l'échec d'une mobilisation

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1 CHAPITRE 7. L’ « échec » d’une mobilisation contre la pollution du Prestige. Le cas du collectif marées noires du Bassin d’Arcachon. Elise Cruzel Le 25 janvier 2003 à La Teste, sur les bords du Bassin d’Arcachon, le collectif marées noires 1 voit le jour. Il regroupe des associations écologistes ou de citoyens riverains du Bassin d’Arcachon, et du nord des Landes, des organisations politiques et des individus (cf. encadré 2). Rapidement un secrétariat est mis en place ainsi qu’une liste Internet de diffusion. Entre le 25 janvier et le 29 mars six réunions et deux assemblées générales sont organisées. Des courriers sont envoyés au Préfet, à la DDASS et au Rectorat pour dénoncer la toxicité du produit qui s’échoue sur les plages. Les membres du collectif informent les bénévoles du ramassage du fioul dans certaines communes. La seule action notable consiste en l’organisation d’une manifestation à Bordeaux le 1er mars, manifestation qui constitue à la fois le point d’orgue et le point final de la contestation du collectif marées noires. L’échec - de l’aveu même des principaux protagonistes - de cette mobilisation extrêmement circonscrite conduit à s’interroger sur les conditions de possibilité et de réussite d’une action collective. En effet, comment, dans un périmètre géographique restreint et concerné à des degrés divers par les conséquences d’un évènement tel que la marée noire issue du naufrage du Prestige 2 , une mobilisation ne parvient-elle pas à trouver un écho favorable auprès de la population ? Le cas du collectif marées noires pose la question de l’efficacité de l’action collective et plus précisément celle de l’adaptation des répertoires de mobilisation qui permettent de faire entendre une cause (Collovald, Gaïti, 1991). De plus, concernant une revendication liée à l’environnement, le cas du collectif marées noires nous invite à explorer les catégories et les analyses formulées à propos des controverses environnementales (Lascoumes, 1994 ; Trom, 1999) ou des risques inhérents à la société contemporaine (Lemieux, Barthe, 1998). Au-delà ce cas invite à mettre en exergue les caractéristiques d’une revendication particulière, ni entièrement environnementale, ni totalement locale Ce collectif, qui agrège des organisations politiques, environnementales et des individus, se constitue avec l’arrivée des premières boulettes de fioul sur les plages girondines - soit un mois et demi après le naufrage du Prestige et la montée en puissance du mouvement Nunca Mais, en Galice. Faut-il alors y voir un syndrome NIMBY 3 , les habitants refusant de voir leurs 1. Nous privilégions le mode italique pour citer le nom intégral du collectif. Le pluriel « marées noires » correspond à la dénomination qui apparaît sur les documents publics du collectif, en particuliers ceux relatifs à la manifestation du 1 er mars 2003, organisée à son initiative. Nous y reviendrons dans la seconde partie de cette contribution. 2. L’activité économique du bassin est essentiellement centrée autour de la pêche, de l’ostréiculture, et du tourisme. 3. Not In My Back Yard (« pas de cela chez moi »). Qualification attribuée par les chercheurs aux controverses qui opposent les promoteurs de certaines politiques liées, entre autre, à l’aménagement du territoire aux protestataires qui dénoncent ces politiques. Les militants contestant ces projets sont dénoncés comme défendant

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CHAPITRE 7.

L’ « échec » d’une mobilisation contre la pollution du Prestige. Le cas du collectif marées noires du Bassin d’Arcachon.

Elise Cruzel

Le 25 janvier 2003 à La Teste, sur les bords du Bassin d’Arcachon, le collectif marées noires1 voit le jour. Il regroupe des associations écologistes ou de citoyens riverains du Bassin d’Arcachon, et du nord des Landes, des organisations politiques et des individus (cf. encadré 2). Rapidement un secrétariat est mis en place ainsi qu’une liste Internet de diffusion. Entre le 25 janvier et le 29 mars six réunions et deux assemblées générales sont organisées. Des courriers sont envoyés au Préfet, à la DDASS et au Rectorat pour dénoncer la toxicité du produit qui s’échoue sur les plages. Les membres du collectif informent les bénévoles du ramassage du fioul dans certaines communes. La seule action notable consiste en l’organisation d’une manifestation à Bordeaux le 1er mars, manifestation qui constitue à la fois le point d’orgue et le point final de la contestation du collectif marées noires. L’échec - de l’aveu même des principaux protagonistes - de cette mobilisation extrêmement circonscrite conduit à s’interroger sur les conditions de possibilité et de réussite d’une action collective.

En effet, comment, dans un périmètre géographique restreint et concerné à des degrés divers par les conséquences d’un évènement tel que la marée noire issue du naufrage du Prestige2, une mobilisation ne parvient-elle pas à trouver un écho favorable auprès de la population ? Le cas du collectif marées noires pose la question de l’efficacité de l’action collective et plus précisément celle de l’adaptation des répertoires de mobilisation qui permettent de faire entendre une cause (Collovald, Gaïti, 1991). De plus, concernant une revendication liée à l’environnement, le cas du collectif marées noires nous invite à explorer les catégories et les analyses formulées à propos des controverses environnementales (Lascoumes, 1994 ; Trom, 1999) ou des risques inhérents à la société contemporaine (Lemieux, Barthe, 1998). Au-delà ce cas invite à mettre en exergue les caractéristiques d’une revendication particulière, ni entièrement environnementale, ni totalement locale

Ce collectif, qui agrège des organisations politiques, environnementales et des individus, se constitue avec l’arrivée des premières boulettes de fioul sur les plages girondines - soit un mois et demi après le naufrage du Prestige et la montée en puissance du mouvement Nunca Mais, en Galice. Faut-il alors y voir un syndrome NIMBY 3, les habitants refusant de voir leurs 1. Nous privilégions le mode italique pour citer le nom intégral du collectif. Le pluriel « marées noires » correspond à la dénomination qui apparaît sur les documents publics du collectif, en particuliers ceux relatifs à la manifestation du 1er mars 2003, organisée à son initiative. Nous y reviendrons dans la seconde partie de cette contribution. 2. L’activité économique du bassin est essentiellement centrée autour de la pêche, de l’ostréiculture, et du tourisme. 3. Not In My Back Yard (« pas de cela chez moi »). Qualification attribuée par les chercheurs aux controverses qui opposent les promoteurs de certaines politiques liées, entre autre, à l’aménagement du territoire aux protestataires qui dénoncent ces politiques. Les militants contestant ces projets sont dénoncés comme défendant

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côtes, leurs paysages, souillés ? Ceci nous conduit à interroger les ressorts constitutifs de cette mobilisation. Dans le même ordre d’idées, comment interpréter l’évènement « marée noire » ? En effet, celle-ci ne relève pas à proprement parler de la catégorie des conflits environnementaux (Trom, 1999), puisqu’elle constitue un fait non susceptible de donner lieu à l’opposition de riverains quant à sa survenance (ils ne peuvent pas s’opposer à ce qu’une marée noire ait lieu comme ils s’opposent auprès des pouvoirs publics à la construction d’une centrale nucléaire). Par ailleurs la marée noire n’est pas non plus un évènement « local ». Celle qui touche les côtes girondines n’est qu’une conséquence de la déportation du fioul par les courants marins et les intempéries, depuis la côté espagnole où le pétrolier a sombré. Dans ce cas la question se pose de comprendre « contre quoi » ou « contre qui » ce collectif se mobilise, quelles sont ses revendications et comment sont-elles portées ?

Pour comprendre et expliquer l’échec de la mobilisation du collectif marées noires, il faut considérer la configuration d’acteurs mobilisés autour de cet évènement : depuis les services de l’Etat jusqu’aux associations locales, en passant par les acteurs économiques et les habitants. Ce concept permet de saisir les interdépendances au niveau local entre acteurs (individuels et collectifs) autour de l’évènement « marée noire » et de prendre en considération leurs effets sur les possibilités de mobilisation (Elias, 1985). En étudiant les logiques de constitution du collectif et ses interactions avec les autres groupes mobilisés on mesure le défi qu’a constitué cette mobilisation : malgré la détention, par les responsables du collectif, de capitaux propices à la mobilisation, l’action parait peu légitime et rencontre l’indifférence du public.

Nous reviendrons dans un premier temps sur les conditions de constitution du collectif : sa disqualification quasi immédiate en syndrome NIMBY compromet sa légitimité et son champ d’action. Ensuite nous montrerons que le caractère fortement politisé du collectif permet aussi d’expliquer son infortune dans un espace local où l’environnement est une question dépolitisée et où par ailleurs règne un certain conservatisme idéologique. Puis, l’analyse du travail de construction de la cause mettra en lumière que les contraintes propres à la configuration locale rendent difficile l’utilisation de certains registres de revendication. Ceux-ci sont adaptés au cours de la mobilisation. Enfin, nous verrons que les répertoires d’action mobilisés par le collectif se révèlent inopérant. En effet, le cadre des motifs autour duquel les participants prétendent se rassembler se révèle en fait insuffisant pour permettre de dépasser la réaction émotionnelle des participants face à la situation. On constatera que les membres du collectif semblent tiraillés entre d’un côté, des mots d’ordre globaux et de l’autre, un rapport individuel, voire intime au paysage touché, ce qui induit des formes de dissonances entre les actes et les discours. Ainsi semble-t-il y avoir confusion entre l’objet du collectif et l’atteinte portée au paysage par la pollution, dont les membres du collectif seraient en quelque sorte des victimes indirectes. Pour l’ensemble de ces raisons, le collectif marées noires du Bassin

des intérêts égoïstes, locaux. Cet effet NIMBY constitue une contrainte pour les protestataires, qui les oblige à décontextualiser la situation pour dépasser la disqualification dont leur mouvement peut faire l’objet. La décontextualisation passe par la confection d’argumentaires destinés à construire en bien commun le paysage concerné par la pollution. Cf. Trom, 1999, p.31-49.

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d’Arcachon peut difficilement exister et l’absence d’anticipation de ces contraintes par les entrepreneurs de cause s’avère fatal pour leur entreprise.

Encadré 1 : une enquête a posteriori L’enquête a été menée a posteriori, deux ans après les faits. Il s’est avéré difficile de solliciter les participants du collectif si longtemps après la mobilisation : par exemple certaines organisations ont manifestement disparues, d’autres n’ont pas répondu à nos demandes d’entretiens. Pour autant, l’accueil favorable de la plupart de ceux qui ont été contactés laisse à penser que l’investissement de la question de la marée noire du Prestige par des chercheurs était pertinent, même deux ans plus tard. Nous avons réalisé huit entretiens avec des responsables des associations membres du collectif : Jean-Pierre et Jean-Claude, respectivement membres d’Attac 33 et d’Attac Nantes, Michel, militant des Verts, Bernard de l’association Vivre La Teste, Monique du Collectif des Femmes de marins pêcheurs, René, membre du PouLP, Philippe d’Avecim Environnement et Stéphane de l’association Tchernoblaye. Michel, le militant des Verts a mis à notre disposition ses archives du dossier Prestige. Ces archives se composent principalement des échanges (par messages) électroniques entre Michel et les différents acteurs du collectif pendant la période du 14 janvier au 26 février 2003, soit vingt-deux courriels. Les archives comportent aussi certaines notes ou ordre du jour de réunions du 12 au 29 février 2003 et divers documents produits par le collectif (tracts, lettres aux autorités…). On trouve aussi parmi ces documents six articles du quotidien Sud Ouest consacrés au collectif. Les versions originales de ces articles ainsi que le tract d’appel à la manifestation nous ont été données par Jean-Pierre, le militant d’Attac. Ces documents ont été précieux pour notre compréhension du fonctionnement et des objectifs du collectif marées noires, et nous tenons ici à remercier ces militants. Afin de compléter ces données, nous avons effectué une recherche dans les archives du journal Sud Ouest, pour collecter l’ensemble des articles relatifs au collectif. Nous avons retenu une recherche par mots clés sur les termes « marée noire Prestige », pour l’ensemble des archives. Trois cent articles sont disponibles, c’est-à-dire contiennent les termes « marée noire » et/ou « Prestige » (cela signifie que nous avons aussi obtenu par cette recherche tous les articles couvrant la marée noire de l’Erika en 1999-2000 et ses suites). Ces articles recouvrent en outre les sept départements dans lesquels il existe une édition de Sud Ouest. Nous avons donc sélectionné parmi ces matériaux quarante-quatre articles qui traitent de la marée noire du Prestige en Gironde, du collectif marées noires, et quelques articles qui concernent le département des Landes. Cette revue de presse couvre la période du 17/12/2002 au 8/01/2004. Nous avons également utilisé l’Internet1 pour nous informer sur certaines des associations composant le collectif, sur les autres collectifs qui existaient et leurs liens avec le cas étudié (notamment le site de la coordination des collectifs marée noire de Nantes : http://www.coordmareenoire.net/ et le site du collectif citoyen anti-marée noire de St Nazaire : http://collectif.littoral.free.fr/new/homeNT.htm). Pour reconstituer une chronologie du naufrage du prestige et de la mobilisation du collectif nous avons visité le site http://www.polmar.com/prestige/sommaire.htm qui permet de visualiser de nombreuses dépêches de l’AFP concernant ce naufrage et la mobilisation des différents acteurs. Ce site ainsi que http://oceanprevention.free.fr/accueil2.htm nous ont également permis de nous renseigner sur les différentes procédures (POLMAR, FIPOL) prévues en cas de marée noire.

