant ainsi leur joie de vivre, leur ferveur et leur spontanéité.

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Journée haute en couleurs que ce dimanche ! Des pèlerinages à St-Maurice, il n’en manque pas tout au long de l’année, venant de nos cantons romands et alémaniques, de France, d’Allemagne, d’Italie. Mais aujourd’hui celui des Africains résidant en Suisse nous apporte une note particulièrement festive, évocatrice de l’exubérance des peuples vivant sous les tropiques. (Source 40 : Simon-Vermot 2006)

Et aujourd’hui, ce sont les Africains qui viennent dans notre pays et qui peuvent alors que la foi se refroidit chez nous réchauffer notre croyance, nous réveiller par leurs chants et leur enthousiasme par leurs célébrations joyeuses et animées pour nous redonner goût à la vie spirituelle. (Source 17 : Zimmermann 2002)

Ces descriptions ne sont pas tout à fait inédites. Elles font écho à un stéréotype bien ancré dans la culture occidentale, qui attribue aux « Africains » des dons musicaux particuliers et un rôle d’amuseur. Neverdeen Pieterse relève que dès les débuts de la traite négrière par l’Occident, les esclaves issus du continent africain sont encouragés à danser et chanter pour distraire leurs maîtres. La fonction d’entertainer, de divertisseur, est « the first role blacks were permitted to perform in white society, after that of slave or servant » (Nederveen Pieterse 1992: 136). Les dons « naturels » dont bénéficieraient les « Africains » pour la musique et le rythme sont une opinion couramment répandue en Occident jusqu’à nos jours.

In white-on-black imagery this is a recurring theme: the special music gifts, the gift of emotional expression attributed to black people. Even in the most rabidly racist view there is always a special place for musical aptitude. [...] This opinion was then and is now shared in Africa and by many black people themselves. (Nederveen Pieterse 1992: 136)

Ce stéréotype s’est largement répandu avec la mode du jazz et d’autres musiques désignées comme africaines ou afro-américaines. L’apport de musique et de chants à travers les chorales a été dès le début une volonté claire des organisateurs du PSSA. Les chorales constituent même le noyau dur des participants : la majorité des pèlerins sont associés de près ou de loin à une chorale. Leur venue et leur performance est promue et souhaitée : leurs frais de transports sont intégralement remboursés. Durant la journée du PSSA, une large place leur est donnée pour s’exprimer, à la fois entre les discours et lors de la pause de midi. On trouve donc là une politique de reproduction de l’identité collective : on demande explicitement aux participants de remplir un rôle qui leur est associé a priori et de longue date, celui de musicien et d’entertainer. D’autre part, les participants sont encouragés à se rendre en pèlerinage vêtus de vêtements « traditionnels ». Cet aspect du PSSA est salué dans la presse.

Et puis quand vous voyez les images même du pèlerinage, ce groupe jurassien [que l’abbé Nguezi Ya Kuiza emmène chaque année au PSSA] a toujours été très important parce qu'il a amené des tam-tams, des balafons, des choses qui étaient caractéristiques pour l'Afrique, et j'ai vu que ça a toujours attiré les journalistes, les cameramen [rires]. J'ai dû acheter aussi, j'ai fait un don de boubous africains pour montrer quand même un peu, hein, l'image de l'Afrique. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

En habits traditionnels comme il se doit pour certains, boubous bariolés aux couleurs les plus vives pour d’autres, instruments de musique, balafons et tam tam… sûr que ce petit cortège entonnant des chants les plus divers dans des langues non moins variées n’allait pas passer inaperçu, en pénétrant dans l’abbatiale. (Source 21 : Rottet 2004)

Ici sont à l’œuvre deux mécanismes de pensée. D’abord, on généralise à tous les « Africains » présents le port d’une sorte de vêtement traditionnel qu’est le boubou (ample vêtement porté par hommes et femmes). Il s’agit de l’attribution des habitudes d’un certain nombre (en particulier des ressortissants d’Afrique de l’Ouest) à tous les « Africains ». Ensuite, nous sommes, comme pour le cas des musiciens, en présence d’une politique de mise en scène et de renforcement de l’altérité. Les « Africains » sont encouragés à se vêtir de manière distincte des « non-Africains », renforçant ainsi la différenciation. Les motivations des organisateurs sont d’ordre esthétique, mais l’effet est bien la traduction en style vestimentaire de la différence socialement construite entre « Africains » et « non-Africains ».

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Contrairement à la frontière, qui peut difficilement être traversée, les stéréotypes sont porteurs d’une valorisation ou dévalorisation et donc d’une normativité : on souhaite que les Suisses acquièrent certains stéréotypes africains, et on souhaite que les « Africains » renforcent leur appartenance par leur comportement et leur style vestimentaire. Mais il ne faut pas tout de même surestimer la croyance des différentes personnes en la réalité des stéréotypes. Nos interlocuteurs ont notamment insisté par oral sur le fait qu’ils étaient conscients de la grande pluralité de l’Afrique, que parler d’ « Africains » étaient difficile et réducteur.

C'est quand même pas la même chose d'être un Guinéen, un Angolais, un Congolais, un Togolais, je sais pas, des gens d'Afrique du Sud ou autre, parce que nous on dit « c'est des Africains », or si vous mettez ensemble quelqu'un qui vient de Stockholm, quelqu'un qui vient de Rome, puis un autre qui vient de Paris, c'est différent, hein, dans l'Europe on sait bien faire la différence entre les Français, les Norvégiens, les Italiens. (Entretien avec J. Roduit)

L'Afrique n'existe pas, hein, l'Afrique elle est plurielle, comme l'Europe est plurielle, elle se construit, l'Europe est plurielle, mais l'Afrique aussi est plurielle, c'est des cultures très diverses, faut éviter toujours de généraliser en disant « les Africains sont comme ça », non, c'est pas vrai, c'est très différent, des histoires très différentes, des parcours très différents, des interférences aussi avec la colonisation très différentes, mais y a quand même un fond commun. (Entretien avec C. Maillard)

Mais malgré ces nuances, les sources donnent une multitude d’exemples d’attribution de traits de caractères et de comportements aux « Africains » et par ricochet aux « non-Africains ».

5.3. Mise en perspective : le racisme et l’exotisme La caractérisation des « Africains » par un trait physique, leur pigmentation, ne peut manquer d’interpeller. En effet, l’appellation « les Noirs » (même avec une majuscule laudative) rappelle le vocabulaire racial ou raciste, courant dans les sociétés occidentales dès le XIXe siècle, tout comme la connotation positive des stéréotypes nous rappelle l’exotisme. Nous reviendrons sur les différentes définitions du racisme et de l’exotisme présentées plus haut (chapitre 3) afin de les mettre en perspective avec notre travail de terrain.

5.3.1. Les « Africains » du PSSA, une race ? Comme nous l’avons vu plus haut, la race est un système classificatoire des êtres humains, qui les sépare en groupe en fonction de caractéristiques physiques héréditaires. Dans le cadre du PSSA, le critère physique est effectivement pertinent dans la dichotomisation des identités, puisqu’à plusieurs reprises les « Africains » sont nommés « les Noirs ». La couleur de peau est donc prise par les acteurs, aussi bien « non africains » qu’ « africains », comme un signe pertinent de différenciation. Mais ce n’est pas le seul, et on a vu que d’autres critères, liés cette fois au rattachement au continent africain et au statut (de migrant) sur le territoire suisse, jouent un rôle également très important. Plusieurs registres de signes sont donc combinés pour construire l’ « Africain ». Et le critère physique n’est pas déterminant par rapport aux autres : ce n’est pas parce qu’ils sont « noirs » qu’ils sont migrants, mais plutôt parce qu’ils « viennent d’Afrique ». Nous ne sommes donc pas dans une pensée classificatoire qui donnerait la prééminence au biologique sur le social, mais c’est plutôt le lien avec le continent africain qui est déterminant. Mais il faut aussi relever qu’à son tour l’idée d’ « Afrique » dans les discours étudiés singulièrement les mêmes contours que la « race noire ». En effet, dans un sens commun bien répandu, l’« Afrique » est identifiée à l’« Afrique subsaharienne », aussi nommée, de manière significative, « Afrique noire ». Venir d’Afrique implique assez clairement pour mes interlocuteurs « être noir ». On peut donc se demander si le vocabulaire africain (la désignation du groupe par le terme « africain ») constitue une véritable différence avec le vocabulaire racial. N’est-ce pas là un effet de la censure intervenue depuis la Deuxième

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Guerre mondiale sur le vocabulaire raciste ? N’aurait-on pas simplement changé le terme pour désigner la même population, la même classification ? Il faudrait pour répondre à cette question des investigations plus approfondies. Mais il reste que si les « Africains » du PSSA ne sont pas clairement érigés en race, l’idée historique de « race noire » n’est pas si loin ; par effet de miroir, la « race blanche » non plus.

5.3.2. Retour sur la notion de racisme Revenons sur les définitions du racisme évoquées plus haut, celles de Todorov (1989), Guillaumin (2002) et Rivera (2000d), et relisons-les à la lumière des résultats empiriques. Les trois définitions ont ceci en commun qu’elles affirment que le racisme postule une différence basée sur des critères biologiques, physiques, somato-morphologiques. Nous avons vu que ce point n’est pas extrêmement clair dans notre cas : la différenciation physique est certes présente, mais pas la seule agissante. Les définitions de Todorov et de Rivera nous indiquent que le racisme contient un déterminisme biologique : le comportement des individus serait lié directement à leurs caractéristiques physiques. Dans notre cas, effectivement, du point de vue des acteurs « le comportement de l’individu dépend, dans un large mesure, du groupe racio-culturel » (Todorov 1989 : 136) dans lequel il est inscrit. Le comportement individuel est ramené à un stéréotype de groupe. Mais de nouveau l’ancrage dans le biologique n’est pas évident. Pour Todorov et Rivera, la construction de la différence est en outre assortie d’une hiérarchisation et d’une action (politique, discriminatoire). Dans notre cas, si hiérarchisation il y a, elle est plutôt exprimée en faveur des « Africains », auxquels sont attribués des valeurs et des comportements que les autres seraient bien inspirés de prendre en exemple. Cela nous renvoie directement à l’interrogation posée au chapitre 3 : le racisme est-il nécessairement hostile ? Si c’est le cas pour Todorov et Rivera, alors clairement la configuration identitaire étudiée ici n’entre pas dans ce cadre. En effet, les discours sur l’ « autre » (le « Suisse » ou l’« Africain », selon le locuteur), sont largement laudatifs. Il nous reste la définition de Guillaumin, qui ne comporte pas une idée de hiérarchisation ou de discrimination, mais simplement de « mise à l’écart ». Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, sa définition est si large qu’elle semble perdre sa spécificité. Après ce parcours, il semble que la situation est claire : aucune des dimensions des trois définitions du racisme étudiées ne sont applicables sans réserve à notre situation. Cela est principalement dû à la difficulté d’attribuer un rôle central à l’argument biologique dans le PSSA, comme le font les définitions du racisme. Nous pouvons encore nous pencher sur le concept de néoracisme, ou racisme culturel. Le racisme classique, basé sur le biologique, aurait en effet laissé la place à un différentialisme culturel. La « culture » comme entité essentialisée aurait pris la place de la « race ». Effectivement, dans le cadre du PSSA, un discours culturaliste apparaît. L’un des organisateurs nous a confié avoir eu « des soucis, culturellement, avec les chorales ». L’abbé Nguezi Ya Kuiza, lui, s’est longuement attardé sur les « spécificités culturelles des Africains », qui justifieraient la mise en place d’une pastorale spécifique40. E. Sindayihebura nous a également expliqué que c’était d’être plongé dans la « culture africaine » (définie par la musique, les danses, la nourriture) qui rendait la journée du PSSA si attractive. On peut donc affirmer sans trop hésiter qu’une forme de différentialisme culturel est présente autour du PSSA, chez tous ses acteurs. Nous avons discuté plus haut des problèmes liés à la notion de « néoracisme », ou de « racisme culturel ». Sans revenir sur les arguments discutés, il nous semble difficile, étant donné les difficultés à établir un parallèle entre la construction de 40

Selon lui, les « Africains » ne se retrouvent pas dans les paroisses et la liturgie suisses en raison de différences culturelles. En particulier, les rituels de deuil seraient inadaptés à « ce qu’ils ont connu dans les pays d’où ils viennent. » (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza).

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l’identité des « Africains » et la race, d’appliquer le concept de racisme (même « culturel ») aux données à notre disposition. Il nous semble cependant intéressant de faire dialoguer le différentialisme culturel mis au jour avec les formes plus classiques du racisme, sans forcément les assimiler l’une à l’autre. En effet, si la construction idéologique diffère (la culture remplaçant la race) et si le différentialisme se charge d’une connotation largement positive, ne sommes-nous pas dans un mode de pensée très largement similaire au racisme ? La frontière identitaire, pour reprendre le concept de Barth, semble délimiter les mêmes groupes que les races. Les stéréotypes associés aux « Africains » sont dans une large mesure similaires aux stéréotypes classiques sur les « noirs ». On pourrait donc supposer – même s’il faudrait se baser sur des données plus complètes – que les discours culturalistes sur les « Africains » sont largement tributaires des discours sur la « race noire ». Cependant, c’est l’attitude globale qui diffère ; si le racisme du XIX e était en principe négatif, hostile, discriminant, le différentialisme du PSSA est globalement exprimé dans une valorisation de l’autre. Le recours à la notion d’exotisme peut nous permettre de mieux cerner cet aspect.

