papier rfg 2008

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Quelle gestion des ressources humaines dans les organisations ambidextres ? Sawsen Dhifallah, Valérie Chanal, Christian Defélix Correspondance à adresser à : [email protected] Soumission d’article pour la journée Irege du 26 septembre et pour le numéro spécial RFG sur les organisations ambidextres.

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Quelle gestion des ressources humaines dans lesorganisations ambidextres ?

Sawsen Dhifallah, Valérie Chanal, Christian Defélix

Correspondance à adresser à :

[email protected]

Soumission d’article pour la journée Irege du 26septembre et pour le numéro spécial RFG sur les

organisations ambidextres.

Quelle gestion des ressources humaines dans lesorganisations ambidextres ?

En 1989, deux observateurs privilégiés des pratiques demanagement de la Recherche et Développement (R & D)soulignaient que « malgré toute l’attention dont ce domaine a fait l’objet, nousne sommes pas encore près de trouver une solution à tous les problèmes que pose lagestion des ressources humaines des professionnels » (Allen et Vargehse,1989, p. 107). Cette question de la gestion des professionnelsde la R&D a non seulement gardé son acuité mais prend unetournure nouvelle au sein des grandes entreprises aujourd’hui.Nombre d’entre elles cherchent en effet à satisfaireconjointement les exigences de l’innovation d’exploitation, quise base sur les compétences technologiques et marketingexistantes de l’entreprise, et de l’innovation d’exploration,qui suppose le renouvellement de ces compétences sur l’une etou l’autre de ces dimensions (Danneels 2002 ; Benner etTushman, 2003).

Tushman et O’Reilly (1996, 1999) ont proposé il y a quelquesannées le concept d’ambidextrie pour caractériser l’aptitude desorganisations à gérer cette tension, de manière à générer tantde l’innovation d’exploration que de l’innovationd’exploitation. Ce concept a été repris et discuté depuis parun nombre croissant de chercheurs et le débat de ces dernièresannées a beaucoup porté sur les modes d’organisation et destructure pertinents pour rendre effective cette ambidextrie.En revanche, nous savons encore peu de choses sur la gestiondes ressources humaines (GRH) dans les organisationsambidextres, alors que toute la littérature sur le managementde l’innovation a montré l’enjeu de pratiques de GRH adéquates.A l’heure où de nombreuses entreprises tentent de gérerconjointement innovation d’exploitation et innovationd’exploration, de quels leviers de GRH disposent-elles ?Comment gère-t-on alors les ressources humaines desorganisations ambidextres, alors que fondamentalement exploreret exploiter relèvent de postures et de compétences différentes? Les problèmes et les pratiques RH diffèrent-elles selon quel’entreprise fait le choix de séparer ou au contraired’intégrer les activités d’exploitation et d’exploration  ausein de mêmes unités de R&D ?

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Nous proposons ici, dans une perspective descriptive etcompréhensive, une observation et une analyse des pratiques dela GRH au sein des organisations ambidextres, sur la base d’unecomparaison de deux grands centres de recherches, l’un au seinde ST Microelectronics (AST) et l’autre de Saint-Gobain (SGR),qui ont opéré des choix distincts en matière d’organisation dela R&D. Après une revue de littérature et la présentation denotre cadre théorique (1), l’exposé de deux études de cas nousdonnera à voir des pratiques contrastées (2), sur la basedesquelles nous décrirons les problèmes et les pratiques de RHselon les choix organisationnels visant l’ambidextrie (3).

1. La GRH des organisations ambidextres : la dimensionoubliée ?

Les entreprises ont besoin d’exploiter efficacement leursressources existantes tout en explorant de nouveaux domaines decompétences pour assurer le développement de nouvellesactivités sur le long terme. Il a été établi qu’il existeplusieurs modes d’organisation pour gérer cette articulation,qu’on appelle les organisations ambidextres (1.1), mais nous nedisposons cependant que de rares travaux concernant les enjeuxhumains de ces organisations (1.2). Compte-tenu des tensionsinhérentes à ces formes d’organisation, il s’agit d’étudier deplus près la dimension RH des organisations ambidextres avec unmodèle théorique adapté.(1.3).

1.1 Plusieurs formes d’organisation pour gérer l’articulation exploration /exploitation

Innover dans la continuité ou explorer de nouveaux champstechnologiques ou de nouveaux usages : si ces deux processusd’innovation sont nécessaires et essentiels pour uneorganisation, ils restent en tension. Les difficultés liées àla réalisation d’un équilibre approprié entre les deux tiennentaux différences entre ces deux démarches en termes d’allocationdes ressources, d’objectifs, d’horizon des retours attendus, degestion des risques, de types d’activités et de structures(March, 1991 ; Tushman et O’Reilly, 1996, Benner et Tushman,2003). Plusieurs travaux se sont alors intéressés aux

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structures organisationnelles les plus appropriées à laréalisation de cet arbitrage.