1. L’ensemble des sites référencés dans cette contribution ont été consultés au printemps 2007. Certains liens sont susceptibles d’avoir subit des modifications.

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L’irrésistible glissement du collectif vers le syndrome NIMBY

L’insuccès de la mobilisation du collectif marées noires du Bassin d’Arcachon est en premier lieu relatif à l’impossibilité d’imposer sa légitimité dans l’espace local et dans la configuration d’acteurs mobilisés. La bonne volonté des initiateurs se heurte rapidement à un conflit de légitimité entre associations pour le monopole de la contestation autour de la marée noire. Le processus de disqualifications en syndrome NIMBY s’impose peu à peu au collectif.

Un appel à constitution « tout azimut »

L’appel à constitution du collectif marée noire émane de Michel, militant des Verts, qui adresse, le 14 janvier 2003, un message à différentes organisations, dans lequel il leur propose de se rassembler dans un collectif : « j’avais un fichier d’association que je pouvais contacter »1. Son souci est de rassembler « au-delà des clivages politiques »2. Un premier courriel daté du 14 janvier est envoyé sans distinction à des associations locales, nationales, européennes et à des partis politiques : Surfrider Foundation Europe, Aquitaine Alternative, la SEPANSO, la LPO, Les Amis de la Terre, Attac Landes, la CEBA, l’ADREMCA, Attac, Les Verts, la Ligue Communiste Révolutionnaire, le Parti Communiste ainsi qu’à des militants « susceptibles d’élargir le collectif ».

Encadré 2 : Les organisations membres du collectif marées noires3 - Amis de la Terre : Association de défense de l’environnement créée en 1970 en France qui se définit comme une « association de protection de l’homme et de l’environnement ». Membre de la fédération internationale des Amis de la Terre (Cf. http://www.amisdelaterre.org/spip.php?page=sommaire). - Aquitaine Alternative : Association environnementale bordelaise. « Créée en 1981, liée aux Amis de la Terre, promouvant une conception politique de l’écologie, elle s’est particulièrement distinguée par des actions en matière d’installations classées (usines, carrières, déchets) et de politique de transport » (Cf. Lascoumes, 1994, p.241). - ATTAC : Association pour la Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens. Dans le cadre du collectif, il s’agit du comité local d’Attac 33 dont, Jean-Pierre, un des initiateurs du collectif est membre (Cf. Entretien réalisé le 10 novembre 2004, avec Jean-Pierre). - Avecim Environnement : c’est une association généraliste de défense de l’environnement qui regroupe 4 communes du Val de l’Eyre4 (Entretien réalisé le 14 février 2006, avec Philippe). - Biska Surf Club : club de surf de Biscarosse dans les Landes (Cf. Archives du collectif). - CLCV : Consommation, Logement et Cadre de Vie du Sud Bassin. « Créée en 1952, la CLCV est l'une des plus importantes associations nationales de consommateurs et d'usagers. Elle intervient dans

1. Entretien réalisé le 4 novembre 2005, avec Michel, élu régional de Verts. (A l’époque de la marée noire du Prestige il est simplement militant chez les Verts, représentant régional du parti). 2. « Ce courriel a pour but de mettre en relation quelques organisations et individus choisis d’une façon subjective, mais chacun pourra dès réception, élargir la diffusion […] l’indignation est totale en dehors de tout clivage politique », mail de Michel, envoyé le 14 janvier 2003. L’ordonnancement des archives de Michel donne à penser que la phase de contact à fait l’objet d’une division des tâches entre lui et probablement Jean-Pierre d’Attac. 3. Liste établie à partir du tract de la manifestation du collectif le 1er mars 2003. 4. La Leyre est une petite rivière qui se jette dans le Bassin d’Arcachon, cf. carte, encadré 5, pages suivantes.

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tous les domaines de la vie quotidienne et du cadre de vie. Elle est agréée comme association de consommateurs, de protection de l'environnement, d'éducation populaire, comme association éducative complémentaire de l'enseignement public » (Cf. http://www.clcv.org/index.php?v=index). - Comité des Femmes de Marins Pêcheurs : L’association des femmes de marins pêcheurs a été fondée en 1989 à cause des sinistres dus aux passes du Bassin d’Arcachon. Elle est membre de la fédération nationale des femmes de marins pêcheurs et travaille avec des associations du même type en Europe et en Inde (Cf. Entretien réalisé le 13 novembre 2005, avec Monique). - Greenpeace : Greenpeace France a été créée en 1977. Elle est membre de Greenpeace International (1971). « Association non violente qui s’occupe des problèmes écologiques à l’échelle planétaire » (Cf. http://www.greenpeace.org/france/). - Ici vivent des gens : association de riverains de la Commune de Salles (Cf. Archives du collectif). - Lanton autrement : association de la commune de Lanton répertoriée dans le domaine « activités culturelles ». (Cf. http://www.ville-lanton.fr/assos/modules/news/article.php?storyid=14 ) - PouLP : L’association Pour un Littoral Propre a été créée en 2000 à Biscarosse. Elle est à l’origine de la constitution du collectif aquitain contre les rejets en mer. L’association a été dissoute en juin 2006 (Cf. Entretien réalisé le 12 novembre 2005, avec René, et http://lespadon.net/ ). - RECIDIVES : REseau CItoyen DIVersité Ecologie Solidarité, Bordeaux. Mobilisations sur les thèmes de l’environnement, de l’écologie, et des exclusions. (Cf. http://www.globenet.org/archives/web/2005 ). - SEPANSO : Société pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest, créée en 1969, il s’agit d’une association membre de France Nature Environnement. « Elle a participé à la création de dix réserves naturelles et en gère la moitié. Naturaliste scientifique à son origine, elle a élargi son champ d’action dès 1971 aux questions nucléaires. Protection des eaux, des forêts et de la montagne sont parmi ses activités régulières » (Cf. Lascoumes, 1994, p.244). - Tchernoblaye : C’est une association anti-nucléaire, créée en décembre 1999, une quinzaine de jour avant l’inondation de la centrale nucléaire du Blayais lors de la grande tempête du 26 décembre. Elle fait partie du réseau « sortir du nucléaire ». Ses actions sont centrées en particulier sur la centrale du Blayais (Cf. Entretien réalisé le 15 février 2006, avec Stéphane). - UFAL 33 : l’Union des Famille Laïques 33, a été créée en 1988 pour promouvoir l'indépendance du mouvement familial laïque. (Cf. http://ufal33.monsite.wanadoo.fr/page1.html). - Vivre La Teste : association citoyenne fondée en 2002 pour s’occuper des problèmes de la ville et faire des propositions à la mairie. (Cf. Entretien réalisé le 12 novembre 2005, avec Bernard) - Parti Communiste, Parti Socialiste, Ligue Communiste Révolutionnaire, Les Verts. Autres associations contactées qui n’ont pas donné suite (d’après les documents du collectif à notre disposition) : - ADREMCA : Association pour la Défense, la Recherche et les Etudes Marines de la Côte d’Aquitaine. Créée en 1980, elle est basée à Mimizan dans les Landes. Elle est financée par le conseil régional d’Aquitaine et le conseil général des Landes (Cf. http://www.adremca.com/ ). - CEBA : Coordination Environnement Bassin d’Arcachon Elle regroupe une quinzaine d’associations environnementales (protection, promotion, aménagement) du Bassin d’Arcachon. (Cf. Entretiens et http://www.bassindarcachon.com/annuaire_liste_entreprises.aspx?id=235). - LPO : « Créée en 1912 la Ligue pour la Protection des Oiseaux est une association nationale reconnue d'utilité publique depuis 1986. La LPO est le représentant officiel de BirdLife International en France depuis 1993. Elle a pour buts la protection des oiseaux et des écosystèmes dont ils dépendent et, en particulier, la faune et la flore qui y sont associées, et plus globalement la biodiversité » (Cf. http://www.lpo.fr/index.shtml). - Surfrider Foundation Europe : « Association à but de non lucratif de surfeurs, crée en 1990. Ses membres ont en commun la passion de la mer et le souci de protéger le littoral » (Cf. http://www.surfrider-europe.org/ ).

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En lançant cet appel « tout azimut », Michel semble ignorer d’une part les clivages ou oppositions qui peuvent exister entre les différentes organisations contactées et d’autre part l’existence d’initiatives antérieures pour dénoncer la marée noire dans lesquelles certaines organisations sont déjà investies. C’est tout d’abord le cas de la SEPANSO et de la LPO qui participent au plan Polmar1. Surfrider Foundation Europe, les Amis de la Terre et FNE (dont la SEPANSO est membre) sont quant à elles partie prenantes d’un réseau nommé « les sept sœurs » (cf. encadré 3). Le 16 décembre 2002, ce réseau a tenu une conférence de presse pour dénoncer entre autres le ramassage du fioul par des bénévoles. Lors de celle-ci, Greenpeace a exprimé son souhait de rencontrer Jacques Chirac sur la question des compagnies pétrolières. FNE a incité ses membres à ne pas participer au nettoyage des plages mais à en assurer le contrôle. Pour cela les militants doivent prendre part aux réunions organisées par les préfets dans le cadre du plan Polmar. FNE a par ailleurs proposé aux autres membres du réseau « sept sœurs » d’élaborer une plateforme de mesures pour réguler le transport maritime, à soumettre aux élus européens. L’association souhaite également faire circuler une pétition publique qui serait diffusée dans les magasins Nature et Découverte.

Encadré 3 : Les associations du réseau « sept sœurs » - FNE : France Nature Environnement. A l’origine la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN) est créée en 1968, et sera rebaptisée France Nature Environnement en 1990. FNE « bénéficie pratiquement aujourd’hui d’un quasi monopole de représentation des revendications en matière de protection de la nature. Cet organisme déclare fédérer 14 associations nationales de protection de la nature et de l’environnement, 32 fédérations et associations régionales, 80 associations départementales et 3000 associations locales » (Cf. http://www.fne.asso.fr/GP/presentation/historique.htm et Traini, 2003, p.93). - Le Collectif Citoyen Anti Marée Noire de Saint Nazaire : Créé le 28 décembre 1999, à la suite du naufrage du pétrolier Erika. Animation de la mobilisation contre la marée noire de l’Erika sur la côte bretonne. (Cf. http://collectif.littoral.free.fr/new/homeNT.htm ) - Les Robins des bois : « Fondée en 1985, Robin des Bois est la seule association française de protection de l’environnement à vocation généraliste qui se soit créée et affirmée depuis l’émergence de l’écologie et des inquiétudes pour l’avenir du monde. Editrice d’une version française de la Désobéissance Civile en 1989, elle se fonde sur la documentation, l’information, l’observation, la concertation, l’intervention et la non-violence. Robin des Bois s’est définie dans ses statuts comme ayant vocation à protéger l’Homme et l’environnement. Cette double visée amène Robin des Bois à prendre en considération les conditions de travail et de vie sur des lieux aussi divers que les cargos et les friches industrielles polluées, et à aider, dans les limites de sa disponibilité et de ses compétences sans autre condition préalable, des personnes isolées ou regroupées confrontées à des pollutions de toutes sortes » (Cf. http://www.robindesbois.org/robin.htm) - Keep it blue : « L'association KEEP IT BLUE a été créée en juillet 2000 à la suite de la tentative de Jo Le Guen de traverser l'Océan Pacifique Sud à la rame pour sensibiliser le public à la pollution des océans Son objet est de mener toute action en faveur de l'environnement et des Droits de l'Homme. Elle travaille plus particulièrement sur les problèmes d'indemnisation des marées noires, de la sécurité maritime, du traitement des déchets des navires dans les ports européens ». (Cf. http://www.keepitblue.net/accueil.htm) - Surfrider Foundation Europe : Cf. Encadré 1. - Amis de la terre : Cf. Encadré 1. - Greenpeace : Cf. Encadré 1.

La disqualification en NIMBY du Collectif 1. « Ces deux associations sont impliquées dans les plans Polmar et devraient tout de même pouvoir être associées au collectif », mail de Michel, daté du 14 janvier.