5.3.3. L’exotisme : les « Africains », des « bons sauvages » ? Nous avons vu à propos des stéréotypes attribués aux « Africains » dans les discours du PSSA combien ils sont globalement valorisés par les « non-Africains ». Nous sommes là clairement dans une attitude exotique au sens de Todorov, où « l’autre est systématiquement préféré au même » (1989 : 155)41. Revenons sur les différentes dimensions que Todorov attribue à l’exotisme : le primitivisme, la critique de l’endogroupe et le refus de civilisation. Premièrement, Todorov (1989) nous informe que l’exotisme est en général primitiviste : l’autre valorisé représenterait le passé perdu de la civilisation occidentale. Sans généraliser cette thèse, nous pouvons en repérer une trace dans cette citation :

Culturellement, les ancêtres, les anciens etc. c'est essentiel dans leur culture, nous on a perdu ça. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Les « Africains » seraient porteurs de valeurs que les « Suisses » ont possédées mais ont perdues ; les premiers peuvent donc aider les seconds à retrouver ces vertus. On en vient à la seconde dimension de l’exotisme : la figure du « bon sauvage », emblème de l’exotisme, est présentée par Kilani (1996) comme une manière d’exprimer une critique à l’égard de l’Occident, de l’endogroupe. Nous avons vu par plusieurs exemples combien l’attribution de caractéristiques positives aux « Africains » servait à critiquer les manques des « Suisses » (voir chapitre 5.2.2.). Enfin, la figure du « bon sauvage », tout en valorisant l’altérité, la renvoie à la nature et à l’absence (ou du moins à un état inférieur) de civilisation. Qu’en est-il du regard des « non-Africains » sur les « Africains » ? Un regard rapide sur les stéréotypes attribués aux « Africains » - ferveur, spontanéité, joie, communauté – les place plutôt du côté des émotions. A l’opposé, les « Suisses » sont qualifiés d’« individualistes », « rationalistes », « critiques », « distants », « cadrés », « rigides » (voir sources du chapitre 5.2.2.). Il apparaît donc assez clairement que même si les « Africains » sont valorisés, ils ne sont pas placés du côté de la culture, du savoir, de la rationalité. Cette interprétation peut être renforcée par deux extraits d’un article écrit en 2008 par B. Maillard, directeur de Missio, à propos du PSSA.

41 Si nous pouvons qualifier d’exotique une posture face à l’altérité, c’est celle des « non –Africains » face aux « Africains ». Nos sources sont tout à fait insuffisantes pour pouvoir qualifier l’attitude générale des « Africains » face aux « non-Africains » : peu de discours attribuent des stéréotypes aux « Suisses ». Mais ce qui est intéressant, c’est que les « Africains » s’approprient tout à fait le discours de stéréotypage tenu à leur égard par les « Suisses » : ils adhèrent à la posture exotique des « Suisses ».

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Quand on connaît ce que représente pour des Africains la terre des anciens, la terre de la famille où reposent les ancêtres, on ne peut être étonnés qu’ils se trouvent chez eux car ce sont leurs ancêtres dans la foi qu’on conserve précieusement.

Nous avons le temps mesuré par notre horloge et ils ont encore le temps du soleil dans les gènes. Tant que le soleil brille, tout peut se vivre et être partagé. Mais plus que cela, c’est avec tout leur corps que la foi se dit et se partage. Pour nous, rigides comme la justice de Berne, c’est une invitation à nous libérer de nos schémas et de nos habitudes. Laissons-nous aussi entraîner dans cette gestuelle qui dit la foi et l’appartenance au Christ et à l’Eglise d’une manière tout naturelle. Le corps chante aussi son attachement à Jésus-Christ et à la communauté ! (Source 33 : Maillard 2008)

Relevons simplement les termes associés aux « non-Africains » (« on », « nous ») et aux « Africains » (« ils »), en y ajoutant (en italique) les valeurs qui sont implicitement attribuées à chacun.

Tableau 3 : Comparaison des termes associés aux identités collectives

« non-Africains » « Africains » « on connaît », « on ne peut être étonné », « on conserve précieusement »

� savoir, connaissance

« ils se trouvent chez eux»

� passivité, ressenti, émotion « le temps mesuré par notre horloge »

� technologie, exactitude

« le temps du soleil dans les gènes »

� nature, biologie, approximation

« rigides », « schémas », « habitudes »

� culture, rationalité

« avec tout leur corps », « d’une manière toute naturelle », « le corps chante »

� nature, spontanéité

Ce qui ressort clairement de ce tableau, c’est le positionnement des « non-Africains » du côté de la culture et de la civilisation, et des « Africains » du côté de la nature et des émotions. Les « Africains » vivent au rythme du corps et du soleil, au contraire des « Suisses » armés d’horloges et de schémas. S’il ne s’agit là que d’un exemple de discours, ce n’est pas n’importe lequel : B. Maillard est le directeur suisse de Missio et représente donc une autorité symbolique importante. Cet article est le seul écrit de sa main. Le recours à la notion d’exotisme semble donc plus fructueux que la discussion autour du racisme. En effet, décrire la posture des « non-Africains » du PSSA comme exotique nous permet de mettre en valeur deux éléments important, qui permettent de pousser la réflexion plus avant. Premièrement, comment comprendre l’attitude si positive des organisateurs à l’égard des « Africains » ? D’abord, la situation de l’Eglise catholique face aux migrants africains est définie en terme de besoin. L’Eglise et les « Suisses » ont besoin de l’apport des « Africains » pour revitaliser leur vie religieuse. Au niveau global de l’Eglise catholique, on assiste également à cette tendance : les églises « du Sud » (latino-américaine et africaine) font l’objet de discours de plus en plus valorisants, puisque la balance démographique penche de plus en plus de leur côté. L’avenir des Eglises européennes est vu comme de plus en plus étroitement lié aux apports (en personnel ecclésiastique surtout) des églises du sud. Dans une telle configuration, un discours valorisant sur l’autre devient parfaitement compréhensible. Nous y reviendrons dans le chapitre 6.3. Deuxièmement, comment interpréter le renvoi symbolique des « Africains » à la nature et aux émotions ? Nous voyons dans cette pensée combien les identités collectives et les représentations du PSSA sont les héritières de schémas de pensée anciens. Dès la fin de la Renaissance en Occident, la dichotomisation entre nature et culture s’est renforcée (Kilani 1996). D’un côté, les forces naturelles, l’instinct, la spontanéité, et de l’autre la civilisation, le progrès, la science, la technologie. Combinée à la pensée évolutionniste du XIXe siècle, cette

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pensée a engendré la représentation des groupes humains colonisés comme « en retard » dans leur développement. L’évolution des sociétés humaines irait de la sauvagerie proche de la nature à la civilisation empreinte de culture. Les représentations des organisateurs du PSSA, sans reproduire trait pour trait ces idées, sont néanmoins porteuses d’une vision du monde similaire, bien que dévalorisant la civilisation. Les « Africains » auraient conservé des caractéristiques naturelles et spontanées que les « Suisses » auraient perdues. Cette posture exotique dont font preuve les organisateurs du PSSA est donc intrinsèquement ambiguë : elle valorise tout en construisant l’autre comme radicalement différent, moins civilisé et donc potentiellement moins apte à accéder à la culture. C’est cette altérisation qui est porteuse de potentielles conséquences politiques ; l’exotisme n’empêche en rien la domination ou l’exclusion. Nous avons donc pu montrer comment, dans les discours des uns et des autres, des identités étaient définies et chargées de sens, et en particulier celle des « Africains ». Nous avons mis en perspective ces constructions avec des schémas de pensée et des stéréotypes préexistant dans la culture occidentale et repris par les « Africains » eux-mêmes. Ce travail doit être vu non pas comme un aboutissement mais comme un premier pas, une invitation à aller plus loin. En effet, avec cette investigation, nous n’avons pas rendu justice au fait d’étudier un pèlerinage créé par des missionnaires ; nous n’avons pas simplement interrogé des quidams dans la rue sur leurs représentations des « Africains », mais nous avons choisi comme nœud thématique une rencontre créée par les milieux catholiques romands. Ce pèlerinage est composé de rituels, de mythes, de récits qui le justifient, lui donnent sens. En quoi les constructions identitaires décrites jusqu’ici peuvent-elles nous permettre d’éclairer ces dimensions ? Dans quelle mesure les discours identitaires nous permettent-ils de comprendre les dimensions symboliques du pèlerinage ? C’est à ces questions que nous allons maintenant tenter de répondre.

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6. LES RÉPERTOIRES INTERPRÉTATIFS DU PÈLERINAGE Il s’agit maintenant de s’intéresser de plus près à ce qui constitue la thématique centrale du travail de terrain effectué : le Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique. De quelle manière l’étude des constructions identitaires nous permet-elle d’éclairer ses différentes dimensions ? Nous avons choisi pour cela de faire appel à la notion de « répertoires interprétatifs » de Potter et Wetherell (1995). Il s’est agi d’identifier différentes manières qu’ont les acteurs rencontrés de parler ou de construire le pèlerinage, son sens, ses buts. Nous Notre analyse permet de distinguer trois répertoires interprétatifs du PSSA : le « pèlerinage pour les Africains », le « pèlerinage comme rencontre » et le « pèlerinage comme mission ». Tout d’abord, le répertoire du « pèlerinage pour les Africains » consiste à présenter le pèlerinage comme visant essentiellement à apporter un bénéfice aux « Africains » : cette manifestation permettrait de créer des liens entre eux, de leur donner un ancrage à l’Abbaye de St-Maurice. Ensuite, le répertoire du « pèlerinage comme rencontre » donne une interprétation du PSSA comme lieu de rencontre entre les « Africains » et les « Suisses », un évènement qui permet aux différents groupes de se connaître et de d’enrichir mutuellement. Enfin, le répertoire du « pèlerinage comme mission » présente le PSSA comme une occasion de faire des « Africains » des missionnaires, de les rapprocher de l’Eglise catholique suisse. On le constate aisément, ces différents répertoires interprétatifs font référence aux identités collectives dont nous avons montré la construction. Qu’ils développent un discours sur les « Africains » ou la rencontre, la dichotomisation est toujours à l’œuvre. Aux trois niveaux également interviennent les figures mythiques des saints, qui serviront à justifier et soutenir chacun des répertoires interprétatifs. Il faut aussi relever que ces trois répertoires désignent chacun une fonction du pèlerinage : celui-ci servirait au bénéfice des « Africains », au partage entre communautés et à renforcer les liens entre « Africains » et Eglise catholique. Mais les réduire à l’expression d’une fonction serait en appauvrir le sens. Ils font également référence à des positions de sujet (Carabine 2001) – ils attribuent des rôles différents aux groupes et aux saints ainsi que des jugements de valeur. Il faut relever, et ce fait est central, que ces répertoires ne sont pas opposés mais complémentaires. Ils cohabitent au sein des mêmes discours, parfois de manière très imbriquée, comme nous le verrons. Mais ils peuvent entrer en conflit, et créer des tensions lorsque les différents répertoires induisent des priorités différentes dans l’organisation du pèlerinage. Ce sont ces points de friction qui vont nous intéresser. Nous pourrons ainsi montrer comment la mise en lumière à la fois des constructions identitaires et des différents répertoires interprétatifs nous permet de comprendre et d’expliquer certains paradoxes apparents ou certains échecs évidents.

6.1. Le « pèlerinage pour les Africains » Le pèlerinage est fréquemment présenté comme une journée destinée aux « Africains », Ce répertoire est présenté par tous les interlocuteurs rencontrés, et a été développé dès la création du pèlerinage. Il se compose de deux motifs principaux. Le pèlerinage doit premièrement permettre aux « Africains » de se rencontrer et de créer des liens entre eux, et deuxièmement de créer un lien entre eux et l’Abbaye de St-Maurice. Nous aborderons en dernier lieu la question du projet de transfert de l’organisation du pèlerinage aux « Africains », qui irait dans le sens d’un « pèlerinage pour les Africains » mais n’est pourtant pas rendu effectif.

6.1.1. Une journée « pour les Africains » Dès la création du pèlerinage africain, la journée devait avoir une dimension africaine, à travers la liturgie, les chants, les litanies, les reliques des saints martyrs ougandais. Les

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discours sur le pèlerinage se sont développés pour justifier son importance, et notamment à travers ce qu’il offrirait aux « Africains ». Le pèlerinage est ainsi présenté comme un service rendu par les organisateurs et l’Eglise aux chrétiens « d’Afrique ». A partir de 2008 apparaît le motif de l’ « espace de liberté » : le pèlerinage serait un espace offert aux « Africains » pour s’exprimer librement.

[A propos du PSSA] Oui c'était vraiment une très belle, très belle expérience, et je voyais, au moins de leur offrir une fois par année la possibilité, aussi dans leur tradition catholique, de se retrouver, de se rassembler, de donner un espace. (Entretien avec M. Schmid)

On leur donne un espace où ils peuvent s'exprimer, et puis montrer qu'ils existent. (Entretien avec C. Maillard)

Mais le pèlerinage, moi je trouve qu'il a beaucoup d'avantages, et tout d'abord le premier c'est euh- Je trouve que c'est quand même un espace de liberté qui a été offert aux Africains. Justement là, ce jour-là, c'est leur jour, parce qu'ils viennent, ils chantent, ils jouent du tam-tam, ils prient. […] Au moins c'est un jour où ils sont dans cet espace, où ils s'expriment, où ils expriment aussi leur espérance. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

Une autre des raisons d’être principales du PSSA serait de permettre aux « Africains » de Suisse de se rencontrer, de nouer des liens entre eux. Interrogés sur les fonctions du pèlerinage, voici quelques réponses données par nos interlocuteurs.

C'est vrai que ça donne aux Africains des différents cantons de la Suisse de se connaître, de partager et c'est vrai, on a vu que y avait des gens qui ne s'étaient plus vus depuis longtemps qui se sont rencontrés là-bas, ça c'est très important. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

[A la question « à quoi sert le PSSA aujourd’hui ? »] Ah ben il sert essentiellement aux Africains, c'est leur moment et leur lieu de rencontre, les Africains de toute la Suisse. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Ben je trouvais, voilà, c'était vraiment un lieu où une fois on peut rassembler les Africains ensemble, où ceux qui sont aussi catholiques mais aussi pas catholiques peuvent trouver, se retrouver. (Entretien avec M. Schmid)

Cette dimension de rencontre entre « Africains » est souvent mise en contraste avec leur situation d’immigrés – nous avons vu que celle-ci était l’une des manières de définir l’identité des « Africains ». Les « Africains » réfugiés ou requérants d’asile étant placé par les autorités suisses arbitrairement dans des centres d’accueil dispersés sur tout le territoire, il en résulterait une difficulté à créer des relations. Le pèlerinage serait alors une importante occasion de rencontres.

