l'écologie urbaine à l'épreuve de bruxelles

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Allan WEI L'écologie urbaine à l'épreuve de Bruxelles la nature à Forest dans un contexte de densification - directeur : Mathieu Van Criekingen - mémoire présenté dans le cadre du master en sciences géographiques à finalité didactique - Année académique 2013-2014 - Université Libre de Bruxelles -

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Allan WEI

L'écologie urbaine à l'épreuve de Bruxelles – la nature à Forest dans un contexte de densification -

directeur : Mathieu Van Criekingen

- mémoire présenté dans le cadre du master en sciences géographiques à finalité didactique -

– Année académique 2013-2014 -

– Université Libre de Bruxelles -

Table des matières

Introduction – p.2

A. Epistémologie de la recherche – p.31. archéologie de l'écologie2. constructivisme ou métaphysique critique ?3. le paysage comme ligne de fuite4. La nature en ville : tour à tour domestique, tour à tour sauvage

B. Implantation naturelle et historique – p.121. Forest et la Forêt de Soignes2. le bassin de la Senne et les zones humides3. Réseau viaire : des chemins aux chaussées4. Déboisement sans densification : la privatisation des campagnes 5. L'industrialisation des zones humides au 19ème

C. La forêt aménagée au 19ème : Léopold II, Victor Besme et l'agglomération bruxelloise – p.211. l'aménagement de Bruxelles : rénover le centre, accompagner la bourgeoisie en périphérie.2. le parc de Forest / Saint-Gilles, axe structurant de l'urbanisation ségrégante à Forest ?3. la Donation Royale4. Epilogue

D. La nature aménagée au 21ème siècle : bruxelles comme palimpseste ? - p.311. Densification : une utilisation parcimonieuse du territoire ?2. la gentrification à Forest, quels déterminants ?3. l'aménagement durable de la nature

a. l'espace vert : un produit fonctionnelb. le zonage de la nature, état des lieuxc. le maillage vert : promenades ou corridors écologiques ?d. l'émergence d'une police de l'environnement

E. Habitants ou éco-citoyens ? - p.48- casus : les marroniers de l'avenue du Roi- casus : la gestion du parc Duden- casus : le bassin versant de Forest- casus : aux sources du Geleytsbeek - le plateau Engeland à Uccle- casus : Brussels Farmer- casus : aux antipodes - Walckiers et Moeraske à Schaerbeek / Evere

E. La nature sauvage à l'épreuve de la densification : la rudéralité – p.551. lignes de fuite dans la métropole ?2. botanique de la friche

a. dynamique des populations et des communautésb. profil succinct de la flore bruxelloisec. l'invasion des plantes exotiques

3. cartographie de la friche

Conclusion – p.63

Bibliographie – p.65

Annexe 1 – Cartographie de trois friches dans le bas de Forest Annexe 2 – Transects – cartographies trajectivesAnnexe 3 – Profils de plantes invasives

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INTRODUCTION

La suspension de la question de recherche était un choix délibéré. Habitant le quartier, englobéphysiquement au sein de mon objet d'étude, il a fallu avant tout me départir de mes préconceptionsacadémiques, des propensions intellectuelles et politiques qui me constituent, de mon quotidien d'être vivant(parfois naturel). Il s'agissait de la seule démarche susceptible de répondre aux attentes humaines et sensiblesnombreuses autour de cette question. Il m'a fallu du temps, des rencontres et un défrichement conséquent del'état de l'art pour envisager pleinement l'homme comme partie prenante de la nature en ville, pourcomprendre le bâti comme donnée naturelle parmi d'autres en tant qu'il est minéral, transfert ettransformation de matières, déploiement d'énergie qu'il faut bien puiser quelque part. Il a fallu prendre durecul pour envisager le contexte de densification comme une dynamique qui dépasse la densité de populationou de fonctions.

La question de départ résulte donc de la confrontation entre deux termes: nature et ville. Il aura falluavant toute chose vaincre la méfiance envers les concepts qui se cachent derrière ces mots pour envisagerd'adopter une myopie méthodologique au sens que lui donne Bruno Latour1. Cette explicitation nous apermis de déplier historiquement les implications de la première question : Qu'est-ce que la nature en ville ?Il manquait à cette question une dimension dynamique, apportée par la notion de densification. Celle-ci aappelé à son tour un dévoilement épistémologique: ce processus urbain n'est pas neutre comme la notion degentrification nous a permis de le constater. Nous en sommes donc venus à analyser comment la nature sedéploie en ville dans un contexte de densification. La comparaison entre deux époques déterminantes adonné du relief à une question assez banale d'un point de vue anhistorique. Le focus géographique sur unezone déterminée du sud-ouest de Bruxelles nous a permis d'observer dans le détail et d'analyser ledéploiement spatial de notre question de recherche.

La construction de la méthodologie relève d'un processus stochastique. A priori, nous n'avons écartéaucune piste - en terme de sources, de terrains, d'archives, d'outils techniques (législations, cartographies) ouesthétiques (gravures, photos, cartes postales) - susceptibles de vérifier les hypothèses que nous n'avons punous empêcher de formuler à mesure que la recherche avançait. En termes de progression de la recherche, ilaura fallu cependant comprendre sur le terrain et dans les archives ce qui se fabrique, le bricolage du social,avant de pouvoir se pencher sur les logiques historiques et géographiques et sur leur représentationcartographique.

Nous avons choisi de nous concentrer sur la flore et d'écarter la faune du champ de recherche. Lerapport à l'animal pose en effet une série de questions propres : de nombreuses espèces sont compagnes 2,d'autres posent des questions territoriales de compétitions3, la biodiversité animale pose le problème del'échelle d'analyse, du visible et de l'invisible.4 Enfin, “L'animal évoque les difficultés de maîtrise decertaines espèces, les phobies que leur présence peut déclencher parmi les populations, phobies associées àune pensée de l'hygiène urbaine.5” Si on peut tenter de réaliser une histoire de la flore, une étude desdynamiques de populations et des communautés de plantes, il est plus difficile de tracer l'animal, plus mobileet contingent, et la mythologie qui l'accompagne. Le rapport à chaque espèce animale, visible ou invisible,est singulier.

1 Bruno Latour, Postface, in Benedikte Zitouni, Agglomérer, une anatomie de l'extension bruxelloise (1828-1915),Cahiers Urbains, Vubpress, 2010, p.273

2 Nathalie Blanc, Le face-à-face citadins/nature, in Multitudes, 2013/3 n°54, p.1323 Paul Arnould, La nature en ville : l'improbable biodiversité, in Géographie, économie, société, 2011/1 Vol.13, p.574 Paul Arnould, 2011, p.515 Nathalie Blanc, De l'écologique dans la ville, in Ethnologie Française, 2004

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A. EPISTEMOLOGIE DE LA RECHERCHE

Un champ nouveau implique de nouveaux concepts pour décrire les phénomènes. Il y a une luttepour la signification des concepts de nature, d'écologie, d'environnement plus particulièrement lorsqu'on leuraccole le qualificatif urbain, en effet, « le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou lessystèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer 6»Pour Braudel, «Il est hors de discussion que l’économie politique, d’un certain point de vue, est un ensemblede règles, systèmes et idées, qu’elle est aussi un vocabulaire. Or idées et vocabulaire ont leur proprehistoire.7 »

Le rejet du qualificatif politique en écologie place la “nature” dans une perspective super partes quitend à la naturaliser pour mieux justifier ce que ces concepts recouvrent effectivement. « Faire de l’analysehistorique le discours du continu et faire de la conscience humaine le sujet originaire de tout devenir et detoute pratique, ce sont les deux faces d’un même système de pensée. Le temps y est conçu en termes detotalisation et les résolutions n’y sont jamais des prises de conscience. 8»

Au contraire avec Foucault et Chouquer : “ Par ce terme de “politique” j'entends un ensemble deprocédures et de techniques pour apprendre à nommer, délibérer, ranger, hiérarchiser les objets, petits ougrands, en fonction des connaissances et des préoccupations du moment.9” Pourtant le sens commun ne s'ytrompe pas, la doxa populaire n'hésite pas à se fonder sur un certain héritage marxien : l'omniprésence desrapports de forces dans les dynamiques historiques et géographiques. L'éducation populaire et latransmission de ce qui se fabrique dans l'académie ne peut en faire abstraction10.

1. Archéologie de l'écologie

Ernst Haeckel (1834-1919), darwinien et médecin de formation, définit en 1866 l'écologie comme“la science des relations de l'organisme avec l'environnement” et précise en 1868: l'écologie est la sciencequi étudie “la distribution géographique des organismes11”.

Le milieu apparaît comme le produit de l'interaction entre les sociétés et la nature extérieure : “Aussile milieu général se décompose en éléments innombrables : les uns appartenant à la nature extérieure et quel'on désigne fréquemment comme le “milieu” par excellence, l'ambiance proprement dite; les autres, d'ordredifférent puisqu'ils proviennent de la marche même des sociétés et se sont produits successivement,accroissant à l'infini – par multiplication – la complexité des phénomènes naturels.12” Reclus, avec son géniede la formule typiquement positiviste, résume ainsi : “L'Homme est la Nature prenant conscience d'elle-même.13” Il est intéressant de remarquer que le terme environnement, qui désigne littéralement ce quienvironne, est importé de l'anglais qui ne dispose pas de terme pour désigner le concept de milieu, avant dele supplanter dans la littérature académique comme dans le sens commun: l'environnement est unedécouverte récente. La prépondérance du terme environnement n'est pas anodine – comme l'affirmaientDeleuze et Guattari en 1980 : « Les sociétés modernes ont remplacé les codes défaillants par un surcodageunivoque, et les territorialités perdues par une reterritorialisation spécifique.14 »

Or, la géographie – en tant que discipline - a manqué un rendez-vous épistémologique avecl'émergence de l'écologie au sens large. Il serait intéressant d'interroger les causes historiques et

6 Michel Foucault, l’Ordre du discours, 1970, in Philosophie (anthologie), p.3647 Fernand Braudel, Vers la plus grande histoire, 1958 in Fernand Braudel, Les ambitions de l’histoire, éditions de

Fallois, Paris, 1997, p.1188 Michel Foucault, l’Archéologie du savoir, 1969, in Philosophie (anthologie), p.3289 Gérard Chouquer, Crise et recomposition des objets : les enjeux de l'archéogéographie,in Etudes rurales, éditions de

l'EHESS, 2003/3 n°167-168, p.2110 Les articles de Paul Duvigneaud sont des monographies imprimées, rédigées en français et publiées par des

institutions qui constituent un relais entre l'académique et la “société civile” (sociétés botaniques, le centre d'étudedu FDF, le jardin Massart de l'ULB. Les articles consultés pour la réalisation de ce mémoire sont écrits au formatrevue, accessibles sur Internet, généralement payants (sauf affiliation académique). Voir notamment Pierre Meerts,Une représentation de la nature, in Pierre Meerts (dir.), Vers une nouvelle synthèse écologique, éditions du CIVA,Bruxelles, 2013, p.30

11 Thierry Paquot, “Environnement” et “milieu(x) urbain(s)” enquête étymologique, in Thierry Paquot et Chris Younès, Philosophie de l'environnement et milieux urbains, éditions la Découverte, Paris, 2010, p.22

12 Elisée Reclus, L'Homme et la Terre, tome I, Librairie Universelle, Paris, 1905-1908, p.11013 Elisée Reclus, 1905-1908), p.414 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux – micropolitique et segmentarité, 2004 (éd.originale 1980), p.259

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intellectuelles de cet état de fait, qui apparaît cependant dépassé par la saisie géographique nouvelle de cesthématiques par le biais de la question du climat mais aussi de la géographie culturelle au sens large: “ Lagéographie notamment, longtemps porteuse modeste d'une vue synthétique des relations entre la société et lanature, a dans le même esprit relancé son ouverture aux sciences sociales et à la valorisation de lacomplexité, en même temps qu'elle connaît un certain regain d'intérêt pour la notion de milieu .15” Interrogerla synonymie entre milieu et environnement apparaît dès lors essentiel.

La notion d'écologie urbaine a souvent une fonction incantatoire : cette association de termes setraduit par une approche métabolique/organique de la croissance urbaine qui tend à la naturaliser. Il s'agit defait de métaphores littéraires derrière lesquelles se posent les questions du milieu et des formes de vie, del'habiter. En ce sens il est impossible de faire abstraction de l'effet de mode qui entoure le développementdurable, la notion se conjugue admirablement aux politiques de revitalisation urbaine qui accompagnent leprocessus de densification comme nous le verrons dans la quatrième partie du mémoire.

Cette mode se base cependant sur un progrès considérable des connaissances scientifiques surl'écosystème urbain : “Le temps de la négation de la biodiversité urbaine est bien révolu. Les travaux dugrand écologue belge Paul Duvigneaud, à propos de l'écosystème urbain de Bruxelles, ont contribué à cetterevalorisation de l'image de la ville trop souvent perçue comme le symbole de l'antinature.16”

Il n'est sans doute pas anodin à cet égard que l'éclosion de l'écologie urbaine moderne dans lesannées 1960-1970 soit particulièrement vivace dans deux villes, Berlin et Bruxelles, encloses par des limitesadministratives et politiques (à partir de 1961 pour Berlin, à partir de 1962-1963 pour Bruxelles quoique demanière moins rigide)17. Ces frontières ne corrrespondent pas aux limites écologiques ou économiques de laville en voie de métropolisation dans le cadre de l'essoufflement du modèle fordiste, elles imposent unrecentrage de l'écologie naissante sur la nature en milieu urbain. En Belgique, la prise en compte del'environnement urbain coïncide avec le processus de fédéralisation de l'Etat18.

Herbert Sukkop et Paul Duvigneaud19, avec leurs étudiants, constatent d'une part la dégradationprovoquée par l'urbanisation sur les espaces naturels, d'autre part l'émergence de combinaisons d'espèces,propres à la ville. Les écologistes berlinois disposaient d'un terrain de choix, la métropole berlinoisecomptant de nombreux espaces rudéraux (résultant des bombardements de la deuxième guerre mondiale etd'un développement bloqué par la situation géopolitique de la ville). Duvigneaud est considéré comme unprécurseur pour sa synthèse écologique20: “La ville est donc un véritable écosystème pouvant s'étendreconsidérablement, mais fonctionnant par l'action coordonnée de nombreux sous-écosystèmes; il s'ydéveloppe une circulation telle des gens et des moyens de transport qu'on ne peut plus guère parler d'unrégime sédentaire, mais plutôt d'un régime circulatoire.21” Pourtant, l'intérêt principal des études berlinoiseset bruxelloises est sans doute le lien avec le terrain : l'observation permet de motiver la complexitébiologique d'espaces négligés du point de vue écologique (friches, bermes en pelouses, parcs) et entraînel'intervention en faveur de la sauvegarde des friches et espaces rudéraux 22. L'écosystème urbain apparaîtcomme une mosaïque de lieux plus ou moins vivants (57 biotopes-types liés aux typologies du bâti à Berlin).L'écologie permet dès lors de renouveler un dialogue entre sciences humaines et sciences naturelles en

15 Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran, L'écologie urbaine et l'urbanisme, La Découverte, collection“Recherches”, 2002, p.11

16 Paul Arnould, Biodiversité : la confusion des chiffres et des territoires, Annales de géographie, 2006/5 n°651, p.546

17 Voir notamment Jens Lachmund, Ecology in a walled city : researching urban wildlife in post-war Berlin, in Endeavour, vol.31, 2007, p.78-82 et Jens Lachmund, The invention of the ruderal area. Urban ecology and the struggle for Wasteland Protection in West-Berlin, notes de conférence prononcée à Berlin en août 2013

18 Paul Duvigneaud influence durablement Didier Gosuin (membre du Front Démocratique des Francophones) quiexerce les compétences régionales en matière d'environnement de l989 (date de fondation de la Région deBruxelles-Capitale) à 2004.

19 On peut ajouter parmi ces précurseurs Paul Jovet (1896-1991), qui a effectué un travail considérable d'herborisationà Paris (notamment en terme de traduction de concepts ethnobotaniques : flore rudérale, climax anthropique, ormaie subrudérale, végétation inféodée).

20 Voir notamment l'ouvrage réalisé à l'occasion du centenaire de sa naissance, Pierre Meerts (dir.), Vers une nouvelle synthèse écologique, de l'écologie scientifique au développement durable, éd. du CIVA, Bruxelles, 2013

21 Paul Duvigneaud, L'écosystème Urbs, in Centre d'étude de l'environnement urbain (ULB-Faculté des sciences),Etudes écologiques de l'écosystème urbain bruxellois, contributions n°1 à 4, Mémoires de la société royale deBotanique de Belgique, Bruxelles, 1974

22 Voir notamment l'ouvrage de combat à laquelle il consacre la fin de sa vie : les sites semi-naturels de l'écosystèmeBruxelles : la végétation du Kauwberg à Uccle, éd. du Centre d'étude J.Georgin (FDF), 1990, 180p

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interrogeant la ville – production humaine – par le biais du non-humain : “Tout d'abord, à quel degrél'urbanisation (...) a-t-elle modifié le modèle biophysique du paysage : chimie de la terre et de l'air, flux dessubstances nutritives, hydrologie, microclimats, réserves génétiques ?23”

Cette approche de l'écologie nous a permis de clarifier un certain nombre de termes essentiels pour lasuite de notre analyse. Elle permettra notamment d'établir une critique contemporaine des instruments dezonage législatif et urbanistique qui n'envisagent pas des lieux ou des biotopes mais des espaces affectés.

2. Constructivisme ou métaphysique critique ?

Une partie de la littérature académique prend l'écologie urbaine (politique) comme objet d'étude.Une école constructiviste émerge, qui trouve son inspiration chez Bruno Latour et Isabelle Stengers, animeun certain nombre de revues et trouve des relais en géographie et en sciences sociales avec des auteurscomme Nathalie Blanc, Benedikte Zitouni, Wandrille Hucy,... L'intérêt de cette école est d'aborder demanière contemporaine le rapport entre écologie et urbanité, la définition la plus synthétique estanglophone : “ 'Nature' – defined here as what exists outside the human subject of labor – is a product ofhuman interactions with the external world, a socio-natural 'hybrid' or 'cyborg' produced through the laborprocess.24”

Le 'métabolisme' joue à cet égard un rôle primordial, il désigne les : “processes of environmentaltransformation brought about through the labor process.25” Enfin, l'approche se veut résolumentpragmatique et anti-essentialiste : “ An anti-essentialist urban political ecology is therefore concerned withstruggles over meanings and practices of nature and the city that shape identities that make some forms ofurban metabolisms possible while foreclosing others.26” La thématique est prolifique en tant que la nature estun exemplum idéal pour le concept d'hybride si on la définit comme l'ensemble des interactions entre humainet non-humain (éventuellement dans une perspective d'indistinction).

On peut tenter de résumer une opposition entre cette école constructiviste et une approchephilosophique plus essentialiste qui se traduit en critique métaphysique de l'existant. Dans la lignéed'Heidegger, le représentant le plus inspiré de cette approche est Augustin Berque; auquel on peut adjoindreGiorgio Agamben. Leur analyse de la ville s'inspire des visions plus anciennes formulées par WalterBenjamin, Charles Baudelaire, mais aussi de William Morris parmi les praticiens (mouvement Arts andCrafts) ou Georg Simmel parmi les précurseurs. Cette opposition rejoint parfois celle entre partisans de laville émergente/hybride et tenants de la ville compacte/traditionnelle comme lors des colloques organisés àCerisy en 2004, 2006 et 2009 consacrés respectivement aux trois sources de la ville-campagne, à la villeinsoutenable et à la poétique de l'habiter27.

On serait bien en peine de trouver une définition aussi opératoire de la nature chez lesmétaphysiciens critiques. L'essentiel se situe peut-être dans une approche littéraire qui valorisel'archéologique voire le généalogique : la métropole n'est pas la croissance, la prolongation ou ledéveloppement du modèle antique de la ville mais représente une rupture historique, géographique etépistémologique profonde. Une sensibilité exprimée par Italo Calvino en 1972 dans sa préface aux VillesInvisibles : “Qu'est-ce que la ville pour nous ? Je pense avoir écrit quelque chose comme un dernier poèmed'amour aux villes, au moment où il devient toujours plus difficile de les vivre en tant que villes.28”

Lié à la désurbanisation, ce constat est partagé aujourd'hui par un certain nombre de philosophes quis'intéressent à l'environnement et à l'urbanisme comme Chris Younès et Thierry Paquot : “ L'extension dupériurbain, la montée préoccupante des phénomènes de repli, de disparité sociale et de précarité comme laplainte d'une désurbanité associée à la nostalgie d'une urbanité perdue passent au premier plan.29”

23 Mike Davies, Dead Cities, éd. Les prairies ordinaires, 2009, (éd. originale 2002), p.10824 Grove construit cette définition à partir de Latour, Haraway, Swyngedouw, Smith et Harvey. Kevin Grove,

Rethinking the nature of urban environmental politics : security, subjectivity and the non-human, Geoforum n°40,2009, p.208

25 Kevin Grove, 2009, p.20826 Kevin Grove, 2009, p.20927 Centre Culturel International de Cerisy, http://www.ccic-cerisy.asso.fr/colloques3.html28 Italo Calvino, Le città invisibili, Oscar Mondadori, 2005 (éd.originale 1972), p.1229 Chris Younès, Au tournant de la modernité, habiter entre Terre et monde, in Thierry Paquot et Chris Younès,

Habiter, le propre de l'humain, éditions la Découverte, Paris, 2007, p.369

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Marc Breviglieri lie cette angoisse à l'exigence de garantie sécuritaire qui en découle “ Nul doute quecette angoisse civilisationnelle devant l’enfer représenté par l’agonie ou le laisser-aller de certaines villesentretient un rapport très spécifique avec l’architecture et l’urbanisme qui ont le pouvoir de convertir le lieuhabité en abri et de faire prévaloir dans l’espace commun les coordonnées de la sécurité.30”

Quelques géographes, parmi eux Augustin Berque (que l'on a connu plus lyrique), rappellentl'insoutenabilité éthique, politique et écologique du couple automobile-pavillon - il fait éclater les villes et“induit la dilapidation du capital social de la ville constitué à la fois de biens matériels et des rapportssociaux qui fondent la ville.31”

Ce sentiment est largement partagé par les habitants si l'on en croit les études de terrain :“Globalement, peu de personnes semblent véritablement considérer la ville comme un milieu vivabledurablement pour l'homme, d'autant que sa densité est importante, en tout cas dans l'état actuel de leurmilieu de vie.32” Il n'est sans doute pas anodin que les démarches de potagers et de jardins collectifs, dequartiers durables et de l'eau en ville motivent aussi les usagers et les habitants en tant qu'esthétiqueenvironnementale, dans un contexte d'opposition dans les sociétés post-industrielles entre labour intensive etcapital intensive. Le travail immédiat, bénévole ou militant, permet de produire - à partir de ressourcesgratuites - de la nature, qui ne pourrait exister dans un rapport médiatisé, qu'il soit salarié ou subsidié.

Enfin, il permet de comprendre le rôle que peut jouer la nature dans une fonction thérapeutique maiségalement politique : “De manière générale, on note à quel point les rapports au vivant et à la nature vontde pair avec l'idée de résistance face à la pression et aux agressions sociale et matérielle constituées d'unensemble de normes, de règlements et de limites33”

Comment dès lors habiter l'inhabitable ? Questionnent les métaphysiciens.Comment les habitants habitent-ils ? Se demandent les constructivistes.

Les constructivistes ont l'avantage d'accompagner intellectuellement le mouvement depériurbanisation et d'étalement urbain des sujets dans leur parcours de familialisation comme le processus deretour en ville des classes aisées dans leur parcours de formation. L'intérêt parfois béat qu'éprouvent lesconstructivistes pour l'existant en tant qu'hybride34 explique peut-être pourquoi il leur arrive de percevoir lesmétaphysiciens critiques comme des nostalgiques ou des orientalistes; l'inventivité exotique outraditionnaliste que ces derniers convoquent en défense de la ville ancienne, de la campagne véritable, allantà l'encontre des approches cybernétiques contemporaines. Cette approche peut cependant former une baseplus sensible pour nourrir les luttes, pour comprendre les ressentiments et les désirs des habitants, avec lerisque (académique) de basculer dans le folklore. Il est intéressant de constater que cette approche répondmieux aux attentes d'une partie des classes populaires (par l'approche charismatique potentiellementfascisante ou simplement fascinante).

Si la première position peut sembler plus ouverte par son mode de rationalité, elle peut fermer lesportes aux dimensions extra-académiques, elle légitime une approche nouvelle des experts sur le terrain. Laseconde convoque le genius loci (pouvoir d’évocation du lieu) et l'approche spirituelle qui nous semblenécessaire à la constitution d'un sens à même de répondre à l'angoisse civilisationnelle. Lorsqu'elle ne paraîtpas déconnectée des phénomènes qui se jouent dans le social, elle favorise une approche moins consensuelle,éventuellement plus féconde pour les oppositions et luttes radicales contre l'aménagement.

Les premiers assimilent la figure de l'expert, les seconds se drapent dans la figure du sage. Lespremiers revendiquent le démocratisme académique et l'assomption des conditions de production du savoir,les seconds ont une position moins académique, plus métaphysique ou poétique, à tendance charismatique ;ils partagent une critique contemporaine de l'humanisme et de la démocratie.

Paradoxalement l'argumentaire constructiviste est plutôt faible lorsqu'il s'attache à définir les bases

30 Marc Breviglieri, Une brèche critique dans la “ville garantie” ? Espaces intercalaires et architectures d’usage in E. Cogato Lanza, L. Pattaroni, M. Piraud, B. Tirone, Le quartier des grottes / genève, De la différence urbaine, Metispresse, Genève, 2013, p.216

31 Augustin Berque, les trois sources de la ville-campagne, 200432 Wandrille Hucy, Modéliser la nature en ville, expérimentation, Natures Sciences Sociétés, 2010/2 Vol.18, p.14533 Nathalie Blanc, De l'écologique dans la ville, in Ethnologie Française, Vol.34, 2004, p.60434 Voir Bruno Latour par exemple : “ Et j'avoue que je ne voyage jamais dans de grandes villes sans visiter les

musées – Amsterdam, Barcelone, Tokyo, ou Shanghai – construits à la gloire de leur croissance : j'adore voir surdes tableaux lumineux, des cartes en relief ou des films, le prodigieux accroissement de leur emprise. Vue de laLune, la Terre est habitée par des villes qui s'étendent.” Bruno Latour, 2010, p.276

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d'une théorie de l'hybridation ou de l'écologie politique au-delà des intuitions de départ, tandis que les étudesmenées touchent juste quant à l'articulation des discours, des pratiques et des techniques d'exercice dupouvoir. La démarche constructiviste, telle que développée par Bénédicte Zitouni par exemple, offre lapossibilité de lire dans les archives au niveau microhistorique (permis de bâtir, procédures d'expropriation) leprocessus d'agglomération qui traverse la ville-campagne35. Ce type de méthodologie permet de construirel'intelligibilité du processus à partir du processus lui-même. L'insistance sur les interactions et ledépassement de la distinction entre humain et non-humain36 paraît particulièrement novatrice, l'approcherejoint ici des champs académiques féconds pour le constructivisme : les études post-coloniales, les études degenre et plus globalement ce que l'on désigne parfois comme cultural studies.

Ces mouvances reflètent sans doute les deux principales tendances du contemporain que la post-modernité ne peut abroger par simple décision : l'indépendance individuelle et la constitution d'uneoriginalité propre, le libéralisme et le romantisme, “ce n'est plus 'l'homme en général' qui fait maintenant lavaleur de l'individu, mais justement l'unicité et l'originalité des qualités de chacun.37”

Nous conclurons avec Simmel : “ Ces puissances sont ancrées dans la vie prise dans sa totalité, dansles profondeurs comme dans les apothéoses de l'histoire à laquelle nous appartenons durant la fugitiveexistence d'une cellule. Dans cette mesure, notre tâche n’est pas d’accuser ou de pardonner, mais seulementde comprendre.38”

3. Le paysage comme ligne de fuite?

“Traiter du paysage, c'est aborder un système d'éléments en interaction.39”Une écologie du paysage permet de rendre compte du paysage en tant que produit des interactions

entre humain et non-humain. Si les géographes ont désigné par ce terme les milieux géographiques, pour lesspécialistes de l'écologie du paysage : “C'est un niveau d'organisation des systèmes écologiques, supérieur àl'écosystème ; il se caractérise essentiellement par son hétérogénéité et par sa dynamique gouvernée pourpartie par les activités humaines.40”

L'historien Alain Roger considère que l'environnement est un espace objectivant et quantifiabletandis que le paysage est une représentation subjective, liée notamment au regard et à l'esthétique 41. Commele souligne Hucy “Paysage et environnement sont des manières, certes différentes, d'appréhender le monde,qui portent et se rapportent à la même chose (un pays, au sens géographique)42.” Cette manière d'envisagerle paysage, évidente dans les contextes ruraux peut également être pertinente en milieu urbain dans la mesureoù “le citadin pense trouver de la nature dans la campagne périurbaine alors qu'il n'y a pas d'objet plustransformé et hérité que le paysage rural43”. En effet “Le paysage rural est un produit social qui n'a pas étéélaboré avec une recherche d'esthétique, mais avec de l'économie et des conflits sociaux.44”.

