les contrats de nommage des équipements publics

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Quelle différence existe-t-il entre le stade Marcel Michelin deClermont-Ferrand et l’Altrad Stadium de Montpellier? Si le choixdu nom du premier a été justifié par la volonté de rendre un hom-mage 2 à une personnalité locale fortement impliquée dans lemilieu sportif 3, celui du second est motivé par des considérationspurement économiques 4, matérialisées par la signature d’uncontrat de « nommage ». Au-delà de la seule « recherche et attri-bution d’un nom, généralement effectuée par des profession-nels » 5, l’expression de « nommage » renvoie à « une techniquepar laquelle une entreprise ou plus généralement une organisationacquiert le droit de donner son nom ou celui d’une de ses marques

à un équipement, un lieu ou à un événement en vue d’atteindredes objectifs de communication marketing » 6. Le contrat dit « denommage » permet donc à la personne publique propriétaire devendre un espace publicitaire d’une nature particulière, ayant poursupport l’un de ses équipements.

La pratique des contrats de « nommage » – naming rightsdeals – est d’origine américaine 7. L’un des tout premiers exemplesest le « nommage » de l’arène des Buffalo Bills de Chicago (bas-ketball) en 1973 par l’entreprise Rich Products Corporation: contrele versement d’une somme de 1,5 million de dollars sur 25 ans, lanouvelle arène devait porter le nom de Rich Stadium 8. Mais l’es-sor de cette pratique n’a commencé qu’à partir des années 1980.Confrontés à la nécessité de rénover des équipements sportifsdevenus vétustes ou d’en construire de nouveaux plus importants,de plus en plus de propriétaires d’enceintes ont encouragé le déve-loppement de contrats permettant des financements beaucoup plus

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(1) Le présent article est issu d’un colloque organisé par le Centre de recherchesjuridiques de l’Université Pierre Mendès France - Grenoble II, le 20 mars 2014,dont les actes sont en cours de publication : (P. Yolka (dir.), Le nom :administration, droit et contentieux administratifs, Institut universitaire Varenne /Lextenso, 2015).

(2) Sur ces aspects de l’acte de nommer, v., la contribution de C. Benelbaz, in P. Yolka, ouvrage préc.

(3) M. Michelin (1886-1945) est le fondateur l’Association sportive Michelin en1911, devenue AS Montferrandaise en 1922, puis ASM Clermont Auvergne en2004.

(4) Le stade porte ainsi le nom de la société Altrad, entreprise spécialisée dansles bétonnières, les échafaudages et le matériel tubulaire pour collectivités,propriété de M. Altrad. Ce dernier est également président du club résident dustade, le Montpellier Hérault rugby.

(5) Commission de terminologie et de néologie, 19 nov. 2008, Avis relatif auvocabulaire de l’économie et des finances (liste de termes, expressions etdéfinitions adoptés), JORF, 19 nov. 2008. Le dictionnaire Le Robert s’en tientégalement à une définition très générale, selon laquelle le « nommage » estl’« attribution d’un nom permettant d’identifier un objet et de le différencier desobjets similaires ».

(6) E. Delattre, I. Aimé, « Le “naming” : une forme de parrainage originale »,Revue Management et Avenir, 2010, n° 35, p. 51. Allant dans le même sens, v., J.-M. Lehu, L’encyclopédie du marketing commentée et illustrée, Eyrolles, 2012,entrée « parrainage-titre », p. 590.

(7) Pour une présentation générale, v., G. C. Ashley, M. J. O’Hara, « ValuingNaming Rights », 76th annual meeting of the Academy of Legal Studies inBusiness, Albuquerque, Nouveau Mexique, 8-11 août 2011 ; D. Light, C. Young,« Toponymy as Commodity : Exploring the Economic Dimensions of Urban PlaceNames », International Journal of Urban and Regional Reserach, nov. 2014, EarlyView (publication de la version définitive en ligne avant insertion dans une éditionimprimée).

(8) Exemple cité par E. Delattre, I. Aimé, op. cit. n° 6, p. 52 ; T. D. DeSchriver, P. E. Jensen, « What’s in a Name? Price Variation in Sport Facility NamingRights », Eastern Economic Journal, 2003, Vol. 29, Issue 3, p. 361.

ÉTUDE

Les contrats de « nommage » des équipements publics 1

par Sébastien BRAMERETMaître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Centre de recherches juridiques,

Groupe de recherches en droit public économique

BIENS ET TRAVAUXRUBRIQUE sous la direction de :François LLORENS, Professeur à l’Université de Strasbourg IIIBruno ODENT, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassationChristian LAVIALLE, Professeur à l’Université de Toulouse I

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importants, sur des périodes plus longues 9. À la fin des années1980, seuls 3,95 % des stades abritant des clubs évoluant dans lesquatre principales ligues de sport professionnel américain 10

avaient un nom issu d’un tel contrat. Cette proportion a cru defaçon considérable à partir de la décennie suivante, passant à 44 %en 1998 11, puis à 66 % en 2003 12. Elle est désormais stabiliséeaux alentours de 70 % 13. Les montants de ces contrats ont aussitrès fortement progressé durant la même période, pour atteindredes sommes dépassant parfois plusieurs centaines de millions dedollars 14. Le phénomène dépasse largement le seul cadre améri-cain 15 et la plupart des États européens sont désormais le théâtred’un tel engouement 16.

La pratique du « nommage » est caractérisée par sa grandehétérogénéité. En premier lieu, de nombreuses manifestations ouévénements, en particulier dans le domaine sportif 17, sont par-tiellement financés grâce au « nommage ». En deuxième lieu, le« nommage » n’est pas seulement lié au domaine du sport(« nommage » d’équipements de transport en commun 18, de bâti-

ments culturels 19, éducatifs 20 ou de santé 21, voire parfois devilles 22). En troisième lieu, le « nommage » peut porter sur toutou partie de l’équipement: « nommage » d’une tribune ou d’unsalon de réception dans un stade 23, d’une salle de classe 24, etc.En quatrième lieu, le « nommage » n’est pas une pratiqueréservée aux seules grandes entreprises transnationales 25, maispeut par exemple être porté par une entreprise locale 26, une uni-versité 27 ou encore un hôpital 28. En dernier lieu, le « nommage »n’est pas uniquement réservé aux équipements publics 29.

La présente étude porte sur le « nommage » des seuls équi-pements publics 30 et s’appuie sur une méthodologie combinantapproches théorique et pratique. À partir des cas français de« nommage », il s’est ainsi agi de mettre en lumière les enjeuxdu recours à cette technique de financement d’équipements pourles personnes publiques, principalement des collectivités territo-riales. L’obtention des documents nécessaires à sa réalisation s’estheurtée à des difficultés pratiques, liées aux incertitudes quant àla nature de document administratif communicable 31 du contratde « nommage », surtout lorsqu’il est passé par un gestionnaire

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(9) Le contrat signé en 1985 par le club de basketball des Sacramento Kingsavec la société Atlantic Richfield Company est souvent cité en exemple de cettenouvelle génération de contrats : portant sur la rénovation de l’ancienneenceinte, puis la construction d’une nouvelle, il a été signé pour une durée de99 ans et pour une valeur de 7 millions de dollars (exemple cité par R. H.Thornburg, « Stadium Naming Rights : An Assessment of the Contract andTrademark Issues Inherent to Both Professional and Collegiate Stadiums »,Virginia Sports and Entertainment Law Journal, 2003, Vol. 2, Issue 2, p. 332).

(10) Les ligues de baseball (Major League Baseball, MLB), de basketball (NationalBasketball Association, NBA), de football américain (National Football League, NFL)et de hockey sur glace (National Hockey League, NHL).

(11) L. M. McCarthy, R. Irwin, « Names in Lights : corporate purchase of sportfacility naming rights », The Cyber-Journal of Sport Marketing, 1998, Vol. 3, Issue3 (http://pandora.nla.gov.au/tep/10007).

(12) J. L. Crompton, D. R. Howard, « The American Experience with Facility NamingRights : Opportunities for English Professional Team », Managing Leisure, 2003,vol. 8, n° 4, p. 214.

(13) En 2010, la pratique du naming rights concernait 69 % des enceintes desquatre grandes ligues : 90 % pour le hockey sur glace, 79 % pour le basketball,57 % pour le baseball et 50 % pour le football américain (source : Jurisport,2010, n° 96, p. 14).

(14) Sur la performance économique du contrat de « nommage », v. infra.

(15) Sur la question de la diffusion d’un éventuel modèle américain demarchandisation de l’espace public, v., D. Light, C. Young, op. cit. n° 7, p. 14.

(16) En Allemagne, 19 des 21 stades accueillant des équipes du championnatde football (Bundesliga) sont sous contrat de « nommage » : par exemple l’AllianzArena de Munich, la Mercedes-Benz Arena de Stuttgart ou la Volskwagen Arenade Wolsburg. Le Royaume-Uni connaît le même phénomène, quel que soit lesport : par exemple, la O2 Arena de Londres (salle omnisports), l’EmiratesStadium de Londres (enceinte du club de football d’Arsenal), le Kia Oval deKennington (criquet) ou encore le DW Stadium de Wigan (football et rugby). Pourun aperçu des principaux contrats de « nommage » de stades en Europe, P. Seguin (prés.), J.-L. Valentin (rapp.), Grands Stades. Rapport de la CommissionEuro 2016, 2008, p. 141.

(17) Par ex., la Barclays League de football au Royaume-Uni (championnat depremière division), l’Open GDF Suez de tennis en France, la Coupe Heineken(H-Cup) de rugby, (remplacée depuis 2015 par l’European Rugby Cup), ou encorela Swatch FIVB Beach Volleyball World Tour. Sur cette question, v., C. Martin, Du sponsoring à la création d’événements sportifs : le cas de Danone, Mémoirede Recherche, IEP de Toulouse, 2013, 113 p., et plus particulièrement p. 11 ;M. Carius, « Le naming des enceintes sportives, les nouveaux dieux du stade »,AJCT 2012. 357 s.

(18) Par ex., la station de métro Puerta del Sol du métro de Madrid (ligne 2) aété nommée Sol-Vodafon, pour 3 millions d’euros sur 3 ans. Par ailleurs, l’Étatde Dubaï, par l’intermédiaire de son Autorité des routes et des transports, alancé en 2014 une procédure de naming rights portant sur l’intégralité desstations de tram et de métro du réseau (http://www.rta.ae/wpsv5/links/NamingRights/intro.html/). Cette pratique est également courante auxÉtats-Unis, comme en témoigne la TECO Lune Streetcar System de Tampa (Floride)ou la station de métro Atlantic Avenue Pacific Street-Barclays de New York (v., D. Light, C. Young, op. cit. (n° 7), p. 8).

(19) Quelques exemples : l’Auditorio Coca-Cola (Monterrey, Mexique), le SonyCenter for the Arts (Toronto, Canada) ou le Shibuya CC Lemon Hall (Tokyo, Japon).

