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« LE TRAUMATISME DE LA MORT ANNONCÉE » : TRANSMISSIONS ENTRE SOIGNANTS ET PARENTS FACE À LA MALADIE GRAVE D'UN ENFANT Isabelle Lambotte, Lotta de Coster, Françoise De Gheest De Boeck Supérieur | « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux » 2007/1 n° 38 | pages 99 à 115 ISSN 1372-8202 ISBN 2804154257 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie- familiale-2007-1-page-99.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Isabelle Lambotte et al., « « Le traumatisme de la mort annoncée » : transmissions entre soignants et parents face à la maladie grave d'un enfant », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2007/1 (n° 38), p. 99-115. DOI 10.3917/ctf.038.0099 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 207.253.228.4 - 15/03/2018 00h01. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 207.253.228.4 - 15/03/2018 00h01. © De Boeck Supérieur

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« LE TRAUMATISME DE LA MORT ANNONCÉE » : TRANSMISSIONSENTRE SOIGNANTS ET PARENTS FACE À LA MALADIE GRAVED'UN ENFANTIsabelle Lambotte, Lotta de Coster, Françoise De Gheest

De Boeck Supérieur | « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques deréseaux »

2007/1 n° 38 | pages 99 à 115 ISSN 1372-8202ISBN 2804154257

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2007-1-page-99.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Isabelle Lambotte et al., « « Le traumatisme de la mort annoncée » : transmissionsentre soignants et parents face à la maladie grave d'un enfant », Cahiers critiquesde thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2007/1 (n° 38), p. 99-115.DOI 10.3917/ctf.038.0099--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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« Le traumatisme de la mort annoncée » :transmissions entre soignants et parents

face à la maladie grave d’un enfant

Isabelle Lambotte 1, Lotta De Coster 2

& Françoise De Gheest 3

Résumé

Les auteurs proposent une réflexion sur les processus psychiques enclen-chés chez les parents et les soignants suite à l’annonce d’une affection cérébralegrave d’un enfant, âgé de trois mois à seize ans (traumatisme crânien, tumeurcérébrale, affection neurologique). Ils relèvent que le traumatisme suscité par untel événement réalise une effraction psychique et provoque des sentiments d’abat-tement, d’isolement et d’angoisse chez les parents ; il induit aussi un « traumatismepar contagion » chez les soignants. Le rôle de la relation soignants/parents et lafonction de l’annonce sont investigués à plusieurs niveaux. Les auteurs discutentdes conditions nécessaires au partage du savoir du parent avec la connaissance dusoignant, à l’étayage relationnel et à la relance des processus psychiques.

Abstract: “The traumatism of announced death”: transmissions between caregivers and parents confronted to a serious illness of the child

The authors propose to reflect on the psychic processes caused by theannouncement of a child’s serious illness to the parents and professional caregivers.The children we refer to are between 3 months and 16 years old and suffer fromsevere cerebral affections (traumatic brain injury, brain tumor, neurologicalaffection). The article also aims to show in which aspects the announcement has avalue of traumatism for the parents (it causes feelings of anguish and insulation)and for the caregivers. The role of the relation caregivers-parents and the functionof the announcement are investigated on several levels (cognitive, relational andintra-psychical levels).

1 Psychologue clinicienne, psychothérapeute, Service de Psychologie, Hôpital Eras-me. Service de Psychologie du développement et de la famille, Université Libre deBruxelles.

2 Psychologue clinicienne, docteur en psychologie, Service de Psychologie du déve-loppement et de la famille, Université Libre de Bruxelles.

3 Psychologue clinicienne, Service de Psychologie du développement et de la famille,Université Libre de Bruxelles.

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Mots-clés

Traumatisme – Annonce – Transmission – Soignants/parents-enfant.

Key words

Traumatism – Announcement – Transmission – Caregivers-parents-child.

Chaque année, un nombre important d’enfants et d’adolescents sonthospitalisés pour des maladies graves dans les Services Infanto-juvéniles del’Hôpital Universitaire Erasme à Bruxelles. Au cours de ces hospitalisations,de nombreux intervenants participent au processus de l’annonce du diagnos-tic : neurochirurgien, intensiviste, neuropédiatre, pédiatre, infirmière, psycho-logue, etc. Il n’existe pas de personne de référence pour coordonner toutes lesinformations à transmettre aux parents. L’absence d’un médecin de référenceentraîne un manque de cohérence au niveau des messages transmis et introduitun malaise au sein de l’équipe soignante. Ce malaise est perçu par les familles.

L’annonce de diagnostics graves véhicule une peur omniprésente de lamort, même si cette dernière n’est jamais annoncée avant la phase terminale.

Malgré l’envie de redonner une place à la ritualisation autour de la mortet d’accompagner avec humanité les mourants, nous constatons qu’aborder lamort, son contexte et les questions à son sujet reste encore de l’ordre du taboudans notre société occidentale. Tout se passe comme si sa seule évocation ris-querait de la provoquer. Dans cet article, nous proposons une mise en mot,parfois difficile, de l’impensable et de l’irreprésentable qui, pourtant, fait partiede la réalité quotidienne des soignants à l’hôpital. Par « équipe soignante »,nous entendons ici les médecins, les infirmières et les psychologues.

