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ISLAMISME ET “POST-ISLAMISME” EN TURQUIE Jean Marcou De Boeck Supérieur | Revue internationale de politique comparée 2004/4 - Vol. 11 pages 587 à 609 ISSN 1370-0731 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-4-page-587.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Marcou Jean, « Islamisme et “post-islamisme” en Turquie », Revue internationale de politique comparée, 2004/4 Vol. 11, p. 587-609. DOI : 10.3917/ripc.114.0587 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 105.128.103.17 - 04/07/2013 00h29. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 105.128.103.17 - 04/07/2013 00h29. © De Boeck Supérieur

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ISLAMISME ET “POST-ISLAMISME” EN TURQUIE Jean Marcou De Boeck Supérieur | Revue internationale de politique comparée 2004/4 - Vol. 11pages 587 à 609

ISSN 1370-0731

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-4-page-587.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Marcou Jean, « Islamisme et “post-islamisme” en Turquie »,

Revue internationale de politique comparée, 2004/4 Vol. 11, p. 587-609. DOI : 10.3917/ripc.114.0587

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, n° 4, 2004 587

ISLAMISME ET “POST-ISLAMISME” EN TURQUIE

Jean MARCOU

Faisant figure d’exception en raison de sa laïcité, la Turquie attire aujourd’huiparadoxalement l’attention à cause de son islamisme ou plus exactement de son“post-islamisme” car alors que cette mouvance politique, dont les racines remon-tent à une trentaine d’années, a en novembre 2002 remporté une victoire sans appelaux élections législatives, elle semble s’être subitement dissoute dans une démocra-tie turque en pleine mutation. Comment expliquer cette transformation spectacu-laire ? Qui sont ces ex-islamistes de l’AKP, farouchement partisans de l’intégrationeuropéenne, qui se définissent désormais comme des “conservateurs-démocrates” ?

Depuis la période kémaliste, la Turquie apparaissait comme un pays parti-culier au sein du monde musulman en raison de sa laïcité. C’est désormaisparadoxalement son islamisme ou plutôt ses islamistes qui polarisent toutesles attentions. Ce phénomène est récent. Certes l’épopée du Refah depuis lafin des années 80, l’influence de ce parti islamiste sur les mutations de lasociété civile, ses résultats électoraux nationaux et locaux, son arrivée aupouvoir dans les grandes villes et surtout l’accession de son leader, NecmettinErbakan aux fonctions de premier ministre en 1996, avaient déjà été desévénements largement commentés. Mais il faut bien voir que, depuis troisans, le développement de l’islamisme turc a pris un tour nouveau. En effet,la dissolution du Parti de la Prospérité (RP, Refah Partisi) par la Cour Cons-titutionnelle en 1998 et l’éphémère expérience du Parti de la Vertu (FP, FaziletPartisi) ont débouché sur l’émergence d’une formation politique d’un genrenouveau, le Parti de la Justice et du développement (AKP ou AK Parti, Adaletve Kalkinma Partisi), qui a largement remporté les dernières élections légis-latives en novembre 2002. Loin de n’être qu’une péripétie partisane et élec-torale, l’arrivée au pouvoir de ce parti et de son leader Recep Tayyip Erdoganpeut être considérée comme un événement qui dépasse largement la seulevie politique turque. En effet, ce mouvement, sans renier ses origines et sonidentité religieuse, s’est fortement démarqué des pratiques internes et desstratégies des formations qui l’ont précédé. Rompant avec le radicalisme du

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Refah, il privilégie, en effet, le dialogue sur les grands sujets qui agitent lasociété turque et déclare accepter les règles de la démocratie parlementaireet la structure laïque de l’État allant même jusqu’à se faire le héros d’unelutte pour l’avènement d’une démocratie plus accomplie, d’un État de droitvéritable et d’une “vraie laïcité”. Dans le sillage de ce discours surprenant,l’AKP affiche désormais résolument et ostensiblement son désir de voir laTurquie entrer dans l’Europe et cet objectif est devenu l’une des priorités duprogramme qui est actuellement celui du gouvernement de Recep TayyipErdogan.

Cette transformation spectaculaire de l’islamisme turc a suscité bien sûrune abondance de commentaires fondés souvent sur la prudence voire sur ladéfiance et parfois sur des simplifications hâtives ou des analogies hasar-deuses. En réalité, on peut dire que les premières réactions et analyses quiont fleuri se situent entre deux opinions extrêmes qui constituent les deuxpôles antagonistes d’un débat contemporain sur l’islamisme turc. La pre-mière opinion extrême accueille le phénomène avec méfiance. Le parti deRecep Tayyip Erdogan n’est plus un parti islamiste mais une formation quiobéit à des visées politiciennes très largement destinées à satisfaire les Occi-dentaux et en particulier les États-Unis. Très en vogue dans le monde arabe,en particulier dans les milieux islamistes et anti-impérialistes, cette opinionfait de l’AKP le jouet d’un complot destiné à faciliter la pénétration desidées et de l’impérialisme occidentaux au sein du monde musulman. À l’autrebout de la chaîne, la seconde opinion extrême est dominée par un certainenthousiasme. La victoire de l’AKP et l’expérience gouvernementale en coursseraient en train d’ouvrir des perspectives novatrices aux sociétés du mondemusulman qui sont le plus souvent à l’heure actuelle dans une impasse poli-tique hésitant entre des tentatives peu convaincantes de démocratisation etle maintien de régimes autoritaires qui s’efforcent de devenir présentablestout en restant généralement soumis aux pressions d’un islam plus ou moinsintégriste. En leur montrant qu’elles peuvent trouver leur propre voie vers ladémocratie tout en préservant leur identité culturelle et religieuse, la démar-che turque pourrait devenir un exemple à suivre. En outre, en confortant leschances de la candidature turque à l’Europe, elle contribuerait aussi à éloi-gner le spectre du choc des civilisations.

L’objet du présent article n’est pas tant de nous positionner dans ce débatque d’essayer d’identifier plus modestement la spécificité de ce phénomène.Qui sont les nouveaux islamistes turcs, sont-ils véritablement différents eten quoi ? Les études qui ont déjà été faites sur le sujet ont avant tout privilé-gié une analyse comparative, en cherchant à situer l’islamisme turc sur l’échi-quier complexe des activismes religieux en action dans le monde musulman.Or, il nous semble que le développement de cette mouvance qui, en Turquie,affiche une spécificité très nationale pour ne pas dire nationaliste, doit être

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principalement évalué dans son contexte local. Les hommes qui sontaujourd’hui au pouvoir en Turquie ont parfois un long passé politique mili-tant, parlementaire et gouvernemental. Comment leur pratique aguerrie dela vie politique turque n’aurait-elle pas marquée durablement leurs idées etleur comportement ?

Nous essaierons d’abord de comprendre comment l’islamisme s’est im-planté dans le paysage politique turc pour ensuite revenir sur la victoire del’AKP et procéder à une analyse de la spécificité de ce mouvement au tra-vers de ses évolutions les plus récentes.

Implantation et développement de l’islamisme dans la démocratieparlementaire turque

Dans les années 90, les succès électoraux spectaculaires du Refah ont sou-vent été analysés comme des événements nouveaux voire inopinés. Beau-coup de commentateurs d’emprunt de l’actualité turque oubliaient ainsi que,dans ce pays, l’islamisme a une longue expérience de la vie politique et de ladémocratie parlementaires. En l’espace de trente ans, on peut dire, en effet,que le mouvement islamiste turc est passé d’une situation de marginalité àun état de respectabilité. Il est également important d’avoir conscience del’évolution idéologique de cette mouvance politique qui, de courant islami-que prônant simplement le respect de l’identité religieuse de la Turquie dansles années 70, serait devenue une vraie force islamiste dans les années 90,c’est-à-dire un parti plaçant l’islam au cœur de son discours pour faire de lasoumission à la loi religieuse un modèle apte à rivaliser de nos jours avec ladémocratie.

L’observation de l’antériorité de cette mouvance en Turquie que nousvoulons à présent développer n’a pas pour objet d’écrire l’histoire de cephénomène politique en tant que telle mais de montrer comment l’islamismedans ce pays s’est implanté dans le système politique. Nous pensons, eneffet, que le cheminement de cette implantation à travers l’instabilité politi-que, les coups d’État, les joutes électorales et les rivalités partisanes, ontprofondément transformé l’islamisme turc.