Dans une perspective archéogéographique, le paysage est un support essentiel de la transmission desformes du passé : “Des éléments dits morphogènes transmettent des modes d'organisation au paysage bienaprès leur époque de création et de fonctionnement.45” La transmission des limites du parcellaire foncier –

35 Benedikte Zitouni, Agglomérer, une anatomie de l'extension bruxelloise (1828-1915), Cahiers Urbains, Vubpress, 2010

36 La réflexion de Nathalie Blanc “accorde une place particulière au soin accordé à la nature, mais valorise surtout la reconnaissance d'une co-appartenance des êtres vivants, notamment géographique.” Nathalie Blanc, Le face-à-face citadins/nature, Multitudes, 2013/3 n°54, p.133

37 Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit, Carnets de l’Herne, 2007, Paris, p.4238 Georg Simmel, 2007, p.4439 François Burel et Jacques Baudry, Ecologie du paysage, concepts, méthodes et applciation, éditions tec&doc, Paris,

1999, p.4240 François Burel et Jacques Baudry, 1999, p.4341 Alain Roger, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 199742 Theodora Manola, Paysage et environnement : quelle association ?, in Thierry Paquot et Chris Younès,

Philosophie de l'environnement et milieux urbains, éditions la Découverte, Paris, 2010, p.15243 Gérard Chouquer, Le paysage ou la mémoire des formes, in Cosmopolitiques, éd. Apogée, n°15, 2007, p.4444 François Burel et Jacques Baudry, 1999, p.4245 Sandrine Robert, Comment les formes du passé se transmettent-elles ?, in Etudes rurales, éd. de l'EHESS, n°167-

168, 2003, p.126

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durcies par le bâti - est fonction de l'exercice effectif de la puissance publique face aux propriétaires privés 46.Le rôle joué par le droit foncier et par les instruments légaux plus récents d'aménagement du territoire est dèslors déterminant, particulièrement en milieu urbain où les conditions techniques et topographiques,fondamentales dans les espaces agricoles, sont remises en cause par le renouvellement de l'affectation desparcelles. Il est important à cet égard de ne pas confondre la trace matérielle et la forme : “ La tracematérielle, comme résultat d'une action concrète à un moment donné, est localisée dans l'espace de façontrès précise par la topographie, et elle l'est dans le temps par la stratigraphie. (...) La trace entre dans letemps linéaire des phénomènes physiques qui la décomposent. La forme se maintient en plan au-delà desdifférents modelés et fonctions qu'elle a pu revêtir et dépend de processus indiquant une relation pluscomplexe au temps et à l'espace.47”

Cette approche permet d'envisager le paysage comme une composante qui ne peut pas être réduite àune esthétique mais constitue la relation des habitants à leur habitat. Dans cette perspective, nous adopterons“le paysage pour compter avec l'habitant et résister à la tentation écotechnologique de l'environnement48”C'est dans ce sens qu'il faut comprendre un certain nombre de luttes contre la métropolisation : “sousl'étiquette d'environnement, les réactions locales sont souvent traduites comme liées au paysage ouconstitutives de véritables questions de paysage.49” Au-delà de la préservation de la nature, c'est la lutte pourla continuité de formes de vie qui ont pour infrastructure le milieu où elles se développent qui permetd'expliquer les mobilisations locales des habitants. Cette approche essentialiste permet de comprendrepourquoi au terme d'une étude des motivations des opposants au projet de lotissement de terrains prochesd'une zone humide, Kevin Grove constate que l'approche constructiviste qui envisage favorablement unhybride renouvelé par le développement urbain ne rencontre pas la faveur des habitants, plutôt conservateursen terme d'approche du non-humain et de représentations qui les motivent à agir : “Political-ecologicalanalysis must be conscious of its own representational practices that inscribe 'urban' spaces as producednatures, or 'hybrid' spaces as inherently sites of resistance, for these can potentially blind analysis toembodied experiences of 'urban natures' that exceed these representations.50”

Dès lors, «(...) le paysage est aussi un enjeu stratégique. Il n’est pas seulement à mes yeux unenvironnement à protéger, ni un décor à embellir, mais le lieu d’émergence d’une forme de penséealternative. Il donne à penser à partir de l’expérience sensible elle-même.51 » Comme le souligne Chouquer,cette centralité du paysage dans la constitution du rapport de l'habitant à l'environnement est bien résumé parle concept de médiance, développé par Augustin Berque : « notre attachement à un lieu est un élément denotre « géographicité », une dimension de notre être (et de notre « être au monde », pour parler comme unphilosophe) tout aussi importante que notre historicité.52»

Nous tenterons de comprendre lors d'un intermède au coeur du mémoire l'impact de la naturalisationdes aménagements : la rephotographie permettra à cette occasion d'établir une comparaison paysagère. Lanotion de paysage interviendra également dans le cadre de la patrimonialisation de la nature et en tant quefacteur de motivation des habitants en contrepoint à l'aménagement contemporain.

46 Sandrine Robert, 2003, p.11947 Sandrine Robert, 2003, p.12648 Theodora Manola, 2010, p.15949 Theodora Manola, 2010, p.15750 Kevin Grove, 2009, p.21551 Augustin Berque, Alessia de Biase, Philippe Bonnin (dir.), Donner lieu au monde : la poétique de l'habiter, Actes

du colloque 2009 de Cerisy-la-Salle, 201252 Gérard Chouquer, 2007, p.45

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4. La nature en ville : tour à tour domestique, tour à tour sauvage“Ainsi la “nature urbaine”, par exemple, n'est-elle pas un stock de parcs et de jardins, d'arbres

plantés le long d'un boulevard, de squares et de plates-bandes fleuries, de coulées vertes et d'espaces verts,d'animaux domestiqués et d'insectes et d'oiseaux, mais tensions, tressaillements, entremêlements,excroissances rhizomiques, flux d'énergie, rythmes. Canaliser la nature, l'ordonner, la discipliner consisteen définitive à la dénaturer. C'est précisément ce que les humains font, et plus encore en ville. 53” C'est uneconception immanente du vivant qui fonde cette vision poétique : “La nature n'est pas présente pourl'humanité, elle est consubstantielle au monde.54”

Comme nous l'indiquent ces deux “citations de philosophes”, il est essentiel de procéder à unetypologisation des types de nature en ville afin d'affiner l'objet de notre recherche historique et géographique.Or, “La distinction entre la nature et l'artifice est indécidable. L'artificialisation de la nature répond à lanaturalisation de nos artifices. Dès lors il nous fallait considérer toute matérialité, que ce soit un phénomèneou un objet, qu'il soit vivant ou non, comme un élément naturel.55” Nous parlerons donc d'avantage de degrésou de gradients de naturalité entre deux pôles : d'une part la nature domestique et d'autre part la naturesauvage.

a. nature domestique, aménagée, entretenue, ornementale, souhaitée, jardinée, cultivée

La nature aménagée est constituée d'éléments “soumis à l'usage et au vouloir de la populationhumaine à travers l'entretien, le choix ou la sélection des espèces et des individus.56” On pourrait la qualifierde nature asservie lorsqu'elle est purement ornementale, mais peut également résulter de la domestication àdes fins utilitaires ou récréatives d'éléments préexistants tels que l'hydrographie ou les forêts. L'agricultureest le modèle qui sous-tend cette hybridation entre homme et nature : “La nature entretenue est parfois ditearcadienne et sous-tend une vision pastorale et champêtre. (...) Ressemblant à des parcs, ces paysagesculturels sont fréquents en Europe où ils procèdent d'interventions humaines pluriséculaires. En milieuurbain, les espaces verts, les parcs et les jardins publics s'en rapprochent par l'intermédiaire desvocabulaires champêtres (haies, prairies fleuries, arbres ruraux, chemins creux).” Avec l'expansion destechnosciences, la nature aménagée “doit beaucoup à la conversion technologique de l'énergie fossile etnucléaire, notamment pour chauffer les serres. (...) En ville la nature à caractère horticole peut désigner desparcelles intensivement cultivées, les façades végétalisées, les toitures vertes ou encore des bergesrequalifiées.57” Nous décrypterons dans la troisième partie et la quatrième partie du mémoire l'aménagementconjoint de la ville et de la nature à Bruxelles et plus particulièrement à Forest.

b. nature sauvage, spontanée, invasive, rudérale, indésirable

La nature sauvage n'est pas un effet recherché, ni la résultante d'une pratique valant par elle-même : “Le caractère sauvage est conditionné non par une virginité au sens propre, mais plutôt par le fait que nil'existence ni la localisation de ces objets ou phénomènes naturels ne sont subordonnés à un vouloir ou àune activité volontaire humaine.58” Cette définition lui confère une autonomie processuelle, “elle fonctionneentièrement à la faveur de l'énergie solaire et de sa conversion biologique dans le cadre de la photosynthèseet de l'assimilation.59” Elle se développe sur des terrains délaissés, c'e qui explique peut-être pourquoi “aucours d'une enquête sur les images et les valeurs de la nature dans la civilisation occidentale, la grandemajorité des répondants ont fortement associé la nature sauvage à la nature véritable.60” Nous tenterons derelever ces manifestations de nature sauvage à Bruxelles et plus particulièrement à Forest dans la dernièrepartie du mémoire.

53 Thierry Paquot et Chris Younès, 2010, p.1154 Nathalie Blanc, 2013, p.13655 Wandrille Hucy, 2010, p.13456 Wandrille Hucy, 2010, p.13557 Paul Arnould, La nature en ville : l'improbable biodiversité, in Géographie, économie, société, 2011/1 Vol.13, p.4958 Wandrille Hucy, 2010, p.13559 Paul Arnould, 2011, p.4960 Paul Arnould, 2011, p.47

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Cette distinction nécessaire entre nature domestique et nature sauvage n'est pourtant pas pleinementsatisfaisante. D'une part, les phénomènes météréologiques et climatiques n'apparaissent qu'en filigrane.D'autre part, la morphologie des ilôts et la typologie du bâti n'apparaissent que marginalement, le minéralconstitue une contrainte historique - non-univoque mais majeure - à l'extension et au développement de lanature en ville. Elle a cependant le mérite de mettre l'accent sur l'usage ou la fonction des phénomènesnaturels, c'est la matérialité dans ses rapports à l'homme, et plus particulièrement à l'habitant en tantqu'usager, qui nous intéresse. La distinction que nous nous proposons d'établir repose donc essentiellementsur le rapport que les subjectivités entretiennent avec leur milieu et la manière dont elles l'habitent, ce quinous conduira à avancer aux marges épistémologiques de l'analyse spatiale modélisante et d'unegéoanthropologie de l'habitant.

La distinction que nous nous proposons d'établir entre nature sauvage et nature domestique, du pointde vue de l'habitat, est d'autant plus pertinente qu'il est urgent d'étudier les interactions entre nature et villedans un contexte urbain de densification et d'étalement : “Car la “nature en ville” est de nos jours une choseque l'on ne peut plus circonscrire à la ville ancienne (...) elle concerne non seulement la totalité desagglomérations, mais, au moins dans les pays riches, la totalité des territoires, du fait justement que l'urbaindiffus est un fait urbain : fonctionnellement et culturellement, ses habitants sont des citadins (...). Ce qui faitquestion, c'est donc ce qu'est la nature pour de tels habitants.61”

61 Augustin Berque, le sauvage construit, in Ethnologie française, vol.40, PUF, Paris, 2010, p. 590

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B. IMPLANTATION NATURELLE ET HISTORIQUE

La vallée de la Senne est, en termes géologiques et hydrographiques, l’axe structurant de la RégionBruxelles-Capitale, donc de l'agglomération urbaine bruxelloise et de la portion urbaine, que nous proposonsd’analyser plus particulièrement dans son versant oriental qui est également le plus escarpé (80 mètres dedénivelé entre le parc de Forest et la vallée de la Senne). Cette vallée dessine un croissant sud-ouest / nord-est, humide et limoneux. Comme la toponymie l'indique, la forêt marque durablement l'histoire et surtout lesreprésentations de la nature à Forest, village puis quartier de Bruxelles. Ces données naturelles sontparticulièrement favorables à l'implantation humaine par la complémentarité des ressources disponibles.

Il est important de nuancer quelconque déterminisme naturel : au niveau régional, les terrassements etremblais, les carrières et les travaux d’infrastructure, l’extension urbaine enfin, ont profondément bouleverséles sols qui sont désormais essentiellement des sols anthropogènes. Dans les zones qui connaissent la pluslongue occupation continue (le coeur du Pentagone à Bruxelles), les interventions archéologiques lors dechantiers (archéologie préventive) ont mis en évidence des terres noires : “des horizons sombres, homoge�nes,humife�res, a� base abrupte et horizontale”. Un protocole interdisplinaire – archéopédologique - plus poussé apermis de mettre en évidence au moins cinq types d'anthropisation des sols du 10e au 13e siècle : coupesd'éclaircies et mise en culture des sols (chaulage et fumage), fosses d'extraction de limon et carrières depierre à ciel ouvert, remblais conséquents, acidi fication des sols et piétinements par le bétail. L'étude 62 se clôtavec la construction de la première enceinte qui matérialise une première césure entre l'espace urbain etl'espace rural.

Il nous a donc semblé essentiel d'étudier l'implantation dans les forêts et les zones humides des fluxnavigables, routiers puis ferroviaires, enfin l'industrialisation : “Pour comprendre les processus detransmission des formes, il est donc nécessaire de réaliser une analyse géographique à plusieurs échelles.L'inscription dans les réseaux donne une spécificité à la forme en plan qui dépend autant des logiquestopologiques des réseaux que des conditions locales.63”

1. Forest et la Forêt de Soignes

Au-delà de la vallée, siège des premières implantations, les caractéristiques géologiques régionalessont marquées par l’opposition entre des terres argileuses à l’ouest et des sables bruts à l’est (avec localementdes affleurements de grès, dans le parc Duden notamment) ce qui explique les déclivités abruptes, la naturedes sols (en terme d’infiltration d’eau notamment) que nous observons à Forest. Le peu de fertilité des solssablonneux et les pratiques agricoles de l'époque expliquent le maintien de surfaces boisées sur le plateau etdans les pentes. Cette permanence de la forêt modèle l'extension du sud-est de Bruxelles. En effet, comme lesouligne Berque, “avant les villes l'emblème de la bipolarité nature/artifice était la lisière de la forêt : d'uncôté le sauvage (silvaticus, “de la forêt”, silva) de l'autre le cultivé (les champs, la culture) 64” Selon la cartede Ortelius de 1584, l'est de la région de Halle et les bois de l'abbaye de Forest font encore partie de la Forêtde Soignes, les fronts pionniers et les axes de communication segmentent progressivement cette étendue.

L'étude de Lee Christopher Roland a magistralement mis en évidence les interrelations entre lacolonisation puis l'urbanisation du territoire brabançon et la forêt de Soignes65. Il détaille notamment lesinterventions de reboisement et de prélèvement, massives à partir du 16e siècle, déconstruisant lanaturalisation du paysage forestier, la forêt est propriété du souverain jusqu'en 1794. Surtout il met enévidence le rôle, dans le développement du tissu urbain au 19e siècle des intérêts politiques et financiers d’unnombre restreint de protagonistes groupés autour de la Société civile pour l’agrandissement etl’embellissement de la capitale de la Belgique (1837), filiale de la Société Générale. Le capital foncier de cessociétés est directement lié à la vente de la forêt de Soignes et entraînera la construction du quartier Léopolden l'honneur du premier roi de Belgique. La forêt et la ville sont “deux éléments servant les desseins d’unecoalition d’acteurs hégémoniques ayant fait main basse sur une étendue géographique dépassant les limitesphysiques du tissu urbain66”. Cette approche de la forêt est essentielle à notre analyse dans la mesure où enfiligrane de l'urbanisation de Forest, c'est le rapport aux vestiges urbains de la forêt charbonnifère de Soignes

62 Y. Devos, L. Vrydaghs, C. Laurent, A. Degraeve, S. Modrie, L’anthropisation du paysage bruxellois au 10e-13e siècle. Résultats d’une approche interdisciplinaire, 4e Congrès International d’Archéologie Médiévale et Moderne, Paris, 2007, http://medieval-europe-paris-2007.univ-paris1.fr/

63 Sandrine Robert, 2003, p.12864 Augustin Berque, 2010, p.59365 Lee Christopher Roland, Quand les arbres cachent la ville, Pour une analyse conjointe de la forêt de Soignes et du

fait urbain, in Brussels studies, Numéro 60, 2 juillet 2012, p.4066 Lee Christopher Roland, 2012, p.14

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qui se dessine.

2. Le bassin de la Senne et les zones humides

L'ensemble du bas de Forest est catalogué comme zone humide dans le bassin de la Senne.L'importance historique de ces zones humides67 a été étudiée par Chloé Deligne qui met en évidence la“complémentarité entre l'exploitation des zones de cultures et des zones de “marais” propices à la pâture etau maraîchage.68” “ Ces espaces aux potentialités multiples abritent tant les herbes aromatiques utiliséespar les brasseurs, que les potagers, les prés d'élevage et la tourbe.69” Les cours d'eau jouent un rôlestructurant pour l'agriculture, le commerce et la proto-industrie, le premier moulin local est établi entre 1125et 115070, : “ Au sud de la ville, après 1221, l'abbaye de Forest canalise probablement le petit ruisseau duGeleytsbeek, avec exactement les mêmes intentions” (mise en place d'une exploitation organisée des marais)(...) Après ces travaux d'installation, l'abbaye développe dans son vaste enclos une ferme vouée à l'élevage,dont le nom Veehof sous-entend bien l'orientation71”. Dès le 14e, le Geleytsbeek compte au moins septmoulins. Ils servent à la mouture des céréales et de la drèche (résidu du brassage utilisé pour l'alimentationdu bétail), mais aussi progressivement au broyage des écorces à tan ou de plantes oléagineuses, ou encorepour le foulage des draps. Les étangs et les viviers servent pour la pisciculture en rotation avec des culturespour profiter des sédiments déposés au fond de l’eau, mais aussi à améliorer la rétention d’eau afin demaintenir la nappe d’eau à un niveau stable pour l’agriculture. La colonisation de la région en amont del'abbaye se fait le long de ce ruisseau comme l'indique la carte réalisée par Lee Christopher Roland.

Le nom même Geleytsbeek (en néerlandais rivière guidée, menée, conduite) indique clairement qu'ils'agit d'un cours d'eau largement aménagé, rectifié, canalisé. Ces multiples usages expliquent que les zoneshumides font l'objet de concurrences importantes en vue de les intégrer dans le paysage foncier bruxellois : “L'histoire des zones humides autour de Bruxelles est tout, sauf la chronique d'une disparition. Au contraire,ces zones, maintenues avec soin, sont au centre d'enjeux multiples et disputés qui voient s'affronter dans unelutte serrée les principaux acteurs du paysage foncier et de l'aménagement du territoire.72” Le villaged'Obbrussel dont la paroisse occupe le territoire entre la Senne et le plateau qui sépare cette vallée de lavallée du Maelbeek est intégré à la cuve de Bruxelles en 1296, le noyau situé à l'extérieur de l'enceinteconstruite au 14e siècle deviendra le village de Saint-Gilles.

Le rôle de l'abbaye, fondée en 1105 pour les bénédictines cloîtrées, est central pour l'histoire dudéveloppement du petit village de Forest établi à la fin du 9ème siècle sur les rives du Geleytsbeek. L'abbayepèse lourdement sur les exploitants : “En plus du fermage ou du métayage qu’il devait payer, il devaitfournir un certain nombre de corvées parmi lesquelles le nettoyage des ruisseaux et des fossés, uneparticipation à la fenaison, la fourniture de fumier pour les cultures, particulièrement pour celles des vignesde l’Abbaye…73” Ce qui explique peut-être que malgré le mythe des bonnes abbesses se devine la main de ferde propriétaires terriennes nobles (les dirigeantes bénédictines sont des aristocrates reléguées dans uneretraite dorée)74. La population forestoise ne s’y trompera pas lorsqu’elle pillera l'abbaye en 1794 tout enépargnant la chapelle sainte Alène et l'église paroissiale Saint-Denis dont le culte précède la construction de

67 “La “zone humide” est définie comme une “région où l'eau est le principal facteur qui contrôle le milieu naturel etla vie animale et végétale associée. Elle apparaît là où la nappe phréatique arrive près de la surface ou affleure ouencore, là où des eaux peu profondes recouvrent les terres. Cité par Paula Charruadas et Chloé Deligne, Définitionde l'Institut français de l'environnement, inspiré de l'article premier de la Convention de Ramsar (1971) sur laprotection des zones humides,

68 Paulo Charruadas, Chloé Deligne, La ville au milieu des marais : dynamiques entre économie urbaine et zones humides dans la région de Bruxelles, XIIe- XVIe siècle, in Les zones humides européennes : espaces productifs d'hier et d'aujourd'hui, Actes du premier colloque international du Groupe des Zones humides, 21-23/10/2005, p.66

69 Paulo Charruadas, Chloé Deligne, 2005, p.6870 Thibault Jacobs, Une bonne gestion des archives pour une bonne gestion des eaux? Le cas forestois, in Etopia

n°13, p.19771 Paulo Charruadas, Chloé Deligne, 2005, p.6972 Paulo Charruadas, Chloé Deligne, 2005, p.7973 Cercle d'histoire locale de Forest74 Elles se lancent d’ailleurs, sous le couvert de la pratique traditionnelle du refuge urbain, dans d’importantes

opérations immobilières à partir de 1365 (la première abbesse est nommée en 1239) jusqu’en 1671 dans le bloccompris entre le boulevard de l’Empereur, les rues de l’Escalier et de l’Hôpital pour finalement revendre l’ensembleet s’installer rue Haute (n°108). Jacques Van Wijnendaele, Les refuges d’abbayes à Bruxelles sous l’Ancien Régime,p.1-13, www.jacquesvanwijnendaele.be/

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l'abbaye. La liquidation de l'institution religieuse met également fin aux pratiques d'occupation du territoire(arbres hydrophiles, vidange et nettoyage des fossés et étangs, pâturages sur prairies inondées) imposéesmais adaptées d'un point de vue agricole. L'abbatiale et le cloître seront rasés, les matériaux revendus pour laconstruction entre 1797 et 1810.

Carte de l'occupation du sol à la fin du 18e75 La dichotomie entre les zones humides du fond de vallée (marécages, prairies marécageuses, étangs, canal)et les trois zones boisées situés à l'ouest de la chaussée d'Alsemberg (ligne de crête) est claire.L'urbanisation progresse le long du Geleytsbeek.

75 Réalisée à partir de la carte de Ferraris par Lee Christopher Roland, 2012, p.10

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3. Réseau viaire : des chemins aux chaussées76

La figure 1 permet de se représenter le paysage des zones humides au 17e siècle. L'embranchementmarque la séparation entre le chemin vers Uccle et l'Oude Vorstweg ou vieux chemin de Hal à Forest. Cechemin serpentait sur la rive droite de la Senne, menant de Bruxelles jusqu’à Hal, en passant par Forest,Drogenbos et Beersel. Établie par phases successives, elle apparaît déjà sur les plans de Bruxelles de Jacquesde Deventer vers 1554, sur lesquels elle prend fin à hauteur de l'actuelle rue Vlogaert à Saint-Gilles. Sur unplan de 1673, elle se prolonge jusqu'à l'actuelle place de Bethléem selon un tracé rectiligne et est citéecomme une drève privée traversant les terres du château-ferme. À partir de 1712, elle est pavée aux frais dela Ville de Bruxelles. La chaussée de Forêt constitue alors, à l'est de la Senne et du Canal, le pendant de lachaussée de Mons qui restera prédominante malgré le raccordement effectué entre 1831 et 1846.

La figure 2 permet de se représenter le paysage de crête à partir du chemin d’Uccle menant de la portede Hal au plateau de l'actuel Altitude Cent où plusieurs chemins venant d’Uccle aboutissaient. Dans l'axe dece premier chemin est établie à partir de 1697 la chaussée de Waterloo qui se prolonge jusqu'à Charleroi77.

vue panoramique de Bruxelles vers 1650 par N.Visscher château-ferme de Bethléem à l'avant plan - (copyright MVB)

vue panoramique de Bruxelles - gibet du Galgenberg78 (Altitude Cent) à l'avant plan

76 Voir notamment Stéphane Demeter, Inventaire du Patrimoine architectural de la Région de Bruxelles-Capitale, Histoire du développement urbanistique de Saint-Gilles Des origines à 1840, (non daté) http://www.irismonument.be/pdf/fr/1060-developpement_urbanistique_1_saint-gilles.pdf

77 Charleroi est fondée en 1666 en tant que forteresse, la ville se développe autour du bassin minier à partir de 1830,les remparts sont abattus entre 1867 et 1871

78 copyright : Cercle d'histoire de Forest) Flotsenberg : al. Galgenberg hauteur (néerl. berg.) au gibet (néerl. Galg),(Ferme de l’abbaye de Forest) ; la justice (gibet) de Bruxelles y fut installée dès 1233; aujourd’hui Altitude Cent. Jean-Jacques Jespers, Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles, éd. Racine, Bruxelles, 2005, p.276

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Carte des routes existantes avant 1795, exe�cute�es depuis, sous les re�gimes franc�ais et ne�erlandais et par legouvernement belge jusqu'a� 1846 dressé d'après les instructions de Monsieur Teichmann, (inspecteur

général du corps des ponts et chaussées)79

La carte indique les chaussées de Mons (vers Paris) et d'Alsemberg (vers Charleroi), la chaussée de Forêtdevient secondaire à cette échelle. Elle indique également la Senne, le Canal et le premier flux ferroviaire.L'ensemble des flux forme un axe de développement et un glacis d'infrastructures qui sépare durablementau sud de Bruxelles, les quartiers plutôt bourgeois de l'est et l'ouest industriel et prolétaire.

79 AVB, collection cartographique, cartes et plans de Bruxelles n°223

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4. Déboisement sans densification : la privatisation des campagnes

Une comparaison entre la carte de Ferraris (1771-1778) et la carte dessinée par Huvenne en 1858montre que le bois qui s'étendait à l'est de l'abbaye jusqu'au Spytighe duyvel est abattu jusqu'à la limite queconstitue la rue du Domaine actuelle, seule une partie subsiste dans le domaine Zaman-Vimenet. Au sud del'abbaye, dans la boucle du Geleytsbeek, le bois qui se trouvait au niveau du Vossegat est entièrement abattu,le château de monsieur DeDebavay s'installe den Wjingaerd (à l'emplacement des anciens vignobles del'abbaye). Enfin, le Kruysbosch devient le domaine Mosselman/Duden et recule au nord. Par contre, lesterrains qui occupent l'emplacement actuel du parc de Forest apparaissent comme terrains de culture. Unerecherche complémentaire dans les fonds d'archives permettrait peut-être de comprendre les raisons de cesdéboisements de bois de haute futaie en partie épargnés par la propriété ecclésiastique. Un premier constats'impose : ils ne s'accompagnent pas d'une densification significative de la population.

carte de Ferraris (1771-1778) 80

80 Carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens levée à l'initiative du comte de Ferraris - 77 : [Uccle] KBR – Magasin – Cartes et plans – cote Ms. IV 5.627 - 77 : [Uccle]

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Les terrains libérés de la propriété ecclésiastique sont accaparés par la grande bourgeoisie qui composent unesérie de campagnes, c'est-à-dire de domaines agrémentés de châteaux bourgeois : domaine Zaman-Vimenet(démoli en 1948 pour faire place au complexe sportif forestois), domaine Fontaine ou du Wijngaard (rasé en1953 par la construction de la Cité Messidor), domaine Mosselman/Duden, domaine Mévius/Greindl oudomaine des sept bonniers (siège d'un élevage de vers à soie – une magnanerie - et rasé par la constructiondu complexe immobilier du même nom), enfin la propriété d'Alexandre Bertrand près de l'Altitude Cent.Marqués par la présence de bois, d'étangs, de vergers, de serres et de prairie, ces domaines constituent la basede ''l'infrastructure'' verte de Forest.

carte dessinée par Joseph Huvenne en 1858 81

81 Carte topographique et hypsométrique de Bruxelles et ses environs / dressée à l'échelle de 1/20,000 d'après lesplans et documents de l'Etablissement géographique fondé par Ph[ilippe] Vander Maelen par J[oseph] Huvennedessinateur topographe ; et gravée par J. Ongers, 1858KBR - Magasin - Cartes et Plans – cote : VDM IV 115 - III 5598

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Annonce immobilière pour le domaine Zaman-Vimenet en 190382

- actuellement démembré, le domaine de Forest est un vestige -

82 Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

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5. L'industrialisation des zones humides au 19ème

La commune est instituée en 1818 avec les premières fabriques. Les premières rues sont pavées en1830. Elle reste peu peuplée et centrée autour de l'ancien noyau villageois, de l'abbaye et du Geleytsbeek.

Les zones humides constituent une réserve foncière qui permet le développement de l'industrie. Lesprairies marécageuses, la Senne et le Canal sont vitales pour la première industrie qui occupe lesemplacements traditionnels : moulins, teintureries, filatures, blanchisseries et fabriques textiles mais aussibrasseries et papeteries indiquées par la carte de Huvenne de 1858, qui comprend en outre une fonderie. Apartir de 1840, le chemin de fer du Midi relie progressivement Bruxelles à Hal, Mons, Valenciennes et Paris.Il constitue également le lien avec Charleroi (et Namur) jusqu'à la construction du chemin de fer passant parLuttre en 1870. Dès 1850 la première gare, établie à proximité du village, fournit l'infrastructure logistiquenécessaire aux industries. L'industrie se développe surtout dans la deuxième moitié du 19e.

L'hydrographie bruxelloise est profondément bouleversée par l'expansion urbaine de la deuxièmemoitié du 19ème siècle. Comme la Senne elle-même entre 1866 et 1871 et le bassin du Maelbeek (en 1872)qui sont entièrement voûtés, dans le flanc sud-est, le traitement des cours d’eau est tributaire dudéveloppement industriel ancien et récent : “La multiplication des rejets dans un réseau à ciel ouvert, doubléde l'avènement des préoccupations hygiénistes qui tendent à imputer aux eaux stagnantes et malodorantesde nombreuses maladies, imposent à l'administration communale l'enfouissement des fossés et laconstruction d'aqueduc à partir de 184483”. En 1879, le projet immobilier de Jules Van Volxem (SociétéCivile Immobilière de Forest) détourne le cours du Geleytsbeek en aval de l'abbaye vers le pont de Luttreafin de permettre le lotissement du terrain84. Il sera entièrement voûté dans la décennie 1890-1900. Lecaptage d'eau reste essentiel aux brasseries et aux teintureries mais aussi à l'industrie du bois85. Les coursd'eaux voûtés disparaissent dès lors des cartes et sont assimilés au réseau d'égouttage, les sources connaissentun sort similaire. Leur gestion administrative est éclatée entre la province, la commune, le ministère del'agriculture, puis progressivement par les gestionnaires du réseau hydrique.

La lisibilité des zones humides est fortement diminuée par l'artificialisation du bassin de la Senne. Lefond de la vallée accueille le canal, la chaussée de Forest, deux lignes de chemin de fer et progressivementun ensemble industriel. Il est difficile de faire un état des lieux de la nature non-aménagée dans ce territoire.Un ensemble de prairies, de cultures maraîchères et de berges subsistent certainement aux côtés despremières fabriques, les phases d'aménagement permettent peut-être la diffusion de plantes néophytes.

83 Thibault Jacobs, in Etopia n°13, p.20284 Archives de l'état à Anderlecht, Gouvernement provincial du Brabant, Service technique de la voierie et des cours

d'eau non-navigables, n°2028Thibault Jacobs, in Etopia n°13, p.203

85 Comme l'affirme le patron des Usines Meubla (“le bois dans toutes ses applications”): “Nous ne désirons nullementla disparition du Zandbeek, ayant choisi la proximité de son cours pour édifier les bâtiments de notre usine. C'est donc une question vitale pour l'existence de nos ateliers.”Archives des Travaux publics de Forest, dossier 275A : ouvrages sur cours d'eau, lettre du 14 février 1930Thibault Jacobs, in Etopia n°13, p.208

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B. La forêt aménagée au 19ème siècle – Léopold II, Victor Besme et l'agglomération bruxelloise

“16 – Place du Trône - Nous saluons ici le Roi urbaniste, le Roi paysagiste, ce Léopold II controversé quiimprima si profondément sur Bruxelles sa vision d'une Capitale verte et moderne.”

Balades de flore – visit.brussels - 201386

Nous tenterons une comparaison entre l'usage de la nature dans les pratiques d'aménagement de lafin du 19ème et celles du début du 21ème siècle. Si “le rapport ville/nature est fondamentalement culturel,donc historique et par conséquent changeant87”, une certaine continuité semble se dessiner en tant quel'aspiration des habitants à une nature domestiquée semble constante, bien que les usages puissent différer.Les processus de concertation qui accompagnent les plans d'aménagement et les permis d'urbanisme depuisla fin du 20ème siècle ont pu faire croire que “l'ère de l'urbaniste démiurge, capable par l'implantation deses projets de fabriquer des comportements attendus, serait révolue.88”

1. l'aménagement de Bruxelles : rénover le centre et accompagner la bourgeoisie en périphérie

La construction de promenades arborées et de parcs joue un rôle fondamental pour l'agglomérationde Bruxelles et sa constitution en capitale du nouvel état Belge. Ce modèle urbanistique s'inscrit dans ladualisation de la ville marquée par une expansion foudroyante et une industrialisation dans l'axe du canal etdu chemin de fer. En termes paysagers et urbanistiques, l'élément déterminant est la démolition des rempartsà partir de 1782 et leur aménagement en boulevards périphériques qui précède l'abolition en 1860 de labarrière physique de l'octroi (taxe d'entrée sur le territoire urbain), ils symbolisaient depuis la fondation de laville la séparation entre ville et campagne : “Les boulevards de circulation s'implantent sur les fosséscomblés, marquant une transformation du modelé et de la fonction puisque la forme n'est plus le supportd'un espace de défense mais celui d'un espace de circulation. Le plan survit donc à la fonction de l'objet.89”La loi du 1er février 1844 est la première manifestation légale de l'urbanisme public, elle autorise lescommunes de plus de deux mille habitants à élaborer un plan général des routes.

