"y a-t-il un marché de l'acte en normandie" ?
TRANSCRIPT
1
Y a-t-il un marché de l’acte écrit en Normandie à la fin du Moyen-Âge ?
Le thème des séminaires de l’école de haute spécialisation de Prato de cette année me
permet d’aborder une question peu traitée, celle de l’existence d’un marché de l’acte écrit en
Normandie à la fin du Moyen Âge. Etudiant l’institution notariale et les pratiques d’écriture
en Basse-Normandie (plus précisément autour d’Alençon) pour les derniers siècles du Moyen-
Âge, je m’intéresse à l’acquisition de l’office de notaire et aux rapports entre celui-ci et ses
clients, et notamment leur rapport marchand. L’institution notariale du Nord de la France se
différencie du notariat méridional par la séparation des procédures d’écriture et
d’authentification des actes : dans les régions septentrionales, le notaire ou tabellion est
chargé de l’écriture des documents, qu’il présente ensuite au garde des sceaux pour y apposer
le sceau de la juridiction (ce qui apporte authentification). Ces offices de notaire et de garde
des sceaux ne sont pas des charges héréditaires, mais des fonctions affermées pour une durée
donnée : l’accès à celles-ci se fait dans le cadre d’enchères lors des assises. Dans le même
temps, la production des écrits notariés n’est pas gratuite : chaque acte, chaque copie, et
même l’enregistrement du contrat est payant. La vente de ces écrits se fait dans le cadre d’une
tarification définie par les autorités.
Ces deux étapes apparaissent comme des moments économiques : il s’agit, à chaque fois, de
transactions, d’une part entre un homme et l’administration pour obtenir le monopole de la
production écrite dans un lieu donné ; de l’autre entre cet homme et ses clients qui souhaitent
faire authentifier leurs contrats. L’accès à la charge de notaire a déjà fait l’objet d’études
sinon économiques1 du moins statistiques2. La question de la vente des actes n’a été menée,
jusqu’à récemment3, que dans le cadre de l’étude des tarifications4, oubliant par là la réalité de
la transaction entre le notaire et ses clients. L’aspect marchand de la production écrite est
pourtant présent, notamment du fait de la concurrence entre les juridictions royales,
1 P. T. HOFFMAN, G. POSTEL-VINAY et J.-L. ROSENTHAL, Des marchés sans prix, une économie politique du
crédit à Paris, 1660-1870, Paris, 2001. 2 M.-F. LIMON, Les notaires au Châtelet de Paris sous le règne de Louis XIV (étude institutionnelle et sociale),
Toulours, 1992 ou J.-Y. SARAZIN, La situation sociale des notaires royaux de Chalons-sur-Marne au XVIIe
siècle, dans Le Gnomon, revue internationale d’histoire du notariat, n°85, novembre 1992, pp. 8-11. 3 P. BERNARDI, En marge des contrats : notes sur la comptabilité des notaires médiévaux et sur la rémunération
des actes, dans L. FAGGION, A. MAILLOUX et L. VERDON, (dir.), Le notaire entre métier et espace public en
Europe, VIIIe-XVIIIe siècle, Aix-en-Provence, 2008, p.53-65. 4 R. AUBENAS, Etude sur le notariat provençal au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, 1931.
Au chapitre 5, l’auteur mentionne les tarifs promulgués par les comtes de Provence et les communes. Mais il
n’en donne pas le contenu et ne pose pas la question de leur application.
2
seigneuriales et ecclésiastiques5. Placer les actes notariés au rang de marchandise, d’un bien
de consommation interroge sur un aspect souvent oublié de ces écrits : ils résultent avant tout
du travail du notaire. Ces documents sont encore trop fréquemment utilisés pour leur seul
contenu dans des approches socio-économiques, oubliant ainsi leur matérialité.
Peut-on pour autant parler d’un marché de l’acte écrit6 ? C’est cette question que nous nous
proposons d’étudier, par l’analyse de plusieurs comptabilités : afin de comprendre comment
s’opère l’attribution des fermes des écritures, il faut utiliser les comptabilités domaniales. Ces
documents, assez nombreux, permettent de suivre l’évolution des fermes et de leur prix, afin
de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans leur attribution. Pour étudier la vente des actes
notariés, à défaut de documents comptables émanant des notaires eux-mêmes, les registres de
comptes des clients des notaires nous éclairent sur l’achat des actes notariés : comment cet
achat s’opère-t-il ? Les prix sont-ils fixés par un tarif rigide ?
