le « musée vivant » raconte sa propre histoire : une première lecture de l'united states...

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editorial De la dipuession dans l'art Entretiens Quelle politique rulturelle ? La collzlna~de publiqme : 19@uvre du troisi2me type Grand Article Walter B e ~ j a m i ~ , Sur l'ecole de Fra~cfort Memorial Museum

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editorial De la dipuession dans l'art

Entretiens Quelle politique rulturelle ? La collzlna~de publiqme : 19@uvre du troisi2me type

Grand Article Walter B e ~ j a m i ~ , Sur l'ecole de Fra~cfort

Memorial Museum

Directerrr. : Yves Char l e s Zarka Corlseil de dircctio~i : Did ie r D e l e u l e , Franck t e s s a y

Re'clncfeilr ejl chef : Rober t Darnien Secre'tnire scieiitifiqrre de re'dnction : S e r g e Trot te in Assistnirlc scielltifiqlrc de ~idncliolr : Lynda Lo t t e

c o~ r rk DE R ~ D A C T I O N Cditorini : Yves Char l e s Zarka

Dossier : R o b e r t Darnien Ellfretie11 : R o b e r t Darnien

Dibaf : Christ ian Lazzeri, E m m a n u e l Picavet, P ier re D e m e u l e n a e r e Gr.crird nrficle : Yves Char les Zarka

Fnits et felzdnnces : E m m a n u e l Picavet Allnlysc dl/ discorrrs polifirjrre : Luc Borot

Lexiqrre ~oliliqlle : Christ ian t azze r i , Luc Fo i sneau AcfirnIild de In r.echercfre : Francesco Pao lo A d o r n o

Lcs pcnsc;::5 yolitiqrt~s corrfe~~;pounitts : Franck Lessay Recellsiorls : Laurent jaffro

Bibling~fiphi~ : Thierry Meni s s i e r Relntiorls extdrierrl-es : Thierry Meni s s i e r

CorjritCde lectiirp : Nicolas Aumonier , Joce lyn Benois t . Maria Bonnafous-Boucher , jean-Franqois Braunste in , J e a n - P i e r r e Cl6t-o, MichPle Cohen-Hal imi ,

P ie r re D e m e u l e n a e r e , R o b e r t D u m a s , Cynthia Fleury, Luc Fo i sneau , l e a n G a y o n , Carol ine C u i b e t Lafaye, lean-Franqois Kervegan , I sabe l l e Laudier , S a n d r a Laugier,

Agnks Lejbowicz, Pier re Lurbe , D o m i n i q u e M e d a . Mart ine P e c h a r m a n , Sylvie Taussig, S e r g e Trot te in , Mikhail Xifaras, Joelle Zask.

CONSEIL DE R ~ D A C T I O N Luc Borot, Hkli tne Bouchillotax, l v e s Radrizzani, l ean -Lou i s Bre teau ,

M a r k - E u c e D e m o n e t , A lessandro Fon tana , Pierre Melandr i , Danie l Parrochia, G u y P e t i t d e m a n g e . Ph i l ippe Rouss in , J e a n - F a b i e n Spi tz .

C O M I T ~ S C I E N T I F I Q U E INTERNATIONAL A//e,~mg~te : Earlfriedrich H e r b , Bernd Ludwig

Argentirte : Margarita Cos ta , Maria Lukac de S t i e r Belgiqlre : G u y Haarsche r Bre'sil : D e n i s Rosenf ie id

Clsnndn : Richard B o d 6 u s , T h o m a s D e Koninck, Gi lbe r t Larochel le , A n d r e Mineau , Danie l Weins tock

Espngne : Miguel G r a n a d a , Jav ie r Pefia e t a t s - ~ i ~ i s : Knud H a a k o n s s e n , Harvey C. Mansf ie ld , Patrick Riley,

S tan ley Rosen , ).B. S c h n e e w i n d Isme/ : Marcelo Dascal , Elhanan Yakira

]italic : Alber t a Andrea t t a , Enzo Baldini , Gianfranco Borrelli, C u i d o Canziani, F rancesco D e Sanct is , Vittorio Dini, R o b e r t o Espos i to , Enrico Nuzzo, D i e g o Quaglioni,

Silvio S u p p a , D o m e n i c o Taranto , Franeo T o d e s c a n

Le (( musee vivant N raconte -- ----A l ?""an ]orS.ql ZAD S& prOpre histoire : une y r ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ c L c L k w 1

de /'United Stdtes Holocaust Memorial Museum

La curiositt persistanre des lecreurs de Primo Levi a pris souvent une forme interrogarive ec a suscitt son engagement. Sa rtponse ii la question u Etes-vous retourn6 B Auschwitz ! F) se trouve dans un appendice joint B l'edition scolaire de 5e guesto 2 un uomo longtemps aprks sa premitre parution'. 153

La rCponse esr oui. Levi esr recourni en 1965 sur les Iieux de sa capti- vitk. ~h camp d7Auschwitz stricto sensu, {{ la capitale administrative de Ee m ~ i t uivaai3 . . rao~fi . I'empire )), a ctdk, encre-cemps, I'obsession d'instruire. Tentanr de le sa prclpn h~zkllre :

unt pmihr haar t rendre lisible pour une imagination contemporaine, (( le gouvernement dI,UBiitdsuiaHobtd~ polonais l'avait transform6 en une sorre de monument national, les bara- Mmtonal M w m ques avaienc 6td nettoyees et vernies, des arbres avaient BC plantts, des J). A. Mqm parterres configur6 )). Levi nous explique pourquoi cer Auschwitz renou- velk ne l'a pas ~ o u c h t :

1

C'est un mzrsie pogr /'exposition des rziriosith mistmbles : des tonne5 de 1 J.

cheueux humains, des rentaines de milliers de izmettes, dde peignes, de blai- reaux, des poupies) ddes chausstrres de bib P ; ntanmoins, r 'est toujo~rs un

1. Je remercie fonemenr pour leurs lectures perspicaces er udles des versions antkrieures de cet essai Daniel Cefai, Yves Hersant, Marie-Jose Mondzain, Efchymia Rentzou, Yan Thomas, Sophie Wahnich, Linda M. G. Zerilli er les membres du stminaire du Groupc de sociologie politique et morale B l'lkole des haures erudes en sciences sociales B Paris. En dipit de la gPnirositC de ces collk- gues et de l'esprir B la fois patient et incisif d'Isabelle Moreau, jc suis, bien kvvidemmenr, respon- sable de routes 1cs erreurs qui resrent. En ciranr Primo Levi, Se quesro i un uomo, Torino, Einaudi, 1976, je rraduis, cornme pour tous 1es rexres d'originc non frangaisc.

muske, gzrelgue chose de ztatiqtr e, rkordonnk, comme une lettre illicitement otlverte et rescellke. Le camp en tier m ;? semblk comme trn muskel.

I1 s'agit clairement d'un reproche. Les traces laissCes par les victimes itaient devenues <( curiosit6s s. Les espaces didits A leur mtmoire restaient sans aucune empreinre de la lurte d6sordonnCe pour la vie. Leur dispari- tion fatidique Crait ainsi redoublte. LB ob Levi m@me, dans son livre, avait rCussi A faire reapparaitre leur vie B travers la narration de l'espace paradig- marique de la mort, le camp conceniraiionnaire, meme restaui6, n'avait resrauri personne. Aprts Auschwitz, m@me Auschwitz Ctait devenu impossible. Le musee de la mort &lait un musee mort'.

&rts 1378, ce problkme rerrible de la reprisencation a prdoccupk les membres d'une commission sur IYHolocauste aux gtars-~nis , comman- ditke par le prisident Carter et chargie de crier un mtmorial pour la nation amtricaine'. Trts vite, le projet s'est tournt vers 19idie d'un musee. Un groupe de rtflexion sur le contenu tventuel d9une exposition perma- nence a fait en 1979 un (( pelerinage D sur plusieurs sit-es europtens liCs A 1'Holocausre. Le groupe men6 par Benjamin Mead, un survivant du ghetto de Varsovie devenu ciroyen amtricain, a visit6 Auschwitz long- temps aprks Primo Levi. Mead a trouvi la situation pire encore : (( Au cours des anntes, ecrir-il, Auschwitz a ttt transform6 en Mecque de touristes, avec des stands de souvenirs, des magasins, des kiosques de rafraichissemenrs, des parkings pour bus d'excursion et des vendeurs qui marchent parmi les foules colporrant des cartes postdes er des casse- crofite. r4 Mime avec le brouhaha des foules, Auschwitz resrait un lieu mort. Aucun membre de la commission n'a voulu que le fumr muste de Washington soit ainsi. Ce muste devait &re plus qu9une simple boEte d'artefacrs ..., un recipient neutre qui n'a rien A nous raconter ))5.

