l'effectivité de l'acte uniforme ohada relatif aux contrats de transport de marchandises...

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1 Ohadata D-15-06 L’EFFECTIVITE DE L’ACTE UNIFORME RELATIF AUX CONTRATS DE TRANSPORT DE MARCHANDISES PAR ROUTE : ENTRE AVANTGARDISME LEGISLATIF ET PASSEISME SOCIOPROFESSIONNEL Réflexions critiques sur l’appropriation sociale de l’AUCTMR et son application par les juges africains Par FOKOU Eric, Doctorant à la Faculté de Droit de l’Université Laval (Québec-Canada) Résumé L’avènement de l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route a irréversiblement marqué une avancée significative dans l’uniformisation et la modernisation de la règlementation des transports routiers de marchandises dans les Etats- membres de l’OHADA. Plus d’une décennie après son entrée en vigueur, il convenait de s’interroger sur son effectivité. Une effectivité qui reste encore à pourvoir, à l’image de celle du droit des affaires OHADA dans son entièreté, à travers une revitalisation du système judiciaire des pays membres et une redynamisation de la politique législative communautaire. Abstract The adoption of the Uniform Act on the carriage of goods by road irreversibly constituted a significant and beneficial contribution in the unification and the modernisation of the regulation on the carriage of goods by road in the States-members of OHADA. More than a decade after becoming effective, it was suitable to question about its enforcement. An enforcement that remains to be constructed as the entire OHADA business law’s through some reconfiguration of the judicial system in the States-members and the communitarian legislative policy.

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Ohadata D-15-06

L’EFFECTIVITE DE L’ACTE UNIFORME RELATIF AUX CONTRATS DE

TRANSPORT DE MARCHANDISES PAR ROUTE : ENTRE AVANTGARDISME

LEGISLATIF ET PASSEISME SOCIOPROFESSIONNEL

Réflexions critiques sur l’appropriation sociale de l’AUCTMR et son application par les

juges africains

Par FOKOU Eric,

Doctorant à la Faculté de Droit de l’Université Laval (Québec-Canada)

Résumé

L’avènement de l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par

route a irréversiblement marqué une avancée significative dans l’uniformisation et la

modernisation de la règlementation des transports routiers de marchandises dans les Etats-

membres de l’OHADA. Plus d’une décennie après son entrée en vigueur, il convenait de

s’interroger sur son effectivité. Une effectivité qui reste encore à pourvoir, à l’image de celle

du droit des affaires OHADA dans son entièreté, à travers une revitalisation du système

judiciaire des pays membres et une redynamisation de la politique législative communautaire.

Abstract

The adoption of the Uniform Act on the carriage of goods by road irreversibly

constituted a significant and beneficial contribution in the unification and the modernisation

of the regulation on the carriage of goods by road in the States-members of OHADA. More

than a decade after becoming effective, it was suitable to question about its enforcement. An

enforcement that remains to be constructed as the entire OHADA business law’s through

some reconfiguration of the judicial system in the States-members and the communitarian

legislative policy.

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Le droit OHADA1 des affaires serait-il entrain de marcher au bord du précipice ? Au

lendemain du bi-décennaire2 du Traité OHADA plus que jamais marqué par une

surabondance des allocutions dithyrambiques des responsables politico-managériaux des

institutions du droit communautaire, voués et dévoués plus que jamais à l’hypertrophie de

nouvelles normes uniformes sans questionnement aucun sur le rendement de celles existantes,

il s’impose un temps soit peu de constater que l’on est bien loin, à défaut d’un triomphalisme

précoce, des mutations socio-économiques escomptées depuis l’avènement du droit uniforme

des affaires dans les pays membres3. A l’heure où le législateur communautaire s’escrime

donc à multiplier de nouveaux projets d’Actes Uniformes4, le réalisme voire le pragmatisme

juridique doit rappeler que la suffisance législative n’est pas seulement à l’édiction effrénée

des normes5 mais bien à leur application, et surtout à leur applicabilité6, à leur effectivité7 et à

leur efficacité8. Encore qu’à l’occasion du décennaire de l’OHADA, des voix s’étaient déjà

1 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires créée à par un Traité signé à Port-Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993 et entré en vigueur le 18 septembre 1995. Institution d’intégration juridique à vocation économique, elle regroupe à ce jour 17 Etats dont le Benin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo (Brazzaville), la Côte d’ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, La République centrafricaine, la République Démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad, le Togo, l’Union des Comores. Elle reste par ailleurs ouverte à l’adhésion de tous les pays membres de l’Union Africaine et même non membres (sous réserve d’un commun accord des Etats signataires) en vertu de l’article 53 du Traité. Sur la genèse de l’OHADA, Vr. AKOUETE-AKUE (M), « Histoire de l’OHADA », « Communication au Colloque OHADA et lutte contre la corruption », Bâle, 29 Février 2008 et THERA (F), La reforme de l’AUPCAP, Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin Lyon 3 le 6 Décembre 2010, Introduction p.1 s. 2 L’OHADA a célébré son 20ème anniversaire à Ouagadougou du 10 au 17 Octobre 2013. 3 Sur la problématique de l’OHADA et des Actes Uniformes, Vr. ISSA-SAYEGH (I) et POUGOUE (P-G), « L’OHADA : problèmes, défis et tentatives de solution », in Revue de droit uniforme 2008, p. 455 s. 4 Droit des contrats, droit du travail, droit de la consommation, droit bancaire, droit de la concurrence, etc. 5 Les Professeurs Paul-Gérard POUGOUE et Yvette Rachel KALIEU ELONGO rappellent en effet quant au droit OHADA que « Le dispositif normatif est quantitativement considérable, mais son effectivité est loin d’être acquise », Introduction critique à l’OHADA, édition PUA, Août 2008. 6 Si l’application des actes Uniformes est en principe assurée par leur entrée en vigueur, il se pose dès lors le problème de leur applicabilité. L’applicabilité est l’indicateur qui mesure la possibilité ou la capacité d’une norme juridique à régir les situations et les comportements sociaux pour lesquels elle a été édictée. Elle renvoie d’une part à la compatibilité de la norme d’avec les comportements sociaux à régir et la cohérence des structures d’application d’autre part. Dans une hiérarchie des indicateurs de la règle de droit, l’applicabilité constitue le primaire, l’effectivité le secondaire, l’efficacité le ternaire et l’efficience le quaternaire. 7 L’effectivité est un indicateur qui mesure l’écart entre la règle de droit posée et les comportements sociaux suivis depuis son entrée en vigueur voire le degré d’appropriation de la norme juridique par le corps social. Sur l’importance de la question, cf. « L’effectivité du droit OHADA », Appel à communication, Université de Luxembourg, octobre 2013 où il est proposé 4 axes de réflexions notamment l’approche quantitative, l’action des Etats, l’adéquation aux besoins pratiques et l’implication du juge. 8 L’efficacité quant à elle mesure l’écart entre l’objectif poursuivi par une règle de droit et le résultat obtenu bref l’effet mieux le rendement socio-politico-économique escompté d’une règle de droit. Pour le Professeur DIFFO TCHUNKAM en effet, « Le droit OHADA est avant un instrument juridique au service de la croissance économique des Etats et de la performance des entreprises », Interview accordée au magazine Horizon Plus n°

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élevées en faveur d’une pause dans l’adoption des Actes Uniformes eu égard aux difficultés

d’appropriation autant par les juristes que les praticiens en proie à une cadence d’adoption

assez frénétique9. Certes, si des retombées significatives ont été enregistrées çà et là

notamment quant à une relative relance de la croissance économique, une certaine attractivité

et sécurité des investissements sur le continent10, beaucoup d’agrégats économiques restent

cependant encore en berne, preuve que ce corps de règles assez souvent présentées comme

étant à la pointe de l’uniformité et de la modernité juridiques restent largement encore à

s’inscrire mieux à s’encrer dans la pratique sociale des affaires. L’Acte Uniforme relatif aux

contrats de transport de marchandises par route (AUCTMR) adopté le 22 mars 2003 à

Yaoundé en Conseil des Ministres et entré en vigueur le 1er janvier 2004 après avis favorable

de la CCJA du 17 décembre 2003 dont le leitmotiv était d’uniformiser la règlementation des

transports terrestres au sein de l’espace communautaire constitue ainsi l’un des maillons

essentiels de cet arsenal juridique mû par le vent du renouveau économique qui souffle

désormais sur le monde des affaires en Afrique. Le secteur des transports en général et

spécialement terrestres qui restent jusqu’ici les plus denses sur le continent constituant non

seulement la plaque tournante des activités économiques mais surtout le fil conducteur devant

mener au développement économique11 dans un contexte économique davantage mondialisé

que communautarisé où les échanges commerciaux ont atteint une croissance vertigineuse,

s’effectuant parfois à une vitesse de croisière.

A titre de rappel, cet Acte Uniforme est venu moderniser et redynamiser

l’environnement des transports routiers de marchandises jusque là régis par des dispositions

éparses et assez vétustes du Code civil12 et du Code de commerce13 et quelques conventions

sous-régionales à l’instar de la Convention inter-Etats des transports routiers de marchandises

diverses (CIETRMD) de la CEMAC du 05 Juillet 1996 de Libreville et de la Convention de

Cotonou portant règlementation des transports routiers inter-Etats (TRIE) de la CEDEAO du

29 Mai 1982, notamment en ce qui concerne les anciennes colonies françaises. Très tôt déjà,

70 à l’occasion du 20ème anniversaire de l’OHADA p. 6. Tout en présentant à ce titre le droit OHADA comme un outil de stratégie et de performance, le Professeur Paul-Gérard POUGOUE opine sans équivoque que : « Le drame dans le cadre de l’OHADA serait de sacrifier l’éthique à l’autel de l’efficacité, alors que dans la recherche des valeurs la justice doit précéder l’efficacité », POUGOUE (P-G), « Doctrine OHADA et théorie juridique » in Revue de l’ERSUMA, n° spécial novembre-décembre 2011 p. 18-19. 9 LOHOUES-OBLE (J), « L’autonomie des parties : le caractère supplétif des dispositions de l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats », in Revue de droit uniforme 2008, introduction, n° 1 p. 319. 10 Cf. notamment DIFFO TCHUNKAM (J), op. cit. p. 6. 11 Vr. BERNARDET (M), « Transports routiers de marchandises et développement économique : une nécessité incontournable ?», Laboratoire d’économie des transports, Lyon, Novembre 2003. 12 Articles 1782 et 1786. 13 Articles 96 à 108.