Un document de 1866 inscrit durablement le programme urbanistique dans l'espace bruxellois : leplan d’ensemble pour l’extension et l’embellissement de l’agglomération, réalisé par Victor Besme,inspecteur voyer des faubourgs entre 1858 et 190490 : “C'est donc une véritable nécessité de créer autour deBruxelles, et à une telle distance de la ville qu'elle forme pour l'avenir la limite extrême de l'agglomération,une ligne de ceinture composée de longues avenues divisées en routes carrossables et en allées plantéesd'arbres.91”

Le mouvement est européen et correspond à un investissement massif dans l'infrastructure urbaine :“Des paysagistes, des aménageurs vont se soucier de maintenir ou de réintroduire de la nature dans lesvilles. L'exemple des réalisations du second empire à Paris est édifiant à ce point de vue qu'il concerne lesbois de Boulogne ou de Vincennes, les parcs des Buttes Chaumont ou de Montsouris. L'art des jardins, enEurope, qu'ils soient à la française ou à l'anglaise, constitue la signature la plus visible de ces lieux debiodiversité contrôlée, dirigée, manipulée.92” Léopold II, accompagné par Victor Besme93, joue pourBruxelles le rôle décisif qui est celui de Napoléon III pour Paris avec le préfet Haussmann et Eugène

86 Dépliant touristique - Balades de flore – réalisé par visit.brussels (sized for discoveries), en collaboration avec lasociété royale linnéenne et de flore de Bruxelles, avec la confrérie de Saint Domothée, sous le patronage de la ReinePaola, avec le soutien de l'IBGE, la Région de Bruxelles-Capitale et la ville de Bruxelles.

87 Thierry Paquot, Ville et nature, un rendez-vous manqué ?, Diogène, 2004/3 n°207, p.9288 Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran, 2002, p.1389 Sandrine Robert, 2003, p.11890 Dans le cadre de cette recherche, nous n'avons pu consulter que les archives privées de Victor Besme conservées

par un de ses descendant, un carton sur les parcs de Forest et Duden rassemble notamment les correspondances entreBesme, la commune de Forest, les promoteurs immobiliers qui ont participé au projet. Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

91 Victor Besme, Plan d'ensemble pour l'extension et l'embellissement de l'agglomération bruxelloise, Bruxelles, 1863, p.11

92 Paul Arnould, 2006, p.54093 Besme n'est évidemment pas l'unique architecte de Léopold II, il a notamment employé Josef Stübben, urbaniste

allemand renommé.

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Alphand94, en termes de maintien de l'ordre notamment, avec les boulevards périphériques, les casernes et lemonumental Palais de Justice (1863-1883). Ce qui n'est pas sans rapport avec l'ascension de la bourgeoisieen tant que classe dominante adoptant les pratiques de l'aristocratie95 : “en effet, la ville de la modernité, cellede tous les flux – dont on pourrait dater la naissance avec l'haussmanisation – attribue à la nature une placede choix. Il est vrai que l'on est encore dans la ville-spectacle – on y déambule pour se montrer et aussi pourvoir les autres, qu'on jalouse ou dont on se moque ! - et que son embellissement passe par la multiplicationdes squares, des jardins, des promenades plantées et des parcs et bois.96”

Il serait extrêmement réducteur de réduire ces pratiques d'aménagement à un embellissement et uneverdurisation, à une série d'opérations immobilières juteuses ou au tracé de nouvelles avenues et boulevards.Les enjeux sont conséquents et modèlent profondément la topographie – avec des travaux de remblaisconsidérables - et l'hydrographie – avec des travaux de voûtements de rivières urbaines et d'égouttage,notamment le voûtement de la Senne suite aux épidémies de choléra de 1865 et1866. Ces transformationsbouleversent fondamentalement le visage de Bruxelles comme l'a montré l'ouvrage magistral de BenedikteZitouni : Agglomérer, une anatomie de l'extension bruxelloise (1828-1915)97. Sa description a le mérite -grâce notamment au travail de dépouillement des archives - de restituer la dynamique d'urbanisation dans saconflictualité et sa progressivité : “le durcissement de l'agglomération, était faite d'une succession d'étapesayant chacune des points d'ouverture et de fermeture. (...) Les exploits et les percements, les renforcementset les aggripements se faisaient dans le détail de l'ubanisation et à chaque tournant des préparations.98”

Il faudrait vérifier la correspondance99 entre ce programme d'aménagement urbanistique, lalocalisation résidentielle nouvelle des classes aisées et le contexte sociopolitique marqué par la peur dedécadence de l'organisme social face aux multiples menaces issues de la ville, du peuple et de l’augmentationde la criminalité100. Les années 1873-1895 sont marquées par une importante crise économique,particulièrement dure entre 1883 et 1887. Une insurrection ouvrière débute à Liège le 18 mars 1886(quinzième anniversaire de la Commune de Paris), embrase les principaux centres industriels du pays avantd’être réprimée par l’intervention de l’armée (24 morts). Face à l'émergence de la question sociale, denouvelles sciences se proposent de résoudre à la source les causes d'insubordination : la criminologie,l’hygiénisme, l’eugénisme et la Défense Sociale, doctrine displinaire associée à un système pénitentiairetotal, théorisé et mis en oeuvre par Adolphe Prins101. Au nom de l'assainissement et de la moralisation de lasociété, les partisans d'un programme fort d'hygiène publique réclament que la prophylaxie sociale s'élargisseà la lutte contre la criminalité, le vagabondage, la prostitution. La diffusion des notions de dégénérescence etd'hérédité criminelle liées au darwinisme social102 induit une naturalisation des conduites déviantes. Lecriminel apparaît dès lors comme un défectueux social, atteint de maladies héréditaires constitutionnelles,qu’il est impossible de guérir, qu'il faut isoler ou à défaut dont il s'agit de s'isoler. Ces figures traduisent lesreprésentations sociales : la ville, cet organisme social, est malade et délétère, il s'agit de chercher l'air pur

94 Directeur du service autonome des promenades et plantations de la ville de Paris.95 Cette adoption des pratiques culturelles de l'élite par les classes ou catégories socioprofessionnelles inférieures se

révèle notamment dans la genèse du tourisme, une invention de la contre-culture aristocratique face à la bourgeoisieascendante, qui sera adoptée par la quasi-totalité de la société avec l'avènement de la société de loisir. Voirnotamment M. Boyer, Histoire du tourisme de masse, PUF, Paris, 1999, P. Cuvelier, Anciennes et nouvelles formesde Tourisme, L’Harmattan,Paris,1998 et D. Mac Cannell, The tourist : a new theory of the leisure class, 1989 (éd.Originale : 1976)

96 Thierry Paquot, 2004, p.9397 Benedikte Zitouni, Agglomérer, une anatomie de l'extension bruxelloise (1828-1915), Cahiers Urbains, Vubpress,

2010, 331p.98 Benedikte Zitouni, 2010, p.24199 Il pourrait être intéressant à ce titre d'analyser la construction de la prison de Saint-Gilles entre 1878 et 1884, puis

de celle de Forest en 1904, à la lisière de notre périmètre mais ce serait sans doute par trop s'éloigner de notre sujet.100 Michel Foucault et Françoise Tulkens, Généalogie de la défense sociale en Belgique (1880-1914), Bruxelles, E.

Story-Scientia, 1988, p42-43101 Adolphe Prins (1845-1919) est nommé inspecteur général des prisons en 1884 ; poste qu’il occupe jusqu’au 31

mars 1917. Il est donc à la tête de l’administration pénitentiaire mais aussi avocat, criminaliste, sociologue etpolitologue, professeur de droit pénal et de droit naturel et recteur de l’Université Libre de Bruxelles (1900)voir notamment Allan Wei, Défense sociale et guerre totale, Bruxelles, 2004

102 « […]on a longtemps expliqué le crime par la pauvreté et celle-ci par la débauche, la paresse, l’alcoolisme,l’ignorance ou l’inconduite. Mais c’était là prendre les effets pour les causes car bien souvent on trouve à la sourcede ces situations des tares héréditaires qui créent ainsi un état psychique permanent.» Adolphe Prins, L’espritnouveau dans le droit criminel étranger, Revue de droit pénal et de criminologie, 1912, p.137

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pour fuir les miasmes émanant de la promiscuité.

Cette émergence est contemporaine de l'industrialisation et d'une densification de l'espace urbain :“Manifestement on abandonne (aux immigrants à revenus modestes) la ville antihygiénique et on crée à côtéd'elle une nouvelle ville bourgeoise, hygiénique et ordonnée.” Cette ville nouvelle s'établit dans lesfaubourgs mais aussi au coeur de la ville : “Parallèlement au développement de nouvelles zonesd'habitations pour les classes aisées aux abords de la ville, on voit naître dans la deuxième moitié du 19èmesiècle, une tendance à l'embellissement de l'intérieur de la ville.103”

L'émigration des classes possédantes hors des vieilles villes indique autant la panique sociale etl'insalubrité croissante, que le triomphe d'une approche romantique de la vie en campagne, ce qu'AugustinBerque a nommé la pastorale ou le mythe arcadien104. Comme l'observe Charles Buls en 1907 : “Nousn'habitons plus le centre affairé et bruyant, il nous faut des tramways et des chemins de fer élevés ousouterrains pour nous conduire chaque soir à notre villa ou pour nous permettre d'aller chercher l'air pur àquelque pas de la périphérie.105”

Le programme des nouvelles zones d'extension de Victor Besme ne prévoit pas de place pour leshabitations ouvrières, elles n'apparaissent que par défaut - “Il faut créer des quartiers spéciaux pour lecommerce et l'industrie, y grouper tout ce qui convient à leur usage, en ouvrir d'autres pour les rentiers demoyenne fortune, y faire toute chose modestement et avec économie, afin que la propriété foncière n'y soitpas d'une valeur trop élevée et que le prix des loyers y reste dans une juste limite. Sur d'autres points, auxabords des parties les plus belles et les plus recherchées de Bruxelles, il faut, au contraire, ouvrir de beauxquartiers, largement et somptueusement établis, sans craindre d'y élever, par ces dépenses ou les sacrificesimposés aux propriétaires, la valeur foncière, car ces quartiers seront peuplés par des familles riches quidemandent autant de luxe à l'extérieur qu'à l'intérieur de leurs habitations.106”

L'assainissement et l'hygiénisation des quartiers centraux provoque un phénomène parallèle parmiles classes populaires : d'une part la densification des quartiers subsistants : “La population ouvrière y esttrès dense et s'y est surtout concentrée depuis les grands travaux d'assinissement qui ont fait disparaître desblocs entiers de maisons habitées presque exclusivement par des ouvriers.107”, d'autre part le refoulement desouvriers vers la périphérie, chassés par l'assainissement des quartiers centraux : “C'est un nouvel exemple duphénomène qui se produit dans toutes les grandes villes et qu'on a appelé d'une façon pittoresque le'bourrelet de refoulement'; la population ouvrière est ainsi rejetée de plus en plus et par étapes jusqu'auxlimites extrêmes de l'agglomération108”.

La loi du 12 avril 1867 autorise la formation de sociétés anonymes immobilières de logementsouvriers. La SA des habitations ouvrières dans l'agglomération bruxelloise fondée en 1868 est créée sous lepatronage de la Compagnie Immobilière de Belgique (CIB). Les sociétés de logement ouvrier et d'habitationsà bon marché s'adaptent à cette situation, il s'agit moins d'établir des cités-jardins que des quartiers-jardinsqui restent dépendants de la ville-mère et se réduisent en définitive à des lotissements accessibles quoiqueexcentrés109. Comme l'indique Louis Van der Swaelmen, architecte du logis Floréal : “il faut attribuer ici, auterme de cité-jardin, la seule signification d'un groupement de constructions en densité limitée, disposéesdans des écrins de verdure. (...) ici, et du reste nulle part en Belgique, nous ne créons de cité-jardinproprement dite, mais nous faisons de l'extension de ville méthodique, de l'ubanisation organique, sous laforme de quartiers-jardins.110” Reste que l'empowerment (pour utiliser un terme anachronique) que

103 Marcel Smets, L'avènement de la cité-jardin en Belgique, histoire de l'habitat social en Belgique de 1830 à 1930, Pierre Mardaga éditeur, collection architecture+documents, Bruxelles-Liège, 1977, p.40

104 Augustin Berque, les trois sources de la ville campagne, 2004, Centre Culturel International de Cerisy,http://www.ccic-cerisy.asso.fr/villecampagne04.html

105 Charles Buls, De la disposition et du développement des rues et des espaces libres dans les villes, L'Emulation, 32, n°1, janvier 1907, p.5

106 Victor Besme, 1863, p.7107 Conseil supérieur d'hygiène publique, Habitations ouvrières, deuxième fascicule, Bruxelles, 1888, p.106 108 Comité officiel de patronage des habitations ouvrières et des institutions de prévoyance de Saint Gilles, Premier

rapport annuel, Bruxelles, 1902, p.15109 Un regard sur la carte du logement social à Bruxelles en 2014 laisse perplexe, à l'exception des Marolles et des

communes “enclavées” de Molenbeek, Saint-Gilles et Saint-Josse, la totalité des grandes cités ouvrières est reléguéeaux frontières actuelles de la Région. Périphériques, elles sont également proches des zones naturelles, pourtant lacrainte d'une ceinture rouge comme celles qui se constituaient autour de Paris et de Vienne n'est qu'un fantasme.

110 Louis Van der Swaelmen, journal de la Cité-Jardin Floréal, L'Habitation à Bon Marché, 5, n°1, janvier 1925, p.3

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représente l'autonomie de construction des habitations est guidée aussi par une volonté des prolétairesorganisés: ”améliorer le milieu physique où nous vivons.111”

Au-delà des contraintes biopolitiques et architecturales que représente la prise en charge par lemouvement ouvrier de la ségrégation volontaire de communautés ouvrières, une question émerge au regarddu style et des motivations de ces quartiers-jardins qui miment les projets bourgeois : le transfert des valeurset des formes de vies de la bourgeoisie à la classe ouvrière, ne serait-il pas un moyen de préserver sonassisse?

“Du coup, et le coup fut redoutable, ces boulevards et les parcs devenaient des vecteursd'embellissement et d'embourgeoisement de la ville qui imposaient leurs exigences au reste de la trame ences seuls termes-là, ceux de la beauté et de la rentabilité. Lors de la validation des plans, Léopold II agissaitdonc sous une contrainte très précise : rien dans les environs de ces boulevards et de ces parcs ne pouvaitvenir affaiblir la valeur de ceux-ci.112”

Victor Besme, Plan d’ensemble pour l’extension et l’embellissement de l’agglomération bruxelloise,1866113

- Contrairement aux projections pourl'ouest, le nord et l'est de la villemarquées par les réalisations de prestige,la proposition de Besme pour Forest estrelativement peu étendue.

- Le plan d'ensemble est vide en ce quiconcerne la zone située entre la chausséed'Alsemberg et l'avenue de Foret(prolongation des ilôts à construireautour de la nouvelle gare du midi). Ellecorrespond aux dénivelés les plusimportants, tandis qu'il implante une“cité du midi” rayonnante sur le plateau.

- Le boulevard de ceinture proposé passeentre la campagne Mosselman (actuelparc Duden) et les lieux dit de lanouvelle salière e t d u bienvenu(emplacement du parc de St-Gilles-Forest).

- Cette déclivité est la base du traitementdifférencié des zones humides du fondde vallée (le bassin de la Senne) et desdomaines bourgeois, vestiges de la forêtde Soignes.

111 Louis Bertrand, représentant bruxellois du POB, cité par Marcel Smets, 1977, p.19112 Benedikte Zitouni, 2010, p.221113 AVB, collection cartographique, cartes et plans de Bruxelles n°96/8

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2. Le parc de Forest / Saint-Gilles, axe structurant de l'urbanisation ségrégante à Forest ?

Le parc de Forest / Saint-Gilles constitue l'une des premières entreprises bruxelloises de Léopold II114,dix ans après son accession au trône. Le facteur déclencheur est la construction d'une nouvelle Gare du midi,monumentale et néo-classique (l'entrée évoque un arc de triomphe surmonté d'un quadrige), à partir de 1860à Saint-Gilles et la prolongation conséquente des avenues. La gare est au coeur de la ville industrielle, ils'agit de “doter Bruxelles d’une entrée monumentale et de donner une nouvelle vie à un quartier où setrouvaient encore des terrains vagues”, de “relier les différents points importants en communication, relierla ville avec cette partie des faubourgs et utiliser ou compléter les rues déjà ouvertes.115” Le conseilcommunal de Saint-Gilles décrète entre 1862 et 1864 l’ouverture de quelques quarante-trois nouvellesrues116. S'il faut en croire les critiques de Victor Besme : “Quand le projet de l’avenue du midi a paru et queles plans lui ont été envoyés, (Victor Besme) s’est immédiatement occupé de faire un plan de parc au beaumilieu du parcours de l’avenue projetée.117”

En 1875 l'administrateur de la Liste Civile du Roi Ketels écrit : “Le Roi a résolu de créer sur leterritoire des communes de Forest et de Saint-Gilles, entre les chaussées d'Alsemberg et de Forest, un vasteparc dans le but de procurer à la classe ouvrière habitant la rue Haute et ses nombreux affluents, un lieu derécréation et de promenade où elle puisse respirer un air pur.118” Selon une esquisse de l'inspecteur voyer de1875, le parc fait partie du plan d'ensemble de fondation d'un nouveau quartier situé entre la tenaille duchemin de fer, la chaussée d'Alsemberg, la rue Théodore Verhaegen du côté de Saint-Gilles et le domaineDuden du côté de l'ancien village de Forest. En 1890, la suppression du cimetière de la ville situé à Saint-Gilles entre la rue de la Perche et la rue du Fort permet le tracé de l'avenue du Parc119.

Le parc Duden est postérieur, il s'agit d'une hêtraie anciennement liée à la Forêt de Soignes, nomméebois de la croix (kruysbosch), rachetée en 1796 par une famille de patriciens bruxellois, les Mosselman. Unindustriel de la dentelle allemand la rachète en 1829, construit un château en guise de résidence et le lègue en1890 à Léopold II qui l'inclut dans la Donation Royale. Le domaine ne sera ouvert qu'en 1912 à la mort del'usufruitière. La liaison entre les deux parcs ne sera matérialisée qu'en 1949 par le square Lainé.

Le parc de Forest / Saint-Gilles et le parc Duden (successif) permettent simultanément d'aménagerles pentes, d'offrir un espace de loisirs, de valoriser les terrains environnants et de délimiter le territoire.L'aménagement de cette déclivité est un axe structurant de l'urbanisation de la commune. Les ancienneszones humides du bas de Forest sont marquées par les infrastructures, les fabriques et les logementspopulaires, l'organisation orthogonale est accompagnée de plantations de marroniers : les tracés de l'avenuedu Roi, du boulevard Van Haelen et de l'avenue Wielemans dépendent directement du bas du parc de Forest-St-Gilles (place de Rochefort actuelle), l'avenue Van Volxem est le nouvel axe de communication principal.

Les zones humides du bas de Forest s'industrialise avec une spécialisation dans l'industrie légère etde consomamation : l'emblème de cet investissement est l'installation des brasseries Wielemans120. L’avenue

114 Un processus d'urbanisation analogue est en cours le long de l'avenue Louise. En 1864, la ville annexe l'avenueLouise (après la déchéance des concessionnaires privés De Doncker et Jourdan pour non-achèvement des travaux) et110 ha de la Forêt de Soignes : le bois de la Cambre aménagé par Kielig. Le jardin du Roi est créé par Léopold II etBesme en 1876, l'année de l'aménagement des étangs d'ixelles (un des trois étangs formant l'actuelle place Flagey).L'ensemble du tracé connaît une urbanisation rapide.Voir notamment Bertil Van Ertbruggen, Facteurs de création des parcs et jardins à Bruxelles, Rapport annexe autravail de fin d'études, Institut supérieur d'architecture de l'Etat la Cambre, 1983, p.15-20 et Benedikte Zitouni,2010, 331p.

115 Victor Besme, 1863, p. 34116 Catherine Meyfroid., La Gare du Midi à Bruxelles (1840-1952). Histoire et Influences , mémoire en histoire

contemporaine (directeur Serge Jaumain), ULB, 2004117 Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, dimanche 13 février 1876, 7e année, n°7, Bruxelles –

Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest 118 Grâce à sa dimension hagiographique, au travail minutieux de lecture des archives, à la facilité d'accès aux

archives du Palais, l'oeuvre de Ranieri offre une vision privilégiée des techniques immobilières et urbanisatiques de Léopold II et constitue l'ouvrage de référence pendant de nombreuse années. Liane Ranieri, Léopold II, urbaniste, éd. Hayez, 1973, Bruxelles, p.41

119 Stéphane Demeter, Inventaire du Patrimoine architectural de la Région de Bruxelles-Capitale, Histoire dudéveloppement urbanistique de Saint-Gilles Des origines à 1840, http://www.irismonument.be/fr.Saint-Gilles.html

120 En 1880, les frères Wielemans installent leur brasserie, basée auparavant dans le centre rue, Terre-Neuve, avenueVan Volxem. Ils commencent par des bières typiquement bruxelloises gueuze, taro, mars et très vite la brune àfermentation haute. Pourtant c’est l’adoption des pils (bières industrielles à fermentation basse) à partir de 1890combinée à la mise en bouteille (au lieu des fûts) à partir des années 30 qui lancera la brasserie.

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Wielemans-Ceupens est tracée en 1903 et financée conjointement par la brasserie, les communes de Forest etSaint-Gilles et la Société civile immobilière de Forest.

Les zones agricoles et boisées du haut de Forest, marqué par les grands domaines, connaissent unepromotion immobilière sur le modèle de l'opération menée par Léopold II et s'adresse à un public bourgeoissous l'impulsion d'Alexandre Bertrand (Société anonyme des villas de Forest) et du banquier Brugmann121

qui joue un rôle central dans le développement résidentiel aux limites entre Forest, Uccle et Saint-Gilles122.En 1903, Jules Vimenet contacte personnellement Victor Besme pour le convaincre de prolonger sonprogramme urbanistique par l'aménagement et le lotissement du domaine Zaman-Vimenet (15,57hectares)123, le château-villa du domaine étant offert comme maison communale. Victor Besme, reprenantpratiquement mot à mot l'argumentaire de Vimenet, affirme quelques mois après dans une lettre au ministrede l'Agriculture : “Il faut remarquer que le terrain est des plus accidentés dans cette région qui est unversant de la Senne et que le tracé des voies destinées à écharper ce versant dans des conditionsd’inclinaison qui ne soient pas exagérées est très difficile à réaliser et laisse fort peu de latitude. Il est ànoter qu’il y a un grand intérêt à relier le plateau de la chaussée d’Alsemberg avec la rue du bois qui longele parc Duden sur toute sa longueur puis à raccorder cette rue124.”

Le financement du projet et des travaux est réalisé avec les revenus du Roi, une pratique récurrentepour Léopold II qui ne distingue pas entre fortune privée et revenus publics. Selon Liane Ranieri 125 :“Léopold II trouvait encore dans les ressources infinies de son imagination des formules audacieuses pourarriver quand même à ses fins. Il avait alors recours à des mécènes, des notaires et des banquiers qui luiserviront de prête-nom, à des sociétés et des entrepreneurs qu'il faisait concessionnaires de travaux et quilui fournissaient ainsi le moyen de financer discrètement sur sa cassette privée ses projets les plus chers.” LeRoi offre 500.000 francs pour réaliser ce parc (le montant final accordé sera de 765.000 francs), legouvernement alloue 400.000 francs pour la réalisation des travaux de voirie et d'urbanisme. Il ne s'agit passeulement d'une entreprise gracieusement régalienne mais également d'une opération immobilière juteuse parla vente des parcelles attenantes. La Compagnie Immobilière de Belgique, qui procède également àl'aménagement de l'avenue Louise et du Jardin du Roi (liaison entre l'avenue et les étangs d'Ixelles), couvrele souverain et engrange les subsides en tant que concessionnaire des travaux. La CIB, substituée par safiliale, la SA du Parc de Saint-Gilles, procède aux acquisitions et aux expropriations, puis rétrocèdegratuitement aux communes en 1881 les 13 hectares de terrains destinés à l'aménagement du parc.

Le plan du parc étant décrété d'utilité publique, les aménagements d'espaces verts sont directementliés aux plus-values immobilières réalisables par le biais des expropriations pour cause d'utilité publique (loidu 1er juillet 1858, étendue par la loi du 15 novembre 1867 à tous les travaux d'amélioration oud'embellissement, y compris la réalisation d'un nouveau quartier), assainissement, amélioration etembellissement vont de pair. Les communes ont le droit d'exproprier par zones lorsqu'il s'agit : “D'unensemble de travaux ayant pour objet d'assainir ou d'améliorer, en totalité ou en partie, un ancien quartierou de construire un quartier nouveau.” L'expropriation englobe : “tous les terrains destinés aux voies decommunications et à d'autres usages ou services publics ainsi qu'aux constructions comprises dans le plangénéral des travaux projetés.” Enfin : “L'Arrêté Royal autorisant l'expropriation détermine les conditions de

121 Banquier et fils de banquier, George Brugmann, mécène et protestant, investit dans l'entreprise coloniale du Roi,dans le réseau viaire de l'ensemble du nord de Uccle, dans la construction de quartiers nouveaux et dans le secteurhospitalier.

122 Marcel Smets, 1977, p.38123 “La différence de niveau est de 30 mètres, c'est une barrière entre le bas de Forest (village et avenue Van

Volxem) et le haut (chaussée d'Alsemberg) il n'y a aucune communication que par le parc de St-Gilles qui est surForest soit au moins 3 kilomètres à faire en contournant le parc Duden. (...) Les constructions s'y éléveraientcomme par enchantement. (...) Ce n'est pas le premier géomètre ou architecte venu qui peut concevoir et réaliser untel projet!”Jules Vimenet, lettre du 9 mai 1903 à Victor BesmeArchives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

124 Victor Besme, province de Brabant, service voyer des faubourgs de Bruxelles, commune de Saint-Gilles et deForest, lettre du 12 novembre 1903 adressée à monsieur le Baron Van der Bruggen, Ministre de l'Agriculture.Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

125 Le patrimoine est estimé à 20 millions, soit un revenu annuel d'un demi-million, à ces revenus il faut ajouter laliste civile (3,3 millions par an), les revenus congolais n'entrent véritablement en ligne de compte qu'à partir de 1896(mise en place du régime domanial, monopole du commerce de l'ivoire et du caoutchouc)Liane Ranieri, 1973, p.21-22

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la revente des terrains non occupés par la voie publique.126” Les perspectives sur la ville et les alignementsen voirie sont au centre des prescriptions de l'inspecteur voyer et s'imposent aux promoteurs immobiliers 127.Les intérêts financiers demeurent importants et Besme a appris à se méfier, lorsqu'il s'adresse à la communede Forest : “Je donne ci-dessous les évaluations faites sur place, mais avec la discrétion nécessaire pour nepas donner l’éveil.128”

Le Roi se réserve “la plus entière liberté pour faire exécuter le parc, y compris le tracé, lesplantations, l'ensemencement, l'achat des graines, arbres et arbustes. (...) Ni la qualité des terres utilisées, nila nature des essences végétales, ni l'emplacement des arbres, des parterres et des bancs, n'échappèrent àson attention et nombreuses furent ses visites sur le chantier.129” De plus, il assurera l'entretien du parc àraison de 5000 francs par an pendant 25 ans. Il n'abandonnera cette charge qu'en 1910, prenant prétexte ... del'insécurité qui règne dans le parc, au cours du mois d'août 1885, 13 individus sont arrêtés pour maraudage.Liane Ranieri indique que le conseil communal de Forest admet : “des scènes scandaleuses qui annihilentcomplètement les sacrifices que S.M. Le Roi s'est imposé dans l'intérêt de ses sujets.”130

3. La Donation Royale ( 1900 )

“ Préoccupé du désir de conserver à ces biens leur destination d 'embellissement, j'ai constammentveillé pendant mon règne à ce qu'ils ne fussent déparés par aucune construction qui pût changer leurcaractère. Il serait regrettable à tous égards de voir anéantir après moi leur affectation actuelle, audétriment de l'aspect et de la salubrité de diverses agglomérations de plus en plus populeuses ... Surtout prèsdes grandes villes, il est fort utile pour ne pas dire indispensable de conserver des espaces libres avec desdécorations naturelles et cela dans l'intérêt de l'esthétique et de l'hygiène. Il en est particulièrement ainsilorsque ces espaces sont, comme c'est le cas ici, ornés de plantations déjà grandes, divisées en pelouses etjardins bordant des boulevards. C'est l'existence de ces aménagements qui n'ont rien coûté au Trésor public,qu'il s'agit de sauvegarder dans l'avenir. Cette préservation n'a que des côtés avantageux. Si sur ces terrainsil ne peut être élevé des bâtisses de rapport, il ne faut pas perdre de vue que dans leur voisinage immédiatpourront s'élever des quartiers nouveaux dans des conditions exceptionnellement favorables.131”

La Donation Royale de 1900 reflète le plan d'ensemble de Léopold II. Testament politique, ladonation énumère les motivations urbanistiques du 'roi paysagiste', elle a soulevé les oppositions de l'Etatpuisqu'il constitue une dérogation au droit commun des successions (les filles de Léopold II ayant légalementdroit à la quotité réservée de l'héritage). La Donation sera finalement approuvée par la loi du 31 décembre1903 et celle du 18 octobre 1908. A ce titre elle participe de la stratégie successorale du roi qui parvient àfaire adopter par l'Etat belge les acquis de ses politiques urbanistiques et coloniales, menées en son nompropre. Depuis 1930, la Donation est un établissement public autonome placé sous la tutelle du ministère desFinances, son patrimoine immobilier représenterait (en 2008) 450 millions d'euro, les recettes sont senséescouvrir les dépenses quoique la comptabilité soit plutôt trouble132. Au-delà de ces modalités de transmission,le texte anticipe sur les législations de protection du patrimoine.