Et pour nous c'est important justement de, de favoriser ces rencontres entre eux aussi. Parce que souvent, comme j'ai dit tout à l'heure, le réfugié il est tout seul, et « qu'est-ce que je fais là ». (Entretien avec J. Roduit)

Si on est dans un village où toute l'année on ne voit que dix personnes ou même moins, ou quinze, qui viennent d'Afrique, et qu'on se retrouve avec trois cents ou quatre cents, c'est- On se sent- « Ah bon, y a des autres qui habitent là-bas, y a les autres ». Parce que d'habitude on a toujours tendance à penser que ça se limite là où on est, et le fait que ça s'élargisse et qu'on arrive à le voir aussi, c'est quelque chose. (Entretien avec E. Sindayihebura)

Lors du pèlerinage 2010, les pèlerins interrogés ont également mis en avant cette dimension de rencontre comme la plus importante de la journée. Une femme nous a confié venir à St-Maurice pour rencontrer des connaissances qu’elle ne voyait qu’à cette occasion-là. De fait, on pouvait observer que de nombreuses personnes vivaient de joyeuses retrouvailles avec leurs amis. Ces motifs du pèlerinage comme espace de liberté et lieu de rencontre indiquent en filigrane que les « Africains » manqueraient, au quotidien, de tels espaces. Les organisateurs se présentent donc comme offrant un service à la communauté « africaine » pour combler un manque existant. Effectivement, cette interprétation du pèlerinage est à mettre en lien avec une critique de l’attitude générale de l’Eglise suisse envers les « Africains », sur laquelle nous

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reviendrons plus tard (chapitre 6.3.). Et elle projette également sur les « Africains » des besoins, ceux de se rencontrer et de s’exprimer. Selon les récits des organisateurs, une telle demande n’existait pas avant la création du PSSA. Il semble que ces motifs soient intervenus plus tard, pour justifier son existence.

6.1.2. Les saints africains, un lien entre les « Africains » et l’Abbaye Dès les premières discussions autour du projet Parole et Mission est apparue l’idée de créer un lien durable entre les « Africains » de Suisse et le lieu de l’Abbaye de St-Maurice. Le motif était trouvé déjà en mai 2002 : « Saint Maurice était africain et [l’Abbaye] pourrait devenir un lieu identitaire. » (Source 41 : GCMSR 2002). C’est en effet par le détour des figures mythiques des saints que le lien sera créé. C’est là le deuxième aspect du répertoire du « pèlerinage pour les Africains ».

Les saints africains

Il est précisé dès le pèlerinage 2002, et répété dans chaque intervention publique depuis, que le personnage de saint Maurice est lié au continent africain42. C’est la raison citée par tous pour justifier le choix du lieu de St-Maurice pour le pèlerinage africain, alors qu’on peut légitimement supposer que d’autres motivations ont pesé fortement dans le choix du lieu (disponibilité des locaux, intervention du chanoine M.-A. Rey). Tout d’abord, certains interlocuteurs cherchent à apporter des arguments qui attesteraient du lien entre saint Maurice et l’Afrique. J. Roduit relève que saint Maurice a depuis longtemps été représenté comme un « saint noir »

Saint Maurice est représenté dès le Moyen Age comme un saint noir, [il existe] une photo de la cathédrale de Magdeburg en Allemagne, où saint Maurice est représenté vraiment comme un Noir, un beau chevalier du Moyen Age, vraiment on voit bien que c'est un négroïde. (Entretien avec J. Roduit)

Le père-abbé fait même référence à des analyses qu’il aurait fait mener sur les reliques en sa possession pour attester de l’origine du saint.

On a d'ailleurs fait examiner [les reliques] au carbone 14, ils nous ont dit « fin du IIIe siècle, type méditerranéen ». Ce qui correspond donc à l'époque du martyre de saint Maurice, et type méditerranéen, l'Egypte, ça correspond. J'aimerais refaire une fois une analyse à l'ADN, mais ça c'était au carbone 14 mais c'est déjà assez indicatif. (Entretien avec J. Roduit)

H. Nguezi Ya Kuiza, lui, en appelle à l’étymologie du prénom de saint Maurice.

Il faut d’emblée dire que saint Maurice, qui est vénéré dans cette ville qui porte son nom est « maure » (un noir) qui serait venu de l’Afrique du Nord avec la légion romaine et aurait connu le martyre à cause de sa foi chrétienne. (Source 42 : Nguezi Ya Kuiza 2003)

La légion thébaine était originaire d’Egypte, et il semble que les interlocuteurs ressentent le besoin d’insister sur le fait que l’Egypte appartient bien à l’Afrique.

Pour les lieux […] l'idée de base, c'était de faire à St-Maurice plutôt qu'à Fribourg, parce que St-Maurice a un lien avec l'Afrique, donc la légion thébaine, hein, […] donc venue de la Haute Egypte, donc en direction du Soudan, n'est-ce pas. […] Alors cette légion était par là, donc c'était quand même des Africains même si c'était d'Afrique du Nord, c'était quand même des Africains. (Entretien avec C. Maillard)

Alors effectivement, saint Maurice dans l'histoire il est vénéré comme un saint noir, et parfois comme un saint blanc, de fait il est entre deux, il est comme les Egyptiens d'aujourd'hui, quoi, ils sont basanés, quoi. Alors de fait, on a insisté sur l'aspect africain, l'Egypte étant en Afrique. Et puis c'est vrai que si on monte en Haute Egypte, les gens sont noirs comme au Soudan. (Entretien avec J. Roduit)

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Le code désignant ce lien entre saint Maurice et l’Afrique (Maur_Afr) est celui qui a été attribué le plus fréquemment, ce qui montre bien l’omniprésence de ce motif.

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Outre le fait d’insister sur la « réalité » du lien entre saint Maurice et l’Afrique, nos interlocuteurs prennent les martyrs comme emblèmes d’un lien entre le lieu de l’Abbaye (la ville de St-Maurice, le canton du Valais) et l’Afrique.

[L’Abbaye] est le lieu de la rencontre entre l’Afrique et l’Europe, au tout début du christianisme. C’est Maurice et ses compagnons de la Thébaïde égyptienne, qui y sont passés par les armes […]. (Source 33 : Maillard 2008)

Chers amis, chers sœurs et frères, c'est avec joie [que] je vous accueille sur cette terre sainte remplie d'histoire, trait d'union, à travers ces martyrs, entre l'Europe et l'Afrique. (Message d’accueil de C. Didierlaurent, pèlerinage 2010, transcription personnelle))

Nous sommes là au cœur de ce qu’Hobsbawm (2003) a nommé une « invention de tradition » : à partir de matériaux culturels préexistants (la légende de saint Maurice), une nouvelle argumentation voit le jour, qui met en valeur le lien entre ce saint, l’Abbaye et le continent africain. L’un des organisateurs nous avait d’ailleurs précisé que s’il était connu que saint Maurice était égyptien, jamais cette appartenance n’avait fait l’objet d’une célébration ou d’une mise en valeur par l’Abbaye, jusqu’à la création du PSSA. Saint Maurice l’Africain est soutenu dans son rôle de passerelle entre Abbaye et Afrique par le transfert des reliques de martyrs ougandais en 2002. Ces reliques étaient apparemment conservées à l’Africanum à Fribourg jusque là43, et sont placées en 2002 dans une châsse à l’intérieur de la basilique de St-Maurice44.

L’Africanum de Fribourg possédait une des rares reliques de St Charles Lwanga. L’Abbaye de St-Maurice les accueillant volontiers aux côtés de celles de saint Maurice l’Africain, elles furent donc déposées, ce 16 juin, dans une cérémonie solennelle et émouvante. (Source 43 : Zimmermann 2002)

Ces reliques de saints plus récents que saint Maurice et ses compagnons sont présentées comme complémentaires aux martyrs antiques, traçant un trait d’union non seulement entre le Valais et l’Afrique mais également entre l’Antiquité et l’époque contemporaine.

Mgr Roduit et le Chanoine Escher semblaient enthousiastes par l’idée d’une présentation des reliques des saints africains dans la basilique […] pour qu’elles soient offertes à la vénération des fidèles, devenant ainsi le trait d’union entre les martyrs des premiers siècles de l’Eglise et les martyrs de l’époque moderne. (Source 12 : Parole et Mission 2002)

Mais d’autres figures encore de saints africains seront convoquées à l’occasion du PSSA. Il s’agit d’une part de saint Augustin, dont les chanoines de St-Maurice tirent leur règle de vie et qui est d’origine algérienne, et d’autre part des « témoins » mis en avant chaque année depuis 2008. En ce qui les concerne, aucun lien n’est tracé avec le lieu de l’Abbaye. Par contre, leur identité africaine est soulignée et représente la raison de leur mise en avant, sauf pour le témoin de 2010, Maurice Leiggener. Celui-ci a été choisi par C. Didierlaurent et M.-A. Rey en raison de son implication dans l’organisation du PSSA.

Le lien entre les « Africains » et l’Abbaye

Toutes ces figures sont donc mises à contribution pour créer un lien entre le lieu du pèlerinage et les « Africains ». C’est surtout la présence à St-Maurice des reliques des saints ougandais qui justifierait la naissance d’un lien fort entre les participants « africains » au pèlerinage et l’Abbaye. Ainsi, lors du pèlerinage 2002, la brochure annonce :

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L’un des organisateurs nous confie qu’elles avaient été oubliées puis retrouvées dans un grenier, mais qu’il valait « mieux dire qu’elles étaient conservées dans une chapelle », pour une question d’image. Interrogés sur ce point, les autres interlocuteurs, y compris les Pères blancs, répondront qu’ils ne savent pas exactement comment elles sont arrivées à Fribourg ni où elles étaient conservées. Selon un Père Blanc, ces reliques sont constituées de « traces », de « documents », de « souvenirs » ; il ne mentionne pas d’ossements. 44

Selon J. Roduit, les reliques des saints ougandais ont mêmes été physiquement mélangées à celles de saint Maurice et de ses compagnons. La châsse utilisée pour les martyrs africains date du XIXe siècle et n’était semble-t-il pas vide.

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Une heureuse circonstance a fait que nous soyons les dépositaires d’une relique de St Charles Lwanga et de St Matthias Mulumba. En ce jour nous voulons leur trouver une place dans cette basilique à côté des anciens saints d’Afrique qui ont porté la foi au Christ dans ce pays. Ainsi nous aurons trouvé un lieu de rassemblement pour les chrétiens d’Afrique qui sont dans ce pays. (Source 44 : Comité d’organisation du PSSA 2002)

Le lien créé par ces reliques est si fort pour E. Sindayihebura qu’il est pour lui garant de la pérennité du pèlerinage.

Parce que même si la basilique venait à partir [rit], ce que je ne crois pas, on dira toujours que y avait ce lieu. Et tant qu'il y aura ce lieu, je pense que la mémoire- Les gens, en grand ou en petit nombre, viendra parce que c'est un lieu de ressourcement, de rassemblement. Ça au moins c'est un petit socle qui tient ce pèlerinage. (Entretien avec E. Sindayihebura)

La venue annuelle des « Africains » à l’Abbaye est non seulement vue comme la marque d’un lien créé avec ce lieu, mais il est aussi placé dans la perspective historique de l’Abbaye. Celle-ci se réclame en effet de la plus longue histoire de dévotion d’Europe: le monastère aurait connu 1'500 ans de vie monastique ininterrompue depuis 515. Les « Africains » et leur pèlerinage s’inscriraient donc dans cette continuité.

Votre communauté doit être consciente qu’en prenant part à un pèlerinage annuel à St-Maurice, elle contribue à perpétrer [sic] une tradition chrétienne de 1600 [sic] ans. (Source 43 : J. Roduit cité par Zimmermann)

Le père-abbé de St-Maurice nous a aussi assuré que les « Africains » auraient une place dans la célébration du jubilé de l’Abbaye en 2015. Ainsi, le lien serait renforcé. Nous avons fait ressortir certains arguments avancés par nos interlocuteurs pour accentuer les fonctions et les avantages du PSSA. Il ne faudrait pas croire que ce sont des énoncés marginaux ; ils traversent toutes les éditions du PSSA et presque la totalité des articles de presse sur le sujet. Outre le fait de donner du sens au pèlerinage comme pèlerinage pour les « Africains », pèlerinage intrinsèquement « africain », ce répertoire interprétatif a des conséquences pratiques sur la gestion de l’évènement. C’est sur ce point que nous allons nous pencher maintenant.

6.1.3. Le transfert de pouvoir Dès la création de la journée africaine de 2002, l’idée est évoquée d’impliquer dans son organisation le public-cible, c’est-à-dire les « Africains ». Le PSSA est en effet une création exclusive d’un groupe de « Suisses », selon les identités attribuées aux acteurs du PSSA. Il s’agissait au départ de Pères Blancs, d’un chanoine et de collaborateurs de Missio, aucun d’entre eux n’étant considéré comme « africain ». C’est d’ailleurs un reproche formulé par plusieurs de nos interlocuteurs à l’encontre du PSSA : qu’il soit organisé pour les « Africains » et pas par eux. Mais presque chaque année depuis 2002, les procès-verbaux des assemblées du GCMSR font écho d’une volonté de mixité dans l’organisation du PSSA, qui émane de tous les organisateurs.