Le contexte

Les enfants hospitalisés à l’Hôpital Erasme dans le cadre de la chirurgieinfantile, de la neuropédiatrie et des soins intensifs, sont gravement atteints ;leurs diagnostics sont sévères et le pronostic incertain, parfois fatal. Les opéra-tions neurochirurgicales sont réalisées en urgence, souvent sans anticipationpossible, avec la peur omniprésente que l’enfant décède ou qu’il présente aprèsl’intervention des séquelles mentales et motrices importantes.

Les soignants doivent non seulement maîtriser des problèmes strictementmédicaux, mais aussi considérer l’enfant dans sa globalité et sa dynamique fami-liale. Il n’est plus possible pour un soignant d’isoler le symptôme d’un enfant desa personnalité et de son environnement familial (Ollivier & Rapoport, 1987).

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L’équipe soignante est donc confrontée à une clinique spécifique à plusieursniveaux : l’âge du patient tout d’abord, le contexte d’urgence, le type de dia-gnostic et la présence continue des parents auprès de l’enfant malade.

L’âge : les enfants sont âgés de trois mois à seize ans. L’enfant rêvé,fantasmé, idéalisé lors de la période périnatale a donc fait place à l’enfant danssa réalité. Les liens d’attachement propres à la petite enfance, à la période delatence ou à l’adolescence se sont progressivement constitués (Grossmann& Grossmann, 1998 ; Main, 1998 ; Schaffer & Emerson, 1964).

Les parents sont dès à présent confrontés à un double traumatisme : le trau-matisme du décès d’un proche et celui de la mort d’un enfant qui va à l’encontrede l’ordre habituel des choses (les parents meurent avant l’enfant). La mort del’enfant constitue en soi un paradoxe qui vient bouleverser notre conceptionmême de la mort, celle-ci devant logiquement ne survenir qu’à un âge avancé(Brognon, 1998). Dès l’annonce du diagnostic, les parents sont confrontés àdes questions et préoccupations en lien avec leurs désirs et projections surl’enfant. Celles-ci touchent à la difficulté de continuer à investir un être qui nerépondra peut-être pas à leur désir de perpétuation, qui risque de les abandonneret les confronte à leur impuissance (Appelboom-Fondu, 1987).

L’annonce de la mort est traumatisante également en raison de son irre-présentabilité : comme le fait remarquer Pontalis (1998), nous ne pouvons paspenser notre propre mort. A ce sujet, Ernoult (2004, p. 487) écrit : « Il est dif-ficile voire impossible de se préparer à l’inconnu, à l’impensable, à l’inimagi-nable ». Cette particularité complique la préparation et l’anticipation du deuil.

Le contexte d’urgence : Après l’apparition de symptômes aspécifiques(céphalée, vomissement, troubles de l’équilibre, etc.) ou suite à un accidentgénéralement sur la voie publique, l’enfant est présenté aux urgences de l’hô-pital où il rencontre l’équipe soignante. Dans ce contexte de pré-diagnostic,des examens médicaux sont demandés pour comprendre l’origine de sessymptômes et/ou leur gravité. Le plus souvent, l’équipe médicale pluridisci-plinaire pose une indication de traitement neurochirurgical. Le neurochirurgiendemande aux parents de signer une décharge avant toute intervention chirur-gicale. Ce geste à valeur d’annonce implicite du risque létal. Après quelquesjours, ils reçoivent les résultats des analyses qui permettront de donner deséléments de diagnostic et de pronostic plus définitifs. Cette période se carac-térise par l’attente, l’incertitude et la crainte. L’expérience vécue dans ce lapsde temps affecte la réaction ultérieure au diagnostic proprement dit et l’imageque les parents se forgeront de l’équipe médicale. Cette période apparaît doncdéterminante pour l’installation de la relation de confiance entre les parents etles soignants.

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Le diagnostic : les enfants présentent des affections cérébrales gravestouchant potentiellement à leur devenir mental et physique. Ils souffrent soitd’une tumeur cérébrale ou médullaire, d’un traumatisme crânien sérieux (lepatient est resté au minimum durant trois heures dans le coma et/ou présente unscore sur l’échelle de Glasgow 4 (inférieur ou égal à huit sur quinze) ou d’uneaffection neurologique grave, aiguë ou chronique. Dans cette population, letaux de mortalité ou de morbidité est élevé. Même si l’issue n’est pas fatale, laquestion du devenir mental ou physique se pose. Dans tous les cas, les parentssont donc confrontés à un vécu d’incertitude concernant l’avenir de leur enfant.