126 Marcel Smets, 1977, p.42127 “ La liquidation de la société du parc de Saint-Gilles pourrait construire une villa à l’emplacement marqué N

dans le lot R à la condition que sur une longueur de 80 mètres du point H, il ne serait fait aucune construction niplantation qui puisse masquer la vue prise de l’avenue Besme, dans la direction des parcs et de la vallée. La sociétédes maisons ouvrières pourraient conserver provisoirement les habitations restantes dans le lot S et si elledémolissait les maisons ouvrières elle pourrait construire dans ce lot trois villas en laissant entre celles-ci deuxpoints de vue pris de l’avenue Besme dans la direction des parcs et de la vallée, ayant chacun 10 m d’ouverture àcette avenue et 14 à 15 mètre à la voie HM.” Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

128 Victor Besme, lettre du 30 novembre 1902 à la commune de Forest, province de Brabant - service voyer -n°35501Archives privés Thierry d'Huart - Fond Victor Besme – Parcs de Forest

129 Archives du Palais royal, 283, Dossiers de correspondance relative aux fournitures et à l'entretien du parc, 1881-1886analysé par Liane Ranieri, 1973, p.42

130 Liane Ranieri, 1973, p.43131 Succession de Léopold II, Documents produits par l'Etat belge, Doc n°22, Lettre du Roi au ministre des Finances

et des Travaux publics, 9 avril 1900 cité par Liane Ranieri, 1973, p.22-23 132 Martine Dubuisson, La Donation royale lutte pour sa survie, Le Soir, Samedi 23 février 2008

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“Est complètement privé le geste du créateur qui en association exclusive avec le politique (...),remodèle unilatéralement l'espace public dans une démarche de pure projection de son ego et,éventuellement, de son talent, nous privant ainsi de tous les autres contenus de l'espace. Ce geste n'est paspublic même si le cadre juridique et politique dans lequel il a été réalisé l'est. (...) N'est pas public celui quifait table rase des sentiments d'attachement que les habitants portent au lieu; l'est, celui qui organise leurprise en compte.133”

Charles Buls : une opposition politique et esthétique

L'Esthétique des villes de Charles Buls (1893) est la première manifestation francophone d'un mouvementinitié en allemand par Camillo Sitte134, peut-être Reinhard Baumeister135. Autodidacte et orfèvre deformation, bourgmestre de Bruxelles entre 1886 et 1899, Buls plaide pour l'adaptation à la topographie, auxcaractères locaux, voire au non-aménagement avec une approche organique de la ville :

• La première est formée d'un réseau de rues qui se ramifient, s'enchevêtrent, comme les artères etles veines d'un organisme vivant ; la seconde, avec ses voies parallèles ou perpendiculaires, a lecaractère d'une cristallisation artificielle, sèche, mathématique.136

• Loin de dissimuler les différences de niveau à grand renfort de remblais, nous recommanderionsd'en tirer parti.137,

• Pour le choix des plantations, le mieux, est de se laisser guider par la disposition du terrain - ilfaut conserver les étangs, les ruisseaux et les arbres existants. Il faudrait autant que possibleconserver aux faubourgs leur caractère rural grâce à des bouquets d'arbres et des alléesombragées.138

Charles Buls finira par démissionner après une polémique qui l'oppose à Léopold II au sujet del'aménagement du Mont des Arts.

la plainte d'Adan : une opposition habitante et naturaliste

Le public est-il intéressé à ce qu'il y ait à Anderlecht un abattoir, un parc, un marché, des rues nouvelles etconséquemment des nouvelles maisons ? Evidemment non. Un abattoir ! Il y en a à vos portes. Un marché ! Il s'en trouve partout.Un parc ! On rencontre des squares et des boulevards à peu de distance. Des rues ! Qui en demande? Des habitations ! Dans l'agglomération, on en compte déjà par milliers.139

Ce cas exceptionnel permet de comprendre ce qui ne peut être compris dans le compromis urbanistiquefluctuant décrit par Benedikte Zitouni : “Adan attaqua l'utilité publique et la nécessité même d'urbaniser lavallée. Autrement dit, au sein des tensions provoquées par l'arrivée des concessionnaires, la plainte d'Adanétait ce cas rare qui indiquait la limite de la négociation : pour participer à la rédaction de la convention,il fallait accepter l'horizon urbain des faubourgs. Ceci dit, la plainte d'Adan ouvre quand même la questionde la campagne et des marécages. Que devenait le paysage rural ? Que devenaient les villages? Seuls troistraits de l'ancien paysage furent retenus pour asseoir l'agglomération bruxelloise : la variation deshauteurs pour le façonnement du relief, la ramificaiton des ruisseaux pour l'évacuation des eaux, et, traitnon encore abordé, la circulation vicinale pour le traçage des divisions.140”

133 Gérard Chouquer, 2007, p.49134 Camillo Sitte, L'art de bâtir les villes - l'urbanisme selon ses fondements artistiques, Vienne, 1889135 Reinhard Baumeister, Stadt-Erweiterungen in technischer, baupolizeilicher und wirthschaftlicher Beziehung

(traduction libre : l'Extension des villes d'un point de vue technique, urbanistiques et économique), 1876 Le terme baupolizei pourrait constituer une approche philologique intéressante.

136 Charles Buls, Esthétique des villes, 1893, Bruxelles, p.8-9 137 Charles Buls, 1893, p.42138 Charles Buls cité par Marcel Smets, 1977, p.63139 Lettre de monsieur Henri-Philippe Adan, Ixelles, Toison d'Or 5, directeur général honoraire de l'Administration

des Contributions (la carte de visite est épinglée à la lettre), sans date, annexé au procès-verbal du conseil communaldu 12 octobre 1883 - Archives de l'Etat, Fonds du gouvernement provincial du Brabant, service 12, Anderlechtcité par Benedikte Zitouni, 2010, p.237

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4. Epilogue

Le parc de Forest / Saint-Gilles en tant que programme urbanistique et immobilier s'inscrit dans ladynamique d'urbanisation et de densification du sud-ouest de Bruxelles. La population de Forest passe de2184 habitants en 1866, à 5885 habitants en 1890 et à plus de 24228 habitants en 1910141 et plus de 54000habitants en 2014.

Comme le fait observer Benedikte Zitouni sans le nommer, le vocabulaire de ces aménagements estproche de celui de la gentrification que nous étudierons dans le prochain chapitre : “Puisque la division et lapréparation devaient produire la cessibilité des terrains, elles étaient encore appelées la valorisation desquartiers. (...) Du point de vue de l'inspecteur-voyer, la préparation revenait à sortir les faubourgs del'inaction, à stimuler les émergences, à offrir tous les éléments de prospérité, ou encore, comme il le dit àpropos du vieux village saint-gillois, à assurer sa regénération et sa reconstruction totale.142”

En France Pascal Tozzi constate une convergence entre les pratiques d'aménagements “hygiénistes” et“durables” : “ Dans le propos des aménageurs-hygiénistes du 19ème siècle, l'injection d'espaces naturelsdans l'urbain est censée assurer l'équilibre, la santé et l'apaisement social : ils sont promus en repoussoireffficace des nuisances de la ville industrielle. Pour le néo-hygiénisme qui traverse aujourd'hui les discoursde la durabilité urbaine, il s'agit toujours de restaurer un lien entre l'homme et la nature, de guérir“naturellement” les maux engendrés par la civilisation urbaine. Et si l'optique, les techniques et lesmodalités de gestion écologique de la ville durable diffèrent des choix dixneuviémistes, le discours actueln'en est pas moins héritier de certains registres idéologiques, notamment quand il s'agit de réordonnancer lanature urbaine au prisme de l'écologie et de nouvelles considérations hygiéniques autour de la santé, dubien-être, de la salubrité.143”

Pourtant, l'argument fourni par l'administrateur de la liste civile du Roi en 1875 n'est pas uniquementun effet discursif, le parc de Forest / Saint-Gilles se situe à proximité du quartier de la rue de Bosnie, lequartier à plus forte densité des 19 communes en 2014 (37492 habitants au km2). La grande pelouse donnantsur la place de Rochefort est utilisée tant par les familles nombreuses sans jardin (femmes avec enfants enbas âge), que par les pratiquants de sports de ballon; l'espace central (terrain de football en sable, buvetteabandonnée et cabane du gardien) est réapproprié par les communautés d'immigrés sud-américains dans lecadre d'un tournoi quotidien vespéral de volley-ball; la pelouse supérieure adjacente des quartiers plushuppés de Saint-Gilles et de Forest concentre plus facilement les jeunes adultes et autres étudiants ainsi queles promeneurs de chiens; enfin les coins discrets fournissent de confortables asiles de jour aux populationsmarginales (mal-logés, sans domicile fixe,...) 144.

« Ce qui était violence faite au territoire est devenu élément de sa diversité, héritage positif etvalorisé. Bien entendu ce n'est plus le même objet, parce qu'il n'est plus au service de la même compositionpolitique. (...) Le même objet matériel (...) a changé de statut avec le temps. En provoquant des dynamiqueset des formes, il est devenu un pli du paysage qui, lorsqu'on veut changer les formes, s'interpose sans sedévoiler immédiatement.145 »

140 Benedikte Zitouni, 2010, p.237141 Liane Ranieri, 1973, p.41-43142 Benedikte Zitouni, 2010, p.229-230143 Pascal Tozzi, « Ville durable et marqueurs d’un « néo-hygiénisme » ? Analyse des discours de projets

d’écoquartiers français », revue Norois, Presses universitaires de Rennes, n°227, 2013, p.103http:// norois.revues.org/4700

144 Comme le constate en 1982 : “La forme et le contenu “idéal” du parc est lié au statut social de l'utilisateur. Lesclasses défavorisées souhaitent pouvoir fréquenter des espaces verts “naturels”, structurés et domptés, maisclassique dans leur organisation et leur perception. Les classes sociales aisées fréquentent davantage des espaceséquipés d'infrastructures sportives ou de jeux. Leur plus grande mobilité leur donne une perception “nature” quiest extérieure à la ville.” Bertil Van Ertbruggen, 1983, p.133

145 Gérard Chouquer, 2007, p.46

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Ce tableau ne serait pas complet sans un aperçu sur les anciennes zones humides. En effet, si lanature est aménagée dans le haut de Forest, avenues arborées, jardins, parcs, le glacis que nous avons décrit àla fin de l'implantation est caractérisé par une occupation industrielle extensive. Cette description ne seraitpas complète en occultant l'évolution parallèle du bas de Forest marqué par le développement, puis la criseindustrielle, l'installation de l'usine VW et la construction du Ring. Après 1980, 40% de la vallée (180hectares soit 12,5% du territoire communal) a été bétonnée. Sur la même période, on constate une inondationtous les 14 ans entre 1820 et 1872, une inondation tous les 13 mois entre 1874 et 1980. Selon les riverains,depuis 1980, on constate une inondation tous les 5 mois ainsi qu'une montée du niveau des eaux claires146. Leréseau d'égoût, prévu pour 5000 habitants supportent à présent une population de plus de 50 000 habitants.Dans un contexte d'imperméabilisation des sols, d'urbanisation des parcelles inondables de la vallée,d'augmentation des précipitations, de fin des captages industriels, le niveau est remonté, de manière nonhomogène.

146 Françoise Debatty (Comité Stop Inondations Saint-Denis), intervention orale et interviewEGEB/SGWB et commune de Forest, Vers un versant pilote à Forest ? Table ronde du18 mars 2014

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D. La nature aménagée au 21ème siècle – la métropole bruxelloise : un palimpseste ?

La société code les flux et traite comme ennemi ce qui, par rapport à elle, se présente comme un flux non codable, parce qu'encore une fois,

ça met en question toute la terre, tout le corps de cette société.

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux147

1. Densification : une “utilisation parcimonieuse du territoire148” ?La densification est une phase toujours contemporaine de l'urbanisation, un phénomène global que

Mike Davies n'hésite pas à qualifier de “produit le plus dramatique de l'évolution culturelle humaine del'Holocène149.”

La question de la densification apparaît fondamentale dans le contexte actuel de la métropolebruxelloise, comme l'indique l'évolution de la population et l'emphase politique sur la question. Ce“miniboom” démographique doit toutefois être nuancé, la population actuelle dépasse à peine son pichistorique de 1968 (1 079 181 habitants). Au-delà des questions qu'il pose en terme d'infrastructures scolairesou sanitaires, le boom démographique constitue un argument politique permettant de justifier la politiquefoncière de la région que certains n'hésitent pas à qualifier d'urbanisme par dérogation.

Un certain nombre de politiques et d'études régionales insistent depuis le début de la secondedécennie de ce siècle, sur l'urgence de planifier les effets de la pression démographique, notamment du pointde vue de l'environnement urbain : le Plan Régional de Développement Durable (PRDD), l'adaptationdémographique du Plan Régional d'Affectation du Sol (PRAS Démographique), le Plan Nature. Ces plansincluent une étude d'incidence environnementale, obligatoire au regard de la législation européenne.L'ensemble des études préparatoires et des processus participatifs sont réalisés, intégralement ou en partie,par des bureaux d'étude privés dont les équipes sont souvent insérés dans diverses administrations fédérales,régionales, académiques: Cooparch ru, Etudes et rénovation urbaine150, Ecores, 21 solutions, Aide à laDécision Economique (ADE), Dedicated Research... Cette tendance se traduit également par l'institution parla région d'associations sans but lucratif telles que l'Agence de Développement Territorial (ADT-ATO) quialimentent l'aménagement en argumentaires. L'Administration de l'Aménagement du Territoire et duLogement (AATL) est la direction régionale qui concentre les leviers des politiques d'aménagement duterritoire. Depuis 2014, elle se nomme Bruxelles Développement Urbain.

L’impératif sociopolitique affiché est de préparer la ville à 170.000 habitants supplémentaires entre2013 et 2020 selon le PRDD, ce qui implique la construction de logements et d'équipements collectifs liés151

147 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, p.673148 Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale adoptant la modification partielle du plan régional

d'affectation du sol - 2 mai 2013 - 149 Mike Davies, 2002, p.76150 En 1995, la commune de Bruxelles-Ville confie à une équipe d'urbanistes organisés sous forme d'asbl (ERU -

études et recherches urbaines) la délégation au développement du Pentagone puis à la ville. L'asbl se double d'unesociété coopérative et ERU devient l'un des principaux bureaux de consultants et d'urbanistes parapublics,participant activement à une série de Contrats de Quartier durable, et à la mise en place d'organismes comme leRecyclart, encadrant les communes de Bruxelles et de Uccle pour la réalisation de leur Agenda 21 local(participation obligatoire d'une agence de consultance externe), réalisation de schémas directeurs pour Haren, oupour la réaffectation de bâtiments abandonnés, réhabilitation de la Ferme Den Bels à Neder-Over-Hembeek.

151 be.brussels, Rapport sur les incidences environnementales du Plan Régional de Développement Durable de laRégion de Bruxelles-Capitale (RIE du PRDD), Le Rapport sur les Incidences Environnementales a été réalisé avec

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et 9500 logements à finalité sociale. Les ressources foncières disponibles sont essentiellement : les grandsprojets urbains sur les friches ferroviaires ou industrielles, de nouvelles urbanisations dans le cadred’extensions urbaines en seconde couronne, la reconversion de sites industriels inoccupés et de bureauxdésaffectés, la construction de bâtiments élevés152. De ces quatre types d'intervention, les trois premières ontun impact direct et certain sur la nature en ville.

“Plusieurs principes urbanistiques sous-tendent le mot d’ordre de reconstruire la ville en ville :densification de l’environnement construit, régénération des friches urbaines, orientation de l’urbanisationvers l’intérieur, contrôle de la consommation de sol, revitalisation des centres, mise en valeur des pôlessecondaires, mixité fonctionnelle, etc. Du point de vue démographique, le modèle de la ville compacteimplique d’augmenter l’attractivité résidentielle des villes et leur niveau de peuplement par la constructionde logements dans les potentiels contenus dans le tissu bâti.153”

La répartition des typologies du bâti est directement liée à l'urbanisme, donc au parcellaire et auréseau viaire et dans une seconde mesure à la topographie, donc aux conditions naturelles. L'habitant n'estpas une donnée neutre, il occupe l'espace, “il y contribue activement en plaçant au regard du planarchitectural et de la forme bâtie l’expression d’une corporéité qui s’installe à demeure, l’aménagementd’un environnement familier matériel et d’une topographie affective élémentaire, en deux mots : unearchitecture d’usage.154” Du point de vue de l'habitant, la typologie du bâti est probablement l'un deséléments qui conditionne le plus directement l'accès à la nature et la perception urbaine du milieu, ne serait-ce que parce que 42% du vert régional est constitué de jardins et de domaines privés (voir le point surl'espace vert, un produit fonctionnel). La typologie de base dans les communes de la seconde couronne est lamaison bourgeoise bruxelloise, sa diffusion massive (liée à la phase d'urbanisation de la deuxième moitié du19e siècle et de la première moitié du 20e siècle) entraîne un ordre fermé dans un espace urbain organisésous formes d'ilôts, elle obéit à un schéma de base stéréotypé particulièrement adapté à la flexibilité à petiteéchelle155. Bruxelles et Forest singulièrement ont cependant la particularité de réunir une certaine diversité detypologies d'habitat qui chacune modèle l'accès et la représentation de la nature de ses habitants : la cité-jardin dans son caractère clos et communautaire, l'appartement dans un immeuble fonctionnaliste des années70 en hauteur, une maison deux façades dans le périmètre proche de la gare du midi, la villa moderniste ouecclectique avec pour unique vis-à-vis un parc boisé, l'appartement dans un lotissement de standing, le loftde prestige dans un ancien bâtiment industriel, l'arrière-maison avec cour ou jardin, la maison bruxelloisetypique avec pour limite au jardin une zone humide en bordure de chemin de fer, l'appartement dans ungrand ensemble avec vue sur le canal et parc linéaire adjacent.

Dans la phase actuelle du développement urbain, une situation de fait née à la fin des années 1970 esten passe d'être dépassée par le réinvestissement avancé des quartiers centraux, l'extension de la notion mêmede centre à certains quartiers des communes de seconde couronne et l'urbanisation des espaces périphériques(voir le projet Neo sur le plateau du Heyzel) et des zones d'intérêt régional (ZIR), sans compter laprolongation des zones de relégation historiques (voir le projet de prison à Haren).

La pression est particulièrement importante dans la zone du Canal dont le schéma directeur est confiéà un cabinet incarné par Alexandre Chemetoff156. Les politiques sont unanimes; du MR, le bourgmestre

l’assistance du bureau ADE (Aide à la Décision Economique), soutenu par un groupe d’experts (Econotecconsultants, Siterem, VUB, Stratec, Climact, Rhea et ASM Acoustics.), septembre 2013, p.10

152 Résumé non technique, Rapport sur les incidences environnementales du Plan Régional de Développement Durable de la Région de Bruxelles-Capitale (RIE du PRDD), septembre 2013, p.7

153 Patrick Rérat, Reconstruire la ville en ville, in Géo-Regard : revue neuchâteloise de géographie, Editions Alphil,2008, p.5

154 Marc Breviglieri, 2013, p.216155 Cette typologie est liée à la structure du parcellaire, aux alignements et hauteurs de corniche, elle influe en

fonction des quartiers sur les intérieurs d'ilôts en jardins étroits ou en espaces d'ateliers et de petite industrie. Lacommission royale des monuments et sites ne s'y trompe pas: “L’interaction voulue de tous ces éléments avecl’espace non bâti est à l’origine de la qualité du cadre de vie qu’ils offrent.”http://www.crms.irisnet.be/fr/thematiques-specifiques/la-maison-bruxelloise-ou-la-flexibilite-a-petite-echelle

156 “Nous sommes à un moment particulier, celui d’un changement de cycle. Il faut inventer les moyensd’accompagner cette mutation de la ville. (...) A la manière dont les villes ont reconfiguré les emprises des ouvragesde défense militaire, nous proposons d’utiliser ces réserves foncières pour répondre rapidement aux besoinscruciaux en logements et équipements auxquels la Région doit faire face. (...) Les activités qui sont situées sur ledomaine portuaire ou au bord du canal doivent, pour être légitimes, entretenir un lien réel et fort avec la voie d'eauou alors, dans le cas contraire, prendre place sur des plateformes logistiques. (...) Nous voulons développer, sur

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d'Anderlecht Van Goidsenhoven : “Le Sud est toujours la zone sinistrée et oubliée du Canal. Je rêve d'uneville d'eau !”, au PS, le ministre-Président Picqué : “Le canal est l'échine du développement actuel et futur deBruxelles.” en passant par Ecolo, le ministre du logement Doulkeridis accompagnant les projets au nom dulogement, ils appuient la reconversion. Pour les relais médiatiques des investisseurs et de leurs architectesphares dont Philippe de Bloos, l'objectif est clair : “intervenir de manière innovante sur la planificationurbaine semble aussi urgent que primordial pour en finir avec l'anarchie.“157 Ce climat incite legouvernement à adopter une modification du PRAS de 2001, le PRAS démographique, très critiqué parInter-Environnement Bruxelles (coupole d'associations non-gouvernementales) : “Cette course à laproduction de logements inadaptés aux besoins des Bruxellois a conduit le gouvernement à convertir858 000 m² de Zone d’industrie urbaine (ZIU) en Zone d’entreprises en milieu urbain (ZEMU) pour yfaciliter la construction de logements autrefois interdits à ces endroits. La moitié sont des terrainsindustriels et portuaires situés le long du canal.158”

Enfin, le PRAS démographique met en place un statut d'exception dans la législation urbanistique : lesZones d'Intérêt Régional (ZIR)159, la ZIR n°7 est au coeur de la densification et de la gentrification dans lebas de Forest (voir Annexe - cartographie de trois friches à Forest).

2. La gentrification dans le bas de Forest, quels déterminants ?

C'est dans ce contexte qu'il s'agit de comprendre la gentrification comme programme d'aménagementsocial et urbanistique du milieu urbain. Si les politiques de revitalisation urbaine précèdentchronologiquement la nouvelle courbe démographique de la ville-région, la gentrification s'y modèleparfaitement : elle est un processus d'intensification là où les aménagements léopoldiens étaient extensifs. Sielles ont visé dans un premier temps certains quartiers du centre et des communes de première ceinture, ellesse déplacent et intéressent désormais une étendue qui prend la Région pour échelle.

Ironiquement, il aura fallu dissimuler le processus d'embourgeoisement en cours, en adoptant pour lenommer celui d'une autre classe au statut socio-économique singulier : la gentry désigne à partir de 1540 enAngleterre les propriétaires fonciers rurbains qui disposent de tous les attributs sociaux de la noblesse titréesans les attributs légaux. Il n'est pas inutile de rappeler que les quartiers bourgeois conservent leur typologied'habitants malgré la densification, la gentrification concerne donc les choix résidentiels effectués par denouveaux habitants dans les quartiers populaires. Si la densification pourrait laisser penser que larevitalisation urbaine offre un nouvel horizon, un peu plus serré, de mixité et de convivialité; les études surla gentrification rappellent les bouleversements que provoquent ces politiques économiques et urbanistiques :“Selon le contexte et le moment, “revitalisation” va de pair avec éviction (directe ou indirecte) des habitantsou usagers initiaux, marginalisation sur place des populations (dès lors que les quartiers sont mis enspectacle à destination d'un nouveau public) ou mise sous surveillance des classes populaires dans l'espoirde “normaliser” leurs usages de la ville.160”

Ce processus globalisant d'aménagement architectural et social se traduit par une mise en concurrencedes villes et des territoires : “Le coefficient d’attractivité des villes, qui comptabilise scrupuleusement leslabels de qualité et de performance (économique, énergétique, etc.) agit comme une puissante informationmarchande occasionnant un effet de séduction et de captation des capitaux humains et financiers.161” Lanature est l'un des éléments de ce benchmarking : “mettre en valeur les espaces de nature et la biodiversité

une partie singulière du territoire, un ensemble de projets représentatifs et susceptibles de transformer la manièredont la ville se comprend, se développe, se construit, s’aménage et vit.”Alexandre Chemetoff, interviewé par Bruplus le 28/02/2013http://www.bruplus.irisnet.be/fr/content/rencontre-avec-alexandre-chemetoff

157 Philippe Coulée et Cécilia Vandernoot, Bruxelles – le canal, épine dorsale du renouveau urbain, Tendance/Trends, lundi 21 mai 2012, http://trends.levif.be/economie/actualite/immo/bruxelles-le-canal-epine-dorsale-du-renouveau-urbain/article-4000099287343.htm

158 Conseil d’administration d’Inter-Environnement Bruxelles, Boom sur le Pras, in Bruxelles en mouvement, juin 2014, http://www.ieb.be/Boom-sur-le-PRAS

159 A ne pas confondre avec les ZICHE ou Zones d'Intérêt Culturel, Historique et Esthétique, ce terme, déjà vieilli, estcontemporain de l'autonomisation de la région de Bruxelles-Capitale. on remarquera que l'écologique en est absent.

160 Mathieu Van Criekingen, Comment la gentrification est devenue, de phénomène marginal, un projet politiqueglobal, Agone, n°38-39, 2008, p.79

161 Marc Breviglieri, 2013, p.219

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du territoire constitue une stratégie pour vendre l'image d'une ville dotée de qualités réelles ousymboliques.162”

Que recouvre le terme de gentrification à Forest et plus particulièrement dans les anciennes zoneshumides du bas de la commune, transformées en glacis d'infrastructures et d'industries à l'époque fordiste ?

Au sein de Bruxelles, Forest présente la caractéristique d'être, en termes résidentiels, à la fois unezone de repli et une zone de relégation. Si certains ont pu désirer se retirer dans une commune marquée parnombre d'espaces verts, d'autres ont clairement dû se replier sur une zone plutôt isolée en terme de mobilité,délaissée en termes culturels et fortement marquée par l'industrie fordiste. La marginalité du logement socialdans l'accès à l'habitat des classes populaires entraîne une localisation relativement dispersée. L'accès locatifou propriétaire à ces habitats n'est pas liée de manière univoque aux moyens financiers mais reposeégalement sur des conditions héritées, des niches sociales, des héritages de l'histoire plus ou moins récente dela ville.

VOIR ANNEXE 2 – Transect – cartographies trajectivesLa localisation de la commune est stratégique, au coeur de l'une des dernières réserves de foncier du

sud de Bruxelles liée à la double ligne de chemin de fer, elle se situe de plus dans l'extension naturelle del'est bruxellois privilégié et à proximité d'une commune – Saint-Gilles – qui a fait de la revitalisation unleitmotiv et un héritage politique sous l'égide de son bourgmestre Charles Picqué (qui préside l'exécutifrégional pendant 19 ans : entre 1989 et 1999, puis entre 2004 et 2013). 55 millions d'euro publics ont étéinvestis dans le bas de Forest dans le cadre de trois contrats de quartiers, moins d'une centaine de logementssociaux et moyens sont annoncés pour 0,75 hectares d'espaces verts163.

162 Paul Arnould, 2011, p.62163 Bilan de la politique de rénovation urbaine, le coeur de Forest en pleine mutation !

Discours d' Evelyne Huytebroeck, 12 juillet 2012 - http://evelyne.huytebroeck.be/

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Il ressort d'une analyse croisée des cartes disponibles164 et du travail de terrain165 dans le bas de Forest :

Nuisances

- pollution sonore : ring, chemin de fer, avions (routedu canal)- risques chimiques et industriels : sites seveso,...- décharges (Shanks, Bruxelles-Propreté), ferrailleurs(Business Park Saint-Denis) - pollution des sols : anciennes imprimeries, garageset industries (cf carte et programme greenfields)- pollution de l'air : Ring, usine Audi, incinérateur deboues (station d'épuration bruxelles-sud), centraleélectrique au gaz de Drogenbos

- quartier sans espace d’identification clair : loin dunoyau médiéval de Forest, coincé entre les parcsForest-Duden d’une part, les voies de chemin de ferde l’autre, la place Saint-Antoine est le seul espacestructurant populaire du quartier.- topographie – bassin versant sans exutoire vers laSenne – inondations périodiques – zones humidesdans le bas de Forest – collecteur du Geleytsbeek(sous Audi) ensablé

- communautés immigrées structurées (salles deprières, mosquées, centres islamiques)- désinvestissement des pouvoirs publics : plus depiscine communale , plus de bibl iothèquecommunale, plus de cinéma de quartier (Movy-Club), une structure scolaire déficiente.

Aménités

- politique d'investissement public – WIELS,DIVERCITY, BRASS,...

- centralisé, zone d’extension naturelle de la zonelargement gentrifiée qu’est Saint-Gilles et de l'estbruxellois privilégié- accès à la gare du Midi (Thalys - 1989-1996) :Paris, Amsterdam, Londres, Cologne + RER + Réseau Sncb- prix du foncier et typologie de l’habitat(usines/manufactures) permet de déborder de lamaison deux façades éventuellement complétée parun espace arrière semi-industriel/semi-artisanal=> Lofts=> bureaux en plateau : architectes, designers,…=> couveuses d’entreprises (Morphosis)=> maisons bourgeoises bruxelloises à proximité

- urbanisme léopoldien de prestige : parcs de Forestet Duden, avenues arborées- Canal (reconversion d’espace industriel à espacerécréatif - voir la politique du Port de Bruxelles enterme de tourisme nautique)- Senne cachée, à faire réémerger dans le cadre desnouvelles rivières urbaines, du maillage vert et bleu.

- diversité des communautés immigrées (non-monoculturel)- politique publique communale opportuniste(parcours de Marc-Jean Ghyssels)

A Forest, les principales zones d'extension et de densification se trouvent autour du glacisd'infrastructures industrielles dont nous avons décrit la mise en place. Cette localisation peut contituer unobstacle majeur pour l'attractivité des nouvelles zones. C'est sur ce dernier point que la nature(aménagements léopoldiens) et la culture (WIELS) jouent un rôle majeur. Au-delà, c'est la reconversion del'infrastructure industrielle dans le cadre d'une configuration des villes en réseaux qui guide le processus d'unpoint de vue économique.

164 GEOBRU (IBGE), URBIS (AATL), BRUCIEL (AATL), IBSA165 Observations trajectives : octobre 2013-juillet 2014 voir Annexe – cartographies trajectives

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Les éléments moteurs de la gentrification dans le bas de Forest sont :

– Un urbanisme léopoldien de prestige (parcs, boulevards, plantation, perspectives) et notamment deuxparcs publics (43 hectares) dont la typologie correspond aux usagers de multiples catégories socialeset constitue un ensemble d'aménités propres à valoriser le foncier.

– Un tissu industriel et des espaces non-bâti en pleine reconversion vers le résidentiel (et le bureau)aux lisières et dans les interstices de la zone ferroviaire.

– Une série de bâtiments emblématiques témoignent du réinvestissement fédéral, régional etcommunal dans le bas de Forest. Ils constituent des points de référence nécessaires pour situermentalement le quartier. Abandonnées en 1988, clasées en 1993, le site des anciennes brasseriesWielemans-Ceuppens est racheté par la Région et Beliris (état fédéral) en 2002 : “Mais le WIELS estbien plus qu'un centre d'art contemporain, il s'inscrit également dans un projet de réhabilitationglobale de tout un quartier et participe aujourd'hui à la revitalisation urbaine de cette partie de lacommune (...) 166” affirme Charles Picqué en 2011. L e facteur déclencheur dans l'investissement du quartier est la rénovation et la requalification(massivement soutenue par la Région et l'Etat fédéral) d’un bâtiment emblématique des brasseries, leBlomme (les frères Blomme, architectes, sont également les auteurs du projet pour la nouvelle garedu midi achevée en 1952), et sa transformation en centre d’art contemporain, sans collectionpermanente en 2007 : le WIELS (40.000 visiteurs annuels). Anticipant les critiques, le centrepratique une politique de médiation et d'ouverture sur le quartier167.

– L'investissement public continue avec l'aménagement du BRASS (centre culturel de Forest) sur lemême site dans un bâtiment rénové et le projet DIVERCITY (voir encadré).

– La rénovation de la place Saint-Antoine et la reconstruction de la maison de quartier apparaît commeun geste à l'attention des habitants du quartier.