Nous aimerions placer dans le comité d’organisation des frères et sœurs d’Afrique (Source 45 : GCMSR 2003)

Des mesures concrètes pour intégrer des « Africains » dans l’organisation sont prises en 2007. M. Leiggener, Père Blanc alors en charge de l’organisation, propose d’organiser des commissions, des groupes du travail autour du PSSA : ils seraient chargés de la liturgie, des chorales, des contacts avec la presse, de l’intendance, des finances, des animations pour les jeunes, etc. Chacune des commissions devrait être composée d’ « Africains » et de « Suisses », de manière paritaire. Les documents d’archive du GCMSR montrent cependant que dans les faits seuls deux à trois « Africains » sont placés dans les commissions, contre une

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dizaine de « Suisses » (Source 46 : Comité d’organisation du PSSA 2008)45. Il n’est d’ailleurs pas certain que ces commissions aient véritablement fonctionné : un an après leur mise en place, M. Leiggener cessait toute activité pour cause de problèmes de santé, et les commissions semblent avoir disparu avec lui. C. Didierlaurent, qui reprend l’organisation après M. Leiggener, relance tout de même en 2009 l’idée de créer un comité d’organisation du pèlerinage de quatre personnes dont un « Africain », mais il n’a pas encore vu le jour (Source 47 : Comité d’organisation du PSSA 2009). En parallèle à ces projets avortés, quelques « Africains » ont effectivement été impliqués de près dans l’organisation du PSSA. E. Sindayihebura est chargé depuis 2008 d’une partie des contacts avec les chorales et les groupes « africains ». H. Nguezi Ya Kuiza est membre du comité du GCMSR depuis 2008 en tant que délégué à la mission du Jura, et il s’occupe de rassembler les pèlerins jurassiens. F. Ilunga a assuré en 2010 les tâches d’organisation habituellement remplies par M.-A. Rey, à savoir les questions d’intendance à la basilique et l’organisation de la liturgie. Enfin, O. Kayembé, directeur d’une chorale, s’est chargé de la répartition des chants entre les groupes musicaux. Ces différentes implications font envisager à C. Didierlaurent non plus un comité ou des commissions d’organisation mixte, mais un transfert pur et simple de l’organisation vers les « Africains ».

Parce que notre idée, à la longue, en tout cas la mienne, c'est que ce pèlerinage devienne aussi autonome au niveau du fonctionnement, que ce soit plus le Groupe de Coopération missionnaire qui le prépare, en tout cas son comité, mais que ce soient les Africains eux-mêmes. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Plusieurs raisons sont invoquées pour ce transfert. D’abord, C. Didierlaurent se plaint de la charge de travail que représente le PSSA, ainsi que des différences « culturelles » qui rendraient les contacts difficiles.

C'est beaucoup de travail [d’organiser le pèlerinage] et puis je veux dire, des Blancs qui organisent un pèlerinage pour des Noirs, c'est pas trop... Voilà, c'est passionnant à faire mais ça prend beaucoup de temps... Mais c'est leur affaire, et puis c'est vrai que, ma foi culturellement on a des fois des, des- j'ai eu des fois des soucis avec ces chorales africaines, hein? (Entretien avec C. Didierlaurent)

D’autre part, un transfert de l’organisation aux « Africains » permettrait d’assurer la relève et la pérennisation du PSSA.

Parce que moi je suis assez proche de la retraite mine de rien et donc il faudra bien que j'arrête un jour, ce sera dans trois ans, et que... et si y avait un groupe d'Africains ou mixte ou je sais pas quoi qui prenne en charge ce pèlerinage, là je, je serais très très heureux. Mais le jour où je pars moi je [soupir], si ça évolue pas je sais pas ce qui peut se passer. […] Si les Africains veulent pas se mobiliser, ou si Hyacinthe [Nguezi Ya Kuiza] ne prend pas ça un peu en main et bien si on arrête les deux en même temps, Michel-Ambroise et moi, et bien y aura plus personne. Parce ce que moi une fois à la retraite, je veux pas revenir ici préparer un pèlerinage, hein. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Il confiera après le pèlerinage 2010 que les quatre hommes impliqués cette année dans l’organisation (E. Sindayihebura, H. Nguezi Ya Kuiza, F. Ilunga, O. Kayembé) constituaient à ses yeux un comité tout prêt à prendre l’organisation dès 2011. Mais comment les « Africains » concernés interprètent-ils ces projets ? S’ils sont tous favorables à ce que les « Africains » s’impliquent dans l’organisation, ils pensent également que « les temps ne sont pas mûrs ». Les arguments avancés sont un manque de moyens et de temps.

Parce que beaucoup d'Africains qui sont là-dedans sont pas des Africains très stables non plus qui viennent au pèlerinage. Vous avez des Africains qui sont des réfugiés ou des sans-papiers, et tout ça, et puis matériellement on a pas encore des moyens logistiques vraiment pour prendre en charge

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Sur les documents relatifs aux commissions, les « Africains » sont signalés par une pastille noire avant leur nom, et les « Suisses » par une pastille blanche. Voilà un détail qui nous rappelle la définition des uns et des autres comme noirs et blancs…

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complètement ce pèlerinage. Donc l'apport qui vient de la coopération missionnaire c'est un apport très apprécié, très conséquent. Et puis vous n'avez pas encore des Africains complètement libérés pour cette charge. Tous les prêtres africains qui viennent sont engagés à 100% par leur diocèse dans lequel ils travaillent. Donc tout ce que l'on fait pour l'animation africaine qui vienne de la part de prêtres africains, c'est un surplus qui n'est pas inclus dans leur mandat de prêtre. Alors que les instituts missionnaires comme les Pères blancs ou tout- comme des organismes comme Missio, Coopération missionnaire, c'est un peu leur mandat un peu de s'occuper de la mission. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

Il est fait référence ici d’une part au statut précaire des « Africains » vus, comme on l’a déjà mentionné, comme en majorité des migrants en situation difficile, et d’autre part au manque de temps des prêtres « africains » (dont H. Nguezi Ya Kuiza est un représentant). E. Sindayihebura, lui, est même défavorable à un transfert complet de l’organisation aux « Africains » ; il souhaite une organisation mixte. De plus, il pointe le fait que parmi les quatre « Africains » désignés par C. Didierlaurent pour reprendre le flambeau, aucun, y compris lui-même, ne pourrait véritablement assumer cette responsabilité. En résumé, nous sommes donc en présence d’un vœu commun : la mixité, au minimum, du comité d’organisation. Mais cet objectif ne se réalise pas. Comment comprendre cet apparent paradoxe ? Bien sûr, les arguments concrets et pratiques mis en avant par certains jouent un rôle important : pour inclure des « Africains » dans l’organisation, il faut que ceux-ci en aient le temps et les moyens matériels. Il y faut également une période de transition – mais elle aurait pu être mise en place il y a plusieurs années. Pour éclairer cette situation, il nous semble intéressant de la voir sous l’angle des répertoires interprétatifs du pèlerinage. En effet, le transfert du pouvoir vers les « Africains » irait clairement dans le sens du « pèlerinage pour les Africains », soit de faire du PSSA un rassemblement encore plus clairement destiné aux « Africains ». Ce serait faire un pas de plus dans cette direction. Le « pèlerinage pour les Africains » interfère cependant fortement avec les autres répertoires interprétatifs. Les organisateurs poursuivent en effet d’autres objectifs aussi, comme celui de créer une rencontre lors du PSSA (le « pèlerinage comme rencontre »), et celui de rapprocher les « Africains » d’un rôle missionnaire pour l’Eglise catholique (le « pèlerinage comme mission »). C’est sans doute la co-présence de ces trois registres, chargée d’antagonismes, qui agit comme un frein. Les autres manières de considérer le pèlerinage et ses fonctions entrent en effet en conflit direct avec le projet de transfert de pouvoir, et pourraient donc expliquer son échec. Tentons d’approcher ce dilemme : en quoi donc le transfert de pouvoir entrerait en conflit avec le « pèlerinage comme rencontre » ? Cette optique du PSSA étant basée nécessairement sur la présence importante de « Suisses », les organisateurs craignent qu’un renforcement du pèlerinage comme une « rencontre africaine » ne diminue encore la proportion de « Suisses » présents lors du PSSA. On a donc là un conflit clair entre deux objectifs poursuivis par le PSSA. D’autre part, le « pèlerinage comme mission » pourrait également pâtir d’un transfert de pouvoir, ou plus exactement de la perte de la mainmise organisationnelle par des cadres « suisses » de l’Eglise. En effet, E. Sindayihebura nous a signalé avoir fait part à plusieurs reprises de sa volonté d’ouvrir le pèlerinage à l’œcuménisme et aux « nouveaux mouvements religieux ». Il aurait même invité des pasteurs évangéliques à participer, au nom de l’ouverture. Il nous a aussi précisé que ces propositions se heurtaient à une forte résistance de la part des organisateurs, qui souhaitent conserver l’accent catholique de la journée. Ce type de projets – qui pourraient être mené à bien facilement si le comité d’organisation changeait – entre en conflit avec le motif du « pèlerinage comme mission » en faveur de l’Eglise catholique. On se trouve donc dans une situation transactionnelle à trois pôles, dont celui qui est annoncé comme prioritaire (la mixité) est de fait vu comme conditionné ou restreint par les deux autres.

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6.2. Le « pèlerinage comme rencontre » Le « pèlerinage comme rencontre » constitue un autre répertoire interprétatif du pèlerinage. Il révèle une option du PSSA, un espace, une occasion de rencontres, non pas cette fois entre « Africains » mais entre « Africains » et « Suisses ». La journée serait l’occasion de partage, d’échange, et donc vecteur d’intégration, de solidarité. Cette rencontre est appuyée sur trois motifs : éviter l’enfermement des « Africains » dans un ghetto, promouvoir l’enrichissement mutuel et mettre en valeur l’unité dans la foi chrétienne. Le « pèlerinage comme rencontre » est d’abord basé sur une volonté de ne pas isoler les « Africains » en créant un évènement uniquement destiné à ce public-là. D’autre part, le PSSA serait l’occasion d’un enrichissement mutuel, à vrai dire surtout un enrichissement des « Suisses » par les qualités des « Africains ». Nous retrouverons ici les stéréotypes positifs attribués aux « Africains ». Enfin, on trouve une rhétorique de l’unité : c’est en raison d’une même foi chrétienne que les communautés sont invitées à se rencontrer. Nous verrons que dans ce répertoire interprétatif également les figures des saints sont mises à contribution. De nouveau, pour terminer, nous nous demanderons comment ce répertoire interprétatif est traduit dans la pratique. Nous nous intéresserons aux discours entourant le pique-nique du PSSA, présenté comme le moment symbolique du partage. Dans les faits pourtant, nous avons constaté que ce partage n’a réellement pas lieu. Comment interpréter cela ?

6.2.1. La rencontre contre le ghetto Le pèlerinage est célébré comme un moment de rencontre. Ce « dimanche de la paix et de la fraternité entre les peuples d’Afrique et de Suisse » (Source 48 : Simon-Vermot 2003) devrait permettre d’éviter que les « Africains » ne soient isolés. L’abbé Nguezi Ya Kuiza exprime cette opinion.

Moi j'ai par exemple insisté dès le départ que ce pèlerinage a commencé, c'est une idée qui a été retenue, qu'il ne fallait pas faire un ghetto, les Africains sont déjà dans des communautés etc., et ils ont envie aussi de rencontrer des Européens, des Suisses, de faire des relations et tout ça, et que si on fait un pèlerinage africain, faut faire attention que ça soit pas un groupe purement exotique africain. […] J'ai toujours insisté que ce ne soit pas un ghetto. Les Africains ont d'autres occasions peut-être de se rencontrer mais c'est là qu'ils peuvent aussi rencontrer les chrétiens suisses et partager avec eux. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

C’est un objectif partagé par tous les membres de l’organisation du pèlerinage : il faut que les « Suisses » y participent aussi, afin de favoriser l’intégration des « Africains ». En 2008, l’implication de Missio dans l’organisation du PSSA (avec le projet « Viens et partageons ») a constitué en grande partie à attirer des catholiques « suisses » au PSSA.

6.2.2. L’enrichissement mutuel Les organisateurs mettent en avant que la rencontre entre « Africains » et « Suisses » apporterait aux deux communautés un enrichissement.

Avec joie accueillons cette possibilité que nous offre la rencontre de St-Maurice pour apprendre à reconnaître les richesses insoupçonnées enfouies dans le cœur de nos frères et sœurs de toutes les cultures et de toutes les langues, des peuples d’Afrique, de la Suisse et du monde. (Source 37 : Nguezi Ya Kuiza 2008)

Dans le détail, c’est en fait surtout les « Suisses » qui sont censés profiter des apports des « Africains ». Les multiples stéréotypes positifs attribués à ceux-ci, on l’a déjà vu, servent en même temps à montrer les carences des « Suisses » : manque de ferveur, de gaieté, de spontanéité. Les « Suisses » auraient donc avantage à s’inspirer des « Africains ».

A cette époque où se propagent des anti-valeurs qui nient certains repères essentiels pour l’homme et la société, la diaspora chrétienne africaine a la possibilité de proposer aux Eglises de la Suisse et du monde des valeurs précieuses comme : la joie de vivre, l’amour de la vie, le sens de l’accueil et de

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l’hospitalité, le sens de la famille et la communauté, le sens du sacré et l’enthousiasme de la foi… C’est autant de richesse qui peuvent offrir un supplément d’âme et d’humanité au monde. (Source 37 :. Nguezi Ya Kuiza 2008)

Si toutes les communautés chrétiennes pouvaient se nourrir de ce partage que les Africains nous offrent, nous en ressortirions tout revigorés. (Source 33 : Maillard 2008)

L’abbé Nguezi Ya Kuiza, qui est particulièrement prolifique dans ce type d’argumentation sur les bienfaits mutuels, souligne que les « Africains » aussi ont à gagner du contact avec les « Suisses ».