Le premier âge de l’islam politique en Turquie

Avant d’évoquer le premier âge de l’islam politique en Turquie, il est impor-tant paradoxalement de revenir sur la spécificité de la laïcité dans ce pays.En édifiant une république laïque, Mustafa Kemal tournait le dos à six siè-cles d’histoire ottomane dominée par l’islam. Les réformes kémalistes, eneffet, remettaient en cause les fondements religieux d’un Empire qui, en

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dépit de son cosmopolitisme, fut sans doute l’État musulman le plus puis-sant qui ait jamais existé. Ce faisant, en dépit de la radicalité du discoursofficiel, la laïcisation turque fut un phénomène progressif. Ainsi MustafaKemal ménagea la sensibilité religieuse des populations musulmanes qui lesoutenaient pendant la guerre d’indépendance, il laissa ensuite subsister leCalifat jusqu’en 1924 après avoir pourtant aboli le Sultanat en 1922 et pro-clamé la République en 1923, il fit enfin de l’islam au terme de la Constitu-tion de 1924 la religion du nouvel État turc et ne réforma cette dispositionqu’en 1928 pour finalement inscrire en 1937 le “laïcisme” dans l’ordre cons-titutionnel, au même titre d’ailleurs que les autres principes du kémalisme.De surcroît, bien qu’influencée par l’exemple français, la laïcité turque affi-che des particularismes qu’il est important d’avoir à l’esprit. Loin de consis-ter d’abord en une séparation de l’État et du religieux, elle apparaît surtoutcomme un phénomène de maîtrise de l’islam par l’État qui est bien illustrépar le rôle imparti au Diyanet, la direction des affaires religieuses crééeaprès la disparition du Califat. Cette instance, étroitement rattachée aux ser-vices du Premier Ministre, contrôle totalement l’exercice des religions, for-mant et appointant les imans en particulier et allant jusqu’à leur dicter lesprêches qu’ils lisent lors de la prière du vendredi. Mais cette forme de laï-cité, par la suite largement précisée et justifiée par la Cour constitutionnelle,a débouché sur une tendance à l’uniformisation religieuse en faisant de laconfession majoritaire, le sunnisme hannéfite, un culte en quelque sorte offi-ciel. Or la pluralité de l’islam est restée une réalité qui illustre à nouveau laspécificité de la Turquie au sein du monde musulman. Cette pluralité setraduit d’abord par l’existence d’une forte communauté alévie (une confes-sion d’origine chiite à tendances hétérodoxes) qui constituerait selon cer-tains spécialistes près d’un cinquième de la population turque. Ignorée quandelle n’était pas réprimée sous l’Empire ottoman, cette communauté, à l’ins-tar des protestants français, a toujours affiché sa fidélité à la Républiquelaïque, manifestant plus récemment son hostilité au développement d’unislamisme d’inspiration sunnite. Mais la diversité de l’islam turc se traduitaussi par la présence et l’influence de nombreuses confréries soufies qui,bien qu’interdites au début de la République, sont parvenues à survivre pourconnaître actuellement un renouveau sensible. À cet islam de confréries’ajoute encore la vitalité des pratiques religieuses populaires : pèlerinages,superstitions… Ainsi, il faut voir qu’outre le développement d’un mouve-ment islamiste, la République laïque a dû tolérer au cours des deux derniè-res décennies un débordement de son islam officiel par le retour à l’islamréel. En ce sens, plus qu’à une crise de la laïcité, on assiste plus exactementà sa mutation induite en fait par le développement d’une pratique diversifiéeet pour tout dire libre de l’islam transcendant le culte officiel mis en placepar le kémalisme.

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Pour en revenir maintenant aux premiers développements de l’islam po-litique en Turquie, il n’est pas inutile de rappeler que le parti démocrated’Adnan Menderes et le parti de la Justice de Süleyman Demirel, qui furentles premières grandes forces de contestation du kémalisme, après l’instaura-tion du multipartisme, d’une part, et le coup d’État de 1960, d’autre part,abritaient déjà des tendances religieuses et des lobbies islamisants. Mais onpeut dire que la formalisation institutionnelle de l’islam politique en Tur-quie remonte à la création du mouvement Milli Görüs en 1969. Cette date etce mouvement sont aujourd’hui devenus mythiques à tort ou à raison. MilliGörüs représente désormais le creuset, la référence initiale dans la mémoirecollective, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’un mouvement islamiste turcqui est devenu hétérogène et qui a pris une tout autre dimension. Il est im-portant d’observer que ce sont des raisons électorales plus qu’activistes oumilitantes qui sont à l’origine de la création de ce mouvement. Il s’agissaitde disposer d’une structure de liaison, lors des élections législatives de 1969,pour soutenir un certain nombre de candidats indépendants dont NecmettinErbakan. Lui seul d’ailleurs fut élu à Konya et il fonda alors un véritableparti, le Parti de l’Ordre national (Milli Nizam Partisi). Mais après “le coupde palais de 1971”, qui vit l’armée contraindre le Parlement à renvoyer legouvernement Demirel, ce parti fut interdit par la Cour constitutionnelle.L’expérience avait été de courte durée mais cette mouvance s’était trouvéeun leader, ce qui est très important dans la logique de fonctionnement despartis en Turquie. Necemettin Erbakan, qui symboliquement décida de s’exi-ler en Suisse après la dissolution du Milli Nizam Partisi, allait, en effet,devenir la figure de proue de l’islamisme turc pendant une trentaine d’an-nées.

À la suite de cette intervention militaire limitée de 1971, le retour à unfonctionnement normal de la démocratie parlementaire fut assez rapidecomme d’ailleurs la recréation d’un parti islamique mais les tenants de l’is-lam politique en Turquie avaient appris qu’ils devaient compter avec l’ar-mée. C’est sans doute la raison pour laquelle, la création, en 1972, du Partidu Salut National (MSP, Milli Selamet Partisi) fut discrète et en tout casdominée par la prudence. Necemettin Erbakan ne prit pas d’ailleurs immé-diatement la tête de cette formation et préféra attendre qu’elle ait prouvé saforce et son influence. Ce fut chose faite lors des élections législatives de1973 qui virent le MSP obtenir, avec près de 12 % des voix, un résultat trèssignificatif. Cette influence retrouvée et amplifiée allait permettre à ceuxque l’on n’appelait pas encore les islamistes turcs d’approfondir leur im-plantation dans le système. Devenus, une force politique souvent incontour-nable, ils allaient trouver dans l’instabilité parlementaire des années 70l’occasion non seulement d’entrer au gouvernement mais aussi celle d’ap-prendre à négocier avec les autres partis pour la formation de gouverne-ments de coalition. Passant successivement des alliances avec le

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centre-gauche et avec le centre-droit, le MSP devint ainsi l’un des partispolitiques-clefs du système parlementaire à la fin de la Seconde Républi-que. Dès cette époque, Necmettin Erbakan fut à plusieurs reprises vice-pre-mier ministre dans des gouvernements de centre-gauche ou de centre-droit.Il s’allia notamment aux kémalistes du Parti Républicain du Peuple (CHP,Cumhuriyet Halk Partisi), en 1974, pour participer au premier gouverne-ment Ecevit, en janvier 1974, où il se vit confier des ministères importants(Justice, Intérieur, Agriculture, Industrie…). Il participa ensuite, entre 1974et 1978, aux deux gouvernements dits de “Front Nationaliste” (MilliyetçiCephe) dirigés par Süleyman Demirel. On comprend donc que, paradoxale-ment, même dans un État laïque militant, cette mouvance politique, loind’être exclue de la vie politique y ait été fortement associée. Elle eut alors leloisir d’apprendre l’art du dialogue et des accords tactiques avec d’autresforces politiques qui défendaient parfois des options éloignées siennes. Elleeut aussi et surtout l’occasion d’exercer des responsabilités officielles ausein même de l’appareil d’État.