– L e jardin Mille Semence-Ceuppens168 s'étend entre le WIELS et le BRASS (mini-potagersindividuels, en bacs et ruches), il est installé sur une dalle en béton, une expérience dephytoremédiation est menée par le laboratoire d'écologie végétale et de biochimie de l'ULB169. Ilreprésente 600 m2 sur une friche d'un peu plus de 2 hectares qui comprend également un étangartificiel de 6700 m2 à 250 mètres de la Senne.

VOIRE ANNEXE 1 - Cartographie de trois friches dans le bas de Forest Dans le cadre du PRAS démographique, cet ilôt (compris entre l’avenue du Pont de Luttre, la rue du

Charroi, le chemin de fer et l'avenue Van Volxem) devient la ZIR n°7 - Van Volxem. Elle passe en zone deforte mixité et peut désormais être affectée aux logements, aux commerces, aux équipements d'intérêtcollectif, aux bureaux et aux activités productives. Il n'y a pas de plafond à la superficie de plancher delogements. L'augmentation de la superficie de plancher affectée aux bureaux, par rapport aux bureauxexistants à l'entrée en vigueur du plan arrêté le 3 mai 2001, est limitée à 25.000 m². La mise en place duWIELS, du BRASS et de DIVERCITY ont condamné l'affectation en activités productives, aucun seuilminimal d'espace vert n'est prévu. Les terrains non-bâtis – en friche - sont ouverts à la promotionimmobilière (logements et bureaux)170. L'ilôt est intégré au tissu urbain, voué à la densification malgré laproximité de la ligne de chemin de fer et les zones vertes de fait qui l'occupent actuellement.

166 WIELS et RBC, Conférence de presse du 8 juillet 2011, http://charlespicque.info/web/wp-content/uploads/2011/07/Dossier-Presse-WIELS-.pdf

167 Des partenariats sociaux-artistiques sont conclus notamment avec la coupole d'alphabétisation Lire et Ecrire, avecla maison des femmes, avec la maison de jeunes de Forest.

168 Partenariat entre le Wiels, la Maison des jeunes de Forest et la bibliothèque néerlandophone, avec le soutien del'IBGE, le Début des Haricots, et le contrat de quartier Saint-Antoine.

169 Opération Tournesol, Partenariat entre le Centre d'écologie urbaine, l'IBGE et le Laboratoire d'Ecologie Végétale et de Biogéochimie de l'ULB - http://www.phytoremediation.be/

170 Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale adoptant la modification partielle du plan régionald'affectation du sol - 2 mai 2013 -

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DIVERCITY : Reconversion de friches en équipements collectifs171

Le projet DIVERCITY concerne l'aménagement de 6000 m2 achetés par la commune de Forest avec lesfonds européens FEDER dans le cadre du contrat de quartier Primeurs – Pont de Luttre qui hébergeront deséquipements collectifs. Sont annoncés : un restaurant social, un centre de jour pour personnes âgées, uneantenne de la Maison des Jeunes, un espace vert avec aire de jeux et potager et une crèche de ... 36 places.Les espaces verts de ce “nouveau pôle citoyen” devraient représenter deux tiers de la surface au sol. “Denombreuses friches industrielles persistent dans la région. C’est un potentiel à savoir réexploiter ” conclutla ministre écolo de l'environnement et tête de liste forestoise, du toit du Wiels172.

Divercity – situation existantecopyright : V+

Divercity - projetcopyright : commune de Forest - V+

171 http://www.vplus.org/en/projects/112/129-DIVERCITYhttp://www.bruplus.irisnet.be/

172 Rédaction en ligne, Divercity entre en phase de concrétisaiton dans le bas de Forest, La Capitale, Jeudi 12 juillet 2012

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JCX : Transformation d'anciens sites industriels en lotissements de luxe

Le temps est venu de s’installer dans ce quartier en plein essor dont le Financial Times a récemment faitl’éloge (...) il bénéficie de l’attraction du WIELS, autour duquel architectes, amateurs d’art et galeries ontdéjà élu domicile.

Lotissement Bata173 (av. Van Volxem 302-304)Le promoteur JCX achète en 2004 le site des manufactures dechaussures Bata en friche. Il mène ensuite la rénovation duWIELS et mène à partir de 2012 avec les mêmes architectes(Art&Build) un projet de lotissement : une galerie d'art et 60logements de luxe sur 6000 m2. Un appartement une chambrede 150m2 est vendu à plus de 300.000 euro. Ce lotissement estvendu à 90%.C'est moins le caractère vert que la localisation, le caractère etle prestige de l'implantation qui sont mis en avant.

“Des appartements de caractère dans unezone en plein essor.”

Lotissement Ducuroir174 (av. Van Volxem 308)Ce même promoteur JCX conclut un partenariat public privéavec la SDRB pour le lotissement des établissements Ducuroir(entreprise familiale de machines à bois). Initié en août 2013, leprojet prévoit sur 3600 m2, 32 appartements subventionnésvendus par la SDRB et 32 appartements de luxe vendus parJCX. Un appartement deux chambres de 100 m2 pour 270.0000euro. L'argument environnemental et durable est pleinement exploitépar le promoteur, le projet prévoit en outre un potager en bacs.L'image ci-contre et le schéma ci-dessous donnent uneindication de la nature aménagée dans ce type de projet.

“Logements très basse énergie dans un ilôt de verdure et deculture à Forest à proximité du Wiels”

Un observateur attentif condamnerait probablement ces réalisations paysagères médiocres, faisant la partbelle aux surfaces artificielles et imperméables, marquées par l’utilitarisme avec en guise d’esthétique unsurréalisme de mauvais aloi.

173 http://www.batajcx.be/174 http://www.ducuroirjcx.be/

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3. L'aménagement durable de la nature

Le Rapport d'Incidence Environnementale du Plan Régional de Développement Durable (RIE duPRDD) fixe la place de la nature en ville dans un contexte de densification : “l'objectif global est le maintiende la superficie d'espaces verts accessibles par nombre d'habitant, malgré la densification de l'habitat àvenir175” et se décline en : verdoiement (sic) du centre, renforcement du caractère vert dans la premièrecouronne et protection de la couronne urbaine verte. Les espaces verts et les conditions environnementalesfigurent parmi les critères programmatiques de l'inventaire de lieux de densification potentielle de la Régiontandis que le patrimoine s'impose comme critère restrictitif176. Enfin les “Natures en villes” figurent parmi lesaménités du projet de Chemetoff pour la “Zone-Canal”. Au sein d'un gouvernement bruxellois relativementréduit, il arrive souvent qu'un ministre aie en charge simultanément l'environnement et la rénovationurbaine...

Qu'est-ce que la nature en ville, dans un contexte de densification et de gentrification ?

“Le besoin que nous avons de vivre dans un monde significatif, capable d'exprimer l'esprit profond du lieuet celui de la communauté humaine qui l'habite, la ville ne sait plus le prendre en compte. Quant au besoinde proximité avec la nature, on y répond en plantant d'horribles plates-bandes fleuries et des alignements deplatanes maladifs dans les rues et devant les bâtiments publics, ou bien en aménageant ces succédanés dejardins qu'on appelle “parcs urbains”. 177“ Jorn de Précy, Le Jardin perdu, 1912

a. l'Espace vert : un produit fonctionnel

Lors du Premier Congrès International des Villes, à Ganden 1913, le botaniste allemand, HugoConwentz (1855-1922) prononce une conférence intitulée « Les Villes et la Nature»178, dans laquelle, ilinvite les édiles à acquérir des forêts, des 'espaces verts', des réserves pour 'la nature spontanée', despromenades plantées et des 'jardins scolaires'; autant de 'monuments naturels'179.

Le modernisme en architecture a plus que probablement joué un rôle important dans cette émergence.Si l'espace vert n'a pas de place assignée parmi les quatre fonctions prévues (habiter, travailler, circuler, sedistraire), il est l'une des trois conditions de la nature (soleil, espace, verdure). Il trouve sa place entre lesbâtiments-tours et participe à l'obsolescence de la rue dans le programme du Corbusier.180

Le 'vert' accompagne les processus d'aménagement avec l'adoption d'un Plan Vert par le ministère destravaux publics et de la reconstruction dans le sillage de l'exposition universelle de 1958181. Pourtant, leterme 'espaces verts' ne semble pas encore entré dans le vocabulaire commun en 1982 182. Une analyse plusdétaillée de l'émergence du terme dans les travaux académiques, dans la pratique urbanistique et dans lalégislation environnementale permettrait de comprendre la mise en place du rapport contemporain àl'environnement dans les pratiques d'aménagement du territoire.

Il faudrait étudier dans une perspective croisée de sciences politiques et d'écologie urbaine, leprocessus de fondation de l'Institut Bruxellois de Gestion de l'Environnement (IBGE) administration

175 be.brussels, Résumé non technique, Rapport sur les incidences environnementales du Plan Régional de Développement Durable de la Région de Bruxelles-Capitale (RIE du PRDD), septembre 2013, p.15

176 COOPARCH RU sprl, Inventaire des lieux de densification potentielle de la RBC, 2013Etude commandée par la RBChttps://urbanisme.irisnet.be/pdf/prdd-1/inventaire-densificationhttp://urbanisme-bruxelles.hsp.be/sites/urbanisme-bruxelles.hsp.be/files/inventaire-densification-4.pdf

177 Jorn de Précy, Le jardin perdu, Actes Sud, 2011 (éd.originale 1912), p.47178 Hugo Conventz, Les Villes et la Nature, in Publication du Premier Congrès international des Villes, Gand, 1913,

p.1-10179 Thierry Paquot, 2010, p.20180 “La verdure – vision bien réductrice de la nature...- occupe le sol laissé libre grâce aux pilotis et constitue les

“écrins” dans lesquels il place les “monuments historiques” qu'il sauve de la destruction. Avec le zonage, lesthuriféraires des congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM) attribuent à la nature une fonction, alorsqu'elle échappe – heureusement!- à toute visée strictement utilitariste.” Thierry Paquot, 2004, p.87

181 Voir également Ministère des travaux publics et de la reconstruction, Le Plan Vert, 1958, 81p.182 Bertil Van Ertbruggen, Facteurs de création des parcs et jardins à Bruxelles, Rapport annexe au travail de fin

d'études, Institut supérieur d'architecture de l'Etat la Cambre, 1983

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pararégionale - mise en place par l'arrêté royal du 8 mars 1989 qui intègre à partir de 1993 les fonctionnairesde l'administration des ressources naturelles et de l'environnement, du Plan Vert (de ses jardiniers et de sespépinières) et des Eaux et Forêts183. L'IBGE assure notamment : la gestion d'une partie des parcs publics, ladélivrance des permis d'environnement, une séquence dans la procédure de permis d'urbanisme, lavulgarisation et l'éducation à l'environnement, la collecte des données écologiques et leur cartographie. Parson rôle dans les études prospectives, l'Institut est devenu l'administration de référence pour tout ce quitouche à l'environnement. Cette administration tentaculaire méconnue du grand public vient de s'implanterpar une construction monumentale et durable sur le site de Tour et Taxis (Zone d'Intérêt Régional n°6). Elleutilise généralement les relais communaux, scolaires et touristiques pour toucher les publics et assume enmatière d'environnement un pouvoir de décision et de police.

La notion d'espace vert n'est pas sans influence sur la perception du végétal comme décor ce qui “ vagénéralement de pair avec une gestion que nous avons qualifiée de jardin-kleenex, consistant à remplacer etjeter les végétaux dès que leur apparence ne satisfait plus les canons d'une esthétique du toujours vert184”.Du point de vue des acteurs, le passage du jardin public à l'espace vert s'est accompagné d'unedéqualification des métiers : “Une lente dérive des attributions du jardinier au cours des dernières décenniesle fait passer d'ordonnateur savant à technicien de surface. L'avènement des “espaces verts” commesubstitut au jardin achève de réduire la nature à l'état de bienséance, simple aménité urbaine, décor lisseque l'on peut tondre, tailler, souffler, aspirer, machiner à sa guise pour en faire l'objet stérile que l'on sait :un faire-valoir de la ville.185” Un changement de statut s'opère pourtant progressivement : “La nature quis'apparentait encore à un élément de décor, de mobilier urbain, conçue pour maintenir l'étalement urbain dela ville, commence au début des années 2000, à changer de nature au profit d'une vision où tout levocabulaire des aménités et des services rendus apparaît.186”

b. le zonage de la nature, état des lieux

Le terme “espaces verts” est essentiellement un qualificatif fonctionnaliste. Il s'agit d'un conceptadministratif qui n'a pas de pertinence écologique, la dénomination correspond au zonage propre à lapratique urbanistique et architecturale du modernisme. Ce zonage a acquis une valeur contraignante avec lePRAS (Plan Régional d'Affectation du Sol), entré en vigueur en juin 2001. Il s'agit d'un outil puissant enterme de régulation du développement foncier et fait l'objet à ce titre de concertations et de recours quiindiquent la valeur stratégique du dispositif.

Ce document légal distingue 8 types d'espaces verts : les zones vertes, les zones vertes de haute valeurbiologique, les zones de parcs, le domaine royal, les zones de sports ou de loisirs en plein air, les zones decimetières, les zones forestières et les zones agricoles. Ce zonage ne comprend pas les friches qui sont pardéfinition des espaces libres dont l'affectation est déjà fixée (écart entre l'affectation et l'effectuation) maispeut changer. Enfin, les zones de chemin de fer ne sont pas comprises dans cette typologie verte.

Selon cette définition, les espaces verts représentent 54% du territoire bruxellois selon le rapport surles incidences environnementales du PRDD187, la forêt de Soignes représente 10% du territoire régional

183 Didier Gosuin affirme en mars 1993 : “II m'a paru indispensable de regrouper 1'ensemble des administrations de1'Environnement au sein de 1'Institut, puisqu'il existait, en vue de faciliter et d'assurer une unité d'objectifs, degestion et de contrôle dans une matière aussi transversale que 1'Environnement. Je suis convaincu qu’à terme,1'administration de l’Environnement s’étoffera et qu'il faut, pour la compétence environnementale, uneadministration unique et forte.”Voir notamment les débats du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 juin 1992 et du 19 mars 1993http://www.weblex.irisnet.be/data/crb/cri/1991-92/00022/IMAGES.PDF, p.586http://www.weblex.irisnet.be/data/crb/cri/1992-93/00018/IMAGES.PDF, p.701Voir également l'article de Daniel Couvreur, l'épine dans le pied du Plan vert, Le Soir, Samedi 8 mai 1993

184 Nathalie Blanc, 2004, p.603185 Gilles Clément, Où en est l'herbe, réflexions sur le jardin planétaire, Actes Sud, 2006, p.72186 Paul Arnould, 2011, p.64187 Rapport sur les incidences environnementales du Plan Régional de Développement Durable de la Région de

Bruxelles-Capitale (RIE du PRDD), septembre 2013Réalisé par ADE sa, Econotec sprl, Siterem sa, VUB, Stratec sa, Climact sa, Rhea sprl, ASM Acoustics sprl, publiépar be.brussels (nouvelle image-dénomination de la RBC) - http://urbanisme-bruxelles.hsp.be/sites/urbanisme-bruxelles.hsp.be/files/2013-11-08_RIE_RapportFinal_FR.pdf

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(1654 hectares à Bruxelles, prolongés en Flandre et en Wallonie, soit un ensemble de 4400 hectares). 14% duterritoire régional est sous statut de protection active (sites natura 2000, réserves naturelles et réservesforestières) ou sous statut de protection passive (zones vertes inscrites au PRAS dont 81,4 hectares de zonesà haute valeur biologique188. La répartition est très inégale, l'essentiel des espaces verts se retrouvent dans lapériphérie; le centre et la zone du canal étant les plus déficitaires. Cette surface est en diminution sur lapériode 1980-2003, la superficie bâtie a augmentée de 13% tandis que la superficie non bâtie a diminué de17%. Les terres agricoles, vergers, prés et pâtures ont diminué sur la même période de 46%. En 2007 lesterres agricoles représentaient 312 hectares dont 7% consacrés au maraîchage, moins de 1% des espacesverts régionaux sont consacrés à des potagers189. Entre 1990 et 2011, la part de superficies non bâtiescadastrées est passée de 38 à 33% de l'ensemble du territoire régional.

Répartition des types d'espaces verts en % des superficies totales d'espaces verts de la RBC190

42% de la superficie totale d'espace vert étant privée, 63% de la population n'a accès qu'à 40% de lasuperficie totale d'espace vert bruxellois en comptant les espaces associés à la voirie et les cimetières. 191

Heureusement, selon l'IBGE, 85% de la population bruxelloise aurait accès à un jardin, une cour, une toitureplate, un balcon ou une terrasse, soit à l'air libre privé192.

Cette typologie urbanistique, orientée par l'usage et l'affectation des zones vertes, ne prend pas encompte la diversité écosystémique de chaque zone. Elle fonde pourtant les dispositifs de protection de lanature, les zones vertes peuvent relever de plusieurs catégories administratives et légales : zone natura 2000(directive 92/43), réserves naturelles (régionales), réserves forestières (régionales), zone verte à haute valeurbiologique (PRAS 2001), zone verte s.s (PRAS), zone verte de fait. Il faut y ajouter le statut de site classédécoulant de l'ordonnance relative à la conservation du patrimoine : “Son caractère assez rigide, qui visedans certains cas le maintien du paysage existant, empêche parfois une gestion adaptée à la biodiversité .193”La patrimonialisation de la nature historiquement aménagée (l'urbanisme léopoldien notamment) entraîne sasanctuarisation. L'inventaire des arbres remarquables (établi par la direction des Monuments et Sites194)s'inscrit dans la même logique bien qu'il s'agisse dans ce dernier cas d'éléments ponctuels non insérés dans unensemble plus large. Cette dernière option implique une patrimonialisation d'éléments naturels qui peutcorrespondre à leur valorisation touristique. Les politiques de protection du patrimoine parviennent àimposer - par la ressource touristique que représente le paysage urbain - un frein aux politiques économiqueset à la pression immobilière. Ainsi, l'inventaire des lieux de densification potentielle de la RBC 195

(préparatoire au PRDD et à la modification démographique du PRAS) prend en compte les perspectives et

188 IBGE, Rapport Nature. Rapport sur l'état de la nature en RBC, septembre 2012, p.141http://documentation.bruxellesenvironnement.be/documents/NARABRU_20120910_FR_150dpi.pdf

189 Simon De Muynck (centre d'écologie urbaine), La phytoremédiation au service de l'agriculture urbaine en RBC, rapport intermédiaire juillet 2014, financé par l'IBGE

190 RIE du PRDD, septembre 2013, p.225191 RIE du PRDD, septembre 2013, p.310192 IBGE, Système d’alimentation durable. Potentiel d’emplois en Région de Bruxelles-Capitale, Juin 2012. 115p.193 RIE du PRDD, 2013, p.229194 http://arbres-inventaire.irisnet.be/195 COOPARCH RU sprl, Inventaire des lieux de densification potentielle de la RBC, 2013

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panoramas métropolitains et la nécessité de ne pas les occulter par de nouveaux bâtiments de grande hauteur.

C'est ici notamment que se joue la question de la substituabilité de la nature : un espace vert n'envaut pas un autre, la nature recouvre un ensemble de phénomènes divergents qui ne produisent pas lesmêmes effets en termes sensible, écologique et politique. La doctrine des services écosystémiques, qui seconstitue en science, participe activement à ces substitutions. En effet, il est nécessaire d'énumérer lesservices produits par un écosystème, puis d'évaluer leur valeur afin d'être en mesure de le protéger, de levaloriser ou de le substituer par un autre moins gênant du point de vue économique. Ce cadre objectivantétablit une véritable comptabilité environnementale, elle permet la prise en compte des services rendus maisaussi des coûts de maintenance et de restauration. En assignant une valeur monétaire aux territoires naturelselle permet de les assurer, éventuellement de financiariser leur gestion en terme de subventions et depénalité. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les qualificatifs utilisés dans le cadre du PRAS de zone àtrès haute valeur biologique, de zone à haute valeur biologique et de zone à valeur biologique moindre ainsique de leurs corollaires (les ensembles d'éléments qui combinent haute, très haute et moindre valeurbiologique). Cette classification permet de délimiter, de différencier, et en définitive de sélectionner au seinde ces zones celles qu'il s'agit de conserver ou de protéger de celles qui peuvent être aménagées, réaffectées.Cette pratique de zonage territoriale est doublé par l'émergence du concept de maillage vert.

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c. le maillage vert : promenades ou corridors écologiques ?

“Véritables remèdes à la surdensité et antidotes de l'urbain, des aménagements, les espaces de nature et labiodiversité, sélectionnés à des fins de gestion écologique et de renaturation, connaissent un succèsgrandissant, symbolisé par la ville durable ou par la vogue de la notion de trame verte. 196”

1. Maillage vert (définition de l'IBGE197) : programme fondé sur la protection et la création des espacesverts et l’établissement de liens physiques entre eux, qui vise, outre la préservation du patrimoine naturel etl’accroissement de la biodiversité, à rééquilibrer les disparités régionales au niveau de la verdurisation et dela répartition des espaces verts publics, à améliorer les qualités paysagères et à promouvoir la mobilitédouce.

2. Maillage vert (définition du PRD198) : concept d'aménagement qui vise la constitution d'un réseau vertcontinu d'un point de vue spatial et fonctionnel au sein de la Région bruxelloise. Le maillage vert à deuxobjectifs principaux : développer des continuités vertes en interconnectant les espaces verts par des liaisonsplantées et améliorer la répartition spatiale des espaces verts en aménageant de nouveaux espaces dans leszones déficitaires de la ville.

3. Maillage vert (définition du PRAS démographique199) : Principe d'aménagement écologique, social etpaysager des espaces publics et privés dont l'expression se traduit dans les objectifs du P.R.D. ou sesinstruments de mise en œuvre et qui vise à :

1. créer ou améliorer une continuité entre les espaces verts par des plantations, des espaces depromenade ou tout couloir vert ;

2. assurer une répartition spatiale et fonctionnelle (récréative, paysagère, écologique et pédagogique)adéquate des espaces verts tenant compte des besoins des habitants et de l'écologie urbaine ;

3. établir une continuité entre des zones centrales et les zones de développement de la nature par deszones de liaison.

4. Réseau écologique bruxellois (définition de l'ordonnance relative à la protection de la nature 200) :ensemble cohérent de zones représentant les éléments naturels, semi-naturels et artificiels du territoirerégional qu'il est nécessaire de conserver, de gérer et/ou de restaurer afin de contribuer à assurer le maintienou le rétablissement dans un état de conservation favorable des espèces et habitats naturels d'intérêtcommunautaire et régional; le réseau écologique bruxellois est composé de zones centrales, dedéveloppement et de liaison;

Les nuances entre ces quatre définitions indiquent clairement l'enjeu stratégique que constitue ladéfinition de la notion de maillage vert. Le maillage vert est constitué par les zones vertes et les corridorsécologiques qui sont sensés les relier. Il permet de compenser l'inévitable perte en biodiversité entraînée parle lotissement d'espaces non-bâtis ou abandonnés. Cartographiquement, le maillage suggère visuellement unesolution de continuité, une strate verte qui s'applique sur le parcellaire et le viaire et suggère des fiançaillespropices entre ville et nature.

Dans la pratique (urbanistique), le raisonnement en maillage et trames permet souvent de fairel'économie de la production d'une connaissance fine des espèces dans leurs milieux, de "raisonner donc enterme de continuité des espaces, en supposant a priori que c'est une condition suffisante du maintien desespèces et de leurs habitats.201" A l'inverse d'une approcshe cohérente résumée par Arnould : “ Un corridorécologique est une liaison fonctionnelle (qui réunit les conditions de déplacement) entre écosystèmes ou

196 Paul Arnould, 2011, p.47197 http://www.bruxellesenvironnement.be/Templates/Ecoles/198 http://urbanisme.irisnet.be/lesreglesdujeu/les-plans-strategiques/le-plan-regional-de-developpement-prd/le-prd-de-

2002-1/glossaire-prd#M199 http://urbanisme.irisnet.be/lesreglesdujeu/les-plans-daffectation-du-sol/le-plan-regional-daffectation-du-sol-

pras/prescriptions/l.-glossaire-des-principaux-termes-utilises-dans-les-prescriptions-urbanistiques#M200 http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2012030115&table_name=loi201 Grenelle de l'environnement - Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement et de la Mer, Rapport de

synthèse de l’atelier Formes de ville, échelles de territoires, trame verte et bleue, Paris, 2010, p.7http://www.developpement-durable.gouv.fr/

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entre différents habitats pour une même espèce ou un groupe d'espèces.202” Le maillage vert (et bleu)fonctionne essentiellement comme stratégie de communication: “certaines opérations d'aménagementurbain deviennent plus acceptables socialement lorsqu'elles préservent la verdure des lieux. 203” Loin dereprésenter une sanctuarisation du vert existant, le maillage est de fait un ensemble de critères de sélection etde différentiation des zones vertes, dans la mesure où il est impossible de maintenir (ou d'agrandir)l'ensemble des zones potentiellement vertes de la ville. Il accompagne aimablement la gentrification :“l'instrumentalisation de la nature et la survalorisation d'espèces et de lieux emblématiques sont au coeurdes enjeux de ce que certains qualifient de marketing urbain.204”Aucune logique écologiquementconséquente n’émerge des discours urbanistiques produits autour de ce concept sinon un façadismeenvironnemental, un accompagnement convivial et écologique des nouveaux projets immobiliers quis’insèrent dans les derniers terrains vagues et éventuellement une valorisation touristique de l'image verte dela ville.

Seule la définition du réseau écologique bruxellois de l'ordonnance relative à la protection de la naturede 2012205, qui ne bénéficie en tant que tel d'aucune mesure particulière de protection légale ou deprescription urbanistique, comprend les friches indépendamment de leur taille et de leur statut dans le PRAS.Dans ce sens, il est important de remarquer que le réseau écologique bruxellois désigne non seulement leszones protégées mais également des zones ponctuelles ou linéaires “du paysage urbain ou rural de tailleinsuffisante pour constituer une zone centrale, de développement ou de liaison mais susceptibles decontribuer à favoriser la conservation, la dispersion ou la migration des espèces, notamment entre les zonescentrales.” De plus “indépendamment de son statut dans le PRAS, tout site susceptible de présenter unehaute valeur pour le réseau est intégré dans le réseau écologique, notamment les terrains en friche, les talusdu chemin de fer, les bermes centrales des grands axes, les parcs, certains intérieurs d'îlots, certains sitesclassés et les zones vertes de fait.” Une connexion avec les régions avoisinantes est envisagée “de manière àformer un ensemble cohérent.” Pourtant, à l'exception de cette définition et de l'article 66§1, les biotopesurbains et les “éléments du paysage” sont remarquablement absents, leur maintien doit faire l'objet d'unarrêté ou de mesures ultérieures et peut être assorti de sanctions pénales. Le paysage urbain naturel n'est doncpas un concept structurant de l'ordonnance et le réseau écologique bruxellois ne permet pas d'envisagerl'émergence de la nécessité de maintenir cette perception de l'espace.

Les articles 16 et 17 de l'ordonnance de 2012 prévoient un procédure d'expropriation et une procédured'échange de droits réels, ils permettent à la Région d'établir une politique foncière volontariste dans le cadrede l'établissement du réseau écologique bruxellois, pour autant qu'elle s'en donne les moyens.

Le PRAS est le seul document urbanistiquement contraignant, son adaptation “démographique” en2013 fait l'objet de recours. Le PRAS démographique modifie la prescription relative aux Zones Vertes àHaute Valeur Biologique (prescription n°11) et les intègre dans le Maillage vert: ”Ne peuvent être autorisésque les actes et travaux nécessaires à la protection active ou passive du milieu naturel ou des espèces (textedu PRAS 2001), ainsi qu’à la réalisation du maillage vert (ajout proposé lors de l’enquête publique en2012).

Pourtant des réclamants se plaignent de la confusion que crée le mélange des notions de maillagevert et de promenade verte. Ces réclamants distinguent clairement l'enjeu : “Que le maillage vert doit relierles sites entre eux, mais pas forcément traverser tous les sites eux-mêmes; que le maillage vert regroupeplusieurs fonctions qui doivent coexister de manière équilibrée sans que l'une - en l'occurrence, la fonctionsociale - se développe au détriment de l'autre - ici, la fonction écologique.” L'enjeu est de taille selon lesrequérants : “vu la pression démographique en Région bruxelloise, cette modification mettrait en péril toutesles ZVHVB puisque la référence au "maillage vert" permettrait d'y réaliser tous les aménagementsadmissibles dans un parc, en ce compris les aménagements récréatifs”.

202 Paul Arnould, 2011, p.60203 Nathalie Blanc, 2004, p.606204 Paul Arnould, 2011, p.47205 Les objectifs de l'ordonnance sont : 1° assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation

favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore d'intérêt communautaire et d'intérêt régional; 2°contribuer à la mise en place d'un réseau écologique bruxellois; 3° contribuer à l'intégration de la diversitébiologique dans son contexte urbain. L'ordonnance comprend la définition de 48 termes liés à la thématique leurconférant ainsi un sens légalement transposable. Elle prévoit également l'élaboration d'un Plan Nature quinquennalpar l'IBGE, le caractère contraignant des dispositions de ce plan dépend du gouvernement.

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Suite à ces interventions, liées à la polémique concurrente qui oppose l'IBGE et le CEBE pourl'affectation et la gestion du site Walckiers / Moeraske, une condition est ajoutée : “dans ce dernier cas, queles actes et travaux soient compatibles avec la destination de la zone (ajout publication 29/11/2013)”.

La Commission Régionale de Développement enfonce le clou : “ en autorisant les actes et travauxnécessaire à la réalisation du maillage vert dans les ZVHVB, la prescription 11 est vidée de son sens.” Maisle gouvernement est inflexible : “le concept du maillage vert ne signifie pas que serait autoriséel'implantation indifférenciée de fonctions récréatives, paysagères, écologiques et pédagogiques dans toutesles zones d'espaces verts du PRAS; qu'au contraire, il ressort sans ambiguïté de la définition du glossaire duPRAS que le maillage vert vise notamment à "assurer une répartition spatiale et fonctionnelle (...) adéquatedes espaces verts tenant compte des besoins des habitants et de l'écologie urbaine"; que chaque type de zoned'espaces verts du PRAS est donc appelé à y jouer un rôle spécifique, prédéfini par la prescriptionparticulière du PRAS relative au type de zone en question.”