Les Africains présents en Suisse ne peuvent ni ne veulent vivre en ghetto. Ils tiennent aussi à rencontrer les Suisses et à s’enrichir des expériences séculaires qui ont fait leur preuve dans ce pays paisible. (Source 37 : Nguezi Ya Kuiza 2008)

On constate encore une fois à quel point les identités collectives sont prégnantes dans tous les niveaux d’interprétation du pèlerinage. Le « pèlerinage comme rencontre » est une rencontre entre deux groupes considérés comme différents et qu’il faut faire se rencontrer. Le moment du pique-nique, qui a lieu chaque année à midi durant la journée du PSSA, est érigé comme moment clé de la rencontre et du partage. Là encore, ce sont les « Suisses » qui auraient à apprendre des « Africains ».

Ne serait-ce qu'au repas à midi, parce que les Africains quand on leur dit, comme c'est marqué là, « pique-nique tiré du sac et mets partagés », les Africains ils viennent pas avec un sandwich, hein, ils viennent avec leur grosse casserole, avec des plats et puis voilà, et puis ils te servent dans une assiette, ils vont te porter à toi, « viens manger avec nous », c'est- Voilà, c'est à l'africaine, hein, et nous, t'as là celui qui vient avec son petit sandwich, il a l'air un peu con mais bon, voilà ça c'est... Alors c'est le partage. (Entretien avec C. Didierlaurent)

Les Sœurs Blanches [= équivalent féminin des Pères Blancs] qui préparent leur sandwich, c’est difficile à partager. Elles mangent leur biscotte. Les Africains viennent avec leur casserole, eux. (C. Didierlaurent, réunion du GCMSR du 08.04.2010, transcription personnelle)

Ce moment doit non seulement être un repas partagé, mais il est aussi présenté par C. Maillard comme une rencontre avec la cuisine africaine.

Pendant le repas à midi, ce qui est génial, ces groupes se mettent évidemment ensemble, et puis on invite les gens à fraterniser[…] Alors les mamans congolaises offrent leurs morceaux de serpent grillé, d'autres offrent des poulpes cap-verdiens, alors voyez ils mettent des petits trucs à déguster, puis on passe de table en table, on peut déguster un petit peu les produits culinaires, on voit les mamans là qui discutent entre elles, qui se passent les recettes, et puis, alors c'est extrêmement intéressant, hein, de passer d'un groupe à l'autre, découvrir cette richesse. (Entretien avec C. Maillard)

Outre la perspective genrée très orientée de cette description, on peut relever l’aspect folklorique de la scène décrite par C. Maillard. Il nous semble raisonnable de mettre en doute la présence de serpent grillé dans les assiettes. Mais le locuteur semble vouloir accentuer la dimension d’un « autre » inconnu et très différent.

6.2.3. L’unité chrétienne dans la diversité Mais si les « Africains » et les « Suisses » sont bien considérés comme deux groupes essentiellement différents, ils partagent une même unité de foi. C’est au nom de ce point commun, cette appartenance à une même « famille » chrétienne et humaine, que doit se faire la rencontre.

Nous sommes une famille qui est bien plus large que nous le pensons généralement. Ce partage entre chrétiens d’ailleurs et d’ici nous donne de réaliser que nous sommes une toute grande famille, heureuse d’échanger tant de biens spirituels et culturels. (Source 33 : Maillard 2008)

Dans l’esprit de la Pentecôte, nous voulons consacrer cette journée à l’unité et à la fraternité chrétiennes dans la diversité de nos origines. (Source 49 : Zimmermann 2006)

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L’unité est célébrée, mais c’est bien en général une unité dans la diversité. Les identités collectives ne sont pas dissoutes dans la grande unité chrétienne, mais elles sont considérées comme cohabitantes. Seuls quelques discours ont été rencontrés qui font référence à l’abolition des différences et des statuts entre les chrétiens, thème développé dans le Nouveau Testament. Il s’agit d’abord du discours de F. Lusamba, tenu durant le pèlerinage 2006.

Pour notre Père Céleste il n’y a pas d’Européens, d’Africains ou d’Américains ; ni d’Occidentaux ou d’Orientaux ; ni de blancs, ou de noirs, ou de jaunes : nous sommes tous ces [sic] enfants. Nous sommes tous frères et sœurs. (Source 35 : Lusamba 2006)

D’autre part, les saints sont pris comme exemple de ce dépassement des identités particulières au profit de l’unité et de l’universalité de la foi catholique.

Ça se passe en Eglise, qui a cette dimension universelle. Prenons par exemple ces martyrs, ils sont nés en Ouganda, ils ont été martyrs en Ouganda, maintenant l'Ouganda se situe en Afrique, ils sont plus ougandais ils sont africains, et puis ce sont des martyrs de l'Eglise catholique, ils ne sont plus ougandais ni africains, ils sont au sens vrai du terme catholiques au niveau de l'Eglise universelle. Et là je pense que l'enjeu c'est vrai, c'est d'y aller, les deux communautés devraient participer. (Entretien avec E. Sindayihebura)

Les saints n’appartenant plus à une identité collective particulière, ils invitent chacun à suivre leur exemple. Mais ce discours, minoritaire, n’en abolit pas la pertinence de la dichotomie, puisque ce sont toujours « deux communautés » qui sont invitées au PSSA.

6.2.4. Le public et le pique-nique Malgré les efforts déployés par le comité d’organisation du pèlerinage pour mobiliser les membres « suisses » des paroisses catholiques – ils contactent de nombreuses paroisses et leur proposent d’afficher une annonce du PSSA, ces organisateurs constatent année après année que le public « suisses » qu’ils souhaitent ne se déplace pas. En 2008, au vu de la publicité faite par Missio, l’échec semble d’autant plus amer.

Mon collègue Jacques Michel a dépensé beaucoup d'énergie pour ça, pour mobiliser, parce que lui c'est l'animateur pour la Suisse romande de Missio, qui a le lien avec le Laïcat missionnaire, qui a le lien avec tous les conseils missionnaires régionaux, et là il a dépensé beaucoup d'énergie pour impliquer tous les acteurs et actrices de la pastorale de Suisse romande, pour un résultat assez, assez mitigé. (Entretien avec C. Didierlaurent)

De fait, dès la première édition du pèlerinage, certaines voix soulèvent que ce sont surtout les catholiques actifs dans des organismes missionnaires qui se rendent au PSSA. Le pèlerinage semble échouer à attirer le grand public. D’autre part, le moment censé si fort en partage et en échanges du pique-nique de midi semble ne pas tout à fait remplir ses promesses. En effet, nous avons pu observer que lors du pèlerinage 2010, les groupes de personnes se réunissant pour manger le faisaient selon leur interconnaissance préalable, et non sur le mode de la rencontre. Si des plats étaient partagés, c’était à l’intérieur de petits groupes préformés. De plus, tous les organisateurs considérés comme « suisses » ont pris leur repas – un sandwich, malgré les critiques de C. Didierlaurent (voir sources p. 65)– soit isolés, assis seuls sur un banc, soit avec les collaborateurs de Missio. De ce mélange et ces dégustations annoncées, il n’a pas été relevé de traces. Nous nous trouvons donc, comme avec le répertoire du « pèlerinage pour les Africains », devant un apparent échec de la politique de partage et de rencontre menée par le comité d’organisation. Comment le comprendre ? Ici aussi, l’éclairage de nos répertoires interprétatifs peut nous être utile. D’une part, l’incapacité du pèlerinage à attirer un public hors de ses organisateurs et des groupes « africains » qui reviennent d’année en année nous semble liée à la prégnance de la présentation du pèlerinage comme « pèlerinage pour les Africains ». En effet, mêmes si les invitations au pèlerinage ne portent plus depuis 2005 l’appellation « pèlerinage des Africains », le PSSA reste en général nommé comme tel, ou

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comme le « pèlerinage pour les Africains », à l’oral entre les participants et les organisateurs. E. Sindayihebura et H. Nguezi Ya Kuiza regrettent d’ailleurs ce fait et plaident pour un changement de nom ; ce dernier propose de l’appeler simplement « pèlerinage à St-Maurice », afin de promouvoir une identification des « Suisses » au pèlerinage. Vers l’extérieur, il semble donc que la connotation « africaine » du pèlerinage soit forte et ne permette pas aux catholiques dans leur ensemble de s’identifier à ce projet. D’autre part, l’écart entre les discours sur le partage et les faits peut être aussi lié à une stratégie d’information. En effet, il est tout à fait pensable que les organisateurs accentuent volontairement cet aspect dans leurs discours public (ainsi que dans les entretiens menés) pour promouvoir cette politique de partage. Ils décrivent ce qu’ils voudraient que la journée ait été, non ce qu’elle a véritablement été pour eux. Dans ce sens-là, on peut parler de ces répertoires interprétatifs comme de politiques, qui cherchent à faire exister ce qu’elles nomment, et non comme des descriptions réalistes – même du point de vue des acteurs – du PSSA.

6.3. Le « pèlerinage comme mission » Le troisième et dernier répertoire interprétatif identifié dans les sources étudiées est celui du pèlerinage dans sa dimension missionnaire. Le pèlerinage est lié à la mission à deux niveaux : il s’agit premièrement d’une mission classique, auprès des « Africains », pour les rapprocher de l’Eglise. Il s’agit deuxièmement de faire de ces « Africains » des missionnaires à leur tour. Cet enjeu est construit sur un problème repéré par les organisateurs – et par l’Eglise suisse : selon ces instances, les « Africains » présents en Suisse seraient massivement attirés loin de l’Eglise catholique par ce qu’ils nomment des sectes. On a donc là un premier niveau : ramener ou attirer les « Africains » auprès de l’Eglise catholique. Ensuite, il s’agit d’en faire non des simples paroissiens mais des missionnaires actifs dans la propagation de la foi en Suisse. A cette fin, la figure de saint Maurice est alors à nouveau convoquée : en tant qu’Africain martyrisé en Suisse, il est présenté comme l’évangélisateur de la région. Le christianisme suisse aurait donc des racines africaines, argument présenté en faveur de la prise de conscience par les « Africains » de leur rôle dans l’Eglise.

6.3.1. Loin des sectes, près de l’Eglise Les organisateurs ont presque tous exprimé leur inquiétude devant la proportion des « Africains » résidents en Suisse qui seraient entrés dans des « sectes ». L’Eglise catholique suisse ne répondant pas suffisamment aux attentes de ces migrants, ils se réfugieraient dans des groupes plus petits.

Une des remarques qui sont faites justement à l'Eglise catholique ici c'est que ces Africains débarquent ici, ils vont dans nos grandes paroisses organisées, ils quittent un jour après parce qu'ils disent « On est allés, c'est froid, personne ne nous a accueillis, le curé a prêché, puis on est rentrés », ils ne retrouvent pas l'ambiance, le climat qu'ils ont connu dans les pays d'où ils viennent. D'où une grande perte des catholiques africains, ils vont maintenant dans des sectes, dans des groupes évangéliques, puisque ça c'est plus chaleureux, il y a cette dimension d'accueil, et tout ça. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

E. Sindayihebura exprime la même opinion, selon laquelle les « sectes », qu’il appelle « nouveaux mouvements religieux », offrent des bénéfices qui ne se retrouvent pas dans l’Eglise catholique.

Parce que les nouveaux mouvements religieux ça séduit, même si c'est un petit nombre, y a une sorte d'émotion, de vouloir se retrouver pour se conserver, pour faire face aux difficultés liées à l'exil et à la situation loin de sa terre natale, tout ça. Et là les gens se retrouvent et ces églises comblent ces attentes même si c'est pas à long terme, je sais pas, je peux pas juger, mais ça comble beaucoup plus. (Entretien avec E. Sindayihebura)

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Cette préoccupation de voir les migrants se diriger vers des sectes avait également été exprimé par une publication de la Conférence des Evêques suisses en 1996 déjà, qui faisait le point sur la pastorale des migrants. Nous touchons en effet précisément à la manière dont l’Eglise suisse répond à l’arrivée de nouvelles populations sur son territoire. Les « migrants » bénéficient en principe d’une structure spécifique à l’intérieur de l’Eglise suisse que sont les missions linguistiques. Dès les grandes vagues de migration en provenance de l’Italie et du sud de l’Europe dans les années 1950, les structures des missions linguistiques, transversales aux paroisses, ont voulu offrir une prise en charge spécifique aux migrants, avec des prêtres issus du pays natal (voir chapitre 2.2.). En ce qui concerne les « Africains », aucune structure de ce type n’existe ou n’est en discussion pour le moment. Les organisateurs du PSSA affirment qu’il s’agit là d’un manque, et que ce manque comporte le risque de voir les « Africains » se détourner de l’Eglise catholique.

Dans beaucoup de diocèses, dans beaucoup de paroisses ici, on considère que les Africains en fait ils n'existent pas. Quand il est question par exemple de la mission italienne, mission espagnole, où ils ont leur mission etc., il n'en existe pas une mission africaine, il n'existe pas une mission congolaise, une mission camerounaise y en a pas. On considère qu'ils sont chrétiens, ils n'ont qu'à venir comme tous les autres chrétiens suisses, ils n'ont qu'à aller à leur paroisse, point. Donc il n'y a pas un mandat particulier, reconnu par l'Eglise discernant [sic] un prêtre qui serait africain ou je sais pas, pour que il s'occupe de cette population-là. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

Pour cet abbé, souvent sollicité pour accomplir des cérémonies de deuil « à l’africaine », il y aurait urgence à trouver une solution globale, car les prêtres « africains » travaillant en Suisse ne reçoivent aucun mandat pour ce travail. Le PSSA est donc présenté comme une manière de pallier le vide laissé par les instances supérieures de la CES. Mais qu’entendent vraiment nos interlocuteurs par « sectes » ? La question, posée directement à la plupart d’entre eux, reçoit une réponse peu claire. Pour E. Sindayihebura, les sectes sont des groupes « ni protestants, ni catholiques, ni évangéliques », et il les qualifie également de « nouveaux mouvements religieux » (Journal de terrain, 31.03.2010). H. Nguezi Ya Kuiza, lui, les assimile aux « groupes évangéliques » (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza). Quant à M.-A. Rey, il s’agit simplement de groupes « qui ne sont pas catholiques » (Entretien avec M.-A. Rey, notes). Quoi qu’il en soit, les organisateurs du PSSA sont unanimes pour dire que cette réalité est bien présente lors du PSSA.