La littérature a fait émerger deux principaux modesd’organisation possibles pour concrétiser cette articulation.Tushman et O’Reilly (1996, 1999) ont d’abord proposé le concept« d’ambidextrie » pour caractériser les entreprises capables deréaliser simultanément des activités d’exploitation etd’exploration : pour eux, l’ambidextrie est basée sur laséparation organisationnelle entre les activités d’exploitationet d’exploration. Puis Gibson et Birkinshaw (2004) se sontégalement intéressés à ce nouveau concept mais ne convergentpas sur la définition de l’ambidextrie au sens de Tushman etO’Reilly, qu’ils qualifient d’ambidextrie structurelle. En effet,selon eux, il n’est pas nécessaire ni souhaitable de séparerles activités d’exploitation et d’exploration : celles-cipeuvent être réalisées dans les mêmes unités, par les mêmespersonnes. Dans ce cas, il y a non-séparation organisationnelleentre exploitation et exploration et on parle d’ambidextriecontextuelle.

Deux autres types d’ambidextrie ont pu être égalementdistingués : l’ambidextrie temporelle, consistant pour une mêmeentreprise à alterner les périodes d’exploration et les phasesconsacrées à l’exploitation (Nooteboom, 1999 ; Gilsing etNooteboom, 2004) ; et l’ambidextrie de réseau, où interagissentdans un même réseau de valeur des organismes dédiés à larecherche exploratoire et des sociétés orientées vers laproduction (Nooteboom, 1999 ; McNamara et Baden-Fuller, 2004).Nous nous limiterons néanmoins ici aux deux premiers grandstypes d’ambidextrie – structurelle et contextuelle – quicorrespondent aux deux situations où l’entreprise doit réaliseren interne et dans le même temps des activités distinctes enterme de management de l’innovation. Partant de là, que sait-ondes enjeux et pratiques de GRH pour ces deux choix respectifs ?

1.2 Quelques rares travaux sur les enjeux humains dans les deux formesd’ambidextrie

Certains auteurs (Tushman et O’Reilly, 1996, 1999 ; Benner etTushman, 2003) préconisent une séparation des activités

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d’exploration et d’exploitation, au motif qu’elles ne sont pasde même nature et ne peuvent donc pas être réalisées par lesmêmes personnels. D’autres au contraire mettent en avant lanécessité d’articuler étroitement les activités d’exploitationet d’exploration dans les mêmes unités par les mêmes individus(Gibson et Birkinshaw (2004) ou via des organisationsréticulaires ou « spaghetti » (Verona et Ravasi, 2003), afin decontribuer à régénérer les compétences de manière continuegrâce à de fortes synergies. Comment se réalise alors, dans cesconfigurations spécifiques, la gestion des personnes impliquéesdans les processus d’innovation ? Sur cette question, lalittérature disponible est relativement pauvre et on ne trouveque quelques travaux s’intéressant aux enjeux humains de cesmodes d’organisation.

Pour ce qui est de l’ambidextrie structurelle (séparation desactivités d’exploration et d’exploitation), O’Reilly et Tushman(2004) ont observé deux cas, ceux de « USA Today » et de « CibaVision ». Dans le premier cas, la société concernée, à partirde deux politiques bien différenciées entre les unitésd’exploration et celles tournées vers l’exploitation, a cherchéà favoriser l’intégration des deux par une nouvelle politiquesociale : les transferts de personnel ont été favorisés, lesmodes de rémunération ont évolué pour inciter au partage deconnaissances, des cadres seniors sensibles aux besoinsrespectifs des deux types d’activités ont été nommés. Dans lamême perspective, Collinson (2001) avait quelques années plustôt mis l’accent sur la contribution de la GRH à une plusgrande interaction entre la Recherche et Développement d’unepart et les divisions d’affaires d’autre part, par descarrières inter-divisionnelles, une rotation des effectifs, deséquipes projets multi-disciplinaires. Dans ces exemples, la GRHvient contrebalancer les effets négatifs potentiels d’une tropgrande séparation entre les différents types d’innovation parun encouragement à la circulation des personnes et desconnaissances.

Pour ce qui est de l’ambidextrie contextuelle, l’étude deParmentier et Picq (2006), portant sur onze studios dedéveloppement dans le secteur du jeu vidéo, a porté son regardsur le type de management apte à faire cohabiter dans les mêmesunités des processus d’exploitation et d’exploration et à

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intégrer une forte variété de métiers (conception,développement, commercialisation). Leurs résultats ont permisde repérer des pratiques de management pertinentes dans cettesituation : diversité et complémentarité des compétences,culture créative, souplesse des règles et implication desacteurs. Dans un secteur d’activité très différent, celui de lachimie, Gastaldi et Midler (2005) ont observé l’émergence d’untype particulier de chercheur, les « chercheurs del’applicabilité », aptes à faire le lien entre le domainescientifique et la valeur sur les marchés. Dans ces cas, la GRHqui est décrite est celle permettant de favoriser l’exploration(souplesse, créativité), plutôt que l’articulationexploration / exploitation avec une attention particulière àdes individus « relais » capable de faire le lien entre lescompétences scientifiques et techniques et la connaissance desmarchés.