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le Sénégal14, le Mali15et dans une moindre mesure la Guinée16 s’étaient illustrés en se dotant

de législations commerciales propres en la matière. Dans les colonies sous administration

belge, le droit applicable trouvait jusque là sa source dans le décret du 30 mars 1931 portant

modification du décret du 19 janvier 192017. Plus d’une décennie après son entrée en

application, le constat de son effectivité encore moins de son efficacité reste encore à faire du

moins si l’on s’en tient à l’état de pénurie et de cacophonie de la jurisprudence en la matière,

sans cesse nourrie par une désaffection sinon une indifférence davantage graduelle des strates

socioprofessionnelles. Cet Acte Uniforme pourtant un des mieux construits de la législation

communautaire n’est malheureusement pas toujours suivi en pratique autant par les prétoires

nationaux que les milieux socioprofessionnels qui manifestement ont du mal à s’y retrouver

en dépit de l’évolutionnisme et du précisionnisme18, même si perfectibles, dont a fait montre

le législateur dans sa conception. Au fait, peut-on véritablement parler aujourd’hui de

l’effectivité de l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route ?

Quel est son degré d’appropriation sociale plus d’une décennie après son adoption ? Chacun

des promoteurs, des applicateurs ou des destinataires du droit communautaire jouent-ils

efficacement sa partition ? Sinon quelles responsabilités devraient-ils endosser dans l’optique

d’une plus grande effectivité du droit communautaire ?

Si l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route est

officiellement entré en vigueur depuis janvier 2004, un diagnostic objectif rappelle avec force

qu’il reste encore officieusement à s’encrer dans l’environnement socioéconomique des

transports routiers communautaires. L’exemple non moins illustrissime du Cameroun reste

très révélateur, encore que le consensus se fait sur ce qu’il ne constitue sans équivoque qu’une

imagerie mieux un microcosme du droit communautaire19. En effet, la jurisprudence ainsi que

14 A travers les articles 639 à 668 du Livre 4 de la 2ème Partie du Code des obligations civiles et commerciales issue de la loi n° 66. 70 du 13 juillet 1966 entrée en vigueur le 1er janvier 1967. 15 Via l’ordonnance n° 53/CMLN du 19 septembre 1973 relative au contrat de transport. 16 Par le Code des activités économiques de 1998 (articles 1000 à 1002) qui ne contiennent cependant pas des dispositions spécifiques au contrat de transport. 17 Vr. BOKALLI (V.E) et COSSI SOSSA (D), Droit des contrats de transport de marchandises par route, collection Droit Uniforme Africain, Juriscope, Bruylant Bruxelles 2006 p. 7. 18 L’AUCTMR avec ses 31 articles reste un corps de règles très simplifiées loin de son prédécesseur inspirateur, la CMR qui environne 51 articles. 19 L’exemple du Cameroun, pays au système juridique dualiste est d’autant plus fort révélateur que la question de l’effectivité du Droit OHADA se pose avec une double acuité politico-territoriale et linguistique. D’une part dans la partie francophone qui, comme le reste des Etats-membres de l’OHADA d’expression française, peine à s’imprégner des valeurs du nouveau droit des affaires communautaire et d’autre part la partie typiquement anglophone (North West, South West) historiquement et désormais traditionnellement attachée au système de la common law, d’inspiration coutumière et jurisprudentielle qui ne se reconnait guère en réalité dans ces conceptions du droit commercial davantage civilistes sans compter sur la différence de l’organisation judiciaire. Vr. spéc. GATSI (J), « L’applicabilité du droit des affaires de l’OHADA dans la partie anglophone du

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la pratique des transports routiers de marchandises semblent à la traine en dépit de quelques

campagnes assez épisodiques de vulgarisation et de formation, parfois très discriminatoires,

qui ont été entreprises et menées plus ou moins infructueusement par les responsables du droit

communautaire. Il convient ainsi notoirement d’observer qu’à côté des progrès techno-

législatifs mus par les dispositions de cet Acte Uniforme, la stupéfaction et même la

désolation est au statisme et à l’archaïsme des juges dont les décisions au ratio dicidendi pour

le moins consternant rappellent parfois une maîtrise approximative sinon une certaine

méconnaissance de la matière par les intéressés. Ce qui constitue largement matière à susciter

un désintéressement chez les protagonistes des opérations de transports routiers de

marchandises qui, paradoxalement, vont, elles, surcroissantes. Cette socio-pathologie

juridique et polycyclique ne va pas d’ailleurs sans signaler à suffisance que les magistrats

assez souvent appelés à appliquer ce droit des affaires si cher à la communauté OHADA en

général et l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route en

particulier restent encore nonobstant leurs efforts actuels tout à fait louables à s’imprégner en

profondeur des valeurs de cette législation novatrice et salvatrice (I). Mais cet état de chose et

de droit reste surtout un indicateur caractéristique du rôle jusqu’ici minime pour ne pas dire

fébrile et stérile, mais sans cesse appelé à être prépondérant, que doivent jouer les Etats-

membres dans l’optique d’effectiviser autant à l’échelle locale que communautaire ce droit

commercial devant mener l’Afrique à la prospérité pour ne pas dire à un développement

économique durable (II).

I- Le contraste saisissant entre le modernisme de l’Acte Uniforme, l’archaïsme

de la jurisprudence et le fixisme des pratiques de transport

L’après AUCTMR reste une moisson à demi-teinte. Loin d’être précoce et loin de la

gigantesque entreprise semencière initiée par ses concepteurs, la fébrilité demeure à la

pratique des transports au sein de la communauté dont le juge n’est par ailleurs qu’un

réflecteur social tout azimut. Au-delà donc de l’uniformisation et de la modernisation de la

règlementation des transports routiers de marchandises (A), la constance sociale est plutôt à

l’immobilisme des protagonistes socioprofessionnels en Afrique subsaharienne (B).

Cameroun » et MONKARE (A), « The problem of application of the OHADA laws in the english speaking Cameroon » in Revue trimestrielle de droit des activités économiques n° 0 oct-déc 2006, PUL p. 3 s. & p. 15 s ; « Implementation of ohada laws in a bilingual and bijural context : Cameroon as case in point », in Revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2013 p. 259 s.

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A- Une avancée pourtant considérable du point de vue de la modernité législative

La notoriété législative de l’AUCTMR s’apprécient aisément quant à son caractère

hybride à échelle variable (1), son plaidoyer autant pour le solidarisme contractuel que pour la

survie du contrat (2) et son éclectisme technologique (3).

1- Un hybridisme multidimensionnel sans précédent

Au regard des législations nationales et internationales antérieures en matière de

transports routiers de marchandises, le législateur communautaire a adopté une logique de

continuité et d’appropriation tout en innovant significativement sur plusieurs terrains

contractuels jusque là inexplorés.

Tout d’abord, il tente et réussit ingénieusement un équilibre subtil entre la

règlementation des transports routiers internes et la règlementation des transports routiers

transfrontaliers. Un écueil qui par ailleurs avait largement justifié la non-adoption de la

Convention de Genève du 19 Mai 1956 relatif au contrat de transport international de

marchandises par route (CMR)20. Raffermissant ainsi l’idée unanimement partagée de ce que

« le droit OHADA est à la fois un droit national, transfrontalier et un droit international »21.

Ensuite, sans prétendre à en faire une convention internationale22, les rédacteurs de

l’Acte Uniforme sont restés néanmoins très attentifs aux évolutions déjà enregistrées dans les

conventions internationales telles la CIETRMD, la TRIE, la CMR et dans une moindre

mesure la Convention inter-américaine relative au transport international de marchandises par

route de 198923. Cette diversité des sources constitue même une particularité du droit

20 La CMR est un texte de 51 articles, fruit de travaux entrepris sous l’égide des NU tantôt inspiré de la CIM (Convention internationale sur le transport de marchandises de 1924), tantôt de la Convention de Varsovie du 12 Octobre 1929 qui régit aujourd’hui les transports routiers internationaux non seulement sur une bonne partie de l’Europe mais aussi dans certains pays du Maghreb et d’Asie (58 Etats en Août 2011). L’idée de l’adopter comme Acte Uniforme a même été avancée mais n’a pas été retenue à cause de la différence infrastructurelle entre ces groupes d’Etats et ceux de l’OHADA, de l’obsolescence du texte en proie aux mutations technologiques et sa vocation purement transfrontalière. Vr. spéc. KENGUEP (E), Droit des transports OHADA et CEMAC, éditions CRAF oct. 2012, n° 16 s. p. 26 s. 21 POUGOUE (P-G), op. cit. p. 18. 22 Le Professeur Ibrahim Khalil DIALLO rappelle justement au sujet de la parentalité de la CMR vis-à-vis de l’AUCTMR qu’ « un Acte Uniforme n’est pas une Convention internationale et de ce point de vue la méthode de rédaction de ces deux types de textes ne doit pas être la même », « Etude de l’Acte Uniforme relatif au transport de marchandises par route », p. 1, Ohadata D-05-08, www.ohada.com. 23 Une question majeure s’était notamment posée quant à l’instauration d’un connaissement routier uniforme du type nord américain (article 3 de cette convention). Après moultes reflexions, le comité d’experts commis par la CNUDCI, à la surprise générale, majoritairement européen (Nicole LACASSE (Université de Laval-Québec, expert en chef), Jacques PUTZEYS (Université catholique de Louvain, Belgique), Malcom CLARKE (Cambridge University, England), Krijn HAAK (Erasmus, Rotterdam), Franco FERRARI (Université de Boulogne), accompagné par l’honorable Professeur Ibrahim Khalil DIALLO (Université de Dakar), a finalement

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OHADA du point de vue de la théorie du droit24. Ainsi, ils se sont appropriés les conceptions

modernes du droit occidental tout en les contextualisant aux réalités sociales atypiques des

pays membres25.