1. L’entrée dans le marché : les comptabilités domaniales
a) Contenu du compte
Un compte domanial regroupe les recettes et les dépenses d’une circonscription
administrative. Parmi les recettes, se trouvent deux principaux chapitres : le domaine fieffé et
le domaine non fieffé. Dans le premier, sont répertoriés les héritages appartenant au domaine
et administrés par les officiers : terres, maisons, moulins, … Dans le domaine non fieffé ou
muable, ce sont principalement les offices baillés (sergenteries, prévôtés, sceaux, écritures,
…), les amendes de justice perçues, les droits de mutation, … Les dépenses sont moins
classifiées : de montants variables selon les années, elles regroupent les frais de
correspondances, les frais de justice (salaire du bourreau, …), les salaires des officiers, …7 De
tels registres sont conservés en grand nombre pour la Normandie8, mais cette masse cache des
5 En dernier lieu, voir Les tabellions, actes des colloques, Paris, septembre 2005 et 2007 : la première partie du
colloque de septembre 2007 porte sur le thème « Offres d’actes et concurrences ». 6 Une même interrogation sert de trame à L. FELLER et C. WICKHAM (dir.), Le marché de la terre au Moyen Âge,
Rome, 2005. 7 La composition des comptes domaniaux est uniforme dans le royaume de France, par l’utilisation de formulaire
(J. R. STRAYER, The administration of Normandy under Saint Louis, Cambridge Mss., 1932, pp. 36-37.). Les
registres de comptabilité domaniale de Savoie sont construits sur la même structure (C. GUILLERE et G. CASTELNUOVO, De la comptabilité domaniale à la comptabilité d’Etat : les comptes de châtellenie savoyards,
dans N. COQUERY, F. MENANT et F. WEBER (dir.), Ecrire, compter, mesurer, vers une histoire des rationalités
pratiques, Paris, 2006, pp. 213-230. 8 Près d’une centaine de registres pour la période 1356-1557 sont conservés aux ARCHIVES NATIONALES (AN),
série P, Mélanges (P 19172 à P 19213) ; d’autres sont conservés dans la série A des Archives départementales
(par exemple, ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE L’ORNE (ADO), A 422, fragment de compte de la vicomté
d’Alençon des années 1390) D’autres registres, entiers ou sous forme de fragments, sont conservés à la
BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE (B.n.F.), dans la série des Quittances et Pièces diverses, fr. 25992 à
26100. Enfin, certains registres ne sont connus que par des éditions : A. MILET, Comptabilité publique sous la
3
diversités. Il existe de plusieurs types de registres : au-delà des comptes finaux (registres
soignés récapitulant les revenus attendus des recettes et des dépenses d’une circonscription),
certains registres, appelés « état au vrai » consignent les recettes et dépenses réellement
engagées. Ces documents sont parfois assez généraux et nous apportent seulement des
données chiffrées. Les registres des baux des fermes contiennent souvent, outre le prix final
des fermes, le nom des enchérisseurs et le montant de chaque enchère. Enfin, un seul
« registre journal » a été identifié : il indique, pour l’ensemble de la circonscription, les seules
recettes et, pour chacune, le nom du payeur et la date de paiement9. Une première remarque
s’impose donc : sous le terme de « comptabilité domaniale », se trouvent de nombreux
documents qui n’apportent pas tous les mêmes informations.
Avant d’étudier l’évolution des prix, il est nécessaire de s’interroger sur les termes qui
désignent ces fermes. Les premières comptabilités utilisent le seul terme de « sceau », comme
cela apparaît dans les premiers comptes royaux conservés :
Domaine de Caen, Saint-Michel 1292
« De sigillo baillivie Cadomi : 60 s. »
« De sigillo vicecomitatus : 64 l. 11 s. 8 d. »
« De sigillo memorialium ibidem : 7 l. »
Domaine de Falaise
« De sigillo Falesie : 26 l. »10 »
A partir de la fin du XIIIe siècle, au sceau sont couplées les « écritures », soit affermées avec le
sceau, soit affermées séparément :
Châtellenie de Domfront (compte de Simon de Mauregart), Ascension 129611
« Item pour le scel et l’escriture des lettres par I an vendu a Bertelot Macé . XL . lb. paies a II
termes pour le secont terme XX lb. »
Bailliage de Verneuil (compte de Jehan de Saint-Léonard), Saint-Michel 1297
« De sigillo vicecomitatus Vernolii : 12 l. 3 s. »
« De litteris : 63 s. 9 d. »12
domination anglaise au XVe siècle : comptes de la vicomté de Neufchâtel, 1443 et 1456, dans Société de
l’Histoire de la Normandie. Mélanges, documents, t.7, 1907, pp.195-221 et H. de FRONDEVILLE, Compte de Jean
Le Muet, vicomte d’Orbec pour la saint Michel 1444, Etudes lexoviennes, t.4, 1936, pp.120-205. 9 BnF, n.a.f. 20929, journaux royaux des plaids de la vicomté de Valognes (titre trompeur puisqu’il s’agit de
registres de comptes), 1439-1440. 10 R. FAWTIER, (éd.), Comptes royaux (1285-1314), tome 1 : comptes généraux, Paris, (« Recueil des historiens
de la France, documents financiers », 3), rôle des bailliages de Normandie pour l’Echiquier de la saint-Michel
1292 (AN, J 780, n°8, p.2-11), p.338 pour le domaine de Caen, p.339 pour le domaine de Falaise. 11 AN, K 496/ 5, comptes divers de la châtellenie de Domfront, 1296-1299.
4
La ferme des écritures prend le nom de « tabellionage » dès 1356 à Coutances, dans le dernier
tiers du XIVe siècle dans le reste de la Normandie.
Si l’étude de la terminologie n’est pas primordiale dans la question du marché de l’écrit, il est
nécessaire de connaître son évolution pour comprendre les variations des montants des
fermes : le dédoublement de la ferme entre les sceaux et les écritures a des conséquences sur
son prix et il n’est pas certain que la ferme des sceaux et celle des écritures suivent la même
évolution.
b) Evolution du montant des fermes
Les comptabilités domaniales permettent d’observer les tendances des prix des fermes pour
plusieurs circonscriptions normandes13.
1
10
100
1000
10000
100000
14
53
14
55
14
57
14
59
14
61
14
63
14
65
14
67
14
69
14
71
14
73
14
75
14
77
14
79
14
81
14
83
14
85
14
87
14
89
14
91
14
93
14
95
14
97
14
99
15
01
15
03
15
05
15
07
15
09
15
11
15
13
15
15
15
17
15
19
15
21
15
23
Tabellionage
Sceau de la vicomté
Sceau du bailliage
Figure 1 Evolution du montant des fermes des sceaux et écritures de la vicomté de Rouen, 1453-1524 (en
sous)
Ce premier graphique présente l’évolution du montant des fermes de la vicomté de Rouen
pour la seconde moitié du XVe siècle et jusqu’en 1524. Concernant la ferme des écritures, on
observe une baisse entre 1453 et 1462 ; puis une hausse jusqu’au début du XVIe siècle ; et
12 Ibid., rôle des bailliages de Normandie pour l’Echiquier de la saint-Michel 1297 (AN, J 780, n°10, f°2-7),
p.354. 13 Voir en annexe la carte de situation. Les fermes sont achetées pour des durées variables, entre un et trois ans ;
leur montant a été annualisé.