La présence des parents : partant de l’idée que les parents sont essen-tiels pour répondre aux besoins de l’enfant hospitalisé, l’équipe soignantecherche à maintenir leur fonction pour garantir à l’enfant le maintien de sesrepères familiaux. Les parents sont encouragés à exercer leur rôle totalement,sans confusion ni rivalité avec les soignants. Ceci est important pour que lastructure familiale ne soit pas fragilisée, déséquilibrée, bouleversée et pour quel’enfant ne perde pas d’interlocuteurs fondamentaux pour lui (Oppenheim,1995). Cette continuité des repères familiaux et du rôle des parents est garan-tie par la présence continue de ces derniers auprès de l’enfant ; de plus, ils par-ticipent aux soins quotidiens, ont accès au dossier médical et partagent avecles soignants les décisions médicales.

Quelle que soit la situation rencontrée, l’annonce met donc en jeu troispartenaires : l’enfant, les parents et l’équipe soignante. Elle implique les soi-gnants dans l’émergence d’une réalité traumatisante pour les parents : la pertepotentielle de leur enfant.

Le traumatisme psychique

Le terme de « traumatisme » est issu du monde médical et chirurgical.Il désigne d’une part, un ensemble de lésions provoquées par un agent exté-rieur ainsi que les troubles qui en résultent, et d’autre part, l’action violente àla base de ces lésions.

Freud élargit le terme médical « traumatisme » au domaine psycholo-gique en en proposant la définition qui suit : « […] une expérience vécue quiapporte, en l’espace de peu de temps, un si fort accroissement d’excitation àla vie psychique que sa liquidation ou son élaboration par des moyens nor-

4 L’échelle de Glasgow, ou score de Glasgow (Glasgow coma scale, GCS), est un in-dicateur de l’état de conscience. Dans un contexte d’urgence, elle permet au méde-cin de choisir une stratégie dans l’optique du maintien des fonctions vitales.

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maux et habituels échoue, ce qui ne peut manquer d’entraîner des troublesdurables dans le fonctionnement énergétique » (in Laplanche & Pontalis,1967, p. 500). Il y a traumatisme quand il y a « non-abréaction de l’expériencequi demeure dans le psychisme comme un « corps étranger » (op. cit., p. 501).Le traumatisme psychique peut être associé ou non à des traumatismes phy-siques, sa cause pouvant dès lors être purement psychique. L’afflux d’excita-tion s’avère trop important pour être élaboré. Ainsi, le traumatisme ne sedéfinit pas en fonction des caractéristiques de l’événement mais bien de seseffets sur le psychisme. Le mécanisme décrit est le suivant : la frayeur ou lesaffects dysphoriques ressentis dans certaines circonstances déclenchent desprocessus psychiques inconscients produisant des effets psychiques commel’idée fixe ou des effets corporels à l’instar de la somatisation.

L’étymologie du mot traumatisme renvoie à la notion de blessure. Cemot est lui-même dérivé d’un autre terme apportant la notion de blessure aveceffraction (Laplanche & Pontalis, 1998), ce dernier concept ayant ensuite étédéveloppé par Sibertin-Blanc & Vidailhet (2003, p. 3) qui, revenant à son ori-gine juridique, définissent l’effraction comme « une intrusion et pénétrationen force laissant des traces durables de son passage ». On comprendra ainsique l’agent à l’origine de la rupture traumatique n’a pas seulement créé unebrèche dans le psychisme (modèle de la blessure) mais s’y est « installé,imposant territorialement sa présence et sa loi » (Sibertin-Blanc & Vidailhet,2003, p. 5). Nous rapprochons ceci de l’image d’un voleur qui s’introduit ànotre insu dans notre lieu de vie, ce qui signifie que l’enfant malade et sesparents sont habités par des éléments qu’ils ne comprennent pas, qui sont nonsymbolisables et qui se retrouvent projetés sur le soignant. La métaphore del’effraction permet donc de comprendre que l’équipe médicale est le récepta-cle d’éprouvés qui expriment la détresse des patients et de leur entourage.

Le traumatisme psychique chez les parents

Classiquement, on considère que le travail psychique suscité par letraumatisme conséquent à l’annonce du diagnostic d’une maladie grave, se dis-tribue autour de trois grandes périodes (effondrement, installation des méca-nismes de défense, acceptation du diagnostic). Ces trois périodes se rapprochentdu vécu à la suite d’un deuil (Quine & Pahl, 1987).

De nombreuses théories décrivent les réactions de deuil sous formed’étapes (Bowlby, 1969 ; Kübler-Ross, 1975 ; Saunders & Baines, 1986).Cependant aucune n’a fourni d’évidence empirique d’une séquence particu-lière et fixe. Rappelons ici que dans ses premiers travaux, Kübler-Ross (1975)

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avait émis l’idée que la personne traumatisée traversait une séquence de cinqétapes qualifiées de tâches émotionnelles. Ces étapes, ou tâches, sont les sui-vantes : refus, rage et colère, marchandage, dépression et acceptation. Par lasuite, les chercheurs n’ont pas observé toutes les étapes de Kübler-Ross etn’ont pu établir d’ordre spécifique. Etant donné qu’il existe plutôt une grandevariété de réponses dans le modèle et la chronologie des réactions émotionnel-les associées au deuil et au traumatisme (Bee & Boyd, 2003), il nous paraît pluspertinent de réfléchir en terme de composantes du traumatisme et du deuil.