1. Levi (1976), op. cite> appendice, quesrion 4. 2. Nota bene : meme si cerre formule rappelle le trope familier de Elie Wiesel - u ... no one can

retell Auschwitz afier Auschwitz. The rrurh of Auschwitz remains hidden in its ashes ... )$ - ce que Levi veur nous dire n'apparrienr pas au rnysricisrne de ce dernier. Cf. lie Wiesel cite dans n Art and the Holocaust : Trivializing iClsmory ,,, in The New York Timer, 11 juin 1989, reproduir dans Tony Kushncr, The Hoiorairrt mid the Libeuzl I~~iagi~intion. Oxford, Dlacheil, 1994.

3. L'ordre exicutif no 12093 du 1.. novernbre 1978 a cred la Prtsidenti Commission on the Holocau~r. Voir Edward T. de Linenrhal, PreservingMemoy, New York, Viking Press, 1995, p. 23. Dans cet essai, un certain nombre d'excmplcs du discours concernant ~ 'USHAIM sonr tires de IYouvrage de Linenrhal. Sauf exception indiquie, rous ies numiros de pages enrre parenrhlses insiris dans le rexce fone rtference B ce livre.

4, CitC dans Linenehal ( I C)95), op. cit., p. 30-3 1. 5. J. I. Freed, citC dans Linenrhal (1995), op. cit., p. 86.

Le fait qu'un dCsir de raconter se soit manifest6 chez les crtareurs du Unitedstates Holocaust Memorial Museum (USHMM) n'esr pas particulitre- ment surprenant. Cela rient en partie au sujet. L'injonction de raconter - de mettre lI'exptrience en ricir pour lui donner du poids dans l'Histoirel - constime un aspect important du sens commun emergeant autour de l'Holocauste2. Les administrateurs I'ont send et I'onr rendu explicite ; plus rard cela est devenu une partie de l'image publique officielle du musCe. Mais, aTrec le dkplacemenr de cer impkratif d'un contexte mimorialvers un contexte muskal, la significadon de ce M raconter )) s'esr radicalemenr trans- formte. Un an aprks l'ouver~ure du musee, Naomi Paiss, directrice des rela- tions publiques, s'est exprimCe de la f a ~ o n suivante : c( Tandis que les conse&areuis traditionnels de musee refltchissenr ainsi : Nous avons cetre collection merveilleuse, comment l'exposer ?, les planificareurs de I'USHMM ont consu leur projet d'une manikre diffkrente : Nous, avons cette histoire knormkment dificile ; comment pouvons-nous la raconter ! *3

Le ddplacement de (4 exposer B 8 s raconrer )) s'est ainsi offerr comme solutionau problkme Cvoque par Primo Levi d'un musie mort )) ex muet. De fait, avant meme la premiere rtunion de la Presidefit: Commirsion on tht heo~ocaust et jusqu'8 i'ouverrure de I'USHMM, I'impkratif de << raconter I'histoire )) s'est trouvC irroitement liC B I'idie de crker - pour reprendre leurs propres rerrnes - un mkmorial vivant. Mais pourquoi imaginer que le faic de raconter puisse faire revivre le muste et son histoire ! Lr K musit vivant a racankp

La rkponse B cette question fair ici appel B une liaison trks ttroite enrre wrpruprc bistoirc : la vie et l'idke de peerh5. Au-deli de certe liaison, le probltme est cepen- unc prnnihc k m r e

h i'Unitcd S~atcs Holacrllrst M m o d Mutllm

1. Cf. l'argument de Paul &cazur9 Tmpr r t ricit, Paris, Editions du Seuil, 1983-5, parrim. 2, Voir, par exemple, Peter Novick, The Molowwt in American L+, Boston, Hougheon

P. d Mqm

Mifflin, 1995, er ~ e t k Alexander Meyers, a The Holocausr in h e r k i n Life ? x, in European journal ofSociaL Theory, voi. 55, no 1, 2002, p. 149- 164.

3. Entreuen de I'auteur avec Naomi Paiss B I'USHMM, Washington, DC. Pour une perspecrive sociologique sur les transformations du r6le des conservareurs de muste, voir Narhalie Hcinich et Michael Poflak, n Du conservareur de musCe B I'aureur d'exposidons : l'invenrion d'une position singdiere D, in Sociologie du travaii,

4. Plusieurs des rnembres de la Commission du Prdsidenr x onr aim& 19expression "m6rnorial vivant" et pour deux tiers d'entre eux ceci a signifii des programmes Cducarifs ... n (Linenrhal, p. 1 10 ; voir aussi p. 24,34, 37,60,72, 1 14, 13.5. 182). Dans Jeshajahu Weinberg et Rina Elielia, Thr Holocaust Mureurn in Waihingron, New York, ILzroIi, 1995, Weinberg tcrir que les r chree principal components D du n musee vivanr D devraient &re cc a Narional Holocaust Memo- rial I Museum ; an educational foundation, and a Committee on Conscience )), et montre que mCme le Congrks arnkricain a adopre les termer memorial vivanr fi (voir sa page 20 er pasrim).

5. I1 n'udsre pas d'dquivdent au mot angiais spepch, qui, dans le sens oh je I'empioie ici, signifie B la fois la capaciti d'uriliser ies mots parlis B produirs des sEers dans ies rapports avec aurrui, er Ie

dant renouveld par le geste muskographique. L'Cquation vie = speech a un sens bien plus littdrd quand il s'agiz d'un &re humain qui parle. Quand, au contraire, l'histoire prend une forme objective, tel un musee, le sens est rien moins qu'ivident. Donner une forme narrative au musde ne rbout pas la question de e qui parle ! a'. Bien plus, ainsi que Levi le souligne, I'objet mtdian est un musee, une chose morte. Ainsi, en dtpit de ce que disait Naomi Paiss, ce qui est en jeu ici, ce ne serait pas le

I 1, remplacemen~ ae 1 exposition par la n a i i ~ d ~ n , mais Die.? nllrrAr 12 crCa- -- - tion d'un musCe qui expose le rPrit. Nous verrons par la surte pourquoi

3 .

cFest important. NPanmoins, on peuc considirer certe tentative de basculer de I' H expo-

sition )) i la (( narration r comme une strarigie pddagogique. En eEet, 19approche pkdagogique peuc-2rre la plus importante en me ssi&de veur que le but de lSCducarion soit la formation de citoyens apres B la ddmocratie, et que I'essentiel d'une telle formation passe non pas par des pratiques formalisies rnais plutbt par l'expdrience dans son sens le plus large, oh education et vie sociale confluent. Le courant qui vise B faire du musde un inscrumenr de pkdagogie civique, et la tendance qui identifie I'iducation avec I'expirience de I'individu, sonc apparus au meme moment historique" Mais d'autres tendances culturelles ont mis dans l'ombre cetre tradition pkdagogique.

Le Comitt de ddveloppement du musee, (( en vavaillant pendant plusieurs annkes exclusivemenr avec des crkateurs d'expositions, n'avait pas vraiment rkussi i lancer le projet, er ainsi ils ont ddcidt ... qu9ils avaient

contexce pragmariqus constirue par certe capaciti. Speech n'esr donc pas la parole, I'acre de parole, le dir, I'tnonct, mime pas is discours. Je me rrouve ainsi dans I'obligarion rnalheureuse d'uriliser i'anglais.

1. Par exemple, dans Weinberg er Elielia (1995), up. cit., quand Weinberg tcrit que I ' U S H M ~ ~ n'esr pas simplemenr un e hisrory museum b> mais plur6t un u narrative museum, because its display is organized along a story line D, il adopte la voix passive pour parler du conrenu de cerre forme narrarive.

2. Sur I'iducarion civique en gintlral, je rite en parriculier 1e travail de John Dewey dans le Lzb school & Chicago, bien mis en formr rheorique dans son livre Drmocracy a~zd Education, New York, MacMillan, 19 16. MOme si un aurre livre de Dewey, Art ar Exp~rience, New York, Minron, Balch and Company, 1934, prend le musee comme cible (chap. I), son projer avec Albert C. Barnes er la Barnes Foundation &air exemplaire du projer de fonder i'dducation civique sur une expirience de I'arr commensurable avec la vie quotidienne. Moins indirectemenc, I'idte de faire du muste un lieu d'tducarion civique trouve une expression rypique, mais parriculil.remenr lucide, dans T. R. Adam, The Muscurn andpopzthr C~riture, New York, American Associadon For Adult Educa- tion, 1939.

besoin de quelqu'un qui sache raconzer une histoire au grand public, et ils ont dtcidi de chercher un cinkaste D'.