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On le voit, une partie des organisations concernées par la protection de l’environnement sont fortement investies dans des initiatives au plan national et européen ainsi qu’auprès des autorités et des programmes de prises en charge de la marée noire. Le collectif ne peut se prévaloir de la présence des ces associations d’envergure en son sein ce qui constitue déjà une perte de légitimité symbolique. Ainsi, Surfrider Foundation Europe ne répond pas à l’invitation du collectif marées noires. Les réticences des autres associations à participer au collectif indiquent qu’il est perçu comme une action concurrente et improductive, parce que locale. Dès le 15 janvier, ce chevauchement d’initiatives est indiqué par Christian, un membre des Amis de la Terre du groupe des Landes : « juste un message pour vous informer qu’une initiative (inter)nationale se met en place. J’ai été contacté par Claude de FNE qui travaille sur le projet ». Dans ce même message il transmet son échange avec FNE dans lequel il exprime d’une part l’adhésion des Amis de la Terre à la démarche de FNE : « la nécessité d’une action nationale et européenne me semble évidente. Puisque vous [FNE] en avez pris l’initiative, nous la soutenons et essayerons de relayer vos demandes auprès des autres groupes AT européens ». D’autre part, il expose sa vision de ce que peuvent être les « collectifs marée noire » : « il me semble important aussi de créer dans chaque département côtier où ce n’est pas encore le cas des Collectifs Marée Noire […] Si des collectifs sont en place, l’efficacité de la pétition n’en sera que meilleure ». Il termine son message à FNE en plaidant pour fédérer les différentes mobilisations : « si on ne le fait pas rapidement il va y avoir des initiatives dans tous les sens et on va perdre beaucoup de temps et d’efficacité » 1.

Ce militant des Amis de la Terre exprime bien à travers l’utilisation du singulier « marée noire » que ces collectifs départementaux ont une vocation locale qui concerne l’actuelle marée noire et doivent se mettre au service des associations mobilisées à une plus grande échelle pour relayer leurs propositions (en l’occurrence la pétition FNE). La création d’un collectif local, organisant une contestation généraliste comme c’est l’ambition du collectif marées noires est vécue comme inefficace et comme pouvant nuire à des actions de plus grandes envergures en dispersant les énergies. Ici, on peut s’appuyer sur la typologie proposée par Pierre Lascoumes qui détermine quatre types d’associations de défense de l’environnement selon leur objet : Les associations de défense d’un intérêt local ponctuel (associées au syndrome NIMBY), les associations de défense d’un intérêt focalisé qui assurent la défense d’une cause générale (faune/flore) plus que d’une situation locale, les associations de défense d’un intérêt local diversifié (mobilisation en faveur de l’ensemble des problèmes environnementaux d’un secteur particulier) et les associations défendant un intérêt pluridimensionnel. Ces dernières sont généralistes et fédèrent souvent les trois autres types d’associations au niveau départemental ou régional. (Lascoumes, 1994, p.226-246). Il est clair que le collectif est perçu par Greenpeace, les Amis de la Terre et la SEPANSO comme appartenant à la première catégorie. Leurs réaction à la constitution du collectif contribuent à disqualifier son action en NIMBY à travers un message qui semble être : « ne marchez pas sur nos plates-bandes ».

1. Mail daté du 15 janvier 2003 envoyé par Christian (Amis de la Terre, Landes) à Michel (Verts) qui comprend le transfert d’un message envoyé par Christian à FNE, non daté.

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Ainsi, les Amis de la Terre apparaissent comme membre du collectif mais ne se rendront à aucune de ces réunions1. Dans le même sens, Greenpeace ne prend pas part aux réunions et apparaît seulement comme soutien du collectif sur le tract de la manifestation du 1er mars2. La SEPANSO finit quant à elle par rejoindre le collectif le 19 février - soit près d’un mois après sa constitution - après avoir contestée la politisation de celui-ci3.

Le précédent de l’Erika : une rationalisation de la contestation en matière de catastrophe maritime

Pour comprendre l’absence de ces grandes associations dans le collectif, il faut revenir ici sur la manière dont s’est institutionnalisée la contestation autour des problématiques environnementales, par l’association progressive des organisations à la confection des politiques publiques en la matière. Pierre Lascoumes explique que les associations de défense de l’environnement peuvent être considérées comme des « services extérieurs d’un ministère qui en est partiellement dépourvu ». Les procédures d’agrément mises en place en 1977 et 1985 visent à intégrer plus fortement ces associations dans le processus de construction de l’action publique du Ministère de l’Environnement (Lascoumes, 1994, p.193-194 et 208). Ces agréments confèrent une forte légitimité à ces associations pour intervenir dans l’espace public tant comme protestataires vis-à-vis de certaines décisions ou évènements que comme partenaires des pouvoir publics dans la réalisation et l’application des politiques environnementales (Lascoumes, 1994, p.208)4. La FNE qui dispose de cet agrément, bénéficie de ce fait d’une reconnaissance nationale auprès des pouvoirs publics. Elle a acquis depuis les années 1970 un quasi monopole de représentation des intérêts écologiques au niveau national (Lascoumes, 1994, p. 248 et Traini, 2003, p.93), ce qui peut l’apparenter à un propriétaire de problème public5.

Le précédent de l’Erika a renforcé ce processus. En effet, à l’époque plusieurs collectifs ont vu le jour en Bretagne. Ils se sont regroupés au sein de la coordination des collectifs « marée noire »6. Chacun de ces collectifs compte parmi ses composantes des associations membres de FNE (SEPNB7 et LPO entre autres). Ainsi Jean-Claude nous explique-t-il qu’en 2000, cette

1. D’après les matériaux dont nous disposons, notamment les archives de Michel, des Verts, le représentant des Amis de la Terre des Landes indique à chaque invitation que d’autres initiatives mobilisent les militants des Amis de la Terre et que personne ne pourra se rendre à la réunion. 2. Archives de Michel, militant des Verts. 3. Nous reviendrons sur ce point dans les développements suivants. 4. Ces agréments ont permis tout d’abord d’accroître les pouvoirs juridiques des associations. Ils leurs donnent également l’accès aux organismes consultatifs nationaux en matière d’environnement et surtout leurs permettent « d’être représentées dans les conseils d’administration des établissements publics concernés par l’environnement et ceux des parcs nationaux », cf. Lascoumes, 1994, p.208. 5. Ce sont « les acteurs sociaux habilités, de part la légitimité qu’ils ont acquise (ou qu’on leur a reconnu), à formuler des demandes et des jugements. Leur autorité sociale en la matière fait d’eux des personnes-ressources vers lesquelles on se tourne lorsqu’une décision est à prendre ».Cf. Baisnée, 2001, p.163. La notion est empruntée à Gusfield. 6. La coordination se compose en 2003 des collectifs « marée noire » de Vannes, de Lorient, de Vendée, de Nantes et d’Arcachon. 7. La Société pour l’Etude et la Protection de la Nature en Bretagne est l’équivalent de la SEPANSO. Elle est bien sûr membre de FNE. Notons que des associations comme les Robins des Bois et Greenpeace (7 sœurs) se

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coordination a sollicité une rencontre avec Loyola de Palacio, vice-présidente de la Commission européenne pour demander l’élaboration d’une directive sanctionnant pénalement et financièrement les pollueurs. Cette dernière avait répondu à l’époque qu’elle était d’accord, mais que l’Europe n’était pas mûre1. Lors du naufrage du Prestige, cette demande de directive va pouvoir être satisfaite. C’est même la Galice qui propose une directive reprenant l’essentiel des demandes formulées au moment de l’Erika2.

Ce précédent a permis de créer un espace de négociation possible entre la Commission européenne et les associations de défense de l’environnement. En effet, plusieurs des organisations du réseau « sept sœurs » disposent d’un eurogroupe à Bruxelles3. A ce titre, ces acteurs disposaient d’une légitimité auprès des interlocuteurs - que se soit auprès de l’Etat ou de l’Europe -, ou du moins ont-ils acquis certaines ressources et compétences dans la façon de « contester » les conséquences de la marée noire, d’autant plus que «l’‘Erika’ est malheureusement resté une histoire de bretons. Avec le ‘Prestige’ la mobilisation est beaucoup plus large »4. Si l’on ne saurait parler d’un lobby vert européen, il faut néanmoins constater que ces organisations semblent en mesure d’imposer la définition, de contrôler la représentation et la défense de causes environnementales au niveau européen (Berny, 2006, p. 211), ce qui contribue d’autant plus à délégitimer des initiatives locales en ce domaine. Le collectif n’est par exemple pas reconnu localement : « le collectif n’a pas été reconnu par les élus, ni le préfet. Le préfet n’a jamais accepté de nous recevoir bien que je lui ai écrit »5.

Les conséquences de l’Erika : la rationalisation de l’action publique de l’Etat face aux catastrophes maritimes

Selon les personnes interrogées, l’idée de créer un collectif est née dès le naufrage du Prestige. En effet, celui-ci a lieu quelques jours avant l’Assemblée Générale d’ATTAC France, lors de laquelle Jean-Pierre, membre d’Attac 33 (groupe du Bassin d’Arcachon) rencontre Jean-Claude membre d’Attac Nantes et responsable de la coordination des collectifs

sont également fortement mobilisées lors du naufrage de l’Erika, notamment en dénonçant le caractère toxique du produit. 1. Entretien réalisé le 16 juin 2006, avec Jean-Claude (représentant de la coordination des collectifs « marée noire » et membre d’Attac Nantes). 2. Il s’agit de la directive 2005/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions en cas d'infractions. 3. Les Amis de la Terre depuis 1985, Greenpeace depuis 1989, BirdLife International depuis 1993. Il existe également la Coordination des Amis de la Terre (CEAT). Quant à FNE elle est membre du Bureau Européen de l’Environnement (BEE), créé en 1973. Cf. Berny, 2006, p.188-189. 4. Jean-Claude, cité dans « 200 manifestants rassemblés contre les pollueurs », Sud-Ouest du 3 mars 2003, p. 2. 5. Entretien avec Michel. Lors de l’entretien (2005), Michel est élu régional des Verts, ce qui n’était pas le cas en 2003, au moment de la marée noire. Il est alors représentant régional des Verts. Peut-être que son implication dans le collectif (malgré l’échec de la mobilisation) lui a procuré en revanche des ressources politiques au sein du parti des Verts en terme de légitimation de sa candidature pour les élections régionales de 2004 : « Aujourd’hui [ 2005] je suis élu, Je commence à rentrer dans le circuit du Prestige car je suis élu. Je suis membre de la commission interrégionale qui traite du problème de l’Erika, donc je continue de suivre ce dossier ».

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« marée noire », regroupant les collectifs créés en Bretagne à la suite du naufrage de l’Erika1. Mais concrètement cette création ne prend effet qu’au moment où les premières boulettes de fioul arrivent sur les plages girondines, soit presque deux mois et demie après le naufrage. Cette constitution tardive est un frein supplémentaire à la capacité de mobilisation du collectif. En effet son émergence dans l’espace public local intervient à un moment où la gestion de la marée noire a été prise en charge par l’Etat et les collectivités locales. Dès le 3 décembre 2002 le plan Polmar mer est déclenché en France. Le 3 janvier le plan Polmar terre est activé en Gironde pour anticiper l’arrivée des boulettes de fioul.. Dans ce cadre, l’accès aux plages est interdit au public et la préfecture prend un arrêté d’interdiction de la commercialisation des huîtres du bassin2. Comme le note Michel : « Avec l’histoire de l’Erika, […] ça a eu des conséquences : là les élus ne voulaient pas qu’on leur reproche des choses, donc ils en faisaient plus, ils communiquaient beaucoup »3. Des actions de nettoyage des plages sont organisées dans certaines communes par la réquisition de l’armée, des services municipaux et des pompiers auxquels sont fournis des tenues spéciales envoyées par la préfecture4. Dans d’autres, les mairies lancent des appels au bénévolat pour le ramassage. Le plan Polmar mer permet quant à lui de réquisitionner les marins pêcheurs et leur matériel de pêche pour ramasser le fioul en mer afin que la majeure partie n’atteigne pas les côtes. La création du collectif intervient donc tardivement, alors que l’Etat a déjà largement anticipé l’arrivée du fioul sur les côtes et qu’il a déployé des moyens matériels et humains (l’armée notamment) pour assurer le ramassage sur les plages : « Il faut dire qu’ici, le Prestige ça a pas été… enfin je vais pas dire comme Voynet qui avait dit sur l’Erika que c’était pas une catastrophe. Ca a été quelque chose qui a été vite maîtrisé. Il y a eu plusieurs arrivages, ça a été nettoyé rapidement »5. Cette gestion de la marée noire constitue par conséquent l’un des obstacles à la mobilisation de la population au sein du collectif. D’autant plus que le précédent de l’Erika - quatre ans auparavant - a incité l’Etat à rationaliser ses modes d’interventions. Ainsi l’initiative du collectif apparaît-elle d’autant plus comme une réaction locale et ponctuelle liée à l’arrivée des boulettes de fioul.