Dans notre pratique, nous constatons que les premiers moments suivantl’annonce et l’introduction de l’idée de la mort de l’enfant correspondent àune période de tension extrême, avec sidération voire perte de contact à laréalité. Ce déclenchement inévitable d’un traumatisme authentique aveceffraction psychique correspond à la phase aiguë du deuil et induit des réac-tions variables, mais d’une intensité comparable pendant les premiers jours.L’annonce de la maladie de l’enfant est vécue comme une catastrophe, géné-ratrice d’une terrible angoisse, d’une souffrance et d’une douleur morale. Lesparents expriment des sentiments divers : colère, révolte, honte, peur, senti-ment d’effondrement et d’abattement extrême, dépression, incrédulité, déni,soulagement, isolement... Les références sur lesquelles se fondait leur exis-tence sont brusquement remises en question et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes est profondément altérée (Gillot de Vries & Detraux, 1998).

Pour Freud, le traumatisme est accompagné d’un choc violent surpre-nant le sujet qui ne s’y attendait pas, et qui s’accompagne d’effroi. L’effroi estl’« état qui survient quand on tombe dans une situation dangereuse sans y êtrepréparé » (Freud, 1920). Les traumatismes suscités par l’annonce de l’unedes maladies graves auxquelles nous nous intéressons, ont tous en commund’avoir suscité chez les parents qui les ont vécus, un intense effroi. Il s’agitd’un événement réel, précis et datable, ayant représenté un danger pour la viede leur enfant, qui s’est produit dans la surprise et l’impréparation et qui con-cerne un événement irreprésentable (la mort de leur enfant).

L’événement de l’annonce provoque un afflux d’excitation qui menacel’intégrité des parents ; ceux-ci ne peuvent répondre ni par une décharge adé-quate, ni par une élaboration psychique. Débordés dans leurs fonctions deliaison, ils répéteront de façon compulsive, notamment sous forme d’imageset de rêves, la situation traumatique, afin de tenter de la lier. Bailly, Golse& Soulé (1985) soulignent le fait que les rêves ont un rôle de liaison qui viseà abréagir les tensions excessives. Dans notre clinique, on constate plutôt queles parents gardent en mémoire dans le psychisme des images très précises,

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non mentalisées et non intégrées de l’annonce du diagnostic, comme s’il yavait un « avant » et un « après » sans lien entre eux. Cette image traumatiqueinstalle une menace interne, source d’angoisse qui aura ses effets dans l’immé-diat mais aussi sur le long terme. Elle traverse l’appareil psychique sans trou-ver de représentation pour la recueillir (De Clercq & Lebigot, 2001). Lorsqueces images de l’annonce surgissent chez les parents, elles le font au tempsprésent, comme un événement en train de se produire.

Le choc qui accompagne le traumatisme est équivalent à l’anéantisse-ment du sentiment de soi, de la capacité d’agir et de penser en vue de défendrele Soi propre. La conséquence immédiate de cet état est de produire del’angoisse. On constate une paralysie de la pensée efficiente et une incapacitéd’élaboration qui témoignent du pouvoir de déliaison de l’événement trau-matique et de son vécu. Dans la clinique, le vécu traumatique de l’annonces’accompagne très fréquemment de désir de mort pour soi et pour l’enfant, desentiment de culpabilité et de remise en cause de tous les repères. L’intensitéde ce vécu peut parfois aller jusqu’à menacer la structuration de la personna-lité des parents et les conduire à un véritable effondrement psychique.

Si les premiers moments suivant l’annonce du diagnostic de maladiegrave sont placés sous l’égide de la sidération et du refus, une autre compo-sante du travail psychique est celle de la dépression, du chagrin, de la honteet de l’impuissance entachée de culpabilité qui vient se confondre avec la res-ponsabilité parentale. Cette composante, que nous pourrions qualifier de « posi-tion d’aménagement », correspond à la mise en place d’attitudes défensives etde mécanismes d’adaptation pour faire face au diagnostic et à la situation decrise. Les parents vont élaborer des défenses dont certaines sont immédiateset d’autres d’apparition plus progressive.

Les réactions les plus courantes sur le plan individuel correspondent audéni de la réalité, la dénégation du diagnostic (Corbet & Greco, 1994), à l’iso-lation des affects, à la révolte contre le médecin annonceur ou contre le corpsmédical de façon générale, au rejet de l’enfant (Derome, 2005), à la mise enplace de mécanismes de contrôle, à la surprotection de l’enfant (Gillot-deVries, Detraux, 1998), au repli familial et à l’isolement.