Il y a beaucoup d'Africains ici [= au PSSA], il y a beaucoup beaucoup beaucoup d'Africains qui sont dans des nouveaux mouvements religieux. […]Et y a beaucoup, plus de la moitié des gens qui sont ici ils sont dans ces églises, même deux tiers je pense. (Entretien avec E. Sindayihebura)

Les nouveaux mouvements religieux ils arrivent, parce que y a des chorales qui ont cette réalité, où c'est pas seulement des catholiques qui sont dedans. Y a des chorales qui sont presque autant œcuméniques, autant mélangés avec des nouveaux mouvements religieux, parce que les chants qu'ils chantent ils prennent partout. (Entretien avec E. Sindayihebura)

Au-delà des sectes, la présence de musulmans est aussi signalée. Selon C. Didierlaurent, elle « ne pose pas problème » (Entretien avec C. Didierlaurent). Face à la prise de conscience de cette réalité multiconfessionnelle des participants au PSSA, les organisateurs réagissaient en 2003 déjà pour affirmer que « nos rencontres restent pour le moment catholiques afin de ne pas prêter le flanc à des mouvements sectaires » (Source 45 : GCMSR 2003). Il semble que du côté d’E. Sindayihebura par contre, l’idée d’une ouverture à l’œcuménisme (mais pas à l’interreligiosité) soit envisagée.

C'est très difficile, mais est-ce qu'il y a moyen de l'ouvrir? On peut ouvrir à une spiritualité, ouvrir ce pèlerinage à une spiritualité, pas multiforme, déjà on devrait l'ouvrir à l'œcuménisme, oui. On devrait l'ouvrir à l'œcuménisme comme on fait à Taizé et ailleurs. Et là la survie en dépendrait. Mais c'est pas... Une fois j'avais suggéré ça, mais ça passe pas. Et moi franchement je ne vois pas où le problème se posait. (Entretien avec E. Sindayihebura)

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Effectivement, E. Sindayihebura avait proposé par écrit au comité d’ouvrir le pèlerinage à une dimension œcuménique (en invitant des pasteurs ou en modifiant quelque peu les célébrations), « tout en gardant le noyau catholique initiateur » (Source 50 : Sindayihebura 2009). Mais il semble qu’un blocage soit apparu au niveau de l’Abbaye et des Pères Blancs à l’intérieur du comité, qui n’étaient pas favorables à l’intervention directe de groupes non catholiques dans le déroulement du PSSA. Nous avions déjà abordé cette tension à propos du transfert de pouvoir : il semble que les organisateurs proches des structures missionnaires souhaitent conserver forte la dimension catholique du PSSA, à l’encontre d’E. Sindayihebura qui voit dans l’ouverture à l’œcuménisme la seule manière de pérenniser le pèlerinage. Face à une interprétation de la situation que tous partagent – les « Africains » se détourneraient massivement de l’Eglise catholique par manque d’offre – la stratégie adoptée est donc différente. Quand la plupart des organisateurs souhaitent rapprocher les égarés de l’Eglise, E. Sindayihebura opte pour la prise en compte de cette réalité et son intégration dans la structure du pèlerinage. Etant fortement minorisé dans cette optique, on peut douter que sa stratégie soit adoptée. Mais un transfert de pouvoir aux « Africains » pourrait renverser la balance et changer la situation.

6.3.2. Faire des « Africains » des missionnaires Outre la volonté de rapprocher les « Africains » de l’Eglise, le pèlerinage vise dès sa création dans le projet Parole et Mission à renforcer les activités missionnaires romandes. Les objectifs de Parole et Mission sont ainsi définis en 2001 : « faire de Saint-Maurice un lieu permanent d’animation missionnaire » (Source 6 : GCMSR 2001), « relancer un esprit missionnaire » (Source 10 : GCMSR 2001) ou « faire de St-Maurice un lieu privilégié pour l’étude de la mission, l’histoire de la mission en Suisse » (Source 7 : Parole et Mission 2001). Après la première édition du PSSA, le projet missionnaire se recentre sur les migrants et les « Africains ».

Un des buts de « Parole et Mission » est de mettre en route les immigrés d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie qui sont dans notre pays, pour qu’ils prennent en charge la mission auprès des leurs ici et là-bas. (Source 51 : Rey 2002)

Nous appelons les Africains domiciliés en Suisse à devenir des apôtres et des messagers du Christ. (Source 18 : Rey .2003)

Ce motif est régulièrement rappelé lors des premières éditions du PSSA, mais il semble être moins mis en avant ces dernières années. D’ailleurs, aucun de nos interlocuteurs n’a soulevé cet objectif poursuivi par le PSSA lors des entretiens.

6.3.3. Les racines africaines du christianisme suisse C’est en effet en convoquant la figure de saint Maurice que ce motif apparaît. En effet, comme pour les deux autres répertoires interprétatifs, la figure des saints, et ici particulièrement de saint Maurice, joue un rôle prépondérant dans l’argumentation. Saint Maurice, on l’a déjà vu, est présenté comme un lien entre Afrique et Abbaye de St-Maurice et entre « Africains » et « Suisses ». Mais les organisateurs du PSSA ne s’arrêtent pas là : saint Maurice étant venu d’Afrique vivre son martyre en Suisse, il est présenté comme l’évangélisateur du Valais, celui qui a amené le christianisme en Suisse.

Et c'est ainsi que cette troupe [= celle de saint Maurice et de ses compagnons] a été décimée en grande partie ici-même, et bien, comme disait Tertullien, « sur le sang des martyrs est née une foi nouvelle », ça a été la semence des chrétiens, le sang des martyrs a été la semence des chrétiens. (Message de J. Roduit, pèlerinage 2010, transcription personnelle)

Et quand moi j'entends des paroissiens me dire « Ah maintenant on a des prêtres africains qui viennent nous évangéliser », j'ai dit « Non non non, arrêtez arrêtez », déjà au premier siècle, ce sont les Africains qui sont venus ici par le martyre de saint Maurice, ils ont fertilisé le bassin, le Valais, le sol

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chrétien en Suisse, hein, on dit aussi que l'expansion du christianisme est parti un peu de ce bassin-là. Donc vous voyez que l'Africain est déjà à la source de l'essor du christianisme helvétique, hein, alors ça c'est bien. (Entretien avec H. Nguezi Ya Kuiza)

Ainsi, c’est l’Afrique toute entière qui est désignée comme l’origine du christianisme suisse.

Si nous sommes ici, c’est parce que nous le devons à vous, chers frères et sœurs d’Afrique. C’est un dû : nous vous rendons ce que nous avons reçu. Dans cette plaine de Vérolliez, c’est ici qu’aux alentours de l’an 290, un Egyptien avec sa cohorte, par amour pour le Christ, pour sauver d’autres chrétiens, a donné sa vie. (Source A : Rey 2008, transcription personnelle)

Pour avoir refusé de tuer des chrétiens comme eux, ils moururent martyrs. Il est bon de savoir ce que la chrétienté africaine a apporté à notre Eglise ! (Source 43 : Zimmermann 2002)

Comme vous le savez, saint Maurice et ses compagnons martyrs étaient d’origine africaine, de la Haute Thébaïde. C’est par conséquent par le détour de l’Afrique que nous est arrivé le christianisme aux alentours de l’an 300. (Source 52 : Rey 2003)

Ces discours qui donnent au christianisme suisse des racines africaines est à notre connaissance tout à fait inédit. Il semble que ce soit véritablement de nouveau une « tradition inventée », construite sur des éléments préexistants et donnant une nouvelle lecture de l’histoire. Il ne s’agit pas là d’un motif marginal, mais il est présent dans la majorité des documents relatifs au PSSA. Les phrases de M.-A. Rey citées ci-dessus ont été reprises dans quatre autres articles publiés par la suite. Comment interpréter ces discours ? Ils placent symboliquement les chrétiens de Suisse et l’Eglise catholique suisse dans une position de successeure des chrétiens « africains » et ainsi de débitrice. Le christianisme africain est ainsi célébré pour son ancienneté et ses apports au christianisme suisse. On comprend mieux l’enjeu qui sous-tend ces discours lorsqu’on lit cette intervention de J. Roduit :

Vous voyez donc, nous dépendons, notre foi ici dépend du continent africain. C’est assez extraordinaire. Les Européens, on est un peu fiers, on pense qu’on est les premiers, non non, c’est vous, le continent africain, qui nous avez apporté la foi ici. Et je le dis avec émotion. Parce que l’Afrique doit apporter une force nouvelle à l’Eglise aujourd’hui. Nous avons besoin de la force africaine. (Source A : J. Roduit, transcription personnelle)

On voit apparaître ici l’enjeu que représentent les migrants africains pour l’Eglise suisse. En effet, on le sait, au niveau mondial la démographie catholique penche de plus en plus vers les pays de l’hémisphère sud. En Europe, les paroisses désertées par leurs membres sont renflouées par l’apport de la migration en provenance de pays à majorité catholique. Il y a en effet un enjeu important pour l’Eglise suisse à nouer des liens étroits avec migrants, en l’occurrence les « Africains ». Le fait qu’un discours si valorisant pour les chrétiens « africains » apparaissent dans un contexte où l’Eglise catholique perd des membres peut être compris comme une manière de créer du lien, de signaler l’attention et l’intérêt que l’Eglise porte aux migrants. Le parcours analytique qui a été proposé dans cette partie permet de mettre en lumière des dimensions du pèlerinage qui n’avaient pas été abordées dans la première partie de l’analyse. Nous avons ainsi pu montrer la manière dont des discours donnent du sens au pèlerinage en s’appuyant sur les figures des saints. Cette approche présente l’avantage d’esquisser des hypothèses sur les paradoxes constatés entre discours et observations. Nous avons également pu mettre en valeur à quel point les constructions identitaires et les stéréotypes décrits au chapitre 5 imprègnent l’ensemble du discours autour du PSSA.

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7. SYNTHÈSE ET CONCLUSION Dans l’introduction de ce texte, nous comparions le parcours que nous proposions au/à la lecteur/trice à la réalisation d’une œuvre picturale. L’esquisse a été dessinée au chapitre 2 avec la présentation du terrain qui nous a occupée. La création du PSSA a été décrite de manière chronologique, illustrant ainsi les constances et les nouveautés apparues au fil de ses neuf éditions. Nous avons décrit également dans quel champ de relations il était inséré, et quelles institutions étaient impliquées dans son organisation. Nous avons encore montré dans quel contexte général il était inscrit. Sur cette toile de fond contextuelle se sont dessinées des silhouettes, soit une première interprétation : nous avons choisi de lire nos données à travers le prisme de la construction des identités. Notre peinture s’est ensuite nuancée, avec un nouvel angle de vue sur le pèlerinage, au travers des répertoires interprétatifs. Chacun de ces registres a permis de comprendre de manière un peu plus fine comment sont imbriquées et interdépendantes les dimensions symboliques du PSSA. Mais nous avons aussi annoncé d’entrée que les analyses proposées ne sauraient être perçues comme définitives et complètes. Nous n’avons pas produit une toile toute achevée, prête à entrer inerte au musée. Nous pensons sincèrement que l’objet d’étude présenté ici mériterait des analyses plus approfondies, car il soulève bien des interrogations. Il nous semble notamment que ce pèlerinage mériterait d’être mis en perspective de manière plus fine avec le contexte actuel global de l’Eglise catholique et des équilibres Nord-Sud. En effet, certains discours émanant du Vatican marquent une volonté de valoriser de plus en plus l’apport de l’Afrique. La situation démographique de l’Eglise catholique en Europe se dégradant continuellement, l’Afrique est perçue comme un réservoir bienvenu de prêtres et de fidèles. On assiste à ce que certains nomment déjà une « mission inversée » : les missionnaires voyagent plus souvent du sud au nord que l’inverse. L’exemple des Pères Blancs, si impliqués dans le PSSA, est à cet égard digne d’intérêt. Alors que depuis plusieurs décennies le nombre de jeunes missionnaires en formation chez les Pères Blancs est plus élevé en Afrique qu’en Europe, en juin 2010 est nommé comme nouveau responsable général Richard Baawobr, de nationalité ghanéenne. C’est, comme le soulignent les communiqués de presse, le « premier Africain élu à ce poste ». On assiste donc, lentement mais sûrement, à un changement global de perception de la mission : l’Europe devient terre de mission, mais surtout terre d’immigration pour les missionnaires. La volonté des organisateurs du PSSA de rapprocher les immigrants « africains » de l’Eglise et de les voir comme des missionnaires révèle une dimension supplémentaire. A un niveau plus local, celui de l’Eglise suisse, deux axes de recherches se dessinent, qui pourraient à leur tour éclairer la compréhension du PSSA. D’une part, la politique de la Conférence des Evêques à l’égard des migrants mériterait qu’une recherche historico-sociologique lui soit consacrée, et ce d’autant que c’est une histoire en train de se faire. Confrontée depuis les années 1990 à des vagues de migration plus hétérogènes qu’auparavant et à des populations extra-européennes, la CES est encore en recherche de solutions. En ce qui concerne les « Africains », la réponse provisoire du directeur de Migratio est l’organisation d’un deuxième pèlerinage africain, à Einsiedeln ; mais il entreprend ce projet à titre personnel, hors de tout mandat de la part de la CES. Il faudrait s’interroger sur cette forme d’action pastorale que choisissent les autorités de l’Eglise qu’est le pèlerinage : aucun autre groupe de migrants ne s’est vu proposer une telle activité46. D’autre part, toujours au niveau de l’Eglise suisse, les institutions missionnaires actives en Suisse sont un champ de recherche qui semble encore largement inexploré. Qui sont ces

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S’il existe bien des pèlerinages tamoul ou albanais à Einsiedeln, il s’agit toujours d’évènements organisés par les communautés elles-mêmes et non par des autorités ecclésiales.