Enfin, l’AUCTMR tente voire réussit un compromis salvateur entre le droit commun

notamment des obligations et le droit spécial des contrats26. Cela s’observe notamment au

triple plan de sa formation, de son exécution et du contentieux. Au stade de la formation du

contrat de transport de marchandises par route, cette tendance se manifeste notamment par la

volonté de ne pas soumettre celui-ci au régime de nullité du droit commun pour vices de

consentement27. Quant à l’exécution, il dispose d’une part qu’un contrat conclu entre deux

parties notamment l’expéditeur et le transporteur puisse s’exécuter entre trois parties

contrairement au principe cadre de la relativité des conventions et édicte d’autre part des

sanctions spécifiques enclines à l’unilatéralisme contractuel28. Dans la même lancée, en plus

des cas de force majeure tirés du droit commun des obligations, l’AUCTMR arrive à prévoir

des circonstances libératoires en totalité ou en partialité du transporteur imputables à la faute

d’un ayant droit à la cargaison ou tout simplement proches des cas exceptés en droit

maritime29. Pour ce qui est du contentieux, l’AUCTMR institue hardiment une présomption

de solidarité passive entre les transporteurs successifs en garantissant ainsi aux ayants droit à

la cargaison d’être payés en totalité avec cependant une possibilité de recours subrogatoire

retenu la lettre de voiture jugée plus conforme aux droits nationaux des pays membres de l’OHADA. Cf. LACASSE (N) et PUTZEYS (J), « L’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux contrats de transport de marchandises par route », introduction p.12 s., Ohadata D-04-06. 24 Vr. POUGOUE (P-G), op. cit. p. 19-21. 25 Voilà sans doute pourquoi les juristes africains invités, par la CNUDCI à la demande de Renaud SORIEUL alors Administrateur principal au Bureau des affaires juridiques des NU, Service du droit commercial international, à discuter de l’Avant-projet de cet Acte Uniforme conçu par un groupe d’experts sous la houlette du Pr. Nicole LACASSE en sont venus à réfracter un certain nombre de dispositions qu’ils jugeaient en déphasage avec les réalités socio-économiques des pays-membres telles la suppression du connaissement comme document de transport des articles 4 et 5 contre l’adoption de la lettre de voiture, l’introduction de la notion de transports inter-Etats aux article 6 et 27, la suppression du DTS comme monnaie de référence et l’adoption du FCFA aux articles 18 et 19, la reformulation de l’article 26 sur l’arbitrage et de l’article 27 sur la compétence juridictionnelle, la suppression de l’indexation de la valeur de la cargaison au cours boursier en vue du calcul de l’indemnité de l’article 19, la suppression de l’article 29 du Projet relatif aux différends inter-Etats et l’unité de compte etc...Avis examiné et adopté lors du Séminaire tenu à l’Université de Boulogne les 2 et 3 avril 2001. Cf. DIALLO (I-K), op. cit. p. 4. 26 GUEDJE (L), « L’interdépendance des obligations dans les contrats de transport de marchandises par route de l’OHADA : implications et conséquences pour les parties », in Revue de l’ERSUMA n°2 Mars 2013, p. 185. 27 Il décide d’ailleurs de faire de fausses déclarations, de déclarations inexactes ou mensongères mêmes volontaires de la part de l’expéditeur, qui peuvent a priori déterminer le consentement du transporteur, non pas une cause de nullité mais bien une cause de responsabilité. 28 Le refus de transport, le déchargement, la neutralisation voire la destruction des marchandises ainsi que la présomption de prise en charge ou de livraison conforme, la déchéance du droit d’exonération, du bénéfice de la prescription annale ou du plafonnement de l’indemnité. 29 Articles 17 alinéa 2 AUCTMR.

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pour le solvens30. Marquant davantage son empreinte pour le droit spécial, il fait également

sienne la formule de la réclamation gracieuse préalable31 du droit du contentieux administratif

tout en infléchissant ses effets qu’il répute non suspensifs de la prescription annale ou

triennale selon qu’il y ait eu dol ou non. L’hybridisme multisectoriel et pluridimensionnel de

l’AUCTMR a conduit spécialement à prioriser la survie responsable du contrat au grand dam

de la nullité.

2- L’idéal du favor contractus32 et du solidarisme contractuel

A l’analyse, loin d’avoir céder aux griefs de plus en plus nombreux qui participent

désormais à la disparition du contrat en droit moderne, le législateur communautaire joue le

pari de la stabilité, préférant et substituant la responsabilité à la nullité. L’exemple de

déclarations inexactes ou mensongères reste très révélateur. Car, quand bien même un contrat

de transport serait conclu par un expéditeur dont l’absence ou l’inexactitude des déclarations

aurait déterminé significativement le consentement du transporteur, celui-ci ne pourrait

invoquer son annulation pour vice de consentement. Néanmoins, sa responsabilité, sera

engagée et il lui reviendra d’en assumer toutes les conséquences dommageables. C’est dans ce

même ordre d’idée que l’AUCTMR dispose en son article 4 alinéa 4 que l’absence ou

l’irrégularité de la lettre de voiture, de ses mentions constitutives de même que sa perte

n’entament ni l’existence ni la validité du contrat de transport33. Parallèlement, il fait

obligation au transporteur, non de mettre un terme au contrat lorsque son exécution requiert

les conditions différentes de celles initialement convenues, mais de prendre toute mesure en

30 Ce qui emporte ipso facto le droit pour l’ayant droit à la cargaison ayant essuyé un préjudice le droit de réclamer et d’exiger la totalité de la réparation à l’un quelconque ou certains seulement des transporteurs successifs visés à l’article 23 alinéa 2 au regard de sa solvabilité et sans que celui-ci ne puisse lui opposer le bénéfice de la division conformément aux dispositions de l’article 1203 du Code civil. 31 Article 25 alinéa 2. Vr. à ce sujet BOKALLI (V.E) et SOSSA (D.C), op. cit. p. 121 ; GUEDJE (L), op. cit. p. 182. 32 Idéal selon lequel lorsque c’est possible, le maintien du contrat doit être priorisé au détriment de sa rupture prématurée à l’initiative de l’une des parties. Une des caractéristiques substantielles des principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international auxquels devrait s’arrimer le prochain Acte Uniforme sur le droit des contrats il vise avant tout la protection de l’intégrité du contrat par le truchement de la gestion de l’inexécution ou des vices affectant le contrat en vue de sa sauvegarde. Par exemple, la mise en responsabilité en lieu et place de la nullité, l’accord d’un délai supplémentaire à une partie défaillante, la réfaction du contrat…etc. Vr. MEYER (P), « L’harmonisation du droit OHADA des contrats », Rapport général du Colloque de Ouagadougou 15-17 novembre 2007, Revue de droit uniforme 2008, p. 387 ; POUGOUE (P-G) et KALIEU ELONGO (Y.R), op cit p. 150 et spéc. DARANKOUM SIBIDI (E), « La protection du contrat dans l’avant-projet d’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats : conclusion, exécution et remèdes en cas d’inexécution », Communication présentée au Colloque de Ouagadougou 15-17 novembre 2007, Revue de droit uniforme 2008. 33 Une telle assertion est aussi pour beaucoup justifiée par le consensualisme qui prévaut au contrat de transport de l’AUCTMR, le contrat de transport existant dès l’échange de consentement et même en l’absence de toute lettre de voiture, à l’inverse de la thèse du contrat solennel dont l’irrégularité ou l’absence de la lettre de voiture aurait justifié la nullité du contrat. Vr. à ce sujet LACASSE (N) et PUTZEYS (J), op. cit. p. 31.

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l’absence d’instructions en temps utile dans l’intérêt de son cocontractant, l’ayant droit à la

marchandise qui remboursera en retour les frais y afférents. Une prescription certes empreinte

du solidarisme contractuel.