Ces quelques travaux abordent essentiellement les enjeuxhumains des situations ambidextres sous l’angle du managementdes organisations, autrement dit des structures, cultures etstyles de management d’équipe. Mais rares sont les travauxcherchant à connaître et comprendre les pratiques de GRH ausens strict : recrutement, évaluation, carrière, etc. L’une desrares recherches observant les pratiques de GRH au regard desenjeux de l’innovation ambidextre est celle de Gastaldi etGilbert (2006). Les auteurs ont en effet étudié huitentreprises différentes en termes de statut, de taille, de rôlede la recherche dans l’organisation et de domaine scientifique,mais toutes confrontées au besoin d’innovations radicales etrépétées. Ces auteurs observent notamment des tendancesgénérales dans les pratiques de GRH : un recrutement qui vised’abord une variété des profils, des modes de rémunération enrecherche de compromis entre critères spécifiques à larecherche traditionnelle et critères standard, des mobilitéshorizontales au travers de fonctions et de lieux différents,des formations autres que scientifiques et techniques. Encoreune fois il s’agit davantage d’une focalisation sur la GRH desactivités d’exploration plutôt que des organisationsambidextres en tant que telles.

1.3 Des pratiques et des modèles de GRH à étudier de plus près

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D’après ces quelques études disponibles, il apparaît doncclairement qu’un des leviers de gestion de l’organisationambidextre et de ses tensions inévitables réside bien dans cespratiques de GRH pour les « personnes innovantes » (Chanal etal., 2005). Mais jusqu’ici les observations n’ont pas fait delien explicite entre GRH et ambidextrie en général, et encoremoins entre GRH et type d’ambidextrie. Comment lesorganisations ambidextres gèrent-elles leurs ressourceshumaines ? Leurs pratiques différent-elles selon que laconjugaison entre les activités d’exploration et d’exploitationse réalise au sein des mêmes unités, via les mêmes chercheurs,ou entre des unités différentes ? Que peut-on recommander commebonnes pratiques pour les managers et responsables de processusd’innovation ayant le souci de faire réellement vivrel’ambidextrie dans leur entreprise ?

Nous choisissons de développer ce questionnement au travers ducadre théorique des « pratiques de gestion des ressourceshumaines » développé par Pichault et Nizet (2000). Ces auteurs,adoptant une perspective contingente des pratiques demanagement, s’intéressent non aux pratiques censéess’appliquer selon les manuels de best practices mais plutôt à laGRH telle que se pratique effectivement. Se réclamant d’uneapproche contextualiste, ces auteurs proposent d’observer etd’interpréter le contenu de la GRH – c’est-à-dire ses pratiqueseffectives - en considérant leurs interactions inévitables avecle contexte, i.e. l’environnement externe et interne, et lesprocessus, au sens du jeu des acteurs. Un tel cadred’interprétation invite à examiner la GRH des organisationsambidextres en posant trois grandes questions : dans cesorganisations, quel est le contenu de la GRH, autrement ditquelles sont les pratiques effectives d’acquisition, destimulation et de régulation des ressources humaines ? Dansquelle mesure le contexte de ces entreprises, et notammentleurs choix organisationnels pour gérer l’ambidextrie, oriente-t-il ces pratiques ? Et enfin, comment celles-ci se déploient-elles et évoluent-elles aux mains des principaux acteurs quesont les chercheurs, leur hiérarchie et leur service RH ?

Notre grille de lecture considère donc que les pratiques de GRHeffectives dans les entreprises cherchant à être ambidextres

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vont dépendre du type d’ambidextrie pratiqué mais aussi descomportements et des visées développées par les acteurs. Ellepermet également de formuler deux hypothèses a priori. Eneffet, à partir de l’observation et de la capitalisation deleurs études de cas, Pichault et Nizet ont repéré des « modèlesde GRH », à prendre non comme des modèles à suivre mais commedes configurations idéal-typiques caractérisées par despratiques homogènes (tableau 1).

Tableau 1 : caractéristiques des quelques grands modèles de GRH (Pichault et Nizet,2000)

Modèle objectivant Modèleindividualisant

Modèleconventionnaliste

Type d’organisationsconcernées

Bureaucratiepublique ou

privée

Entrepriseconfigurée endivisions

Laboratoire derecherche

Principalescaractéristiques

Recrutementplanifié avanttout en termesde quantité,

évaluation surcritères

standardisés,formation

centrée sur lessavoir-faire

Recrutementsélectif fondé

sur lasimulation,

évaluation desrésultatsatteints,formation

centrée sur lessavoir-être

Recrutement parcooptation,

évaluation parles pairs,

formation entreprofessionnels,rémunération surbarèmes fixes

Un tel cadre d’analyse nous conduit alors à envisager deuxhypothèses :

1- Les entreprises relevant d’une ambidextrie structurelle,parce qu’elles séparent les unités d’exploration etd’exploitation, pratiquent des modèles de GRHdifférenciés. On peut en particulier s’attendre à unmodèle conventionnaliste dans les unités d’exploration etun autre, objectivant ou individualisant, dans les unitésdédiées à l’exploitation ;

2- Les entreprises relevant d’une ambidextrie contextuelle,parce qu’elles demandent aux mêmes chercheurs de conjuguerou d’alterner les activités d’exploration etd’exploitation, recourent au modèle individualisant.

