l’écologie politique est un champ de bataille

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1/11/2014 L’écologie politique est un champ de bataille | Slate.fr http://www.slate.fr/story/94107/ecologie-politique-champ-bataille 1/9 L’écologie politique est un champ de bataille Fabien Escalona France 31.10.2014 - 10 h 32 mis à jour le 31.10.2014 à 10 h 44 Un tournesol. REUTERS/Pascal Rossignol. Par Fabien Escalona Enseignant à Sciences Po Grenoble Des débats internes à propos de la participation gouvernementale aux récentes déclarations à propos du drame de Sivens, ce qui se passe au sein d'EELV témoigne des tensions liées à l’insertion de l’écologie dans la vie politique française. (/) LIKES 17 TWEETS T +1 0 LINKEDIN 3 / France

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1/11/2014 L’écologie politique est un champ de bataille | Slate.fr

http://www.slate.fr/story/94107/ecologie-politique-champ-bataille 1/9

L’écologie politique est unchamp de batailleFabien Escalona France 31.10.2014 - 10 h 32 mis à jour le 31.10.2014 à 10 h 44

Un tournesol. REUTERS/Pascal Rossignol.

Par Fabien

Escalona

Enseignant à

Sciences Po Grenoble

Des débats internes à propos de laparticipation gouvernementale auxrécentes déclarations à propos du dramede Sivens, ce qui se passe au sein d'EELVtémoigne des tensions liées à l’insertion del’écologie dans la vie politique française.

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1/11/2014 L’écologie politique est un champ de bataille | Slate.fr

http://www.slate.fr/story/94107/ecologie-politique-champ-bataille 2/9

Sa bio (/source/87081/fabien-

escalona), ses 13 articles

(/source/87081/fabien-

escalona)

Récemment, le sociologue suisse Razmig Keucheyan a publié un

ouvrage intitulé La nature est un champ de bataille, dans

lequel il estime que la crise écologique va aiguiser toujours plus

les antagonismes sociaux et les tendances à la militarisation et à

la financiarisation comme réponses du «système».

Comparés à cette vaste fresque où des puissances sociales

colossales et identifiables sont à l’œuvre, les atermoiements et

les divisions des responsables d’Europe Ecologie-Les Verts

(EELV) font figure de guerres picrocholines. Des débats

internes à propos de la participation gouvernementale

jusqu’aux récentes déclarations de Cécile Duflot à propos du

drame de Sivens, en passant par un congrès où le profane

n’avait quasiment aucune chance de se retrouver, elles

témoignent cependant de tensions liées à l’insertion de

l’écologie politique, que ce soit dans la vie politique française ou

dans celle d’Europe de l’Ouest en général.

Adaptation à l’environnementinstitutionnelCes tensions ne sont ni nouvelles ni originales, puisqu’elles se

repèrent dès les années 1980, lorsque les mouvements

écologistes se sont structurés en alternatives partisanes dans

leurs systèmes politiques respectifs. Selon une terminologie

allemande restée célèbre, elles opposaient (de manière certes

caricaturale) les «Realos» et les «Fundis». Les premiers étaient

censés porter une option plus réformiste que la logique «anti-

systémique» des seconds, davantage attachés aux valeurs et à

la vivacité de l’aile extra-parlementaire du mouvement et

soucieux de ne pas accorder trop de concessions à la «méga-

machine» industrielle et à un système politique trop centralisé.

Dans l’ensemble, le choix des partis Verts a été clair, qui a

consisté à devenir des «compétiteurs efficaces»

(http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402380108425455)

dans les systèmes politiques européens. Cela les a amenés à se

professionnaliser et donc à atténuer (voire renoncer à)

certaines dimensions de leur culture originale, qui privilégiaient

les modes les plus démocratiques possibles de délibération et

de représentation. Au cours de ce processus d’adaptation à leur

environnement institutionnel, les Verts ont souvent noué des

accords avec la gauche sociale-démocrate pour obtenir à la fois

des réformes et des postes d’élus et/ou de ministres.

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Même les plus insérés des partis ont cependant conservé des

objectifs écologistes spécifiques (au nom desquels ladite

insertion est d’ailleurs légitimée) ainsi qu’un profil

organisationnel distinctif sur leurs scènes nationales

respectives. Ils l’ont fait en jouant de la différenciation des

différents «pôles» pouvant être distingués dans un parti

politique: celui des postes de pouvoir, celui de l’appareil central,

celui de la base militante. Dans une étude comparative assez

récente, des politistes ont conclu que si les deux premiers pôles

se sont particulièrement professionnalisés, les échelons plus

locaux du troisième ont davantage conservé la culture

alternative, activiste et autonome qui caractérisait les Verts

lors de leur apparition.