La dénégation se manifeste par le refus du diagnostic, la quête d’aviscontradictoire auprès d’autres spécialistes ou encore par l’oubli partiel oul’incompréhension du diagnostic. Dans le cas de l’isolation des affects, nousconstatons une pauvreté de verbalisation et d’élaboration chez les parentspouvant aller jusqu’à un fonctionnement opératoire. Parfois, celui-ci s’accom-pagne d’une activité motrice incessante avec épuisement physique, comme si

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les parents cherchent à canaliser l’énergie psychique mise en mouvement parl’annonce. Nous observons fréquemment la mise en place de mécanismes decontrôle et des tentatives de rationalisation se manifestant par la sur-intellec-tualisation, une quête effrénée étiologique (sur internet, dans des livres, surles forums d’entraide destinés aux parents, etc.), le recours à des « solutionsmagiques »... L’ambivalence envers l’enfant voire son rejet comme dans lecadre du deuil anticipé peut se traduire par le refus de le voir ou par l’évoca-tion de l’euthanasie.

Ces mécanismes permettent tous au Moi de se protéger face à un tropplein d’excitation (de Tychey, 2001). Utilisés de manière souple, ces méca-nismes de défense diminuent le choc et constituent une étape préliminaire autravail d’élaboration mentale ultérieur. Utilisés de manière rigide, ils n’ouvrentpas vers la mentalisation et contribuent à maintenir une adaptation sociale desurface. Selon de Tychey (2001, p. 57), seule la mentalisation se révèle capa-ble de structurer plus durablement le vécu de l’individu. « Nous postulons quela mentalisation constitue le processus intrapsychique essentiel qui vient fon-der la capacité de résilience du sujet ». Nous développerons cette réflexiondans le point suivant.

D’autres mécanismes défensifs se situent davantage sur le plan socio-logique : les parents peuvent s’appuyer sur un idéal (religieux par exemple)pour redonner du sens à cette épreuve et/ou adhérer à une association pourtenter de compenser de manière active et de partager la souffrance (Roy,Molenat & Visier, 1989).

Ce travail de mise en place de mécanismes défensifs (individuels ouplus sociologiques) s’accompagne d’un vécu de culpabilité parentale. Plu-sieurs parents rapportent le sentiment « d’être pour quelque chose dans lamaladie de l’enfant », d’autres se sentent coupables de « ne pas avoir étéattentifs aux symptômes précurseurs de la maladie ». Parfois le sentiment deculpabilité paraît dénié ou camouflé derrière des attitudes hyper-protectrices.Souvent inconsciente, la culpabilité est alors rationalisée ou projetée à l’exté-rieur (recherche d’un coupable). De façon générale, nous constatons que lesentiment de culpabilité heurte le narcissisme parental et ébranle leur con-fiance dans la capacité à être parent, comme si fantasmatiquement la maladiede leur enfant était le résultat d’une insuffisance de l’amour et des soins qu’ilslui ont prodigués (De Clercq & Lebigot, 2001). Les parents que nous rencon-trons ont souvent l’impression de « ne pas avoir été capables de protéger leurenfant contre tout ce qui est nuisible ou pénible ». Devant l’évidence de lapathologie, ils se découvrent « impuissants » et « incapables d’aider ». Ils

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remettent en question la légitimité de leur statut face à l’enfant (Oppenheim,1995).

Après les réactions de sidération et de défense/adaptation, nous obser-vons, dans les cas les plus favorables, une possibilité d’acceptation du dia-gnostic. Des régressions sont bien sûr possibles à chaque étape du traitement,après chaque crise du cycle de vie, voire même à l’occasion d’événement devie comme la rentrée scolaire. La clinique nous montre que l’évolution ulté-rieure des parents (et de l’enfant) varie fortement et dépend de multiples fac-teurs venant moduler l’impact traumatique de l’annonce de la maladie : lescapacités de l’enfant, la personnalité des parents, le soutien et l’étayage pro-curés par l’entourage (famille élargie, école…). Si on s’accorde sur le fait quec’est l’histoire de chaque famille, de chaque couple, de chaque parent, quiconditionne la réaction et les capacités de réaménagement psychique suiteà l’annonce du diagnostic, la pratique nous apprend que les relations soi-gnants/parents modulent celles-ci et vont également déterminer les suites del’événement vécu comme traumatique et désorganisant. Les répercussionspsychologiques du traumatisme que nous avons évoquées constituent desaxes autour desquels s’organiseront le vécu et les actes du soignant et sonécoute (De Clercq & Lebigot, 2001).

Le traumatisme psychique chez les soignants

Il y a moins de travaux spécifiques sur le vécu des soignants confrontésà la révélation d’un diagnostic. Il semble souvent difficile de dissocier ce qu’ilen est des difficultés du soignant, des difficultés des parents tant paraît fré-quente l’implication émotionnelle des intervenants dans cette relation (Roy,Guilleret, Visier & Molenat, 1989).