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2. STMicroelectronics et Saint-Gobain : deux choix différentsde management de l’ambidextrie

Afin d’ouvrir la « boîte noire » de la GRH des organisationsambidextres et de repérer s’il y a des pratiques pluspertinentes que d’autres pour conjuguer l’exploration etl’exploitation, nous avons mené une étude qualitative pourmieux saisir les pratiques possibles et leurs enjeuxrespectifs. Nous présentons la méthodologie de recherche puisnos deux études de cas STMicroelectronics et Saint-Gobain(2.1). L’examen des pratiques effectives de GRH de l’une (2.2)puis de l’autre (2.3) nous permettra ultérieurement de repérerquel(s) modèles(s) de GRH sont mis en pratique.

2.1 Une étude de cas comparative dans deux types d’ambidextrie

La méthode retenue est celle de l’étude de cas comparative. Ils’agit, avec la même grille de lecture (le modèle de Pichaultet Nizet), d’interroger les pratiques RH de deux grandesentreprises de haute technologie, partageant l’ambition del’exploration, tout en ayant fait un choix organisationneldifférent.

Acteur mondialement connue dans le domaine des semi-conducteurs, STMicroelectronics conçoit, développe, fabrique etcommercialise des circuits intégrés et des composants, utilisésensuite dans de très nombreuses applications : informatiqueembarquée, télécommunications, automobile ou produits grandpublic. Il s’agit d’une entreprise mondiale disposant de 16centres de recherche et développement et 17 sites deproduction ; la structure, matricielle, croise les régions dumonde et les divisions d’affaires correspondant aux débouchéspour les produits fabriqués. Comme ses concurrents,STMicroelectronics accorde une importance privilégiée aumanagement de l’innovation et vise à tenir conjointement lesimpératifs d’exploration et d’exploitation. Plusieurs modesd’organisation sont considérés pour cela, mais la tendancegénérale de l’entreprise est à séparer les activitésd’exploitation et d’exploration : « Aujourd’hui, on est plus chezSTMicroelectronics dans le premier cas de figure, avec une enclave de chercheurs

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professionnels qui ne bougent pas de leur structure » (responsable ressourceshumaines).

La seconde entreprise, Saint-Gobain, est un producteur,transformateur et distributeur de matériaux tels que le verre,la céramique ou le plastique. Présent dans plus de 50 pays àtravers le monde et employant plus de 200 000 salariés, Saint-Gobain est un groupe industriel décentralisé : chaque pôled’activité a la responsabilité de sa stratégie au niveaumondial. Réputée jusqu’ici être un bon « suiveur » en matièred’innovation technologique, l’entreprise tente de plus en plusde mieux mobiliser ses capacités internes pour l’innovation.Contrairement à l’approche dominante constatée chezSTMicroelectronics, la préférence est donnée chez Saint-Gobainà l’ambidextrie contextuelle, autrement dit à la poursuite parles mêmes personnes des activités d’exploration etd’exploitation : « L’idée de n’avoir que des chercheurs qui travaillent sur dessujets exploratoires et complètement déconnectés du reste, moi, je n’y crois pasbeaucoup. (…) A Saint-Gobain, il n’y a jamais eu la volonté de vouloir recruter despersonnes pour l’exploration et d’autres pour l’exploitation, parce que justementnous fonctionnons avec un mode mixte », déclare la Directrice desRessources Humaines de Saint-Gobain Recherche.

Méthodologie

Les deux cas ont été étudiés au travers d’une campagned’entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 1h10mn. 24entretiens ont été conduits chez STMicroelectronics (3 acteursressources humaines, 14 managers et 7 collaborateurs) ; 20personnes ont été intervierwées chez Saint-Gobain (1 acteurressources humaines, 11 managers et 8 collaborateurs).

Les comptes-rendus des entretiens ont été analysés en codantles informations récupérées (déclarées ou factuelles) selondeux grilles de classement : d’une part, le contenu de la GRHau sens des pratiques effectives d’acquisition des ressourceshumaines (organisation du travail, recrutement, intégration),de stimulation (évaluation et modes de rétribution) et derégulation (gestion des effectifs et des compétences, parcourset carrières) ; d’autre part, les éléments de contexte externe(type de concurrence et de marché) comme interne (vision desdirigeants, choix d’organisation et de structure), ainsi que

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ceux nous mettant sur la piste des processus (jeux denégociation entre acteurs, suivi ou contournement des règles,changements d’attitudes). Chacune des études de cas a donnélieu à une synthèse dont le contenu a été validé par lesresponsables de chacune des entreprises.

2.2 Le cas STMicroelectronics : une GRH sur fond d’ambidextrie structurelle

Conformément à la perspective dominante de séparer leschercheurs dédiés à une activité d’exploration par rapport auxautres, STMicroelectronics a créé depuis 4 ans une entitéappelée « AST » : Advanced System Technology. Composée en fait deplusieurs laboratoires dans le monde, AST est une unité derecherches comprenant près de 250 chercheurs, dont unequarantaine sur le site de Grenoble, avec pour ambitiond’explorer de nouveaux systèmes et de nouvelles architecturespour un terme de trois à cinq ans. AST est ainsi le lieu denombreux projets d’exploration de nouvelles connaissances pourl’entreprise, qui débouchent ensuite sur un petit nombre deprojets de développement de nouveaux produits. Les projets derecherche basés sur des propositions personnelles sont plusnombreux que ceux qui répondent à des besoins exprimés par lesdivisions de STMicroelectronics ; l’entité est d’ailleursévaluée non sur son chiffre d’affaires réalisé mais bien sur sacapacité à identifier des pistes d’innovation.