5
enfin une nette baisse dans les deux premières décennies du XVIe siècle. En revanche, les deux
fermes de sceaux ont un montant constant ; or, ces mêmes comptes nous apprennent que le
garde des sceaux de la vicomté de Rouen est un officier salarié de l’administration : il apparaît
en effet parmi les officiers gagés de cette circonscription. Ces deux fermes ne sont pas issues
d’une mise en concurrence : il s’agit d’une part fixe prise sur les revenus de ces offices et
rendue au roi.
1
10
100
1000
10000
1450
1452
1454
1456
1458
1460
1462
1464
1466
1468
1470
1472
1474
1476
1478
1480
1482
1484
1486
1488
1490
1492
1494
1496
1498
1500
1502
1504
Ecritures/tabellionage
Sceau
Mémoriaux et actes de vicomté
Figure 2 Evolution du montant des fermes des sceaux et écritures de la vicomté d’Arques, 1450-1505 (en
sous)
Pour la vicomté d’Arques, tout comme la ferme des écritures, la ferme des sceaux présente de
nombreuses variations : il y a donc enchère. La ferme des mémoriaux (actes écrits lors des
plaids de vicomté), quant à elle, ne varie pas (même si ces revenus ne sont connus que pour
les années 1450 et 1458) : comme dans le cas de la vicomté de Rouen, cette ferme est
probablement une part fixe prise sur les revenus du vicomte. En ce qui concerne la ferme des
sceaux et celle des écritures, nous observons une nette hausse entre 1458 et 1478 ; une
stagnation au début des années 1480, puis une très brusque augmentation jusqu’au début du
XVIe siècle. La baisse observée pour le prix de la ferme du tabellionage entre 1496 et 1505
correspond peut-être à un équilibrage, puisque la ferme du sceau continue d’augmenter dans
6
le même temps : le montant de la ferme du tabellionage de 1496 est peut-être lié à une
surenchère pour cette période, qui se rééquilibre par la suite.
1
10
100
1000
10000
1453
1456
1459
1462
1465
1468
1471
1474
1477
1480
1483
1486
1489
1492
1495
1498
1501
1504
1507
1510
1513
1516
Sceau de la vicomté
Tabellionage de
Carentan
Tabellionage de
Sainteny
Tabellionage de
Géfossé
Tabellionage de la
sergenterie de Saint-
Rémy
Tabellionage de la
sergenterie de Sainte-
Marie du Mont
Tabellionage de la
sergenterie de Sainte-
Mère l'Eglise
Tabellionage de la
sergenterie du
Hommet
Tabellionage du Mont-
en-Bessin
Tabellionage de la
sergenterie de Saint-
Lô
Figure 3 Evolution du montant des fermes des sceaux et écritures de la vicomté de Carentan, 1453-1517
(en sous)
Dans cette dernière figure, seules les fermes des écritures apparaissent, pour les différents
sièges composant la vicomté de Carentan. Le montant des revenus du sceau de la vicomté
n’évolue pas entre 1461 et 1515 : comme dans les exemples précédents, cette partie des
revenus des sceaux et écritures n’est pas mise aux enchères. Les sièges de tabellionage de la
vicomté de Carentan sont régulièrement remembrés durant la période : le siège de Saint-Lô
n’apparaît pas qu’à partir de 1461 ; en 1517, le tabellionage de Carentan est démembré, avec
la création des sièges de Sainteny et Géfossé ; le tabellionage du Hommet connaît la même
situation, par la création du tabellionage du Mont-en-Bessin. Les évolutions sont nettement
plus irrégulières que dans les exemples précédents : on peut observer une hausse relative pour
plusieurs des fermes, mais aussi une baisse pour d’autres (notamment pour la ville de Saint-
Lô). Par contre, on constate une baisse ou une stagnation de toutes les fermes dans le compte
de 1517.
7
Une première évolution se dégage : le prix des fermes des écritures en Normandie a augmenté
durant la seconde moitié du XVe siècle, à quelques exceptions près. Certes, les dévaluations
monétaires sont à prendre en compte : la teneur en argent de la monnaie connaît une baisse de
près de 30 % durant la même période14. Mais, même en tenant compte de ces dévaluations, la
tendance générale reste celle d’une augmentation des montants. Des phénomènes nationaux
ou locaux viennent nuancer cette tendance : la guerre de la ligue du bien public et la présence
des troupes bretonnes en Cotentin dans les années … ont un impact au niveau des échanges
économiques, donc, indirectement, sur les montants des fermes, tout comme les nombreuses
épidémies (en 1517, une épidémie de peste se propage dans la région de Carentan, ce qui
explique en partie les baisses observées). L’analyse de l’évolution du montant des fermes
amène une seconde remarque : les fermes étant attribuées aux enchères, cette évolution est
représentative de l’intérêt des spéculateurs. Lors de difficultés, les montants des fermes
baissent logiquement ; dans les moments de paix, ils remontent.
Enfin, un dernier point doit être signaler : les échelles sont nettement différentes en fonction
des circonscriptions. Les écritures de la vicomté de Rouen sont comprises entre 12 000 et
34 000 sous par an ; celles de la vicomté d’Arques entre 100 et 2 800 sous par an ; le
tabellionage de Carentan n’est jamais attribué au-delà de 3 000 sous annuels. Il semble
possible d’élaborer une hiérarchie urbaine, voire des circonscriptions entières, à partir des
montants des fermes. Ceux-ci sont liés à la rentabilité attendue par les investisseurs, qui varie
selon les espaces géographiques.
c) Des contrastes géographiques
La comparaison des fermes de villes d’un même espace permet d’analyser de façon plus
précise les différences régionales. L’étude se doit de couvrir des années proches afin d’éviter
d’une part les difficultés de méthode liées aux dévaluations et d’autre part de limiter les
conséquences de phénomènes tels que les guerres, …
14 D. ANGERS, Mobilité de la population et pauvreté dans une vicomté normande de la fin du Moyen Age, dans
Journal of Medieval History, n°5, 1979, pp.233-248, spécialement p.244, citant FOURNIAL, Histoire monétaire
de l’Occident médiéval.