Les soignants parlent de la détection et de l’annonce comme d’un« temps de crise » à l’égard duquel ils ne sont pas préparés. Les profession-nels expriment des sentiments de détresse et de doute. Or, ceux-ci sont inten-sifiés par l’angoisse parentale (Gillot de Vries & Detraux, 1998). L’annonceest, pour le soignant, un moment souvent déroutant dans la remise en causede sa capacité à « guérir », dans la confrontation avec la souffrance aiguë desparents. Tout comme les parents, il est envahi par un sentiment d’impuissance(devant l’enfant et devant les parents). Il est tenté de substituer ses proprespoints de repère issus du champ médical, à ceux des parents. Par exemple, ilrisque d’utiliser un vocabulaire d’autant plus technique que la maladie est malconnue ou l’avenir de l’enfant, sombre. Il ne sait pas toujours comment ren-dre accessibles à la famille ses propres connaissances et est désorienté quand

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les parents paraissent ne pas l’avoir compris et posent et reposent encore lesmêmes questions.

Il arrive que les soignants soient « choqués » eux aussi et n’aient pas,à ce moment-là, les capacités nécessaires pour rassurer les parents vu leurspropres inquiétudes. Il y a un risque alors d’assister à une absence totale deverbalisation, voire une omission de l’annonce. Ce non-dit se vit de manièredramatique par les parents qui, là aussi, s’imaginent que si l’on ne peut pasmettre de mots sur ce qui se passe, c’est forcément bien pire encore que cequ’ils imaginent. Cela ouvre la porte à la fantasmatique la plus terrifiante qui,même si elle ne dure que quelques heures, laisse des souvenirs très pénibles.

Les soignants se sentent parfois très seuls et en plein désarroi. Faute detrouver une sécurité suffisante, ils ne peuvent alors éviter de se défendre eux-mêmes : par exemple, en tentant d’évacuer le problème ou en transférantl’enfant dans un autre service sans raison médicale réelle, en masquant lenégatif pour rassurer, ou au contraire en ne disant que le négatif avec un sen-timent d’impuissance totale, enfin en fuyant les parents (Roy, Guilleret,Visier & Molenat, 1989).

La difficulté qui se présente aux soignants au moment du diagnostic estdouble : essayer de préserver la distance qui permet de soigner, en résistant àl’envie de s’abandonner sans retenue à l’émotion, et éviter la banalisation encontinuant à porter un regard neuf sur chaque expérience individuelle et enreconnaissant la diversité malgré les réactions souvent stéréotypées qu’entraînel’annonce d’un diagnostic.

L’annonce : au-delà du traumatisme

Nous venons de voir combien la découverte d’une maladie grave (et cha-que étape de l’évolution de la maladie) déclenche un traumatisme, aussi bienchez les parents que chez les soignants, et constitue une phase critique quienglobe de nouveaux acteurs dont les enjeux partagés créent de nouvelles rela-tions sociales (Guex, 1990). Le soignant attend une collaboration optimale de lapart de l’enfant malade et de ses parents et une soumission aux moyens diagnos-tiques et thérapeutiques. De son côté, la famille attend que les soignants s’adap-tent à l’enfant et que les rôles respectifs des parents et soignants soient maintenus.

Dans cette perspective, il nous paraît intéressant de s’interroger sur lescaractéristiques et la fonction du moment de l’annonce d’une maladie infan-tile grave aux parents. Quel est le rôle du soignant et du psychologue à cemoment précis ?

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Nous pensons que l’annonce – au-delà de son rôle de déclencheur detraumatisme – peut remplir un triple rôle :

a) Elle permet le partage des connaissances du soignant, du savoir duparent et de l’histoire de la famille par la mise en mots et l’acquisitiond’un sens pour ce qui leur arrive;

b) Elle fournit un étayage relationnel et contribue à installer une relation deconfiance, une alliance thérapeutique entre les soignants et les parents ;

c) Elle contribue à relancer les processus psychiques parentaux arrêtés etfavorise la « résilience » face à la maladie grave de leur enfant.

1. Il nous semble important d’insister sur le fait que l’annonce corres-pond à un moment « co-construit » au cours duquel les soignants et les parentspartagent leurs connaissances et leurs savoirs. L’annonce est quelque part« créée » par la rencontre entre le savoir du parent et la connaissance du soi-gnant. Le médecin et les infirmiers reçoivent les informations sur la maladiepar les parents, en fonction de leur ressenti. Le soignant débute son discoursà partir des suspicions et des inquiétudes parentales. Il aligne le jugement desparents sur celui des professionnels, ce qui permet de corriger les faussesinformations tout en laissant une place à l’écoute (Derome, 2005). Ainsi, leparent est reconnu par le soignant, il garde son rôle de parent auprès de sonenfant malade.

Au cours de l’annonce, nous notons chez les parents un filtrage sélectifdes informations fournies. Cette protection est liée au traumatisme et à lasidération, elle empêche le message de parvenir intégralement aux parents. Ilimporte donc de laisser cheminer ces parents, sans trop anticiper sur les infor-mations données, mais en leur fournissant suffisamment de matériel pour queles questions puissent être posées en leur temps et pour qu’ils puissent donnerun sens à ce qui arrive à leur enfant et à leur famille.