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organismes, quelle est leur histoire, qui en fait partie ? Et surtout, quelles sont leurs activités ? Si les activités missionnaires dans les zones extra-européennes ont fait l’objet d’une abondante littérature, la manière dont la mission est comprise et mise en œuvre en Suisse semble largement ignorée par la communauté scientifique. Et pourtant, ces organismes sont particulièrement actifs auprès des migrants (comme l’illustre le repas proposé aux migrants chaque semaine par les Pères Blancs), et s’impliqueraient même dans la politique nationale, avec un travail de lobby auprès des offices fédéraux (selon un Père Blanc). Il y aurait donc là au moins des études exploratoires à mener, qui présenteraient une pertinence politique toute actuelle. A côté de ces enjeux touchant les institutions ecclésiastiques, tout un domaine d’investigation s’ouvre également autour des participants au pèlerinage. Nous l’avons dit, nous avons choisi de ne pas explorer cette dimension, pour des raisons essentiellement pragmatiques de temps. Mais il serait éminemment intéressant de les entendre sur leurs propres sentiments d’appartenance et leurs réactions quant aux constructions identitaires véhiculées par les organisateurs. Nous avons notamment fait allusion à l’hétérogénéité confessionnelle des participants au pèlerinage ; il serait intéressant d’explorer comment elle est vécue et mise en discours, notamment à l’intérieur des chorales. En introduction à ce travail, j’exprimais par une anecdote ma prise de conscience de la prégnance des assignations identitaires dans le cadre du PSSA. Elle exprimait aussi bien à quel point la pratique de l’observation participante ne saurait être une présence neutre dans un milieu donné. Le travail de terrain effectué auprès des organisateurs du PSSA a été traversé par de fortes dynamiques d’inclusion (Pollner et Emerson 1988). J’ai été tour à tour présentée comme la future présidente du GCMSR, une des organisatrices du pèlerinage, une potentielle petite amie pour certains, une espionne à la solde de l’Eglise protestante pour d’autres. Dans tous les cas, l’intérêt porté par une jeune femme universitaire au travail d’un GCMSR vieillissant a été accueilli avec enthousiasme. Les dynamiques d’inclusion ne sont pas sans risque. Si elles m’ont permis un accès illimité aux archives du GCMSR, elles comportent aussi le risque d’une incompréhension et d’une déception de la part des organisateurs face au travail d’analyse effectué. Quand l’attente est grande, la chute peut en être plus lourde. A la fin de la rédaction s’ouvre donc une autre page du travail de mémoire, qui ne sera pas écrite (du moins pas ici) : celle de la gestion du retour aux personnes interrogées. Quel contre-don offrir à leur collaboration ? Quel texte leur transmettre, sachant qu’il sera certainement abondamment cité dans leurs publications ? A une prochaine étape donc appartiendra l’observation de la gestion de mon intervention dans l’organisation du PSSA. Si suite au PSSA de 2010 un Père Blanc m’a attribué le commentaire suivant « C’est une petite Pentecôte à laquelle j’ai assisté ! » dans un article d’Ensemble (à paraître), tout est possible quant aux échos de ce travail dans le petit milieu des missionnaires romands.

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8. RÉFÉRENCES

8.1. Sources Les sources sont présentées dans leur ordre d’apparence dans le texte. Seules les sources citées dans le travail sont présentées ici. De nombreuses autres ont également servi à l’élaboration de l’analyse, sans faire l’objet d’une citation.

Source Référence A Service audiovisuel du Jura pastoral. 2008. « Pèlerinage aux Saintes et Saints

d’Afrique ». DVD. 1 Parole et Mission. 2003. « Saint-Maurice. Pèlerinage africain ». Le Nouvelliste,

31.05.2003, p. 19. 2 GB. 2003. « Saints africains à l’honneur à Saint-Maurice ». Le Nouvelliste

02.06.2003, p. 12. 3 Rey, Michel-Ambroise. 2001. [Projets pour Parole et Mission]. Daté du 3 avril

2001. 4 [GCMSR]. 2001. « Présentation du travail du Groupe de Coopération Missionnaire

en Suisse Romande – année 2000 ». Daté du 28.03.2001 et signé par L. Barman et A. Lambert.

5 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2001. « Réunion du groupe de préparation de Parole et Mission 2002 ». Procès verbal daté du 24.04.2001 et signé par M.A. Rey.

6 [Assemblée générale du GCMSR]. 2001. « Procès-verbal de l’Assemblée générale du GCMSR le vendredi 11 mai 2001 ». Signé par L. Barman.

7 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2001. « Réunion du groupe préparatoire de Parole et Mission 2002 le 29 mai 2001 ». Procès-verbal signé par M.-A. Rey.

8 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2001. « Procès verbal de la réunion [du groupe préparatoire de Parole et Mission] du 13 juillet 2001 ». Signé par M.-A Rey.

9 Rey, Michel-Ambroise. 2001. « Rapport du président du Groupe de Coopération Missionnaire en Suisse Romande à l’assemblée générale du 7 mai [2001]».

10 [Comité du GCMSR]. 2001. « Procès-verbal de la réunion du comité du GCMSR du 29 mai 2001 ». Signé par L. Barman.

11 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2002. « [Procès-verbal de la réunion du comité d’organisation de Parole et Mission] ». Daté du 22.01.2002 et signé par M.-A. Rey.

12 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2002. « Procès-verbal du comité d’organisation de Parole et Mission ». Daté du 19.02.2002 et signé par M.-A. Rey.

13 Maillard, Claude. 2003. « Pèlerinage aux saints africains ». Ensemble 3, année 2003, p. 4.

14 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2002. « [Procès-verbal de la réunion du comité d’organisation de Parole et Mission] ». Daté du 02.07.2002, signé par M.-A. Rey.

15 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2002. « [Procès-verbal de la réunion du comité d’organisation de Parole et Mission] ». Daté du 06.09.2002, signé par M.-A. Rey.

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16 [Comité d’organisation Parole et Mission]. 2002. « [Procès-verbal de la réunion du comité d’organisation de Parole et Mission] ». Daté du 09.10.2002, signé par M.-A. Rey.

17 Zimmermann, Fridolin. 2002. « Homélie pour le dimanche 16 juin 2002 à l’occasion de la célébration eucharistique de « Parole et Mission » à l’Abbaye de St-Maurice ».

18 Rey, Michel-Ambroise. 2003. « Rapport du président du Groupe de Coopération Missionnaire en Suisse Romande ». Daté du 09.05.2003.

19 [Comité du GCMSR]. 2003. « Procès-verbal de la réunion [du comité du GCMSR] du 25 février 2003 ». Signé par M.-A. Rey.

20 [anonyme]. 2003. « [Annonce et programme du pèlerinage aux saints d’Afrique du 1er juin 2003] ».

21 Rottet, Pierre. 2004. « Saint-Maurice : succès du Pèlerinage des Africains ». Ensemble 3, juillet-septembre 2004.

22 [Assemblée générale du GCMSR]. 2005. « Procès-verbal de l’Assemblée générale du GCMSR le vendredi 6 mai 2005 ». Signé par L. Barman.

23 [Nguezi Ya Kuiza, Hyacinthe]. 2005. « [Invitation au pèlerinage africain du 5 juin 2005] ».

24 [Comité du GCMSR]. 2005. « Rapport de la réunion du 8 avril 2005 du comité du GCMSR ». Signé par L. Barman.

25 [Comité du GCMSR]. 2006. « Rapport de la réunion du comité du GCMSR, le 2 février [2006] ». Signé par L. Barman.

26 Rey, Michel-Ambroise. 2006. « [Lettre adressée à Action de Carême à propos du PSSA] ». Datée du 21.08.2006.

27 [Comité du GCMSR]. 2007. « Réunion du comité du GCMSR du 13 mars 2007 ». Signé par L. Barman.

28 Häne, Justin. 2008. « Africans beat a path to St Maurice ». Article publié par l’agence Swissinfo le 04.06.2008. http://www.swissinfo.ch/eng/Africans_beat_a_ path_to_St_Maurice.html?cid=127198. Consulté le 31.08.2010.

29 Dorsaz, Marie. 2008. « Septième pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique. Saint-Mauirce s’africanise le temps d’un dimanche ». Le Nouvelliste juin 2008.

30 Rottet, Pierre. 2010. « La foi est un héritage qui mérite d’être transmis ». Agence de Presse et d’Information Catholique, daté du 06.06.2010.

31 Zimmermann, Fridolin et Maillard, Claude. 2007. « 6ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique ». Invitation et programme du pèlerinage 2007.

32 Service diocésain d’information. 2004. « Invitation au 3ème Pèlerinage aux Saints d’Afrique le 30 mai 2004 à St-Maurice ». Le Nouvelliste, 08.05.2004.

33 Maillard, Bernard. 2008. « Venez et partageons. Des migrants en pèlerinage aux saints d’Afrique. Rencontre interraciale à St-Maurice ». Frères en marche 5/2008, p. 40-43.

34 Simon-Vermot, Jean-Bernard. 2002. « Chronique de l’Abbaye ». Les Echos de Saint-Maurice 6, décembre 2002, p. 3-17.

35 Lusamba Félicienne. 2006. « [Discours prononcé durant la messe du pèlerinage, 11 juin 2006] ».

36 Didierlaurent, Claude. 2009. « Huitième pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique. Noirs et Blancs hauts en couleur ». Eglises solidaires 2, juin 2009, p. 4.

37 Nguezi Ya Kuiza, Hyacinthe. 2008. « L’Afrique ne vient pas les mains vides ! ». Eglises solidaires mars 2008, p. 1.

38 Rottet, Pierre. 2008. « Des innovations pour la prochaine édition, le 1er juin ».

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Agence de Presse et d’Information Catholique, daté du 08.02.2008. 39 Rottet, Pierre. 2008. « Un coin d’Afrique sur une partie de la terre valaisanne ».

http://www.missio.ch/fr/mission-universelle/viens-et-partageons-2008.html. Consulté le 31.08.2010.

40 Simon-Vermot, Jean-Bernard. 2006. « Chronique de l’Abbaye ». Echos 14, mars 2007, p. 2-12.

41 [Assemblée générale du GCMSR]. 2002. « Procès-verbal de l’assemblée générale du GCMSR le 10 mai 2002 ». Signé par L. Barman.

42 Nguezi Ya Kuiza, Hyacinthe. 2003. « Parole et Mission : expérience de Saint-Maurice ». Mail de H. Nguezi Ya Kuiza à Missio, daté du 04.04.2003.

43 Zimmermann, Fridolin. 2002. « La foi venue d’Afrique ». Ensemble 3, juillet-septembre 2002, p. IV.

44 [Comité d’organisation du PSSA] « Pèlerinage aux saints d’Afrique ». Brochure du pèlerinage, contenant chants, prières et textes, datée du 16.06.2002.

45 [Comité du GCMSR]. 2003. « Procès-verbal de la réunion [du comité du GCMSR] du 21 janvier 2003 à Fribourg ». Signé par M.-A. Rey.

46 [Comité d’organisation du PSSA]. 2008. « PV réunion du 24.11.2008 ». 47 [Comité d’organisation du PSSA]. 2009. « Information PELERINAGE 2009 aux

Saintes et Saints d’Afrique ». 48 Simon-Vermot, Jean-Bernard. 2003. « Chronique de l’Abbaye ». Les Echos de

Saint-Maurice 8, décembre 2003, p. 2-11. 49 Zimmermann, Fridolin. 2006. « Invitation au Pèlerinage aux Saintes et aux Saints

d’Afrique ». VoCAS 1/2006, p. 2. 50 Sindayihebura, Etienne. 2009 [ ?]. « Constats et propositions ». Document transmis

au comité du GCMSR. 51 Rey, Michel-Ambroise. 2002. « Rapport du président du Groupe de Coopération

Missionnaire en Suisse Romande ». Daté du 05.11.2002. 52 Rey, Michel-Ambroise. 2003. « [Informations concernant le pèlerinage aux saints

d’Afrique de 2003] ». Daté du 26.05.2003. 53 Roduit, Joseph et Stucky, Gabriel. 2005. La Basilique de l’Abbaye de Saint-

Maurice. Saint-Maurice : Abbaye de St-Maurice. 54 [Comité d’organisation du PSSA]. 2009. « 8e Pèlerinage aux Saintes et Saints

d’Afrique. St-Maurice 07 juin 2009 ». Brochure contenant le programme et les récits de vie des saints et des témoins.

55 GCMSR. 2009. « Rapport annuel 2008-2009 ».

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8.2. Bibliographie Amiotte-Suchet, Laurent. 2010. « Les hospitaliers de Lourdes. Une communauté

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I

ANNEXE 1 : INDEX DES NOMS DE LIEUX ET D ’ INSTITUTIONS Abbaye de St-Maurice Monastère fondé en 515 non loin du lieu supposé du martyre de saint Maurice

(Vérolliez), dans la ville de St-Maurice. Il est depuis le IXe siècle occupé par des chanoines suivant la règle de saint Augustin. L’Abbaye est, comme celle d’Einsiedeln, une Abbaye territoriale : elle ne dépend d’aucun diocèse et son père-abbé siège à la Conférence des Evêques suisses. Actuellement, elle compte 53 chanoines, dont trente résident à l’Abbaye. L’Abbaye comprend une basilique, dans laquelle sont vénérées les reliques de saint Maurice et de ses compagnons et, depuis 2002, des saints martyrs ougandais. C’est dans cette église qu’est célébrée la messe du Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique.

Africanum Logement des Pères Blancs suisses à Fribourg. L’Africanum est composé de deux bâtiments reliés par un couloir. Ils contiennent les chambres des Pères Blancs, un réfectoire, des bureaux, une chapelle dédiée aux saints martyrs ougandais et une salle de réunion, la salle Afrika.