(20) La Bairds Mainfreght Primary School, (Auckland, Nouvelle-Zélande) sur cetexemple, A. Molnar, School Commercialism. From Democratic Ideal to MarketCommodity, Routledge, 2005, p. 27 ; sur cette pratique, en pleine expansion auxÉtats-Unis, J. Blocher, « School Naming Rights and the First Amendment’s PerfectStorm », The Georgetown Law Journal, 2007, Vol. 96, Issue 1, p. 1-57.

(21) Cette pratique est répandue aux États-Unis, pour des bâtiments (tel leHasbro Children’s Hospital de Providence, Rhode-Island) ou pour certains servicesseulement (le Lehman Brothers Emergency Center du Lower Manhattan Hospitalde New York).

(22) La ville de Clark (Texas, États-Unis) est la première à avoir été ainsi« nommée », pour dix ans et contre la fourniture d’un abonnement à la télévisionpar satellite pour chacun de ses habitants, DISH City, du nom d’un fournisseurd’accès à la télévision par satellite. Le site américain de rencontresSugadaddy.com a également approché à cette fin plusieurs villes américaines dontle nom comporte le mot « sugar », mais sans succès: l’entreprise a par exempleproposé 4 millions de dollars pour renommer la ville de Sugar Hill (Géorgie), puis500 000 $ pour renommer Sugar Land, quartier de Houston (Texas).

(23) Le « nommage » de tribunes est une pratique ancienne et fréquente, commele montre l’exemple de la signature – en février 2015 – d’un double contrat de« nommage » au stade des Alpes de Grenoble : la Tribune Bontaz Centre et leSalon Bontaz Centre, ainsi nommés lors des matchs disputés par le GF38, clubde football local (http://www.gf38.fr/bontaz-centre-accentue-son-implication-aupres-du-gf38/).

(24) La SKEMA Business School a inauguré un nouveau type de « nommage »sur son campus lillois : l’une des salles de cours a été nommée Steelcase, dunom de l’entreprise (fabricant de mobilier de bureau) qui a équipé la salle(http://www.skema-bs.fr/innovation-pedagogique-et-mecenat-skema-salle-steelcase/).

(25) Par ex., la société Coca-Cola possède plusieurs accords à travers le monde :Coca-Cola Stadium à Xi-an (Chine), Coca-Cola Dome à Johannesburg (Afrique dusud), Coca-Cola Field à Buffalo ou Coca-Cola Park à Allentown (États-Unis).

(26) Comme dans le cas du « nommage » de la Pévèle Arena d’Orchies par lasociété Davo. Pour une présentation détaillée de cet exemple, v. infra.

(27) L’University of Phoenix Stadium de Glendale (Arizona, États-Unis), le CooleyLaw School Stadium de Lansing (Michigan, États-Unis). pour ces deux exemples,il s’agit d’universités privées.

(28) L’Edward Hospital Athletic and Event Center de Romeoville (Illinois, États-Unis), hôpital privé.

(29) Aux États-Unis, le « nommage » porte même à titre principal sur deséquipements appartenant à des personnes privées.

(30) Pour la présente étude, la notion d’équipement public est entendue dans lesens générique de bien appartenant ou ayant vocation à entrer dans lepatrimoine d’une personne publique : sont donc pris en compte les équipementsconstruits dans le cadre de contrats de partenariat. À notre connaissance, lesdeux seuls cas de « nommage » d’équipements privés en France sont liés audomaine sportif : le futur OL Land, stade appartenant à l’Olympique lyonnais, dontle « nommage » devrait être annoncé courant 2015 ; le Matmut Arena, stadeappartenant au club de rugby du LOU (Lyon Olympique Universitaire)

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délégué privé d’un équipement public 32. La Commission d’accèsaux documents administratifs (CADA) n’a pour l’heure jamais étésaisie de la question de la communicabilité d’un contrat de « nom-mage ». En revanche, elle assimile à un document administratifcommunicable tous les documents qui « se rapportent » à undocument communicable, tel que la délégation de service publicou le contrat de partenariat qui organise la gestion d’un équipe-ment 33. Toutefois, la CADA a adopté une interprétation restric-tive de cette notion de document se rapportant à un contrat admi-nistratif. Elle estime, à propos d’un contrat de partenariat, que« s’agissant des annexes au contrat, la commission – qui n’a pudavantage en prendre connaissance – estime qu’il y a lieu demettre à part, le cas échéant, les annexes comportant les contratsqui lient le partenaire privé à d’autres personnes privées pourl’exécution du contrat de partenariat, ces contrats conclus entredeux personnes privées ne présentant pas le caractère de docu-ments administratifs et la loi du 17 juillet 1978 ne leur étant pasapplicable » 34. Même si cette interprétation peut être discutée 35,la communication des documents liés au « nommage » est restée,pour une large part, dépendante de la bonne volonté des collecti-vités territoriales 36. Plus largement, l’étude s’appuie sur une ana-lyse des sept cas de « nommage » d’équipements publics enFrance recensés au 1er mars 2015: trois stades (le MMArenadu Mans, l’Altrad Stadium de Montpellier et l’Allianz Riviera deNice), trois complexes sportifs et de spectacles (la Park & SuitesArena de Montpellier, la Davo Pévèle Arena d’Orchies et la Kin-dArena de Rouen), une patinoire (la Skoda Arena de Morzine).L’étude s’appuie également sur quelques contrats de « nommage »particuliers 37, ainsi que sur des exemples de refus 38, d’échecs 39

ou de projets de « nommage » 40.En comparaison des très nombreux exemples de « nommage »

à travers le monde et notamment en Europe, la pratique françaisedu « nommage » demeure marginale et étroitement cantonnée au

domaine sportif. En cela, elle fait montre d’originalité. Ces pre-miers constats conduisent à se poser la question des enjeux durecours au contrat de « nommage » pour les personnes publiques.L’intérêt financier semble manifeste: le parrain, parfois appelé,par néologisme, « namer » ou « nommeur », participe par sonapport au financement de l’équipement du parrainé. Le montantde ces financements est loin d’être négligeable. Eric Delattre etIsabelle Aimé estiment ainsi que le contrat de « nommage » duMMArena du Mans couvrirait près de 14 % du coût total dustade 41. Dès lors, il faut s’interroger sur les raisons pour lesquellescette technique reste peu développée dans le cadre national, tantd’un point de vue quantitatif que qualitatif.

L’étude du « nommage » des équipements publics renvoie àla question plus vaste de la valorisation des biens des personnespubliques 42. Le recours au « nommage » traduit l’idée selonlaquelle « les personnes publiques ont progressivement prisconscience de la valeur économique de leurs biens » 43 et qu’ellescherchent à exploiter certains de leurs équipements comme sourcede richesse économique, dans une logique managériale. Plus pré-cisément, le « nommage » se situe au carrefour de préoccupationsparfois contradictoires. D’une part, un effort de rentabilisation desinvestissements, conduisant à rechercher de nouveaux modes definancement considérés comme plus performants 44 ; dans cetteperspective, le « nommage » est assimilable à une technique decollaboration d’entreprises privées aux investissements publics.D’autre part, l’impératif de protection des équipements publics,surtout lorsqu’ils appartiennent (ou ont vocation à appartenir) audomaine public, qui conduit à limiter une implication excessivedu secteur privé: la vente de la dénomination d’un équipementpeut alors apparaître comme la première étape d’une privatisationdu bien, surtout lorsque celui-ci a été construit sur la base d’uncontrat de partenariat. De cette tension, il résulte que si la valori-sation des équipements publics par le recours au « nommage » estrecherchée, elle n’en demeure pas moins incertaine.

La valorisation recherchée des équipements publics par le recours au « nommage »

Le « nommage » permet aux personnes publiques proprié-taires de produire des revenus de façon originale grâce à certainsde leurs biens. Afin d’en saisir les enjeux, il est nécessaire de s’in-terroger sur l’existence éventuelle d’un droit de nommer, objet decette valorisation, puis d’envisager les formes du « nommage »,par l’étude de l’acte de « nommage », vecteur de la valorisation.

Les contrats de « nommage » des équipements publics

(31) Loi n° 78-753 du 17 juill. 1978 portant diverses mesures d’améliorationdes relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordreadministratif, social et fiscal, JORF, 18 juill. 1978, p. 2851.

(32) Le cas le plus fréquent de « nommage » est celui dans lequel la personnepublique confie la gestion d’un bien à un tiers, à charge pour ce dernier de signerun contrat de nommage s’il le souhaite.

(33) CADA, conseil n° 20114788 du 15 déc. 2011, à propos d’une délégationde service public ; CADA, avis n° 20111735 du 28 avr. 2011 et conseiln° 20110317 du 3 mars 2011, à propos d’un contrat de partenariat.

(34) CADA, avis n° 20111735 du 28 avr. 2011.

(35) Pour une analyse différente de cette question, à propos des contrats de« nommage », v. infra. V. égal., E. Sagalovitsch, « L’accès aux contrats departenariat », AJDA 2012. 2367.

(36) L’auteur tient à remercier les collectivités territoriales ayant mis à sadisposition tout ou partie des documents nécessaires à la compréhension du« nommage », ou ayant accepté de discuter des conditions matérielles deréalisation de ces opérations.

(37) Tel que le « nommage » des stations de bus et de tram aux abords duMMArena et du KindArena ou encore le nommage de l’espace sommital du Parcdes Princes (Paris) en Citroën DS Sky Bar.

(38) La question du « nommage » oppose ainsi l’ancienne majorité et la nouvelle,issue des élections de 2014 : alors que l’ancien maire P. Cohen souhaitait quele stade portât le nom d’une personnalité, J.-L. Moudenc a exprimé son intérêtpour le contrat de « nommage ».

(39) Tels que les échecs du « nommage » du Grand stade de Lille (devenu stadePierre Mauroy) avec la société Casino et du stade Bordeaux atlantique (enattente d’un nom définitif) avec la société Dassault.

(40) Le maire de Bordeaux a ainsi annoncé son intention de chercher un nouveaupartenaire pour le « nommage » du stade Bordeaux Atlantique ; dans le cadre dela rénovation du Palais omnisports Paris-Bercy, la société d’économie mixtegestionnaire du palais espère la signature d’un contrat de « nommage » en 2015.

(41) E. Delattre, I. Aimé, op. cit., n° 6, p. 52. Ce chiffre est malaisé à vérifier, enraison des difficultés d’accès aux contrats de « nommage » (v. infra).

(42) Sur cette thématique, v. par ex., Conseil d’État, La valorisation économiquedes propriétés des personnes publiques, Actes du colloque du 6 juill. 2011, Doc.fr., coll. Droits et Débats, n° 3, 2012, 154 p. ; J. Morand-Deviller, « La valorisationéconomique du patrimoine public », in L’unité du droit : mélanges en hommage àRoland Drago, Economica, 1996. p. 273-292.

(43) J.-M. Sauvé, « Ouverture du colloque », in Conseil d’État, La valorisationéconomique des propriétés des personnes publiques, préc., p. 13.

(44) Pour une approche générale de cette problématique, à propos de la gestiondes biens du domaine public, C. Manson, « Valorisation économique du domainepublic et performance », in N. Albert, Performance et droit administratif, Actes ducolloque des 29 et 30 janv. 2009, Litec, pp. 227-244.