8
La Ferté-Macé (1371)
Briouze (1371)
La Forêt Auvray (1371)Bretteville (1371)
Saint-Pierre sur Dives (1371)
Ecouché (1369)
Trun (1369)
Saint-Sylvain (1369)
Essay (entre 1370 et 1390)
Exmes (1371)
Argentan (1371)
Sées (1371)
Falaise (1371)Alençon (vers 1390)
1
10
100
1000
10000
Chât
elle
nie d
e Tru
n
Chât
elle
nie d
e Tru
n
Chât
elle
nie d
e Tru
n
Chât
elle
nie d
'Ess
ay
Chât
elle
nie d
'Exm
es
Chât
elle
nie d
'Exm
es
Chât
elle
nie d
'Exm
es
Sergen
terie
de
Falai
se
Sergen
terie
de
Bre
ttevi
lle
Sergen
terie
de
Sai
nt-Pie
rre
sur D
ives
Sergen
terie
du H
omm
et
Sergen
terie
du H
omm
et
Sergen
terie
de
La Fer
té-M
acé
chât
elle
nie d
'Ale
nçon
Figure 4 Montants des fermes des sceaux et écritures du domaine d’Alençon et de la vicomté de Falaise,
1369-1390 (en sous)
Les circonscriptions présentes dans cette figure appartiennent à l’apanage d’Alençon
(châtellenie de Trun, d’Essay, d’Exmes, d’Alençon) et à la vicomté de Falaise dépendante du
domaine royal (sergenteries de Falaise, Bretteville, Saint-Pierre-sur-Dives, du Hommet et de
la Ferté-Macé). Quatre espaces se distinguent : les villes d’Alençon, Essay, Falaise et Saint-
Pierre-sur-Dives. Pour les deux premières, le montant des fermes est peut-être lié à la date
tardive des comptes (vers 1390 pour l’une, entre 1370 et 1390 environ pour la seconde). Deux
remarques doivent être présentées pour les fermes de la vicomté de Falaise : seule la
sergenterie de Falaise comporte une ferme du sceau. Les actes écrits dans les autres sièges de
tabellionage de la vicomté de Falaise doivent être scellés à Falaise. Les fermes des autres
sergenteries sont donc réduites aux seules écritures, ce qui explique en partie la faiblesse des
chiffres. Le second point porte sur la nature même de ces sièges : ce sont, pour la plupart, des
bourgs ruraux, assez éparpillés, et dépourvus de murailles. Ces caractéristiques constituent
peut-être une autre explication de la faiblesse des montants des fermes. Au contraire, les trois
fermes les plus importantes, Alençon, Essay et Falaise, ont des caractéristiques communes :
ce sont des centres administratifs, regroupant les tribunaux de vicomté (et également de
bailliage pour Alençon), ainsi que des marchés et des foires importantes (notamment la foire
de Guibray à Falaise qui, de par sa proximité géographique, a également un rôle dans le
9
dynamisme de Saint-Pierre-sur-Dives). Essay est une ville secondaire de ce point de vue, mais
la présence de la cour du comte d’Alençon peut expliquer le niveau atteint par les fermes des
sceaux et écritures du lieu. Le faible montant de la ferme de la ville de Sées trouve ses causes
dans d’autres facteurs, propres à cette cité : elle est divisée en trois bourgs, celui de l’évêque,
celui du roi et celui du comte d’Alençon, ayant chacun une juridiction propre. Le chiffre
indiqué dans la figure est celui de la seule juridiction royale : il ne s’agit donc que d’une
partie de la valeur de la ferme des écritures dans la ville.
Etudions maintenant la situation pour le XVe siècle.
1
10
100
1000
10000
siè
ge
de
Sa
int-
Ja
me
s
siè
ge
de
s G
en
êts
siè
ge
du
Mo
nt-
Sa
int-
Mic
he
l
siè
ge
du
Me
sn
il-A
de
lée
siè
ge
de
Pré
ce
y,
Po
ille
y e
t P
ou
tau
ba
ult
siè
ge
d'A
vra
nc
he
s
siè
ge
de
Po
nto
rso
n
siè
ge
de
Ca
ren
tan
se
rge
nte
rie
de
Sa
int-
Ré
my
se
rge
nte
rie
de
Sa
inte
-Ma
rie
du
Mo
nt
se
rge
nte
rie
de
Sa
inte
-Mè
re l
'Eg
lis
e
se
rge
nte
rie
du
Ho
mm
et
se
rge
nte
rie
de
Sa
int-
Lô
siè
ge
de
Co
uta
nc
es
siè
ge
de
Ré
gn
ev
ille
siè
ge
de
Cé
ren
ce
s
siè
ge
de
Vil
led
ieu
[-le
s-P
oë
les
]
siè
ge
de
Ga
vra
y
siè
ge
de
Ce
nil
ly
siè
ge
de
Te
ss
y[-
su
r-V
ire
]
siè
ge
de
Ma
rig
ny
siè
ge
de
Qu
ibo
u
siè
ge
de
Bré
ha
l
siè
ge
de
Sa
rtil
ly
siè
ge
de
la
Ha
ye
-Pa
yn
el
siè
ge
de
Vir
e
siè
ge
du
To
urn
eu
r
siè
ge
de
Po
nt-
Fa
rcy
siè
ge
de
Sa
int-
Se
ve
r
siè
ge
de
Sa
int-
Je
an
-le
-Bla
nc
siè
ge
de
Va
ss
y
Vicomté
d'Avranches
1459
Vicomté de
Carentan
1461
Vicomté de
Coutances
1461
Vicomté de
Vire 1473
Figure 5 Montants des fermes des sièges de tabellionage de Basse-Normandie et Cotentin, 1459-1473
Comme dans le graphique précédent, les sièges urbains regroupent les fermes les plus
importantes (Avranches, Carentan, Saint-Lô, Coutances, Gavray, Vire). Ces lieux, sièges de
circonscription administrative, de marchés, de foires, d’institutions religieuses, présentent les
fermes les plus chères. Il est possible de construire des hiérarchies entre ces villes : le siège de
Vire, dont la ferme est la plus chère de la vicomté, apparaît faible en comparaison des autres
sièges de vicomté, voire même de centres urbains secondaires, comme Gavray ou Saint-
James. Les espaces plus ruraux, comme les sièges de la vicomté de Vire ou de la vicomté de
Coutances, n’appellent pas de spéculation importante : il faut noter que le montant de ces
10
fermes est très faible et peut être équivalent à des rentes portant sur des terres. La mise aux
enchères ne joue un rôle mineur dans ces situations.