Une assise géographique incertaine

Ce conflit feutré de légitimité entre associations se double d’un problème de représentation géographique qui resserre d’autant plus la contrainte NIMBY. Michel parle en effet dans un courriel de « collectif marée noire de la côte Aquitaine »6. Cependant, la volonté d’accroître au maximum la portée de l’action du collectif est contrariée, on l’a vue, avec l’exemple de Christian qui plaide pour des collectifs départementaux, afin de relayer la pétition de FNE. Mais au-delà de cet argument, il semble que la possibilité même que le collectif marées noires représente la côte Aquitaine pose problème : « Quoiqu’il en soit : il y aura création d’un

1. Entretien réalisé le 16 juin 2006 avec Jean Claude, membre d’Attac Nantes et responsable de la coordination des collectifs « marée noire ». 2. L’interdiction est levée le 16 février. 3. Entretien avec Michel (Verts). 4. Entretiens avec Monique, Philippe et René. 5. Entretien avec Michel, op. cit. 6. Mail daté du 15 janvier 2003 envoyé par Michel (Verts) à Jean, un membre des Verts en Loire Atlantique.

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collectif marée noire dans les Landes, pour des raisons de distances évidentes. D’autre part, les Basques pour 30 km de côtes font un collectif, c’est tout naturel, et les landais avec 110 km devraient rejoindre un autre groupe. Il y a une condescendance envers les Landes qui est pesante, pesante… »1. Et de fait, un tel collectif est constitué le 13 février2. Dans le même ordre d’idées, une association semblable voit le jour en Charente Maritime3, ce qui montre que le collectif marées noires n’est pas légitimé par les autres groupes pour agréger les mécontentements relatifs à la marée noire. Le collectif se trouve relégué au rang de collectif local parmi d’autres.

Le collectif ne dispose donc pas d’une assise suffisamment large, ce qui implique qu’il subit plus qu’il ne revendique la contrainte NIMBY. Pour preuve la nature extrêmement locale des associations qui le rejoignent au fur et à mesure : Avecim Environnement, Biskasurf, le Comité des femmes de marin pêcheurs et le PouLP4. Le collectif est enfin rejoint par Vivre La Teste, RECIDIVES, Tchernoblaye et l’Union des Famille Laïques 335, Ici vivent des gens6, Consommation logement et Cadre de Vie Sud Bassin7. Ni l’ADREMCA, ni la CEBA, deux structures regroupant des associations environnementales landaises ou arcachonnaises, n’ont - semble-t-il - répondu à l’appel du collectif, bien que certaines de leurs associations en soient membres8. D’autre part, on note la participation au collectif d’associations qui n’apparaissent pas dans les documents d’archives, comme Ecolo Humano, une association de jeunes écologistes bordelais ou encore Bassin d’Arcachon Ecologie9. Si l’on reprend la typologie de Lascoumes, le collectif marées noires, est un agrégat d’associations de défense d’un intérêt ponctuel ou diversifié, mais local. Or, ce sont ces associations qui sont les plus soumises au syndrome NIMBY.

La constitution du collectif marées noires est rendue difficile par sa quasi immédiate disqualification en syndrome NIMBY par certaines associations. A cette contrainte vient s’ajouter la dimension fortement politique du collectif qui dessert ses objectifs.

1. Mail daté du 24 janvier 2003, envoyé par Christian (Amis de la Terre, Landes) à Michel (Verts). 2. Cf. « La pollution au cœur du débat », Sud Ouest du 17 février 2003, p. 8, édition des Landes. 3. Cf. « Le droit à l’information du public », Sud Ouest du 12 mars 2003, p.5, édition de Charente Maritime. L’association s’appelle Prestige Vigilance Communication 17 et se compose de représentants d’organisations environnementales ou de citoyens. 4. Il s’agit d’associations locales : Biskasurf est un club de surf de Biscarosse, le PouLP est aussi une association biscarossaise. Le Comité des femmes de marins est arcachonnais. Cf. « Un collectif ‘pour que toute la transparence soit faite’ », Sud Ouest du 28 janvier 2003, p.6. 5. Cf. « Le cailloux dans la chaussure », Sud Ouest du 6 février 2003, p.9. 6. Cf. « Unis dans un même défi », Sud Ouest du 10 février 2003, p.7. 7. Tract d’appel à la manifestation du 1er mars 2003, archives de Michel. 8. Le PouLP est membre de l’ADREMCA. Le président du PouLP a été président de l’ADREMCA. Avecim Environnement est membre de la CEBA mais ne le représente pas dans le collectif. 9. Ces appartenances sont signalées dans deux articles de Sud Ouest : « Ecolo Humano, même combat », Sud Ouest du 20 juin 2003, p.14, édition de Bordeaux ; et « Des actions et de la vigilance », Sud Ouest du 25 novembre 2003, p.7, édition du Bassin d’Arcachon.

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Un collectif (trop ?) politisé

Au syndrome NIMBY qui frappe d’illégitimité le collectif marées noires, s’ajoute une très forte politisation qui, dans la configuration locale, va freiner sa capacité de mobilisation. Il ne s’agit pas tant de la politisation des revendications, comme nous le verrons plus loin, mais plutôt de la manière de se mobiliser et de représenter la cause qui s’avère problématique dans un contexte où l’environnement peut être considéré comme un enjeu dépolitisé.

L’environnement : un enjeu local dépolitisé

Le portail du Bassin d’Arcachon recense pas moins de 27 associations liées à la découverte ou à la protection de l’environnement du Bassin, à l’aménagement de zones protégées, à la promotion et/ou la défense des activités liées au Bassin. Ces associations sont réparties sur les 12 communes principales entourant le Bassin d’Arcachon1. Une quinzaine de ces associations sont regroupées dans la CEBA, la Coordination Environnement Bassin d’Arcachon. Le site du Bassin d’Arcachon abrite en effet plusieurs espaces protégés : les réserves naturelles du Banc d’Arguin et des prés salés d’Arès et de Lège, l’espace naturel de l’Île aux oiseaux, le Parc Ornithologique du Teich, le Delta de Leyre ou encore la dune du Pyla classée grand site national en 1978 (Cf. carte encadré 4). Qui plus est, l’ensemble de ces sites est intégré dans le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne et une zone Natura 2000 a été créée en 2003 sous l’appellation « Bassin d’Arcachon »2. Ce secteur géographique fait donc l’objet de diverses mesures de préservations et de protections. D’ailleurs, la présence d’importantes associations de défense de l’environnement telles que la SEPANSO3, la LPO, les Amis de la Terre ou encore, celle des surfeurs, qui en tant qu’usagers de la mer entendent également la défendre4, montre que l’environnement est un enjeu important sur le plan local. Par ailleurs, les activités économiques liées à la mer, encouragent cette attention de tous. L’importance du tourisme exige des mairies l’entretien des plages et par extension la surveillance de la qualité des eaux de baignades5. Le développement de ce secteur, si l’on en croit les objets de diverses associations locales, accroît aussi la vigilance des riverains en matière de constructions immobilières et de respect de la loi Littoral. Quant aux activités de pêche, surtout d’ostréiculture - poumon économique local et image de marque de la région -, elles rendent sensible aux problèmes de pollution des eaux une grande partie des habitants qui dépendent du commerce des huîtres de manière directe ou non.

1. Andernos, Arcachon, Arès, Audenge, Biganos, Clouay, Gujan Mestras, La Teste de Buch, Le Teich, Lège Cap Ferret, Pyla sur Mer, Salles. Cf. carte du Bassin d’Arcachon (encadré 5). 2. Natura 2000 est un programme communautaire visant à « ‘protéger la biodiversité de l’Europe’ à travers la construction d’un réseau écologique cohérent ». Cf. Smith, 2004, p.129. 3. La Société pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest, association membre de France Nature Environnement, cf. encadré 2. 4. Cf. la contribution de Julien Weisbein, Philippe Terral et Jean-Baptiste Comby dans cet ouvrage. 5. L’attribution des Pavillons Bleus par l’Europe constitue une incitation forte à cette vigilance.

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Encadré 4 : Bassin d’Arcachon et espaces protégés

Source fond de carte : google maps Légendes complémentaires d’après : http://www.bassindarcachon.com/lacartedubassin/lacarte.htm

La préoccupation environnementale ou du moins de protection de la nature, du paysage et du cadre de vie est donc au cœur de la vie des résidents de la région du Bassin d’Arcachon. Plusieurs dossiers mobilisent d’ailleurs les associations, comme le wharf de la Salie1 ou le rejet en mer des boues portuaires2. Il s’agit d’une préoccupation ordinaire des riverains du Bassin. Tout le monde est concerné par la question environnementale qui n’est de fait le

1. Il s’agit d’une avancée en mer construite entre 1972 et 1974, rejetant les eaux usées des communes du Bassin d’Arcachon dans l’océan. Il se situe au sud de la dune du Pyla, juste à la limite des départements de la Gironde et des Landes. La nature des eaux rejetées et leur possible pollution est sujet à controverse. 2. Une action contre le rejet en mer des boues de dragage du port d’Arcachon avait déjà été entamée en 2000 par les associations ADREMCA, le PouLP, Surfrider et Biska Surf. Le collectif Aquitain contre les rejets en mer a été créé en février 2005. Ce collectif s’est constitué afin de protester contre la décision du rejet en mer des boues de dragage de l’ensemble des ports du Bassin d’Arcachon. Il regroupe 24 associations : Surfrider Foundation Europe, Association des propriétaires de Biscarrosse-Plage et Lac, Biska Surf-Klub, le PouLP, ADREMCA, la CEBA, NEBVA, AVECIM, Les Amis du Littoral Nord Bassin, Quai et Cabanes de Gujan Mestras, Auport La Teste, Protection et Aménagement de Lège Cap-Ferret, Les Amis du lapin Blanc, Sauvegarde des Quinconces Andernos, Bassin Arcachon Ecologie, Association de Défense et de Promotion de Pyla sur Mer, Défense des Eaux du Bassin d’Arcachon, Association des commerçants de Biscarosse, Association des Riverains de Saint-Brice, Sauvegarde Site Naturel des Quinconces Saint-Brice, Association Port Ouvert de La Teste, SCAPH PRO, SEPANSO-GIRONDE et SEPANSO-LANDES.

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monopole d’aucun groupe. On peut considérer qu’il s’agit d’un sujet dépolitisé c’est-à-dire déconnecté des enjeux politiques traditionnels (clivage gauche-droite) : l’environnement est de manière évidente pris en charge par les municipalités et collectivités locales pour la partie qui relève des politiques publiques locales. Pour autant l’environnement est loin d’être une question « apolitique ». Il constitue en effet l’enjeu d’un clivage qui oppose de longue date les associations de défense ou de promotion locales et/ou nationale (FNE via la SEPANSO par exemple), les écologistes (notamment les Verts) et les chasseurs.

La SEPANSO est née en 1969 pour protéger les zones humides des bords de l’estuaire de la Gironde et du Bassin d’Arcachon. Or ces zones sont également de zones de chasse, notamment à la tourterelle (Giblin, 2005, p. 656). Entre écologie et tradition de chasse, le territoire autour du Bassin d’Arcachon est devenu au fil du temps l’un des théâtres de cet affrontement qui se traduit par une sociologie électorale locale spécifique. Ce n’est, en effet, sans doute pas un hasard si c’est en Gironde, à Bombannes1 plus exactement, qu’est né le mouvement national Chasse Pêche Nature et Tradition en 1989 (Traini, 2003, p. 150), après un premier succès de la liste « chasse-pêche-tradition » aux élections européennes de la même année (Giblin, 2005, p. 656). L’Aquitaine constitue l’une des terres d’élection de CPNT, puisque cette région offre dix sièges de conseillers régionaux au jeune parti dès 1992 et huit en 1998. La Gironde demeure une terre de prédilection de CPNT, en particulier le Médoc, mais le secteur du Bassin d’Arcachon n’est pas en reste. Les écologistes peinent à y rassembler des voix comme le montre l’absence d’élus locaux des Verts. Le différentiel entre les votes Vert et CPNT des communes du pourtour du Bassin d’Arcachon aux élections européennes de 1999, ainsi qu’au premier tour des élections présidentielles de 20022 est sans ambiguïté :

Election européennes 1999 Elections présidentielles 2002, premier tour

Villes liste CPNT liste Verts Villes vote CPNT vote vertArcachon 6,02% 6,53% Arcachon 4,17% 3,50%Andernos 12,27% 8,12% Andernos 8,26% 4,80%Audenge 24,62% 5,44% Audenge 15,57% 4,52%Arès 13,21% 5,82% Arès ND NDBiganos 20,48% 5,14 Biganos 13,82% 3,85%Lanton 16,27% 6,73% Lanton 9,47% 4,55%Lège 18,84% 6,54% Lège Cap-Ferret 11,65% 4,19%Gujan Mestras 14,32% 6,95% Gujan Mestras 9,05% 5,29%La Teste de Buch 15,92% 6,69% La teste de Buch 10,05% 4,40%Le Teich 18,52% 7,13% Le Teich 11,74% 5,67%

1. Cette commune se situe à proximité de la côte atlantique dans le Médoc. 2. Le Bassin d’Arcachon fait partie de la 8ème circonscription électorale de la Gironde. Cette circonscription est divisée en 9 cantons. Nous avons considéré les résultats des élections dans les 3 cantons du pourtour du bassin : Arcachon, La Teste et Audenge. Nous avons choisi de ne présenter que les résultats des villes du pourtour du Bassin de ces 3 cantons.