On peut certes s’interroger sur la nature islamiste du MSP et sur ses liensavec les formations postérieures de la mouvance islamiste turque. Même sile MSP n’était pas encore un parti islamiste à proprement parler, il plaçait laréférence à l’islam au cœur de son programme, de son action et de sa straté-gie. Tous ses dirigeants étaient des musulmans pratiquants, souvent mem-bres de confréries. Toutefois, ce parti restait prudent et se définissaitessentiellement comme nationaliste, avec tout ce que cela peut avoir d’am-bigu ; car il ne s’agissait pas bien sûr du nationalisme républicain anti-impé-rialiste des kémalistes mais plutôt d’un ottomanisme, nostalgique du “bontemps” où l’Umma était sous la coupe d’un Sultan-Calife turc dont l’Empiredominait le monde. Ce chauvinisme religieux était pourtant dilué dans unprogramme confus, fondé sur une stratégie économique volontariste prô-nant le renforcement de l’industrie lourde. Dans un pays laïque, ce discourséconomique “développementaliste” voulait en fait surtout donner un touracceptable à un mouvement de contestation moralisateur d’essence religieuserecherchant avant tout l’adhésion des musulmans turcs pratiquants gênés, àune époque ou la gauche et l’extrême-gauche étaient influentes, par le ca-ractère de moins en moins islamique de la société dans laquelle ils vivaient.

Ainsi dès cette époque-là on est frappé malgré tout par le légalisme decette nouvelle mouvance politique. Loin de mettre en cause de façon radi-cale l’ordre établi, loin de prétendre détruire une république “impie”, l’is-lam politique turc semble beaucoup plus soucieux de prendre le pouvoir etpour ce faire, dans un régime parlementaire, il n’hésite pas à s’allier à ladroite conservatrice et à participer à des gouvernements de coalition.

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Le deuxième âge de l’islam politique en Turquie

L’épopée du MSP devait s’achever avec le coup d’État de 1980 qui mit unterme à la situation de guerre civile larvée dans laquelle se trouvait la Tur-quie à la fin des années 70. Comme tous les autres partis, le MSP fut interditet ses dirigeants arrêtés. On sait que, contrairement à celles de 1960 et de1971, cette intervention militaire imposa un long purgatoire à la démocratieparlementaire turque. Ce n’est qu’en 1983 que les partis politiques furent ànouveau autorisés et que des élections législatives purent avoir lieu. Il fallutde surcroît attendre 1987 pour qu’un amendement constitutionnel permetteaux dirigeants des anciens partis (comme Necmettin Erbakan) de pouvoir ànouveau prendre part à la vie politique.

Le Refah fut créé dès 1983 mais ses premiers résultats ne furent pas à lahauteur de ceux obtenus par le MSP dans les années 70. Toutefois, la filia-tion entre les deux formations sauta aux yeux de la plupart des observateursavertis. Le Refah obtenait, en effet, ses meilleurs scores dans les zones d’im-plantation du MSP et plus de la moitié de ses dirigeants avaient été membresdu MSP. Le contexte politique avait pourtant profondément changé. Grandsvainqueurs des élections de 1983 et 1987, Turgut Özal et son parti de laMère Parti (ANAP, Anavatan Partisi) cherchaient non seulement à récupérerles “avoirs” électoraux de la droite et du centre-droit turcs, ce qui le condui-sait à mener une politique de déréglementation ultra-libérale, mais il n’hési-tait pas à donner à son discours et à sa politique une connotation très religieuse.On sait notamment qu’à cette époque celui qu’on devait appeler “le Prési-dent croyant” et qui n’était encore que premier ministre n’hésita pas à serendre à La Mecque pour y effectuer le pèlerinage. Il favorisa par ailleurs unimportant développement des relations économiques turco-arabes. Ainsi, nonseulement l’islam politique paraissait avoir été marginalisé par le coup d’Étatmais, concurrencé et gêné par la stratégie de Turgut Özal, il semblait enpasse d’être le grand absent du retour à la démocratie. Il fallut donc attendreque le “libéralisme özalien” commence à montrer de sérieux signes d’es-soufflement pour que la mouvance islamique puisse entrer dans une nou-velle phase de développement en Turquie.

C’est lors des élections municipales de 1989 et lors des élections législa-tives de 1991, que le Refah remporta ses premiers succès en s’alliant à l’ex-trême droite nationaliste. Les élections municipales de 1994 révélèrentl’ampleur de ce renouveau puisque le Refah, cette fois tout seul, l’emportadans six des plus grandes villes turques dont Ankara et Istanbul. Enfin, lesélections législatives de 1995, où il obtint 21 % des voix, firent de lui lepremier parti turc. Ces succès allaient lui ouvrir les portes du gouvernement.

Ainsi, au milieu des années 90, le Refah avait retrouvé une influencecomparable à celle du MSP et l’avait même étendue. Pourtant, il faut voir

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qu’il s’agissait d’un parti d’un genre nouveau. Pour la faire admettre dans lesystème, le MSP tentait de donner une coloration économique à une contes-tation religieuse discrète. À bien des égards, le Refah faisait l’inverse enessayant de transformer l’insatisfaction économique et sociale ambiante enrevendication religieuse. Car dans un pays émergent, désormaismajoritairement urbain, il ne s’agissait plus de toucher simplement les mu-sulmans les plus pratiquants, mal à l’aise dans une société laïque, mais biende s’adresser à l’ensemble des insatisfaits, en particulier à de nouveaux sec-teurs sociaux déçus tour à tour par l’étatisme laïcisant et par le libéralismedébridé. Parti protestataire enfanté par la République laïque, chassant surles terres de tous les partis du système qu’ils soient de droite ou de gauche,le Refah pouvait donc s’adresser à des populations très variées : habitants dezones urbaines et périurbaines assaillis par la précarité, classes moyennesfrustrées par les promesses non tenues du mirage “özalien”, Kurdes déraci-nés travaillant dans les grandes villes de l’Ouest ou même Femmes déçuespar une modernisation sociale inachevée.

Parvenu au sommet de sa gloire en 1996, lorsque Necmettin Erbakandevint premier ministre, le Refah se trouvait dès lors confronté à un doubledéfi. Comment devenir le principal parti de gouvernement d’une Républi-que laïque et parlementaire sans se renier mais aussi sans éveiller la mé-fiance et l’hostilité de l’armée, gardienne du système ? On sait comment sesolda cette ultime expérience. Dirigeant un gouvernement de coalition où ildevait composer avec le Parti de la Juste Voie (DYP, Dogru Yol Partisi) deTansu Ciller, étroitement contrôlé par l’appareil politico-militaire représentépar le Conseil national de Sécurité, Necmettin Erbakan ne fut jamais enmesure de conduire la politique qu’il désirait. Il fut ainsi bientôt déstabilisépar le Conseil National de Sécurité qui émit par à son encontre la fameuserecommandation du 28 février 1997. Ce texte lui demandait de “prendre desmesures” à l’encontre des groupes radicaux œuvrant contre la laïcité et rap-pelait qu’“aucune concession ne serait faite sur l’application des principeslaïques contenus dans la Constitution”. Après s’être soumis à cette injonc-tion pour sauver l’existence de son gouvernement, le premier ministre isla-miste, en butte aux pressions de l’armée et aux divisions internes de sacoalition, fut acculé à la démission, en juin 1997, avant d’être lui-mêmel’objet de poursuites judiciaires et de voir son parti dissous par la Cour cons-titutionnelle, en janvier 1998. Ce départ forcé du gouvernement Erbakan futen réalité une intervention militaire “soft”, conduite par un organe constitu-tionnel, émanation de l’armée pour l’essentiel, le Conseil National de Sécu-rité. Cet événement que les intellectuels turcs ont appelé “le coup d’Étatpost-moderne” semblait devoir être fatal aux islamistes turcs. L’armée sanssortir de ses casernes et plus généralement l’establishment diplomatico-mi-litaire avait en fait ridiculisé le gouvernement Erbakan avant de le pousser àpartir. Le Refah et son leader vieillissant n’avaient donc pas su aborder et

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conduire cette expérience gouvernementale et, en dépit des pressions mili-taires exercées, c’était, avant tout, sur le terrain politique qu’ils avaient étédéfaits.