1
10
100
1000
10000
100000
vic
om
té
d'A
vra
nc
he
s
(14
59
)
vic
om
té d
e
Go
urn
ay
-en
-Bra
y
(14
60
)
vic
om
té d
e
Care
nta
n (
14
61
)
vic
om
té d
e
Co
uta
nc
es
(1
46
1)
vic
om
té d
e
Bay
eu
x (
14
61
)
vic
om
té d
e
Bea
um
on
t-le
-
Ro
ge
r (1
46
1)
vic
om
té d
e R
ou
en
(14
62
)
vic
om
té d
e
Neu
fch
âte
l-e
n-
Bra
y (
14
62
)
vic
om
té d
e C
ae
n
(14
63
)
vic
om
té d
e F
ala
ise
(14
68
)
vic
om
té d
e P
on
t-
de
-l'A
rch
e (
14
68
)
Figure 6 Montants des fermes de tabellionage de vicomtés normandes, 1459-1468 (en sous)
Ce graphique montre une hiérarchie des espaces normands : la ferme la plus chère se trouve
dans la vicomté de Rouen (12 000 s. annuels), devant la vicomté de Caen (7130 sous annuels).
Trois espaces se situent à un niveau proche : Carentan, Coutances et Bayeux (circonscriptions
qui sont, de plus, à proximité les unes des autres). On observe un autre groupe formé des
vicomtés d’Avranches et de Falaise. Enfin, quatre vicomtés (Gournay, Beaumont, Neufchâtel
et Pont-de-l’Arche) ont des montants de fermes qui s’échelonnent entre 600 et 1 200 s.
annuels. Ces dernières sont de petites circonscriptions, situées à proximité de la vicomté de
Rouen. Il est probable que ce voisinage soit préjudiciable à une attraction économique de ces
vicomtés.
Les fermes des sceaux et écritures nous apportent de nombreuses informations : elles
permettent de comprendre quelle fonction est attachée aux fermes, et, surtout, d’observer les
évolutions des prix. Ces prix sont représentatifs des recettes envisagées par les enchérisseurs.
Même si ces fermes nécessitent des compétences que tous les enchérisseurs n’ont pas, elles
11
sont donc appréciées comme source de revenus, dans des conditions favorables. En outre, se
dégagent des hiérarchies entre les sièges, que ce soit au niveau local ou régional. L’attractivité
de ces fermes est liée au dynamisme économique des localités. Ces différences amènent
l’existence de deux marchés des fermes en fonction des montants : alors que, dans les
circonscriptions les plus importantes, les enchérisseurs ont besoin de se regrouper pour
apporter les capitaux nécessaires à l’achat de la ferme (une somme de 30 000 s. annuels
comme pour la ferme du tabellionage de la vicomté de Rouen est difficile à fournir par un seul
investisseur), dans les plus petites circonscriptions, il est possible d’acquérir une ferme à un
prix faible. Cette analyse amène à la question de la concurrence : celle-ci ne concerne pas
forcément les fermes les plus onéreuses, qui nécessitent une mise en commun de capitaux. La
question de concurrence entre les enchérisseurs est donc à prendre en compte, même si toutes
les comptabilités domaniales ne permettent pas de l’étudier.
Voyons maintenant l’autre versant de la production écrite : la vente des actes et leur prix.
2. Le prix des actes à partir des comptabilités des clients des notaires
Peu d’études se sont penchées sur la vente des contrats de notaire. Mais chaque acte est un
objet, produit par des personnes ayant des compétences spécifiques. Notre point de vue sur le
contrat change alors : l’acte écrit n’est plus seulement la trace d’un échange entre deux
contractants, il est aussi un échange entre le notaire et la personne qui demande son acte.
a) Les sources
Les comptabilités notariales paraissent être la source la plus intéressante de ce point de vue.
Mais peu de comptabilités de ce type sont conservées pour la Normandie : je n’ai trouvé que
deux feuillets de comptabilité, l’un fragmentaire pour la fin des années 1440 et l’autre pour
l’année 1501. Ces documents, isolés, ne nous permettent pas de connaître le coût des actes et
les pratiques de la vente.