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Les Verts sont loin de disposer d’un quelconque monopole sur les questions écologiques ou environnementales1. De plus, l’implantation de CPNT est renforcée par le conservatisme local : « [En Gironde] le plus solide bastion de la droite est Arcachon, station balnéaire des bordelais, circonscription qui n’est passée à gauche en 1997 qu’à la faveur d’une division à droite. Dans une zone touristique, réputée pour ses paysages et soumise à une forte pression immobilière, les socialistes ne peuvent s’appuyer sur un vote écologiste quasiment inexistant (2 conseillers municipaux à La Teste), alors qu’au contraire, dans les petites communes autour du bassin, CPNT obtient jusqu’à 23% des voix » (Giblin, 2005, p. 668). La circonscription est à droite, tout comme les municipalités du Cap Ferret, d’Arcachon, de Gujan Mestras et d’Andernos. Tout ceci est incontestablement l’une des raisons qui explique que le recours à un registre protestataire dans cet espace local marqué à droite peine à susciter l’intérêt de la population.

Un collectif de « gauchiste »2

Dans ce contexte, le collectif va rencontrer la réticence de plusieurs organisations qui craignent une politisation de la question de la marée noire. En effet, le collectif est identifié comme étant politique ou du moins politiquement orienté. D’abord, il procède de logiques proprement militantes. Il émane de l’initiative de militants des Verts et d’Attac et se met en place selon une logique de réseau. Il ne s’agit donc pas d’un collectif de victimes3. Les sociabilités locales et la proximité politique des principaux protagonistes influent sur la constitution du collectif et dans son orientation politique. Il s’agit d’un noyau militant habitué à se mobiliser ensemble autour d’actions politiques. Ainsi plusieurs des membres ont participé quelques années auparavant à un collectif Santé puis à un collectif Service Publics. Monique du comité des femmes de marins pêcheurs confirme : « On a l’habitude de se voir parce que c’est des gens qui se mobilisent sur d’autres causes. Donc c’est toujours les mêmes qui sont mobilisés, comme c’est un secteur géographiquement petit, on a l’occasion de se rencontrer dans d’autres mobilisations. Et puis il faut dire que les gens du collectif étaient tous plus ou moins politiquement impliqués. Par exemple la Sepanso est très liée aux milieux écolos… et puis les ostréiculteurs, c’était la section départementale, enfin le syndicat quoi »4. Stéphane de l’association Tchernoblaye va dans le même sens : « Parmi les participants au collectif, j’en connaissais oui, comme Attac, les Verts, la Confédération Paysanne, enfin tout le milieu […], c’était des organisations avec qui on a l’habitude de travailler ensemble »5. Cet entre-

1. On peut penser d’ailleurs que la mise en place de la zone Natura 2000 « Bassin d’Arcachon » a probablement suscité une controverse importante dans ce secteur. En effet, l’une des conséquences de cette mesure, visant à assurer la conservation de la faune et de la flore en délimitant des zones de protection, aboutit à limiter les zones de chasse. Sur les difficultés liées à l’application de ce programme communautaire, cf. Smith, 2004, p.129-132. Voir également le positionnement de CPNT sur Natura 2000 dans Traini, 2003. 2. Entretien avec Michel (Verts). 3. Les « groupes circonstanciels » se composent de victimes d’accidents collectifs, d’attentats ou de catastrophes. Les membres de ces groupes ne se connaissent pas avant d’avoir été confronté à la même épreuve. Une caractéristique de ces groupes réside dans l’absence de recours à « des appareils de mobilisation traditionnels » pour construire leur revendication et la faire exister dans l’espace public. Cf. Lemieux, Vilain, 1998. 4. Entretien réalisé le 13 novembre 2005, avec Monique, membre du Collectif des femmes de marins pêcheurs. 5. Entretien réalisé le 15 février 2006 avec Stéphane, président de l’association Tchernoblaye.

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soi militant, s’il favorise la constitution d’un noyau d’actif, peut avoir pour effet de rendre difficile l’adhésion et l’entrée d’autres individus ou groupes dans le collectif. Pour Michel, des Verts, « le collectif était axé sur la gauche et l’extrême gauche. D’ailleurs c’est cet aspect politique qui a gêné les autres assos. Certaines se sont mises en retrait dès cette première réunion »1. Lorsqu’on regarde les caractéristiques sociales des participants les plus impliqués dans le collectif, il s’agit de militants de longue date qui partagent sinon ensemble, du moins par leurs pratiques présentes et passées, des expériences politiques, syndicales et/ou associatives qui non seulement les rendent légitiment et les autorisent à se mobiliser mais encore leur permettent de partager des manière de faire et d’être et de penser similaires, notamment sur les thématiques liées à l’environnement (marin) et à l’écologie. Leurs appartenances professionnelles, leur confèrent également des dispositions à l’engagement, soit du fait des engagements syndicaux pris, soit par la nature de leurs activités : retraités et enseignants disposent de temps pour s’engager, par exemple.

Les membres actifs du collectif marées noires

Enquêté Profession Association dans le collectif

Autres engagements (présents ou passés)

Sensibilité politique

Connaissance des autres membres du collectif

René Retraité (Technicien Sup. Min. Défense)

POULP Fédé. Fra. Pêcheur en mer ; ADREMCA ; collectif aquitain contre les rejets en mer

Non indiquée

NON

Monique

Fonctionnaire (FPT)

Asso. Femmes de marins pêcheurs

Associations féministes ; syndicalisme ; membre d’un parti de gauche

Gauche OUI

Bernard Retraité (Ouvrier Min. défense)

Vivre La Teste

CFDT ; CLCV ; défense forêt ; collectif contre les rejets en mer

Gauche OUI

Michel Non indiqué Verts (président régional)

Lanton Autrement ; Bassin d’Arcachon Ecologie ; mvts pacifistes et contre le nucléaire

Gauche écologiste

OUI

Stéphane Salarié associatif (démission de l’éducation nationale)

Tchernoblaye Réseau Sortir du nucléaire ; RECIDIVES ; syndicalisme

Proximité Verts-LCR, faucheur volontaire

OUI

Philippe Retraité (Instituteur)

AVECIM CEBA ; Amis de la Terre ; proche de la SEPANSO ; CFDT

Non indiqué

OUI

Jean-Pierre

instituteur ATTAC Bassin

FO ; Verts Gauche OUI

1. Entretien avec Michel (Verts).

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Les avantages organisationnels de la politisation du collectif

La sensibilité politique du collectif est un avantage sur le plan logistique. C’est en effet dans la commune du Teich (PS) que le collectif s’est constitué. Identifié à gauche, il travaille avec les quelques mairies de gauche du bassin, comme pour la commune de La Teste : « Au niveau de la municipalité de La Teste, c’est une mairie socialiste, il y a eu de l’information avec le collectif. La mairie était plutôt favorable au collectif. »1. La mairie de La Teste est d’ailleurs la seule qui ait déposé une plainte contre le gouvernement espagnol, contrairement aux autres communes qui adoptent les solutions proposées par le gouvernement, c’est-à-dire avant tout le nettoyage des plages et des dépôts de plaintes contre X auprès de cabinets d’avocats spécialisés2, afin de monter des dossiers FIPOL.

L’organisation concrète du collectif est facilitée puisque les mairies socialistes de La Teste et du Teich prêtent des salles pour les réunions. Toutes les réunions du collectif se déroulent dans ces deux communes, hormis deux qui ont lieu à Biganos, dans la salle du PCF3. La présence de militants politiques dans le collectif permet également d’accéder à des ressources importantes comme la possibilité de tirer des tracts, de contacter tous les réseaux militants (syndicaux en particulier) ou encore de se procurer une sono4... Mais concrètement la politisation entraîne la désaffection de certaines associations.

Une politisation gênante pour mobiliser

Bien vite, malgré la volonté affichée par Michel, le militant des Verts, pour élargir à la fois l’assise géographique et idéologique du collectif marées noires, un clivage se dessine entre les tenants d’une défense de l’environnement politisée et ceux qui soutiennent au contraire un engagement dépolitisé : « Le problème de ne pas rencontrer les citoyens dans ce collectif c’est que les petites assos locales n’avaient pas voulu participer plus. Ils étaient réticents par rapport aux organisations politiques. Ces assos n’ont pas participé, sauf pour la manif. »5. Ce clivage tient aux organisations présentes au sein du collectif, notamment les partis politiques (PS, PC, LCR, Verts) et la manière dont ils peuvent intervenir dans la définition du problème, des responsabilités et la représentation de la cause. Ainsi un membre du PouLP, se désole-t’il : « j’ai été à la première réunion, mais l’impression que j’ai eu c’était qu’il y avait une dérive politique quelque part […] les partis politique s’improvisaient en protecteurs de l’environnement, alors qu’on ne les a jamais vu sur les problèmes de plastique ou du wharf de La Salie »6. Cet aspect fait même l’objet d’un début de controverse initié par la SEPANSO tant ce sujet est sensible localement. Dans un message d’appel à la création du collectif,

1. Entretien réalisé le 12 novembre 2005 avec Bernard de l’association Vivre La Teste. 2. Comme ceux de madame Lepage par exemple. 3. Ce détail est indiqué dans les comptes-rendus des réunions. Archives de Michel. 4. Ressources qui permettent au collectif d’organiser la manifestation du 1er mars. Le compte rendu de la réunion du 12 mars 2003 indique une répartition des tâches très détaillée entre les différents membres du collectif. 5 . Entretien avec Michel (Verts). 6. Entretien réalisé le 12 novembre 2005, avec René, membre du PouLP (Pour un Littoral Propre).

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Michel, des Verts, a souligné le caractère « progressiste » des organisations composant le collectif. En réponse, il reçoit un courriel de « mise au point » de Pierre (ancien président de la SEPANSO) : « je pourrais illustrer le constat en disant qu’objectivement, un Robert Poujade (premier ministre de l’environnement) ou une Corinne Lepage, gens de droite ou de centre droit, ont été de meilleurs ministres, face à nos problèmes que Ségolène Royal ou Jean-Pierre Gayssot... En bref je souhaite qu’on évite de titiller ce genre de clivage qui ont un fort pouvoir d’agacement […] Ils pourraient avoir pour effet de pousser l’association, sous la pression interne, à un retour d’a-politisme […] et donc à son désengagement du collectif, ce qui n’est pas souhaitable pour bien des raisons. […] si on veut que ce collectif fonctionne sans risquer l’éclatement à chaque virage, [il faut] qu’on évite la politisation dans le mauvais sens du terme […] le bon étant celui de l’attention à la chose publique à laquelle nous sommes tous attachés »1. On note enfin l’importance pour d’autres acteurs de déconnecter l’activité associative et politique. C’est le cas de Philippe, président d’Avecim Environnement : « Politiquement j’ai des idées, mais en tant que président d’une association indépendante, je n’ai pas à le dire. Je ne veux pas faire de politique. Je ne fais pas de politique »2.

C’est la raison pour laquelle c’est Jean-Pierre, le militant d’ATTAC qui est sollicité pour représenter publiquement le collectif « Il y avait une sensibilité de gauche dans le collectif. Et Attac a su créer cet amalgame de non dérive vers une trop forte politisation »3. Jean-Pierre confirme cela : « Et [les membres du collectif] ont souhaité que ça soit Attac qui gère pour que ça soit… que ça renvoie pas trop de politique »4.

Le travail de construction de la cause

On a vu que le collectif marées noires subit une disqualification par les autres associations de défense de l’environnement qui lui assigne un rôle uniquement local. Danny Trom étudie comment les groupes qui subissent ce type de disqualification parviennent à desserrer cette contrainte pour légitimer la cause qu’ils défendent en développant certains registres argumentaires. Si l’on suit son analyse, on peut considérer que la marée noire due au naufrage du Prestige relève des « grandes pollutions paradigmatiques » (Trom, 1999, p. 32) dont les conséquences sont d’une portée qui dépasse le lieu où survient cette pollution. De fait, la

1. Extrait de mail envoyé par Pierre ancien président de la SEPANSO à Michel le 23 janvier 2003. Plus loin, Pierre met en cause la légitimité des Verts à traiter des questions environnementales, à propos d’une de leur motion qui a été transmise à la SEPANSO par Michel : « visiblement certains document issus des milieux politiques auraient gagnés à être relus par des gens qui connaissent de près ces questions très spéciales. Parler de crédit à la circulation maritime, alors qu’il s’agit de la sécurité n’est pas très sérieux ». Ceci montre combien les acteurs qui sont reconnus pour leur expertise spécifique entendent la revendiquer et jouer un véritable rôle dans la production des normes concernant ces domaines particuliers. 2. Entretien réalisé le 14 février 2006 avec Philippe président de l’association Avecim environnement. 3. Entretien avec Bernard (Vivre La Teste). 4. Entretien avec Jean-Pierre (ATTAC Bassin d’Arcachon). Lors de la réunion constitutive, Jean-Pierre qui anime les débats, déclare ainsi : « Ce collectif n’est pas un tremplin pour une quelconque échéance politique… sinon ATTAC le quittera de suite. », Cité dans « Le caillou dans la chaussure », Sud Ouest, 6 février 2003, édition du Bassin d’Arcachon.