Du côté de l’acquisition des ressources humaines, la politiqueen place est à l’attraction et au recrutement de profils certesdiversifiés, mais à dominante exploratoire, avec des critèresdifférents de ceux utilisés pour recruter les chercheurs etingénieurs situés en division : pour ces derniers, les qualitésrecherches sont avant tout la bonne connaissance du produit etla capacité à intégrer des contraintes en amont et en aval,alors qu’AST recrute des compétences de prise de recul, degestion du flou et d’acceptation des échecs, de communicationet d’interface. Ce type de compétences requises est examinéprincipalement au travers de l’entretien et des références, ladécision de sélection étant au final collégiale entre managersde AST, responsables RH et aussi acteurs extérieurs tels quedes chercheurs universitaires.

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En ce qui concerne la stimulation des ressources humaines, lesacteurs rencontrés pointent une tension entre les critères quisont importants à leurs yeux et ceux qui sont explicitementportés par le support d’entretien annuel, standardisé pourtoute l’entreprise STMicroelectronics : « Souvent, les critèresd’évaluation, en particulier comportementaux, sont basés sur des critères trèsopérationnels et pas tellement exploratoires. L’entretien ne s’adapte qu’en partie à cetype de profil. L’aspect créativité est repéré sommairement. Le guide d’entretien eststandard pour tout le monde, il y a un travail d’adaptation à faire » (manager).Cet aspect lié aux critères d’appréciation est confirmés’agissant de la fixation des objectifs : « Il n’y a pas deconcordance entre les objectifs réels et les objectifs mentionnés au cours del’entretien d’évaluation. Parfois, on change d’activité au cours de l’année et commel’entretien est annuel, mon manager n’est pas capable de modifier les objectifs decette évaluation » (ingénieur). Pour ce qui est des modes derétribution, la spécificité de l’activité des chercheurs d’ASTa d’ores et déjà conduit la direction de l’entité à mettre enplace des modalités qui leur sont spécifiques, notamment autravers de plusieurs formes de reconnaissance de lacréativité : primes liées aux brevets déposés, reconnaissanceexterne via des publications.

Enfin, s’agissant de la régulation des ressources humaines,l’ensemble de la société STMicroelectronics a mis en place il ya trois ans seulement une filière de progression parallèle auxfilières traditionnelles « hiérarchique » et « projet » : lafilière technique. Celle-ci touche notamment les volets de laRecherche et Développement et place à son sommet le « ST fellow »,référence mondiale dans sa sphère d’influence. Cette nouvellefilière est perçue comme un signe positif et adapté par leschercheurs d’AST : « La mission d’expertise n’était pas valorisée. Maintenant,on sent qu’il y a beaucoup de mouvements à STMicroelectronics qui poussent àreconnaître ça ». Néanmoins, la légitimité interne de cette filièrede carrière reste à développer au vu de nombreuses personnes :« Il faut donner plus de visibilité, au sens marketing du terme, pour arriver à changerles stéréotypes comme : ‘pour avancer, il faut être manager’ » (responsable RH).2.3 Le cas Saint-Gobain : une GRH sur fond d’ambidextrie contextuelle

Autre entreprise, autre type d’ambidextrie avec le cas de lasociété Saint-Gobain. Comme nous l’avons vu, celle-cirevendique le choix opposé au précédent en privilégiant

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l’ambidextrie contextuelle, c’est-à-dire en confiant aux mêmeschercheurs les missions d’exploration et d’exploitation. Cechoix est concrétisé par la configuration prise par l’entitéSaint-Gobain Recherche, laboratoire central de l’entrepriseconstitué de 305 salariés, dont la mission est d’effectuer desrecherches pour les branches industrielles du groupe, entravaillant en liaison avec les laboratoires de Recherche etDéveloppement plus spécifiques aux différents métiers du verre.

De fait, l’éventail des missions attribuées à cette entitéregroupe bien des activités d’exploration – travail sur lesverres spéciaux, veille scientifique pour anticiper les besoinsfuturs du groupe - comme d’exploitation - « problem-solving » dansdes projets de recherche bien finalisés, remplacement de filmsplastique par du verre dans des fonctionnalités déjàexistantes. En outre, ce qui est bien la caractéristiquedistinctive de l’ambidextrie contextuelle, les chercheurs decette entité ont tous une activité hétérogène en participantaussi bien à des projets de rupture qu’à de l’amélioration desproduits développés : « Chez Saint-Gobain, il n’y a jamais eu la volonté devouloir recruter des personnes pour l’exploration et d’autres pour l’exploitation,parce que justement nous fonctionnons avec un mode mixte » (directeurscientifique de Saint-Gobain Recherche). Cette ambition de ladirection du centre se trouve confortée et légitimée par unemajorité des chercheurs rencontrés : « Ce qui est intéressant, c’esteffectivement cette multitude de points d’entrée et de visions différentes »(ingénieur) ; « Il est souhaitable d’avoir des personnes avec une doublecasquette » (chef de groupe).