Un second corpus de documents est constitué des comptabilités d’institutions. Les institutions
conservent en effet des comptabilités de façon plus courante que les laïcs. Dans la région
d’Alençon, qui constitue le centre de mes recherches, je n’ai pas trouvé, à ce moment, de
comptabilités seigneuriales. Par contre, des séries comptables existent pour plusieurs
institutions. Certaines d’entre elles consignent dans leur comptabilité les dépenses pour achats
12
de lettres et celles liées aux procès : c’est le cas de l’hôtel-Dieu d’Alençon15. Cependant,
l’inscription de ces dépenses dans les comptes n’est pas un phénomène général : si de telles
mentions apparaissent également dans un compte d’une des paroisses alençonnaises16, elles
sont moins nombreuses dans les institutions de la ville d’Argentan à la même période17. Le
tableau suivant synthétise les données répertoriées :
0
2
4
6
8
10
12
1379-
1391
1392-
1401
1402-
1411
1412-
1421
1422-
1431
1432-
1441
1442-
1451
1452-
1461
1462-
1471
1472-
1481
1482-
1491
1492-
1501
1502-
1511
Hôtel-Dieu d'Alençon
Paroisse Notre-Dame d'Alençon
Hôtel-Dieu d'Argentan
Paroisse Saint-Germain d'Argentan
Nombre de registre contenant des
mentions d'achats de lettres
Figure 7 Répartition chronologique du nombre de comptes d’institutions ecclésiastiques et évolution des
mentions d’achats de lettres
Pour chaque décennie, ont été recensés les registres de comptes conservés par chaque
institution (histogramme) et le nombre total de registres comportant des achats de lettres
(courbe). La première décennie commence en 1379, date du premier compte conservé pour
l’hôpital d’Alençon. Parmi ces onze comptes, seul un mentionne un achat de lettres. A partir
des années 1420, les comptes de l’hôtel-Dieu d’Alençon et de la paroisse Notre-Dame
d’Alençon comportent de façon presque systématique des dépenses pour achats de lettres. La
situation argentanaise est nettement différente : nous trouvons peu d’indications dans les
comptes de l’hôpital de la ville ; quant à la paroisse Saint-Germain, les achats de lettres
15 ADO, H-Dépôt 1, H 131 à H 148, comptes des maîtres et administrateurs de l’hôtel-Dieu d’Alençon, 1379-
1503. 16 ADO, 1G 648, compte des trésoriers de la paroisse Notre-Dame d’Alençon, 1445-1447. 17 ADO, H-Dépôt 2, 1er compte, comptes des maîtres et administrateurs de l’hôtel-Dieu d’Argentan, 1402-1456
et BnF, n.a.f. 10560, comptes de la paroisse Saint-Germain d’Argentan, 1410-1477.
13
mentionnés sont liés à une donation faite par un particulier. Pourtant une institution comme
l’hôtel-Dieu d’Argentan est un des plus importants propriétaires terriens de la ville et possède
un riche chartrier : l’absence de mention d’achats de lettres ne signifie pas que ces institutions
n’achètent pas de lettres, mais plutôt que cette dépense n’est pas transcrite dans les comptes.
Les achats de lettres se trouvent dans la partie des dépenses de l’institution : selon les
comptes, ils apparaissent soit dans une rubrique à part entière (« dépenses pour procès » ou
« dépenses pour achat de rente » dans les comptes de l’hôpital d’Alençon), soit dans les
dépenses communes (comptes d’Argentan et compte de la paroisse d’Alençon). Le fait qu’une
rubrique soit spécifique aux dépenses pour écritures dans certains comptes de l’hôtel-Dieu
d’Alençon montre l’intérêt porté à ce type de dépenses.
b) Représentativité des sources
Si ces comptes permettent de combler l’absence de comptabilités notariales, ils ne concernent
qu’un client spécifique et non la totalité de la clientèle du notaire. La première interrogation
concerne donc la représentativité de ce corpus : ces institutions constituent-elles le client
principal du tabellion ? En l’absence de registre de notaire à Argentan, l’étude ne peut être
faite que pour les seules institutions de la ville d’Alençon.
La part des institutions parmi les clients des notaires a été appréciée pour un an, de septembre
1453 à septembre 1454 : 18 établissements religieux ou fabriques apparaissent, parmi plus de
900 contractants. Mais l’importance de ces institutions dans la relation avec le notaire porte
principalement sur le nombre de contrats passés.
14
8%
92%
Institutions
Autres
Figure 8 Part des contrats passés par des institutions ecclésiastiques dans la totalité des contrats
enregistrés, pour la période 1453-1454
Ces dix-huit institutions passent 81 contrats pour l’année, soit un peu plus de 8 % du total des
actes. Cette part est encore plus réduite lorsque l’hôtel-Dieu et la paroisse Notre-Dame sont
pris individuellement : un peu plus de 1 % des actes pour l’hôpital, moins de 0,5 % pour la
fabrique. Les deux institutions ne représentent qu’une partie infime des clients des notaires,
tant par rapport à l’ensemble des clients que par l’activité notariale. Les données élaborées à
partir des comptes ne sont donc que des bribes d’un ensemble qu’il faut imaginer plus vaste.
c) Apport
Présenter l’ensemble des mentions n’est pas pertinent : en effet, les 68 mentions assez
précises recensées s’étalent sur une période longue (de 1391 à 1501), pour des lieux divers.
Mais leur étude permet dans un premier temps de comprendre ce qui est payé par le client du
notaire : est-ce seulement l’écriture de la lettre ? Ou l’écriture et l’apposition du sceau sur la
lettre ?
Institution Date Mention d’achat de lettres Prix
Hôtel-Dieu
d’Alençon 1391 « Pour la lettre du partage de Clément Jarri et une copie » 4 s.
Hôtel-Dieu
d’Alençon 1435-1436
« Pour l’émolument d’une lettre faisant mention de certain
appointement fait avec Juliot Lemoulinier héritier de feu
Jehan Quoce, contenant 6 s. 6 d. de rente »
5 s.
15
Hôtel-Dieu
d’Alençon 1440-1441
« Pour l’écriture et scel de trois lettres, l’une faisant
mention de 5 s. de rente sur la maison feu Perrot Guénivet,
l’autre contenant 25 s. de rente sur Guillaume Dumesnil
qu’il a baillés en échange sur les héritiers de feu Colin
Psallot et l’autre faisant mention du don d’une maison
laissée par feu messire Jehan Leverrer »
8 s. 5 d.