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Le droit de nommer, objet de la valorisation

La pratique des naming rights est principalement appréhendéed’un point de vue managérial 45, mais reste encore indéfinie d’unpoint de vue juridique. Il est donc nécessaire d’en dessiner lescontours, avant d’envisager les conditions de son utilisation pourles équipements publics.

Les contours de la technique du « nommage »Le « nommage » est une forme particulière de parrainage

publicitaire – ou « sponsoring » 46 –, défini de façon généralecomme l’action de « patronner une initiative à fin de publicité oude promotion » 47. En l’occurrence, il s’agit, pour le parrain, d’as-socier son nom ou l’une de ses marques à l’un des équipementsdu parrainé. L’intérêt est mutuel: pour le parrainé, obtenir unesource de revenus nouvelle et, par là même, limiter le coût sou-vent très élevé de construction ou d’exploitation de son équipe-ment; pour le parrain, développer la notoriété d’un nom ou d’unemarque auprès du public, en l’associant à un équipement emblé-matique du secteur sportif, culturel ou éducatif, ou du patrimoinehistorique. Au-delà de la seule notoriété, le parrain cherche à cap-ter l’image et l’expérience véhiculées par l’équipement, en s’ap-puyant sur le fait que « le participant à l’événement calquera surla marque l’intensité des émotions ressenties » 48. Le « nom-mage » se caractérise par la déconnexion entre la propriété del’enceinte et celle de son nom et doit, de ce fait, être distingué detrois autres pratiques.

En premier lieu, le fait d’attribuer à un équipement – sportifou non – le nom d’une entreprise, ne signifie pas automatique-ment que cet équipement bénéficie d’un contrat de « nommage ».Ainsi, il est nécessaire de distinguer clairement le « nommage »de la simple appellation d’un bien par son propriétaire. Deuxexemples sont classiquement cités comme les premières utilisa-tions de la technique du « nommage », alors qu’elles n’en sontpas d’un point de vue juridique.

Aux États-Unis, d’une part, l’une des plus anciennes enceintessportives à porter le nom d’une entreprise est le Wrigley Field,appartenant au club de baseball des Chicago Cubs 49. Construit en1914, il a porté le nom de Weeghman Field jusqu’en 1926, dateà laquelle la famille Wrigley (fondatrice et dirigeante de l’entre-prise de chewing-gum du même nom) et propriétaire du club etdu stade à partir de 1920, décide de changer son nom et de luiattribuer celui de Wrigley Field, en l’honneur de William WrigleyJr., alors président de l’entreprise. Il n’y a pas de déconnexion

entre propriété et choix du nom: le nom du stade ne résulte pasd’un accord de parrainage avec une entreprise tierce, mais duchoix discrétionnaire du propriétaire, même s’il est manifeste quecette opération a une importante dimension publicitaire.

Aux Pays-Bas, d’autre part, le club de football du PSV Eind-hoven est propriétaire de son enceinte, le Philips Stadion, depuissa création en 1913. Les liens entre le club et l’entreprise sont, dèsl’origine, très particuliers. Lorsque l’entreprise décide la créationd’une association sportive 50, elle en réserve l’accès à ses seulsemployés et finance la construction d’une enceinte pour lesmembres du club de football, à proximité de leurs habitations. Lelien entre le nom du stade et l’entreprise ne résulte ainsi pas d’unedémarche commerciale, mais plutôt d’un paternalisme entrepre-neurial 51 : Philips met à disposition de ses employés les moyensde pratiquer une activité sportive, en marge de leur travail salarié 52.

En deuxième lieu, le « nommage » se distingue assez aisé-ment de l’hommage en ce que le choix du nom, le plus souventd’une personnalité décédée et ayant une attache avec le lieu ou l’é-quipement, ne résulte pas d’une démarche de valorisation d’unbien. Pratique très courante pour les équipements publics 53,l’hommage vise, dans la plupart des cas et comme son nom lesuggère, à témoigner d’un hommage public pour une action par-ticulièrement significative pour la collectivité 54. Il ne semblecependant pas non plus être réservé aux seuls équipements publicset peut être mis en œuvre par des propriétaires privés, dès lors quel’entreprise ou la personne à laquelle il est rendu hommage ou sesayants droit ne s’y oppose(nt) pas.

En dernier lieu, le « nommage » doit être distingué du mécé-nat, défini comme « le soutien matériel apporté sans contrepartiedirecte de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personnepour l’exercice d’activités présentant un intérêt général » 55. Lemécénat prend généralement la forme d’un soutien financier, maispeut être réalisé en nature ou en compétences 56. La différenceentre mécénat et « nommage » est liée au caractère désintéressédu mécénat. Elle se traduit, d’un point de vue fiscal, par de fortesréductions d’impôts au profit du mécène, particulier ou entre-prise 57. Le désintéressement ne signifie pas que le mécène ne

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(45) À titre principal, E. Delattre, I. Aimé, op. cit,. n° 6.

(46) Le terme de « sponsoring » est largement employé dans le domaine sportif,même s’il ne lui est pas spécifique (sur les rapports entre sponsoring etparrainage, v. notamment, F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia, F. Rizzo, Droit dusport, LGDJ, 3e éd., 2012, n° 1281-1295 ; C. Dudognon, J.-P. Karaquillo (coord.),Dictionnaire juridique du sport, Dalloz, 2013, Entrée « sponsoring », pp. 296-298 ;G. Simon et alii, Droit du sport, PUF, 2012, n° 528-531).

(47) G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 2014, 10e éd., entrée « parrainagepublicitaire » (v. égal. les entrées « sponsoring » et « sponsorisme »). Allant dansle même sens, l’arrêté interministériel du 6 janv. 1989, relatif à la terminologieéconomique et financière définit le parrainage comme « le soutien matérielapporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisationen vue d’en retirer un bénéfice direct » (JORF, 31 janv. 1989, p. 1448).

(48) O. Raymundie, C. Rouxel, « Le contrat de parrainage », Complément Servicespublics, févr. 2013, p. 26.

(49) Exemple cité notamment in R. H. Thornburg, op. cit. n° 9, p. 52 ; G. C. Ashley,M. J. O’Hara, op. cit. n° 7, p. 2.

(50) Le sigle PSV signifie Philips Sport Vereniging, qui peut être traduit parAssociation sportive Philips.

(51) Sur cette notion, v., J. Allouche, « L’actionnaire dirigeant de l’entreprisefamiliale », Revue française de gestion, 2002, n° 141, p. 118; F. de Bry, « Conceptd’éthique. L’éthique au cœur du management », Revue Management & Avenir,2008, n° 20, pp. 104-107.

(52) Le club a acquis son indépendance par rapport à Philips trèsprogressivement, par le biais de la professionnalisation. Il s’est ouvert à desjoueurs n’étant pas des employés de Philips à partir de 1933, mais a conservédes liens privilégiés avec l’entreprise.

(53) Sur ce point, v. la contribution de C. Benelbaz in P. Yolka, ouvrage préc.

(54) Par ex., le stade Marcel Michelin de Clermont-Ferrand.

(55) Arrêté interministériel du 6 janv. 1989, op. cit. n° 47.

(56) Agence du patrimoine immatériel de l’État, Conduire des actions d’intérêtgénéral avec le concours de financements privés : mécénat, fonds de dotation,parrainage…, Ministère de l’économie, des finances et du commerce extérieur,mai 2012, 20 p. ; M. Herbillon (rapp.), Rapport sur les nouvelles formes dumécénat culturel, Ass. Nat., 15 févr. 2012, 77 p. ; B. Wallister, Le Parrainage.Sponsoring et mécénat, Dunod, 2010, p. 14-17 ; J.-B. Auby, F. Lichère, L. Cluzel-Metayer, « Le mécénat au soutien des institutions publiques », Dr. adm. 2009,n° 4, prat. 3 ; B. Koebel, « Mécénat d’entreprise et marchés publics : éviter lemélange des genres », JCP Adm. 2013, n° 43, 2304.

(57) Le mécénat d’entreprise ouvre droit, au profit des sociétés, à une réductionde l’impôt sur les sociétés « égale à 60 % [du] montant [des] versements, prisdans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires » (CGI, art. 238 bis). Le mécénatdes particuliers permet d’obtenir une réduction de l’impôt sur le revenu (CGI, art.200) ou de l’impôt de solidarité sur la fortune (CGI, art. 885-0 V bis A).

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peut pas obtenir de gratifications: celles-ci sont désignées par leterme de « contreparties » et peuvent représenter jusqu’à 25 % dumontant du don 58. À ce titre, la mention du nom du mécène estadmise, dès lors qu’elle ne constitue pas une contrepartie réelleau don. Ainsi, le théâtre impérial du château de Fontainebleauporte le nom de Théâtre Cheikh Khalifa Bin Zayed Al-Nahyan, enl’honneur du mécène qui en a permis la restauration 59. Pour enca-drer une telle pratique, certains musées ont mis en place deschartes précisant les modalités d’allocation de noms de donateurspour certaines pièces ou œuvres restaurées grâce à des dons. Lemusée du Louvre a par exemple adopté en 2003 une charteéthique, aux termes de laquelle « si un espace n’a pas d’appella-tion historique, le président-directeur peut proposer au conseild’administration du musée de lui donner le nom d’un donateur enremerciement d’un don particulièrement important », à la condi-tion que l’appellation soit faite « pour une durée limitée dans letemps, selon le montant et la nature du don » 60.

Le « nommage » se distingue du mécénat en ce que ce dernierreste, par principe, désintéressé. De ce fait, la contrepartie ne doitpas être proportionnée à la valeur du don effectué. Dans le cascontraire, la gratification encourrait le risque d’être requalifiée deprix et, par voie de conséquence, le contrat de marché public (ausens du code des marchés publics) 61. Aux antipodes du désinté-ressement propre au mécénat, le « nommage » est la manifestationéclatante de l’existence d’un « patrimoine doté d’une forte valeuréconomique » 62. L’idée de « nommage » renvoie à la volonté detirer un profit d’un bien. Cependant, il est indéniable que l’entre-prise mécène peut espérer des retombées économiques indirectes,notamment par la publicité et l’image positive que son don véhi-cule. Il n’en demeure pas moins que cette pratique diffère du« nommage » en ce que l’attribution du nom est une conséquencedu don, et non sa cause. W.E. Drennan souligne l’ambiguïté d’untel « nommage » en relevant la nature économique sous-jacente dece « charitable naming rights » – droit de « nommage » caritatif:l’acte récompensé par un droit d’appellation relève partiellementdu don et partiellement de l’achat 63.

Les conditions du recours au « nommage » pour les équipements publics

« Institution sociale avant que d’être juridique » 64, le nom est« un moyen d’individualisation consistant dans l’usage d’une suitede mots pour désigner une personne » 65 et il est, par principe,indisponible 66. Le droit privé ne réserve pas le recours au nom

pour l’identification des seules personnes physiques. Le droitcommercial reconnaît ainsi à la dénomination sociale les mêmesfonctions d’attribut de la personnalité que le nom patronymique 67

et en distingue très clairement le nom commercial, qui n’estqu’une appellation de l’entreprise, relevant de son fonds de com-merce 68. Transposée en droit administratif, cette théorie permetde soutenir l’idée selon laquelle les personnes publiques – au pre-mier rang desquelles les collectivités territoriales – disposent d’unétat civil, construit à l’image de celui des personnes privées, dontle nom est l’un des attributs 69.