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marée noire du Prestige vient rallonger la liste des précédents naufrages de pétroliers, avec les mêmes effets : on pense à ces images d’oiseaux englués dans le mazout qui ne parviennent plus à s’envoler et dont on peut imaginer qu’ils forment une représentation commune des méfaits consécutifs à ce type d’évènement1. L’usage du pluriel « marées noires » par le collectif montrent que c’est autour de ces conséquences universelles des marées noires que s’organisent la mise en forme et la mise en mot des revendications du collectif et que s’opère le choix des arènes2 visées.

Des revendications soumises aux injonctions contradictoires entre militants et professionnels

De l’aveu de plusieurs membres du collectif la raison première de sa constitution tient au manque d’information concernant le risque sanitaire lié au produit qui s’échoue sur les plages : « On ne voulait pas laisser le problème aux autorités, on avait l’impression qu’ils allaient cacher des choses. On considérait que c’était un produit dangereux qui arrivait sur les plages, pour nous il n’était pas question que les gens ramassent. Faut pas toucher ce genre de produit, faut prendre des précautions, ne pas rester trop longtemps au contact à cause des vapeurs toxiques »3. René indique que « le produit du Prestige était raffiné, donc il y avait une forte concentration toxique : il ne fallait pas toucher ce produit, c’était dangereux »4. Quant à Monique elle note : « Nous ce qu’on a vu avec le Prestige c’est qu’il y a des oiseaux qui sont morts. Donc moi je me dis, il y a aussi sûrement des poissons qui sont morts ! Mais les autorités n’ont pas été aussi loin car toutes les informations sont très politisées, comme toujours… tout ce qu’on nous a dit c’est que c’était pas toxique, mais le fond des choses on ne l’a pas… »5. Ces militants s’appuient ici sur leur expertise et sur le précédent de l’Erika : le produit du Prestige est selon eux plus nocif que celui de l’Erika donc plus toxique et dangereux pour les populations, la faune et la flore marine. De plus ils sont révoltés par le fait que le ramassage des boulettes de fioul est très vite organisé sans qu’aucune information ne soit donnée au grand public sur le(s) danger(s) potentiel(s) du produit. Ils déplorent enfin le fait que les services réquisitionnés pour le ramassage bénéficient d’un suivi médical, tandis que les bénévoles qui s’inscrivent n’en bénéficient pas. C’est pourquoi les premières actions consistent à informer sur le produit via des tracts distribués auprès des bénévoles qui viennent s’inscrire dans les mairies. Des courriers sont également envoyés à la DDASS, à la Préfecture et au Rectorat mais sans succès semble-t-il.

1. Le tract de la manifestation du collectif comporte un dessin en noir et blanc qui montre une manifestation aux cris de « non ! non ! non ! » et sur la droite, un oiseaux mazouté. Archives de Michel, militant des Verts. L’oiseau mazouté est également le logo du collectif citoyen anti-marées noire de Saint-Nazaire. 2. Par « arène » nous entendons « un système organisé d’institutions, de procédures et d’acteurs dans lequel des forces sociales peuvent se faire entendre, utiliser leur ressources pour obtenir des réponses – décisions, budget, lois – aux problèmes qu’elles soulèvent. […] Investir dans une arène, c’est y viser, à l’issue du processus de gain, l’acquisition de ressources ou de pouvoirs dont on ne disposait pas au début ». Cf. Neveu, 1996, p.17. 3. Entretien avec Michel (Verts). 4. Entretien avec René (PouLP). 5. Entretien avec Monique (Comité des femmes de marins pêcheurs).

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Or ces actions et les arguments qui les accompagnent se heurtent aux priorités économiques des professionnels de la mer. Ces derniers sont extrêmement réticents au fait d’évoquer la toxicité des produits afin d’éviter des arrêtés d’interdiction de vente ou de consommation des coquillages ou du poisson1. Michel explique que « le fioul est entré dans le bassin, mais il ne fallait pas trop le dire à cause de l’ostréiculture. Il ne fallait pas parler de ces risques alors qu’ils étaient réels. »2. D’ailleurs, les pêcheurs ont été les premiers à être réquisitionnés pour empêcher la marée noire d’entrer dans la Bassin. La conscience de ce conflit d’intérêts est bien présente pour Monique, du collectif des femmes de marins, lorsqu’elle estime que « les pêcheurs sont les premiers sinistrés, car il y a un manque à gagner très rapidement […] Eux les marins pêcheurs ce qu’ils voulaient c’était nettoyer […] ils y sont allés parce qu’ils étaient payés, ils n’ont vu que l’intérêt économique »3. Les professionnels de la mer souhaitent avant tout éviter que les problèmes de pollutions ne soient mis en avant. En ce sens, aider au nettoyage, puis reprendre l’activité économique le plus rapidement possible permet de couper court au développement d’arguments sanitaires : « Les ostréiculteurs ne souhaitaient pas parler du problème de la marée noire pour ne pas discréditer leur profession »4. On peut penser que l’indemnisation des pêcheurs dans le cadre de l’aide qu’ils ont fourni au plan POLMAR Mer a contribué à accroître leur réticence vis-à-vis du collectif marées noires et à les éloigner de toute autre forme de protestation ou d’action. Monique estime à ce sujet : « […] il ne fallait pas trop en parler [de la toxicité du produit] pour que l’activité économique reprenne aussi vite que possible. C’est comme la grippe aviaire ou la vache folle, il y a des risques, mais en même temps il y a l’activité économique qu’il ne faut pas sacrifier […] Au début les marins pêcheurs n’étaient pas d’accord avec cette initiative du collectif […] Eux les marins pêcheurs ce qu’ils voulaient c’était nettoyer »5. L’absence des professionnels de la mer se fait sentir tout le long de la mobilisation du collectif, et même le jour de la manifestation bordelaise, bien peu d’entre eux sont présents pour proposer leurs huîtres à la dégustation sur les quais de Bordeaux.

Il en va de même pour les autres acteurs socio-économiques du pourtour du Bassin. Selon le quotidien Sud Ouest ils se sont organisés dans un collectif de défense, au lendemain de la catastrophe du Prestige, afin que la marée noire ne nuise pas à leurs activités. Leur but est de « mettre en œuvre une communication positive autour du Bassin : Fini le catastrophisme, dit Philippe T, l’un des présidents fondateurs, il faut montrer que tout va bien, et que la presse relaye ce message »6. Monique du comité des femmes de marins confirme cela : « Tout ce qui comptait c’était on nettoie, on enlève, on voit plus rien donc c’est fini. Et après l’été les plages elles avaient toutes le Pavillon bleu, de l’Europe. Donc ça, ça donnait de la

1 Voir le chapitre 2 pour une analyse générale de ce heurt entre considérations sanitaires et défenses des intérêts économiques. 2. Entretien avec Michel, (Verts). 3. Entretien avec Monique, (Comité des femmes de marins pêcheurs). Cf. la contribution de Xavier Itçaina et Stéphane Cadiou qui explique précisément l’engagement des pêcheurs basques dans le plan Polmar. 4. Entretien avec Bernard (Vivre La Teste) 5. Idem. 6. « Les commerçants contre-attaquent », Sud Ouest du 14 février 2003, p.12, édition du Bassin. Ce collectif créé à l’initiative des commerçant d’Arcachon, d’Andernos et de La Teste, cherche à regrouper selon l’article, les associations et syndicats, notamment pour monter des dossiers FIPOL afin d’obtenir des indemnisations, à la suite du manque à gagner engendré par la marée noire.

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reconnaissance. Parce qu’il y avait le tourisme derrière et les activités économiques pour lesquelles il fallait que tout soit propre. A un moment donné, des courants politiques, des pressions nous ont fait comprendre qu’il fallait pas trop en faire […] Les gens du tourisme eux, c’était pas la saison, mais ils ne voulaient pas que ça fasse du bruit. Après il y a eu tout une campagne de communication au niveau de paris, avec de belle photos des plages et tout ça…»1.

Ainsi et paradoxalement, alors que l’action du collectif vise à informer les bénévoles sur la toxicité du produit, la cause va être construite publiquement dans l’arène politique et économique nationale et internationale. Le recours au registre écologique et sanitaire existe mais de manière minoritaire (cf. tableau page suivante).

La montée en généralité des revendications

Lorsqu’on s’intéresse à la production d’argumentaires par le collectif, à travers les documents élaborés pendant la mobilisation2, on distingue cinq thématiques principalement mobilisées : politique ; économique : sanitaire/écologique ; information/action ; émotionnel3. On observe sur la période de la mobilisation une montée en généralité à travers la mobilisation de plus en plus importante d’arguments autour des thématiques politiques et économiques.

1. Entretien avec Monique, (comité des femmes de marins).. 2. Nous avons retenu cinq documents de communication du collectifs avec ses partenaires et/ou à destination du public : le message envoyé le 14 janvier pour appeler à la création du collectif ; un deuxième message daté du même jour, explicitant les objectifs du collectif ; le communiqué de presse du 25 janvier relatif à la constitution du collectif ; le tract d’appel à la manifestation du 1er mars et enfin le projet de charte du collectif qui n’est pas daté 3. Le thème politique renvoie à l’Etat, aux institutions internationales, aux normes, règles et lois non respectées ou à mettre en œuvre ; le thème économique concernant les lois du commerce international et l’impact de la marée noire sur l’économie locale ; le thème sanitaire/écologique questionne la dangerosité du produit et les conséquences écologiques ; le thème information/action est relatif aux informations à transmettre à la population et aux actions à mener ; le thème émotionnel rend compte de la colère et des sentiments exprimés vis-à-vis de la marée noire.

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Tableau 1 : les argumentaires du Collectif marées noires1

Message(1) 14/01/2003 Message(2) 14/01/2003 Com. presse 25/01/2003 Tract manif . 01/03/2003 projet de Charte non daté

0

5

10

15

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25

30

35

Registre politique Registre informatif Registre économique Registre sanitaire Registre émotionnel

Date des documents

Occ

uren

ces

des

regi

stre

s ut

ilisés

L’observation du contenu de ces documents montre qu’ils ont été créés en agrégeant à chaque fois les arguments du texte précédent. On retrouve les mêmes arguments d’un texte à l’autre étoffés d’éléments nouveaux au fur et à mesure. Si le premier message de mise en place du collectif utilise plutôt le registre émotionnel, celui-ci reflue même s’il ne disparaît pas. Les premiers documents mobilisent surtout le registre « information/action » ce qui correspond à la phase de constitution du collectif. Puis les registres « politique » et « économique » se développent à partir du 25 janvier et sont logiquement majoritaires dans le projet de charte qui est élaboré vers la fin de la mobilisation. On assiste à un travail classique de politisation d’une cause (Collovald, Gaïtti, 1991) : il s’agit de rattacher la marée noire à la longue liste des marées noires, l’inscrire dans une logique, une histoire, des conséquences et des responsabilités qui dépassent le cas du Bassin d’Arcachon. De fait il existe un accord unanime des membres du collectif sur la dénonciation des responsabilités au niveau européen et international et sur l’absence de réglementation ou de leur non application : « Les buts du collectif étaient tout à fait louables, c’était de réagir sur les raisons de la pollution maritime, de pointer la responsabilité d’Aznar et des règles maritimes internationales. Ca soulève le problème des bateaux poubelles, des pavillons de complaisances… rien n’est prévu »2 ou encore : « Le but c’était de dénoncer la marée noire, les navires poubelles, les responsables des dégradations »3. Le recours à ces registres se fonde sur les ressources propres aux militants du collectif, notamment leur connaissance de la problématique des transports maritime, et leurs compétences politiques pour mettre en forme des revendications. Le discours sur les responsabilités renvoie à des acteurs lointains : l’Etat, l’Europe, et met en cause des processus complexes : les règles du commerce international, la mondialisation…

Cette décontextualisation de la marée noire montre une volonté du collectif d’affirmer une compétence générale sur les marées noires, mais ne reflète que la vision des membres les plus actifs. La désignation de responsabilités lointaines ne permet pas de mobiliser la population 1. Pour chaque document nous avons relevé le nombre d’occurrence de chaque thème, puis nous les avons agrégés afin de faire apparaître la proportion de chaque thème dans chaque document et les uns par rapports aux autres. 2. Entretien avec René (PouLP). 3. Entretien avec Bernard (Vivre La Teste).