Paroisse Notre-
Dame d’Alençon 1445-1447
« Pour la lettre du don de 5 s. t. de rente donné par Jehan
de Saint-Denis [deffunt Guillaume Lerouillié barré] audit
trésor qui lui étaient tenus faire les hoirs feu Guillaume
Boudan laquelle lettre a été passée par Jehan de Saint-
Denis comme nouveau don »
16 d.
Paroisse Saint-
Germain
d’Argentan
Novembre
1456
« Pour un contract passé entre Guillot Legresle et lesdits
tresoriers le 25e jour de novembre 1456 touchant 6 s. t. de
rente qu’il s’est obligié fere du nombre de 7 s. 6 d. que l’en
lui demandoit »
2 s. 9 d.
Hôtel-Dieu
d’Alençon 1489-1490
« Pour l’émolument et écriture du bail de la métairie de
Hertré, fait à Louis Costart » 10 s.
Tableau 1 Intitulés des dépenses pour achats de lettres de plusieurs institutions, 1391-1490
Les descriptions des actes achetés sont assez variées : s’il arrive que seul le contrat soit
désigné comme dépense (« lettre du partage », « lettre du don » ou « un contract »), la
mention la plus fréquente considère le coût global de l’acte (l’« émolument »). Ces dépenses
consistent en deux éléments, l’écriture et le scellement du contrat. Le prix de l’acte regroupe
donc les deux éléments qui apparaissent dans les indications de fermes que nous avons
étudiées : d’un côté le sceau, de l’autre l’écriture de l’acte.
Comparons maintenant des achats sur des moments chronologiques assez proches, afin de
comprendre comment ces prix sont déterminés.
Institution Date Nom du
scripteur
Juridiction
de la lettre
Description de
la lettre
Montant
du
contrat
Nombre
de lettres
Prix des
actes
(somme
indiquée)
Prix des
actes
(deniers)
Hôtel-Dieu
d’Alençon
Juillet
1444
Jean
Moynet
tabellion
Châtellenie
d’Alençon
Deux lettres à
propos de prés,
l’une des
lettres est pour
le seigneur
Non
indiqué 2 3 s. 36
Hôtel-Dieu
d’Alençon
Juillet
1445
Jean
Moynet
tabellion
Châtellenie
d’Alençon
Procuration des
bourgeois Rien 1 4 s. 6 d. 54
Paroisse
Notre-
Dame
d’Alençon
1445-
1447
Jean de
Guynes
tabellion
Châtellenie
d’Alençon
Don d’une
rente
5 s. de
rente 1 16 d. 16
16
Paroisse
Notre-
Dame
d’Alençon
1445-
1447
Jean de
Saint-
Denis
tabellion
Châtellenie
d’Alençon
Transport
d’une
reconnaissance
de dette
Non
indiqué 1 2 s. 3 d. 27
Paroisse
Saint-
Germain
d’Argentan
1446
Raoullet
Ameline
tabellion
Châtellenie
d’Argentan Don de rente
15 s. et
1 géline
de rente
1 27 d. 27
Hôtel-Dieu
d’Alençon
1446-
1447
Non
indiqué
Châtellenie
d’Alençon
Échange d’une
pièce de pré
Non
indiqué 1 2 s. 24
Hôtel-Dieu
d’Alençon
Juin
1446
Jean de
Guynes
tabellion
Châtellenie
d’Alençon
Procuration des
bourgeois Rien 1 5 s. 60
Paroisse
Saint-
Germain
d’Argentan
1447-
1448
Jean de
Lacroix
tabellion
Châtellenie
d’Argentan
« Pour la façon
d’une lettre »
Non
indiqué 1 18 d. 18
Tableau 2 Prix des actes achetés par diverses institutions, 1444-1448
Ce tableau montre une certaine diversité des prix ; pour une même cause (procuration des
bourgeois à l’hôpital d’Alençon), deux prix apparaissent, à un an d’intervalle seulement. La
variété des prix peut avoir plusieurs explications : d’une part la longueur du contrat, c’est-à-
dire la quantité d’écriture du tabellion ; d’autre part, le montant des contrats. La comparaison
chronologique n’apporte donc pas beaucoup d’informations. Le corpus étant trop disparate,
étudions les achats auprès d’un tabellion par l’hôtel-Dieu d’Alençon entre 1427 et 1433 et de
tabellions d’Argentan pour la période 1456-1462 :
Numéro Date Description de la lettre Montant du
contrat
Nombre
de lettre
Prix des actes
(somme
indiquée)
Prix des
actes
(deniers)
1 1427-
1428 Achat de 5 pièces de pré 100 l. 1 9 s. 4 d. 112
2 1432-
1433 Obligation de 12 s. de rente
12 s. de
rente 1 2 s. 24
3 1432-
1433 Obligation de 24 s. 6 d. de rente
24 s. 6 d.
de rente 2 2 s. 3 d. 27
4 1432-
1433 Obligation de 53 s. de rente
53 s. de
rente 1 3 s. 6 d. 42
5 1432-
1433 Obligation de 30 s. de rente
30 s. de
rente 1 3 s. 6 d. 42
6 1432-
1433 Obligation de 60 s. de rente
60 s. de
rente 1 4 s. 6 d. 54
Tableau 3 Actes achetés par l’hôtel-Dieu d’Alençon auprès de Pierre Gosselin, tabellion d’Alençon, 1427-
1433
17
Seules deux lettres ont été payées au même prix, une obligation de rente de 30 s. et une
obligation de rente de 53 s., pour 3 s. 6 d. Un coût identique pour des montants de contrats
aussi différents peut surprendre. Il faut l’attribuer au système de tarification : ce tableau
montre que la tarification est construite par palier. Il est probable qu’il existe un palier
concernant les rentes entre 30 et 59 s., pour lesquelles les actes coûtent 3 s. 6 d. Au-dessous,
l’acte vaut 2 s. 3 d. (prix de l’acte de 24 s. 6 d. de rente) et au-dessus, 4 s. 6 d. (prix de l’acte
de 60 s. de rente). La différence entre les obligations de rente de 12 s. et de 24 s. 6 d. amène
également à penser qu’il existe un palier à la valeur de 20 s. de rente. C’est bien le tarif des
notaires alençonnais qui apparaît à travers ces mentions.