Findement, Jeshajahu Weinberg fut choisi comrne directeur du musee, -

en partie parce qu'il se prbsentait comme quelqu'un qui avait une connaissance particulikrement reyexive des pratiques narratives conrem- poraines. Un de ses colligues, au moins, I'a pris pour (( un cintaste de profession ... comme le sont la plupart des directeurs de I'exposition pein;azer,te (...) ~1 Parmi les premiers immigrCs vers Israel, Weinberg avait quitd sur le tard sa carriere en informatique pour devenir directeur de chiatre. Plus card, deuxikme riorientation professionnelle, il a conqu et dirigd deux musees isradliens, qui (< rous deux monxrent I'empreinte de sa sensibilici unique z3. Cette emprein te esr clairement visible ii Washington. Elle apparair sous la forme d'un story-telling museum4. Lors de I'entretien pour ce poste en 1388, Weinberg s'icait montri emphatique : les autres crkateurs avaient 6chouC <( parce qu'il y n'avait presque personne avec I'expirience des $tovy-telling museums )). C'est donc cela qui ferait vivre Ie

L'idte de Weinberg fut la suivante : (( La technologie audiovisuelle moderne sera indispensable - nous devons parler le langage de 1990 et de 2000. k) Cela impliquait de raconter I'histoire B travers u un agence- menr significatif d'arrefaczs) de photographies, d'affichages audiovisuels er d'kquipemenrs interactifs pour la recherche de l'information )). Le muste entier devair &tre un (( exercice d'historiographie visuelle )k5. Cette approche visait explicirement 8 ivirer, er meme i saper, le pouvoir du peech. Weinberg, lui, a e~pl iqu i que des mots m d choisis risquaient de diminuer (( la puissance des photographies ec des artefacts )), et qu'un

1. Enrreticn de i'aureur avec Raye Farr B I'USHMM, Washington, Dc. 2. Enrrerien de l'aureur avec Naomi Paiss i !'USHI*IM, Washingron, DC. Ce qui semble etre ici

une erreur de la part de Mme Paiss esr inrdrcssanr. Cela monrre soir que Paiss trait enderernenr gagnie au caracdre fillnique du musee, soir que 1e musde lui-meme tenait absolurnenr B s'orienrer en ce sens, ou les dew. Dans le livre de Weinberg er Elielia (1995), go. cit., Weinberg se ddcrir modesrsmenr comrne woridfamotrr nzrlrerrm developer er souiigne que l'un des buts de son livre est de convaincre les autrts mzrserrm professionah de le suivre.

3. Linenrhd (1935), op. cite, p. 142. 4. Comme Paul Ricceur (1983)' op. cir., p. 69 (note 1) l'a remarque, la langue fran~aise ne

permer pas aistmenr la disrincdon enrre 1es mots anglais srory er hisrory. Donc, pour rctenir la

LP u mwie vivant u ruoatl

spkcificird du rtoty-relli~zg, j'urilise ici I'anglais. 5. Ici les citations de Wcinbsrg sont rirees de Linenrhd (1995), up. cit., respectivemenr p. 143

er 142. Cf. Weinberg cc Elielia (1995), p. 51-53, oh Weinberg lui-mime suppose qu'il est rout B fait nature1 qu'un ciniasre crCe le ~ra?+aiiue mrrream plur6r qu'un romancicr.

{( simple brin de cheveu des victimes pouvait servir de crescendo dans la dimarche d'un ricit dramatique ))'.

Personne ne peut dire qu'un rnusie qui ne parle pas est quelque chose d'inattendu. Mais, en tanr qu'ilaboration d'un musee (( vivant z qui raconte une hisroire, un musie story-telling, I'Cvacuation immediate du speech monrre encore un autre aspecr de la narure contradicroire du projet.

L'archirecte James Ingo Freed fut choisi pour rkaliser le (( muste -.r(l-.rn-C \. - \ .;,,,,, ,, e: i! -, ;e;;efiri Eoi;:e !a difficult6 qu'il y aurait a surmonter I'objecdon de Primo Levi - pour qui le musie ne peur @tre qu'une (( expo- sition des curiosites miserables r, une chose rnorte. I1 ttair attiri par (( l'impossibiliti apparente de hire quelque chose ... de plus qu'une simple boite pour artefacts r'. Ce projer est devenu pour lui une sorte de difi.

On sait bien que l'ancttre originel du musee moderne est exactement ce que Freed a voulu hirer : une boire ou une vitrine, contenant des curio- sites de la nature et des objets collectionnis, qui, pendant d e w sitcles, jusqu'aux Lumikres, s9esr Clargie aux dimensions d9une chambre pour devenir le (( cabinet de curiositCs )) ou le Kunst ztnd Wunderkammer. Puis elle s'est enflee jusquJ8 prendre un bitiment entier. Cependant, il est tout 8 fair Ctrange que quelqu'un au xx' sikcle s'avise de dkpasser une concep- tion du musee qui avait disparu et etait pratiquement oublite - longtemps avant que Freed n'ait commenct i rtflkchir sur le projet.

Des changements subis par le musie moderne depuis sa naissance au Louvre B Paris, nous ne mentionnerons ici qu'une partie. Auparavant, le muske offrair B son visiteur une explication d'un yst2me de classiJ;cation, oh des objets ktaient collectionnis en cant qu'exernples d'un certain type3. Pris ensemble, tous les rypes presentes transmetcaient une idie gtnirde. Cette pratique ne se concentrait pas sur les aspecn remporels ou ivolutifs des objets. Le nouvel esprit du sikcle B l'kgard de 1'Histoire a fortement infiltr6 cette pratique : l'approche atemporelle de la classification par idies s'est trouvde minee par la tentative de l'appliquer B 19Histoire. Le dispositif

1. Linenmal (1995), op. cir., p. 186 er Weinberg, ciri dans Linenrhal (1995), op. cit., p. 215. Dans Elielia er Weinberg (1975), op. cir., p. 18, Weinbcrg tcrir avec approbation de K rhousands of people who, walkng in silence rogerher rhrough rhe exhibition galleries, are confronted with rhe images of exrreme human tragedy [and] undergo an experience similar to rhar of pilgrims walking rogerher ro a sacred place )). Cf. i ~ z f a la cirarion associke B la nore 2, p. 219.

2. CirC dans Linenrhal (1 99j ) , op. cit., p. 86. 3. h n s i , on pourrair peur-Zrre penser au musee erabii B son domaine suidois par Linnzus

comme pricurseur plus illusciarif que mime 1c Louvre. La persistance de ce rype classique du muste se monrre au MusCe National de la Marine a Paris, 8 donner un seul exemple magnifique.

idkd des collections d'objets naturels esc dCfait par l'idie d'histoire naru- relle : au lieu des singes dans une salle er des &re; humains dans une autre, 1' (( kvolution les place aux deux extremes de la r n h e sirie. Le dispositif i d td des collections d'objets d'arr est dCfait par l'idee d'histoire de l'art : une tendance s9affirme qui tend B supprimer les sdles organisees par genre (portraits ou paysages) et i installer A leur place des salles disposCes selon 130rdre chronologique d'ceuvres faires par un seul arrisce ou appartenant i. un mouvement ou un svle ardsrique- parriculier. Le musCe devient une illustration du chanpen t historiqtle'. Avec ce changement, la porte est ouverte toute grande au ricit et i la varidti des impkrarifs narratifs.

Mais aucun rkcit ne se resume aux Ctapes selon lesquelles il se dkroule. Pour faire un {( musee vivant )), il ne suffirait pas d9apporrer i Washington les planches de bois, la crasse ou le tas de briques icraskes trouv6 B ~uschwitz. Pour qu'un rnusie raconte une histoire, il faut que les espaces entre ces objets soient combles'. Ce comblement est I'acte qui constitue le temps dans le ricit. II s'opere par 19ifiiermidiaire d'un certain type - d'expgrience accumulde comme habilere ou art de passer aiskment d'un objet au suivant. Cette experience - comme route comp6tence - anticipe- sa propre ripdtition parmi les conditions et les objets inidits. C'est une accion par habitude plut6t qu'un schtrna interpritatif. Ces habitudes sont 165

largement distributes. Lorsque ce comblement emerge des dispositions et des compCtences des visiteurs du musde, c'esr toujours en complicitt avec Ir mwic vivd~im * . racong a

les objets, aussi bien les objets materiels que linguisriques. u g~oppc hlitoire : u r u p r i h t h a r t

Cette complPmencaritP nicessaire nous permet de penser ce comble- runifcdlmHrbcaw;t ment expkrientiel en termes de 4( lieux communs r - autrement dit, ~cmod MU~XIB cohme un rype de mise en forme d9une situation spatialiske qui est dispo- P . A M ~ ~ ( . nible pour des individus, mais n'en est pas leur propriete3. Ce comble-

1. Sur I'arrikre-plan de cerre rransforrnarion, Michel Foucault, Les mots et drr choier, Paris, Galtimard, 1966, nous montre coujours quelque chose d'imporranr.