L’action de donner un nom à un équipement (public ouprivé) est aux antipodes de la dimension personnaliste du nompersonnel. Le nom d’un bien, qu’il appartienne à une personnepublique ou privée, n’est pas l’attribut de la personnalité morale,comme peut l’être le nom d’une collectivité territoriale ou, pluslargement, d’une personne morale. Il est la conséquence de lapropriété sur le bien. Le développement de la pratique desaccords de naming rights par les personnes publiques est l’unedes traductions de la théorie dite « propriétariste » de la maîtrisedes équipements publics 70. La personne publique, en qualité depropriétaire, peut céder ou, au moins, reconnaître à autrui cer-tains droits attachés à l’un de ses biens, pour une durée limitée.L’expression même de « nommage » induit à cet égard uneconfusion entre ces approches « personnaliste » et « propriéta-riste ». Il serait plus simple – et plus exact d’un point de vuejuridique – de désigner cette technique par l’expression « droitsd’appellation » – traduction littérale de l’anglais naming rights–, en excluant toute référence au nom 71.

La qualité de propriétaire confère à la personne publique lapossibilité d’administrer son bien dans son intérêt. L’action dedonner un nom à un bien pour permettre son identification est unacte de gestion, défini comme « la maîtrise juridique d’un bienexercée par une personne engagée dans des relations sociales » 72.Le pouvoir de nommer est, de ce point de vue, une forme de fruc-tus sur le bien 73, une utilité immatérielle de l’équipement public.

Les contrats de « nommage » des équipements publics

(58) Agence du patrimoine immatériel de l’État, op. cit., n° 56, p. 12.

(59) Pour des détails sur le déroulement de cette opération de mécénat :http://www.musee-chateau-fontainebleau.fr/.

(60) Charte éthique du musée du Louvre pour ses relations avec les donateursindividuels, pt 4.2 (disponible sur www.louvre.fr/). La Bibliothèque nationale deFrance dispose également d’une telle Charte éthique, dont la rédaction sur laquestion de l’appellation (pt 4.3) est proche de celle du musée du Louvre (chartedisponible sur www.bnf.fr/).

(61) « Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre lespouvoirs adjudicateurs définis à l’art. 2 et des opérateurs économiques publicsou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournituresou de services » (C. marchés, art. 1er).

(62) C. Malwe, La propriété publique incorporelle : au carrefour du droitadministratif des biens et du droit public économique, Thèse, Université deNantes, 2008, p. 325.

(63) « The economic substance of a charitable contribution rewarded with namingrights in part gift and part purchase » (W. A. Drennan, « Where Generosity andPride Abide : Charitable Naming Rights », University of Cincinnati Law Review,2011, Vol. 80, p. 47).

(64) A. Lefebvre-Teillard, « Le nom », in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire dela culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1063.

(65) J. Carbonnier, Droit civil. Vol. 1 : Introduction ; les personnes ; la famille, l’enfant,le couple, PUF, 2004, n° 220. V. la contribution de P. Yolka in P. Yolka, ouvrage préc.

(66) Ce principe connaît toutefois des atténuations. V., G. Loiseau, Le nom, objetd’un contrat, LGCD, coll. Bibliothèque de droit privé, Tome 2017, 1997, 542 p.

(67) M. Germain, V. Magnier, Traité de droit commercial. Tome 2 : Les sociétéscommerciales, LGDJ, 2011, 20e éd., n° 1143.

(68) Lorsqu’une entreprise utilise un nom patronymique comme nom commercial,celui-ci devient d’ailleurs cessible avec le fonds qu’il accompagne (Com. 12 mars1985, JCP 1985. II. 20400, note Bonnet ; D. 1985. 471, note Ghestin ; RTD com.1986. 245, obs. Chavanne et Azéma).

(69) Sur cette question, v., C. Malwe, op. cit. n° 62, pp. 139-143 ; J. Moreau,« L’état civil des communes, départements et régions », in Mélanges J.-M. Auby, D. 1992. 431.

(70) Sur cette théorie, v., notamment, A. Camus, Le pouvoir de gestion dudomaine public, Thèse, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2013, 722p. ; J.-F. Giacuzzo, La gestion des propriétés publiques en droit français, LGDJ,Bibliothèque de droit public, Tome 283, 2014, 666 p. ; B. Schmaltz, Les personnes publiques propriétaires, Thèse, Université Jean Moulin, Lyon III2014. 617 p. ; P. Yolka, La propriété publique : éléments pour une théorie, LGDJ,Bibliothèque de droit public, Tome 191, 1997, 649 p.

(71) C’est également la raison pour laquelle l’expression de « droits d’appellation »est préférée à celle, pourtant synonyme, de « droits de dénomination ».

(72) J.-F. Giacuzzo, op. cit. n° 70, n° 80. V. cependant C. Benelbaz in P. Yolka,ouvrage préc.

(73) Sur les attributs traditionnellement attachés à la propriété – usus, fructus,abusus, v. notamment, J.-L. Bergel, M. Bruschi, S. Cimamonti, Les biens, LGDJ,2010, 2e éd., n° 80-91.

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Le droit d’appellation, en ce qu’il permet à un tiers de donner unnom à un équipement public contre rémunération, est une sortede droit réel portant sur un objet immatériel 74, un démembrementoriginal du droit de propriété (dont la reconnaissance n’est peut-être pas dénuée de lien avec un vaste mouvement de subjectivi-sation du droit administratif et – plus spécifiquement – de recon-naissance de droits subjectifs aux personnes publiques 75).Toutefois, il ne saurait être consenti pour une durée indéterminée,car il pourrait alors être assimilé par le juge à un acte de disposi-tion du bien. Le « nommage » d’un équipement public doit, de cefait, respecter les principes de protection des propriétés publiques,que le bien sur lequel il porte relève du domaine privé ou dudomaine public. En particulier, le principe selon lequel les per-sonnes publiques ne peuvent pas consentir de libéralités 76 inter-dit d’envisager une telle opération à titre gratuit. Le droit d’ap-pellation doit par conséquent être envisagé dans une perspectivede valorisation: l’objectif d’une telle pratique ne peut qu’être larecherche de financements complémentaires pour le propriétairepublic, issus de l’exploitation même du nom de l’équipement.

En définitive, le « nommage », en tant que forme particu-lière de parrainage, implique que le titulaire des droits d’appel-lation d’un bien s’en sépare au profit d’un tiers, pour une duréedéterminée et contre rémunération. Il s’agit alors, pour la per-sonne publique, de chercher à tirer un profit de la vente d’unespace publicitaire original – l’équipement public – par le biaisd’un acte spécifique.

L’acte de « nommage », vecteur de la valorisation

Lorsqu’aucune considération économique n’est prise encompte, l’acte de nommer un équipement public traduit lavolonté de son propriétaire: rendre hommage à une personnalité,rappeler un événement, mettre en avant une particularité géogra-phique, etc. 77 Par nature, l’acte de « nommage » d’un équipementpublic diffère de ce cadre d’analyse. Il s’agit, pour la personnepublique, de trouver un financement annexe à un équipement coû-teux. Le « nommage » n’a donc d’intérêt que s’il porte sur unéquipement emblématique, susceptible de véhiculer une imagepositive pour le titulaire du contrat de « nommage ». Dans la plu-part des hypothèses, le « nommage » fait intervenir une pluralitéd’acteurs: la personne publique propriétaire, le gestionnaire dubien – lorsque celui-ci n’est pas le propriétaire – et le titulaire desdroits d’appellation. Dans ce cas de figure, le champ de l’étudedevient double: à l’appréhension des conditions d’autorisation du« nommage » par le contrat qui organise les modalités de gestionde l’équipement (ci-après contrat-support du « nommage »),s’ajoute l’analyse de la mise en œuvre du « nommage » par uncontrat spécifique, dit de « nommage ».

L’autorisation du « nommage » par un contrat-supportLes cas français d’appellation des équipements publics sont

révélateurs de la grande hétérogénéité des cadres juridiquesd’utilisation de cette technique. Le contrat de « nommage » peutêtre passé par le propriétaire ou le gestionnaire, suivant lesmodalités de gestion de l’équipement public retenues. Parailleurs, il peut porter sur un bien appartenant à une personnepublique ou ayant seulement vocation à intégrer son patrimoine,lorsqu’il concerne un bien construit dans le cadre d’un contratde partenariat, par exemple.

La situation la plus simple – et la moins fréquente dans la pra-tique – est celle dans laquelle le bien public est géré directementpar la personne publique propriétaire 78. Dans la plupart des cascependant, l’équipement n’est pas géré directement par son pro-priétaire public. Le « nommage » peut être concilié avec toutesles formes de montage contractuel: autorisation d’occupationtemporaire du domaine public (Altrad Stadium de Montpellier 79),délégation de service public (MMArena du Mans 80 ou KindArenade Rouen 81) ou encore contrat de partenariat (Allianz Riviera deNice 82, stade Bordeaux Atlantique 83 et stade de Lille 84). Lorsquela personne publique souhaite conserver un droit de regard ren-forcé sur la façon dont l’équipement est géré, elle en confie laconstruction, l’exploitation à une entreprise appartenant au secteurpublic 85 : établissement public industriel et commercial (SkodaArena de Morzine 86) ou société à capital public (Park & SuitesArena de Montpellier 87, Davo Pévèle Arena d’Orchies 88).

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Biens et travaux

(74) Le patrimoine immatériel peut être défini comme « l’ensemble despropriétés incorporelles appartenant aux personnes publiques » (C. Malwe, op.cit., n° 62, p. 117). V. égal., M. Houser, « Les droits incorporels des collectivitésterritoriales », RD publ. 2014, n° 4, p. 945-966

(75) En ce sens v., B. Schmaltz, op. cit. n° 70 ; P. Yolka, « Pour une théorie desdroits subjectifs des personnes publiques », AJDA 2013. 313.

(76) F. Bourrachot, « La liberté des personnes publiques de disposer de leursbiens », RFDA 2003. 1110.

(77) En ce sens, v. C. Benelbaz in P. Yolka, ouvrage préc.

(78) Sur la nature du contrat de nommage dans cette hypothèse, v. infra.

(79) Convention d’occupation temporaire de l’espace Yves du Manoirappartenant à Montpellier Méditerranée Métropole avec la société sportiveprofessionnelle Montpellier Rugby Club (jusqu’au 30 juin 2015).

(80) Convention de concession du complexe sportif et économique du stade defootball de la ville du Mans à la SAS Le Mans Stadium, pour une durée de 35ans à compter de sa notification au concessionnaire (signature le 27 juin 2008).

(81) Contrat d’affermage du palais des sports avec la société Véga, pour unedurée de 6 ans et 4 mois, à compter du 1er mars 2012.