Malgré la création d’un nouveau parti, le parti de la Vertu (FP, FaziletPartisi), l’élan des islamistes paraissait cassé pour longtemps par cette ex-périence gouvernementale malheureuse et, surtout, par la concurrence d’unepoussée nationaliste consécutive aux déconvenues européennes de la Tur-quie. En décembre 1997, en effet, le Sommet européen de Luxembourg avaitrefusé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie, gelant une nou-velle fois sa candidature, et lors des élections législatives d’avril 1999, leFazilet se voyait devancé par la droite nationaliste emmenée par le Parti duMouvement Nationaliste (MHP, Milliyetçi Hareket Partisi) et par les natio-nalistes de gauche du Parti de la Gauche démocrate (DSP, Demokrat SolPartisi). À ce recul électoral, s’ajoutaient des divisions internes et la gêneconstituée par les interdictions d’exercice frappant les principaux leadersislamistes. Le Fazilet ne tarda pas à être dissous à son tour par la Cour cons-titutionnelle en juin 2001. Pourtant, cette adversité politique allait être fina-lement propice au profond renouveau de la mouvance islamiste turque.

L’avènement et la victoire de l’AKP

Un an à peine après sa discrète création, l’AKP, un parti islamiste modéréfondé par Recep Tayyip Erdogan, l’ancien maire Refah d’Istanbul, sortaitgrand vainqueur des élections législatives de novembre 2002. Ce nouveaurebondissement fut ressenti par beaucoup comme une revanche du Refahsur ceux qui l’avaient enterré un peu trop vite. Avec 34,22 % des voix, l’AKPobtenait 363 des 550 sièges de la Grande Assemblée nationale de Turquie,ce qui lui permettait non seulement de disposer d’une confortable majoritéabsolue mais également de frôler la majorité renforcée permettant de réviserla Constitution. Il est vrai que ce succès était attendu car annoncé par lessondages, mais son ampleur surprit et surtout nul ne s’attendait à une pa-reille déroute des autres partis. En effet, en dehors de l’AKP, seul le CHP, leparti républicain du peuple fondé par Mustafa Kemal, avec 19 % des voix et178 sièges, conservait une représentation parlementaire, les autres forma-tions politiques n’ayant pas réussi à obtenir un score supérieur à la barre des10 % de suffrages nécessaires pour pouvoir entrer au Parlement.

Comment expliquer que la mouvance islamiste turque ait pu “rebondir”aussi rapidement de la sorte et qu’elle soit revenue se placer au cœur mêmed’un système dont on venait de tenter de l’expulser ?

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Les raisons du succès de l’AKP

Tous les observateurs avertis se sont accordés à reconnaître que la victoirede l’AKP devait d’abord être mise en rapport avec la situation économiqueet sociale difficile que de la Turquie connaît depuis plusieurs années. Prisentre les ambitions économiques légitimes qu’il avait commencé à afficherdans la deuxième moitié des années 80 et l’incertitude de sa situation politi-que sur la scène internationale (fin du monde bipolaire, proximité des con-flits régionaux balkaniques, caucasiens et proche orientaux), ce pays ne s’estéconomiquement jamais vraiment remis des conséquences qu’a eues pourlui la première guerre d’Irak en 1991. Plusieurs plans de stabilisation nesont pas parvenus à avoir raison d’une inflation importante et d’une crisefinancière persistante qui se sont accompagnées dans le courant des années90 d’un ralentissement de la croissance et d’une augmentation très forte duchômage, frappant durement non seulement les classes populaires mais aussiles cadres et les classes moyennes. À ce contexte économique et social pro-blématique, s’est ajoutée une situation politique instable et une tendance àl’émiettement des partis qui ont conduit à la formation de gouvernementss’appuyant sur des coalitions peu cohérentes et sans grand avenir. En 1996,Necemettin Erbakan, lui-même, avait dû former une coalition avec le DYPpour pouvoir accéder aux fonctions de premier ministre. Après “le coupd’État post-moderne”, loin de s’améliorer cette situation politique dégradéea encore empiré sur fond de scandales et de corruption. Ambitionnant debarrer définitivement la route aux islamistes en ramenant la “normalité”, legouvernement de Mesut Yilmaz qui succéda au gouvernement Erbakan en-tre juillet 1997 et novembre 1998 se caractérisa par l’incohérence de sa stra-tégie et du abandonner le pouvoir après que ses liens avec la mafia eurentété révélés au grand jour. Le gouvernement qui lui succéda ne fut guère plusconvaincant dans sa composition et dans son action. Dirigé par Bülent Ecevit,le leader emblématique de la gauche kémaliste des années 70, il reposait surune coalition rassemblant principalement le DSP et MHP, c’est-à-dire leparti le plus à gauche et le parti le plus à droite de la représentation parle-mentaire issue des élections d’avril 1999. De surcroît avec l’arrivée de BülentEcevit à la tête du gouvernement au moment même où la présidence de laRépublique était occupée par Süleyman Demirel, les deux grands rivauxpolitiques des années 70 se retrouvaient placés au sommet de l’État. Cettesituation caricaturale ne pouvait que renforcer la déconvenue que pouvaitressentir le citoyen turc devant les péripéties de la politique politicienne. Sil’économie a donc été au cœur des préoccupations des électeurs, la désillu-sion engendrée par le fonctionnement des partis et des coalitions gouverne-mentales a également pesé lourd dans le scrutin de novembre 2002.Cependant, on peut dire que la victoire de l’AKP n’exprime pas qu’une dé-sillusion vis-à-vis de la classe politique traditionnelle mais qu’elle indiquesans doute également une aspiration à faire de la politique autrement. En

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effet, le report massif sur l’AKP de suffrages venant d’électeurs de toutessensibilités a aussi montré l’incrédulité des Turcs à l’égard de l’option tech-nicienne que représentait Kemal Dervis, le ministre des Finances sortant.Ce dernier, par ailleurs ancien vice-président de la Banque mondiale, avaitété appelé en renfort par le gouvernement Ecevit aux abois, dans les der-niers mois de son existence, pour tenter de donner des gages de sérieux tantaux organisations financières internationales qu’à une opinion publique deplus en plus sceptique. Peu convaincus, même par les premiers résultats dece technicien de réputation internationale, les électeurs turcs ont préféré s’enremettre à ceux qui, de par leur combat hors du système et dans l’adversité,leur apparaissaient avant tout comme des hommes de conviction. Mais cesgens-là n’auraient sans doute pas pu l’emporter s’ils n’avaient réussi à pro-voquer au sein même de leur formation politique d’origine une profondemutation sur laquelle il convient de revenir maintenant.

La compréhension de cette mutation passe par l’examen des événementsqui ont marqué les derniers mois de l’existence du Refah en 1997 et jalonnéla courte expérience du Fazilet entre 1998 et 2001. L’échec qu’a constituépour les islamistes “le coup d’État post-moderne” les a amené à conduireune réelle réflexion critique sur leurs pratiques politiques. Ce processus,toutefois, n’a pas tardé à les diviser. Avant même la dissolution du Refah,une tendance moderniste emmenée par Recep Tayyip Erdogan et AbdullahGül avait commencé à s’affirmer. Elle insistait sur la nécessité de sortir d’unstatut de force protestataire anti-système pour dialoguer et aborder positive-ment des débats de fond : statut de la femme, candidature de la Turquie àl’Europe, rapport à la laïcité… Pourtant, la confrontation véritable entre cettetendance et les caciques du parti rassemblés autour de Necmettin Erbakanne devait avoir lieu que plus tard, lors du premier et du seul congrès duFazilet. Ce congrès a véritablement été un tournant pour la mouvance isla-miste turque. En effet, bien qu’ils n’aient pas réussi à l’emporter, les moder-nistes de Tayyip Erdogan ont résisté à la direction du parti et n’ont pas cédésur leurs idées, cassant par là-même le monolithisme et le culte du chef quiavait prévalu jusqu’à présent dans toutes les formations islamistes précé-dentes. À l’issue de ce congrès et lorsqu’il s’avéra que le Fazilet était pro-mis au même sort que le Refah, c’est-à-dire à la dissolution, le divorce étaittel entre modernistes et traditionalistes qu’il est probable que les deux ten-dances souhaitaient la fin rapide du parti moribond pour pouvoir créer leurspropres formations. Et, de fait, quelques semaines après la disparition duFazilet, au cours de l’été 2001, deux partis prétendant assumer l’héritage duRefah allaient apparaître : le Parti de la Félicité (SP, Saadet Partisi) rassem-blant les partisans de Necmettin Erbakan et l’AKP plus modéré regroupéautour Recep Tayyip Erdogan. Toutefois, il faut bien voir que la création del’AKP avait pris un tour original. En effet, loin de fonder un nouveau partien reprenant les cadres et l’organisation de l’ancien, Recep Tayyip Erdogan

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et ses partisans cherchèrent à susciter une initiative à la base en s’appuyantavant tout sur des militants et sur des représentants de la société civile. Cen’est que par la suite que d’anciens cadres du Fazilet rallièrent la nouvelleorganisation. Cette marque d’ouverture, qui s’accompagna d’un souci dedémocratisation interne du fonctionnement du parti, se confirma également,lors de la campagne électorale de 2002, par un changement d’attitude nette-ment perceptible. Sur tous les grands problèmes de société et sur les ques-tions fondamentales engageant l’avenir de la Turquie, les nouveaux islamistes,loin de chercher à imposer leur point de vue par des mots d’ordre de natureidéologique engageaient désormais le dialogue et prônaient la recherche duconsensus.