En effet, dans le sillage du droit moderne des contrats qui fait de ceux-ci non plus une

opposition d’intérêts antagonistes, mais bien une plateforme où les intérêts des parties sont

appelés à coopérer, à cohabiter et à converger, l’AUCTMR institue entre les parties

concluantes et/ou exécutantes de l’opération de transport routier de marchandises une

obligation de solidarité. Laquelle transparait à travers l’obligation générale de bonne foi et de

loyauté contractuelle34 imposée à chacune des parties en vue d’une exécution optimale du

contrat de transport. Un solidarisme informationnel y est également institué à travers ce que le

Doyen AKAM AKAM a ingénieusement qualifié de « réseau d’informations »35 se déclinant

analytiquement au droit d’informer et de s’informer ou à l’obligation d’informer et de

s’informer, au profit et à la charge des parties. Le rayonnement prévisionnel du solidarisme

contractuel dans l’AUCTMR ne doit cependant pas faire perdre de vue son ouverture sur les

Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

3- Une perspective futuriste sur les NTIC

L’une des évolutions les plus marquantes de l’AUCTMR reste sans nul doute

l’instauration de la lettre de voiture électronique36. Autant il est vrai que la reconnaissance de

l’offre électronique par l’AUDCG rendait déjà prévisible une telle avancée, autant il était

dubitatif de parier mordicus sur l’opportunité d’un tel support électronique dans les pays

membres où les pratiques, les outils et les infrastructures des transports restent en majeure

partie très rudimentaires37 en dépit d’une poussée visible de la modernité économique. Un

environnement social encore enclin au traditionalisme et où l’analphabétisme informatique

34 L’idée du solidarisme contractuel à travers ces deux notions transparait d’ailleurs dans l’avant-projet d’Acte Uniforme sur le droit des contrats. Cf. spéc. MBIKAYI (K), « La confirmation des principes de bonne foi et de loyauté dans l’avant-projet d’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats », Communication présentée au Colloque de Ouagadougou 15-17 novembre 2007, Revue de droit uniforme 2008. 35 AKAM AKAM (A), « L’information dans le contrat de transport de marchandises par route : le droit commun des contrats à l’épreuve du droit OHADA », in Revue de la Recherche Juridique, n° 3, 2006, 1647-1684. 36 OUATTARA (A), « Une innovation technologique dans l’espace OHADA : la lettre de voiture électronique en matière de contrats de transport de marchandises par route », in Revue Internationale de Droit Comparé, 1- 2008, 61-85. 37 Raison pour laquelle le législateur communautaire n’a guère voulu imposer la lettre de voiture électronique ou physique dans les relations entre les parties contractantes. Tenant compte des réalités traditionnelles de l’environnement des transports dans les pays membres et dans un souci de flexibilité il laisse la faculté aux parties qui y trouvent un inconvénient d’en disposer autrement à condition que l’intégrité, la stabilité et la pérennité soient assurées. Cf. article 2 c in fine.

10

sévit vigoureusement jusqu’ici. Au demeurant, les pays membres s’étant expressément

engagés de pourvoir à la modernisation et à la simplification du contexte économique38 dans

l’espace communautaire n’ont pas voulu ainsi manquer à ce rendez-vous historique avec les

NTIC, signe précurseur d’un droit des transports moderne. Devançant une fois de plus la

CMR, l’AUCTMR, dans la lignée des conventions internationales modernes en matière des

transports, concocte une définition somme toute subtile de l’écrit entérinant, par là la validité

de la lettre de voiture électronique.

L’AUCTMR reste à première vue un corps de règles assez simplifiées autant adaptées

aux réalités socioéconomiques des pays membres que destinées aux pratiques modernes de

l’industrie du transport. Depuis son entrée en vigueur toutefois, des critiques et des pesanteurs

fusent tout azimut et révèlent par ailleurs une désadaptation voire son incapacité à régir les

opérations de transport routiers de marchandises au sein de la communauté. Une situation

dont fait largement échos la carence de la jurisprudence et surtout l’insuffisance de réactivité

des différents corps sociaux intéressés à premier chef.

B- La tendance à la léthargie de la jurisprudence, des usagers et des institutions

promotrices du droit communautaire

Au-delà du progrès législatif enclenché par l’AUCTMR, la jurisprudence est restée

presque fidèle à ses positions d’antan (1), une fébrilité qui rappelle d’ailleurs le peu d’intérêt

professionnel jusqu’ici suscité (2) et surtout la faible promotion y consécutive, à l’image du

droit communautaire tout entier (3).

1- Une jurisprudence sous le sceau de la passivité

S’il est communément admis que l’effectivité d’une norme juridique ne suppose pas

toujours une jurisprudence abondante, il n’en demeure pas moins véridique que la consistance

de la jurisprudence reste un indicateur pratique ô combien capital dans l’effectivité de la

norme juridique. L’effectivité du droit OHADA soit-il des transports routiers de marchandises

doit passer sinon par une jurisprudence réactive et efficace39. Et l’efficacité et la réactivité

d’une jurisprudence ne peuvent se concevoir autrement que dans la compétence des juges qui

la rendent et la cohérence des structures d’application de la norme juridique. La jurisprudence,

38 Cf. article 1er Traité OHADA. 39 Vr. GATSI (J), « La jurisprudence, source du droit », in juriscope 2012, p 1 s., où l’auteur souligne une certaine réalité de la contribution de la jurisprudence communautaire à l’essor du droit OHADA.

11

de son étymologie latine « jurisprudentia » (prudence, connaissance ou science du droit),

entendue ici comme l’ensemble des décisions suffisamment concordantes rendues par les

juridictions sur une question de droit serait surtout un indicateur par excellence de l’effectivité

du droit aussi bien à l’échelle nationale que communautaire et internationale. En matière du

droit des transports routiers de marchandises dont l’AUCTMR demeure jusqu’ici le socle, il

serait tout simplement abracadabrantesque de ne pas décrier la passivité des juges africains

aussi bien dans leur réticences de l’appliquer que dans leurs déboires de l’interpréter40. Le cas

des juges camerounais nous sert panoramiquement d’exemple révélateur non loin de leurs

confrères communautaires qui n’ont pas eu grand chose à livrer qu’une dizaine de décisions

rendues depuis une décennie. Ironie du sort, le volume des transports allant vertigineusement

croissant sur le continent et offrant ainsi sans doute matière à trancher aux juges. Quelques

unes de ces décisions méritent une analyse particulière41.

Les deux premières et la 5e sont hors du cadre d’analyse puisqu’elles tranchent des

affaires relatives aux contrats de transport conclus avant le 1er décembre 2004, date d’entrée

en vigueur de l’AUCTMR42.

La troisième quant à elle mérite une attention plus que spéciale. En l’espèce, un

chauffeur conclut le 9 mars 2005 avec Sieur TEGOUM Jules un contrat portant déplacement

d’une cargaison d’œufs de Bafoussam à Kousséri moyennant une somme de 300.000 francs.

Une cargaison qui ne sera jamais livrée suite à un accident de circulation survenu à mi-

parcours. Saisi de l’action en responsabilité de Sieur TEGOUM contre le transporteur

propriétaire du véhicule, le juge d’instance de Bafoussam rend un jugement inédit en

40 Cette passivité est d’autant plus criarde que les relations incestueuses dont l’AUCTMR a entretenues avec la CMR constituaient à suffisance aux yeux de la doctrine un motif légitime pour les juges africains de suivre son abondante et richissime jurisprudence. Vr. LACASSE (N) et PUTZEYS (J), op. cit. p. 15. 41 Entre autres : 1- TGI Ouagadougou, jugement n° 153/2006, 5 avr. 2006, BRAKINA c/ LOCAMAT SARL et Autres, J-07-135. 2- CA Bangui, Chambre civile et commerciale, arrêt commercial n° 068, 19 mai 2006, STI c/ les Consorts AMBASSA Bidias et Autres, Ohadata J-07-239. 3- TPI Bafoussam, jugement civil n° 9, 1er févr. 2008, TEGOUM Jules c/ LONGTIO Joseph, Ohadata J-08-155. 4- TGI Bobo-Dioulasso, jugement n° 195, 14 juin 2006, Sté AGF Togo Assurances c/ Fofana AMSSATA MASSE, Ohadata J-09-88. 5- CA Bobo-Dioulasso, Chambre commerciale, arrêt n° 04/09, 28 janv. 2009, KIEMTORE Rasmane c/ Sté nationale de transit du Burkina, J-10-108. 6- CA Littoral, Arrêt n° 136/C, 16 septembre 2011, Affaire n° 359/RG/10 Sté United Transport Cameroon c/ Sté Impressa ING fortunato. 7- CA Littoral, Arrêt n° 156/C, 21 septembre 2012, Affaire n° 3521/RG/11, CIMENCAM c/ SOTRACO SARL. Les cinq premières décisions sont consultables sur le site www.ohada.com, rubriques AUCTMR-jurisprudence. Nonobstant leur représentativité, leur fiabilité peut néanmoins être remise en cause puisque de façon assez regrettable pour la communauté des justiciables, des juristes africains et africanistes, toutes les décisions rendues par les juridictions des Etats membres ne sont guère publiées sur ce site. L’AUCTMR brille notamment par la petitesse du volume de décisions jusqu’ici publiées. Un constat accentué par le problème de mise à jour de ce site pourtant très prisé des chercheurs. 42 L’inapplication de ses dispositions reste donc justifiée du fait de sa compétence rationae temporis.