Pourtant la pertinence écologique du maillage vert tel qu'il est défini par le PRAS est loin d'êtreclaire. A cet égard, les conclusions d'une étude menée à Birmingham méritent d'être citées exhaustivement :“Green corridors, which have become a recognized feature of urban planning and conservation for 10years, may make little difference to the diversity of plants and beetles found in our towns and cities by virtueof their function as corridors. They do often provide valuable habitat, especially on river corridors andrailway land. (...) Our research has not found any evidence that plants or invertebrates use urban greewaysfor dispersal. Their importance for these groups is rather as a chain of different habitats permeating theurban environment. We suggest that planners can have a positive impact on urban biodversity by slowingthe pace of redevelopment and by not hurrying to tidy up and redevelop brownfield sites.206”

Cette enquête a porté sur cinquante friches dans la région métropolitaine de Birmingham, 378espèces végétales répertoriées, quatre espèces de papillons, les carabidés (coléoptères qui servent debioindicateurs en tant que prédateurs) et quatre mammifères (trois rongeurs et le muntjac – un petit cervidéimporté en Angleterre au 19e siècle et retourné à l'état sauvage). Les résultats montrent que lescaractéristiques propres à chaque site (surface et proximité à une autre friche, date d'enfrichement et stade desuccession, activités humaines continues, présence d'eau, qualité des sols) sont plus déterminantes pour labiodiversité que sa “connectivité” au maillage vert ou sa localisation dans un gradient urbain/rural. Seuls lescours d'eau semblent jouer un rôle positif dans la diffusion des espèces, dans leur fonction d'habitat linéaireplutôt que de corridor. Enfin les friches semblent particulièrement favorables aux espèces exotiquesnéophytes.

d. l'émergence d'une police de l'environnement

La loi sur la conservation de la nature de 1973 est l'une des premières lois à portée environnementaleadoptée en Belgique. Suite à la régionalisation, Bruxelles adopte l'ordonnance relative à la sauvegarde et àla protection de la nature en 1995 et l'ordonnance du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, lapoursuite et la répression des infractions en matière d'environnement. Les ordonnances du 24 avril 2004 et du5 mars 2009 marquent un renforcement du contrôle de la gestion des sols pollués et sont à comprendre dansle contexte de la revalorisation par l'assainissement des brownfields (friches industrielles aux sols pollués). C e corpus est renforcé par l'ordonnance relative à la conservation de la nature adoptée par leparlement bruxellois en 2012 qui est devenu depuis mai 2014 le Code de l'inspection, la prévention, laconstatation et la répression des infractions en matière d'environnement et de la responsabilitéenvironnementale. L'IBGE se voit confier un nouveau pouvoir de police207 (outre celui dont elle disposaitpour la pollution des sols) et la réalisation d'un schéma de surveillance. En tant que champ d'interventionpour une administration, l'environnement ne connaît pas de limites, l'ensemble du milieu dans ses

206 P.G.Angold, J.P.Sadler, M.O.Hill, A.Pullin, S.Rushton, K.Austin, E.Small, B.Wood, R.Wadsworth, R.Sanderson, K.Thompson, Biodiversity in urban habitat patches, in Science of the Total Environment, n°360, 2006, p.

207 Article 15, §3, “Les fonctionnaires et agents désignés par le Gouvernement sont autorisés à pénétrer dans lespropriétés tant publiques que privées, pour y procéder aux opérations indispensables à la collecte des donnéesbiologiques nécessaires à la réalisation des obligations prescrites par la présente ordonnance, entre deux heuresavant le lever du soleil et trois heures après le coucher du soleil et moyennant information préalable despropriétaires. Par dérogation à l'alinéa premier, l'accès aux domiciles ou aux locaux professionnels etcommerciaux ne peut se faire que moyennant le consentement exprès des propriétaires ou des occupants. A défautd'un tel accord, l'accès est subordonné à une autorisation du juge du tribunal de première instance.”

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composantes humaines et non-humaines peut être compris comme relevant de sa compétence.

En ce qui concerne les réserves naturelles gérées par l'IBGE, (les réserves forestières et les sitesNatura 2000 sont protégés par des mesures particulières) si “des mesures peuvent être prises en vue deconserver, de contrôler ou de réintroduire des espèces végétales ou animales, de maintenir certains facièsdu tapis végétal ou de restaurer des habitats naturels altérés” (art.25), l'ordonnance énumère 29 interdictions(en se réservant la possibilité d'en ajouter de nouvelles). Aux côtés de dispositions qui semblent aller de soi,le législateur bruxellois a énuméré des interdits qui figureraient mieux dans un règlement que dans une loi àportée générale. Ces interdits révèlent bien l'usage toléré de la nature, ils prohibent notamment : de quitter lesroutes et chemins ouverts à la circulation du public; de cueillir, de ramasser ou de couper les espècesvégétales indigènes (ainsi que les champignons); d'évacuer le bois mort sur pied et couché; de ne pas tenirles chiens en laisse; d'ériger même temporairement des bâtiments, des abris ou autres constructions; deplanter des plantes, arbustes ou arbres non indigènes; de nourrir les animaux sauvages ou d'empoissoner leseaux de surfaces; de réaliser un pâturage avec plus de deux équivalents de gros bétail par hectare oud'allumer des feux. Sans compter l'interdiction de pêcher sans permis mais aussi de “porter, hors de sondomicile, des engins ou instruments de pêche prohibés” (art.81§2).

En outre, la section 3 du chapitre 3 (dispositions communes à la protection de la faune et de la flore)organise la police sanitaire. Cette protection étend à l'extérieur des réserves stricto sensu, à une séried'espèces végétales et animales208, l'interdiction (art.70§2) “de cueillir, de ramasser, de couper, de déraciner,de déplanter, d'endommager ou de détruire les spécimens des espèces concernées dans leur aire derépartition naturelle et dans les zones où elles bénéficient de mesures de protection active”, sauf travaux degestion, et opérations de fauchage, de pâturage ou de gestion forestière. L'article 75 prévoit notamment unensemble de mesures qui soumet à autorisation l'introduction dans la nature des espèces végétales etanimales qu'elles soient indigènes ou non-indigènes. Plus intrusif, l'article 76 prévoit que l'exécutif bruxelloispeut, par voie réglementaire, dispenser d'autorisation l'introduction ou la réintroduction dans certaines zonestelles que les jardins privés ou les endroits clos, “pour autant qu'il soit avéré que ces opérations ne sont passusceptibles de porter préjudice à l'état de conservation des habitats naturels et des espèces animales ouvégétales indigènes.” S'il s'agit d'espèces invasives (article 77), l'introduction est interdite même dans lesjardins privés.

Le développement durable contribue ouvertement au nettoyage de la ville, à constituer des espacespropres et en ordre. Les sanctions administratives communales, les injonctions en matière de propreté et dedépôts en rue participent complètement à ce processus : à quand une SAC contre les mineurs qui cueillentdes fleurs dans les parcs? Comme l'observe Pascal Tozzi, l'éco-rénovation peut s'accompagner d'unnettoyage des activités qui polluent la vie de quartier, elle recouvre alors une dimension sécuritaire : “Dansl'acception classique du terme, l'ordre public se définit à travers quatre composantes aux consonanceshygiénistes que sont la sécurité, la sûreté, la tranquillité et la salubrité. Dans une acception étendue, lajurisprudence en a élargi le contenant à la préservation du cadre de vie et de la moralité.209”

Il y a évidemment une marge parfois considérable entre l'énoncé de la norme et son application sur leterrain. Pourtant, on ne peut s'empêcher de remarquer que si certaines interdictions peuvent être nécessaires àla sauvegarde de ces espaces, elles peuvent également interdire toute forme d'usage, de détournement oud'appropriation par les habitants et usagers de ces espaces naturels : le passage et la contemplation sont lesseules modalités autorisées. Le rôle des friches – des espaces non-réglementés - dans une zonemétropolitaine enclavée et pauvre en espaces ouverts apparaît d'autant plus important: “L’environnementurbain contemporain subit une normalisation fonctionnelle, il est désormais comme entièrement recouvertpar un espace de références conventionnelles facilitant la prévisibilité de l’utilisation normale qu’on peut enfaire.210” Ces nouvelles législations trouvent leur répondant dans l'inflation de projets, d'initiatives, deformations, d'activités et de commerces qui entraînent une nouvelle lecture de la nature en tant qu’objet àcontempler, à respecter, à consommer parcimonieusement, éventuellement à piétiner dans le cadred'exercices physiques, contre les usages qui faisaient de la nature une évidence, une dimension non séparéedes autres sphères de l’existant.

208 Il s'agit 1° sur tout le territoire de la Région : les espèces visées à l'annexe II.2.2° ; 2° dans les zones vertes, leszones vertes de haute valeur biologique, les zones de parcs, les zones de cimetières, les zones forestières et les zonesde servitudes au pourtour des bois et forêts du PRAS, les sites Natura 2000, les réserves naturelles et les réservesforestières : les espèces visées à l'annexe II.3.B.

209 Pascal Tozzi, 2013, p.107210 Marc Breviglieri, 2013, p.218

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Gilles Clément, Où en est l'herbe ?“Dans sa difficulté à maîtriser les énergies mises en jeu par le vivant, mais aussi dans sa difficulté à enaccepter toutes les figures, la société tente un saut culturel ardu et décisif : puisqu'on ne peut rien contre lepouvoir désastreusement inventif de la nature, on fera siennes les oeuvres qu'elle produit en leur donnantun cadre et une législation. Ainsi pourra-t-on revendiquer une part de décision sur toutes choses, continuerde régir l'espace en le nommant, révéler l'oubli comme un fondement sur lequel la ville s'établit, forger uncadre de tolérance bien boulonnné d'où le législateur sort grandi : on protégera le délaissé, la friche etl'herbe.Non pour les laisser à l'abandon d'eux-mêmes : inadmissible faiblesse.On les protégera pour en faire quelque chose. Il n'est pas question d'accepter la nature, il est question dela rendre acceptable. En grande fébrilité la société organise un système de mise à distance : la nature neviendra pas nous assaillir, nous irons au-devant d'elle pour lui dire combien nous l'aimons.211”

L'arbre : un support de communication ?Identifiable, dénombrable, cartographiable, l'arbre se prête admirablement au nouveau paradigme de natureurbaine: “De ces objets de nature dont les mérites et services sont systématiquement vantés, le véritablesupport de communication pour la ville est sans aucun doute l'arbre, considéré comme indispensable à laville pour le cadre de vie, favorisant la biodiversité et régulant l'eau des sols.212”

La patrimonialisation des arbres est le premier vecteur de communication et de valorisation.L'inventaire des arbres remarquables, entamé depuis 1992 par l'IBGE (relayé par la direction desmonuments et sites), vise à les intégrer au patrimoine urbain et historique auxquels ils sont liés : “L'arbre,c'est la mémoire de la ville, commente le ministre de l'Environnement Didier Gosuin, qui a commandé cetinventaire à l'IBGE. C'est un élément essentiel dans le tissu urbain tant du point vue esthétiquequ'écologique ou social.213“ On peut remarquer que seuls les arbres sont repris dans les circuits touristiques,avec un accent particulier pour les arbres importés (des USA ou de Chine), à l'exception des cressonières del'avenue des croix du feu214. Les autres types de plantes sont exclues des ballades de Flore.

L'arbre est également un vecteur objectivant de la politique environnementale ce qui produit parfoisune politique d’effets d’annonce digne des régimes totalitaires - 100.000 ARBRES EN VINGT ANS 215

annonce la presse populaire : “L’objectif, c’est de maintenir une qualité de vie pour les nouveaux habitantsdans la perspective de la hausse démographique” déclare la ministre de l'environnement écoloHuytebroeck, la décision éclipse médiatiquement les autres dispositions adoptées dans le cadre du PlanNature (le Plan Air Climat Energie – norme d'efficacité énergétique des bâtiments et le Programme d'actionpour la collecte et le tri des déchets).

211 Gilles Clément, 2006, p.153212 Paul Arnould, 2011, p.64213 Martine Duprez, L'IBGE commence à inventorier la flore remarquable de la Région. Ces beaux arbres font partie

de la mémoire de la ville, Le Soir, Jeudi 6 février 1992214 visit.brussels, balades de flore, (Dépliant touristique) en collaboration avec société royale linnéenne et de flore de

Bruxelles, avec confrérie de Saint Domothée, IBGE, RBC, ville de Bruxelles.215 Agence Belga, Le gouvernement bruxellois veut planter 100 000 arbres sur le territoire de la Région, La Capitale,

17 juillet 2014

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E. Habitants ou éco-citoyens ?

Au cours de cet examen contemporain de la nature en ville, le rôle des aménageurs, des promoteursimmobiliers et des pouvoirs publics a émergé comme central dans les processus. Il arrive cependant quecertains projets se heurtent à l'occupation par les habitants du territoire dans lequel ils s'inscrivent. Parfois leprojet lui-même suscite cette appropriation, en l'encadrant dans des processus de participation ou en laprovoquant par l'absurdité du projet. A l'enseigne du développement durable, l'urbanisme et l'aménagementdu territoire connaissent une complexification des procédures sous l'impulsion d'une part, des contraintesenvironnementales croissantes et, d'autre part, des procédures de participation et de concertation quireprésentent tant bien que mal un accès des habitants aux processus en cours : “La demande croissante pourun développement durable constitue un terrain favorable à un retour sur le milieu comme notion clé del'aménagement et, partant, de l'urbanisme.(...) Désormais, le milieu n'est plus l'objet de fabrication del'urbaniste ou bien son support pour l'action, il devient, pour ainsi dire, consubstantiel des opportunitésd'action, voire de l'action elle-même.216”

Les processus de participation et de concertation qui accompagnent trouvent ainsi une nouvellejustification : (...) pour impliquer les habitants dans l'action publique, il faudrait pouvoir mettre en formeleur expérience sensible afin qu'elle puisse être restituée, devenir recevable, circuler et être mise en débat.Pour cela on pourrait utiliser les savoir-faire des spécialistes de la mise en forme du vécu (artistes,romanciers, paysagistes, scénographes) et recourir aux formes communes de sa représentation et de sonénonciation (ambiances, paysage, récits, images,...) dont ils sont les maîtres d'oeuvres par excellence217.

Pour comprendre ces dispositifs démocratiques, il est important de constater qu'ils nécessitentl'émergence de professionnels de la concertation et l'intervention récurrente d'experts : “Dans cettedynamique, les savoirs des travailleurs sociaux se trouvent soumis à une double critique : par les usagerseux-mêmes, d'un côté, faisant valoir la primauté de l'authenticité de leur expérience, et par des professionsplus détachées des contextes d'action, de l'autre. Ces dernières sont moins exposées aux exigences del'hybridation en contexte et peuvent faire valoir la force d'une expertise plus facilement objectivable.218”

Dans un moment de crise des collectifs politiques, comme le remarque Nathalie Blanc, : “Lesnouveaux collectifs agissent souvent dans les zones de transformation rapide, sur les fronts où les grandsprojets restructurent la ville, suscitant la contestation des habitants des quartiers (appelés les “voisins”).219”Ce champ d'intervention prend d'autant plus d'importance qu'il peut gêner les injonctionsdéveloppementalistes et permet une certaine autonomie de formulation, “là où les mesures de pollutionatmosphérique ne font que contribuer à un sentiment d'impuissance des populations face à un phénomènequi semble impossible à endiguer.220” L'injonction climatique, omniprésente et globalisante, suscite le mêmesentiment d'impuissance, ou dans le pire des cas, un souci moralisateur de parcimonie : “Cependant, l'hommeen tant qu'individu n'habite pas le monde terrestre dans sa plénitude, mais habite son monde propre. C'estcette dimension plus pragmatique de l'habiter qui semble se configurer dans la pensée géographiqueactuelle.221“ C'est dans son rapport aux milieux que l'habitant rencontre les projets d'aménagements et seprojette éventuellement dans une architecture d'usage.

Le durable accompagne cette nouvelle phase du vert, le nouveau plan régional de développement seradurable, les contrats de rénovation urbaine visent désormais des quartiers durables, l'agenda 21 doit mobiliserdurablement les administrations communales. Cette emphase est d'autant plus suspecte que nombre de“solutions durables” présentées comme autant d'innovations vertes, ne sont que l'expression de techniques etde pratiques traditionnelles revisitées, remise au goût du jour (généralement hygiénisées), par la simple vertud'un changement de regard, de perception: aménagement de noues contre les inondations, sélectiond'essences locales, compostage, épandage, horticulture dans les espaces intercalaires et les ceintures vertes,utilisation raisonnée des adjuvants biologiques ou proto-industriels, prise en compte des cycles etécosystèmes naturels, permaculture. Paradoxalement la caution scientifique est souvent nécessaire à leurgénéralisation ou à leur simple prise en compte par le public(-cible). La manipulation de l'environnement et

216 Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran, 2002, p.14217 Nathalie Blanc et Jacques Lolive, Vers une esthétique environnementale : le tournant pragmatiste, 2009, p.292218 Laura Centemeri, Crise écologique et dynamique locale. Un avenir pour les métiers du social ?, (non daté), p.14

https://univ-amu.academia.edu/LauraCentemeri219 Nathalie Blanc et Jacques Lolive, 2009, p.291220 Nathalie Blanc, 2004, p.604221 Florent Herouard, Habiter et espace vécu : une approche transversale pour une géographie de l'habiter, in

Thierry Paquot et Chris Younès, Habiter, le propre de l'humain, éditions la Découverte, Paris, 2007, p.163

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du développement durable dans le cadre de la densification tend à naturaliser les processus immobiliers encours, pourtant: “La gentrification n'est pas non plus une nouvelle phase dans un cycle “naturel” d'évolutiondes villes.222” Elle pourrait même aller à l'encontre d'un ensemble de phénomènes vivants et présents.

L’expérience - urbanistique et politique - des comités de quartiers qui fédèrent un certain nombred’habitants, ne peut être réduite à la révolution des nimby décrite par Mike Davies à Los Angeles 223. Par leurportée et leurs effets, même lorsqu’il leur manque une dimension populaire. Ces comités attaquent ladynamique foncière (bureaux, logements de luxe, hôtellerie) au niveau politique avant même la création de laRégion. Dans le cadre de l'opposition au PRAS démographique, la défense de l’affectation industrielle de lazone du canal contre les affectations en logements, bureaux et centres commerciaux est particulièrementrévélatrice de l'ingénieuse motivation sociale de ces acteurs. La question du vert apparaît dès lorséminemment stratégique, or peu d’argumentaires sont en mesure de remettre en question la fonctionimmobilière et gentrificatrice du vert.

Le principal défi pour les habitants opposés aux politiques d'aménagement est de fonder leuropposition sur un autre terrain que celui, glissant, de l'écocitoyennisme, de la ville durable et hygiénique -c'est-à-dire de la nature pour eux : “Il faut sauver la faune et la flore pour elle-même. L'esthétique de lanature est gratuite, et c'est cette gratuité qui fait sa grandeur. La nature n'est pas présente pour l'humanité,elle est consubstantielle au monde.224” En effet, tant qu'ils y verront un ensemble d'arguments convaincants etde pratiques pertinentes pour contrecarrer les projets de densification, les écocitoyens ne pourront que fairele jeu de la gentrification: l'éloignement des catégories populaires, l'ostracisation de leurs pratiquesculturelles ou sociales mais aussi la stérilisation du rapport à la nature, la constitution d'une image de lanature en tant que mobilier urbain (les pots de fleurs sur les reverbères, les bacs à plantes en guise debermes). Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de dénigrer les initiatives d'embellissement, mais de lesremettre à leur place. La propreté et la nature n'ont rien en commun : d'une part un souhait (presquemétaphysique) de purification, de l'autre une aspiration au jardin perdu. La protection de la nature n'est passa conservation, par essence la nature n'est pas une donnée figée mais un ensemble dynamique. En ville cettedynamique forme une part essentielle de sa qualité esthétique : un processus qui échappe à l'humain, qui lecontourne, qui ne cherche pas son approbation ou son autorisation.

L'habitat est déterminant en terme de philosophie politique pour fonder une approche non-écocitoyenne des luttes. L'habitat n'est pas le logement mais un mode d'appréhension globale du moded'occupation de l'espace par les individus et les groupes : “L'habiter humain, désormais, ne pouvait plus seréduire au logement des corps dans des “machines à habiter.225” “Et ce afin de ne point “naturaliser”l'habitat et l'habiter, ce qui est un travers courant : l'homme est certes un animal, mais un animal politiqueet culturel, et son habitat n'est pas réductible à un “territoire” éthologique. Dans l'ensemble, les usagescourants les plus récents renvoient à une conception trop résidentielle de l'habitat.226” Or, “l'action d'“habiter” possède une dimension existentielle. La présence de l'homme sur terre, ne se satisfait pas d'unnombre de mètres carrés de logement ou de la qualité architecturale d'un immeuble. C'est parce quel'homme “habite” que son “habitat” devient “habitation”.227”

L'habitant se définit par un geste singulier et presque vital d’appropriation, il n'est pas un citoyenmais une corporéité vivante dans un territoire donné, à ce titre il n'a pas de nom, ni d'état civil : “ (...)l'anonymat peut être conçu comme un mode d'habiter qui permet la cohabitation. L'espace commun procèdedonc d'une double négociation, l'individu agissant sur l'espace et avec l'espace, ceci aussi bien dans sonrapport au dispositif spatial que dans sa relation aux autres. (...) Ainsi peut-on supposer que les jeux dedistance participent d'une subjectivation, les agencements dont découle l'espace commun apparaissant dèslors comme autant de productions spatiales liées à l'activité du sujet dans la production de lui-même,dialectique que restitue bien la notion d'habiter – dont on rejoint ici la dimension phénoménologique.228”

222 Mathieu Van Criekingen, 2008, p.82 223 Mike Davies, Cities of Quartz, Los Angeles, capitale du futur, éd. La Découverte, Paris, 1997 (éd.originale 1990)224 Nathalie Blanc, 2013, p.136225 Augustin Berque, Qu'est-ce que l'espace de l'habiter ?, in Thierry Paquot et Chris Younès, Habiter, le propre de

l'humain, éditions la Découverte, Paris, 2007, p.53226 Michel Lussault, Habiter, du lieu au monde. Réflexions géographiques sur l'habitat humain, in Thierry Paquot et

Chris Younès, Habiter, le propre de l'humain, éditions la Découverte, Paris, 2007, p.37227 Thierry Paquot, “Habitat”, “habitation”,”habiter”, précisions sur trois termes parents, in Thierry Paquot et

Chris Younès, Habiter, le propre de l'humain, éditions la Découverte, Paris, 2007, p.369228 Théo Fort-Jacques, Habiter, c'est mettre l'espace en commun, in Thierry Paquot et Chris Younès, Habiter, le

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C'ette grille de lecture a émergée d'une lecture des rapports de forces qui accompagnent les projetsd'aménagement, il convient à présent d'effectuer un retour sur ces situations. La presse reste globalement unbon indicateur de la problématisation des projets d'aménagement et des micromobilisations locales qu'ilsentraînent dans les phases de formulation, de proposition et de mise en oeuvre. Le discours des opposantsémerge également dans les recours introduits et dans leurs appels au public (généralement disponibles surinternet, parfois sous forme de journaux ou de tracts).

CASUS : LES MARRONIERS DE L'AVENUE DU ROILes 113 marroniers de l'avenue du Roi, plantés (tous les 8 mètres) en 1880, sont abattus entre 1996 et

2000, ils doivent laisser la place à un nouvel aménagement de la berme centrale en pelouse, afin de canaliserle parking229, parce que les marroniers sont vieux et que la moitié des arbres est “malade à cause de lapollution”, que le marroniers supportent mal l'élagage et qu'ils représentent une menace en cas de tempête230.L'ensemble représente un chantier de 65 millions d'euro financé par l'Etat fédéral dans le cadre de larevitalisation des quartiers en difficulté. En l'absence d'intervention en commission de concertation, unemanifestation, un enchaînement et une occupation des arbres ne suffiront pas231; l'intervention de 200personnes lors d'une réunion publique d'information obtient la modification du plan d'aménagement et lereplacement des arbres dans leur localisation première : “Suite au massacre scandaleux des arbres, nousvoulons que les pouvoirs publics recréent la drève royale à l'identique.” revendique un riverain232. Dans lehaut de la commune, rue Jupiter, en 1998, 42 robiniers sont abattus tandis que les bouleaux de la rueBerkendael sont épargnés suite à une pétition de 213 signatures233.

Ce type de mobilisation est récurrent : “Ces arbres symboles sont survalorisés par bon nombred'urbains. Alors que toutes les études montrent que leur espérance de vie est moindre que dans les milieuxchampêtres ou forestiers, les urbains les souhaitent éternels. (...) En jetant à terre, parmi les arbres des rueset des parcs, les plus déperissants et les plus menacés, (la tempête) a permis de procéder à des opérations derajeunissement et de renouvellement du capital arboré sans nécessiter de coûteuses campagnesd'information, toujours récusées par les plus ultras des défenseurs à tout crin de l'arbre sénescent, dans unmilieu où il est pourtant à un niveau proche de celui du mobilier urbain.234”

Le cas des marronniers est emblématique: une espèce recherchée pour ses caractéristiques esthétiques(période de floraison et de verdoiement prolongées), adaptée au climat d'une époque mais surtout à un certainrégime d’urbanité (pas de circulation automobile, ségrégation spatiale entre les classes), est maintenue enville, au détriment d’autres espèces indigènes ou envahissantes, utiles ou ornementales. Cette nature s’estpatrimonialisée et par là-même s’est figée, perpétuant un rapport à la nature planifié et réalisé pour uneclasse par l’Etat d’une époque.

CASUS : LA GESTION DU PARC DUDENLe parc Duden appartient à la Donation Royale qui en assure également la gestion et jouit d'un statut

légal d'exception (voir le point consacré à la donation royale). Vingt-huit ou quarante-six arbres centenaires(en fonction des témoignages), ainsi qu'une allée de sapins et de cèdres (square Lainé) sont abattus en 2001,un responsable s'exprime : “Depuis des années, on le fait sans permis, sur base du règlement organique dela Donation qui prescrit la mission légale de conserver les beautés naturelles du pays.235” L'échevine (CDH)de l'environnement de Forest s'emporte et condamne la gestion illégale de la Donation 236. En 2002, la

propre de l'humain, éd. la Découverte, Paris, 2007, p.261229 Nicolas Vuille, Modification de parking à Forest – Les arbres de l'avenue du Roi seront mieux protégés, Le Soir,

Mercredi 31 juillet 1996230 Nicolas Vuille, Forest : coupes claires avenue du Roi, des marroniers abattus pour éviter tout danger, Le Soir,

Lundi 19 janvier 1998231 Julien Bosseler et Alain Dewez, Forest/Saint-Gilles – Lundi matin, des riverains se sont interposés pour stopper

l'abattage massif. Les arbres de l'avenue du Roi tombent dans le trouble, Le Soir, Mardi 8 février 2000 232 Julien Bosseler, Forest/Saint-Gilles – Réunion chahutée suite à l'abattage massif des arbres. Les riverains de

l'avenue du Roi font plier les élus. Enquête publique boiteuse ou intérêt tardif des riverains, Le Soir, Samedi 19 février 2000

233 Hermine Bokhorst, “Les robiniers sont les pires”... Quanrante-deux feuillus condamnés à mort !, Le Soir, Jeudi 10 juillet 1998

234 Paul Arnould, 2006, p.542235 Patrice Leprince, Forest - Fustigée pour sa gestion du parc Duden. La Donation royale nie tout abattage illégal ,

Le Soir, Vendredi 8 juin 2001236 Patrice Leprince, Eric Meuwissen, Xavier Delligne, Forest – La Donation royale aurait notamment confondu

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nécessité d'un renouvellement de la hêtraie est mis sur la table en collaboration avec la commune de Forest etl'IBGE, selon la Donation une mise à blanc est nécessaire237. En 2006, les négociations amènent la Donation,en difficulté financière, à céder la gestion et l'entretien du parc à l'IBGE, “Ce n'est un secret pour personneque le parc Duden est en mauvais état. (...) Il se trouve dans un quartier fort urbanisé et beaucoup depromeneurs vont y prendre l'air. Sa finalité sociale est primordiale.” affirme la ministre (Ecolo) del'environnement, “Il n'intéresse pas la Donation, si l'IBGE s'en occupe, c'est l'idéal” appuie l'échevine(CDH) de l'environnement238. Dans cette affaire, les habitants interviennent seulement en amorce lors del'abattage des arbres, le conflit pour la gestion du parc Duden se déroule entre des institutions concurrentes(la Donation Royale et l'IBGE) qui sont l'expresion de deux époques de gouvernement de la nature.

CASUS : LE BASSIN VERSANT DE FOREST“L'habitat est une organisation spatiale qui offre du répondant à la pratique.239”

La question de l'eau dans la ville permet d'accéder directement à l'expression d'une partie deshabitants, en tant que processus en cours doté d'un mécanisme participatif animé par des associationsreconnues - les Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles (EGEB) - subsidié et appuyé par les pouvoirs publics.Ces caractéristiques entraînent une visibilité des différentes positions exprimées ainsi qu'un certain impactsur la prise de décision pour les habitants. Une hybridation entre les logiques des opérateurs, les contraintesd'aménagement et les dynamiques habitantes est matérialisée par une table-ronde le mardi 18 mars 2014 pourla mise en place d'un bassin versant pilote à Forest. L'intérêt de cette table ronde repose sur la confrontationdes différences entre l'investissement gratuit des citoyens, l'engagement des permanents associatifs et laprésence des employés des opérateurs, qu'il faut nuancer par l'homogénéité sociologique des participants(disponibilité, niveau d'étude, capital culturel, rapport au travail et à la propriété). Le rôle de la commune deForest est déterminant dans ce partenariat en gestation, les inondations récurrentes dans les zones humideshistoriques du bas de la commune ont entraîné des protestations habitantes parfois véhémentes240.

Il est important de constater que l'eau n'est plus une res nullius depuis la révolution industrielle et latransformation profonde qu'elle provoque dans son usage comme dans sa gestion : “Ainsi, des années 1870jusqu’en 1960 la gestion territoriale de l’eau prend une nouvelle forme avec l’avènement de l’industrie et desa logique productive. L’accès à l’eau déplace les conflits qui désormais ne s’effectuent plus tellement entreusagers mais plutôt entre usages (agricole, industriel, alimentation en eau potable). Les demandes en eauurbaine et industrielle sont devenues telles qu’elles nécessitent l’aménagement d’infrastructures capables demobiliser la ressource de plus en plus loin des centres de consommation afin de régulariserl’approvisionnement. (...) Le rôle de l’Etat s’accroît, en parallèle à un fractionnement des utilisations et uneentrée progressive de l’eau dans la sphère marchande où elle acquiert un prix que les utilisateurs doiventpayer pour accéder à la ressource. La valeur d’échange prend le pas sur la valeur d’usage.241”

L'image d'un bien gratuit, “tombé du ciel”, ne vaut dès lors qu'à titre folklorique, ancré dans lesreprésentations et les évidences paysannes. En ville, il s'agit d'une ressource contrôlée, acheminée, évacuée,purifiée dont la gestion requiert une prise de décision stratégique afin d'en fixer les priorités et qui nécessitedes infrastructures coûteuses dont la mise en place et l'entretien modèlent profondément le visage de la villeet de sa périphérie. L'étude menée sur les captages d'eau souterraine menés par la CompagnieIntercommunale Bruxelloise des Eaux (CIBE) dans la région de Mons révèle les conflits territoriauxqu'engendrent l'exploitation de la campagne par la ville dans les années soixante et septante242. Lesaffaissements différentiels du sol provoqués par les captages sont présentés par la CIBE comme undommage collatéral similaire à ceux causés par les grands travaux d'aménagement du territoire, tels que lesautoroutes, canaux ou aérodromes qui entraînent des désagréments pour des milliers de riverains, mais qui,

élagage avec abattage. Le parc Duden dénaturé. La Donation, un Etat dans l'Etat, Le Soir, Jeudi 7 juin 2001237 Hermine Bokhorst, Forest – Lifting du parc Duden, vingt arbres à abattre d'urgence, Le Soir, Samedi 2 février

2002238 Emile Haquin, Tuteur régional au parc Duden, Le soir, Vendredi 20 janvier 2006239 Michel Lussault, 2007, p.39240 Stop Inondations Saint-Denis, Un comité de quartier pour agir, http://stopinondations.wordpress.com/ 241 Stéphane Ghiotti, Les Territoires de l’eau et la décentralisation. La gouvernance de bassin versant ou les limites

d’une évidence, in Développement durable et territoires, 2006, http://developpementdurable.revues.org/1742, p.9242 Pierre Cornut, David Aubin et Julien Vandeburie, La ville à la campagne, conflit territorial et discours relatif à

une surexploitation aquifère, in Développement durable et territoires, 2006Pierre Cornut est l'auteur d'une thèse de doctorat sur cette thématique, La circulation de l'eau potable en Belgique età Bruxelles. Enjeux sociaux de la gestion d'une ressource naturelle, 2000

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doivent être réalisés au nom de l'utilité publique. La CIBE totalise aujourd'hui une production annuelled'environ 130 millions de m3 dont 98% sont captés en Wallonie jusqu'à parfois plus de 100 km du territoirebruxellois243.