La stratégie de l’AKP et les nouveaux équilibres du système politique turc

Dialogue, consensus… n’y a-t-il pas, derrière l’attitude conciliante que nousvenons de décrire, une volonté de dissimulation, voire une sorte de complotourdi par d’habiles stratèges contre la laïcité ? C’est ce que craignent biensûr l’establishment et plus généralement les milieux laïques. Toutefois, ilfaut se défier des analyses par trop simplificatrices. En dépit des idées quiont pu être les leurs, les stratèges en question sont aussi des hommes politi-ques qui, de par leur passé, nous l’avons vu, ont acquis une expérience qui atransformé leur pratique politique. Quant aux représentants de ce qu’on ap-pelle désormais “l’État profond” et des milieux laïques issus de la sociétécivile, ils ont, eux aussi, assoupli leur position. Cette pacification des rap-ports politiques est assez représentative des mutations qu’a connues le sys-tème politique turc et ses principaux acteurs, au cours des dernières années.Elle ouvre sans doute de nouvelles perspectives pour la Turquie.

Les blocages du système, les conflits et les compromis qui se sont pro-duits depuis l’expérience du gouvernement Erbakan en 1996/97 permettentbien de saisir la nature des évolutions qui sont intervenues et qui sont encoreen cours. Dans un contexte où la Turquie est candidate à l’UE et où sa poli-tique étrangère reste liée à l’espace euro-atlantique, le recours aux coupsd’États est désormais difficilement concevable pour l’establishmentdiplomatico-militaire. Dès lors, ce dernier s’est mis à développer des straté-gies politiques civiles. En 1996/97, il a notamment réussi à le faire de façonremarquable en piégeant à plusieurs reprises le gouvernement Erbakan et enréussissant à le rendre impopulaire. Dès lors, les islamistes turcs n’avaientplus qu’une alternative : ou bien faire le choix de perpétuer une confronta-tion stérile entre islam et laïcité en continuant à tenir un discours très idéolo-gique et en prenant le risque de la marginalisation (ce qu’a fait la vieillegarde du Refah regroupée désormais au sein du Saadet), ou bien opter pourune riposte politique s’appuyant sur un attachement clairement déclaré à la

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démocratie et à l’intégration européenne pour mieux faire ressortir le carac-tère inacceptable des ingérences politiques et des pressions de l’armée. C’estindubitablement ce second choix qui est à l’origine de la création de l’AKPet qui constitue la base de sa stratégie.

Depuis 1997, Recep Tayyip Erdogan a parfaitement compris qu’il luiserait difficile de construire une stratégie efficace sur une confrontation per-manente avec l’appareil d’État et ses élites, sauf à prendre le risque de s’iso-ler, voire d’être concurrencé au gré de la conjoncture sur ce terrain par d’autresentreprises protestataires, comme par exemple le nationalisme qui a bienmontré ses ressources, lors des élections législatives de 1999. Cette attitudes’est révélée d’autant plus pertinente que l’échec du gouvernement Erbakanen 1997 n’a pas débouché pour autant sur un succès des gouvernants et desforces politiques qui lui ont succédé. Au contraire, pendant 5 ans, tandis quele pays s’enfonçait dans une crise économique, financière et sociale grave,la classe politique turque s’est discréditée. Parallèlement, le terrible trem-blement de terre qui est survenu en 1999, à Izmit, près d’Istanbul, a contri-bué à entamer profondément la confiance des Turcs dans l’armée et lespouvoirs publics qui démontrèrent, à cette occasion, leurs carences dans unpays où ils ont toujours été considérés comme un ultime recours sécurisant.Tirant parti de cette incurie, Recep Tayyip Erdogan s’est néanmoins renducompte qu’il ne pouvait ni reprendre les rengaines idéologiques de la vieillegarde de l’islamisme turc, ni même relancer la stratégie protestataire moder-nisatrice qui avait fait la force du Refah dans les années 90. Au risque de seretrouver dans une impasse, comme l’establishment et la classe politiqueturcs, il devait désormais offrir de nouvelles perspectives à l’islam politiqueen Turquie en se positionnant résolument en parti de gouvernement. Maisun tel choix ne pouvait être concevable que si ces islamistes qui se voulaientdifférents donnaient des gages de leur attachement à la démocratie et auxorientations diplomatiques traditionnelles de ce pays. En faisant le choix del’intégration européenne, ils y ont consenti d’autant plus qu’ils ont comprisque paradoxalement cette perspective représentait la meilleure garantie deliberté d’expression et de développement pour leur mouvance politique.

Le dépassement de l’islamisme en Turquie

Curieusement au moment où il vient de triompher l’islamisme est en passede disparaître du paysage politique turc. Les héritiers d’Erbakan qui reven-diquent toujours cette étiquette au sein du Saadet n’ont fait qu’un maigrescore au cours des dernières élections. Pour leur part, depuis leur victoire,les partisans de Tayyip Erdogan ont abandonné une référence islamiste lourdede sens et d’implications et se définissent comme des “conservateurs démo-crates” qui, en terre musulmane seraient en quelque sorte le pendant de ceque peuvent représenter les démocrates-chrétiens en Europe occidentale.

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Comment caractériser désormais l’AKP ?

La définition de l’AKP a suscité déjà beaucoup de commentaires confus. Lagêne pour caractériser cette nouvelle formation apparaissait bien, dès leslendemains des élections, dans les premières analyses. La plupart des médiasévitèrent d’utiliser le vocable général “islamistes” préférant parler le plussouvent “d’islamistes modérés” ou “d’islamistes démocrates”. Certains jour-naux comme “Le Monde” évoquèrent la victoire d’un parti “islamique”. Ilétait certes bien difficile d’expliquer dans une simple dépêche et même dansun article de fond que les “islamistes” qui venaient de prendre le pouvoir enTurquie acceptaient de jouer le jeu de la démocratie. À notre avis, seule lacombinaison d’analyses empiriques, sociologiques et politiques permet, decerner cette nouvelle force politique.

En observateur expérimenté et minutieux de ce phénomène, le journa-liste Rusen Cakir se refuse à parler “d’islamistes démocrates”. Il préfèrequalifier les membres de l’AKP “d’ex-islamistes”, un peu comme on a parlé,il y a une dizaine d’années “d’ex-communistes” dans les pays de l’Est aprèsla chute du Mur de Berlin pour désigner les anciens cadres communistes unpeu trop rapidement reconvertis dans les structures partisanes des jeunesdémocraties nées des cendres du communisme. Pour Rusen Cakir, il ne fautcertes pas réduire ce parti à son extrémisme d’origine car des gens de toutestendances et de toutes origines sont venus grossir ses rangs depuis sa créa-tion mais il ne faut pas oublier non plus qu’une partie des dirigeants actuelsde l’AKP sont d’anciens militants de formations sectaires, anti-démocrati-ques et emblématiques de l’islamisme turc telles que Milli Görüs. Ce cons-tat le conduit aussi à se méfier du rapprochement un peu hâtif opéré avec ladémocratie chrétienne qui relève plus en fait d’un raisonnement par analo-gie que d’une analyse de fond, car cette famille politique occidentale, bienque de sensibilité religieuse, n’est pas pour autant issue de tendances reli-gieuses fondamentalistes et radicales. Ainsi, sans diaboliser le parti et legouvernement de Tayyip Erdogan, convient-il de les juger avant tout surleurs actes.