Les pratiques effectives de GRH sont en conformité avec cettemixité visée et acceptée pour la nature du travail derecherche. En effet, pour ce qui est du recrutement,l’ambidextrie des profils – c’est-à-dire le double aspectexploratoire et opérationnel – constitue un critère desélection volontairement affiché : par exemple, le descriptifd’emploi d’un ingénieur chez Saint-Gobain Recherche mentionneexplicitement d’une part « l’identification de solutions aux problèmesposés », et « l’assistance aux équipes de développement » et d’autre part« des orientations scientifiques et techniques » ainsi que « des recherchesbibliographiques ». Les responsables ressources humaines déclarentêtre très attentifs à repérer ce double potentiel, à partird’un vivier composé de jeunes docteurs : « On valide les compétences

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scientifiques (…) et on valide également l’aspect opérationnel : l’aspect rechercheappliquée, la possibilité d’évoluer vers des postes de projet, de management, deproduction » (responsable ressources humaines).

Les pratiques de stimulation des ressources humaines semblentégalement tenir compte de cette mixité valorisée dans le profildes chercheurs, notamment par le fait de ne pas encourager unprofil à se spécialiser excessivement. C’est ce qu’on perçoiten creux lorsque les acteurs les plus « experts » expriment unsentiment de non-reconnaissance : « La carrière d’innovateur et decréateur n’est pas reconnue en tant que telle » (chef de projet) ; « C’est unpeu une attitude générale de ne pas trop valoriser les spécialistes » (ingénieur).De fait, les pratiques de régulation des ressources humaines etnotamment de carrières visent explicitement la mobilité desingénieurs vers les branches de la compagnie : contrairement àce qui se passe avec la filière technique chezSTMicroelectronics, chez Saint-Gobain, s’« il peut y avoir une évolutionen termes d’évolution hiérarchique au sein du centre de recherche (…), il n’y a pasune filière parallèle qui pourrait envisager la même évolution » (ingénieur) ;« La double échelle, je pense qu’on n’est pas prêts » (directrice de Saint-Gobain Recherche).

3. Interprétation : des problèmes et des pratiques spécifiquesaux deux types d’ambidextrie sur fond de modèle individualisant

L’interprétation des observations recueillies dans ces deux cascontrastés de management de l’ambidextrie nous conduit d’abordà repérer l’existence de difficultés spécifiques à chacune desdeux situations (3.1). En outre, et contrairement à noshypothèses initiales, nous constatons la présence du modèleindividualisant de GRH dans les deux cas (3.2). En nous aidantde la littérature disponible sur le sujet, nous discuteronsalors des pistes managériales à proposer pour une GRH adaptéeaux organisations ambidextres (3.3).

3.1 Des difficultés managériales spécifiques à chaque situation

Une première analyse que nous pouvons tirer de l’observation deces deux cas est qu’il n’y a visiblement pas de « one bestway » qui s’impose pour gérer les chercheurs dans les

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entreprises ambidextres : des difficultés managériales et deGRH sont constatées d’un côté comme de l’autre, mais avec desspécificités. Du côté de l’ambidextrie structurelle, ce sont les problèmes decommunication et de coordination qui sont notoirement présents.Ainsi, entre AST et les divisions de STMicroelectronics, lesdéfis à relever sont ceux de la compréhension mutuelle sur lesmissions et les objectifs respectifs des uns et des autres, dulangage commun à utiliser, des méthodes de travail et descritères d’évaluation à rendre plus homogènes, de la définitiondes rôles à clarifier, etc… Comme le note Tarondeau (2006, p.1072), « gérer des professionnels de R & D, c’est aussi prendreen compte cette nécessité de communication au plan individuelet collectif ». De telles difficultés, pour classiques qu’ellessoient, ne doivent cependant pas être minorées au titre desdégâts collatéraux. Elles sont en effet citées comme àl’origine d’une certaine démotivation des chercheurs d’AST :« Une des raisons principales pour lesquelles les gens ne veulent pas bosser pourAST, c'est ce côté : « ça sert à rien », c’est parce qu’ils ne voient pas l’aboutissement deleur travail » (manager). « Il y a le côté recherche qui est très intéressant maispour arriver à faire ce travail, il y a tout un tas de choses autour, qu’il faut résoudreavant. D’ailleurs, pour le projet sur lequel je suis en train de travailler depuis deuxans, j’ai passé 2/3 de mon temps à travailler sur des outils pour pouvoir avancer surmon travail. Il faut toutefois noter que si on va s’appuyer sur des outils qui viennentdes divisions pour avoir du support, on va aller moins loin : c’est un compromis àtrouver » (ingénieur).