Groupe de Coopération Missionnaire de Suisse romande (GCMSR)

Le GCMSR a pour objectif, selon ses statuts datés de 1991, de rendre l’Eglise catholique « plus authentiquement missionnaire » en Suisse romande. Il travaille en lien avec la Conférence des Evêques suisses et les Œuvres Pontificales Missionnaires. Il est formé de délégués de divers organismes catholiques missionnaires (Laïcat Missionnaire, Missio, Groupe romand des instituts missionnaires…) et de délégués de chaque canton romand, qui forment l’assemblée générale. Le comité du GCMSR est constitué de cinq membres. Le GCMSR est financé principalement par Action de Carême (50% du budget environ), ainsi que par Missio. Son activité est actuellement essentiellement liée à l’organisation du PSSA. Depuis 2007, Claude Didierlaurent le préside.

Migratio Commission de la Conférence des Evêques suisses pour les migrants, dirigée par Marco Schmid. Elle est chargée de la pastorale des migrants, soit essentiellement des 13 missions linguistiques existant actuellement : missions italienne, portugaise, espagnole, croate, albanaise, philippine, coréenne, polonaise, slovaque, tchèque, tamoule, vietnamienne et hongroise.

Missio Missio est le nom de la branche suisse des Œuvres Pontificales Missionnaires. Son siège est à Fribourg. Alors qu’en principe les Œuvres Pontificales sont organisées sur le territoire d’un diocèse, en Suisse elles ne possèdent qu’un bureau pour tout le territoire national. Directeur : Bernard Maillard. Directeur romand : Claude Didierlaurent.

Œuvres Pontificales Missionnaires

Les Œuvres Pontificales Missionnaires sont un organe de l’Eglise catholique. Issues d’institutions préexistantes, elles sont déclarées pontificales en 1922, et dès lors se développent dans de nombreux diocèses. Elles ont pour tâche de favoriser l’esprit missionnaire et d’aider les diocèses les plus pauvres à financer l’évangélisation.

Pères Blancs Société de vie apostolique missionnaire fondée en 1868 par le cardinal Charles Martial Lavigerie. Son nom officiel est Société des missionnaires de Notre-Dame d’Afrique. Elle est composée de congrégations de femmes (aussi appelées Sœurs Blanches) et d’hommes (Pères Blancs). D’abord active dans l’évangélisation en Afrique du Nord, elle enverra dès 1876 des missionnaires vers la région des Grands Lacs. Aujourd’hui, les Missionnaires d’Afrique sont au nombre d’environ 2000, répartis dans 42 pays. En Suisse, les Missionnaires d’Afrique sont au nombre de 35, dont 6 sont en mission à l’étranger47. Ils vivent dans une maison baptisée Africanum, à Fribourg.

St-Maurice Commune valaisanne de 4000 habitants. Vérolliez Lieu-dit à proximité de la ville de St-Maurice. Selon la légende, il s’agit du lieu

du martyre de saint Maurice et de ses compagnons. Une chapelle y a été érigée dès le Xe siècle. C’est à cet endroit que débute depuis 2008 le Pèlerinage aux Saintes et Saints d’Afrique.

47

Statistiques des Missionnaires d’Afrique : http://www.mafrome.org/nombre.htm (consulté le 31.08.2010).

II

ANNEXE 2 : LES TÉMOINS ET LEUR HISTOIRE Il ne s’agira pas ici d’entamer une discussion sur l’authenticité des récits de vie des martyrs ; nous laissons l’examen de cette question à d’autres. Pour notre propos, il n’est pas utile de déterminer si les faits racontés ne sont « vraiment passés » ainsi ou ne sont que pure invention (tâche de toute façon bien ardue). Ce qui nous intéresse plutôt, c’est d’examiner le sens investi dans les divers éléments de récits dans le contexte du PSSA, et comment les personnages sont convoqués et présentés. Saint Maurice et ses compagnons48 La première et incontournable figure mythique du PSSA est saint Maurice (en général associé à « ses compagnons »). Il fait l’objet d’un culte dans la ville qui porte son nom depuis le VIe siècle. Reconnu par l’Eglise catholique comme martyr et saint, le récit de sa mort fut composé par Eucher, évêque de Lyon, au Ve siècle ; c’est de cette source que se réclament l’Abbaye de St-Maurice et les organisateurs du PSSA (un autre récit de la passion de saint Maurice, anonyme, existe également mais est moins connu). Eucher raconte qu’une légion nommé « la Thébaine », dirigée par un certain Maurice, était arrivée dans la vallée du Rhône sur ordre de l’empereur Maximien. Les soldats sont convertis au christianisme et refusent d’obéir à leur hiérarchie qui leur commande d’arrêter des chrétiens. L’empereur ordonne alors de passer par le fer un soldat de la légion thébaine sur dix, mais les autres continuent à refuser d’obéir. Maximien les fait alors tous massacrer, sans que les soldats n’opposent la moindre résistance. La tradition situe la date du martyre vers 300 apr. J.-C. Le lieu du martyre serait Vérolliez, un lieu-dit proche de l’endroit où l’Abbaye de St-Maurice fut fondée en 515. Une chapelle y existe depuis l’époque carolingienne, et renferme une pierre sur laquelle la tête de saint Maurice aurait été tranchée. C’est aujourd’hui le lieu où débute le PSSA. Vers 380, l’évêque d’Octodure (Martigny), aurait déposé les reliques des martyrs au pied de la falaise qui marque le défilé de la vallée du Rhône, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la ville de St-Maurice. Une Abbaye fut fondée en 515 à cet endroit par saint Sigismond, roi burgonde. Cette Abbaye revendique 1500 ans de vie monastique ininterrompue depuis lors. Les reliques y sont conservées dans plusieurs châsses d’argent à la basilique, qui sont sorties en procession chaque 22 septembre, fête de saint Maurice. Le culte de saint Maurice a connu une importante diffusion dans l’Europe médiévale. Les martyrs ougandais49 Les martyrs ougandais sont un groupe de vingt-deux catholiques fraîchement convertis et mis à mort par le roi du Buganda entre 1885 et 1886. Ce sont les Pères Blancs, présents dans la région, qui ont converti et baptisé les futurs martyrs, ce qui explique le lien entre cette organisme missionnaire et les saints ougandais. Refusant de renier leur foi, 200 chrétiens sont condamnés à mort par le roi Mwanga, et sont exécutés violemment (crémation, torture). Parmi eux, plusieurs personnages sont particulièrement mis en avant : Charles Lwanga, employé à la cour du roi, Matthias Mulumba, dont le martyre fut particulièrement cruel, ou Kizito, âgé de 13 ans au moment de sa mort. Vingt-deux d’entre ces exécutés seront béatifiés en 1920 et canonisés par Paul VI en 1964. Les Pères Blancs sont particulièrement actifs dans la transmission de la mémoire de ces martyrs. Sans qu’il ait été possible de savoir quand ni comment, des reliques des saints ougandais ont été conservées à l’Africanum à Fribourg ; la chapelle du centre des Pères

48

Basé sur : Source 53, archives du GCMSR. 49

Basé sur : Ceillier 2008, archives du GCMSR, Bonk 2004.

III

Blancs leur est d’ailleurs consacrée. En 2001, décision est prise de transférer ces reliques à l’Abbaye de St- Maurice. Les martyrs ougandais sont fêtés par l’Eglise catholique le 3 juin ; c’est pourquoi le PSSA a lieu le premier dimanche de juin. Sainte Joséphine Bakhita50 Cette femme née au Soudan en 1869 a été canonisée en 2000 par le pape Jean-Paul II. Capturée encore enfant et réduite en esclavage, elle en aurait perdu la mémoire de son nom et de sa langue maternelle. L’un de ses maîtres lui fait subir des scarifications. En 1883, elle est achetée par le consul italien Legnani et emmenée en Italie. Là, elle finit par être confiée à une congrégation de religieuses catholiques, les Sœurs canossiennes de Venise. Bakhita se convertit et elle est baptisée et confirmée en 1890. Rapidement, elle demande à devenir religieuse, et vivra au couvent de Schio (Vénétie) jusqu’en 1947. Saintes Perpétue et Félicité51 Les deux jeunes femmes, chrétiennes, sont arrêtées et condamnées à mort à Carthage en 203, dans un contexte de persécutions des chrétiens dans l’Empire romain. Perpétue est patricienne, Félicité est esclave. Toutes les deux représentent des figures maternelles : Perpétue a un enfant à allaiter et Félicité est enceinte au moment de sa condamnation. Elles sont soumises au supplice (flagellation, attaque de fauves) dans les arènes de la ville. Baba Simon52 Prêtre missionnaire camerounais, Baba Simon (né Mpeke) est né au début du XXe siècle. Converti et baptisé par des pères pallotins allemands en 1918, il est ordonné prêtre en 1935, parmi les premiers prêtres camerounais. Dès 1959, il entame un travail missionnaire auprès des populations kirdis du nord du Cameroun. Il décède en 1975 ; un procès de béatification est en cours au Vatican. Maurice Leiggener53 Né en 1942 à Martigny, M. Leiggener s’engage parmi les missionnaires Pères Blancs en 1974. Il remplit des missions d’évangélisation en Tunisie et au Niger, et rentre en Suisse en 2005. Il est un membre actif du GCMSR et l’un des organisateurs du PSSA jusqu’au printemps 2009, où il doit subitement quitter ses fonctions en raison d’une tumeur au cerveau. Il décède en août 2009.

50

Basé sur : site officiel du Vatican. http://www.vatican.va/news_services/liturgy/saints/ns_lit_doc_20001001_giuseppina-bakhita_fr.html. Consulté le 31.08.2010. 51

Basé sur : Source 54. 52

Basé sur : Source 54. 53

Basé sur : Source 55.

IV

ANNEXE 3 : LE DÉROULEMENT DU PÈLERINAGE EN 2010 Afin de donner au/à la lecteur/trice une vision plus nette du déroulement du PSSA, les évènements de la journée du 6 juin 2010 peuvent être décrits comme suit. Le rendez-vous est fixé dès 9h30 à Vérolliez. Sur place, du café et des petits pains attendent les pèlerins. La cérémonie du matin commence alors que des cars de pèlerins affluent encore. Les pèlerins se regroupent en arc de cercle sur une petite pelouse, autour d’une estrade sur laquelle se tiennent les orateurs. C. Didierlaurent prend la parole pour inviter les enfants à se regrouper ; ils seront pris en charge jusqu’à midi par une équipe d’animation de Missio. Il tient ensuite un discours sur les thématiques suivantes : salutations, contexte social général (mondialisation, immigration), attitude de l’Eglise envers les migrants, témoin (M. Leiggener) et thème (Vérité, Justice, Réconciliation) du PSSA 2010. Ensuite, l’assemblée et les chorales chantent un chant en commun, Je rêve d’un monde. Puis c’est le père-abbé de St-Maurice, J. Roduit, qui prend la parole. Il salue les participants en nommant de nombreux pays d’Afrique. Il raconte ensuite le voyage des évêques suisses au Togo en 2009, puis une partie du martyre de saint Maurice. Il termine par une prière. Après un nouveau chant, c’est le conteur R.K. Fiangor qui prend la parole pour raconte le martyre des saintes Perpétue et Félicité, de saint Maurice, l’histoire d’une princesse africaine réduite en esclavage (qu’il terminera durant la messe) et le martyre de sainte Joséphine Bakhita. Il interagit avec la foule à l’aide de motifs répétitifs : il lance régulièrement un cri, « Korobozi », auquel la foule doit répondre « Koroboza », ou il lance « Alléluia » et la foule répond « Amen ». Ses récits sont entrecoupés de chants des diverses chorales. C. Didierlaurent reprend enfin la parole pour annoncer le pique-nique et la vente de vin de l’Abbaye ; il termine par une prière. Cette partie de la journée aura duré une heure.

Image 4 : J. Roduit, C. Didierlaurent et R.K. Fiangor à Vérolliez. © Edmée Ballif 2010.

Les organisateurs accordent une demi-heure aux chorales pour jouer et faire danser les pèlerins. Ensuite, les participants s’installent aux tables, à l’intérieur ou à l’extérieur, et prennent leur repas. Les organisateurs font de même, mais entre eux et à l’écart.

V

Image 5 : Deux chorales à Vérolliez. © Edmée Ballif 2010.

Vers 13h30, C. Didierlaurent, muni d’un porte-voix, invite les participants à se rassembler de nouveau. Un prêtre lit alors la profession de foi de saint Maurice. Ensuite, le départ en procession vers la basilique est annoncé : en tête est portée une croix, suivie du martyrologe. Puis viennent J. Roduit et les participants. Les chorales se suivent à intervalles réguliers et chantent durant le trajet. Le cortège s’allonge le long du trajet d’un kilomètre jusqu’à la basilique. Il faut environ 45 minutes jusqu’à ce que tous soient arrivés dans l’église. Pendant la procession, quelques personnes récitent le chapelet en compagnie de J. Roduit. Les autres discutent ou chantent.

Image 6 : Procession sur la route entre Vérolliez et St-Maurice. © Edmée Ballif 2010.

La messe débute vers 15h et dure deux heures. Elle commence par les litanies des saints africains chantée par une chorale. Puis elle suit le déroulement classique d’une messe catholique : accueil, pardon des péchés, prière, lectures, homélie, profession de foi, prière, eucharistie, annonces, envoi. De nombreux chants des chorales sont intercalés entre les interventions. L’homélie prend une forme particulière, puisque c’est R.K. Fiangor qui commente les lectures. Il livre une interprétation des textes bibliques à partir des thématiques de l’esclavage et du miracle. Son discours culmine dans l’évocation de la politique de réconciliation nationale de Nelson Mandela et de l’élection de Barack Obama, présentés comme des « miracles de Dieu ». L’assemblée enthousiaste applaudit et crie. La cérémonie est aussi marquée par l’intervention des enfants, qui apportent dans le chœur un panneau décoré sur le thème de l’Afrique et de la justice. A la fin de la messe, les participants se dispersent rapidement.

VI

Image 7 : (gauche) H. Nguezi Ya Kuiza et J. Roduit dans le chœur de la basilique.

Image 8 : (droite) R.K. Fiangor durant la messe dans la basilique. © Edmée Ballif 2010.