Signalons ici que le mécanisme de l’après-coup est nécessaire pourcomprendre ce qui est en jeu dans les réactions de chacun. Le traumatismeactuel vient réactiver des traumatismes plus anciens que l’on croyait enfouiset le travail de soutien passe par la verbalisation de l’histoire ancienne afin deparvenir à une possible élaboration du traumatisme actuel. Le soutien psycho-logique doit être proposé systématiquement et le plus précocement possible.C’est à ce moment et en ce lieu que se joue une partie sans doute très impor-tante pour le futur de l’enfant (Schlenker, Montoya, Maury & Visier, 1998).

2. L’annonce du diagnostic de l’enfant apparaît comme étant l’un desmoments fondateurs de la dynamique relationnelle et notamment de l’instal-lation d’une relation de confiance entre les soignants et les parents. L’étayage

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relationnel soignant/parent permet l’installation d’une bonne contenance rela-tionnelle parent-enfant au sein de l’hôpital. Ce soutien nous semble primordialpour que les parents ne se sentent pas exclus des soins donnés à l’enfant (Razavi& Delvaux, 1998). Une alliance famille/équipe médicale est indispensablepour initier les investigations et pour pouvoir assumer les traitements, leurseffets secondaires et les hospitalisations prolongées (Razavi & Delvaux, 1998).

3. Par la désignation explicite de la maladie et la mise en mots del’expérience (que les parents, l’enfant et sa fratrie traversent), le moment del’annonce du diagnostic favorise l’aménagement d’un « espace de temps »qui aide les parents à s’extraire de la sidération initiale et favorise l’installa-tion de mécanismes d’élaboration et de symbolisation: en effet la maladie, sacurabilité ou un deuil ont besoin d’être élaborés. Au cours de l’annonce, il estimportant de rester attentif au psychisme parental (à l’ambivalence qu’ilspeuvent montrer, par exemple) et en particulier à la culpabilité que déclenchechez eux le diagnostic de la maladie grave de leur enfant : elle risque d’entraînerun effondrement dépressif et un surcroît de souffrance (De Clercq & Lebigot,2001). Pour que ce moment ait valeur de « relanceur du processus psychique »ou de « facteur de résilience », le soignant devrait se montrer disponible etcapable d’« écouter la souffrance des parents ». De plus, il faut être attentif àce que l’investissement massif de « l’enfant réel » par les soins médicaux(réalité extérieure) ne prenne le pas sur la prise en considération du psychismeparental et de l’enfant (Brun, 1989).

Au sein du monde médical auquel l’enfant malade et ses parents sontconfrontés, le psychologue propose un espace, un temps, un appui permettantà chacun de ressentir ce qu’il vit, de parler et d’exister par rapport à ce qui luiarrive. Il propose un autre cadre afin de ne plus être pris dans les logiques del’immédiat, de l’agir et de la précipitation et de bénéficier d’un minimum requispour qu’il y ait une place pour le sujet dans sa singularité. L’existence d’entre-tiens psychologiques permet le maintien d’une activité de penser. Celle-ciaide à éviter une déstructuration ou un repli vers un fonctionnement opéra-toire du fait de l’importance particulière accordée par la médecine aux don-nées techniques (Lazarovici, 1986). Le rôle du psychologue est de favoriserla formulation des pensées inconscientes induites par la maladie ou réactivéespar elle chez l’enfant aussi bien que chez ses parents, de façon à ce que chacunpuisse préserver (ou retrouver) son identité et sa place dans la structure fami-liale. Face au diagnostic qui est source du traumatisme, il est important queles parents s’engagent dans un travail de symbolisation progressive afin de nepas être écrasés sous le poids de la réalité et de préserver leur liberté de penséeet d’action (Oppenheim, 1995). Les moyens psychiques mis en place par les

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parents (et l’enfant) portent les traces de la perte subie au niveau du Moi.« Sortir du trauma, c’est souvent retrouver pas à pas, non sans difficulté, nonsans souffrance la voie d’une symbolisation » (Bertrand, 2002, p. 23).

L’annonce de la maladie grave d’un enfant suscite un traumatismechez les parents mais il semble qu’elle offre en même temps une possibilitéde favoriser leur « résilience » face à la situation extrêmement difficile qu’ilstraversent.

Selon de Tychey (2001, p. 50), la résilience se définit comme « la capacitéde l’individu de se construire et de vivre de manière satisfaisante malgré les dif-ficultés et les situations traumatiques auxquelles il peut se trouver confronté ».Dans une perspective développementale, la résilience se réfère au maintien d’undéveloppement normal face à des circonstances difficiles (Anaut, 2003) et à lacapacité du sujet à surmonter ses traumatismes (Lemay, 2002).