Suivant une analyse beaucoup plus sociologique, certains observateurscomme Ferhat Kentel estime pour leur part qu’appliquer le terme islamiste àl’AKP est devenu désormais un non-sens. Observant notamment que depuis20 ans en Turquie, toutes les études sociologiques sérieuses ont clairementmontré que le taux des partisans de l’application étroite des principes lesplus rigides de l’islam, en particulier la soumission de la société à la Sharia,n’a pas bougé et se situe dans une fourchette de 5 à 7 %, il en déduit fortlogiquement que ce n’est pas chez ces gens qu’un mouvement comme l’AKPest allé chercher les voix qui lui ont permis d’obtenir la victoire. La montéeen force de l’AKP est en fait, pour lui, un véritable renouveau de la Politique

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dans un pays qui est devenu indifférent au jeu politique traditionnel, un peucomme cela a pu se produire dans la plupart des pays d’Europe occidentaleantérieurement. Il est vrai qu’en Turquie, parallèlement à la professionnali-sation de la vie politique et à la multiplication des partis, on a vu, au cours dela dernière décennie, croître “l’indifférence en politique” et s’élargir le fosséentre l’opinion publique et les leaders politiques. Dès lors, pour Ferhat Kentel,avec l’AKP, on a le sentiment qu’arrive au pouvoir un mouvement politiquequi a une base populaire, en tous cas qui exprime les racines, les identitésmultiples et les aspirations contemporaines du peuple turc. Ce mouvementparaît apte, tout au moins pour l’instant, à rétablir un dialogue entre le hautet le bas, entre l’opinion et le gouvernement.

Les intellectuels laïques et proeuropéens, comme Deniz Vardar, déve-loppent une tout autre analyse, essentiellement fondée sur la Science Politi-que et l’observation des mutations récentes des structures partisanes turques.En l’occurrence, l’AKP serait avant tout un parti conservateur composé descadres issus de l’extrême-droite populiste radicale qui ont cheminé vers lecentre en se convertissant à la démocratie. “Ce cheminement, explique DenizVardar, part à l’origine du MSP dans les années 70 pour aboutir à l’AKPaujourd’hui… Ce parti en acceptant la démocratie a réussi à élargir sa baseélectorale, il a rallié également des opportunistes issus de partis de centredroit comme l’ANAP ou le DYP, voire de formation de l’extrême droite na-tionaliste comme le MHP ou carrément de formations de gauche.” Les an-ciens islamistes ont, en outre, parachevé cette entreprise de respectabilité enfaisant le choix de l’Europe. Ce choix, en effet, les fait entrer de plein pieddans le système pour des raisons à la fois politiques et culturelles.

Il est bien sûr un peu tôt pour aller plus loin dans cette observation del’entrée de l’AKP dans le système. Toutefois, au regard de l’actualité la plusrécente, deux observations importantes nous paraissent devoir être faites.

En premier lieu, il s’est confirmé, au cours des derniers mois, que lesystème partisan turc avait été sinistré par les dernières élections législati-ves. Hormis l’AKP, l’ensemble des autres grandes formations politiques af-fiche un état de faiblesse extrême. Cette situation est compréhensible pource qui est des formations de centre-droit (DYP, ANAP) directement concur-rencées par le recentrage idéologique de l’AKP ou du DSP de Bülent Ecevitdéconsidéré par son échec gouvernemental entre 1999 et 2002. Elle l’estmoins pour d’autres partis comme le CHP, seul parti représenté au Parle-ment, qui ne parvient pas à se constituer en force d’opposition crédible.Cette domination sans partage de l’AKP est d’autant plus inquiétante queson dernier congrès a révélé une disparition des débats de tendances quiavaient pourtant marqué sa fondation. Ce net recul de la démocratie interneau sein du parti s’accompagne d’une personnalisation parfois excessive dupouvoir encouragée par une attitude trop docile voire même servile des médias

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à l’égard de la politique et de la personne même du premier ministre enexercice. Cette hypertrophie de l’AKP et son apparence actuelle d’unani-mité cachent pourtant des risques de division qui sont bien apparus à plu-sieurs reprises au cours des derniers débats sur des sujets fondamentaux.C’est notamment parce qu’une partie des parlementaires AKP ont refusé desuivre leur chef que la résolution autorisant les troupes américaines à débar-quer en Turquie pendant la guerre en Irak n’a pas été votée, le 1er mars 2003.De tels risques pourraient induire à terme, s’ils se confirmaient, des scis-sions à l’intérieur du parti, prélude à une recomposition inédite du systèmedes partis en Turquie.

En second lieu, l’implication d’acteurs autochtones dans les attentats ter-roristes commis à Istanbul en novembre 2003 indique que le recentrage po-litique de la mouvance islamiste turque a peut-être ouvert un champ d’actionet d’influence à des tendances radicalisées qui refusent cette entrée dans lesystème. Cette hypothèse avait déjà été formulée à la suite d’attentats demoindre envergure commis ces dernières années par le mouvement extré-miste kurde Hizbullah dans le sud-est du pays. Même si ces phénomènes nesemblent concerner pour l’instant qu’un petit nombre d’individus, les atten-tats d’Istanbul ont bien confirmé la permanence et la réalité de ce péril.

Le “post-islamisme” et la théorisation de la “démocratie conservatriceà la turque”

L’observation attentive de l’AKP en tant que parti de gouvernement indiqueque sa soif de respectabilité est désormais sans limites. Forts de leurs pre-miers succès économiques qui les ont vu ramener l’inflation à un niveauraisonnable et confirmer des talents de gestionnaire qu’ils avaient déjà dé-ployés à la tête des grandes villes turques, les “ex-islamistes” de TayyipErdogan opèrent un très net recentrage de leur discours politique autour dethématiques essentiellement libérales et conservatrices. Défenseurs de l’éco-nomie de marché bénéficiant du soutien des milieux d’affaires, ils se décla-rent attachés aux valeurs nationales et à des principes familiaux et morauxtraditionnels véhiculés par la religion. Ce conservatisme n’est cependantpas exempt de tendances que l’on peut qualifier de “libéralistes”, ce qui lesamènent à prôner un développement de la garantie des droits et des libertésindividuelles, à revendiquer une meilleure prise en compte des aspirationsde la société civile et à se reconnaître dans une laïcité rompant avec le laïcismekémaliste et se rapprochant en fait du sécularisme en vigueur dans la plupartdes pays européens. Ce recentrage perceptible dans le comportement quoti-dien des gouvernants débouche désormais sur une véritable théorisation dela nouvelle ligne de l’AKP. Très représentatif est à cet égard le récent ouvrageprogrammatique “Muhafazakar Demokrasi” (La démocratie conservatrice)

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Islamisme et “post-islamisme” en Turquie 603

de Yalcin Akdogan. Diplômé de l’Université privé anglophone de “Bilgi”,ce conseiller politique de Recep Tayyip Erdogan, docteur en Science politi-que, énonce sur un ton nuancé les principes de ce que l’on pourrait appeler“la nouvelle démocratie conservatrice à la turque” en s’appuyant sur desréférences bibliographiques essentiellement turques et anglo-saxonnes. Trèsrévélateur des mutations en cours de l’AKP, est aussi le positionnement dujournal “Zaman”, depuis deux ans. Ce quotidien qui était à l’origine l’un desfers de lance de la presse militante islamiste ambitionne désormais d’être ungrand journal d’opinion proche de l’AKP. Son contenu a profondément changétandis qu’une nouvelle mise en page, rappelant les standards occidentaux,était adoptée et que parallèlement son tirage augmentait jusqu’à atteindrerécemment les 400.000 exemplaires. Sobre dans sa présentation, il rend lar-gement et fidèlement compte de l’action du gouvernement tout en ouvrantses colonnes à des débats portant sur de grands problèmes de société commele port du voile, les conséquences de l’intégration européenne ou la gestiondes prisons. Dans ces pages d’opinion, les contributions venant de chroni-queurs étrangers sont fréquentes.