(82) Contrat de partenariat entre la ville de Nice et la SAS Nice Éco Stadium,appartenant à Vinci Concessions, pour une durée de 27 ans et 5 mois à compterde la mise à disposition effective de l’enceinte élargie (signature fin 2010,livraison en sept. 2013).

(83) Contrat de partenariat entre la ville de Bordeaux et la SAS Stade BordeauxAtlantique, appartenant à Vinci Concessions et Fayat SAS, pour une durée de 30ans à compter de la mise à disposition effective de l’enceinte élargie (signatureen oct. 2011, livraison en avr. 2015). La ville recherche d’un nouveau partenariataprès la tentative infructueuse de nommage par la société Dassault.

(84) Contrat de partenariat entre la Métropole européenne de Lille et ELISA(Eiffage Lille Stadium Arena), appartenant intégralement à Eiffage, pour une duréede 31 ans à compter de la mise à disposition effective de l’enceinte élargie(signature en oct. 2008, livraison en août 2012). Le choix du nom de P. Mauroya finalement été fait après la tentative infructueuse de nommage par la sociétéPartouche.

(85) Sur la notion d’entreprise appartenant au secteur public, v. par ex., N. Kada,M. Mathieu (dir.), Dictionnaire d’administration publique, PUG, 2014, entrées« Entreprise publique » et « Secteur public ».

(86) La patinoire appartient à la ville de Morzine et est gérée par l’office dutourisme.

(87) Arena construite dans le cadre d’une convention délégation de service publicportant sur la gestion du parc des expositions de Montpellier-Fréjorgues(appartenant à la région Languedoc-Roussillon) avec la société d’économie mixtelocale Enjoy Montpellier (devenue Montpellier Events), pour une durée de 10 ans,à compter du 1er janvier 2009 (CRC Languedoc-Roussillon, mai 2012, Rapportd’observations définitives concernant la gestion de la SAEM Enjoy Montpellier pourles exercices 2005 et suivants, n° 2).

(88) Convention de délégation avec la société publique locale pour la gestion etl’exploitation de la Salle omnisports Pévèle Arena et du Centre Culturel le Pacbo,pour la Pévèle Arena, appartenant en commun à la ville d’Orchies et à laCommunauté de communes Pévèle-Carembault, pour l’année civile (conventionrenouvelable chaque année).

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La valorisation des équipements publics par le recours à latechnique du « nommage » connaît les mêmes cadres que lesautres techniques de valorisation: « conformité, compatibilité,conservation » du domaine public 89. Si l’objectif de conservationdu domaine ne semble pas menacé par la technique du « nom-mage », en revanche la personne publique devra s’assurer de laconformité, ou au moins de la compatibilité du recours au « nom-mage » et du choix du titulaire des droits d’appellation avec l’af-fectation du domaine public. La mise en œuvre de ce contrôle doitêtre organisée par le contrat-support du « nommage ». D’une part,la convention qui confie la gestion du bien à un tiers doitexpressément envisager la possibilité pour ce dernier de recourirà la technique du « nommage », car elle porte sur un démembre-ment du droit de propriété de la personne publique. Ainsi, lecontrat de délégation de service public liant la ville du Mans à laMMA IARD prévoit que « tout projet de naming right est sou-mis à accord préalable et exprès de la collectivité » 90. D’autrepart, cette convention doit prévoir les modalités de protection del’équipement, dès lors que celui-ci appartient à la personnepublique ou a vocation à intégrer son patrimoine. Par exemple, lecontrat de partenariat de la ville de Nice avec la société Nice ÉcoStadium souligne que, « compte-tenu des incidences en termes decommunication résultant de l’association durable d’une dénomi-nation ou marque commerciale à un équipement emblématique dela ville de Nice, cette dernière pourra refuser un projet de déno-mination proposé par le partenaire qui serait contraire à l’ordrepublic ou aux bonnes mœurs ou manifestement inapproprié àl’image de la ville de Nice » 91. Au contraire, il est nécessaire quele choix du partenaire de la ville reflète une cohérence entre « ladénomination associée et l’image, l’histoire, la culture ainsi quel’économie » de la collectivité 92.

En définitive, l’acte de nommer doit résulter d’une volonté dela personne publique et être contrôlé par cette dernière, quelle quesoit la forme du montage contractuel retenu pour la constructionou la gestion du bien. Sa manifestation par un contrat particuliertraduit cette influence.

La mise en œuvre du « nommage » par un contrat spécifique

L’acte de « nommage » est une forme particulière de contratde parrainage publicitaire, défini comme la « convention en vuede laquelle un apporteur de capitaux en quête de publicité pourlui-même, finance en tout ou partie une initiative, notamment uneactivité sportive en général de haut niveau et à grand risque (…)à la condition que le bénéficiaire des crédits exerce publiquementson activité sous la bannière du commanditaire (nom, couleurs,marque, sigle, logo) » 93. Contrat « en mal d’identité » 94, il relèvede la catégorie des contrats innomés 95, ce qui ne manque sansdoute pas de singularité, mais rend son appréhension délicate.Dans le cadre du « nommage » des équipements publics, il estnécessaire de distinguer trois situations différentes.

En premier lieu, la personne publique propriétaire peut gérerelle-même son équipement et décider de recourir au « nom-mage ». Le régime juridique de ce dernier dépend alors de celuidu bien sur lequel il porte, l’acte de « nommage » prenant laforme d’une occupation temporaire du domaine public – en géné-ral – ou – plus hypothétiquement – privé. Rien ne s’oppose, enthéorie, à ce que cette occupation soit autorisée par la voie d’unacte unilatéral. En pratique cependant, les enjeux de valorisationéconomique qui sous-tendent le recours au « nommage » légiti-ment davantage le recours au contrat.

En deuxième lieu, le « nommage » de l’équipement peut êtreréalisé par la personne publique propriétaire, alors même qu’elleen a confié la construction, l’exploitation à un tiers. Il y a alorsune déconnexion entre la gestion du bien et son « nommage ».Par exemple, la métropole de Rouen a choisi, pour la gestion deson palais des sports confiée par voie d’affermage à la sociétéVéga, de conclure directement avec la société Ferrero un accordde « nommage », permettant à cette dernière de nommer l’en-ceinte en utilisant le nom de l’une de ses marques, la KindA-rena 96. Le contrat de « nommage » présente alors toutes les appa-rences d’un contrat portant occupation temporaire du domainedont relève l’équipement public.

En dernier lieu, lorsque la construction, la gestion d’un équipe-ment (sportif, culturel ou autre) sont confiées par voie d’autorisationd’occupation temporaire du domaine, de délégation de service publicou de contrat de partenariat à un tiers, la personne publique peutautoriser ce gestionnaire à recourir au « nommage », par le biaisd’un contrat distinct. Son éventuelle nature de contrat administratifne peut être déduite d’aucun texte. Le contrat ne peut alors être assi-milé à un contrat administratif que par application des critères juris-prudentiels, ce qui demeure très incertain pour le « nommage ».Même s’il est parfois conclu entre une personne publique et une per-sonne privée, le contrat ne porte pas sur une activité de service publicet ne contient par principe aucune « clause qui, notamment par lesprérogatives reconnues à la personne publique contractante dansl’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relèvedu régime exorbitant des contrats administratifs » 97. La plupart dutemps, le contrat de « nommage » est signé entre deux personnesprivées, ce qui réduit encore la possibilité de son assimilation à uncontrat administratif 98. Le contrat se présente donc comme uncontrat de droit privé, signé entre deux personnes privées, à la com-municabilité incertaine 99. Cette impression est encore renforcéelorsque l’équipement est construit dans le cadre d’un contrat de par-tenariat. Il est cependant nécessaire d’affiner cette analyse.

Les contrats de « nommage » des équipements publics

(89) H. Barbaret, « Qu’est-ce que valoriser? », in Conseil d’État, La valorisationéconomique des propriétés des personnes publiques, Acte du colloque du 6 juillet2011, La Documentation française, coll. Droits et Débats, n° 3, 2012, p. 29.

(90) Concession du complexe sportif et économique du stade de football de laVille du Mans, op. cit., n° 79 art. 19.3.(91) Contrat de partenariat pour le Nice Éco Stadium, op. cit. n° 81, art. 20.3.(92) Concession préc., contrat de partenariat préc.(93) G. Cornu, op. cit. n° 47, entrée « sponsorisme ».(94) C. Lapoyade-Deschamps, « Un contrat au service de l’entreprise : le sponsoring », in Les activités et les biens de l’entreprise. Mélanges offerts à J. Derruppé, Litec, 1991, p. 128.

(95) F. Buy, J.-M. Marmayou, F. Rizzo, Les contrats de sponsoring sportif, Lextenso,2014, n° 3. Le constat, dressé à propos des contrats de parrainage sportif, peutêtre étendu au-delà de ce seul secteur.

(96) La marque KindArena résulte de la contraction de la marque Kinder avecArena (Métropole Rouen Normandie (ancienne Communauté Rouen ElbeufAustreberthe), Délibération du Conseil du 30 janv. 2012, n° 22, C 120070).

(97) T. confl., 13 oct. 2014, n° 3963, Société Axa France IARD, Lebon p. 471 ;AJDA 2014. 2031 ; ibid. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; D. 2014. 2115, obs. M.-C. de Montecler ; AJCT 2015. 48, obs. A.-S. Juilles ; RFDA2014. 1068, concl. F. Desportes.

(98) Le Tribunal des conflits est d’ailleurs revenu sur son ancienne jurisprudenceSociété Entreprise Peyrot dans un arrêt du 9 mars 2015, Mme Rispal c/ Société desautoroutes du sud de la France (n° 3984, AJDA 2015. 481; ibid. 1204; ibid. 601,tribune G. Clamour, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe; AJCT 2015. 403,obs. J.-D. Dreyfus; RFDA 2015. 265, concl. N. Escaut; ibid. 273, note M. Canedo-Paris; RTD com. 2015. 247, chron. G. Orsoni). Sur l’avenir de la catégorie descontrats administratifs conclus entre deux personnes privées, v., M. Canedo-Paris,« La jurisprudence Société Entreprise Peyrot : stop ou encore? », RFDA 2015. 32 s.

(99) Sur les difficultés d’accès aux contrats de « nommage », v. supra, Introduction.