2. I1 s'agir, au sens propre, d'un cspacr in~aginaire m d i ~ non pas merrtal, en rant qu'il existe comme rnomcrlr dam la creation ct nsisr en marche d u serls commun, forcemenc organist par des lieux communs. Tour 1e problkme csr de localiser, de rnatirialiser la N part manquanre u. On se trornpe en pensanr (cornme les crkareeurs de 1 ' ~ ~ ~ h l h l ) que la solution de ce problkme implique un dtcdage de muske Pcologigz~e au music organiqrre (dicalage dans les rermes que j'inrroduirai plus loin).

3. Presqur personns ne prirc suffisarnms~lr d9arrenrion rheorique B 1'6ldrnenr spadal dans le concept de lieu commun r . Une reile rournurc mCrhodoiogique apporrerair une certaine Cquiva- lence analyrique B norrs sxpkrience du iangagc cr norre experience des choses. ]e ne peux pas dive-

ment est une pratique gdnirale, faite avec des moyens giniraux. Cepen- dant, il y a aussi des diE4renciations internes d9une importance capitale. Les objets et leurs agencements peuvent demander plus ou moins d'activitt de la part de leurs partenaires, les visiteurs.

O n tend i croire que l'expert est celui qui a eu une exptrience. L9expert est la personae qui nous aide i naviguer dans une situation qui nous est propre, selon un rapport qui prdsuppose une commensurabilitt entre la siruacion oh i'experr a acquis sa compktence d9expert er notre siriiation actuelle. Mais, souvent, l'exptrience n'est pas transitive et ne pourrait s'appliquer dans des circonstmces nouvelles. L'incommensurabilid peut se cacher derriere des habitudes de la vie de tous les jours. O n a l'habitude rassurante de demander une definidon du corps aux mddecins, une dtfi- nition de l'enfance aux parents ou une definition de l'tcriture a m tcri- vains. Cependant, nos expPriPnces du corps, de l'enfance, de la lecture - et de toutes les autres choses que l'on suppose avoir en commun avec des experts - se sicuenr, et donc s9expliquent, 5 un autre niveau, dans un autre registre. C'est exactement b cazrse de leurs expiriences qu'ils ne devraient pas difinir notre experience. C'est afortiori le cas pour les reprisentations de 1'Holocauste. Mime si ce sonr souvent les survivants qui remarquent les probltmes de representation, c'est, paradoxdement, leur exptrience quiies sdpare de noLs et qui peut rendre ginantes leurs suggestions. O n devrait se mifier de la facilitd avec laquelle le projet de I'USHMM s'est trouvd justifid par reference au jugement des survivants, ntgligeant ainsi 19expdrience sptcifique du visiteur.

Jusqu'aprks la Seconde Guerre mondiale, ce sont les dispositions et la connaissance des visiteurs qui ont en grande partie rendu unitaire et continu l'assemblage httkrogkne du muste. Le fondement educationnel rtsidait dans un lent et minutiem apprentissage du bourgeois i la culture et B la connaissance. Un visiteur gebildet ou cultivi ttait donc pridispost B sentir l'uniti du musee et son unit6 avec ses dentours, et par consequent 21. comprendre les objets particuliers inclus dans le musee. Avec cet appren- tissage, le visiteur pouvait ~r i tendre ii une rencontre pure et immidiate avec les objets, et meme avec leur histoire. Or, la force croissante de la culture pritendument t< populaire D, er le programme de (( dtmocrariser r

lopper ce point ici, mais queiques aspects sonr diveloppks dans Peter Aexander Meyers, r Notes on Now : Benjamin's Vico and Vico's Benjamin r, in N mondo di Vico / Vico nel mondo, sous la direction dr Franco Ratto, Prrugia Guerra Edizioni, 2000, p. 383-408.

la culture d'tlite - processus d6jB en cours au XIX' sibcle - ont tbrtchd infatigablement cette complicir& narrative entre le visiteur et les objets du mus~e'. Les visiteurs, v6tiians aussi bien que nkophyes, ont commence A s'dgarer. Ils n'avaient plus en eux-m?mes les dispositions et les compB tences convenables au musie et B ses hiscoires. Les connexions, le pavage sur la voie du rdcit, devaienr @rre assures sur place,juste h, ddas le musee. Le partenariat s'est reformi, diE6remment. Ce visiceur d'un nouveau - genre zrrixrair d e p ~ ~ r v u de la capacirt d'klaborer le passage d'un objet au suivant. Perspicace, le musee a dors demand6 de moins en moins d'activitt de la part de ses visiteurs. Auparavanc, cette activirk avait cons- citut le temps dans le recite De plus en plus, le musee consdtue son propre remps. La foncrion de la plupart des objets est ainsi ddtournte de la reprk- sentation vers le comblemenr de leur propre histoire. Mur, sol, son, lumiere, cordon, main courante, ascenseur, virrines, panneaux avec textes

-

et des centaines d'aucres tldmencs sont mobilisb pour porter le visiteur d'ici jusqu'i hiLi. Le temps dans le rCcit devient de plus en plus un temps de techniques. Et, avec ceh, la voix gui rbcite, la forre qui anime, commence d migrer du c o p du visiteur au corps du rn~ste2. L'USHMM est i tel point

167 1. J'ivite ici une complexird bien shr essentielle: awr ~tats-Unis on a vu tout au long du

XIX' sikcle un dkveloppernent rris important, d'une parr, de muskes civiques )) d'hisroire et, d'aurre parr, de rnustrs . populaires s (commc les dime mrrserilm, particulibemenr sous ['influence Le r nrwirviu~ntrr~r~nrrwie v i u d f i i ~ r ~ 0 8 k de P. T. Barnum). Je park ici pfut6r du moment oh ces rendances (entre autres) confluent plus saproprt hirroin : clairement avec les musdes de Ia culture d'dlire. Voir par exemple Benjamin Ives CiIrnan, h a m une pmrmiht kmrc IdeaL ofPurpore and Method, Cambridge, Mass., Museum of Fine Arrs, 1 9 1 8, ou Adam (1 939), r[inidSrara ~ o ~ C a W f op. cir. Plus rkcemment, voir David R. Brigham, Pr~blic Cuimre in rhe Ear4 Rcpubfir: Pear% Mnn~Pia! MIICCU~ Mureurns am itr Audienc~. Washington, Smithsonian Institution Press, 1995 ; Steven Conn, Muicums andAmerican Intellecnial LifZ, 1876-1926; Chicago, University of Chicago Press, 1998 ;

P. A. M p

er Andrea Stulman Sennet, Weird and Wonde@l: T h Dime Museum in America, New York, N a v York University Press, 1997.

2. Je n'entends pas par .1e remps de tecbniquer ), I'inrrusion du tic-rac de l'horloge, cette r m s - formation socide de techniques A laquelle les ouvrages dassiques de Lewis Mumford, Technics and Civiliration. New York, Harcou rr, Brace & Co., 1 934 ; Siegfried Geidion, Mechanization Take$ Command: A Con~iburion to Anonymous Hiitory, New York, Oxford University Press, 1948 ; Jacques Ellul, La rech~rhnique ou Iknjeu drr siki'e, Paris, Armand Colin, 1954 ; Carlo Cipolla, Chcks and Culrure, 1300-1900, London, Collins, 1967 ; David Landes, Revolution in Time, Cambridge, MA,

Harvard University Press, 1983, donnent une importance capitalc. O n observe une aurre transfor- mation du temps - particulieremenr visible sous la perspective de la u culmre cindmatique s que j'inrroduirai plus loin - dans laquelle ie poids de lYexpkrience borne de moins en moins !'action humaine, enlevant (paradoxalemenr)' l'obligation mPme d'agir, de vivre. Une fois comblks les espaces dans le ricit, nous passons d'une station A la suivan~e sans gkndrer iien de nouveau : cerre action, cerre nouveauri, dtait auparavanr le temps, et ie remps devienr quelque chose d'autre. ~ ' i dke de la G culture cintrnatique D est Claborie plus en dirail dans Meyers (i ~arairre).

conGu sur les mktaphores organiques qu'il commence B Stre senti comme un organisme vivant. Weinberg attribue cette qualit6 ii sa composante musdique spdcifique : (( ereas it seems chat the architect had conceived the building as a monument, the planners wanted it also to become the container of a living organism ... R' O n verra par la suite quelle sorte de confusion entre sujet ex objer est gtnCrte par cette situation'.