Nom du
notaire Date Description de la lettre
Nombre
de
lettres
Montant
du contrat
Prix
d’achat
de la
lettre
(somme
indiquée)
Prix
d’achat
de la
lettre (en
deniers)
Guion
Bernart
Février
1457 Achat de 40 s. de rente 1 20 l. Gratuit 0
Jean
Bernart
Août
1456-
juillet
1460
Obligation de 10 s. de rente 1 10 s. de
rente 2 s. 6 d. 30
Jean
Bernart
Février
1459 Don de 60 écus 1 60 écus 18 s. 216
Jean
Bernart
Février
1459 Don de 100 écus 1 100 écus 23 s. 4 d. 280
Jean
Bernart
Janvier
1459 Achat de 60 s. de rente 2 30 l. 10 s. 120
Jean
Bernart
Juillet
1460
Achat de 60 s. de rente
Achat de 30 s. de rente
Achat de 15 s. de rente
3
30 l. et
montants
non
indiqués
11 s. 132
Jean
Bernart
Novembre
1462 Achat de 30 s. de rente 1 15 l. 5 s. 60
Jean
Bernart
Novembre
1462 Achat de 15 s. de rente 1 15 l. 4 s. 9 d. 57
Tableau 4 Actes achetés par la paroisse Saint-Germain d’Argentan auprès des tabellions Bernart, 1457-
1462
Les achats faits auprès des tabellions d’Argentan sont plus variés et il est difficile de
comprendre la tarification à l’œuvre. Ces mentions permettent de mettre en cause
l’application rigoureuse des tarifications des actes : un certain libre arbitre est laissé aux
18
tabellions. Un acte peut être gratuit : c’est le cas du premier exemple, dans lequel le
crédirentier est un certain Jean Bernart ; on peut supposer qu’il s’agit du même homme que le
tabellion d’Argentan. Le prix de l’acte s’inscrit donc ici hors d’une tarification ou d’un
marché, mais dans une relation particulière entre le tabellion et l’institution. On peut
remarquer également que le tabellion fait payer 10 s. pour deux lettres d’achat de 60 s. de
rente au prix de 30 l. en janvier 1459 et 11 s. pour trois lettres d’acquisitions de plusieurs
rentes valant au minimum 30 l. en juillet 1460. En admettant une équivalence entre les actes,
cela signifierait que la troisième lettre du lot de 1460 vaut 1 s. soit 12 d. ce qui semble peu
vraisemblable. L’achat des trois lettres a probablement fait l’objet d’un accord entre le
tabellion et l’hôpital : les trois lettres ayant été achetées au même moment, le tabellion leur a
fait un prix d’ensemble.
Les achats de lettres par les institutions permettent également de poser la question du salaire
du tabellion : il faut noter que l’écriture n’apparaît pas comme « l’émolument » dans l’acte.
L’écriture du contrat est donc bien le travail du tabellion, l’apposition du sceau étant
considéré comme une dépense. Une fois que le notaire a acheté la ferme, comment se
rembourse-t-il ? Les revenus de sa ferme sont assujettis à un tarif réglementé, propre à chaque
région : représentant de l’autorité administrative, il est obligé de respecter le plafond imposé
par ce tarif. Le salaire du tabellion se trouve soumis à deux impératifs : d’un côté, le
remboursement de la ferme avec une nécessité de bénéfices ; de l’autre un tarif réglementé
qu’il ne peut pas dépasser sous peine d’amendes.
Peut-on réellement parler de marché de l’acte écrit ? Il y a marché au sens où sont regroupés
une production (les actes), des vendeurs (les tabellions) et des clients. Ce marché est
fortement réglementé : le pouvoir royal contrôle les processus de production (réglementation
sur la forme des actes), et le prix de vente des actes. Malgré ces réglementations, on peut
observer une certaine forme de marché économique : les achats des fermes mettent en
concurrence de nombreux acteurs, ce qui prouve qu’il peut s’agir d’une source de revenus
importante. La concurrence s’opère également de façon géographique : le prix des fermes
varie suivant les régions et leur potentiel économique. Les comptabilités, tant domaniales que
des institutions, ne nous permettent pas d’accéder à l’ensemble des éléments constitutifs de ce
marché : la question de la demande en actes ne peut être étudiée par les comptabilités.
L’analyse des jeux de concurrence entre les enchérisseurs ne peut être menée pour l’ensemble
des circonscriptions. Enfin, il ne faut pas oublier que les tabellions ne sont pas le seul groupe
dans la production d’actes à la fin du Moyen Age : la concurrence peut jouer entre
19
circonscriptions, entre les différents officiers d’une même administration (le vicomte et le
tabellion par exemple) ou entre différentes juridictions (officialité et tabellions royaux,
tabellions seigneuriaux et tabellions royaux). De plus, les institutions dont les comptes sont
conservés peuvent, de façon plus aisée peut-être que les laïcs, produire leurs propres actes,
certes moins authentiques, mais sans surcoût. Les relations entre les notaires et ces institutions
s’inscrivent donc dans un contexte plus général de multiplicité des producteurs de l’écrit.
L’étude d’un marché de l’écrit devra donc prendre en compte l’ensemble de ces données.
Annexes
Figure 9 Carte de situation des sièges de tabellionage des vicomtés normandes, deuxième moitié du XVe
siècle, d’après P. Gouhier, A. Vallez et J.-M. Vallez, Atlas historique de Normandie, Caen, CRHQ, 1967