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Le contrat de « nommage » signé par le gestionnaire d’un équi-pement public (ou ayant vocation à intégrer le patrimoine public,dans le cadre d’un contrat de partenariat) pourrait être qualifié decontrat de sous-occupation du domaine public (quelle que soit laterminologie utilisée: sous-concession, sous-traité, etc.) Selon cettetechnique, le titulaire de l’autorisation d’occupation, le concession-naire ou le partenaire, lorsque la loi ou l’acte de concession le pré-voit et avec l’accord du gestionnaire du domaine, peut autoriser untiers à utiliser le domaine qu’il occupe lui-même 100. Dans le cas du« nommage », plusieurs indices permettent de déduire une tellevolonté de la personne publique. D’abord, la mention expresse selonlaquelle « tout projet de naming right est soumis à l’accord préa-lable de la collectivité » 101. Ensuite, la possibilité pour la collecti-vité de s’opposer au choix du partenaire, alors même qu’elle n’estpas partie au contrat de « nommage » 102. Enfin, le caractère pré-caire du « nommage », illustré par le fait que « le contrat de namingdevra comporter une clause réservant expressément à la collectivité,ou à toute autre personne par elle désignée, la possibilité de se sub-stituer au (cocontractant) en cas d’expiration de la convention » 103.L’assimilation de ces contrats à des sous-contrats d’occupationdomaniale semble dès lors largement ouverte, comme en témoignele préambule du contrat de « nommage » de la Park & Suites Arena:« dans le cadre de (la) délégation de service public, la région Lan-guedoc-Roussillon a autorisé Enjoy Montpellier à exploiter l’imagede l’Arena, au travers d’une convention d’occupation du domainepublic confiant à un tiers, sous condition d’accord préalable de larégion, l’usage du domaine public immatériel » 104. Dans le cas du« nommage » de l’Altrad Stadium, la convention portant autorisa-tion d’occupation du domaine public spécifie d’ailleurs que lecontrat de « nommage » revêt le caractère d’une sous-occupationdomaniale 105. En revanche, l’insertion dans le contrat-support dustade Bordeaux Atlantique d’une clause selon laquelle le contrat de« nommage » est seulement transmis « pour information », fait peserun doute sur la validité de cette procédure de « nommage » 106.

La nature de contrat de sous-occupation du domaine public,si elle est reconnue, n’implique aucune obligation de mise enconcurrence pour le choix du bénéficiaire du « nommage » 107. Ilfaut toutefois mettre de côté le cas dans lequel la gestion du bienest confiée à une entreprise du secteur public, ayant elle-même la

qualité de pouvoir adjudicateur. Cette dernière peut alors déci-der de mettre en concurrence l’opération de « nommage ». Pourla cession du droit d’appellation de la salle omnisports d’Or-chies, la société d’économie mixte locale gestionnaire de l’é-quipement a ainsi choisi, à deux reprises, d’organiser une procé-dure de mise en concurrence 108.

Une fois cette qualification opérée, il faut encore prendre encompte le fait que ces sous-contrats ont une nature particulière.L’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnespubliques reconnaît ainsi indirectement – via la compétence dujuge administratif – la nature administrative des « autorisations oucontrats comportant occupation du domaine public, quelle quesoit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus parles personnes publiques ou leurs concessionnaires ». Mais la juris-prudence établie une distinction plus nuancée 109 : seuls relèventdu juge administratif, parce qu’ils sont constitutifs d’une occupa-tion privative du domaine public, les sous-contrats accordés pardes délégataires de service public occupant le domaine public. Lesautres sous-contrats sont assimilés à des contrats privés, relevantde la compétence du juge judiciaire 110.

Quel que soit le mode de gestion de l’équipement retenu, lecontrat de « nommage » reste un contrat de parrainage publici-taire particulier, en ce qu’il porte sur un équipement et non sur unévénement ou sur une activité sportive. La principale manifesta-tion du « nommage » d’un équipement réside dans l’affichage dunom ou de la marque du parrain sur l’ouvrage. De ce fait, lecontrat est soumis, dans le silence des textes, à la police de l’af-fichage et de la publicité extérieure 111. L’utilisation du biencomme support de publicité bénéficie ainsi du principe de libertéd’affichage 112, mais est par ailleurs soumise à une réglementationétroite, dont la plupart des collectivités territoriales ne semblentpas avoir réellement tenu compte dans le cadre de leurs opérationsde « nommage ». En particulier, la réglementation issue du Gre-nelle II sur la taille et les conditions d’allumage des espaces publi-citaires en milieu urbain paraît difficilement compatible avec lesmodalités de « nommage » telles qu’issues des contrats existants.

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(100) N. Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 762(pour les sous-concessions) et n° 922 (pour les sous-traités d’occupation).

(101) Contrat de concession du complexe sportif et économique du stade defootball de la ville du Mans, op. cit., n° 79, art. 19.3. La clause est formuléed’une façon presque identique quel que soit le contrat, AOT, délégation de servicepublic ou contrat de partenariat.

(102) Contrat de partenariat pour le Nice Éco Stadium, op. cit. n° 81 art. 20.3.

(103) Contrat de concession du complexe sportif et économique du stade defootball de la ville du Mans, op. cit., n° 79, art. 19.3, à propos d’une délégationde service public. Une clause presque identique figure dans le contrat departenariat pour le Nice Éco Stadium (op. cit. n° 81, art. 20.3).

(104) Convention de naming et de partenariat (autorisation d’occupationtemporaire) entre la SEML Enjoy Montpellier (devenue Montpellier Events) et laSA Park & Suites, 2011, préambule.

(105) Convention d’occupation temporaire du domaine public des espaces Yvesdu Manoir conclue entre la Communauté d’agglomération de Montpellier(devenue Montpellier Méditerranée Métropole) et la SA sportive professionnelleMontpellier Rugby Club, 2014, art. 4.10.

(106) Contrat de partenariat pour le stade Bordeaux Atlantique, op. cit. n° 82,art. 27.1.

(107) Ceci, dans le prolongement de la jurisprudence sur les contrats de premierrang (CE, 3 déc. 2010, n° 338272, Ville de Paris, Association Paris Jean Bouin, Lebonp. 472, concl. N. Escaut; AJDA 2010. 2343; ibid. 2011. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser; RDI 2011. 162, obs. S. Braconnier et R. Noguellou; AJCT 2011. 37, obs.J.-D. Dreyfus; RTD eur. 2011. 496, obs. J.-P. Kovar; Grandes décisions du droitadministratif des biens, Dalloz, 2e éd., 2015, comm. R. Noguellou).

(108) Contrat de parrainage de la Pubeco Pévèle Arena avec la société PubecoDDM, à compter du 1er janv. 2013, pour une durée de 2 ans ; contrat deparrainage de la Davo Pévèle Arena avec la société Davo Construction SAS, àcompter du 1er janv. 2015, pour une durée de 5 ans.

(109) T. confl., 14 mai 2012, n° 3836, Mme Gilles c/ Société d’exploitation Sportset événements (SESE) c/ Ville de Paris, Lebon p. 512 ; AJDA 2012. 1031 ; RDI2012. 629, obs. N. Foulquier ; RFDA 2012. 692, note L. Janicot ; BJCP 2012.382, concl. L. Olleon ; Contrats Marchés publ. 2012, comm. 223, note G. Eckert ;JCP Adm. 2012, 2328, note J.-F. Giacuzzo ; RJEP 2012, comm. 55, note H. Pauliat). V., B. Plessix, Les sous-concessions domaniales : territoire d’uncontentieux, Mélanges L. Richer, Lextenso, 2013, p. 247; M. Ubaud-Bergeron, Lessous-concessions domaniales, in Contrats et propriété publics, dir. G. Clamour,LexisNexis, 2011, p. 111 ; P. Yolka, « Les sous-concessions domaniales.Cartographie d’un contentieux », JCP Adm. 2007, n° 2017

(110) Cette analyse permet également de répondre à l’interrogation relative à lacommunicabilité de ces contrats, soulevée dans l’introduction de la présenteétude. Pour savoir si le contrat est communicable, c’est-à-dire s’il revêt uncaractère administratif au sens de la loi de 1978, il faut vérifier si l’occupantprincipal du domaine public est délégataire d’un service public, ce qui sembleêtre le cas d’un certain nombre de gestionnaires d’équipements publics.

(111) Sur la police de l’affichage et de la publicité extérieure, v., J.-P. Strebler,« Police de l’affichage et de la publicité extérieure. Règles nationales », J.-Cl. Coll.terri., Fasc. 713-10 ; J.-P. Strebler, « Police de l’affichage et de la publicitéextérieure. Réglementations locales », J.-Cl. Coll. terri., Fasc. 713-20 ; J.-P. Strebler, « Police de l’affichage et de la publicité extérieure. Contrôles etsanctions », J.-Cl. Coll. terri., Fasc. 713-30.

(112) « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quellequ’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et depréenseignes » (C. envir., art. L. 581-1).

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Plus largement, cette réglementation constitue un frein au déve-loppement de la technique du « nommage », en raison des res-trictions de la place de la publicité qu’elle impose 113.

Technique en voie d’expansion, le « nommage » se singula-rise par son absence d’appréhension uniforme. Le développementdu « nommage » des équipements publics est étroitement lié àl’essor d’une vision « propriétariste » de la gestion des bienspublics, encourageant la passation de contrats d’un type nouveauqui permettent à des tiers d’user d’un droit d’appellation sur cer-tains équipements, contre rémunération et pour une durée limitée.Malgré les atouts apparents d’une telle technique, la valorisationdes équipements publics par le « nommage » reste encore, enFrance, incertaine.

La valorisation incertaine des équipements publics par le recours au « nommage »

L’attrait premier du recours au « nommage » réside dans lapossibilité pour la personne publique de valoriser l’un de ses biensen permettant à un tiers d’y afficher son nom contre une rémuné-ration. E. Delattre et I. Aimé ont ainsi mis en évidence unensemble de facteurs clés pour le succès du « nommage » dansle domaine sportif, liés au parrain (et notamment à son implanta-tion locale), à l’équipement, au contrat de parrainage (en particu-lier, sa longue durée et le choix d’un nom court) et au manage-ment de l’opération 114. Pourtant, la valorisation des équipementspublics par le « nommage » demeure limitée, tant d’un point devue quantitatif – à peine sept contrats recensés en 2015 – que qua-litatif, en raison d’incertitudes portant sur son utilisation autantque sur son efficacité.

Des incertitudes relatives au recours au « nommage »

L’opération de « nommage » n’est pas qu’un acte juridique,elle revêt également une forte dimension politique et sociologique.De ce point de vue, de nombreuses incertitudes pèsent sur la per-sonne publique, relatives à la possibilité du « nommage » autantqu’à son opportunité.

Des incertitudes relatives à la possibilité du « nommage »

Le recours à la technique du « nommage » n’est pas encadrépar le législateur. Dès lors, il est nécessaire de s’interroger surl’existence éventuelle d’une catégorie d’équipements publicsexclus du « nommage ». La seule limite du recours au « nom-mage » résulte de la nécessité pour la personne publique de conci-lier les impératifs de gestion et de protection de ses domaines, enparticulier pour les biens relevant du domaine public. Il est déli-cat de délimiter précisément l’étendue des biens susceptibles de

faire l’objet d’un « nommage ». En cas de contestation, le jugeadministratif se posera vraisemblablement la question de la conci-liation entre le choix du titulaire des droits d’appellation et la pro-tection de l’affectation du bien 115 ou de la concurrence 116. Enrevanche, déterminer a priori d’éventuelles interdictions derecours au « nommage » semble exclu, tant il est délicat de déli-miter une catégorie de biens dont le nom serait hors commerce.Les exemples étrangers illustrent les possibilités très larges de« nommage » : des équipements de transport en commun, desbâtiments culturels, éducatifs ou de santé 117, etc. Hormis leshypothèses particulières de « nommage » de villes aux États-Unis 118, la Hongrie fournit quelques exemples de « nommage »de rues (par exemple la Hertz Utca à Vecsés, la Auchan Utca àTörökbálint, la Mercedes Utca à Kecskemét ou la Nokia Utca àKomárom, pour ne citer que des références aux noms d’entre-prises internationales 119).