Saint-Gobain Recherche, de son côté, rencontre des problèmesmanagériaux pour ainsi dire symétriques. Certes,l’hétérogénéité des projets entre long et court termes sembleêtre une source de satisfaction pour la plupart des ingénieursde recherche de Saint-Gobain Recherche qui voient dans cettediversité « une source d’enrichissement et de valorisation » et « permet unemeilleure proximité et compréhension des besoins des pôles ». Toutefois, lanon-séparation entre les deux types d’activité présente lerisque de sacrifier en partie l’activité d’exploration auprofit d’une activité court terme qui pourrait monopoliser lesressources humaines et financières. Cette captation desressources par les projets de proximité et structurants estdans certains cas liée aux choix des ingénieurs de recherche deSaint-Gobain Recherche, par facilité et confort. Elle est

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aussi, dans d’autres cas, liée à une pression exercée par leschefs opérationnels au niveau des pôles, explicable notammentpar le financement par ces derniers d’un grand nombre desprojets de Saint-Gobain Recherche. On enregistre également desdifficultés de capitalisation des connaissances liées à uneévolution rapide vers les branches, soutenue par une meilleurereconnaissance d’une carrière opérationnelle : « On pense que sortirde Saint-Gobain Recherche et évoluer à l’extérieur est presque une voie unique. Lesgens préfèrent l’exploitation, parce que ça leur permet d’être visibles et surtout d’êtrereconnus » (ingénieur). Enfin, un problème de contrôle a étéressenti surtout par les ingénieurs de Saint-Gobain Recherchequi craignent « un risque de perte de repères entre des objectifs et des visionsdivergentes (LT pour les chefs fonctionnels et CT pour les chefs opérationnels), ce quipeut créer une source de frustration » (ingénieur).

3.2 La force d’un modèle de GRH individualisant sur fond de tensionsorganisationnelles

Nos deux hypothèses initiales, que ce travail qualitatif avocation à affiner, étaient que le modèle de GRH effectivementpratiqué dépendait du type d’ambidextrie retenu parl’entreprise. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommesconduits à repérer des situations en réalité intermédiaires.

Notre première hypothèse était que les chercheurs exclusivementdédiés à l’exploration faisaient l’objet d’un modèle de GRHconventionnaliste – typique des laboratoires de recherche –contrairement au reste des chercheurs et ingénieurs de la mêmeentreprise. L’examen du cas STMicroelectronics et de son entité« AST » ne corrobore pas totalement cette proposition. Certes,on retrouve dans les pratiques de GRH d’AST des traces dumodèle conventionnaliste décrit par Pichault et Nizet (2000, p.145), en particulier une culture spécifique marquant sesdifférences et une validation collégiale des décisions derecrutement et de sélection, incluant les référencesextérieures et la cooptation. Cependant, d’autres pratiques deGRH chez AST restent typiques du modèle individualisantpratiqué dans le reste de l’entreprise, comme en témoignel’entretien annuel qui reste sur un process et un formulairestandardisés. Par ailleurs, on repère que l’entité AST tented’inventer une déclinaison spécifique du modèle individualisant

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pour ses chercheurs, notamment par le biais de bonus variablesdépendant des dépôts de brevet ou de publication. On n’a doncpas d’un côté un modèle conventionnaliste et de l’autre unmodèle individualisant, mais plutôt une gradation contrastée depratiques de GRH individualisantes, ouvertes à l’hybridations’agissant des chercheurs cantonnés à l’exploration.

Notre seconde hypothèse était que pour des organisationspratiquant l’ambidextrie contextuelle le modèle de GRH nepouvait qu’être individualisant. L’observation du cas Saint-Gobain Recherche nous conduit là encore à une interprétationnuancée : certes, l’ambition de l’entreprise est de pratiquerun même modèle de GRH pour l’ensemble de ses chercheurs, demanière à « intégrer » davantage ceux-ci à l’ensemble des butset objectifs de la société ; néanmoins, les pratiques desélection restent très spécifiques à ce centre de recherche etdéveloppement dans la mesure où seule cette entité vise à sedoter de profils originaux, « mixtes » entre exploration etexploitation.

Cette réalité nuancée sur fond de modèle individualisantglobalement dominant trouve sans doute son origine dans lesinteractions continuelles entre contexte, contenu et jeuxd’acteurs, telles que le cadre d’analyse de Pichault et Nizetnous invite à les mettre au jour. Chez STMicroelectronics, lecontexte d’une stratégie mondiale et d’une entreprise trèsintégrée malgré la diversité des divisions d’affaires pèse surle contenu des outils de GRH et induit des process standardiséstels que l’entretien annuel ; pour autant, les jeux d’acteurs,et en particulier l’exigence légitime des managers d’AST depouvoir recruter et stimuler des profils créatifs et originauxles conduit à jouer avec ces process standardisés et à adapterles critères dans la conduite de l’entretien annuel. ChezSaint-Gobain, le contexte interne d’une stratégie encore plusintégrée pousse aussi à des pratiques homogènes et à de lamobilité entre recherche et divisions, mais les chercheursregrettent l’absence de considération à leurs yeux insuffisantepour les travaux les plus exploratoires.