(http://www.ashgate.com/isbn/9780754674290)

La trajectoire des Verts puis d’EELV correspond plutôt bien à

ces tendances de fond. Entre leur fondation en 1984 et leur

participation ministérielle aux gouvernements socialistes en

1997 puis 2012, les écologistes ont réalisé des percées

électorales et obtenu des postes d’élus. Ces différents «seuils»

de croissance ont impliqué l’accès à un financement public,

l’attraction de nouveaux adhérents moins marqués par la

culture «écolo» originelle, l’acquisition par certains membres

d’un savoir-faire propre au champ politique. Tous ces

phénomènes se sont conjugués pour aboutir à une forme de

rationalisation du fonctionnement interne, ainsi qu’à une

relative normalisation des élites écologistes dans le système

politique français.

Depuis la défaite d’Antoine Waechter face à une coalition des

plus «pragmatiques» et de l’aile gauche du parti, cette

trajectoire a été dans l’ensemble acceptée collectivement,

depuis le sommet jusqu’à la base. Il faut pourtant rendre

compte de différences flagrantes, repérables dans l’expression

des dirigeants écologistes à propos de Sivens, mais surtout dans

des choix plus fondamentaux. On sait par exemple que les

chefs de groupes parlementaires ont regretté la fin de la

participation gouvernementale.

Insertion dans le système partisanPlus qu’un retour de la tension originelle de l’irruption des

Verts sur scène politique, il s’agit de sa redéfinition dans un

contexte bien particulier, façonné par deux types de difficultés,

qui orientent les positionnements à l’intérieur d’EE-LV. D’une

part, la période actuelle est structurellement marquée par une

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difficulté croissante des partis à concilier «responsabilité»

(gérer le pays tout en respectant ses engagements

internationaux et européens) et «représentativité» (répondre

aux besoins, intérêts et attentes de l’électorat). D’autre part, la

faiblesse actuelle de la gauche pose des graves questions de

stratégie à ceux qui ne sont pas encore en mesure de remplacer

la «vieille social-démocratie» comme force dominante de ce

camp.

Dans ce contexte, la rupture de la participation

gouvernementale d’EELV provient justement de la soumission

des dirigeants du PS à ce qu’ils estiment être les impératifs de

leur fonction gouvernementale, la nomination de Manuel Valls

consacrant cette «pente naturelle» du PS. Le départ du

gouvernement témoigne ainsi des réticences d’EELV à ce que

son insertion dans le club des partis de gouvernement se paie

d’un renoncement à son identité et d’un éloignement vis-à-vis

de son noyau électoral.

Les points de vue diffèrent cependant selon les pôles du parti.

Du côté du pôle le plus «intégré» aux institutions existantes,

une fraction importante des groupes parlementaires aurait

préféré qu’EELV gagne en «responsabilité» en restant associé

au pouvoir, moyennant quelques concessions. La lecture de

certains d’entre eux, comme Jean-Vincent Placé (incarnation

des logiques de «carrière politique» développées et importées

dans le parti), intègre la conviction que l’écologie politique

n’aura pas d’autre choix que d’être étroitement associée au PS

dans les prochains grands rendez-vous électoraux, sous peine

de marginalisation.

Cette fraction s’efforce néanmoins de respecter l’unité et les

choix d’un parti dont la décision de retrait du gouvernement

s’appuyait sur une majorité claire de la base et de l’appareil. A

l’intérieur de cette majorité, une aile gauche privilégie

clairement la «représentativité» que devrait rechercher avant

tout EELV en restant connecté le plus possible aux

mobilisations sociales et environnementales. Il s’agit de la

tendance la plus poreuse aux contacts et au dialogue avec le

Front de Gauche et un Mélenchon devenu «écosocialiste». Elle

ne tient absolument pas à sacrifier son autonomie vis-à-vis des

socialistes.

Cécile Duflot tente visiblement d’incarner un point d’équilibre,

au risque d’une incertitude stratégique qui a été palpable lors

des universités d’été

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(http://www.mediapart.fr/journal/france/240814/bordeaux-

eelv-s-interroge-sur-son-lien-la-gauche) du parti. La poursuite

d’une coalition gouvernementale aurait signifié pour elle la

dissolution des repères et idéaux écologistes, tandis qu’EELV

aurait été emporté de toute façon dans la chute électorale du

PS. Elle n’entend toutefois pas se rapprocher davantage de la

gauche radicale, préférant affirmer, comme dans sa récente

interview à Politis (http://www.politis.fr/Cecile-Duflot-Nous-

sommes-les,28548.html), qu’EE-LV représente mieux que le

gouvernement les orientations du «pacte de changement» de

Hollande en 2012.

Selon elle, les progrès écologistes concrets nécessitent d’une

part des alliances politiques de contenu, non sectaires dans leur

périmètre, et surtout potentiellement majoritaires. D’autre

part, elle souhaite une complémentarité entre l’action

institutionnelle et les initiatives de la société civile. La

traduction concrète du premier volet de cette approche

stratégique reste pendante. Le second volet explique

probablement son attention aux luttes contre les «grands

projets inutiles» et ses propos durs contre la gestion

gouvernementale du drame de Sivens.