La France ne fournit pas d’exemple aussi exotique de « nom-mage ». Les personnes publiques n’ont pas, à notre connaissance,envisagé le « nommage » d’amphithéâtres d’universités, demusées ou de places publiques, par exemple. Cette réticence peuts’expliquer par la dualité des pouvoirs conférés à la personnepublique gestionnaire de dépendances domaniales: en tant quepropriétaire d’un équipement (même si la propriété n’est pasimmédiate dans le cadre d’un contrat de partenariat), elle doitautoriser expressément le recours au « nommage » ; en tant quedépositaire de l’ordre public, elle doit gérer ses biens dans l’intérêtpublic 120. La mise en œuvre pratique de ces impératifs est parfoisdélicate. Une telle difficulté est perceptible tant dans la prise dedécision relative à l’autorisation du « nommage » (est-il contraireà l’ordre public ou aux principes de gestion des biens qu’un édi-fice tel que la Tour Eiffel porte le nom d’une entreprise?) quedans le choix du partenaire. À ce titre, les conventions-supportsprévoient le plus souvent une clause aux termes de laquelle lechoix du nom ne doit pas être « manifestement inapproprié àl’image » de son propriétaire 121. Toute l’ambiguïté de la formulevient de ce qu’il est malaisé de déterminer ce qu’est un choix« manifestement inapproprié ». L’exemple de la KindArena per-met de comprendre ces difficultés: d’un côté la société Ferrero,entreprise rouennaise qui s’inscrit dans l’histoire et l’économie dela région; d’un autre côté, l’association à une enceinte sportive dela marque Kinder, qui ne véhicule pas forcément une image enphase avec la pratique sportive. De ce point de vue, le choix del’entreprise des Mutuelles du Mans Assurances pour le « nom-mage » du stade MMArena du Mans pose moins de difficultés.

Les contrats de « nommage » des équipements publics

(113) Le Grenelle II a, en particulier, mis en place de nombreuses modificationsde la réglementation sur l’affichage publicitaire, qui entrent en vigueur à compterdu 13 juill. 2015 (loi n° 2010-788 du 12 juill. 2010, JORF, 13 juill. 2010,complété par décret n° 2012-118 du 30 janv. 2012 JORF, 31 janv. 2012, décretn° 2012-948, 1er août 2012, JORF, 4 août 2012, décret n° 2013-606, 9 juill.2013, JORF, 11 juill. 2013).

(114) E. Delattre, I. Aimé, op. cit. n° 6, pp. 62-67.

(115) Il pourrait par exemple y avoir une incompatibilité à attribuer des droits de« nommage » d’un collège à une marque de vêtements, d’une agence pourl’emploi à une entreprise d’intérim, ou d’une cantine scolaire à un fabricant deboissons gazeuses ou a fortiori alcoolisées.

(116) Dans l’hypothèse où, par exemple, le propriétaire public d’un aéroportchoisirait de nommer celui-ci du nom d’une compagnie aérienne, il est vraisemblableque le juge administratif considérerait que l’acte de « nommage » placeautomatiquement l’entreprise dans une situation d’abus de position dominante.

(117) V. supra, Introduction, notes 18-21.

(118) V. supra, Introduction, note 22.

(119) Exemples rapportés par D. Light, C. Young, op. cit. n° 7, pp. 8-9. Ladifficulté est que les auteurs ne sont pas parvenus à distinguer clairement lescas de « nommage » – au sens économique – des cas dans lesquels le nom dela rue résulte de la proximité avec des locaux de la marque, et relève alorsdavantage d’une logique d’hommage que de commercialisation.

(120) Sur ce point, v. supra.

(121) Contrat de partenariat pour le Nice Éco Stadium, op. cit. n° 81, art. 20.3.

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Des incertitudes relatives à l’opportunité du « nommage »

La décision de recourir au « nommage » revêt une très fortedimension politique. Même si le contrat est, d’un point de vuejuridique, signé entre le gestionnaire du bien et une entreprise, lerecours au « nommage » implique fortement les pouvoirs publics,tout du moins dans le cas français. De ce fait, l’échec de la signa-ture d’un contrat est souvent imputable davantage à la personnepublique qu’au gestionnaire du bien (dans l’hypothèse d’une ges-tion déléguée). Par exemple, l’échec du « nommage » du stade deLille résulte de l’impossibilité de trouver un accord sur le mon-tant des droits d’appellation entre le groupe Partouche et l’équipemunicipale, alors même que le contrat aurait dû être signé par letitulaire du contrat de partenariat sur le stade, la société ELISA 122.Plus généralement, le « nommage » de tel ou tel équipementpublic doit beaucoup à l’activisme municipal et à la recherche adhominem d’un partenaire par la personne publique.

Par ailleurs, donner une appellation à un équipement publicest une action pérenne, qui dépasse largement la durée d’uncontrat de « nommage ». Sauf à ce que le nom soit changé régu-lièrement – mais dans ce cas, le « nommage » sera, par défini-tion, limité d’un point de vue économique 123 –, le nom reste unmarqueur sociologique inscrit dans l’inconscient collectif. Latechnique du « nommage », pour être efficace, doit être associéeà un projet de rénovation 124 ou de construction d’un équipementpublic neuf. Dans le cas contraire, les décideurs publics s’expo-sent également davantage à l’opposition des utilisateurs de l’é-quipement, qui portent souvent un attachement particulier à unedénomination ancienne. Les États-Unis fournissent quelquesexemples de fortes oppositions locales au « nommage » d’en-ceintes dont le nom est attaché à une histoire locale 125.

Ces difficultés expliquent les nombreuses réticences à recourirau « nommage » pour des équipements existants 126. Par exemple,le contrat de partenariat passé pour la rénovation et l’agrandisse-ment du stade Vélodrome de Marseille en vue de l’Euro 2016 aprévu la possibilité d’un « nommage », mais il a imposé que lestade conserve son ancienne appellation en sus du nom de l’en-treprise, rendant la possibilité d’un « nommage » très hypothé-tique 127. Pour être intéressant pour une entreprise, le « nommage »doit en effet permettre d’associer durablement à l’équipement dansl’esprit du public l’entreprise ou l’une de ses marques. Cette asso-ciation est fragilisée dès lors que la dénomination associe une

ancienne appellation et une nouvelle, car « le fait d’associer unemarque à un nom déjà connu rend cette association moins natu-relle » 128. L’opposition d’une large partie de la population peutégalement conduire à un aménagement des conditions du « nom-mage », comme dans le cas du Mile High Stadium de Denver,aux États-Unis. Le « nommage » s’est heurté à une forte mobi-lisation d’une large partie de la population, amplifiée par lapresse locale, pour conserver le nom de Mile High, embléma-tique de la ville de Denver 129. Le propriétaire du stade a étécontraint de conserver l’appellation d’origine, en plus du nom dupartenaire : Sports Authority Field at Mile High 130. Ces incerti-tudes sont doublées de questionnements sur l’efficacité même durecours au « nommage ».

Des incertitudes relatives à l’efficacité du « nommage »

D’un point de vue économique, une double incertitude pèsesur le « nommage » des équipements publics: quant au bénéfi-ciaire et quant à la performance de l’opération.

Des incertitudes relatives au bénéficiaire du « nommage »

À qui profite réellement le « nommage » ? Posée autrement,cette question revient à se demander si les droits d’appellationpermettent réellement aux personnes publiques de valoriser leurpatrimoine. La pratique du « nommage » impose d’établir une dis-tinction claire entre trois hypothèses distinctes.

En premier lieu, lorsqu’une personne publique gère directe-ment l’un de ses équipements ou qu’elle passe un contrat de« nommage » sur celui-ci, il n’est pas discutable qu’elle en retireintégralement et exclusivement les bénéfices. Hormis l’exemplede la KindArena de Rouen, cette hypothèse se vérifie peu dansla pratique.

Tout le paradoxe de la pratique du « nommage » vient de ceque, en deuxième lieu, cette technique est couplée avec diversmécanismes de délégation de la gestion des équipements publics,qui créent un écran entre la personne publique et l’entreprise quiachète les droits d’appellation. Ainsi, l’exploitation des droitsd’appellation sur l’Allianz Riviera de Nice ou sur la MMArenadu Mans profite à titre exclusif au gestionnaire du bien, et non àla collectivité territoriale. Rien dans le contrat-support du « nom-mage » ne semble préciser que les sommes perçues à ce titrepourront être déduites, en tout ou en partie, du loyer versé par laville de Nice ou des financements apportés par celle du Mans.Dès lors, les personnes publiques vont permettre à leur partenairecontractuel de bénéficier des retombées économiques du recoursau « nommage », mais la valorisation se fait finalement à leursdépens. Bien plus, les contrats-support de « nommage » pré-voient systématiquement que « la ville s’engage à faire figurerla dénomination du stade mentionnée dans les contrats de naming(…) sur toutes les indications directionnelles implantées sur ledomaine public communal ainsi que sur les plans de la ville » et« dans la signalétique des transports en commun (…) et, en par-ticulier pour que les stations desservant le stade de football

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(122) G. Raymond souligne ainsi que « le groupe de casinos a proposé 2,5millions d’euros par saison pour un “Partouche Stadium”, alors que les équipesde Martine Aubry attendraient toujours un chèque compris entre 3,3 et 3,8millions par saison » (in, « Stade de Lille, MMArena, Allianz Riviera… le “naming”de stades de foot ou d’enceintes de sport reste petit joueur en France », Le Huffington Post, 18 oct. 2012).

(123) Par ex., la SEM gestionnaire du palais omnisports d’Orchies (la PévèleArena) a décidé de ne recourir qu’à des contrats de courte durée : 2 ans dansle cadre de la Pubeco Pévèle Arena, devenue à l’issue de ce premier contrat etpour 5 ans la Davo Pévèle Arena.

(124) Dans le cadre de la rénovation du Palais omnisports Paris-Bercy, la sociétéd’économie mixte gestionnaire du palais a lancé en janvier 2014 une procédurede publicité et de mise en concurrence pour le nommage et espère la signatured’un contrat de nommage en 2015.

(125) J. L. Crompton et D. R. Howard, op. cit. n° 12, pp. 214-215.

(126) L’exemple de la rénovation du stadium municipal de Toulouse est topique :à cette occasion, une opposition très nette s’est dessinée entre l’ancien maire,P. Cohen, favorable à l’attribution du nom d’une personnalité locale pour le stade,et le nouveau, J.-L. Moudenc, favorable à l’idée d’un « nommage ».

(127) J.-M. Marmayou, D. Poracchia, F. Rizzo, op. cit. n° 46, n° 17. Au 1er mai2015, aucun partenaire n’a été trouvé pour conclure un tel contrat.