12

déboutant celui-ci aux fallacieux motifs somme toute indéfendables d’une « absence des

pièces justificatives y afférentes notamment le contrat de transport de marchandises liant le

transporteur et l’expéditeur, la lettre de voiture ». Un jugement manifestement mal fondé en

ce qu’il remet caractéristiquement en cause le caractère consensuel du contrat de transport

comme si l’écrit en l’occurrence, le contrat de transport et la lettre de voiture aux dires du

juge43, était une condition de validité dudit contrat. Le contrat de transport se formant par le

seul échange de consentement et la lettre de voiture n’étant qu’une simple preuve de celui-ci

en l’absence de laquelle la preuve se fait par tout moyen s’agissant surtout d’une matière

commerciale. Cette décision est d’autant plus mal fondée que, ce faisant, le juge camerounais

fait une mauvaise interprétation des articles 2 b, d et k relatif à la définition du contrat de

transport de marchandises, la qualité de transporteur, et la définition de la lettre de voiture, 3

relatif à la formation du contrat de transport, 4 alinéa 4 de l’AUCTMR relatif à l’absence de la

lettre de voiture qui « n’affecte ni l’existence, ni la validité du contrat de transport ». Une

interprétation erronée qui conduit de façon incidente à enfreindre les dispositions de l’article

16 alinéa 1 quant à l’obligation de livraison du transporteur, et surtout de l’alinéa 4 aux termes

duquel « Le transporteur est responsable, comme de ses propres actes ou omissions, des actes

ou omissions de ses préposés ou mandataires agissant dans l’exercice de leur fonction ». Car,

autant il est constant en jurisprudence qu’un conducteur salarié du transporteur représente

celui-ci au contrat de transport44, autant il est constant et même d’usage au Cameroun pour ne

pas dire dans les pays de la sous-région que des chauffeurs concluent habituellement des

contrats de transport souvent même en cours de destination pour le compte de leurs patrons à

qui ils ont l’obligation a posteriori de rendre compte. D’où le bénéfice de la présomption de

bonne foi lors de la conclusion du contrat, en l’absence de la preuve contraire, que le juge

pouvait accorder à Sieur TEGOUM dès lors qu’il était établi que le conducteur du véhicule

était bien un salarié du transporteur, son propriétaire et son employeur, encore que ce dernier

sans contester ces qualités avait intenté des poursuites contre son chauffeur à ce titre. Il

devrait donc logiquement assumer la responsabilité des actes commis par son préposé dans

l’exercice de ses fonctions en tant que commettant au regard de l’article 16 alinéa 4 de

l’AUCTMR.

43 Le juge semble confusément faire du contrat de transport et de la lettre de voiture deux instruments diamétralement différents. Ce qui est fort regrettable lorsque l’on sait que la seconde constate le premier. 44 Il en a été décidé ainsi notamment « pour tout ce qui a trait à l’exécution du contrat de transport dont il est chargé », Com., 24 nov. 1987, Bull. civ. 1987, IV, n° 248 ; CA Dijon, 28 nov. 1980, BT 1981 P. 74 ; CA Paris, 4 mai 1982, BT 1982 P. 344. Une conception qui peut être logiquement étendue à la formation du contrat par la théorie du mandat apparent.

13

Quant au 4e jugement, le TGI de Bobo-Dioulasso tout en adoptant une solution

convenable fait cependant une application par approximation de l’article 25 alinéa 2 de

l’AUCTMR. En effet, en rejetant l’action du demandeur subrogé dans les droits de l’ayant

droit à la marchandise il aurait dû tout simplement constater l’absence ou le défaut de la

réclamation préalable dans les 6 mois suivants la prise en charge et prononcer la forclusion.

Cette décision est donc fondée mais reste critiquable dans son moyen car le juge assimile

faussement l’acte d’assignation formulé au greffe du tribunal à la réclamation préalable qui

doit pourtant être faite au transporteur et ce avec une computation de délai qui avait couru

jusqu’à ce jour comme si la réclamation prescrite par l’article 25 était comme telle.

Pour ce qui est de l’affaire Sté United Transport Cameroon c/ Sté Impressa ING

fortunato, en l’espèce, le transporteur réclamait le paiement des frais de transport et

d’entreposage à son cocontractant qui avait décidé de rompre unilatéralement un contrat à

exécution successive qui les liait à court terme. Mais à la grande surprise, bien que prenant le

contrepied du juge du TGI du Wouri qui avait ordonné la délivrance des marchandises en

cause, le juge d’appel reconnait le droit de rétention du transporteur non pas sur le fondement

de l’article 15 alinéa 3 de l’AUCTMR mais plutôt sur la base de l’Acte Uniforme portant

organisation des sûretés (AUS) en ses articles 67 et suivants. Une preuve de l’inapplication

voire même de l’ineffectivité de l’AUCTMR pourtant le mieux indiqué en la matière devant

les prétoires nationaux et communautaires.

Grosso modo, sans être exhaustif, ces commentaires très succincts révèlent à suffisance

les difficultés qu’éprouvent les juges autant dans l’application que l’interprétation des

dispositions de l’AUCTMR. Un fléau qui certainement justifie l’indifférence des destinataires

appelés à consommer le droit des contrats de transport de marchandises par route.

2- L’apathie croissante des praticiens des transports

La règle de droit doit être avant tout une norme sociale. Une norme capable de régir les

rapports sociaux auxquels elle est destinée. De là, il devient fort aisé de mesurer la primeur du

rôle des destinataires sociaux dans le processus d’effectivité d’une règle de droit.

Même s’il n’est pas permis juridiquement d’ignorer la loi au sens de l’aphorisme latin

« nemo censetur ignorare legem », point n’est besoin de nier l’inculturation juridique qui sévit

à l’époque moderne du fait quelques fois même de l’inflation législative mais tout

particulièrement en Afrique noire notamment pour un droit aussi nouveau et technique que le

droit des affaires OHADA qui échappe parfois jusqu’aux entreprises commerciales

nonobstant leur qualité de professionnel ou le recours occasionnel aux conseils juridiques.

L’ignorance de l’AUCTMR par les praticiens des transports ne serait en réalité qu’un miroir

14

au travers duquel transparait l’ignorance du droit OHADA des affaires par les strates

socioprofessionnelles destinées à en faire usage.

Ce casse-tête avec lequel doit désormais composer le législateur OHADA se transforme

en désaveu législatif lorsque ceux qui bien que connaissant l’existence de l’Acte Uniforme

deviennent réticents à saisir le juge en cas de litige, pointant du doigt la prévarication de celui-

ci45. En effet, il est légion dans les pays membres de l’OHADA que les juges se fassent

soudoyés sans inquiétude aucune à la déontologie accompagnant leur métier.

Une autre raison qui expliquerait l’indifférence des usagers des opérations de transport

routiers internes serait la difficulté de l’AUCTMR à s’appliquer aux contrats internes46. Pour

les défenseurs de cette thèse, cet Acte Uniforme cadre largement aux réalités des opérations

de transports routiers transfrontaliers à la différence des opérations internes qui s’en trouvent

lésées ; vitupérant ainsi son excès d’internationalisme. Si aujourd’hui le droit OHADA souffre

d’autant de tares, c’est aussi parce que les institutions chargées de le promouvoir restent

jusqu’ici très contre-productives.

3- Le minimalisme des commissions nationales et le clientélisme de l’ERSUMA

Dans l’optique de juguler la désadaptation sociale du droit communautaire, idée relayée

par une certaine doctrine de ce que le droit OHADA ne cadre pas toujours aux situations

socio-économiques des pays membres47, l’OHADA a mis en place au sein de chaque Etat

membre des commissions nationales dont le fonctionnement reste jusqu’ici encore, à l’image

du droit OHADA, ineffectif et leur efficacité critique. Elles avaient donc pour but de

promouvoir le droit communautaire en restant à l’écoute des acteurs commerciaux et

judiciaires de chaque pays membre afin de rendre compte à l’échelle communautaire de leurs

doléances et surtout des spécificités et difficultés pratiques rencontrées quotidiennement dans

l’application du droit des affaires. Aujourd’hui, même s’il serait un peu précoce de juger

définitivement leurs actions, il est à noter que ces commissions nationales OHADA

récemment mises sur pied pour la majeure partie sont pour l’instant très peu visibles dans

45 Sur les maux qui minent la justice africaine : « absence d’un pouvoir judiciaire indépendant, subordination de la justice au pouvoir politique, vénalité des juges, insuffisance et inadéquation de la formation des magistrats, misère financière et documentaire des tribunaux, excessif juridisme des règles et procédures, éloignement de l’appareil judiciaire par rapport aux populations », DU BOIS DE GAUDUSSON (J) et CONAC (G), La justice en Afrique, Afrique contemporaine, Paris, La documentation française, 1990 p. 320 ; déficit quantitatif et qualitatif des ressources humaines, corruption et trafic d’influence, NDAM (I), « La protection du droit à un procès dans un délai raisonnable dans l’espace OHADA »,in Revue de l’ERSUMA n° 2 p. 120 s. et 125 s. 46 POUGOUE (P-G) et KALIEU ELONGO (Y.R), op cit p. 120. 47 L’on a même parlé volontiers d’ « un droit imposé, venu d’en haut…un droit importé, venu d’ailleurs », BOUREL (P), A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Recueil Dalloz 2007, n° 14 p. 969 s. Un phénomène à l’origine de cette épineuse question du déficit démocratique du droit OHADA.

15

leurs missions de communication, de sensibilisation et de vulgarisation du droit

communautaire.

D’un autre point de vue, l’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature en abrégée

ERSUMA doit être l’un des porte-flambeaux, un vecteur sinon le vivier du droit des affaires

communautaire. Mais, aux yeux des observateurs avertis, une question se pose désormais :

l’ERSUMA est-il un vendeur ou un promoteur du droit OHADA ? Une question sans doute

vexatoire mais qui mérite d’être posée. Au regard des frais exorbitants qui sont requis à

l’occasion d’une formation au sein de ladite école, il semble difficile de ne pas postuler que

l’ERSUMA priorise le mercantilisme à la formation et la vulgarisation du droit OHADA48.

Avec une telle cherté, tout d’abord, il va de soi que l’enthousiasme même des plus grands

adeptes du droit ne peut que s’effriter surtout dans un contexte socio-économique où sévit la

pauvreté ambiante. Si « Le succès de l’ERSUMA étant celui de l’OHADA toute entière »49,

comme le rappelait témérairement le Dr Félix ONANA ETOUNDI, symétriquement, l’échec

de l’ERSUMA devrait sans conteste être celui de l’OHADA toute entière d’où l’urgence

d’une revitalisation du droit communautaire.