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locale, plutôt attachée à faire disparaître les traces de la marée noire, comme nous le verrons plus loin. Finalement le collectif ne parvient à s’adresser ni aux autorités (il n’est pas reçu par le Préfet), ni à la population, à cause de revendications trop généralistes. La mobilisation semble être réalisée par et pour les militants. Les ressources mises en œuvre sont inadaptées à la contestation d’un évènement tel que la marée noire. Le collectif finit par soutenir le projet de charte proposé par France Nature Environnement en reprenant à son compte les propositions émises par cette association1. Sa disqualification en mobilisation localisée le contraint à épouser les revendications des acteurs les plus légitimes dans la contestation. La typologie de Lascoumes évoquée précédemment montre que les associations les plus légitimes auprès des pouvoirs publics sont capables d’imposer aux autres groupes qu’elles fédèrent des répertoires spécifiques et les arènes dans lesquelles la cause doit être portée.

Des répertoires d’action inopérants

Confrontés à une configuration locale complexe, les membres du collectif disposent d’une faible légitimité pour agir. Le déroulement de la mobilisation montre qu’elle se construit dans l’urgence et dans l’absence d’analyse des conditions de sa réussite (cf. encadré 5). Ainsi le choix des répertoires d’action est plutôt un non-choix qui reflète à la fois les habitus militants des membres du collectif, et le désajustement de cet habitus face à un évènement « hors norme » comme la marée noire, dont la contestation relève de répertoires spécifiques.

Encadré 5 : Chronologie du naufrage du Prestige et du Collectif Marées Noires Novembre 2002 12 : Naufrage du Prestige au large des côtes galiciennes 18 : Le collectif citoyen anti marée noire de St Nazaire met en place une mailing liste pour l’information sur le Prestige Décembre 2002 3 : Déclanchement du plan Polmar mer en France 7-8 : Déclenchement du plan Polmar terre dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques pour prévenir l’arrivée des boulettes 16 : Rencontre du réseau des « 7 sœurs » pour dénoncer la toxicité du produit et s’opposer au ramassage par des bénévoles non protégés et non expérimentés. (Le fioul serait cancérigène). 18 : Conférence de presse commune des « 7 sœurs » : la FNE propose l’adoption d’une plate forme de mesure pour réguler le transport maritime à l’attention des élus dans les pays de l’UE. Une pétition est prévue pour associer le « grand public ». 28 : Plusieurs organisations (Nunca Mais, Greenpeace Nantes, Synapse, Surfrider Fondation, Collectif citoyen anti marrées noires de St Nazaire) appellent à une journée nationale et européenne d’action contre la marée noire

1. « Le collectif s’associe à l’appel citoyen fait aux gouvernements lancé par FNE ainsi intitulé. Le collectif reprend à son compte les 5 chapitres de sa plate-forme associative : application et accélération des règlementations nationales, européennes et internationales ; mesures nouvelles au niveau européen ; mesures nouvelles au niveau international ; refonte radicale de l’OMI, voire son remplacement ; Création d’une agence internationale de la sécurité maritime appuyée sur un dispositif sérieux ; avenir de l’énergie et des transports de marchandise en question ». Cf. « Projet de charte », document non daté. Dans un message du 19 février 2003, Michel indique « j’œuvre au sein du collectif pour que celui-ci adopte comme charte, la plateforme associative présentée par FNE et la SEPANSO. Mail du 19 février 2003, envoyé par Michel (Verts) à des associations membres ou non du collectif : Avecim, CEBA, ADREMCA et des membres de l’association AMIS du Littoral (Andernos).

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du Prestige, le 25 janvier 2003, sur le mot d’ordre « Sauvons la mer ». Des manifestations sont prévues de St Brieuc jusqu’en Espagne 31 : Premières boulettes sur les plages landaises et girondines (Biscarosse première ville concernée par la marée noire) Janvier 2003 3 : Fermeture de l’accès aux plages. Le plan Polmar mer est déclenché en Gironde 5 : Arrêté préfectoral interdisant les huîtres d’Arcachon à la consommation 8 : Un employé municipal meurt à Biscarosse, écrasé sur la plage par un engin de ramassage. 11 : Réunion du groupe Attac Bassin d’Arcachon la question de la création d’un collectif contre la marée noire est posée. 12 ? : Michel (Verts) contacte Jean-Pierre (Attac Bassin) pour lui proposer de créer un collectif marée noire. 14 : Michel (Verts) envoie un premier mail d’appel à constitution du collectif 14 : Le collectif de St Nazaire, lance un appel pour la manifestation du 25/01 21 : Le collectif de St Nazaire lance l’appel à manifester pour le 25/01 25 : Réunion de constitution du Collectif Marées Noires au Teich. Journée nationale et européenne à l’appel de plusieurs organisations, sur le mot d’ordre « Sauvons la mer ». Février 2003 8 : 2ème réunion du collectif à La Teste. Mise en place d’un secrétariat du collectif pour organiser la manifestation du 1er mars 12 : Réunion du secrétariat du collectif à Biganos. Organisation de la manifestation, rédaction du tract d’appel. 14 : Réouverture de la plage du Teich 16 : Levée de l’arrêté préfectoral interdisant la consommation des huîtres 17 : Communiqué de presse informant de la prochaine réunion du collectif du 22/02 19 : Réunion du secrétariat du collectif à Biganos 20 : Envoie d’un courrier aux présidents des organisations professionnelles de la pêche et de l’ostréiculture du Bassin. 22 : AG du collectif marées noires à la Teste 23 : Manifestation de Nunca Maïs à Madrid : un demi-million de personnes 26 : Conférence de presse à la maison de la Nature à Bordeaux. Envoie d’un courrier au Préfet de région pour solliciter une rencontre après le 1er mars. Envoie d’un courrier (non daté) au recteur d’académie pour dénoncer l’incitation faites aux élèves d’aller nettoyer les plages. réunion du secrétariat du collectif. Mars 2003 1er : Manifestation à Bordeaux et forum 12 : Réunion du collectif salle du PCF à Biganos. Bilan de la manifestation, bilan financier du collectif. 29 : AG du collectif au Teich. Bilan financier, infos diverses

La manifestation : un mode d’action inadéquat

Le collectif marées noires est perçu comme trop à gauche et trop local pour bénéficier d’une réelle légitimité sur la question de cette marée noire. Cette mobilisation a pu constituer pour ses initiateurs une fenêtre d’opportunité pour faire exister une protestation politique dans un espace local réputé conservateur. Mais cette stratégie se paye par la restriction du collectif à un cercle de militants : « Les parties prenantes du collectif avaient une habitude de mobilisation entres elles, c’est-à-dire genre gauchiste, les militants qui savent militer ! On n’a pas pu dépasser ce cadre là »1. Et les militants recourent à un répertoire d’action classique – la manifestation – qui a peu de chance de mobiliser dans une configuration politique conservatrice : Philippe, de l’association Avecim indique par exemple qu’en 2005, lors d’un mouvement contre le rejet en mer des boues de dragage des ports du bassin « il y a eu une manifestation de 400 personnes à Arcachon… c’était un truc qui ne s’était pas vu depuis 50 ans ! Parce que vous voyez, vous connaissez les tendances politiques sur le Bassin… c’est

1. Entretien avec Michel, (Verts).

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milieu aisé, rupin… »1. Or pour qu’une cause soit entendue, encore faut-il que ses promoteurs usent de répertoires d’action recevables par le public. Sinon elle « connaît le destin des causes peu entendues, réduites aux seules forces de ceux qui la portent : aléatoire et vulnérable » (Collovald, Gaïtti, 1991, p.12). En effet, comme nous l’avons montré, il n’existe pas sur le secteur du Bassin d’Arcachon de capacité protestataire. Et la manifestation du 1er mars, qui en plus ne se déroule pas sur le Bassin d’Arcachon, mais à Bordeaux, rassemble péniblement quant à elle 200 manifestants2 : « Il faut dire que vu la date de la manif, on était sur la fin, donc tout le monde était un peu démobilisé. On n’a même pas pu avoir avec nous les professionnels de la mer c’est-à-dire les sections régionales des comités locaux des pécheurs et conchylicoles car c’était trop politisé. Il y a avait les responsables syndicaux, mais pas d’ostréiculteurs ni de pêcheurs. […] la manif a constitué le coup d’arrêt du collectif. »3.

On constate également que le recours à l’expertise, pourtant caractéristique de ce type de contestation4, n’est pas utilisé pour mobiliser la population autour du problème de la toxicité du produit par exemple. Des réunions publiques auront lieu bien après la mobilisation et la « fin » de la marée noire5. Quant au répertoire médiatique qui est également un mode d’action souvent privilégié par les associations environnementales (Ollitrault, 1999), il ne fait pas non plus l’objet d’une stratégie clairement définie.

L’absence d’une stratégie de médiatisation

Dans cette configuration locale, il est relativement aisé pour le collectif d’accéder à une médiatisation dans le quotidien régional. En effet, comme nous l’avons indiqué en introduction l’évènement « marée noire » constitue une information à la fois internationale, nationale et locale. Ce triple niveau informationnel implique que localement, sur le Bassin, il s’agit d’un évènement dont « on ne peut pas ne pas parler »6 et la constitution d’un collectif de protestation fait à ce titre partie intégrante de la couverture par Sud Ouest. Toutefois, cette médiatisation n’est pas véritablement maîtrisée par le collectif et la couverture de ses actions et revendications subit les contraintes du traitement local de l’information. Cinq articles, parus entre le 28 janvier et le 3 mars 20037, concernent directement le collectif marées noires et sa mobilisation. On peut également penser que dans cet espace restreint où tout le monde se

1. Entretien réalisé le 14 février 2006 avec Philippe (Avecim). 2. Cf. « 200 manifestants rassemblés contre les pollueurs », Sud-Ouest du 3 mars 2003, p.2. 3. Entretien avec Michel, (Verts). 4. Sur ce point, voir par exemple Ollitrault, 2001 et Gallet, 2002. 5. L’association Vivre La Teste propose une réunion publique d’information le 14 mars 2003 sur la marée noire ; le 11 avril 2003, les Verts européens et l’alliance libre européenne organisent deux journées de conférence sur la sécurité maritime en Europe à Bayonne ; enfin, le 27 avril, le POULP est à l’initiative des Assises de la Mer qui se tiennent à Biscarosse. Des experts dans les domaines des conséquences des pollutions sur le milieu marin sont invités. 6. Ce processus propre au fonctionnement du champ journalistique est décrit comme « la circulation circulaire » : à partir du moment où une actualité est traitée par certains médias, il devient impossible pour les autres de ne pas en parler. Cf. Neveu, 2009, p. 54-55. 7. « Un collectif ‘pour que toute la transparence soit faite’ », Sud-Ouest du 28 janvier ; « Le caillou dans la chaussure », Sud-Ouest du 6 février ; « Unis dans un même défi », Sud-Ouest du 10 février ; « Ils exigent des comptes et de la transparence », Sud-Ouest du 26 février ; « 200 manifestants rassemblés contre les pollueurs », Sud-Ouest du 3 mars.

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connait, les militants aguerris initiateurs du collectif disposent des contacts de la presse et a fortiori du correspondant local du principal quotidien. Toutefois, cette facilité d’accès ne doit pas laisser croire à une maîtrise par le collectif de sa médiatisation. On constate en premier lieu que sur les cinq articles du collectif, quatre sont centrés sur son activité. Ces articles sont en effet les comptes rendus ou les annonces des quatre premières réunions. Le dernier est un compte rendu de la manifestation du 1er mars 200 à Bordeaux. Ainsi on observe, à travers les articles accompagnés de photos une mise en scène du collectif : les photos montrent l’assemblées des membres du collectif réunis, ou Jean-Pierre, le militant d’ATTAC considéré comme le leader. Un des articles s’appuie d’ailleurs sur une interview de ce militant.

Si cette mise en scène du collectif dans le journal est importante pour faire disparaître l’initiative, en revanche, on constate l’absence d’une mise en scène de la marée noire dénoncée. Dans les articles consacrés au collectif, aucune photo ne montre le ramassage sur les plages, les salissures des combinaisons par le fioul, ou encore les oiseaux mazoutés. Cela ne signifie pas que ces images sont absentes du traitement médiatique réalisé par le quotidien, seulement elles n’accompagnent pas les articles consacrés au collectif. Or, Olivier Baisnée a montré qu’en matière de mobilisation médiatique autour de la dénonciation d’un danger sanitaire, « l’objectivation » du danger dans les médias peut être une des clés du succès de la mobilisation1, ou du moins de la constitution en problème public de l’activité dénoncée. Dans le cas de la marée noire du Prestige dans le bassin d’Arcachon, il n’y a pas d’objectivation du danger sanitaire de celle-ci.

L’importance de la dimension médiatique n’est pourtant pas ignorée par le collectif. Ainsi des « action médiatique pour les télés le mercredi après-midi sur le littoral, à déterminer » sont évoquées, suite à la conférence de presse tenue le 26 février à Bordeaux. La manifestation du 1er mars est aussi envisagée comme une action qui permet de médiatiser les revendications du collectif. Des animations artistiques sont prévues ce jour là dans l’objectif de mettre en scène la mobilisation : « Arrivés à la bourse, nous prévoyons une animation et nous attendons la proposition de comédiens qui pourraient créer un évènement autour du thème du pavillon de complaisance »2. Lors de la réunion de bilan de la manifestation, la « bonne couverture des médias télévisés »3 est notée en point positif. Pour autant il n’est pas possible de vérifier si ces actions médiatiques ont réellement eu lieu. Elles ne sont pas mentionnées dans les articles de Sud-Ouest4 ni dans les comptes-rendus de réunions.