I1 faut souligner ici I'erreur d5apprtciadon de Jeshajahu Weinberg dans ~3 ~ I I S ~ P C J I I m r r c d ~ (( viv3r-i~ >, P T ~ t n ~ - t ~ J / _ e ' . q ~ = Le fair de dire que a le muste "" r"..d"- -" a""""-- . ' , ""' -- ---. de Washington implique des problemes qui ne concernent aucun muste "normal" a3 aurair it6 justifii si son modele de comparaison avait t d , par exemple, le Merropolitan Museum ofArt B New York au moment de son ouverture en 1880'. Mais il est tordement errond de croire que les problkmes lids 8 I'USHMM, et leur risolution, ne soient apparus que dans les anntes 1990'.

Le constat que I'humanid se charge seulement de tkhes telles qu'elle puisse les assumer *%'applique facilement ici. Les prttendues a innova- tions r de Weinberg arrivaient sur un terrain dCji bien prtpard. M2me si certains aspects du projet de L'USHMM se sont enlisks dans la poltmique pour plus d'une dkcenhie, l'idke qu'il devrait gtre un musCe vivant est venue contrdler la discussion sans renconrrer de vtritable objection. La connexion speciale de sa matiere avec le fair impenetrable de la mort a dii.

1. Weinberg et Elielia (1995), op. cit., p. 27. 2. Cf. le dernier parti de Cassirer, Individu et Cosmos dans hphilosophie de (a Renaissance, Paris,

Minuir, 1985, qui esr particulikremenr perspicace sur 1es origines de ce problkme constirurif du Weltbild moderne.

3. Cite dans Linenthal (1935), op. cit., p, 128. 4. Voir, sur I'histoire de ce musee, Winifred E. Howe, A History ofthe Metropolitan M w m of

Art, with a chapter on the early irzstirtrrions of art in New York, New York, printed at the Gilliss Press, 19 13- 1946 ; Leo Lerman, The mrrse1r7n : one hnrzdrrd yean arzd rhe Metropoli~an Murcum of Art, New York, Viking Press, 1969 ; Calvin Tornkins, Merchanrs and ,nmterpieces : the story ofthe Me~opoiitan Mz~sezrm of Art, New York, E. P. Durron, 1970 ; Narhaniel Burr, Palacesfor the P~ople : A Social Hirtory ofthe Arrzerican Art Mz~serrm, Boston, Little, Brown, 1977 ; er Howard Hibbard, The Me~opoii fan iMiueum of Afi, New York, Harper 81 Row, 1980.

5. Cf. la preface B Michael Berenbaum, Thr WoridMur k%ow : The History of the Holocaust ar told in the United States Holocaust Memorial Mzrsezrm, Boston, Little, Brown, 1993, p, XIV-XV, pour plus de derails. Berenbaum insisre d'ailleurs sur le fair que I'USHMM doit &re vu comme inno- vareur Cgalernenr pour sa perspective <( n, americariia~ the Holocaust M - voir a The nativizarion of the Holocaust D, dans /ildaism. 35 (1986), cite par Novick (1999), op. cit., p. 333 - mais ni 1' u Holocaust in American life D ni I'uriiisarion d'un musee pour 1' 6 arnkricaniser )) n'kraient nouveaerx dans lies annies 1980.

6. C'est Man: de sa Co~irribrrrior2 2 I? criiiqric d'Pcorzo?niepoliriqxr)e) qui ~ a r l e ici dans le Iangage appris de Vico et Hsgel.

certainement jouer un r81e dans cette acceptation. La mort, m@rne la mort prematurie, et le meurrre indigne : il n'y a 1A rien de nouveau. La rtponse B la mort, cetre fois, a sembld exiger pour tout le rnonde la forme du (( musCe vivant r parce que les prariques de la reprdsentadon - avec ses l i e u communs, ses figures habituelles et ses conditions de rdceprion - qui convenaient B un tei musee dtaient d i j i en place et en attente d'?tre utili- sees. Ce qui est apparu i Weinberg comme e intdit )) et i Freed comme une impossibi!ixi leur esr appam. ainsi prdciskment parce que le terrain Crait pripark depuis une quaranraine d'anndes diji.

Meme si un probltme peur erre identifie et qu'une certaine solution peut 2tre imaginie, cela ne signifie pas que la solution rtelle co'incidera avec ce qui a it6 conCu initialemenr. 11 ne fair aucun doute que I'USHMM est un site d'innovation culturelle particulikrement inttressanr. I1 est

Ir

tgalement clair qu'il a id conqu de bonne foi ec qu'il a eu pour ob jec~f de contribuer i la culture politique dimocratique des Etars-Unis. Cepen- dant, en choisissant le lieu commun de la vie comme figure centrde de sa rhetorique d'intention et de justification, le musie s'est situ6 sur un champ hiscorique et culturel beaucoup plus vaste. Et les autres forces qui jouent sur ce champ tendenr fortement i miner le propos fondamentd de ce musie.

O n peut appeler ce concexre klargi la culture cinbmatique, dont I'kmergence constirue un changemenr d'une consequence Cnorme pour la v;udnjB raonk vie ~ol i t iaue des Cricains. Meme s'il est impossible de ddtailler cetre ~a pqre histoire :

I A

notion dans le cadre restreint de cer essai, il me semble indispensable d'en w u j r h h t bare

dvoquer brikvement quelques points importants'. I1 ne serait pas entiere- de 13Uni&d Stam Piobuzurt M m d M i l p m

ment faux de caractiriser, dans I'histoire du musde, la tendance ddcrite ci- P. A. Mym dessus comme une (( simulation de I'expdrience r'. Et I'on ne devrait pas

1. La notion de la fi culture cinimarique n esr diveloppie dans mon livre Lefr Speechlc~s (9. parairre chez Cambridge Universiry Press).

2. La formule prur srmbler approximarive, pour n'trre pas justifiable sans d6veloppements annexes. A srricremcnt parlei, dans la mesurc oh 1e processus de rcprdsennrion ne vise pas B la sipararion d'avec le corps hurnain (une formr symbolique de poiesis ou de a rtiftcarion u ) , il peut parairre absurde de le penser en rermes de a sirnularion de 19expirience u, d'auranr que les procidks envisagks ici ont eu pour objecrif premier de cornbler auranr que possible cerre mCme stparation. En rCaliri, il ne s'agir absolumenr pas d'unc iimlhrion, mais d'une reconfiguration de ce processus de u comblemenr fi menrionne plus haur.. Ce comblemenr joue un rble dans route reprtsentadon. Une analyse plus jusre aurair impliqud dc dirailler les digirentes reneurs de I'experience, de diployer la double acception du mor ang& ~ x p e n e ~ ~ c e ( h la fois expirience au monde pour la personne er ce qui en rbulte, une accumularion de donndes dans ies memoires psychiques et physi- ques) er de diffirencier ce qui dans la rcprisenrarion rcikve d'unc parr de la mimisis, d'aurre part de

s'ktonner que le nom de Disney - avec ses c( mondes virtuels )) - air CtC convoquC immkdiatement des lors qu'il s'apissait de rtfltchir sur les

A A u

modditts de la creation d'un muste c( vivant )) ou story-telling. Les dCtrac- teurs du projet, bien tvidemment, ont souligni le risque du musCe (( la Disney )). Egdement, ceux qui ttaient chargts du dtveloppement de I'USHMM s'ttaient inquittis d'dler trop loin dans ce sens'. Cela dit, cerre rkfirence montre la presence d'un sens commun mais non pas son histoire, car un re! p i ~ j e t est efiracini plus profondtl?ien~ daiis !a c"~1rdre ambricaine.