II- L’inéluctable revitalisation systémique du Droit des affaires OHADA

Ce serait un contresens historique que de ne pas relancer la dynamique du droit

OHADA fragilisée par plus de deux décades d’existence mais surtout par des contingences

socio-politico-économiques sans doute trop pesantes. Une reviviscence juridique s’impose dès

lors et se doit d’être protéiforme, touchant autant la fonction magistrale (A) que la politique

législative au sein de la communauté (B).

A- Une nécessaire redynamisation de la fonction magistrale

La magistrature reste et demeure le vecteur final de la règle de droit. Aujourd’hui

malencontreusement, il est communément admis au sein de la justice africaine que c’est l’un

48 A titre d’illustration, les frais de formation se déclinent comme suivants : 350.000 F CFA, soit 534 euros pour un séminaire de 5 jours ouvrables ; 450.000, soit 686 euros pour un séminaire de 10 jours ouvrables et 550.000 F CFA, soit 837 euros pour un séminaire de 15 jours ouvrables ; abstraction faite des frais de subsistance (transport, hébergement et nutrition). Une véritable fortune ! Ces tarifs sont tirés d’une note d’information du Directeur Général de l’ERSUMA relative aux conditions d’admission et de séjour pour la formation à l’ERSUMA, Porto-novo, le 02 mars 2007. 49 Vr. Editorial, « OHADA en marche » in Revue de l’ERSUMA, n° spécial novembre-décembre 2011, Porto-Novo le 21 décembre 2011 p. 4.

16

des canards boiteux du système judiciaire. Ainsi, convient-il de l’arrimer aux canons de la

modernité académique (1) via une requalification (2) et une spécialisation des juges (3).

1- Une réforme systémique de la profession magistrale

Si tout particulièrement en Afrique, le système judiciaire coince lui-même la justice,

c’est justement parce que l’on a rarement des hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Le cas

du Cameroun nous sert une fois de plus de parangon d’analyse, le gouvernement ayant

entrepris en 2012 une réforme du statut de la magistrature qui n’avait en réalité de réforme

que cette dénomination. Avant d’analyser sa teneur, il convient de situer son contexte50. Il

était souligné notamment l’écart mieux le déphasage entre le statut actuel de la magistrature et

les visées de la mondialisation économique dont le droit OHADA, mué par les évolutions de

2008 issues de la révision du Traité au Québec, constitue l’une des expressions à petite

échelle51. L’examen de l’article 1 du décret n° 2012/188 du 18 avril 2012 qui constitue l’épine

dorsale de cette reforme nous laisse cependant perplexe. En principe, ce n’est pas l’idée de

cette reforme en elle-même qui fait problème mais les orientations qui en ont été faites

puisque la fonction de magistrat conformément aux prescriptions de l’article 11 du décret n°

95/08 du 8 mars 1995 modifié et complété par celui n° 2004/080 du 13 avril 2004 était jusque

là l’apanage des titulaires d’une maîtrise en sciences juridiques. Curieusement désormais,

peuvent y accéder les titulaires d’un diplôme équivalent en Sciences économiques, en Gestion

ou en Informatique. Si la cour doit connaitre le droit52, pour connaître le droit, il faut tout au

moins être juriste et encore plus être juge pour le dire. Ce qui n’est pas a priori accessible au

non-juriste soit-il économiste, gestionnaire encore moins informaticien même si l’on

s’accorderait sur le fait que les sciences économiques et de gestion déterminent en partie le

50« A l’origine de cet énième amendement du statut de ce corps, se trouve, c’est le moins que l’on puisse relever, un double constat à la limite de la banalité voire du fait divers : celui d’un malaise du personnel judiciaire et tout particulièrement des magistrats en présence d’affaires où s’entrecroisent des questions juridiques, économiques, comptables ou financières ; celui d’une certaine incapacité des magistrats et de leurs auxiliaires à diligenter avec rigueur et célérité les dossiers se rapportant à l’ « opération épervier »50, entreprise censée, selon ses initiateurs, contribuer significativement à combattre la corruption et les atteintes à la fortune publique », Sylvain Sorel KUATE TAMEGHE, « La réforme du statut de la magistrature au Cameroun », in JuridisPériodique n° 90, Revue de droit et de science politique, avril-juin 2012 p 115-122 s. 51 Henri TCHANTCHOU, procureur de la République à Foumban (Cameroun) tout en relevant l’ambiguïté du statut actuel du parquet en droit OHADA a pu également parler du « parquet, enjeu de la reforme du système judiciaire de l’OHADA », où il importe souvent de faire agir le parquet pour donner une pleine efficacité à l’action de la justice dans le déroulement du contentieux pénal et des procédures OHADA en matière non répressive, « La place du parquet ou ministère public dans les processus judiciaires communautaires : le cas de l’OHADA », Revue de l’ERSUMA n° 1 juin 2012 p. 489 s. 52 Au sens de la maxime latine « Jura novit curia ». Pour le Professeur AKAM AKAM en effet, «Il va de soi que l’on ne demande pas au juge d’avoir une connaissance totale du droit positif…Ce qui lui est exigé, c’est par contre d’avoir un certain savoir juridique nécessaire à l’exercice de sa maission », « La loi et la conscience dans l’office du juge », in Revue de l’ERSUMA n° 1 juin 2012 p. 508.

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droit commercial et qu’au nom de la modernité les TIC sont toutes aussi cruciales dans les

procédures judiciaires notoirement avec l’avènement des téléprocédures53. Déjà que la

doctrine antérieure s’insurgeait contre le recours aux juges non professionnels comme les

avocats inscrits au barreau ou les professeurs de droit justifiant d’une certaine expérience

professionnelle (15 à 20 ans) connue sous l’expression « système de l’échevinage ». Mais il

faut relever que jusqu’ici un seuil de professionnalisme juridique était préservé du moment où

les justiciables avaient à faire au moins aux professionnels du droit mieux aux juristes de

métier familiers ou rompus au maniement du droit. Que peut-on en réalité attendre des

magistrats non-juristes quand déjà les magistrats juristes ne produisent pas les résultats

escomptés ? Il s’agissait certes d’une réforme mais en réalité d’une réforme mal engagée.

Néanmoins, cette réforme ne devrait pas sonner le glas de l’expertise judiciaire mais plutôt

marquer une domestication de celle-ci.

Surtout, compte tenu de l’évolution intellectuelle indéniable qu’à connu les pays

africains ces dernières décennies, il serait plus judicieux de calibrer la fonction magistrale à

un niveau d’études équivalent au moins au Master 2 en droit tout en colmatant la brèche

ouverte aux magistrats non-juristes via une domestication pondérée et une densification de

l’expertise judiciaire. Le relèvement du niveau d’études d’accès à la profession magistrale et

son recentrage autour des sciences juridiques pourraient ainsi à court terme faciliter les

séminaires de formation en droit OHADA des affaires.

2- Des séminaires de formation et de recyclage obligatoires sanctionnés de gradation

Dans un contexte typiquement africain où la paresse ou encore le vendredisme

intellectuel54 reste la règle, il semble difficile de ne pas instituer une obligation de formation

voire de recyclage continuel au sein de la magistrature ; autant il est vrai aujourd’hui qu’une

fois que nos chers magistrats ont franchi la porte des écoles nationales de magistrature, la

discipline de formation et de mise à jour des connaissances juridiques antérieurement acquises

devient aussitôt une pure complaisance personnelle. Il s’impose donc d’inculquer une

discipline collective dans une visée de productivité et de rentabilité afin de rappeler à l’ordre

53 Leur rôle considérable se révèle autant dans l’analyse des écritures financières et comptables que la simplification et la célérité des procédures via leur informatisation ou même la lutte contre la cybercriminalité montante. Mais ce serait une aberration lourde de conséquences que de confondre l’expertise économique ou de gestion voire le know-how informatique dont le juge a besoin pour éclairer sa lanterne au jurisdictio. 54 Le vendredisme intellectuel est une forme de paresse qui sévit en Afrique où les travailleurs en général et ceux de la fonction publique pour la plupart se croient au repos et jouissent du week-end à partir du vendredi matin. Un fléau qui paralyse autant les services publics que les activités économiques parallèles. Une marque donc du sous-développement mental qui alimente le sous-développement culturel et économique.

18

ceux qui oublient que le droit dont ils se sont engagés au nom du peuple de dire reste et

demeure une mise à jour constante.

C’est dire de prime abord que les pays membres de l’OHADA doivent pourvoir à une

requalification non pas seulement des magistrats chargés de faire application directe du droit

des affaires communautaire mais aussi des auxiliaires de justice qui jouent un véritable rôle de

relais périphériques dans l’expression et l’enracinement de ce droit. Une quête de compétence

magistrale qui doit passer par des campagnes de formation s’effectuant au rythme de

l’adoption et des réformes des Actes Uniformes. Des séminaires de formation non pas

facultatifs, épisodiques et hétéroclites comme vécus aujourd’hui mais obligatoires, intensifs et

ciblées visant à édifier les juges autant sur la teneur de chaque Acte Uniforme pris

individuellement que sur la sémantique de l’uniformité et de la cohérence législatives

appelant une jurisprudence uniforme. Des séminaires de formation et de recyclage dont la

productivité ne peut être garantie autrement que par une contrainte morale et professionnelle

tirée de la gradation dont pourront bénéficier les magistrats ou les auxiliaires les plus

méritants à l’issue des épreuves. Un moyen très intéressant d’instaurer et de rendre propice un

climat positif de recherches et de perfectionnement au sein de nos juridictions.