La station d'épuration de Bruxelles-Sud, construite entre 1994 et 2000, couvre une superficie de 4hectares pour une capacité de 360 000 habitants (à 180 litres par jour) et aura coûté 100 000 francs belges(2500 euros) à chaque Bruxellois s'il faut en croire la presse de l'époque244. La station d'épuration deBruxelles-Nord est inaugurée en 2007, elle est construite et gérée par Acquiris, filiale du groupe VEOLIA.En décembre 2009, la catastrophe éco-industrielle causée par la mise à l'arrêt de la station provoque unemobilisation des associations qui fondent les EGEB, la ministre de l'environnement ne démissionnera pas245.

Ce constat n'empêche pas le concept de l'eau en tant que bien commun d'être opératoire sur le planpolitique, de susciter un large consensus en tant que service public et bien de première nécessité. Dans le casfrançais : “avec les décennies 1970 et 1980, la reconnaissance de la dimension « eau milieu » à côté de cellerelative à « l’eau ressource » s’impose dans les politiques de gestion de l’eau. (...) L’heure est à la co-évolution des impératifs économiques et environnementaux. L’eau se trouve de plus en plus réappropriéesocialement et acquiert le statut d’un patrimoine qu’il faut protéger et transmettre.246” En Italie, la prise departi s'effectue à partir d'un référendum sur la privatisation de l'eau (juin 2011), plus particulièrement sur laquestion de la “rémunération adéquate du capital investi par les gestionnaires”. Un référendum remporté à54% par les partisans de l'eau publique, dont l'impact effectif sur les modalités de gestion de l'eau est toutrelatif trois ans après la consultation.

Aux modalités de gestion technocratique s'opposent parfois des mobilisations politiques qui trouventune correspondance dans la revendication de participation à la prise de décision : “ Ce que l'on observe dansnos modèles de démocratie technologique, c'est que l'eau se trouve très éloignée des préoccupationsquotidiennes du citoyen, sauf lorsque ce dernier reçoit sa facture ou lorsqu'il a les pieds dans l'eau. Cela estdû au fait que le citoyen délègue totalement cette gestion aux politiques, qui eux-mêmes la délèguent dans laplupart des cas à l'administration, qui bien souvent la délègue aux techniciens, voire à la finance privée,comme dans le cas de la Station d'épuration de Bruxelles – Nord (STEP Nord).247” La prise de décision entreopérateurs et aménageurs fait l'objet de négociations qui portent sur les effets d'opportunités (l'aménagementdes collecteurs en voirie perturbe la mobilité, les espaces monumentaux conviennent à l'aménagement de cetype de dispositif) et sur les effets politiques (les parcs sont gérés par l'IBGE, leur rénovation financé parBeliris, la direction des monuments et sites surveille le respect du patrimoine).

Le concept de bassin versant est opératoire sur le plan géopolitique local par la solidarité qu'il induitentre le haut de la commune et le bas de la commune, dans une ville à la topographie accentuée malgré lestravaux léopoldien de remblaiement. Il permet éventuellement de transcender les limites administratives 248.Le bassin versant est à ce titre un concept géographique politiquement pertinent : “c'est un espace danslequel on peut comprendre les cycles de l'eau, c'est l'unité hydrographique de base, la plus proche del'habitant, celle sur laquelle il peut avoir prise. (...) On peut dès lors imaginer que dans l'avenir, l'approchepar bassin versant puisse développer au-delà des questions de l'eau.249”

Stéphane Ghiotti remarque le succès transversal de la notion de bassin versant : “A cela s’ajoute lerôle considérable joué par l’Union européenne (multiplication des politiques environnementales, impactsdes Directives relatives à la gestion qualitative et quantitative de l’eau (plus de trente entre 1975 et 2000),instaurations de zonages…) et par les bailleurs de fonds internationaux (PNUE, FAO, Banque Mondiale,

243 Pierre Cornut, David Aubin et Julien Vandeburie, 2006, p.2244 Jean-François Munster, La mise en service progressive de la première station d'épuration bruxelloise a débuté –

La station de Bruxelles Sud émerge des eaux troubles, Le Soir, Mercredi 9 août 2000245 Jean-François Munster, Dirk Vanoverbeke, François Robert, La Senne polluée : Huytebroeck charge Aquiris,

Evelyne Huytebroeck - Huytebroeck provisoirement sauvée des eaux - le flop d’une férue de com, Le Soir, 18décembre 2009

246 Stéphane Ghiotti, 2006, p.10247 Voix d'eau, Journal-programme des Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles et Maelbeek dans tous ses états, n°2,

10/2011, avec la RBC, IBGE, Bruxelles - Ville Durable, p.12248 La régionalisation a parfois entravé la logique hydrographique. Ainsi le Vogelzangbeeck forme la limite entre la

commune flamande de St-Pieters Leeuw et la commune bruxelloise d'Anderlecht ce qui peut poser problème en casde pollution (la dépollution est une compétence régionale), l'incertitude administrative entravant une réponseadéquate. Lise Ménalque, un ruisseau pollué à Anderlecht cause des soucis aux riverains, RTBF Info, mercredi 23 juillet 2014

249 Voix d'eau, 2011, p.13

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FMI, etc.) qui associent le bassin versant aux principes de la « bonne gouvernance ».250” A Forest, “c'est lacommune elle-même qui a amené cette notion de solidarité de bassin versant auprès des habitants de lacommune.251”

Parmi les aménagements envisagés par les habitants, la majorité des dispositifs paysagistes présenteun aspect cosmétique généralement accompagné d'une dimension écologique : noues, jardins d'orage, piedset bacs à arbres, parcours d'eaux claires en surface, promenades bleues et vertes, voiries adaptées auruissellement, revêtements de sols permettant l'infiltration ou le drainage. Pourtant, le processus participatif apermis de produire une connaissance fine du territoire à travers quatre promenades thématiques qui ont faitl'objet d'une cartographie systématique et de faire émerger un rapport à l'eau à travers l'histoire orale etécrite. Les aspects sociaux et économiques n'émergent par contre que très difficilement (hors coût desstructures). Les nouvelles rivières urbaines sont l'emblème de ces aménagements hydrauliques: “L'idée iciest de considérer des formes techniques renouvelées permettant et augmentant les cycles écologiques del'eau en ville, ce qui nécessite une organisation de la gestion fortement décentralisée demandant une“participation” à la “gestion” de nombreux acteurs différenciés. Le grand avantage est que cette notion estdirectement compréhensible, renvoyant en effet à un imaginaire poétique et collectif.252”

Les opérateurs et aménageurs avancent quant à eux sur des interventions qui semblent plusstructurelles mais n'apportent pas de solutions durables: bassins d'orage, désensablage du réseau decollecteurs, zones d'infiltration et de temporisation, rénovation et construction de collecteurs et du réseaud'égouttage, bypass activables en cas de fortes pluies, systématisation des réseaux séparatifs dans lesnouveaux lotissements (nombreux dans les zones humides historiques), curage de la Senne, rentabilisationdes stations d'épuration. La réponse formulée par les EGEB passe par un nouveau paradigme de rapport àl'eau, le regard porté sur l'eau devrait changer, entre ressource économique et nuisance, vers une prise deconsience et une acceptation de sa présence dans la ville, y compris dans ses aspects plus sauvages : plutôtque de l'évacuer comme un déchet ou un effluent, prendre en compte l'énergie que l'eau représente.

Un constat final s'impose: aucun participant à la table ronde n'a soulevé la question de ladensification qui entraîne le lotissement accéléré des zones humides historiques, le non-aménagement ou ladésurbanisation est la limite implicite du processus. Nous conclurons très provisoirement avec StéphaneGhiotti : “La territorialisation de la gestion de l’eau apparaît comme une forme d’organisation socialeancienne et complexe, en lien direct avec les luttes politiques, institutionnelles, et scientifiques pourl’appropriation de la ressource et sa gestion.253”

CASUS : AUX SOURCES DU GELEYTSBEEK – LE PLATEAU ENGELANDSi l'on suit la logique du bassin versant, le Geleytsbeek draine les eaux des plateaux du sud d'Uccle.

Séparé de la réserve naturelle régionale de Kinsendael par le chemin de fer et du plateau du Kauwberg par lecimetière de Verrewinkel, le plateau Engeland, espace rudéral boisé a succédé aux prairies et aux fermes.Menacée par un projet de 400 logements, la zone à haute valeur biologique est un liseré autour d'une zoneaffectée au logement et à l'équipement collectif. Un comité de voisins254 soutenu par les associations deprotection de la nature255 intervient en commission de concertation afin d'obtenir une étude d'incidenceenvironnementale; puis introduit une demande de Plan Particulier d'Affectation du Sol dans le but deprotéger la zone naturelle (rejetée par le conseil communal). Il se tourne dès lors vers l'administration(régionale) des Monuments et Sites pour demander une mesure de classement intégral pour le plateau, laComission Royale des Monuments et Sites rend un avis favorable en tant que le Plateau Engeland assure unecontinuité écologique indispensable (entre le Kinsendael-Kiekenput et le bois de Verrewinkel). Le comité duplateau présente en 2006 une liste aux élections communales (2,6% des voix). Une partie du site est classée,le permis d'urbanisme est délivré en mai 2013.

La mobilisation a été au bout des procédures de concertation, elle a été soutenue par des associationsexpérimentées particulièrement structurées dans ce quartier du fait de la présence d'une friche exemplaire, le

250 Stéphane Ghiotti, 2006, p.40251 EGEB/SGWB et commune de Forest, Vers un versant pilote à Forest ? Table ronde du18 mars 2014252 Voix d'eau, 2011, p.14253 Stéphane Ghiotti, 2006, p.60254 Site du comité : http://www.plateauengeland.be/255 L’ACQU, SOS Kauwberg, la Ligue des Amis du Kauwberg, AVES, le Cercle d’Histoire d’Uccle, le Comité

Senne, Bruxelles Nature …

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Kauwberg (voir notamment l'ouvrage de Duvigneaud pré-cité). Les contraintes au projet ont finalement étélégitimées par la patrimonialisation de la continuité écologique entre plusieurs espaces semi-naturels non-aménagés à proximité du site.

CASUS : AUX ANTIPODES – WALCKIERS ET MOERASKE A SCHAERBEEK / EVERELe site du Walckiers à Schaerbeek-Evere256 (5,14 hectares), à proximité de la réserve naturelle de

Moeraske est abandonné depuis au moins vingt ans. Ancien domaine privé puis jardin du couvent de laSainte-Famille à partir de 1891, le site est entouré de murs ce qui a permis sa sauvegarde et ledéveloppement de biotopes particuliers. Cette friche, rare site naturel au nord-est de la Région, concentreplus de 220 espèces botaniques, 27 espèces de papillons, l'unique population de lérots (petits mammifères) dela RBC. Cette diversité floristique et faunistique est liée à la proximité du site ferroviaire voisin : “les trainstransportent graines et animaux et c'est souvent au voisinage des gares de triage que de nouvelles espècesapparaissent.257“ Ce site est menacé par l'aménagement en promenade verte proposé par l'IBGE, soutenu parla commune de Schaerbeek, l'AATL, la Direction des Monuments et Sites et la Commission royale desMonuments et Sites. Sont prévu : l'extension du site par le rachat d'une partie du parc (vallon humide)appartenant à l'Institut de la Sainte-Famille d'Helmet (4600m2), l'aménagement durable de voies carrossableset d'un cheminement de 3 mètres avec pontons, terrasses et gardes-corps, la clôture d'une partie du site,l'abattage de 113 arbres en vue de dégager des perspectives, des modifications de la flore et de la mare, larénovation des grottes artificielles dans lesquelles se sont établies des chauves-souris et des mousses. Leprojet prévoit également de réglementer l'accessibilité du site et de le différencier (2/3 inaccessibles saufvisite guidée, 1/6 en accessibilité réduite, 1/6 accessible librement) ce qui implique des aménagementsconséquents. L'aménagement en promenade verte de la friche Walckiers associée à la réserve naturelleMoeraske conduit à un morcellement de ce territoire. L'unique opposant est la CEBE (Commission del'environnement de Bruxelles et des Environs) qui gère le site depuis 1989 en collaboration avec l'IBGE, lechantier prévu provoquera une eutrophisation de la flore, sa banalisation et son appauvrissement : “Ledéfrichage et le remplacement de la flore existante par des plantations, même avec des espèces indigènes,est en complète contradiction avec le maintien de la diversité des espèces qui vivent dans le Walckiers.” LaCEBE demande le classement du site en réserve naturelle régionale.

D'une part l'IBGE et les institutions favorisent l'aménagement en promenade verte de la zone, del'autre la CEBE campe sur des positions de non-aménagement et de maintien en friche, tout en proposant uncheminement alternatif (existant) le long du chemin de fer. Elle est rapidement condamnée par les politiqueset les médias et qualifiée d'intégristes environnementaux258. La difficulté provient notamment du fait quel'IBGE est à la fois demandeur en terme d'aménagement et évaluateur de la demande en tant que responsabledu rapport d'incidence environnementale. Comme nous l'avons examiné dans la partie consacrée au maillagevert, le PRAS démographique autorise depuis les actes et travaux nécessaires à la réalisation du maillage vertdans les zones à haute valeur biologique tel que le Walckiers. Suite à la mobilisation associative une(maigre) restriction est apportée aux nouveaux aménagements dans les zones à haute valeur biologique: “à lacondition, dans ce dernier cas, que les actes et travaux soient compatibles avec la destination de la zone. 259”Cette lutte, qui se conclut par un échec relatif au niveau local, s'est traduite par la modification d'un textelégislatif à portée générale, permettant la reprise de l'argumentaire dans d'autres plis de l'existant.

CASUS : BRUSSELS FARMER260

Les Brussels Farmer sont des planteurs sauvages de graines de tournesols à Bruxelles (dans lesplantations de voierie), ces “guerilleros tournesols” ont choisi le 1er mai comme date pour la “prise dumaquis”. L'inanité de ce type d'action du point de vue écologique (le tournesol, plante générique, utilitaire etenvahissante) correspond à l'évident recodage des traditions de lutte qu'il représente. L'intiative, qui abénéficié d'une couverture médiatique, est pourtant intéressante en ce qu'elle témoigne d'un usage d'espacesintercalaires parmi d'autres. Ce geste simple est radicalement anonyme, lorsqu'il ne procède pas d'unevolonté de reconnaissance, il témoigne d'une évidence politique : l'aménagement n'est qu'une manifestationdominante du rapport au territoire qu'entretient chaque habitant.

256 http://www.cebe.be/website/a_actualites/b_actions/walckiers_dossier_presse_hdef_v19.pdf257 http://www.bruxellesenvironnement.be/uploadedFiles/Contenu_du_site/News/Walckiers_note_detaillee_FR.pdf258 Voir La Dernière Heure, 10 février 2014 et Schaerbeek Info (journal communal) n°186 du 17 février 2014259 PRAS démographique, 31 mai 2013260 http://brussels-farmer.blogspot.be/

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F. La nature sauvage à l'épreuve de la densification : la rudéralité

Entre et à côté des espaces de nature aménagée, subsistent des friches261: des étendues et des lignesferroviaires avec leurs talus, des niches écologiques liées à la proximité de la Senne qui n'est quepartiellement voûtée en amont de la gare du Midi, des potagers ouvriers et des vergers abandonnés, des présinondables, mais aussi les paysages - régulièrement pollués - formés à partir de la désindustrialisation.L'espace agricole périurbain peut lui-même être considéré comme friche – malgré l'inflation des prix desterres agricoles – parce qu'il reste un espace potentiellement disponible à ce qui n'est pas la métropole : “ Entermes de maintien des espaces ouverts périurbains, l'agriculture est une thérapie préventive, car, en sonétat ordinaire de vide urbain, la friche est un des lieux où se résolvent tant bien que mal les contradictionssociales résultant des carences de politiques publiques.262”

Les projets immobiliers se multiplient le long de la voie de chemin de fer comprise dans la localisationétudiée. Ces anciennes zones humides en marge, dont la valeur foncière était négligeable, ont hébergé uneimportante biodiversité sous forme de talus ferroviaire, de prairies, de potagers, de zones résiduelles. Lecomplexe ferroviaire de la Petite île a permis le développement d’une flore très spécifique sur des terresrésiduelles vouées au développement ferroviaire depuis plus d’un siècle. Toutes ces zones constituent àprésent une réserve foncière stratégique et se trouvent, par leur réaffectation dans le cadre du PRASdémographique, au premier rang de la densification du bâti résidentiel au détriment des zones industrielles etde la nature rémanente. Or, les résultats d'une étude menée à Leipzig sur base d'un système d'informationgéographique mettent en évidence l'importance écologique et sociale des “larges sites situated on theoutskirts of the city, often with natural water features phenomena seldom found in the inner city.263”

1. lignes de fuite dans la métropole ?

La friche interroge la fonction démiurgique du jardinier : “Ce qui est dit dans la friche résume toute laproblématique du jardin ou du paysage : le mouvement. Ignorer ce mouvement, c'est non seulementconsidérer la plante comme un objet fini mais c'est aussi l'isoler historiquement et biologiquement ducontexte qui la fait exister.264” Cet aspect est essentiel pour l'expérience habitante : “L’espace public ne vit enun sens que dans la mesure où il contient un ensemble de productions sensibles qui génèrent une densitéexpérientielle : toute originalité, toute différence, tout choc, toute inconvenance, tout besoin contrarié estsusceptible de l’animer, de lui donner sa véritable corporéité satisfaisante.265”

Les friches constituent en ce sens des espaces de liberté, gratuits et souvent ouverts, des espaces derespiration dans la métropole enrégimentée comme le constatent les études menées par les géographesallemands notamment : “They are different from urban green spaces as they are unfinished areas, wherenature can flourish, and people can gain an understanding and sense of value of the natural world.266” Cettedimension de liberté est essentielle dans une ville quadrillée par les dispositifs de contrôle: “L'improbableconcerne non seulement les territoires sous contrôle mais encore les espaces intersticiels où la friche trouvesa place, aux côtés des activités informelles et de l'urbanisation illégale : les nouvelles formes de mobilitéscréent des lieux de l'entre deux où le vivant peut triompher du minéral et s'affranchir du statut de mobilier

261 Premières occurences en 1251 et 1269-78. On admet d'ordinaire que le mot (et sa var. freche dep. 1287 ds Gdf.Compl.) vient du m. néerl. versch/virsch « frais, nouveau » (Verdam) qui, employé avec le mot lant « terre » désigneune terre qu'on a gagnée sur la mer en l'endiguant. Source : Le Trésor de la Langue Française informatisé - http://www.cnrtl.fr/definition/fricheOn trouve les traductions : urban wildlife areas, Naturerfahrungsräume.

262 André Fleury, Quelle ingiénierie pour l'agriculture de la ville durable ? in Natures, Sciences, Sociétés, 2006, p.404

263 Harriet Herbst, Volkmar Herbst, The development of an evaluation method using a geographic information systemto determine the importance of wasteland sites as urban wildlife areas, in Landscape and urban planning, 2006,p.186

264 Gilles Clément, Où en est l'herbe, réflexions sur le jardin planétaire, Actes Sud, 2006, p.26265 Marc Breviglieri, Une brèche critique dans la “ville garantie” ? Espaces intercalaires et architectures d’usage in

E. Cogato Lanza, L. Pattaroni, M. Piraud, B. Tirone, Le quartier des grottes / genève, De la différence urbaine, Metispresse, Genève, 2013, p.233

266 Harriet Herbst, Volkmar Herbst, The development of an evaluation method using a geographic information systemto determine the importance of wasteland sites as urban wildlife areas, in Landscape and urban planning, 2006,p.179

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urbain.267” En effet, d'un point de vue scientifique et pédagogique, il est essentiel d'observer localement lesconditions de désagrégation de la métropole. D'un point de vue politique et sensible ces espaces incarnent ceque la nature apporte en termes de lignes de fuite, de respiration dans la métropole.

Un ingénieur horticole et paysagiste renommé, Gilles Clément268, émet des doutes quant à la nécessitéde son métier : “ Mais dans certains cas on peut se demander si l'accomodement de l'homme à la nature doiten passer par la phase d'aménagement. Laquelle est obligatoirement dévastatrice, donc spécialementarchaïque comparée à une attitude de simple observation du milieu destinée à comprendre avantd'intervenir. (...) Peut-on élever le non-aménagement, et parfois le désaménagement, à hauteur de projet? 269”Une position discursive convaincante quoique difficilement opposable à l'horror vacui des aménageursmétropolitains.

Il est difficile de prédire la durée de vie de chacune de ces friches, elle dépend en partie de la pressionfoncière et du degré d'attachement des habitants. A terme, elles semblent certainement condamnées, dumoins sur le vieux continent, à la densité de population élevée et ancienne: “Dans la majeure partie del'Europe de l'Ouest (...), les zones urbaines et industrielles en friche, comme les zones de bombardement quiles ont précédées, sont au bout du compte recyclées à des fins productives, souvent après un examen et uneplanification systématiques. Cela n'est pas le cas aux Etats-Unis, où les terrains vagues intra-urbainssemblent de plus en plus s'inscrire dans le paysage, au bénéfice de la nature rudérale.270” La ville de Detroitest particulièment emblématique à cet égard.

Voilà pour l'humain, ses pratiques et son rapport à la friche, il n'est peut-être pas nécessaire, nisouhaitable, d'en dire ou d'en montrer plus quant à ces usages, qui prolifèrent admirablement dans le silenceet la discrétion. Du point de vue écologique et botanique par contre, chacun de ces espaces est l'expressiond'un biome particulier, l'expression d'une articulation des formes de vie aux conditions particulièresd'occupation du sol (et de l'air). C'est de ce côté là que se prépare la rémanence de la friche à un niveau para-humain ou infra-humain. En effet une flore bien particulière s'installe dans ces espaces disponibles.

nullus enim locus sine genio est – assurément aucun lieu n'est dépourvu de génieServius

267 Paul Arnould, La nature en ville : l'improbable biodiversité, Géographie, économie, société, 2011/1 Vol.13, p.47268 Architecte notamment du Parc André-Citroën, des Jardins de l'Arche à la Défense, mais aussi du jardin du château

de Blois et du jardin de la nécropole punique de Tuvixeddu à Cagliari.269 Gilles Clément, Où en est l'herbe, réflexions sur le jardin planétaire, Actes Sud, 2006, p.74270 Mike Davies, (2002) , p.121

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2. Botanique de la friche

L'urbanisation n'entraîne pas seulement la destruction ou l'homogénéisation de la flore, elle faitémerger une seconde nature, dont les caractéristiques sont communes à travers le globe : “Urban ecosystemsare quite similar worldwide in termes of structure, functions and constraints.271” Les premières observationsde l'écologie urbaine à Berlin et à Bruxelles l'avaient déjà mis en évidence : “Les composantes florales decette Seconde Nature née de la guerre sont étonnamment similaires dans la plupart des villes d'Europecentrale et occidentale, malgré des différences de climat significatives.272” Comme Duvigneaud l'avaitpressenti, la ville est un écosystème en soi: “As a result of such homeostatic buffering processes, cities aremuch more similar as a physical habitat than are the habitats that surround them. For example, the habitatsavailable to birds, plants and other species found in the urban environments of Sidney, Australia and Berlin,Germany are likely to be much more similar than the natural environments outside of those cities.273”L'homogénéisation n'est donc pas un processus univoque.

Quelles sont les caractéristiques de cet écosystème urbain, quels types d'habitats sont produits parl'urbanisation ? Qu'est-ce que la nature en ville? Entendons-nous, il s'agit ici de la nature spontanée, dontl'ordonnancement ne dépend pas d'une volonté délibéré, ni d'un travail humain. Si les dynamiques depopulations et de communautés sont présentes dans tous les interstices du tissu urbain, c'est dans les frichesqu'elles se déploient de la manière la plus évidente.

a. dynamique des populations et des communautés

Comme l'observait Paul Duvigneaud il y a plus de trente ans : “Les terrains vagues vrais sont deszones de terre remuées, abandonnées pour un temps plus ou moins long, à proximité d'une agglomération.Ils seront envahis spontanément et progressivement par une végétation nouvelle riche en espèces ditesadventices (messicoles (associées aux champs) et rudérales (associées aux ruines)). Il se forme ainsi desbiocénoses particulières d'espèces souvent potasso-nitrophiles. Ces biogéocénoses sont encore trèsfréquentes dans la région bruxelloise, spécialement sur le sol des gares abandonnées et sur les talus desvoies ferrées et divers remblais laissés à eux-mêmes.274” La synthèse de Duvigneaud, basée sur lesobservations de terrains, est marquée par une prépondérance des processus déterministes: l'environnementlocal favorise une espèce (filtrage environnemental) ou un variant génétique (sélection naturelle).

Ces processus déterministes ont été théorisés par un illustre précurseur, Frederic Edward Clements(1874-1945). L'évolution des techniques et des connaissances en écologie des communautés, en génétiquenotamment, ont entraîné une évolution drastique de la perception scientifique de la dynamique de la naturespontanée ce qui est bien résumé par Mike Davies : (...) les paradigmes clementsiens de l'écologie desplantes régionales - une succession ordonnée d'espèces dont "l'apogée" correspond à un pic de populationadaptée à l'environnement de manière optimale - décrivent-ils de façon pertinente les dynamiques depopulations ?275”

L e s contingences historiques sont apparus comme des facteurs explicatifs majeurs, en termesécologiques, ce terme désigne l'ensemble des événements évolutifs et biogéographiques passés (spéciation,migration à longue distance, tectonique des plaques) qui ont permis l'apparition d'une espèce ou d'un variantgénétique dans une région donnée276.

L e s modèles neutres, par leur potentiel de modélisation mathématique, ont mis en évidencel'importance des processus stochastiques: des “mécanismes modifiant la fréquence d'espèces ou de gènesindépendamment de leur nature277” Pourtant, ces deux types majeurs de processus (déterministes et

271 J.P.L. Savard, P.Clergeau, G.Mennechez, Biodiversity concept and urban ecoystems, i n Landscape and UrbanPlanning, n°48, 2000, p.136

272 Mike Davies, Dead Cities, villes mortes : une histoire naturelle, p.118273 Michael L. McKinney, Urbanization as a major cause of biotic homogenization, in Biological conservation,

n°127, 2006, p.250274 Paul Duvigneaud, Les sites semi-naturels et l'écosystème Bruxelles, La végétation du Kauwberg à Uccle, Edition

du Centre d'Etudes Jacques Georgin, 1991, p.22275 Mike Davies, Dead Cities, 2002, p.108276 Olivier J. Hardy, Structure des populations et des communautés : le bouleversement des paradigmes à la fin du

20ème siècle, in Vers une nouvelle synthèse écologique..., p.54277 “Localement l'abondance d'une espèce ou d'un variant génétique dépend notamment du hasard des événements de

reproduction et de dispersion qui ont eu lieu à la génération précédente engendrant des fluctuations non-

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stochastiques) peuvent mener à des distributions spatiales similaires des espèces, ce que “lesgéomorphologues appellent l' équifinalité : des processus différents configurent des paysages similaires.278”.Ces processus stochastiques, liés au hasard des événements, semblent particulièrement déterminants pourdécrire les populations et les communautés des friches, les processus déterministes étant en partie invalidéspar le caractère aléatoire de la répartition de ce type d'habitat. Ils permettent également de prendre en comptela dynamique particulière des plantes exotiques.

b. profil de la flore bruxelloise

Un inventaire floristique complet de la Région de Bruxelles-Capitale279, doublé d'une cartographie dela flore, a été réalisé en 2006 par Luc Allermeersch (Jardin botanique national de Belgique) sur unecommande de la division espaces verts de l'IBGE. L'étude, exhaustive, comprend également unecomparaison approfondie des données et cartes antérieures280, ainsi qu’une vaste évaluation scientifique, elleconstitue un point de référence malgré certaines limites formulées du reste par l'auteur281.

Parmi plus de six cent plantes, les arbres dominants sont le bouleau verruqueux, le charme, lechâtaignier, le noisetier, le hêtre, le frêne, le noyer royal: des arbres “de nos régions”. Les plantes les plusmenacées sont les espèces aquatiques ou des marais, des prairies inondées, de cours d’eau ou de plan d’eau,des eaux stagnantes ou courantes. Leurs habitats sont particulièrement perturbés, par les interventionshumaines. Plusieurs plantes médicinales et gastronomiques sont extrêmement fréquentes et très fréquentes :l'achillée millefeuille, le millepertuis commun, l'alliaire, la carotte, le cerfeuil sauvage, la petite bardane,l'armoise commune, le colza, la bourse-à-pasteur commune, la chicorée sauvage, le pissenlit, le fraisiersauvage, etc... Il est impossible de déterminer de manière certaine un facteur humain à l'origine del'introduction ou de la diffusion de ces plantes.

L'étude de Luc Allermeersch fait émerger un ensemble de stratégies floristiques : certaines espècessupportent un piétinement régulier (plantain), d'autres sont des opportunistes des zones ombragées (geraniumrobertanium, fraisier des indes), le millepertuis supportent bien les terrains arides, tandis que les substrats quise réchauffent rapidement attirent certaines espèces d'arbres (platane à feuille d'érable, érable négundo).Chaque typologie d'espace favorise la diffusion d'espèces particulières: talus retournés, terrains perturbés,sites excavés, parcelles en friches, terrains peu soignés, bordures de sentiers, bordures de parkings, mortierentre les briques, revêtements peu entretenus, bermes centrales,... Les sites ferroviaires sont privilégiés parcertaines plantes: armoise annuelle, lycopode, amarante blanche, anthrisque des dunes, vulnéraire, les lignesde chemin de fer apparaissent également comme voies de diffusion de certaines plantes : vipérine, ... Enfin,certaines pratiques peuvent influencer la diffusion des populations de plantes : les déchets de cuisine et lesdéchets de jardins, les graines pour oiseaux (sarrasin).

Par ailleurs plusieurs facteurs propres au milieu urbain peuvent favoriser ou discriminer certainesespèces. L'îlot thermique urbain est généré à la fois par la concentration de la population, par la pollution etpar la chaleur, et d’autre part, par une moindre absorption de la chaleur du jour du fait de l’absence devégétation et de la présence de matériaux qui restituent cette chaleur la nuit. Ce concept tend à occuper uneplace importante dans les représentations ce qui est peut-être lié à la question du réchauffement climatique.

directionnelles de l'abondance locale. On parle de dérive génétique (population) ou écologique (communauté). Depart leur imprédictibilité, les mutations et événements de spéciation sont aussi considérés comme des processusstochastique.” Olivier J. Hardy, Structure des populations et des communautés : le bouleversement des paradigmesà la fin du 20ème siècle, in p.54

278 Mike Davies, Dead Cities, villes mortes : une histoire naturelle, p.122279 Luc Allemeersch (Jardin botanique national de Belgique), Réalisation d’un inventaire floristique complet de la

Région de Bruxelles-Capitale et d’une cartographie de la flore. Y compris une comparaison approfondie desdonnées et cartes antérieures, ainsi qu’une vaste évaluation scientifique, Octobre 2006, 330p (+annexes)adjudicateur : Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement - Division Espaces verts

280 Toute comparaison s'avère cependant périlleuse, à l’issue de l’exposé de la méthodologie utilisée pour réaliserl’atlas, une remarque s’impose “le nombre plus important de taxons enregistrés est dû principalement à la méthodequelque peu différente mais surtout plus approfondie. Il convient donc d’interpréter avec la plus grande prudenceles changements dans la fréquence des taxons échappés.”