La culture cinimarique depend largemenr aujourd'hui de 19assimilation d'un large tventail de nos activitds B des modtles qui dkrivent des films et aurres types d'images en mouvement. Cet ensemble de pratiques, cepen- dant, se prolonge - et s9enracine - dans une mutation culturelle de plus grande envergure qui s'est optrCe durant les d e w derniers sikcles. L'tmergence de ce que 1'011 nomme (( individudisme a a souvent C t C nocCe. L'essentiel ici, cependant, est une tendance qui accourt en pardlile, mais semble totalement opposke. La mtme ptriode ttmoigne d'un progressif dCplacemenc hors du corps humain de certaines facultks humaines nkcessaires h lkction. Ce dkplacement implique, de plus, une extension effective de la personne au-deli des frontikres naturelles de son c o p . A considtrer, d'un c6tt, le proctdi par lequel le rtcit du musee est d( comblt r et, de l'aucre, sa relation i la sphere publique, d e w aspeca de la culture cinimadque sont particulierement importants.

Considtrons, en premier lieu, jusqu'i quel point extraordinaire la facultt d'animation - la force motrice par laquelle l'trre humain se meut - a quittt le corps humain pour s'instdler dans les objets qui nous transpor- tent, nous soulevent, nous aucomatisent, ou qui font pour nous de tels mouvemenrs. Ces dispositifs peuvent 2tre considirts comme des outils qui affectent l'objer-monde, mais, bien siir, ils nous soulagent ou nous

la prksence (roujours gineratrice parce que Fa apparrient B un trre vivanr) ; en eEet, il aurait drd peur-&re plus sarisfaisanr d'oprer pour la notion rhttorique classique d'inuentio - B la fois ce que 190n rrouve er qui nous csr donnd par le sens commun et ses l i eu , et ce que 190n invenre de neuf et qui renvoie B I'unicid du conrexre de producrion. Tout cela dipasse largemenr les capacirks de cer article,

1. Linenrhal (1395), op ci i , p. 143. Cf. aussi Philip Gourevirch, r Behold Now Behemoth (The Holocausr Museum : One More American Theme Park) s, in Harper? Magazine, juil- 1er 1993, p. 55-62. Cela merire d9erre compare B un aurre dCbat en 1994 concernant 1e themepark de I'hisroiie amCricaine que Disney, Inc., a propose de construire B cbrt de la u rerre sacrde r du Gertysburg.

accablenr de diffkrentes manikres. La culture cinkmatique nous a impli- quCs dans le phknomene fondmental du mouvement de mmikre radicde- menr nouvelle, et ce, de multiples fa~ons, depuis, en gros, l'application au XX.' sikcle des nouvelles formes d'energie comme la vapeur et l'tlectricitd B la vie de cous les jours et la trks large diffusion de technologies qui trans- formenc et animent les espaces dans lesquels nous vivonsl, Ces developpe- menrs cransparaissenr dans notre vie quoridienne et en sont venus B cons- riruer une dlaboradon sociale ec prarique de ce que Dijkiterhuis rapporre i la (( mtcanisarion de l'image du monde j, (De ideeha~iserin~ 2gn bet Wereldbeeld)' .

Parallelement, la facult6 d9imaginatioion quirre de plus en plus le corps humain au cours du xxC sikcle. L'imaginadon nous permet de nous projerer au-delh de circonstances donnees et est donc essentielle A 19action. Elle nous permet de nous diriger vers, et au travers, des ClCmenrs de l'expdrience qui ne sont plus ou ne sont pas encore prtsents acruellement. D c ~ c , !'imagination formule plus ou moins explicitement les fins vers lesquelles est orient6 ce qu90n peut appeler (aprb Hannah A-endt) le pouvoir humain gtndratif d'action (generativiry), que ces fins engagent une ttroite image du t( soi r de demain ou le panorama de la sociCtC future. Alors que le dkplacement massif de l'animation 19extdrieur du 171 corps est, me semble-t-il, sans prtckdent historique, le dtplacement analogue de l'imaginadon dtpend, lui, de la sicuation spdcifique de la b6murityi uafitlraoak

-

pCriode qui precede immbdiacement l'kmergence de la culture cinema- ja p m p hirtoire : tique. I1 serait B peine exagtrt de dire que, depuis le me sikcle, les images une prnnibe hrtu~e modtles du a soi r et de la socitti ont ire de plus en plus interioristes dans ~ ~ ~ ~ U n i ~ S ~ ~ ~ ~ f o c ~ ~

I'individu et, en ce sens, privatistes. L'imaginarion B l'3ge de I'imprimerie MmuhiMmnc~ P. A Mqm - de concert avec les modes spdcifiques de raison qui se sont dbveloppds

chez le mjet lisant et kcrivant - en vint i etre largement locdisie dans l'espric. Depuis l'avknement de la culture cindmatique, cette cendance s'est inverske. M6me si 196poque des grandes rdvolutions politiques a vu la lecture du for incdrieur s9ttendre de I'ilite B un public tlargi, la culture cintmarique A ses dtbuts a, au mCme moment, commenct 8 ddloger petit A petit I'imaginarion de son siege recemment conquis dans l'esprit, pour le rmener dans la sphtre publique. Au XIX' sikcle, les publications illusrrkes

1. L'excellenr livre de Anson Rabinbach, Thr Human Moror, New York, Basic Books, 1990, dCveloppe un argumenr rangentiel.

2. E. 1. Dijksrerhuis, Thr Mrrhanizzrion ofrhe Worid-Picnrrr. Princeton, Princeton University Press, 1986 (orig. 1961).

de masse er le tourisme onr accelirk la creation d'un espace public d'imagination rernpli d'irnages de re gui n 'Ptaitpasprksent ou de ce qu bn n 'e'tair pas, fonction de la culture cintmatique largement investie par la suite dans les films, dks leur apparition decisive autour de 1900. Cette oprique suggere ainsi que le sikcle rimoigne plus d9un changement quantitatif que q ~ a l i t a t i ~ C9est cette continuice de fait entre les prariques culturelles du XX' et celles du mc sikcle qui me m2ne B faire rdfdrence B la ctllture c t n ~ , ~ c z ~ ~ n * ~ ymL. ~ A U L W L nlv*+Ae y u ~ nlr- J C L I I L ~ ~ L L C . xl-in-,*n

Dans ce dicalage, l'imagination a perdu beaucoup de son caracrere actif. Son rapport i 19acrion en general a change en mime temps qu'elle est devenue une force exrerne, sa logique s'imposant B chaque &tre humain avec plus de puissance, du fait qu'elle ttait impliquke dans des attentes sociales largement partagies'. I1 aurait CtC impossible aux precddents ( thurifiraires de l'imagination )) - comme les romantiques - de prtvoir la transformation de l'imagination en ce qu'elle esr de nos jours : un vehi- cule du conformisme.

Cette Cvolution modifie la pratique du musde. Nous avons dit que le passage ?i une strategic narrative dtpend du comblemenr - autrement dit, de la maniere dont s'effectue le passage d'un objet au suivant. Ce passage a d'abord t t d accompli par la Bildung (formation) du visiteur puis, de plus en plus, par l'application er I'agencement symboliques des objets ew- memes. Les Fronrieres entre les objets exposks et les objets qui soutiennent l'exposidon sont brouillees. Les objets sont toujours dans un rapport de partenariat avec les visiteurs et ce son& roujours les faculds d'animation et d'imagination des visiteurs qui consdtuent la coherence du r ic t du musee, son temps. Mais, avec la culture cindmatique, ces facultis sont dPjA largemenc hors du corps humain. Ce sont des facultds humaines d'action et ntanmoins elles apparaissent dans le corps du musee. La culture cinkmatique consticue donc le cadre B I'intkrieur duquel il est possible de compyendre comment l'agencement des objets et hes prad- ques tend i iquilibrer l'klkmenr actif - en effer, la vie - entre les visiteurs et l'objet-musde lui-mime.

I1 est impossible d'exposer suffisamrnent ici les difficultis mkthodologi- ques inherences i ce rype dYenqu@te. Nous devons nous contenter simple- ment d'envisager rapidemenr le type de langage qui a semi i jusrifier et i

1. J'espkre que eout cela sst clair, birn q u r je n'aic aucunc. inccnrion de faire rifirence a m conceptions de Livi-Serauss rr dc Lacan.

dtvelopper le projer de representadon de I'Holocauste en certain point de vue, ces fa~ons de parler valent comme une indication des intendons des concepteurs de I'USHMM. Cette perspective esr d'un intirtt limitt ici. Notre mode d'enqu@te est plus (( rhicorique s qu' (( intentionna- liste ))I. C'est-&-dire que nous trairons ces fa~ons de parler comme des l i e u communs qui donnent accks au sens commun propre & un contexte culcurel particulier. D'ailleurs, ces deux modes enrrainent des atreares di~7ergenres. Les intentions agissent - au rravers des l i e u communs, mais les l i e u communs ne sont pas gouvernes par les intentions. On anend des intentions qu'elles soient libres de toure contradiction, alors que personne ne devraic &re surpris quand des contradictions apparaissent entre des l i e u communs, ou mime 8 i'incirieur de chacun d'eux. LA oh les inten- tions proposenr une unit6 iddale du {( soi )), les l i e u communs se riennent au news de forces sociales et psychologiques'.