3- La spécialisation des juges

L’un des problèmes les plus caractéristiques des formations académiques ou

professionnelles en Afrique reste le peu de spécialisation dont elles sont l’objet. Il est donc

tout à fait normal que l’on se retrouve en droit des affaires avec des juges formés en toutes les

matières du droit, juges de tout et de rien en réalité. Mais c’est surtout oublier que les sciences

juridiques forment un tout considérable et pluridisciplinaire difficilement accessible même à

un homo juridicus. Si un début de spécialisation est ébauché dans les Facultés de droit, la

formation au métier de juge qu’offrent les écoles nationales de magistrature au sein de

l’espace communautaire ne tient que rarement compte de ces acquis pourtant capitaux dans

l’érection d’un bon juge, car « nul n’est bon juge que de ce qu’il connait »55. Aussi, comme il

55 Comme le rappelle à bon escient DJOFANG Darly-Aymar, fustigeant la nouvelle composition de la Cour Suprême du Cameroun à l’aune de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation de la Cour Suprême où la spécialisation des juges dans un but d’efficacité bien que embryonnaire peine à prendre corps, « le nouveau visage de la Cour suprême : vers une plus grande efficacité », in Annales de la Faculté Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang, T. 15 2011 p. 337 s.

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est récurrent de le signaler dans la doctrine, le droit des affaires OHADA est un droit très

spécifique dont l’administration appelle une spécialité professionnelle56.

Contrairement au système occidental où l’on observe une plus grande spécialisation des

tribunaux et des juges voire des auxiliaires de justice, en Afrique, les mêmes tribunaux et

leurs magistrats s’occupent en même temps des affaires pénales, administratives, civiles,

sociales, et commerciales avec toutes les contingences sociopolitiques que cela comporte de

sorte qu’il devient parfois impossible de parler d’une spécialisation même si ces juridictions

sont divisées en sections et chambres de divers ordres. En réalité, la spécialisation doit porter

non pas seulement sur le sectionnement ou l’ordonnancement des juridictions comme c’est

souvent le cas mais aussi sur une différenciation des formations magistrales dans le sens de

conférer aux juges des compétences précises au sein des juridictions. Les écoles nationales de

magistrature doivent donc suivre l’exemple de l’ERSUMA, même si encore perfectible57.

Si la nécessité de rendre plus effectif le droit OHADA des affaires impose de

redynamiser les systèmes judiciaires des pays membres58, un supplément d’efforts devra être

aussi consenti afin de rendre plus vigoureuse la politique législative.

B- L’urgence d’une nouvelle politique législative offensive

La revitalisation du droit OHADA doit passer par une grande accommodation sociale

des Actes Uniformes (1), une mise en place permanente de meilleures politiques informatives

(2) ainsi qu’une uniformisation de la politique pénale (3).

1- Une plus grande contextualisation du droit uniforme

L’un des objectifs assignés aux commissions nationales OHADA était de travailler en

synergie avec tous les protagonistes locaux des activités économiques dans l’optique de

56 Voilà sans doute pourquoi « l’application de certains Actes Uniformes pose des problèmes spécifiques qui dénotent une maîtrise approximative des techniques et mécanismes institués, surtout par ceux qui sont appelés à mettre en œuvre la loi », POUGOUE (P-G) et KALIEU ELONGO (Y.R), op cit p. 160 s. 57 « L’ERSUMA doit se renforcer pour accompagner l’œuvre d’intégration juridique et judiciaire de l’OHADA. C’est ainsi qu’elle doit assurer le perfectionnement et la spécialisation des juges non seulement au droit OHADA mais aussi sur le droit uniforme OAPI, CIMA, UEMOA, et CEMAC », POUGOUE (P-G) et KALIEU ELONGO (Y.R), op cit p. 48 s. 58 En effet, si l’on convient de dire avec le Professeur Jean GATSI que « L’effectivité de l’application du droit de l’OHADA est appréciable tout d’abord à partir de l’organisation judiciaire nationale des Etats parties », il semble difficile par contre d’admettre que les Etats parties « ont aisément mis leurs systèmes judiciaires en conformité avec les exigences prévues au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », « La jurisprudence, source du droit », in juriscope 2012, P. 7.

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démocratiser le droit communautaire. Le problème du déficit démocratique se posait

notoirement quant à l’absence d’intervention des parlements nationaux et donc de la volonté

du peuple dans le processus d’élaboration des Actes Uniformes d’où un certain déphasage

d’avec les réalités inhérentes au monde des affaires en Afrique. La démocratisation des Actes

Uniformes doit donc passer par une plus grande réactivité des commissions nationales qui

doivent créer de ce fait un climat de confiance et d’interconnexion entre les acteurs

commerciaux et les diverses dispositions des Actes uniformes déjà adoptés et surtout à

adopter. En gros, les Actes Uniformes doivent désormais se couler dans le moule de la

pratique des activités économiques dans les pays membres, considération faite de leurs

réalités parfois très traditionnelles59. De ce point de vue, les dispositions des Actes Uniformes

doivent véritablement recouvrer une portée aussi bien nationale qu’internationale puisqu’il

leur est souvent reproché tantôt leur ultranationalisme (introversion législative) tantôt leur

excès d’internationalisme (extraversion législative).

Aussi, le législateur OHADA devrait revoir sa philosophie moderniste dans un contexte

africain où la modernité des affaires reste encore embryonnaire. Ainsi, il devrait davantage et

ce, avec l’onction et l’action des commissions nationales tenir compte de la prééminence du

secteur informel dans certains secteurs de l’économie afin de rendre les Actes Uniformes plus

pratiques60 et plus familiers aux acteurs socioéconomiques.

2- Une intensification des campagnes de vulgarisation dans les milieux

socioprofessionnels

Dans les milieux professionnels, la vulgarisation commande notamment une

organisation permanente des forums et colloques sur la pratique du droit OHADA des affaires

à l’intention aussi bien des entreprises commerciales individuelles et sociétales que du secteur

informel. Un accent devra davantage être mis sur les sujets aussi sensibles que la gestion,

l’accès au crédit, les sûretés, le redressement ainsi que la liquidation, bref la prise en compte

de l’ensemble du circuit économique avec les retombées que les acteurs économiques peuvent

tirer de la gestion économique sous l’égide du droit uniforme, gage d’attractivité économique

et de sécurité juridique. Sur le plan académique, la vulgarisation doit prendre corps par une

59 KAMGA (J) et NGNIDJIO TSAPI (M.E), « L’insertion du droit de l’OHADA en RD Congo : les roses et les épines », in Revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2013 p. 255 s. ; où les auteurs visent en plus de « la nécessaire prise en compte des spécificités locales » une « implication efficiente des experts africains dans le processus d’édiction des Actes Uniformes » , in Revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2013 p. 255 s. 60 Vr. KOUMBA (E.M), « Les enjeux de l’extension de l’Acte Uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif aux entreprises informelles africaines : enjeux juridiques et économiques », in Revue de l’ERSUMA n° 1 juin 2012 p. 160 s.

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véritable inculcation de l’idéologie du droit des affaires aux futurs juristes africains. Ce qui

conditionne d’encourager vivement la recherche en milieu universitaire sur les questions

intéressant le droit communautaire en mettant à la disposition des chercheurs la

documentation, les primes de recherches et les bourses d’études pour les plus méritants,

contrairement à la timidité incitative actuellement observable.

Du côté des masses, la vulgarisation du droit des affaires OHADA doit se faire par une

multiplication des campagnes de sensibilisation sur les bienfaits d’un espace d’intégration

juridique à vocation économique. L’information ou la culture du droit OHADA devra

notamment être transmise par des bandes d’annonces, des affichages et des émissions

radiotélévisées ainsi que par l’homogénéité d’une politique pénale.

3- L’érection d’un régime uniforme d’incrimination et de sanction

Il est communément admis que la sanction attachée à une règle de droit reste un garant

incontournable de son effectivité. Pourtant, le droit OHADA des affaires a cette particularité

de prévoir peu d’incriminations pour ses contrevenants et de laisser les sanctions à la

discrétion de chaque Etat membre61. Une vision qui semble être justifiée par le fait que « le

droit des affaires rime mieux avec dépénalisation et développe une crainte envers la

pénalisation et la repénalisation »62. Ce qui est cependant non sans risques puisque l’effet

dissuasif de la sanction peut d’un point de vue psychologique déterminer le comportement

criminogène des destinataires sociaux de la règle de droit. Ainsi, dans l’optique de rendre plus

effectifs et plus efficaces les Actes Uniformes, le législateur communautaire doit s’arroger

cette compétence répressive délaissée jusqu’ici aux législateurs des Etats membres, encore

que la transition entre le droit des affaires et le droit pénal semble inévitable63 aujourd’hui

avec la poussée de la délinquance en col blanc et l’houleux débat doctrinal sur la

61 Ce partage de la compétence pénale entre le législateur communautaire et les législateurs nationaux a aussi conduit à un éclatement du contentieux entre les juridictions nationales, compétentes pour le contentieux de la sanction et la CCJA, compétente pour le contentieux de l’incrimination. Un contentieux difficile donc à mettre en œuvre. Vr. KITIO (E), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », in Revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2003 p. 309 s, et FOMETEU (J), « Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA et les juridictions nationales de cassation » in JuridisPériodique n°73, janv.-Févr.-mars 2008, p. 95 s. ; ISSA-SAYEGH (I) et POUGOUE (P-G), op. cit. p. 467. 62 SOCKENG (R), Droit pénal des affaires OHADA, 1re édition UNIDA mars 2007 p. 9. 63 Vr. spéc. BORE (J), « La difficile rencontre du droit pénal et du droit communautaire », Mélanges en l’honneur d’André VITU, Droit pénal contemporain, Cujas 1989 p. 25-49 ; TCHANTCHOU (H) et AKOUETE AKUE (M), « L’état du droit pénal dans l’OHADA » in Revue de l’ERSUMA, n° spécial novembre-décembre 2011 p. 25 s. où ces auteurs postulent que l’harmonisation du droit des affaires en Afrique rend inévitable la délicate rencontre entre le droit pénal et le droit communautaire et que le droit pénal des affaires serait un complément nécessaire à l’efficacité des normes uniformes.