3.3 Des leviers managériaux à mettre en place

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Cet examen de deux cas contrastés de management del’ambidextrie gagne également à être enrichi de l’état desconnaissances en matière de GRH des chercheurs. La prégnance dumodèle individualisant renforce tout d’abord l’analyse deGastaldi et Gilbert (2006), qui sur la base de sept études decas avaient noté une « tendance au mimétisme des réponses RH » :évaluation des chercheurs de plus en plus standardisée, usagede plus en plus fréquent de la double échelle de carrière,encouragement et incitations diverses à des formes de mobilitéhorizontale notamment. Ce mimétisme ne signifie pas que lesentreprises aient trouvé la pierre philosophale en matière deGRH des chercheurs : pour Gastaldi et Gilbert subsistent eneffet des problèmes de reconnaissance et des tensions à gérerau quotidien. Notre comparaison de deux organisations« différemment ambidextres » permet d’affiner et d’enrichircette analyse : dans une ambidextrie structurelle, les tensionsclassiques entre court terme et moyen terme sont amoindriesmais les problèmes de reconnaissance sont plus forts d’uneentité à l’autre si les chercheurs sont amenés à bouger ; demanière symétrique, dans une ambidextrie contextuelle, lareconnaissance des chercheurs soulève moins de difficulté alorsque les dilemmes et tensions du management de l’innovation –court/moyen terme, individuel/collectif,spécialisation/interdisciplinarité – surgissent de plus belle.

Dès lors, il convient de renoncer à la vision idéalisée d’une« meilleure pratique » de GRH non seulement pour le managementde l’innovation en général mais aussi pour celui d’un certaintype d’ambidextrie en particulier. Manager une organisationambidextre, c’est accepter les inconvénients générés sur leplan RH des choix que l’on fait : soit dans l’agenda et lesdifférents rôles d’un même professionnel dans le cas d’uneambidextrie contextuelle, soit dans la communication et lasynergie inter-unités dans le cas de l’ambidextriestructurelle. La préconisation qui en découle est d’anticiperde tels inconvénients en prévoyant des amortisseurs : en amontd’une mobilité d’un chercheur jusqu’ici habitué auxenvironnements purement exploratoires, ce chercheur comme safuture entité gagneront à être préparés et accompagnés pourdéminer les problèmes de trop forte disparité entre lesattachements « professionnels » et « organisationnels »(Durand, 1972).

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Plus spécifiquement, dans le cas d’une ambidextriestructurelle, le cas STMicroelectronics permet de comprendrequ’il est vain et contre-productif d’appliquer ipso facto unmodèle de GRH standardisé à l’ensemble de l’entreprise,chercheurs explorateurs y compris. La différence dansl’activité et le travail réel induisent nécessairement desadaptations dans les pratiques de GRH : soit l’entrepriseconsent à les reconnaître officiellement, en déclinant parexemple un support d’évaluation spécifique, soit elle tolèredes usages imprévus et de la régulation autonome sur sespratiques standardisées.

Concernant l’ambidextrie contextuelle, le cas Saint-GobainRecherche conduit à proposer la mise en place d’un groupe detravail, entre managers et responsables ressources humaines,sur le mode de sélection et la gestion de carrière desingénieurs « mixtes » qui sont la cible préférentielle : ils’agit d’une part de clarifier le contrat psychologique dès lasélection – et ne pas laisser croire que les personnessélectionnées pourront faire une carrière valorisante enrestant dans la seule expertise -, et d’autre part de valoriserdavantage au niveau des divisions les compétences acquises ensituation « hybride » par les chercheurs issus de cetteexpérience.Ce dernier point vient conforter l’idée que la GRH desorganisations ambidextres – et notamment les ambidextriescontextuelles – pose bien des problèmes spécifiques liés àcette mixité des compétences requises, qu’on ne saurait tropvite assimiler à la GRH adaptée aux activités d’explorationseulement.

Conclusion

Si l’état des connaissances en matière de management del’innovation a bien permis de dévoiler la subtilité des modesd’organisation ambidextres, il reste encore beaucoup àapprendre sur les pratiques effectives de GRH et leurs impactsau sein de ces organisations. Notre travail invite à abandonnertoute prescription de modèle unique de GRH pour l’un comme pourl’autre des choix d’ambidextrie : la réflexion et l’action en

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matière de GRH des situations ambidextres doivent se nuancerpar rapport aux « meilleures pratiques » du modèleindividualisant en vigueur dans la plupart des grandesentreprises multidivisionnelles.

Bien d’autres pistes de recherche sont à considérer pour uneGRH au service de l’ambidextrie. Parmi elles, l’étude de laquestion des compétences à gérer doit retenir l’attention :quelles sont précisément, au-delà des facilités de vocabulaire,les compétences requises par tel ou tel type d’ambidextrie ?Par quelle instrumentation de gestion s’assurer de leurdétention et de leur mobilisation chez les candidats ou lessalariés ? Une autre piste est d’examiner l’impactcomportemental de la situation spécifique d’ambidextriecontextuelle : ce type de situation est-il de nature àfavoriser l’implication et la motivation des chercheurs ? On levoit, « la GRH est un des grands défis de la gestion de la R &D » (Tarondeau, 2006, p. 1073) et celle des organisationsambidextres ne doit pas laisser de retenir notre attention.

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