L'andyse rhetorique trouve dans les l i e u communs les comprihen- sions et les prijugts a prt-intentionnels )) B l'inririeur desquels le projet du muste a pris sa forme. Ces memes l i e u communs, parce qu'ils servent des pratiques de justification rris largemenr fondees, rivelent aussi I'espace politique et social dans lequel le muste opere en fair. I1 consticue le ch commun qui relie le contenu du muste ii ses visiteurs. O n peut attendre 173 de I'usage spCcifique de ces lieux communs, dans ce conrexte, qu'il montre certaines caracdrisriques ginkrales de la culture cinkmatique, qui nurit Yivanrr racOntb - dans des circonstances ordinaires - ne peuvenc apparaitre d'une maniere a prbpn hinoit. explicire et directe. La mktaphore de la vie est, dans ce contexre, une force uneprmi~e hamrrr rkelle. Elle s'incarne, en cant qu'iliment actif, dans des pratiques cultu- dt lZlniudS&ra XoLcdfi

relles concrktes3. Mmod MMTLU~

Revenons A une confusion klkmenraire de I'USHMM. Son sujet est la vie P. A. Mvo

et la mort. Ce que nous avons suggiri, cependant, c'est que cette distinc- tion caractirise non seulemenr le concenu, mais aussi la fason dont le musCe rraite son sujer. Ce qui auraix dii &re un muste sur la vie et la mort

1. Sur le . rhetorical mode of inquiry )), cf. Perer Alexander Meyers (2002), op. cir., et Peter Alexander Meyers er Nancy S. Srruevcr, The bioodrrn Enchnrznrr~7zr ofrimc, ?i parairre.

2. Ce que j'kris ici reprend un peu Ke debar sur la thiorie de N choix rationriel)), renouvelCe rkcemmenr par Philip Green ct Ian Shapiro, Pathologies ofilrriunal Choice, New Haven, Yale Universiry Press, 1994.

3. Sur la rialied des arrenres morales, voir le rtcent article de Luc Boltanski et Laurene Thkvvenot, N The reality o f moral expectarions : A sociology of siruared judgmenr n, in Philosophicd Explorations, vol. 111, no 1, 2000, et, plus largcmenr, De h jrrsrijicatiorz, Paris, Gailimard, 199 1.

est trait6 comme un lieu qui esr vivanr. ou rnorr. Qu'est-ce donc que la vie dans l'expression (( musCe vivant )) ?

Nous -utilisons souvent des mitaphores organiques ou vitdistes en parlant des choses. Au quotidien, il esr possible de dire sans trop y penser que ma voirure est morte ou que cette peinture est monotone er sans vie. La voirure, une fois riparde, fonctionne (de firnctio = performance) ; la peinture, am iliorke, me parle.

Bier? cp'i! y air cfie difC1krPfiCe cadgorique enr-e &ases ec les kcres humains, il n'est gutre surprenanr que nous qualifiions les choses B l'aide de discours adaptks aux attriburs humains. Norre Cchange constant avec un monde de choses nkcessire une sorre de riglage mutuel. Nous nous mesurons par les choses, er nous mesurons les choses par nous-mkmes. Cela exige une rerminologie susceptible de rendre imaginable qu'il y ait des caractCristiques communes partagdes par des choses et des personnes. Le simple fait de faire circuler cette terminologie crie un espace dans Ipnlle!! la d ic r i~c~ion enrre les ttres humsins et les choses se ddcernnnc~ "-7- ry-: C9est un espace oh les choses er les personnes se reunissent, pour ainsl dire, en &rant Cgalesl.

L'enjeu n'est pas simplemenr conceptuel. La terminologie sert un ou plusieurs objectifs pratiques. que les choses soient mues, et que nous en soyons Cmus, il faut qu'il y ait un rapport de convenance entre les ktres humains et les choses. Impossible de caper ce texte si les touches du clavier ont la taille d'une kpingle, au lieu de celle du doigt. Et puisque nombre de nos interactions avec les choses ne sont pas de type technique, les metaphores qui nomment et aidenc ?i rkdiser cet-te convenance priGilt- gienr les- artribufs humains par rapport aux pitces mdcaniques (ahsi des doigts et des touches). S'il n'est pas surprenant que la limite entre personnes et objea, animk et non-animk, Givanc er mort soit poreuse, il semble important de se demander oh peut nous mener un tel usage. Commenc s'optre I'iquilibre de l'tltment actif enrre nous - agents - et notre environnement ?

Au cours du dkveloppement de I'USHMM, objet complexe et symboii- quement charge, les mitaphores employCes pour nommer ec rialiser sa

I. Cf. Pecer Alexander Meyers, .: On rhe geornerry of body-space n, in Intpmapional Revieu, of Sociologyj vol. 6, no 3, 1996, p. 405-428, er, plus Iargemenr, Peter Alexander Meyers, A Theoly of Powcr: Polirical, Not MemaphyricaL Ann Arbor, UMI, 1989, et Perer Alexander Meyers, D4nd Politics Against Trrrorism, Chicago, University of Chicago Press, i parairre 2003, chap. 1.

convenance avec d'autres burs et d'autres activitts ont essentiellement tourn6 autour du speech. Cela repose sur un double prCsupposC : le silence est la rnort, speech est la vie'. En consequence, au cours des longues discus- sions prksidmt B sa naissance, un kventail particditrement large de types d'usage de parole a ete atrribut au musee : il pourrair avertir (65), dire non (66), tdmoigner (4, 19, 36), prier (96-8), commkmorer (193), hurler (941, enseigner (65-6), faire pknitence (218 @, assumer la therapie (67), transmettre la voix des criminels (1 99, 2 10) ou adopter sa propre voix interprttarive (216-228). Comme un organisme, ii pourrair

fonctionnellemenc diRirenci6, avec un n Hall of Wimess pour dire I'histoire, un Hall of Learning pour confrDnt~r les implications actuelles ..., un Hall afRemembranre pour faire le deuil. .. u (73 ; nous soulignons).

D9aucuns diront qu'il s'agit simplement de mttaphores. Mais il y a ici bien plus qu'un jeumetaphoriqui entre le familier et I'ttrange. Le rype spdcifique de mttaphore qui, ici, attribue le speech B des choses inanimtes, se conforme lui-mime h un type de sens commun. Le sens commun, i son tour, esr le compagnon et le rigisseur des pratiques de tous les jours2. Plus prtciskment, lei usages du spetch impliquts ici sont aujourd'hui allies aux oratioues de tous les jours qui, elles-memes, sont consritukes au sein

1. A J A

de la culture cinkmatique. Donc, les capacitts essentielles B I'action a 75 humaine migrent dans les objea qui entourent le corps. En un sens, ces objets contr&uent B tcendre le corps, mais il est aussi juste de dire qu'ils L*ma/tvivdnt~racontr instaurent une distance encre eux et le corps. I1 rtsulre de cette uprukrt h*irr :

L

que l'associarion entre le speech et le musee est naturaliske. Que le musee une prmitrc kchrre a2 IUniicrd Skmtu Hohcaust

parle de lui-mtme devient une partie de notre expkrience du soi Une " . 9 * M m d Mll~tilm

perspecdve un peu plus cririque devralt nous amener B nous demander . . fl. r, A Mqm

gui parle exactement et comment ce speech s'accorde ou entre en contllt avec cetre autre instance de speech que le musCe est supposd faciliter : la

Or la vie dans le (< musee vivant a dkborde le simple speech. Ce musCe ({ parlant )) aurait aussi bien pu avoir un corps, un soma pour dler de pair avec son logos. Le corps pourrair erre fkcond (23), contenir comme un oeuf

1. Cf. Ernsr Cassirer, The Philosophy ofSymbolic Fomi, 3 vol., New Haven, Yale University Press, 1953-1963 (orig. 1922- 1929) oil 1s syrnbolique (n in the twofoidstnse of"rpresenration "and ofiipificarion ''. [voi. 111, 1-49 n.]) fir ce qui t> rpntiaiise K ['esprit humnin (Gcirr) - aurrement dir, le rend rkel er vivant. Cf. igdemenr le projer global de C. S. Peirce, qui precede de plus d'une ginia- rion Cassirer.