Ce recentrage idéologique, que nous qualifierons pour notre part de “post-islamiste”, est très symptomatique des efforts faits par cette nouvelle forcepolitique pour entrer dans le système et pour s’y faire reconnaître. Certes,cette attitude n’est pas nouvelle. Dès la campagne électorale précédant leslégislatives de 2002, l’AKP avait abandonné l’étiquette islamiste. Mais, àl’époque et, dans les mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir, il est clairque ce parti tentait surtout d’expliquer ce qu’il n’était plus. Avec la théorisa-tion de la “Démocratie conservatrice”, on voit bien qu’il s’attache désor-mais à dire ce qu’il est et, en tous cas, à expliquer comment il veut êtreperçu. Pourtant cette transfiguration n’est pas encore totalement acquise etles nouveaux “conservateurs” laissent transparaître une certaine fébrilité,voire une certaine gêne, lorsque l’actualité remet l’islamisme sur la sellette.Une polémique récente qui a vivement agité les médias turcs après les atten-tats d’Istanbul de novembre 2003 l’a bien montré. De façon surprenante, eneffet, Recep Tayyip Erdogan s’est obstiné à refuser de qualifier “d’islamis-tes” ces attentats, manquant là une occasion unique de montrer ce qui pou-vait distinguer sa formation d’un extrémisme religieux radicalisé recourantau terrorisme. Ce comportement s’explique probablement par des impéra-tifs essentiellement électoraux et populistes. Les milieux les plus militantsdu parti souhaitaient notamment éviter de donner l’impression de lier reli-gion et terrorisme à une opinion publique par ailleurs peu familiarisée avecla distinction entre “islam” et “islamisme”. Toutefois, pour certains obser-vateurs, loin de n’être qu’une péripétie mineure, cet incident a révélé, nonpas bien sûr que des liens existaient entre l’AKP et le terrorisme qui a frappéla Turquie en novembre 2003, mais que les nouvelles théories gouverne-mentales souffraient de sérieuses faiblesses argumentaires et intellectuelles.

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Quoi qu’il en soit, cette affaire montre bien que l’un des enjeux pour lesnouveaux gouvernants dans l’entreprise de théorisation qu’ils prétendentconduire, sera de gérer le rapport qu’ils entretiennent avec la religion et plusspécialement d’expliquer la place qu’il réserve en politique à cette dernière.Le Refah, en effet, n’était pas simplement un parti religieux mais une forcepolitique qui utilisait la religion comme un moyen d’expression des identi-tés refoulées de la société turque et comme un levier de contestation d’unsystème politique en panne. Tout en renouvelant son discours et en le modé-rant, l’AKP a largement “surfé” sur cette vague identaire et protestataireislamiste pour parvenir au pouvoir. Mais l’accession de Tayyip Erdogan augouvernement est bien différente de celle de Necmettin Erbakan. D’une part,l’ancien maire d’Istanbul est à la tête d’un gouvernement majoritaire quithéoriquement a tous les moyens de sa politique. D’autre part, il a fait lechoix de l’Europe en abandonnant une étiquette à connotation religieuse,qui pouvait amener son parti à connaître le même sort que le Refah ou leFazilet. En acceptant les principes essentiels de la République laïque et de ladémocratie, c’est dans une démarche post-islamiste qu’il a engagé l’AKP.Cette démarche doit amener cette nouvelle force politique à dépasser lescompromis idéologiques réalisés pour définir son identité politique. Mais ilne faut pas perdre de vue que cette nouvelle ligne devra aussi apporter desréponses concrètes aux problèmes qui sont ceux de la Turquie d’aujourd’hui.Dans un tel contexte la théorisation de la démocratie conservatrice est sansdoute intéressante mais il n’est pas sûr qu’elle remplace efficacement lapuissance mobilisatrice de l’islamisme et qu’elle suffise à fonder l’actiond’un gouvernement dont la tâche est immense.

Le “post-islamisme” dans la République laïque

Mais quand tout est dit sur la spécificité de l’AKP, il reste un ultime argu-ment à examiner pour essayer de saisir dans sa globalité le particularisme du“post-islamisme” turc. Cet argument peut être résumé de la manière sui-vante : si l’islamisme a pris un tour particulier en Turquie, ce n’est pas seu-lement parce que les islamistes turcs sont différents mais aussi parce laTurquie est un pays à part dans le monde musulman. Au cours des deuxdernières décennies, la République laïque a vu naître et s’amplifier un mou-vement qui prétendait exprimer les aspirations de la société turque et la trans-former. À certains égards il y est parvenu mais, sans doute, a-t-il été, luiaussi, profondément affecté dans cette aventure.

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L’AKP et les cycles politiques de la démocratie turque

Lorsqu’on observe le cheminement de la mouvance islamiste jusqu’au par-cours récent de l’AKP, on est tenté de dire que cette force politique, au grédes crises et des contraintes qu’elle a subies, a su trouver sa place dans lesystème politique turc et finalement qu’elle est en passe de jouer le rôle quilui était assigné.

Depuis la fin de l’Empire ottoman, par delà les périodes de conflits et deconfusions, le débat politique turc s’est le plus souvent structuré autour dedeux pôles représentant à l’origine, d’un côté, un courant centralisateur, laï-que, progressiste, étatiste, de l’autre, un courant favorable à l’initiative pri-vée, sensible au respect des traditions religieuses, fidèle à la diversité de lasociété et de l’islam turcs. Les termes de ce débat que l’on fait souvent re-monter à la division du mouvement “Jeunes Turcs” en 1902 (lors de soncongrès de Paris) entre le “Comité Union et Progrès” et la “Ligue pour l’ini-tiative privée et la décentralisation”, ont certes évolué. La Turquie est deve-nue un pays majoritairement urbain, les classes moyennes se sontdéveloppées, la société civile s’est affermie. Mais force est de constater quesi les héritiers du premier pôle tentent encore de prendre la direction de lasociété en cherchant à lui imposer des réformes ou des contraintes, les héri-tiers du second pôle parviennent toujours à mobiliser cette société pour ex-primer son aspiration à l’autonomie. Depuis que la Turquie s’est convertie àla démocratie, tout en se transformant profondément sous l’effet des muta-tions sociales que connaissait ce pays, les termes de cette alternative sontrevenus de façon récurrente et cyclique dans le fonctionnement du système.La victoire de l’AKP inaugurerait ainsi un nouveau cycle de cette confronta-tion des deux Turquie après ceux initiés antérieurement par les triomphessimilaires de d’Adnan Menderes en 1950 et de Turgut Özal en 1983.

En 1950 la Turquie vivait les premiers balbutiements de sa démocratieparlementaire. Le pluripartisme n’avait été instauré que 4 ans auparavantmais les structures kémalistes continuaient à contrôler étroitement la so-ciété. À la surprise générale, le principal parti d’opposition, le parti démo-crate d’Adnan Menderes l’emporta très largement sur l’ancien parti uniquekémaliste, le Parti Républicain du Peuple (CHP). Camouflet pour l’armée eten particulier pour les élites gouvernantes, ce résultat montrait en fait qu’àcôté de la Turquie étatiste, élitiste, citadine et convaincue des vertus d’unréformiste républicain volontariste, continuait d’exister une Turquie rurale,attachée à la petite exploitation familiale et à la petite entreprise ainsi qu’àson identité religieuse musulmane. Derrière cet événement, en outre, se pro-filait déjà des ambiguïtés et des interrogations que l’on va souvent retrouverpar la suite. Fallait-il voir, dans la victoire de Menderes, le succès de ladémocratie, du multipartisme et du libéralisme économique ou bien la re-vanche du conservatisme religieux sur la République laïque créée par Mus-tafa Kemal trois décennies auparavant ?

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Trente ans plus tard, alors que la Turquie était engagée dans un laborieuxprocessus de retour à la démocratie après le coup d’État de 1980, les élec-tions législatives de 1983 virent les électeurs donner une large majorité àune formation nouvelle, l’ANAP, emmenée par un nouveau leader, TurgutÖzal. Ce vote ne fut pas, comme on l’a écrit parfois, un rejet de l’interven-tion militaire qui avait été plébiscitée l’année précédente lors du référendumayant permis l’adoption de la nouvelle constitution. Il marqua avant tout lerefus des électeurs de voir l’armée s’installer durablement au pouvoir etimposer à la société une sorte “d’assainissement” forcé. Plus encore queMenderes, Özal cultiva l’ambiguïté en affichant ouvertement, d’un côté, sonattachement à la religion et aux confréries et en faisant connaître, de l’autre,une mutation sans précédent à l’État et à l’Économie tandis qu’il confirmaitpar ailleurs l’ancrage occidental de la Turquie.