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responsabilité pénale des personnes morales de droit privé64. Il doit donc redynamiser son

système d’incrimination et surtout uniformiser son régime de sanction.

Tout d’abord, pour rendre plus contraignant les dispositions des Actes Uniformes, le

législateur OHADA doit palier l’absence et/ou l’insuffisance des incriminations en droit

communautaire65. Il doit instituer un système uniforme d’incriminations prenant en compte

tous les Actes Uniformes afin de donner plus de vigueur à leurs dispositions. Ensuite, il se

doit, afin de vaincre les contrecoups de la disparité des sanctions qui a fait naitre « les pays

refuges » ou « paradis pénaux »66, d’uniformiser les sanctions à l’échelle communautaire.

L’examen de la répression des incriminations relatives aux Actes Uniformes jusqu’ici visés

par le législateur révèle pour un même type d’infraction une différence de sanctions

correspondant au système répressif de chaque Etat membre67. Aussi, seuls les législateurs

sénégalais à travers la loi n° 98-22 du 26 mars 1998, camerounais à travers la loi n° 2003/008

du 10 juillet 2003portant répression des infractions contenues dans certains Actes Uniformes

OHADA, centrafricain par la loi n° 10.001 du 06 janvier 2010 portant Code pénal

centrafricain et béninois ( récemment) ont déjà rendu effectif leur système de sanction des

infractions relatives au droit communautaire même si l’exhaustivité et la discipline législative

ne sont pas au rendez-vous68. La majeure partie des Etats membres restant encore à la traine

au mépris de l’article 5 alinéa 2 du Traité de Port-Louis69.

Au demeurant, le rôle des juges reste essentiel pour donner un sens à cette nouvelle

politique pénale uniforme. « Trop indulgents, ils contribueront à l’inflation de la criminalité

d’affaires. Trop rigoureux, ils risquent d’entraver gravement la vie des affaires ; ils doivent

64 Vr. RABANI (A), « Plaidoyer pour une responsabilité pénale des personnes morales en droit OHADA », in revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2013 p. 43 s. 65 « Une lecture attentive des Actes Uniformes, laisse un goût d’inachevé dans la délimitation des infractions pénales », SOCKENG (R), op. cit. p.6. 66 Pays membres dans lesquels le quantum de sanctions des infractions communautaires reste le plus faible. 67 Cf. Tableau synoptique des incriminations pénales OHADA et tableau comparatif de quelques niveaux de sanctions, TCHANTCHOU (H) et AKOUETE AKUE (M), op. cit. p. 35 s. 68 Tout d’abord, la loi camerounaise n° 2003/008du 10 juillet 2003 ainsi que la loi sénégalaise 98-22 du 26 mars 1998 restent silencieuses sur la sanction de l’infraction visée par l’article 69 AUDCG à l’exemple de la non immatriculation ou de la non déclaration d’activité au RCCM. Ensuite, la procédure suivie par les législateurs camerounais et centrafricains reste critiquable en ce qu’elle heurte autant la délimitation de compétence de l’article 5 du Traité que le principe de l’effet immédiat des normes OHADA. Ceux-ci ont en effet reproduit (comme s’il faisait de nouveau acte législatif sur les incriminations) les dispositions visées des différents Actes Uniformes avant de leur affecter des sanctions correspondantes. Cf. TCHANTCHOU (H) et AKOUETE AKUE (M), « L’état du droit pénal dans l’OHADA », op. cit. p. 30. 69 « Les Actes Uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ».

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donc jouer aux équilibristes et aux fins psychologues pour choisir les peines idoines aux

situations spécifiques »70.

Conclusion

Tout bien considéré et sans prétention aucune à un diagnostic exhaustif de toutes les

pathologies du droit communautaire encore moins de leurs signes cliniques, l’AUCTMR pour

ne pas parler de l’entièreté du droit OHADA des affaires « doit vivre » comme le rappelait à

bon droit un contemporain, « c’est-à-dire être effectivement pratiqué par les opérateurs,

leurs conseils, les juridictions et les services publics. Pour cela, il lui faut être mieux connu et

assimilé »71. Il se doit, pour rester dans le droit fil non seulement des objectifs économiques

principiels du Traité fondateur mais aussi des desiderata de l’opinion économique, de rester

un droit positif au sens du positivisme comtien72. C’est-à-dire un droit des affaires mû par les

pratiques commerciales quotidiennes et mué au rythme des activités économiques73. En une

expression, un droit des affaires en constante adaptation au contexte économique

plurisectoriel et multidimensionnel du continent. Ainsi, comme ironisait Savigny par rapport

au mal-être têtu du droit moderne, le droit OHADA doit se courber sous les faits et non

courber les faits sous sa règle. Toutefois, le constat de l’ineffectivité de l’AUCTMR n’est en

réalité que la face visible du gigantesque iceberg que représente aujourd’hui le droit

communautaire, une problématique endémique de « l’écart entre les textes et la pratique »

dont ne souffre pas seulement le droit des transports modernes comme l’avait diagnostiqué le

Professeur Isabelle BON-GARCIN. Autant dire que les Actes Uniformes doivent rester

connectés aux réalités économiques parfois archaïques et récalcitrantes des pays membres.

Car, nonobstant la disposition et la dévotion idéologique tant clamée et proclamée par

l’OHADA d’arrimer les Actes Uniformes à l’idiosyncrasie des réalités socio-politico-

70 SOCKENG (R), op. cit. p. 184. 71 Propos de Jacques DAVID tirés de l’Avant-Propos des ouvrages de la collection Droit uniforme Africain présentant les Actes Uniformes de l’OHADA, éd. Bruylant, BOKALLI (V.E) et SOSSA (D.C), op. cit. p. V. 72 Auguste Comte entendait d’ailleurs par positif tout ce qui est imposé par l’esprit des faits, l’expérience et désigne le réel par opposition au chimérique entendu comme tout ce qui est éloigné de la réalité concrète. Le droit OHADA des affaires à qui l’on reconnait d’ailleurs un caractère visionnaire ne serait en réalité qu’une chimère ? 73 Le droit et particulièrement le droit économique étant devenue une mise à jour permanente, « L’Afrique ne peut échapper à ce phénomène, quelle que soit la qualité des textes adoptés. Aussi, est-il très important que l’on puisse fréquemment adapter les textes existants aux nouvelles situations et relations sous peine de constater progressivement l’obsolescence des textes en vigueur, et la multiplicité des pratiques contra legem », PAILLUSSEAU (J), « Le droit de l’OHADA, un droit très important et original » in JCP – Cahiers de droit de l’entreprise n° 5, Supplément à la Semaine juridique n° 44 du 28 septembre 2004 p. 4.

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économiques des pays membres, les prétoires nationaux dont on décrie tant le statisme,

l’archaïsme des décisions et/ou l’incompétence parfois des magistrats (et dans une certaine

mesure la CCJA) ne payent en réalité qu’un lourd tribu de la désadaptation socio-économique

des dispositions des différents Actes Uniformes, chacun à son degré, dont le poids cumulatif

leur reste infernalement insupportable. Ces malheureux juges se confrontant assez souvent

aux exercices des plus titanesques quant à la conciliation des faits socio-commerciaux

ambiguës et typiquement africains aux conceptions juridiques typiquement occidentales pour

rendre comme c’est souvent le cas des décisions atypiques. Ce qui s’est fait notamment

ressentir en pratique par une apathie croissante des consommateurs du droit communautaire

dont les pratiques commerciales ne cadrent pas toujours avec le formalisme ou la visée de ces

Actes Uniformes74. Une apathie qui, dans le pire des cas, vire à l’antipathie lorsque les juges

une fois saisi par les justiciables les plus téméraires rendent des décisions parfois somme toute

étrangères au droit OHADA, pour ne pas dire aux principes mêmes les plus élémentaires du

droit et de l’équité. Des juges prévaricateurs souvent trop corrompus dont l’éthique reste pour

le moins à redéfinir, le tout dans des juridictions à structures et à fonctions démesurément

entremêlées et désordonnées. Voilà autant de maux que le droit OHADA des affaires doit

assumer et éradiquer s’il veut prétendre à l’effectivité. Une effectivité qui doit aussi transiter

sinon absolument par un renforcement de la compétence d’action de la CCJA75. Et quand bien

même l’effectivité de l’AUCTMR encore moins du droit OHADA des affaires sera acquise, il

se posera la nébuleuse question de leur efficacité voire de leur efficience à long terme ;

surtout quant on sait les désormais énormes sacrifices financiers que les Etats membres et

leurs partenaires stratégiques rechignent de plus en plus à consentir pour la survivance de

l’institution.

74 Le Professeur POUGOUÉ (P-G), KALIEU ELONGO (Y.R) observent justement que « Quelle que soit la valeur sur le plan technique d’une loi, seule la pratique peut finalement faire ou défaire le droit », op. cit p.157. 75Vr POUGOUE (P-G) et KALIEU ELONGO (Y.R), op cit p. 44 s., TCHAKOUA (J-M), « L’exécution des sentences arbitrales dans l’espace OHADA : regard sur une construction inachevée à partir du cadre camerounais », in Revue Africaine des Sciences Juridiques, Vol. 6 n° 1 2009 p. 1 s. où l’auteur déplore notamment une « domestication injustifiée » de la formule exécutoire par les Etats membres où les décisions arbitrales et extra-arbitrales rendues par la CCJA bien que à rayonnement communautaire nécessitent néanmoins l’apposition de la formule exécutoire de l’autorité nationale compétente pour être exécutées.