281 L'inventaire ne propose pas de quantification mais un relevé dont l'ampleur (notamment dans les terrains privés etrésidentiels) et la période d'observation (la saison influe sur la présence, la fioriture et la taille des plantes) ontinfluencé les résultats. Enfin, elle se base sur le présupposé d'un milieu sauvage, la Forêt de Soignes,particulièrement dans sa partie sablonneuse au sud-est.

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Les revêtements de sols (souvent imperméabilisés) et les matériaux de construction, constituent un milieuminéral et alcalin, potentiellement défavorable, à l'inverse l'eutrophisation anthropique entraîne unesurfertilité du sol (excès d'azote, apports en nitrates). Le milieu urbain dès lors apparaît comme unecomposition d'habitats contrastés.

c. Plantes invasives

L'un des enjeux majeurs d'un étude floristique en milieu urbain est probablement la question desnéophytes et des plantes envahissantes : “Les invasions apparaissent comme des révélateurs detransformation des écosystèmes par les activités humaines, bien davantage que comme la cause de cesperturbations.282” L'inventaire floristique réalisé par le Jardin Botanique est parcouru par la distinction entreespèces urbanophobes (en voie de disparition) et espèces urbanophiles (en extension). Les premières sont àprotéger lorsqu'elles sont indigènes, les secondes à éradiquer lorsqu'elles sont néophytes et envahissantes.

Bruxelles est le point de départ en Belgique de la dispersion parfois très rapide de plusieursnéophytes au 20e siècle. Plusieurs espèces d’arbres se sont naturalisées à partir de la ville : l’érablesycomore, le marronnier (plante ornementale pour laquelle on observe un rajeunissement spontanérécemment), l’ailante glanduleux (un arbre thermophile fructifère chinois se développant sur des substratscaillouteux au développement récent), le robinier faux-acacia. Plusieurs hypothèses tentent d'expliquerpourquoi ces néophytes sont invasives en dehors de leur territoire d'origine283 : l'absence de prédateurs ou deparasites présents dans le milieu d'origine, l'hypothèse de la niche vacante, une disponibilité de lacommunauté écologique. L'impact des perturbations humaines apparaît cependant primordial : interventionsdirectes, eutrophisation des terres, fluctuations de ressources, réchauffement climatique et ilôt de chaleururbain.

Certains néophytes peuvent apparaître massivement et coloniser complètement des terrains à nus ouenvahir la végétation existante, ils sont alors qualifiés de plantes invasives. Les invasions biologiques sontprésentées comme “la deuxième cause de perte de biodiversité biologique après la disparaition et lafragmentation des biotopes.284” Certains observateurs considèrent que l'homogénéisation biologique estessentiellement dûe à ces espèces étrangères qui accompagnent l'urbanisation: “ (...) biologicalhomogenization is indeed what tipically occurs from urbanization because the same non-native species tendto become established in many cities.285”Ces invasions barbares ont entraîné l'adoption de législation(notamment la Convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage et des habitats naturels en Europe)et de dispositifs (listes contraignantes) visant à les contrer: “A côté des réintroductions une autre politiqueest à l'oeuvre dans de nombreux pays pour contrer l'extension, voire la prolifération des espèces ditesinvasives ou qualifiées de façon plus radicale de “pestes végétales.286”

Les néophytes sont considérés comme nuisibles “lorsqu’ils constituent une menace pour la santé,l’économie ou la biodiversité des zones naturelles.287” Si certaines plantes posent un problème de santépublique (humaine) en terme d'allergies ou de toxicité (l'ambroisie notamment288), le caractère invasif peutaussi devenir une étiquette discriminante qu'il est intéressant d'interroger289. En Belgique, les plantes

282 Pierre Meerts, Anne-Laure Jacquemart, Les invasions de plantes exotiques : que nous apprennent-elles sur le fonctionnement des écosystèmes ?, in Pierre Meerts (dir.),2013, p.71

283 Pierre Meerts, Anne-Laure Jacquemart, (2013), p.74284 J.L. Lockwood, M.F. Hoopes, M.P. Marchetti, Invasion ecology, Blackwell Publishing, 2007 285 Michael L. McKinney, Urbanization as a major cause of biotic homogenization, in Biological conservation,

n°127, 2006, p.250286 Paul Arnould, (2006), p.546287 Belgian Forum on Invasive Species, Liste noire et liste grise d’espèces non-indigènes en Belgique, Version 2.3,

http://www.natagora.org/files/Listes_grise_et_noire_des_invasives.pdf288 Paul Arnould, (2011), p.53289 “En ce sens les catégories néo-hygiénistes sont actives au coeur des constructions écosystémiques qui, comme

toute mise en système, vont produire leurs taxinomies d'inclusion ou d'exclusion, du propre et de l'impropre, del'écologiquement correct ou non.”Pascal Tozzi, “Ville durable et marqueurs d’un “néo-hygiénisme” ? Analyse des discours de projets d’écoquartiersfrançais », revue Norois, Presses universitaires de Rennes, n°227, 2013, http:// norois.revues.org/4700, p.104“Tout comme le paysage est l'objet de débats biaisés à propos de la notion de beau, la biodiversité est polluée parles références à de bonnes et de mauvaises herbes. La mauvaise étant souvent l'étrangère, la vagabonde,l'expansionniste.” Paul Arnould, Biodiversité : la confusion des chiffres et des territoires, Annales de géographie,2006/5 n°651, p.544

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invasives figurent dans un système d’information appelé Harmonia290, géré par une plate-forme belge pour labiodiversité qui est chargée de l’évaluation des espèces dans le cadre du Alien Alert project. Ce systèmecompte actuellement une soixantaine de plantes invasives291 classées en liste blanche (pas d’impact négatif),liste grise (impact négatif supposé) et liste noire (impact négatif confirmé) : “L’attribution d’une espèceexotique à l’une de ces catégories est estimée selon quatre critères intervenant dans les dernières étapes duprocessus d’invasion : 1) le potentiel de dispersion, 2) la colonisation des habitats naturels et 3) les impactsécologiques négatifs sur les espèces indigènes et les écosystèmes292.” La démarche apparaît d'autant plussingulière que certaines espèces exotiques n'ont pas d'impact négatif, elles sont pourtant qualifiéesd'invasives. C'est pendant la période de naturalisation qu'il s'agit d'intervenir : “L’éradication sera seulementréalisable pour les espèces qui sont au tout début du processus d’invasion ; les espèces de la liste noire envoie de naturalisation (A1).” Paradoxalement, l'éradication des espèces naturalisées les plus nuisibles estillusoire, il s'agira dès lors de les contenir hors des réserves naturelles et les habitats Natura 2000 293. Laperception de cette menace dérive pourtant d'un souci de préservation de certaines espèces autant que d'unetentative de préserver la biodiversité.

Or, la protection intégrale peut entraîner une paupérisation paysagère, dans une perspectiveclementsienne classique de succession d'espèces du moins : “ La protection intégrale de milieux ouvertscommes les landes, les tourbières ou les pelouses a abouti dans un premier temps à une véritablepaupérisation floristique. Ces groupements végétaux sont des stades pionniers dans les dynamiquesvégétales conduisant à la forêt dans les milieux tempérés. Faire cesser les activités de fauche ou de pâturequi bloquaient l'évolution vers des stades forestiers a provoqué des résultats allant à l'encontre du butrecherché. Au lieu de préserver la biodiversité, la “mise sous cloche”, sans aucune intervention humaine ouanimale, a favorisé la venue de la forêt, la fermeture des paysages et une banalisation floristique.294”

En 1969, Pierre Lieutaghi295 fait du robinier (robinia pseudoacacia) une espèce exemplaire : “Dansnos contrées, le Robinier est l'exemple type de la naturalisation complète d'une espèce végétale et, desurcroît, ce qui n'est pas toujours le cas, d'une naturalisation plutôt bénéfique .” Dans l'édition de 2004, ildevient une espèce invasive : ”mais c'est aussi, de nos jours, une essence invasive qui, en beaucoup derégions d'Europe, banalise les bois des sols alluviaux, des arènes granitiques, etc...” Ce qui montre bien quec'est le regard porté sur l'espèce qui définit son classement, plutôt que sa dynamique propre, à moins quecette dynamique n'ait changé en 35 ans.

L'impact de ces plantes invasives est loin d'être univoque. Pierre Meerts, considérant les dynamiquesen cours entre une espèce exotique, la balsamine géante (impatiens glandulifera), et deux espèces indigènes,l'aconite napel (aconitum napellus susbp. Lusitanicum) et l'épilobe en épis (epilobium angistufolium) affirme: “ Tant l'abondance que la proximité de l'espèce exotique ont un effet facilitateur par l'augmentation desvisites de bourdons sur les deux espèces indigènes. (...) En augmentant la quantité de nectar disponible àl'échelle du paysage, l'espèce exotique pourrait même avoir un effet positif sur les populations d'insectes!296”

Certaines invasions, peut-être la plupart, résultent de l'ensauvagement d'une nature aménagée. Parmiles plantes invasives les plus nuisibles et les les plus spectaculaires, on trouve plusieurs plantes choisies pourleur valeur ornementale (Buddléia, Renouée du Japon, Fraisier des Indes, Cerisier tardif). Ces plantesfinissent par échapper à l'espace (jardin, parc public, talus) qui leur assigné par l'aménagement. Elles sedéveloppent dès lors dans les friches urbaines, ces écosystèmes intersticiels où l'attention de l'homme estabsente. Après cette installation, elles tendent à se naturaliser, c'est-à-dire à intégrer les écosystèmes non-urbains et à occuper les espaces de nature aménagée. C'est à partir de cette naturalisation qu'elles sontclassées dans la catégorie des plantes invasives lorsqu'elles menacent l'équilibre de la flore et de la faune

290 Programme financé par BELSPO, huit institutions partenaires : Avia-GIS, Veterinary and Agrochemical ResearchCentre, Belgian Scientific Institute for Public Health, Département d’Etude du Milieu Naturel et Agricole (SPW),Université Libre de Bruxelles, Vrije Universiteit Brussel, Walloon Agri-cultural Research Centre, Royal BelgianInstitute of Natural Scienceshttp://ias.biodiversity.be/documents/AlienAlert.pdf

291 http://ias.biodiversity.be292 Sonia Vanderhoeven, Etienne Branquart, Le système d'information Harmonia et le protocole ISEIA, Document

explicatif pour le projet Life + AlterIAS, octobre 2010http://www.alterias.be/images/stories/downloads/doc_explicatif_harmonia_fr.pdf

293 Belgian Forum on Invasive Species, 294 Paul Arnould, Biodiversité : la confusion des chiffres et des territoires, Annales de géographie, 2006/5 n°651,

p.542295 Pierre Lieutaghi, Le Livre des arbres, arbustes, arbrisseaux, éd.Actes Sud, 2004 ( éd.originale 1969), p.1193296 Pierre Meerts, Anne-Laure Jacquemart, (2013), p.66

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indigènes ou lorsque leur présence est incomptabile avec la perception sociale de la nature. Les qualitésproliférantes de ces plantes, qui ont entraîné leur implantation par l'homme, sont à présent redoutées.

VOIR ANNEXE 3 – Profil des plantes invasives

3. Cartographie des friches en RBC

« Les vestiges ne sont jamais représentatifs de ce que les choses ont été à un moment donné et arrêté del'histoire, mais de ce que les choses sont devenues avec le temps. 297 »

Une carte des friches en RBC a été réalisée par l’IBGE en 2010. En rouge, la trame des friches en1998 a été réalisée à partir d’un relevé de terrain effectué par l’IGEAT en 1996-1997. En vert, la trame desfriches a été réalisée à partir d’une image satellite de 2008, les surfaces reflètent l’interprétation par l’auteurdes surfaces vertes. Il semble difficile de tirer des conclusions probantes, d'un point de vue quantitatif, decette carte, les méthodologies adoptées étant fondamentalement différentes pour les deux types de surfaces.La carte ne permet pas de déterminer précisément une augmentation ou une diminution des friches. Ladeuxième méthodologie est particulièrement critiquable d'un point de vue qualitatif dans la mesure où lesréaffectations d’espaces verts (de terrain vague en jardin d’entreprise par exemple) sont difficilementrepérables.

La carte permet tout au plus de constater une quasi-disparition des terrains vagues dans l’hypercentreet le maintien d’une localisation périphérique. Dans l’axe du canal les sites et les lignes ferroviairesreprésentent une part importante de la superficie. Plusieurs friches importantes sont représentées en rouge ausud-ouest de la gare du midi, tandis qu’une zone de friches apparaît à l’ouest de la ligne de chemin de fervers Luttre entre le boulevard Van Haelen et la place Saint-Denis. Enfin une friche importante apparaît prèsdu Bempt, entre le Canal, le Ring et la ligne de chemin de fer vers Halle.

Au-delà de ces tendances générales, la cartographie des friches ne peut être opératoire qu'enprenant l'échelle du site comme point de départ. Nous invitons le lecteur à se rendre sur les lieuxcartographiées dans la deuxième annexe.

297 Gérard Chouquer, Le paysage ou la mémoire des formes, in Cosmopolitiques, éd. Apogée, n°15, 2007, p.47

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carte des friches en RBC 1998 – 2008 298

298 Il nous a malheureusement été impossible de nous procurer une carte plus précise.Source: IGEAT et al. (1997); Brichau et al. (2000); Indeherberg & Verheijen (2007); Van Brussel et al. (2007) (2008); Domken (2008); Van den Balck (2011) IBGE, Rapport Nature. Rapport sur l'état de la nature en RBC, septembre 2012, p.39http://documentation.bruxellesenvironnement.be/documents/NARABRU_20120910_FR_150dpi.pdf

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CONCLUSION

Nous avons tenté, pour dévoiler l'historicité des phénomènes naturels, une approche archéologiqueavec pour terrain de fouilles les productions discursives et cartographiques propres aux époques et auxdispositifs d'aménagement étudiées. En ce sens, « l'archéologie – en fait une archéologie de la formegéographique – est une discipline de la dynamique et non une discipline de l'enfouissement.299»

Ce qui restait de forêts à Forest a été déboisé et aménagé dès la fin du moyen-âge. Cet aménagement aété monumentalisé à partir de la fin du dix-neuvième siècle, dans le cadre de l'extension de la ville, instituantde la sorte un patrimoine naturel. Les fonctions biologiques des zones humides ont été évacuées de l'horizonhumain par leur marginalisation en termes de moyens de production et de circulation à l'époque industrielle.Elles constituent désormais la principale zone disponible pour la densification dans un contexte dereconfiguration de ces moyens. La dichotomie entre forêts et zones humides est pertinente : les formes semaintiennent malgré les transformations de l'artificialisation.

Du point de vue de la gestion de la nature en ville, la comparaison que nous avons effectuée entredeux époques, est opératoire : la rénovation de la ville compacte historique est le corollaire d'une diffusionextensive de l'urbain. La ville diffuse et la ville compacte ne s'opposent pas, elles se structurent l'une parrapport à l'autre et concourent à la destruction des rapports au milieu préexistants. Il manque à ce mémoiredeux éléments essentiels pour comprendre la situation contemporaine à Bruxelles: un historique del'industrialisation des zones humides à l'époque fordiste et de la crise de ce modèle productif à partir desannées septante du vingtième siècle et un historique de la périurbanisation des classes moyennes à partir dela même époque jusqu'à aujourd'hui. Ces deux éléments permettraient de mieux prendre en compte l'impactde la ville diffuse sur les territoires périurbains et d'interroger la pertinence du concept de campagneaujourd'hui.

Les politiques d'aménagement traduisent dès le 19ème siècle l'émergence d'un nouveau paradigme degouvernement que Foucault nomme biopolitique300 et formule simplement : « l’homme moderne est unanimal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question 301».

Les conflits liés aux politiques d'aménagement traduisent des rapports au territoire: un milieu pour lesformes de vie qui l'habitent, un système complexe pour les opérateurs, une surface interchangeable pour lesaménageurs publics et privés, un paysage pour l'habitant et l'errant.

Les dispositifs d'aménagement contemporains reposent sur l'affectation de fonctions aux zones et surl'affectation d'affects aux citoyens. L'affectation fonctionnelle est matérialisée par une série d'outilscartographiques à valeur légale : le cadastre, l'inventaire du patrimoine, le pras, l'atlas des sols pollués.Pourtant, la reformulation des écosystèmes en tant que réseau ne peut affronter l'injonction foncière, au pireelle l'accompagne en assignant chaque site à une catégorie de zone verte, ce qui fait de sa rareté une valeurdiscriminante.

Ces dispositifs d'aménagement reposent également sur l'affectation d'affects aux citoyens. Cetteaffectation individuelle repose sur deux béquilles : l'incitation et l'interdiction. Si l'émergence d'une police del'environnement est le complément inévitable de la hiérarchisation des usages du territoire, lapatrimonialisation des espaces naturels révèle un rapport contemplatif voire récréatif à la nature en lieu etplace des usages traditionnels invalidés par l'évolution technoscientifique. Avec le durable ce nouveaurapport mime les anciennes pratiques, parce qu'elles faisaient sens, mais sans leur dimension nécessairementvitale. Ce jeu de rôle entraîne inévitablement une mise à distance lorsqu’il s’agit de vivre une expériencequotidienne de cette même nature.

En ce sens, la régulation du corps social et la disciplinarisation des corps individuels constituent : « lesdeux pôles autours desquels s’est déployée l’organisation du pouvoir sur la vie. 302»

Aux côtés de cette biopolitique majeure qui s'exerce sur les êtres et les territoires par l'aménagement,nous avons donc tenté de montrer l'existence d'une biopolitique mineure - c'est-à-dire d'une appropriation du

299 Gérard Chouquer, Le paysage ou la mémoire des formes, in Cosmopolitiques, éd. Apogée, n°15, 2007, p.47300 Ce que Foucault nomme biopolitique représente une réflexion et une action de contrôle sur la population, un

pouvoir qui prend comme sujet central l’homme et son corps biologique. Dans une perspective historique, l’hommedevient vers la fin du 18ème siècle l’objet d’études descriptives : démographiques, statistiques, sociologiques,économique. La biopolitique n'est donc pas un objet neuf mais apparaît en Europe en même temps que les scienceshumaines, l’état de droit et le libéralisme. avec une conception anthropologique transcendantale basée sur l’individu,sujet de droit.

301 Michel Foucault, La Volonté de Savoir, Gallimard, 1976, p.188302 Michel Foucault, Philosophie, la Volonté de savoir, p.629

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territoire par les habitants qui ont intégré les conditions de possibilité contemporaines du politique.

L'exemple le plus spectaculaire de cette emprise du biopolitique est probablement la mise à l'arrêt de lastation d'épuration nord en 2009. Cette panne calculée a entraîné la ruine en quelques jours de l'ensemble del'écosystème aquatique du réseau hydrographique en aval de Bruxelles. Une catastrophe écologique touterelative puisque la station ne fonctionnait que depuis 2007, avant cette date l'ensemble des effluents étaientdéversés en aval dans la Senne et dans le Canal. La nature en métropole est un équilibre dépendant desinfrastructures humaines, donc extrêmement fragile. La restauration biologique, comme la conservationd'espaces naturels, est un trompe l'oeil, valide tant que fonctionnent les coûteux dispositifs chargés de lesmaintenir en vie. Cet événement biopolitique a pourtant donné l'élan nécessaire à la remise en place d'unparcours hybride de ré-appropriation de l'eau en ville. Les Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles, dont le nomrévèle l'ambition et l'inspiration politique d'ancien régime, font émerger l'écologie urbaine en tant quepratique habitante. Ils sont l'emblème par excellence de la biopolitique mineure qui s'empare du bassinversant, après les rivières urbaines, avant peut-être d'envisager l'ensemble du bassin hydrographique commechamp d'intervention.

Pourtant ce qui a motivé notre approche du sujet, c'est moins l'attrait pour ces nouvelles frontières dela politique écologique urbaine, que la certitude de rencontrer des instances antipolitiques – c'est-à-dire quiéchappent aux déterminants humains et à leurs compromissions. Et nous les avons rencontrées. La friche estle mot commun pour désigner un chemin à travers les ruines, un site privilégié pour observer ladésagrégation et la recomposition de la métropole. Sa dynamique, botanique et esthétique, est le reflet dutraitement des espaces verts, voire du vivant, dans l'espace urbain comme le révèle la dynamique despopulations de plantes invasives. Il nous aura donc fallu déplier puis déployer notre question de recherche(qu'est-ce que la nature en ville dans un contexte de densification ?) pour pouvoir élaborer un regardopérationnel sur notre intuition de départ. Dès lors, comment se déploient les friches, ces phénomènes denature sauvage ?

D'une part, elles occupent des espaces intercalaires, c'est particulièrement évident pour la frichefluviale et maraîchère de la Senne dans notre périmètre, elles résistent aux déviations hydrographiques, à lamise en place des flux routiers et ferroviaires, à l'extension irréversible du bâti.

D'autre part, cette extension, corollaire inévitable de la densification, a parfois laissé sur son passagedes friches résiduelles à la configuration particulière, telle que la friche maraîchère du Calvaire dans notrepérimètre.

Enfin le régime économique peut entraîner des régressions considérables d'espaces bâtis, tel que lafriche industrielle du Wiels, qui sont rapidement réinvestis par la nature sauvage. L'étang que nous observonsdans cette dernière friche a émergé en moins de dix ans et représente aujourd'hui un biotope certainementdéséquilibré mais bien vivant, en attendant qu'un projet s'empare de ce terrain affecté légalement à lanouvelle gentry. Aux habitants consentants, elle a concédé, autour de son domaine, quelques potagers, pourmieux y mener ses expériences de dépollution biologique.

Le ressort de la friche pourtant échappe à la biopolitique, ces zones vertes de fait - en suspens -contredisent leur affectation légale. Les hommes, les animaux, les plantes et les champignons qui habitentces espaces ne revendiquent rien, ils habitent: leurs gestes relèvent de la lutte pour la vie. Ce faisant ilséchappent à la biopolitique en ne lui accordant aucune réponse récupérable. En termes grecs, ils ne relèventni de l'astu303, ni de la chôra304 et échappent de la sorte à la polis305, ils sont l'eschatia306 toujours à l'affût,dans les plis du tissu métropolitain.

303 astu (ἃστυ) – ville basse, lieu du marché, des cultes civiques et des instances politiques304 chôra ou khorâ (χώρα) - espace non-urbain habité. La chôra désigne l'Attique, la partie du territoire qui n'a pas

été absorbé dans l'astu dans le cadre du synoecisme (agrégation de villages qui se donnent un centre commun). Dansle cadre de la réforme de Clisthène, elle forme aux côté de l'astu la base territoriale des dix tribus de la cité desAthéniens. Le terme khôra recouvre également un sens philosophique plus ambigu chez Platon (Timée), Plotin,Saint Augustin et Derrida.

305 polis (πόλις) – ville sacrée, puis ville, puis cité-état306 eschatia (εσχατιά) – aux marges de la polis, l'eschatia désigne l'espace inculte, la montagne. On ne la nomme qu'à

l'instant de la saisir. Michael H. Jameson, Attic Eschatia, in Karen Ascani et Gabrielsen Vincent (dir.), AncientHistory Matters : studies presented to Jens Erik Skydsgaard on his seventieth birthday, éd.L'Erma di Bretschneider,2002, p.63-68

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Bibliographie

Les matériaux qui ont rendu possible la recherche sont de nature variée. Nous avons adopté unclassement thématique, adoptant pour ordre de succession le fil du récit. Au sein de chaque thématique leclassement est alphabétique.

• 1 - monographies• 2 - articles ( revues et ouvrages collectifs )• 3 - cartes historiques • 4 – archives• 5 - cartes contemporaines • 6 - dispositifs urbanistiques et législatifs : rapports, ordonnances, lois,...• 7 – médias• 8 - contacts

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- AVB - collection cartographique- cartes et plans de Bruxelles - n°223Carte des routes existantes avant 1795, exécutées depuis, sous les régimes français et néerlandais et par le gouvernement belge jusqu'à 1846 dressé d'après les instructions de Monsieur Teichmann, (inspecteur généraldu corps des ponts et chaussées

- KBR - Magasin - Cartes et Plans – cote : VDM IV 115 - III 5598Carte topographique et hypsométrique de Bruxelles et ses environs / dressée à l'échelle de 1/20,000 d'après les plans et documents de l'Etablissement géographique fondé par Ph[ilippe] Vander Maelen par J[oseph] Huvenne dessinateur topographe ; et gravée par J. Ongers, 1858

- KBR – Magasin – Cartes et plans – cote Ms. IV 5.627 - 77 : [Uccle] Carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens levée à l'initiative du comte de Ferraris - 77 : [Uccle] http://uurl.kbr.be/1028454

- KBR Magasin - Cartes et Plans – cote : XIII B Soignes et env. - Ferraris - 1770 - III 5.583Carte topographique de la forêt de Soigne et de ses environs [Document cartographique] : levée sous la direction de Mr le comte de Ferraris general-inspecteur d'Artillerie, par le capitaine Cogeur professeur de l'Ecole de Mathematiques du Corps d'Artillerie des Pays-Bas autrichiens en 1769 : dédiée a S.A.R. Monseigneur le duc Charles Alexandre de Lorraine et de Baar &c. &c. : gravée d'apres les desseins origin[a]ux par A. Cardon 1770 http://uurl.kbr.be/1043485

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5 - cartes contemporaines - GEOBRU (IBGE), URBIS (AATL), BRUCIEL (AATL), IBSA -

6 - dispositifs urbanistiques et législatifs : rapports, ordonnances, lois,...

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- Inventaire des arbres remarquables - http://arbres-inventaire.irisnet.be/

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7 - médias

- Hermine Bokhorst, Forest – Lifting du parc Duden, vingt arbres à abattre d'urgence, Le Soir, Samedi 2février 2002- Julien Bosseler et Alain Dewez, Forest/Saint-Gilles – Lundi matin, des riverains se sont interposés pourstopper l'abattage massif. Les arbres de l'avenue du Roi tombent dans le trouble, Le Soir, Mardi 8 février2000-Julien Bosseler, Forest/Saint-Gilles – Réunion chahutée suite à l'abattage massif des arbres. Les riverainsde l'avenue du Roi font plier les élus. Enquête publique boiteuse ou intérêt tardif des riverains, Le Soir,Samedi 19 février 2000- Alexandre Chemetoff, interviewé par Bruplus le 28/02/2013, http://www.bruplus.irisnet.be/fr/content/rencontre-avec-alexandre-chemetoff- Philippe Coulée et Cécilia Vandernoot, Bruxelles – le canal, épine dorsale du renouveau urbain,Tendance/Trends, lundi 21 mai 2012- Daniel Couvreur, l'épine dans le pied du Plan vert, Le Soir, Samedi 8 mai 1993- Martine Dubuisson, La Donation royale lutte pour sa survie, Le Soir, Samedi 23 février 2008- Martine Duprez, L'IBGE commence à inventorier la flore remarquable de la Région. Ces beaux arbres fontpartie de la mémoire de la ville, Le Soir, Jeudi 6 février 1992- Emile Haquin, Tuteur régional au parc Duden, Le soir, Vendredi 20 janvier 2006- Patrice Leprince, Forest - Fustigée pour sa gestion du parc Duden. La Donation royale nie tout abattageillégal, Le Soir, Vendredi 8 juin 2001- Patrice Leprince, Eric Meuwissen, Xavier Delligne, Forest – La Donation royale aurait notammentconfondu élagage avec abattage. Le parc Duden dénaturé. La Donation, un Etat dans l'Etat, Le Soir, Jeudi 7juin 2001- Lise Ménalque, un ruisseau pollué à Anderlecht cause des soucis aux riverains, RTBF Info, mercredi 23juillet 2014- Jean-François Munster, La mise en service progressive de la première station d'épuration bruxelloise adébuté – La station de Bruxelles Sud émerge des eaux troubles, Le Soir, Mercredi 9 août 2000- Nicolas Vuille, Modification de parking à Forest – Les arbres de l'avenue du Roi seront mieux protégés, LeSoir, Mercredi 31 juillet 1996- Nicolas Vuille, Forest : coupes claires avenue du Roi, des marroniers abattus pour éviter tout danger, LeSoir, Lundi 19 janvier 1998- Agence Belga, Le gouvernement bruxellois veut planter 100 000 arbres sur le territoire de la Région, LaCapitale, 17 juillet 2014- Rédaction en ligne, Divercity entre en phase de concrétisation dans le bas de Forest, La Capitale, Jeudi 12juillet 2012

- Conseil d’administration d’Inter-Environnement Bruxelles, Boom sur le Pras, in Bruxelles en mouvement, juin 2014, http://www.ieb.be/Boom-sur-le-PRAS- Bilan de la politique de rénovation urbaine, le coeur de Forest en pleine mutation !, - Discours d' EvelyneHuytebroeck, 12 juillet 2012- WIELS et RBC, Conférence de presse du 8 juillet 2011, - http://charlespicque.info/web/wp-content/uploads/2011/07/Dossier-Presse-WIELS-.pdf- Voix d'eau, Journal-programme des Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles et Maelbeek dans tous ses états,n°2, 10/2011, avec la RBC, IBGE, Bruxelles - Ville Durable- Comité Stop Inondations Saint-Denis - http://stopinondations.wordpress.com/- Comité Plateau Engeland - http://www.plateauengeland.be/- Commission de l'environnement de Bruxelles et environs - http://www.cebe.be/- Brussels farmer, http://brussels-farmer.blogspot.be/

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8 - contacts

Remerciements à :

- Olivier Decocq (centre Paul Duvigneaud) pour sa patience et l'accès à la rephotographie du Bempt

- Sarah De Laet (ULB) pour les pistes sur Qgis

- Thierry d'Huart (ULB) pour l'accès aux archives privées de Victor Besme

- Mathias Engelbeen (IBGE) pour ses explications sur la carte des friches

- Ophélie Goemaere (Coordination Senne) pour le dossier de Marcel Rijdams, Senne cachée

- Danielle Hoslet (Archives de la Ville de Bruxelles) pour les cartes historiques

- Thierry Jacobs (ULB) pour la magnifique carte de Huvenne

- François Lebecq (EGEB) pour l'invitation à la table ronde sur le bassin versant pilote de Forest

- Lola Richelle (FUNDP) pour les liens entre sols, fertilité et fécondité

- Jean-Michel Vanobberghen (SPRB – Bruxelles Développement Urbain) pour ses précisions sur la ZIR n°7

- François Debatty (Comité Stop Inondations Saint-Denis) pour son historique des inondations à Forest

Je tiens à remercier par ailleurs:

- Tanguy Vanderhaegen et Bernie Valdès (VAV archi) pour l'assistance graphique

- Léonard Clarys (potager des tanneurs) pour sa vitalité

- Julien Bernard pour les rephotographies

- Marie-Charlotte Demarty (ULB) pour la réinscription

- les bienveillants anonymes

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