De nombreux facteurs et déterminants interviennent au niveau de larésilience (Cyrulnik, 1999). La plupart des auteurs s’accordent sur le fait qu’ellese construit dans l’interaction sujet-environnement (interaction entre parents,enfant et soignants dans ce cas-ci). Les « facteurs de protection » (à un niveauindividuel, familial ou extrafamilial) permettent tous d’améliorer l’estime desoi et l’auto-efficacité. Se vivre comme « sujet actif » (en gardant le rôle deparent) ainsi que la capacité de pouvoir prendre une certaine distance vis-à-visdes événements (en mentalisant) apparaissent comme des éléments essentiels.Néanmoins il s’agit d’un concept valable à un moment donné, à l’image desnotions de deuil et de traumatisme (nous l’avons vu, des régressions sont eneffet possibles). Capacité résultant d’un processus dynamique évolutif, la rési-lience n’est en effet jamais acquise une fois pour toute (Tomkiewicz, 2001).

Conclusion

Cet article montre que les parents recevant un diagnostic grave à pro-pos de leur enfant sont confrontés aux mêmes processus psychiques et méca-nismes de défense que les personnes ayant vécu un traumatisme. Leur vécuinclut des sentiments d’angoisse, d’abattement, d’isolement et des aspects ambi-valents : révolte, honte, culpabilité, désir de mort pour soi et pour l’enfant…Ces sentiments s’accompagnent d’une importante souffrance. Du côté dessoignants, nous observons également un « traumatisme par contagion » et dessentiments négatifs intensifiés par l’angoisse parentale. La réémergence trau-matique et la confrontation répétée au traumatisme des parents réactivent lestraumatismes du passé du soignant.

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La manière dont l’annonce est réalisée et dont l’information médicaleest transmise, la disponibilité, la cohérence, l’étayage relationnel et l’accompa-gnement proposé aux familles jouent un rôle fondamental et conditionnent enpartie l’acceptation et la résilience face à la situation. Le moment de l’annoncedu diagnostic doit permettre d’aménager un espace de temps aux parents pours’arracher à la sidération et permettre au mécanisme d’élaboration de s’ins-taller : élaboration par rapport à la maladie, à la curabilité ou au deuil. D’unemanière générale, avant d’agir, il faut anticiper et préparer l’annonce auxparents. Il est important de transmettre son message mais aussi d’écouter lesavoir des parents. Les objectifs peuvent se récapituler comme suit: installerune relation de confiance, favoriser un rôle actif chez les parents, partager lesdécisions et favoriser l’expression émotionnelle. Prendre le temps de travaillerla relation de confiance entre chaque personne est nécessaire. La qualité del’écoute, l’empathie, le soutien et la manière de communiquer sont les prémis-ses pour permettre une bonne adaptation familiale au monde traumatique del’hôpital.

La qualité de l’annonce est favorisée en donnant un support aux soi-gnants sur un plan théorique mais aussi sur un plan émotionnel : formationmédicale continue, formation au niveau des compétences en communicationet aux réactions émotionnelles à l’annonce (les informer sur les processus dedeuil, les traumatismes, leurs difficultés, etc.). Un travail de soutien, d’écouteet de supervision des équipes, dans un esprit de collaboration interdisciplinaire,semble également capital pour garantir une cohérence vis-à-vis de l’enfant etde ses parents. Pour renforcer la collaboration pluridisciplinaire transversaleet donc la cohérence, la présence d’une infirmière au moment de l’annonce,l’instauration d’un « médecin de référence » et la participation du psycholo-gue aux réunions sont judicieux. De même, il semble porteur d’organiser desdiscussions pluridisciplinaires préalables, de favoriser les réunions de l’annon-ceur avec les soignants participant à la prise en charge globale et de transmettrele contenu de l’information à toute l’équipe (résultats de l’étude « Annonce dediagnostics graves en pédiatrie » réalisée à l’hôpital Erasme de 2001-2005).Ceci rejoint les recommandations faites par l’équipe du Service de Pédiatrie,Réanimation infantile, Rééducation neurorespiratoire de l’Hôpital Raymond-Poincaré (Derome, 2005). Elle préconise que les intervenants se réunissent pouranalyser la situation de chaque enfant, ceci constituant une sorte d’annonce àl’intérieur de l’équipe. La verbalisation du pronostic fatal au sein du groupede soignants permet de présenter ensuite des attitudes cohérentes aux parentsqui perçoivent le moindre doute. Cette équipe précise également que l’accom-pagnement en fin de vie nécessite de préserver l’équilibre psychologique de

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chaque membre soignant. Pour cela, l’organisation du travail est prévue parsous-groupes de deux en vue de diminuer l’angoisse des soignants et de leurpermettre de verbaliser ensemble leurs vécus (Derome, 2005).

En conclusion, nous tenons à souligner le fait que dans la situationd’un enfant malade, le travail en équipe est nécessaire pour clarifier et média-tiser des réactions trop passionnelles ou trop individuelles dont les consé-quences sont parfois néfastes. La réalisation de supervisions avec un tiersextérieur peut mettre en lumière et favoriser la compréhension des projec-tions conscientes et inconscientes et de ce que nous avons qualifié de « trau-matismes par contagion ». En invitant les soignants à porter un regard critiquesur leur manière de fonctionner, on leur permet de mieux comprendre ladynamique familiale à laquelle ils font écho et de réagir de manière adaptéeà chaque nouvelle famille.

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