Comparable à ces deux événements par son ampleur et son caractèresoudain, la victoire de l’AKP, en 2002, l’est aussi par la gifle qu’elle a infli-gée de nouveau à l’establishment. Force est de constater, en effet, que cerésultat fait pièce aux ingérences de l’armée dans le jeu politique depuis le“coup d’État post moderne de 1997” et à la prétention à peine voilée de sesémanations de domestiquer la société. Mais, si cet ultime avatar des démê-lés de “l’État profond” avec “la Turquie profonde” a montré le caractèredépassé des solutions autoritaires même feutrées, il a aussi permis de cana-liser l’un des mouvements d’opposition les plus radicaux que la Turquierépublicaine ait connu. Force est ainsi de constater que la République laïquea progressé dans la gestion des tensions qui la menace depuis qu’elle estpassée à la démocratie. Instruit par les expériences antérieures, son systèmepolitique est de fait parvenu à réguler la contestation islamiste un peu commeil avait antérieurement fini par “digérer” les poussées démocrate et“ozalienne”.

Et si Atatürk avait gagné…

Lorsque l’on entend Tayyip Erdogan déclarer que “les principes du projetd’Atatürk assis sur la République, la démocratie, la laïcité et l’État de droitsont les fondements de la Turquie d’aujourd’hui et de demain”, lorsque l’onobserve que le site Internet de l’AKP n’hésite plus à faire figurer dans lafrise de sa page d’accueil un portrait de Mustafa Kemal, on est tenté depenser que ces islamistes turcs qui voulaient changer la République laïque,on finalement été changés par la République laïque !

Cette régulation de l’islamisme en Turquie a été possible, à notre avis,parce que cette mouvance protestataire a été confrontée à l’épreuve de l’exer-cice du pouvoir. Il faut bien voir, en effet, que le phénomène islamiste turcs’est inscrit dans une démocratie imparfaite qui a certes tenté d’enrayer son

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développement mais qui ne pouvait toutefois envisager de le réduire pure-ment et simplement par la force, comme l’eût fait un système définitive-ment autoritaire. Dès lors, non seulement les islamistes ont pu participer auxdifférentes élections mais ils n’ont pu être éternellement tenus à l’écart dupouvoir à partir du moment où l’ampleur de leurs résultats leur permettaitde caresser cette ambition. Force est d’ailleurs de constater que c’est sur laquestion de l’exercice du pouvoir que le mouvement islamiste turc s’estfinalement scindé en une tendance dogmatique dont le chef avait échoué àla tête du gouvernement, d’un côté, et en une tendance pragmatique dont leleader s’était révélé à la tête de la plus grande ville du pays, de l’autre.

Cet apprentissage du pouvoir, en effet, n’a pas consisté qu’en l’expé-rience illusoire du gouvernement Erbakan, il a surtout été marqué, à notreavis, par la gestion municipale consécutive à la conquête par le Refah desgrandes villes, en 1994. C’est sur ce terrain-là, notamment dans des mégapolescomme Istanbul ou Ankara, que les militants islamistes, confrontés à la com-plexité quotidienne de l’exercice du pouvoir, ont commencé à changer dediscours et à délaisser les provocations idéologiques militantes de leurs dé-buts pour leur préférer le propos nuancé de l’élu local. Cette expériencelocale principalement urbaine leur a permis de faire la preuve de leurs qua-lités de gestionnaire et d’élargir leur électorat au-delà de leurs secteurs deprédilection initiaux. C’est ainsi en pratiquant les rouages de la démocratiereprésentative dans leur plénitude que la mouvance islamiste s’est transfor-mée jusqu’à enfanter un parti de gouvernement.

Une telle assimilation des islamistes n’était possible que dans un Étatpuissant en partie constitutionnalisé où, en dépit des lacunes de la démocra-tie et de l’État de droit, de multiples centres de pouvoir existaient de longuedate (armée, présidence de la République, gouvernement, parlement, courconstitutionnelle, administration, justice, municipalités, partis politiques,médias…). Atatürk avait tenté en son temps de démocratiser sa républiqued’une façon quelque peu caricaturale en incitant des membres de son propreparti à créer un parti d’opposition. Mais s’il est déjà difficile de fonder ex-nihilo un État nation laïque, il est impossible de décréter la démocratie encréant une opposition de toutes pièces. Pour se démocratiser la Républiquelaïque a donc dû se mesurer aux réalités politiques, sociales, culturelles,religieuses de la société turque. Dans cette épreuve, elle a fait fructifier lesgermes de démocratisation du système qu’avait mis en place son fondateurd’abord en érigeant une morphologie institutionnelle politique moderne (pré-sidence, gouvernement, assemblée…), ensuite en jetant les bases d’une nou-velle citoyenneté laïque reconnaissant les vertus de l’éducation, de l’ascensionsociale et de l’égalité entre hommes et femmes. Ce cadre constitutionnelformel a généré un système politique complexe qui est parvenu non sansmal à réguler des conflits et des oppositions parfois virulentes qui auraient

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pu lui être fatales. Pourtant les bases laïques et réformatrices de ce systèmen’ont jamais été sérieusement remises en cause et la République laïque a puprouver ainsi qu’elle était non seulement capable de vivre avec l’islam maisaussi de transformer ses islamistes en citoyens.

Annexe : bibliographie sommaire et sources principales

Ouvrages

AKDOGAN Y., Muhafazakar Demokrasi, Ankara, AK Parti Edition, 2003.

GOLE N., Musulmanes et moderne, voile et civilisation en Turquie, Paris, La Dé-couverte, 1993.

KEPEL G., Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Folio, dernière édition.

PETTIFER J., The Turkish Labyrinth, Atatürk and the New Islam, London, PenguinBooks, 1997.

POPE N. and al., Turkey Unveiled, Atatürk and After, London, John Murray, 1997.

ROY O., (dir.), La Turquie aujourd’hui, coll. Le tour du sujet, Universalis, Paris,2004.

VANER S., AKAGUL D. et KALEAGASI B., La Turquie en mouvement, Bruxel-les, Editions Complexe, 1995.

Articles et contributions

BURDY J.-P. et MARCOU J., “Laïcité, Laiklik”, Cahiers d’Études sur la Méditer-ranée orientale et le Monde turco-iranien (CEMOTI), n° 19, Paris, 1994.

DORRONSORO G., MASSICARD É. et PEROUSE J.-F., “Turquie : changementde gouvernement ou changement de régime ?”, Critique internationale, Paris,janvier 2003, n° 18, pp. 8-15.

GROC G., “The Virtue Party : an Experiment in Democratic Transition”, inYERASIMOS S., SEUFERT G. and VORHOFF K., (supervisors), Civil Societyin the Grip of Nationalism, Istanbul, Orient-Institut, 2000.

KENTEL F., “L’islam, carrefour des identités sociales et culturelles en Turquie : lecas du Parti de la prospérité”, Cahiers d’Études sur la Méditerranée orientale etle Monde turco-iranien (CEMOTI), n° 19, Paris, 1994.

MARCOU J., ÜSTEL F. et VARDAR D., “La République en France et en Turquie”,Revue internationale de Politique comparée, vol.7, n° 3, 2000.

MASSICARD É., “Les élections du 3 novembre 2002 : une recomposition de la viepolitique turque ?”, Les dossiers de l’IFEA, n° 15, Istanbul, Juillet 2003.

MERT N., “The Political History of Centre Right Parties : Discours on Islam, theNation and the People”, in YERASIMOS S., SEUFERT G. and VORHOFF K.,(supervisors), op. cit., 2000.

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Islamisme et “post-islamisme” en Turquie 609

UGUR A., “État, religion et société civile en Turquie : la laïcité face à un projetcommunautariste islamiste”, Cahiers d’Études sur la Méditerranée orientale etle Monde turco-iranien (CEMOTI), n° 19, Paris, 1994.

ÜSTEL F., “Les partis politiques turcs contemporains, l’islamisme et la laïcité”,Cahiers d’Études sur la Méditerranée orientale et le Monde turco-iranien(CEMOTI), n° 19, Paris, 1994.

Autres sources

Site Internet du ministère turc des Affaires étrangères : www.mfa.gov.tr

Site Internet du Journal “Zaman” : www.zaman.com

Site Internet de l’AK Parti : www.akparti.org.tr

Recep Tayyip Erdogan : The Program of the 59th government (59’uncu HükümetProgrami), 18 March 2003, Website of the Turkish Government,www.basbakanlik.gov.tr

Entretiens et interviews dans les milieux universitaires et au journal “Zaman”, Is-tanbul, décembre 2002 et décembre 2003.

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