1. Il montre, à propos de la mobilisation de Greenpeace contre l’usine de retraitement des déchets de la Hague comment les militants construisent l’objectivation du danger, en enregistrant les sons des crépitements enregistrés par des compteurs a proximité du tuyau de rejets et en photographiant celui-ci découvert lors d’une grande marée. Les militants construisent la médiatisation de leur action au service de leurs revendications et dans des formats adaptés aux contraintes journalistiques. Ce n’est pas le cas dans la mobilisation qui nous intéresse. Cf. Baisnée, 2001, p.175-177. 2. Réunion du collectif du 19 février 2003. Archives de Michel. 3. Réunion du collectif du 12 mars 2003. Archives de Michel. 4. Il faut noter que nous n’avons pas effectué de recherche sur la médiatisation télévisée du collectif ou de la manifestation du 1er mars.

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Au final, la médiatisation du collectif est restreinte et subit les contraintes journalistiques du quotidien local. En effet, Sud-Ouest s’organise en éditions départementales1. Ces éditions départementales sont-elles mêmes découpées en éditions locales. De ce fait, concernant la Gironde, un évènement qui a lieu sur le Bassin d’Arcachon n’apparaît pas systématiquement dans l’édition de Bordeaux ou du Nord Gironde et vice versa. La médiatisation du collectif marées noires subit cette structure rédactionnelle, puisque tous les articles sont publiés dans les pages locales de l’édition du Bassin d’Arcachon, à l’exception de celui portant sur la manifestation qui est publié dans les pages départementales (communes à toutes les éditions locales). De ce fait la médiatisation de la mobilisation du collectif demeure d’une portée très relative car cette dernière reste considérée comme un évènement fait pour et par les habitants du Bassin. On peut d’ailleurs penser que c’est précisément pour cette raison que l’objectivation du danger de la marée noire est inexistant dans ces pages locales. Des contraintes spécifiques s’exercent en effet sur le travail journalistique des « localiers » du fait de leur proximité à l’ensemble de la communauté locale. Le rapport aux sources, la confiance établie qui permet de faire son métier incite le journaliste local à privilégier la couverture des évènements considérés comme profitables à la région et à se montrer plus discret sur ceux qui pourraient susciter des conflits entre acteurs locaux (Neveu, 2009, p. 31). Or l’évocation du caractère toxique du produit que répand la marée noire est problématique puisqu’elle nuit à l’industrie de la pêche et du tourisme ainsi qu’à l’image de marque de la région ce qui explique peut être l’absence d’éléments d’objectivation de la marée noire dans la couverture de cet évènement sur la région du Bassin d’Arcachon2.

Raisons d’agir collectives et motivations individuelles

Tous les membres du collectif sont d’accord sur les mots d’ordres qui mettent en cause les Etats et les institutions Européennes qui n’ont pris aucune mesure concernant l’évolution des lois maritimes à l’échelle européenne, depuis la catastrophe de l’Erika. Toutefois ces raisons d’agir collectives ne parviennent pas à mobiliser le public. Plusieurs enquêtés expriment un sentiment d’échec, comme Michel par exemple : « Pour moi ce n’est pas une très grande réussite ce collectif. On n’a pas pu mobiliser la population »3. On relève aussi dans les propos des enquêtés que derrière ces raisons générales qui guident l’action du collectif, d’autres motivations existent qui sont au principe de motivations individuelles à l’action. Ces motivations sont liées à l’inscription territoriale de l’évènement. Le dilemme auquel le collectif est confronté consiste à dépasser l’émotion suscitée par la marée noire sur le plan local, alors que c’est cette même émotion qui conduit les habitants à chercher des solutions dans l’action collective. C’est ce qu’illustre parfaitement la réaction d’une des participantes du collectif, lors de sa première réunion : « C’est toute la région qui est concernée. On a trop tendance à faire de cette pollution un problème local. Je suis humiliée de voir ce qui se passe,

1. Le quotidien Sud-Ouest est publié dans 9 départements : Béarn, Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Gers, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Pays Basque. 2. Pour une analyse plus approfondie de la couverture médiatique de la marée noire, cf. la contribution de Julien Weisbein dans cet ouvrage. 3 Entretien avec Michel (Verts).

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il faut réagir, faire une manif… »1. De même, Michel nous explique très clairement que c’est l’indignation personnelle qui est à l’origine de l’action : « L’objectif en fait du collectif c’était de ne pas se laisser faire : on est agressé par le pétrole, il y a des responsabilités »2. Par l’utilisation des pronoms personnels « je » et « on », ces deux témoignages mettent en exergue, le fait que la marée noire atteint personnellement les habitants de la région et que c’est cela qui les conduit à se mobiliser. Le collectif ne rencontre pas un franc succès auprès de la population locale car il existe un décalage entre les revendications portées par le collectif, lointaines, globales et abstraites, et l’émotion suscitée par l’évènement qui encourage les habitants à œuvrer concrètement pour faire disparaître les boulettes de fioul. En effet, l’afflux des bénévoles qui viennent s’inscrire dans les mairies pour participer au nettoyage des plages montre que la marée noire est avant tout perçue comme une atteinte au paysage quotidien, à l’intégrité du cadre naturel, plutôt que comme une conséquence de l’incompétence politique de l’Union Européenne.

Le cadre des motifs globalisants du collectif entre en contradiction avec le ressenti de la population et peine à mobiliser celle-ci. De plus, le collectif se positionne contre le ramassage du fioul par les bénévoles et leur distribue des tracts informatifs dans les mairies pour les convaincre de renoncer au ramassage. Cette mise en présence de raisons d’agir contradictoires a pu avoir des conséquences sur la marginalisation du collectif, dont l’action a pu être vécue par les habitants comme décalée, inappropriée à la situation.

On constate dans la réalité des actions des membres du collectif deux niveaux de réactions. La première, politique, porte sur les enjeux globaux d’une marée noire et la seconde, émotionnelle, est liée à l’altération de la nature ou du paysage local produite par la marée noire. Certains des membres du collectif sont tiraillés entre ces deux positions qui induisent des arbitrages en termes d’action. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux font en sorte de combiner les raisons d’agir collectives et leurs motivations individuelles : « le collectif était réticent par rapport au bénévolat, mais on n’avait pas donné de mot d’ordre de ne pas y aller… Donc moi par exemple je suis allé nettoyer mais à titre individuel pas au titre du collectif »3. Philippe de l’association Avecim a quant à lui aidé au déploiement de barrages flottants avec les ostréiculteurs et les pêcheurs, et il a participé au nettoyage des plages4. La marée noire du Prestige est vécue comme une atteinte à un paysage local mais construite comme une cause avant tout politique par le collectif. C’est précisément cela qui nuit à la popularité du collectif auprès de la population locale qui, elle, accorde la priorité au nettoyage du paysage souillé.

Sur ce point, il faut faire l’hypothèse que le paysage d’un lieu est approprié par ses habitants dans le sens où il devient constitutif d’une d’appartenance géographique. Les habitants s’identifieraient à leur lieu d’habitation et à son paysage. C’est probablement ce qui permet d’expliquer le lien étroit qui unit un lieu à ses habitants et la réaction d’autant plus indignée de ces derniers quand une atteinte est portée à leur cadre de vie : « Nous gens de la mer, gens du

1. Article « Unis dans un même défi », Sud-Ouest du 10 février 2003, édition Bassin d’Arcachon, p.2-7, souligné par nous. 2. Entretien avec Michel (Verts). 3. Entretien réalisé le 12 novembre 2005, avec Bernard (Vivre La Teste). 4. Entretien réalisé le 14 février 2006, avec Philippe (Avecim).

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bassin, on avait jamais vu ça, c’était un vrai saccage ! C’était un cri du cœur individuel et collectif car l’environnement était touché dans son cœur […] ici, il y a une grande sensibilité par rapport à l’environnement. C’est un environnement sensible avec la mer et la forêt. La protection de la nature est une ligne de conduite car on est conscient de la richesse de notre région »1

Sur les sept enquêtés membres du collectif, six y vivent dont quatre originellement. Les deux membres qui participent au ramassage, contre la position du collectif, appartiennent à des associations de riverains de défense de l’environnement ou du cadre de vie. Les autres membres sont aussi sensibilisés aux problématiques environnementales, de par leur socialisation, à la fois en tant que riverain du Bassin d’Arcachon et en tant que défenseur de l’environnement dans des associations. Tous les membres du collectif interrogés ont un rapport personnel à l’environnement local, en particulier à l’océan. Le paysage et son altération sont inscrits dans les socialisations comme l’exprime ces extraits d’entretiens :

« Moi je suis proche de l’océan, je suis un pêcheur amateur, je vois la pollution. Je suis au contact du terrain et des problèmes depuis 1977. Je me bats contre la pollution et contre la pêche intensive […] J’ai vécu toute ma jeunesse au bord de la mer, au Maroc. Mon père était pêcheur. J’ai un attachement profond à l’océan. Être au bord de l’océan c’est des moments de bonheur, de plaisir, on ne peut pas comprendre quand on ne vit pas au bord de l’océan. L’océan c’est la survie de l’humanité, je considère qu’il faut être redevable des plaisirs que l’océan nous offre. C’est-à-dire la baignade, la pêche, la nourriture. Il faut le préserver. Et puis bon, moi j’ai trois petits enfants et quand j’étais jeune, il n’y avait pas tout ça, toute cette pollution. Nous sommes responsables de ce qu’il se passe (René, habite à Biscarrosse.)

« Quand on étaient gamins, on a toujours connu ça [l’arrivage des boulette de fioul]. On nettoyait avec de l’huile Lesieur ! » (Michel, militant des Verts, résidant du Bassin, originaire des Landes).

Le rôle des socialisations et des engagements permet de comprendre comment se réalisent les arbitrages en termes d’engagement et d’action : pour les militants, la sensibilité envers l’environnement et l’émotion suscitée par la pollution des espaces de vie est retraduite à travers leurs engagements associatifs ou politiques. Ils appréhendent et interprètent les évènements selon une vision problématisée de l’environnement : identification des responsables des pollutions, dénonciation des activités jugées nuisibles, promotion d’action de préservation, etc. Pour la population locale, en revanche, nous avons mis en évidence que les questions d’environnement constituent une grande partie de la vie sociale organisée par les associations, mais que ces questions sont dépolitisées ce qui peut expliquer que le nettoyage apparaisse comme l’action privilégiée. L’hypothèse d’une identification au paysage du cadre de vie, tant par la socialisation que par des engagements localisés (commune, site particulier) et une dépolitisation de l’enjeu environnemental nous parait pertinente pour expliquer le recours au bénévolat pour le ramassage du fioul, comme forme de mobilisation d’une partie des habitants. 1. Entretien avec Bernard (Vivre La Teste).

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Conclusion

L’exemple de la mobilisation du collectif marées noires met en lumière combien les choix en termes de ressources, de répertoires, de registres argumentaires ou encore d’arènes sont cruciaux pour la réussite d’une action collective. De plus, on constate à travers cette analyse la forte professionnalisation des organisations associatives autour de certains secteurs de mobilisation qui s’accompagne d’une forme d’appropriation des causes. En l’occurrence, si le collectif recourt à des modes de mobilisation qui, au vue de la configuration politique locale, ont peu de chance d’aboutir, il n’est également pas autorisé par les « professionnels de la défense de l’environnement » à investir la question de la marée noire. Ou du moins, y-est-il autorisé à certaines conditions : aligner son argumentaire sur le registre des « professionnels » et assumer un rôle local de vecteur d’une mobilisation plus large. Les militants interrogés conservent un sentiment d’échec vis-à-vis de ce collectif. Pourtant ce type d’action, au-delà de ses chances de succès, contribue à créer, entretenir et développer des liens résiliaires entre individus et entre organisations dans un espace local, ce qui accroît les possibilités de coopérations entre ces groupes1. C’est ce qui survient en 2005 avec le regroupement au sein du collectif contre les rejets en mer, de nombreuses associations qui étaient membres du collectif ou proches, ou tout simplement situées sur le Bassin. L’échec d’une mobilisation ne doit donc pas se mesurer seulement à l’aune d’un insuccès ponctuel mais à plus long terme, en considérant les conséquences qu’elle peut produire dans la reconfiguration des relations entre acteurs dans un espace local.

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1. On peut se référer ici à la thèse développée par Verta Taylor au sujet de la mise en hibernation ou en dormance de certains mouvements mais dont la persistance souterraine ou devenue invisible contribue à créer les conditions d’une mobilisation future. Il s’agirait dans le cas présent de « réseaux dormant », les associations locales environnementales ou de riverains contribuant à maintenir un engagement minimal. Cf. Taylor, 2005.

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