(128) E. Delattre, I. Aimé, op. cit. n° 6, p. 65.

(129) La ville de Denver est surnommée Mile High City, car son altitude officielleexacte est d’un mile (1609 m) au-dessus du niveau de la mer.

(130) R. H. Thornburg, op. cit. n° 9, pp. 333-334.

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portent le nom commercial du stade » 131. Non seulement la col-lectivité ne perçoit pas de financement pour le « nommage » dustade, mais encore celui-ci implique de sa part des investissementssupplémentaires. De ce fait, certaines collectivités, telles que laville du Mans, signent, en marge du contrat de « nommage », unprotocole de financement de la signalétique, destiné à faire sup-porter ces coûts complémentaires par l’entreprise titulaire ducontrat de « nommage » 132.

La situation intermédiaire entre ces deux extrêmes résulte, endernier lieu, de la possibilité pour les personnes publiques pro-priétaires de confier la gestion de leurs biens à des entreprises dusecteur public, établissements publics industriels et commerciauxou sociétés à capital public. De la sorte, les retombées de la valo-risation pourront bénéficier, au moins indirectement, à la personnepublique propriétaire.

Des incertitudes relatives à la performance du « nommage »

Le « nommage » est-il une technique performante de valori-sation des patrimoines publics? La question est ici de savoir si,d’un point de vue économique, le « nommage » « permet (…) àl’exploitant de compléter de façon originale, quoique non déci-sive, son montage financier » 133. Sous cet angle, le « nommage »« à la française » se distingue fondamentalement des autres pra-tiques de « nommage » en Europe ou dans le reste du monde, ence qu’il demeure un complément anecdotique aux montagesfinanciers relatifs aux équipements publics.

Le secteur sportif est la principale illustration de cette dis-cordance. Aux États-Unis, le recours à la technique du « nom-mage » s’est développé de façon spectaculaire à partir des années1980 134. Dans le domaine sportif, les contrats peuvent rapporteraux propriétaires des équipements plusieurs centaines de millionsde dollars. À titre illustratif, le club des Dallas Cowboys (NFL)a signé en juillet 2013 un contrat portant « nommage » del’AT&T Stadium, pour un montant de 20 millions de dollarsannuels, sur une période variable de 20 à 30 ans (soit un mon-tant total de 400 à 600 millions de dollars) 135. Cependant, la pra-tique du « nommage » semble avoir atteint son apogée et de plus

en plus de partenaires négocient des réductions du montant de cescontrats, voire – dans certains cas – refusent de les renouveler enles considérant comme trop onéreux 136. En Europe, les montantsen cause restent plus mesurés, même s’ils sont souvent très impor-tants. Au Royaume-Uni par exemple, le « nommage » de l’Emi-rates Stadium rapportera en 20 ans 147 millions d’euros au clubd’Arsenal. En Allemagne, le « nommage » de l’Allianz Arena àMunich rapportera près de 90 millions d’euros au club sur 20 ans.Plus généralement, 19 équipes sur les 21 évoluant au sein de la1re division de football allemand (Bundesliga) ont signé de telsaccords, pour un montant annuel moyen de 3,5 millions d’eu-ros 137. En France, la pratique du « nommage » est relativementrécente: le premier équipement public a en avoir bénéficié est lestade du Mans, en 2007. Le contrat rapportera aux alentours de13 millions d’euros sur 10 ans 138. Le contrat le plus important estcelui de l’Allianz Riviera de Nice, dont le montant avoisine les16,2 millions d’euros, pour une durée de 9 ans 139. Hors dudomaine du football professionnel, les montants s’effondrent 140.

Ces écarts peuvent avoir de nombreuses raisons et en parti-culier le moindre développement de la logique du sport-businessen France par rapport aux pays de tradition anglo-saxonne. Pluslargement, le « nommage » porte autant sur la volonté d’associerune entreprise à un équipement qu’à un club. L’équipement est eneffet réduit au rang de support publicitaire, comme le maillot dujoueur. Les « nommages » les plus performants sont ceux réaliséssur des équipements qui sont étroitement associés à un club, depréférence prestigieux.

La faiblesse de l’attrait du « nommage » dans le domainesportif s’explique largement par la structuration même de ce sec-teur d’activité en France. Par tradition, les équipements sportifsappartiennent aux collectivités territoriales 141 ou sont construitssur leur impulsion. Leur mise à disposition est l’un des principauxvecteurs de contribution des personnes publiques – État, collecti-vités territoriales et leurs groupements – « à la promotion des acti-vités physiques et sportives » 142. De ce fait, les personnespubliques hésitent à réserver une enceinte à un seul club (en par-ticulier en raison de l’aléa sportif) ou à un seul type d’activité (enraison de la nécessité de trouver des financements accessoirespour l’équipement). Au contraire, le club d’Arsenal, propriétairede son enceinte, n’a pas hésité à faire construire un stade exclu-sivement dédié à la pratique du football, à l’exclusion de toute

Les contrats de « nommage » des équipements publics

(131) Contrat de concession du complexe sportif et économique du stade defootball de la ville du Mans, op. cit., n° 79, art. 19.3. Une telle clause definancement se retrouve de façon similaire dans tous les contrats-support denommage.

(132) Protocole de financement de la signalétique MMArena, conclu entre la villedu Mans et la MMA IARD, 27 juin 2008. Passée pour une durée de 5 ans àcompter de la réception du stade, cette convention présente toutes lescaractéristiques d’un contrat d’occupation privative du domaine public.

(133) S. Braconnier, « Construction et exploitation des stades : en attendantl’Euro 2016… », RDI 2011. 189.

(134) Pour une présentation historique, v. supra, Introduction.

(135) Le San Francisco Business Times a dressé un inventaire des dix plus groscontrats de « nommage », au 8 mai 2013 : le University of Phoenix Stadium desArizona Cardinals (NFL), pour 154,5 millions de dollars sur 20 ans ; la PhilipsArena des Atlanta Hawks (NBA), pour 185 millions de dollars sur 20 ans ; leFedEx Field des Washington Redskins (NFL) pour 205 millions de dollars sur 27ans ; le Barclays Center des Brooklyn Nets (NBA), pour 220 millions de dollarssur 20 ans ; le Levi’s Stadium des San Francisco 49ers (NFL), pour 220 millionsde dollars sur 20 ans ; le Gilette Stadium des New England Patriots (NFL) et NewEngland Revolution (soccer), pour 240 millions de dollars sur 15 ans ; le ReliantStadium des Houston Texas (NFL), pour 310 millions de dollars sur 31 ans ; leCity Fields des New York Mets (MLB), pour 400 millions de dollars sur 20 ans ;le futur Farmers Fileds, qui devrait accueillir une équipe du championnat NFL,pour 600 millions de dollars sur 30 ans ; le MetLife Stadium des New York Giantset New York Jets (NFL), entre 425 et 625 millions de dollars sur 25 ans(http://www.bizjournals.com/sanfrancisco/blog/2013/05/stadium-naming-rights-deals-49ers-levis.html/).

(136) Par ex., l’US Airways a décidé de ne pas renouveler son nommage de l’USAirways Center de Phoenix en septembre 2014 (source : The Arizona Republic, 3 sept. 2014). Plus généralement, certaines entreprises profitent du terme deleurs contrats pour négocier de meilleures conditions de nommage (v. F. A. Mayer,Stadium Financing : Where we are, How we got here, and Where We are going »,Villanova Sports and Enterprises Law Journal, 2015, Vol. 12, Issue 2 p. 223).

(137) http://www.info-stades.fr/article/287/le-naming-a-t-il-un-avenir-en-France.

(138) R. Pillon, « Le naming et ses réalités juridiques », Stadiumstrategies.com,8 févr. 2013 (http://www.stadiumstrategies.com/marketing/naming/).

(139) Id.

(140) Par ex., le « nommage » de la station de métro Puerta del Sol (Madrid,Espagne) en Sol Vodafone rapportera environ 3 millions de dollars sur trois ans.

(141) À l’exception – remarquable – du stade du club de rugby du LOU et dufutur stade du club de football de l’OL, à Lyon (sur ce dernier stade, v., P. Iliou,« Un exemple français : le projet du nouveau stade de l’Olympique lyonnais », in G. Simon Gérald (dir.), Le stade et le droit, Actes du colloque des 22 et 23mars 2007, D. 2008. 87-90).

(142) C. sport, art. L. 100-2. Sur cette question, v. notamment, G. Simon (dir.),Droit du sport, PUF, 2012, n° 455-493 ; P. Nihoul, S. Adam, « Les infrastructurespubliques. Intervention et valorisation », in S. Depré (dir.), Le sport dopé par l’État.Vers un droit public du sport ?, Bruylant, 2006, pp. 63-116.

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RUBRIQUES

autre activité, y compris de spectacle 143. Ce caractère « multi-acti-vités » des enceintes pose fortement sur l’attractivité de la pra-tique du « nommage » en France.

Par ailleurs, la multiplication des acteurs – collectivité terri-toriale éventuellement propriétaire, gestionnaire du stade etclub(s) résident(s) – ne facilite ni la recherche d’un parrain niles négociations quant au montant des droits d’appellation, entrele gestionnaire et le parrain, sous la surveillance de la collecti-vité territoriale. Cette logique peut même conduire à l’échec decertaines tentatives de « nommage », lorsque le sponsor del’unique club résident n’arrive pas à négocier avec la personnepublique pour l’obtention du « nommage » de l’enceinte. Dansle cas du Grand stade de Lille, la collectivité n’a pas réussi ànégocier la signature du contrat avec la société Partouche, pourdes raisons financières 144. L’idée de trouver un autre partenaire

pour conclure un tel contrat semble irréaliste, dans la mesure oùl’image du LOSC (Lille olympique sportive club) est durable-ment associée à l’entreprise Partouche, deuxième actionnaire etprincipal sponsor du club 145.

Dans le domaine sportif, c’est donc, paradoxalement, l’ap-proche « propriétariste » des équipements publics qui est l’unedes principales causes du faible essor du « nommage ». Celui-ci n’est économiquement viable que lorsqu’il concerne un équi-pement appartenant ou étant clairement assimilé à une équipeprestigieuse. Plus largement, le choix de la dénomination d’unéquipement s’inscrit dans une temporalité longue, qui s’accom-mode mal des enjeux financiers et de rentabilité sous-tendus parla pratique du « nommage ». Par sa nature même, le « nom-mage » semble voué à demeurer une technique de valorisationlimitée des propriétés publiques.B

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Biens et travaux

(143) S. Pottier, « Les stades privés : exemples étrangers », in G. Simon (dir.), Lestade et le droit, Actes du colloque des 22 et 23 mars 2007, D. 2008. 83.

(144) V. supra.

(145) Dans le cadre des négociations, le président de l’entreprise a d’ailleursenvisagé de cesser son soutien au club s’il n’obtenait pas le contrat de« nommage » de l’enceinte (v. notamment, L’express, 17 oct. 2012, Entretien avecI. Partouche ; Le Figaro, 18 oct. 2012, « Partouche menace de ne plussponsoriser le LOSC »).

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