La difficile mobilisation politiqueautour de l’écologieLes écologistes ont-ils les moyens de s’interroger encore sur

leur autonomie au sein de la gauche ou sont-ils prisonniers du

dilemme «satellisation par le PS/marginalisation»? Les

contraintes institutionnelles françaises ne leur rendent pas la

tâche facile, mais le potentiel d’une mobilisation partisane

propre à l’écologie existe sans doute plus sûrement que pour

d’autres partis de gauche.

Les radicaux de gauche, par exemple, n’ont de fonctionnalité

que par rapport au PS, privés qu’ils sont de leur base

sociologique historique et d’une quelconque spécificité

idéologique, comme nous sommes plusieurs à le rappeler dans

cette enquête de Mediapart

(http://www.mediapart.fr/journal/france/281014/les-

radicaux-de-gauche-insignifiants-et-essentiels?

page_article=1) sur le PRG. De même, s’il devait compter sur

ses seules forces, le Parti communiste n’échapperait guère au

choix fatal entre disparition quasi-totale et survivance grâce au

seul allié socialiste, comme je l’expliquais récemment.

(http://www.slate.fr/story/91355/front-de-gauche-gauche-

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radicale-ascenseur-emotionnel) Son retard pris dès les années

1970-80, notamment par rapport aux mutations sociologiques

du pays et des classes subalternes, est quasiment irrattrapable.

Les Verts, en revanche, peuvent compter sur des dynamiques

de société plus favorables. Ces partis, qui ont émergé à l’échelle

européenne sur une période assez courte, sont l’une des rares

familles politiques authentiquement nouvelles à être apparu

depuis l’après-guerre. A partir de mobilisations sociales et

écologistes plus larges, dont ils se sont autonomisés mais pas

complètement coupés, ils ont cristallisé l’expression d’une

urbanité alternative. Celle-ci intègre l’évolution postfordiste

des économies et la progression de valeurs culturellement

libérales au sein de nouvelles couches instruites et socialisées

dans un univers de relative abondance matérielle.

Autrement dit, il existe un potentiel d’aspirations multiples à

politiser, dans le cadre d’un projet antagoniste à la logique

d’hubris de la société de consommation et d’un capitalisme

nécessairement expansionniste. C’est pourquoi Cécile Duflot,

malgré ses accommodements aux institutions, n’a jamais

abandonné la critique du productivisme. C’est aussi pourquoi

Jean-Luc Mélenchon a mis ces thèmes au cœur de son dernier

ouvrage

(http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/10/27/31001-

20141027ARTFIG00121-jean-luc-melenchon-comment-

pouvait-on-prevoir-l-ampleur-des-mensonges-de-

hollande.php) et cherche à sortir d’un tête-à-tête avec les

communistes grâce aux écologistes.

Pourquoi, cependant, la mobilisation politique de ce nouveau

conflit «structural» n’est-elle pas plus réussie, ou alors de façon

si éphémère, et le plus souvent lors de scrutins de second

ordre? Les raisons sont multiples. Il faut en tout cas prendre en

compte le fait que la famille écologiste fait irruption sur une

scène politique déjà saturée par une offre abondante et dont les

acteurs en place disposent de ressources importantes, qu’aucun

conflit social ou international n’a sérieusement entamé.

Ce faisant, les Verts ont été tentés de s’institutionnaliser

rapidement, avant même d’avoir eu le temps de construire

davantage leur caractère distinctif, au risque d’être absorbés

par le système sans guère être payé en retour. A leur décharge,

convertir l’écologie en projet politique conséquent est loin

d’être aisé, tant il représenterait une rupture angoissante avec

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http://www.slate.fr/story/94107/ecologie-politique-champ-bataille 7/9

NOUS RECOMMANDONS:

l’ordre connu de nos sociétés fondées sur la croissance et avec

l’imaginaire qui imprègne quasiment toutes les élites et une

majorité de la population.

En somme, si la nature est un champ de bataille, l’écologie

politique l’est aussi, impliquant des Verts en quête d’une

stratégie dans un environnement institutionnel peu favorable,

des acteurs politiques concurrents tentant de faire fond sur ce

nouveau paradigme, et des acteurs de terrain mobilisés contre

les conséquences d’une société capitaliste contestée dans ses

ressorts les plus fondamentaux.

Fabien Escalona

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(http://www.slate.fr/story/94045/khmers-

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Des «Khmers verts»aux «djihadistesverts», histoire dupoint Godwin…(http://www.slate.fr/story/94045/khmers-verts-djihadistes-verts-ecologistes-modes)

Dès 2008, Poutineaurait proposé à laPologne un «partage»de l…(http://www.slate.fr/story/93717/poutine-pologne-russie-partage-ukraine)

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