2. Voir Peter Aiexander Meyers (2000), op, lira

6 la pltnitude de la vie (77), faire bon accueil (78) i bras ouverts (10 1- 102), B la fois visceral (169) et atdrant (58, 1 10), avoir de l'allure (1 93, 198-1 99), &re la sagesse du corps politique (107) ou le patient d'une opdration chirurgicale (83), et finalement guerir (1 12) le visiteur et apporter la santk civique ( 0 . <( Tordu et torture dans l'effort de contenir l'hiscoire de 1'Holocauste )), il pourrait aussi t( s'efforcer de se dkchirer de part en part )) (94), ou de fuir d'un endroit i un autre (64-65). -Musee a civil r, il comnrnmpr (?9), meme zlars qu'il concgrrence d ' a ~ t r e ~ r- -"""-- mCmorials sur le Washington Mall (1 00).

Ainsi, dans cette op~ique, le musee vivant parle, souEre et agit comme une personne. En mime temps, il est quelque chose pour des personnes, une chose faite pour leur faciliter le passage B la parole ou l'action. Dans un (( musie vivant )), une personne pourrait etre un mddiateur (94-96), un hCritier fidkle (5 I), un crieur de ville (263), un patriote amtricain (44), un touriste (GI), ou quelqu'un qui fair un choix moral (65) ; qu9imporre I '~+, e~12 piopie, puisque, pai une soumission au musee, on deviendrair A la

sortie un acreur public (59). Le n musee vivant )b s'est dkveloppd au sein d'une constellation de forces

assez contradictoires. Les caractCristiques qui identifient la pie avec le speech ne sont pas celles qui idendfient la uie avec l'animation. En m2me temps se fait jour une diffkrence aussi optratoire qu'etrange entre les deux modes diffiknts d'apparition de cette vie : le musee en tant gzr 'entit6 animCe qui parle, versus le muske comme lieu consacri au speech et B - -

l'animation. O n peut ainsi distinguer entre un musee organique et un musee kmlogigue1.L'agencement d; muste ne se limite pas i une organics- tion des choses, mais fait des choses mimes des agpnts. De plus, le problkme de l'iguilibre ou de la distribution de la uieentre pershnes et choses est amplifit par l'imergence d'une sorte de conflit entre types d'agents, humain verszrs non-humain. Mime si ce dernier est censC aider le premier, on sait trks bien que le rapport peut itre destructeur.

1. Cetre distinction se trouvera klaborie dans 1e premier chapitre de mon livre Ley? Speechh~s (i paraitre chez Cambridge Universiry Press). Nombre d'analyses de I'espace public peuvent eue prises comme diployant une perspective . organique )) ; les meilleurs disdnguent dairernent leurs propre perspective r Ccologique n. Je pense, par exemple, B Jane Jacobs, The Death nndl$ ofCrear American Ciries, New York, Random House, 196 1, don[ ies constats comme (( Quicker than the eye can see, h e ciry as an organism has disappeared ... It becomes, in theory, a static collection of sires for planting these sorted-out sets of statistics )) (p. 325) doivent Ctre lus Q la lumiire d'auucs comme a Medical analogies, applied to social organisms, are apt to be far-fetched, and there is no point in misraking mammalian chemistry for what occurs in a city )) (p. 13).

Nous nous demandions ce qu'ktait la vie dans l'expression . mCmorial vivant )) ! La rkponse est, en grande partie : speech1. Cependant, le fait m6me de faire optrer le speech en contexte cinimatique et mustd ram6ne trks vite B cet autre sens de la vie que nous notions ci-dessus : la vie est Cgalement /'animation. C'esr important. La demande apparemment raisonnable de faire un muste qui park nous m t n e i quelque chose de beaucoup plus Ctrange, un musee qui sh ime . Les crtateurs se sont defendus en fzisan: valoi; que m$me :: ies imgges ne scxr pas satisfaisanxs et [que] les histoires onr leurs limites )) ( I 12). Ils avaient donc cherchC H une expkrience physique )) (I 12), (( une simulation d'experience de 1'Holocauste )) (I 15), comme un voyage aux camps (( h l'inttrieur de l'espace du musee ), (35) - qui devait a ftre infligte s (1 12) aux visiteurs pour (( les tbouillanter r (1 38) er les forcer A a se confronter visckrdement I'Holocauste )) (35)2.

L'USHMM ne tombe pas complktement ni dans le genre organique ni dans 1e genre Pmlogique. Pour rialiser leur dtsir de faire parler le musCe avec une voix narrative, les planificateurs ont dfi prtsupposer un auditeur, un type de visiteur spkcifique qui comprendrait cette voix et qui serait Cmu de cette histoire comme raconttepar le mwPe. Tout Ctait cdibrk en fonction de cet effet. I1 n'itait cependant pas possible de prtvoir prtcisk- 17'9 ment quel serait le resultat riel. Le comportement du visiteur n'est prCvi- sible que dans des cadres imprecis. Ce comportement devait par dtfini- ~c r mwie viwni~ r m u rion dtpasser le dispositif, en m@me temps que s'opkraic le passage d'un ra propre hhirc :

muste de papier, espace mental avec ses visiteurs imaginaires ou idtaux, B unr prmikc (cmrc k l'vnitcd Skztrz Nohaw un espace public compose de vraies personnes. La prtsence meme des

~ m r a l j a l M ~ ~ S C X I ~ &tres humains a eu une force gtniratrice tangentielle au muste animi. Le R A, Mqm mtlange en continu d'un grand nombre de visiteurs change le rapport que chaque visiteur a au lieu et i ses Pquipements. Cette marge d'indttermi- nation appartient meme au b2timent physique, qui n'est cependant vivant - dans une perspective dcologique - que lorsqu'il y a des gens dedans, et qui donc tvolue dans le temps en raison de son interacdon avec les

1. L'associarion de speech er vie consrirue un aspecr imporrant de presque route la tradition de la pensCe polidque. Mais on la trouve aussi ailleurs ; voir par exemple Oliver Sacks, Seeing Voices : Ajoumry into rhe World ofthe Deaj New York, Harper Perennial, 1990, p. 8-9.

2. L'idte, implicire ici, que l'accks B la comprehension implique d'une faqon ou d'une auve la douleur ou la punirion ne devrait pas Crre kcartde si facilement. Mais sa validire ne doit pas non plus trrc accordte sans exmen. En dkpir de 500 ans de discussion autour de I'usage spdcifique fair par Arisrore de la norion de carbarri~~ la croyance de bon sens dans I'udlid civique d'une rhCrapie morale de choc appelle encore une justification.

gens1. En d'autres termes, on peut dire que I'humanirt se defend conue I'expropriation de ses propres faculds par la machinerie muside. Alors m&me que les crkareurs de I'USHMM se fondaient sur l'idde d'un musee organique - racontant par Iui-m2me une hisroire -, la redisadon de Ieur projet a inrroduir, par une nkcessiti interne, une tendance contradic- toire : tout narratif n'est possible que parce qu'il se niche dans le dialogue ; l'interaction avec les ciroyen(ne)s pousse le musCe 8 devenir ~ I I C B P B P A J I \ O ~ ~ I I P P I I U V I I . . rWY.Y b Y-"*

En reprenant une expression d'Hannah Arendt, on pourrait dire que le musCe devient parfois un guoi et parfois an qu?. Il joue strattgiquement entre les dew. Cerre ambivalence est inhtrente B 19une des caracttristiques distinctives de I'USHMM. Elle rend possibles les diffdrents types d'engage- meat qu'il suscite.

Le quoi nous attire fortement : cette attraction derive, paradoxdement, du dCsir de sauver le gui. LA oil cette ambivdence problimatique se

L 1 confine dans le royaume du peer,,, ~e glii ex le quoi son: en quelque sorre commensurables. La force qui nous attire vers le guoi au dttriment du gui peut kcre contrebdancte par la rtafirmation concinuelle de ce m@me gui dans le speech, renouvelk d'une maniPre ou d'une autre. Peut-etre qu'une nouvelle histoire diplace i'ancienne. O u peut-etre est-ce qu'un rtcit prCsumt fig6 est cependanc soumis aux interruprions ou aux dktourne- ments, du fait meme qu'il se niche dans le dialogue.

Mais, comme c'est ividenr ici, quand le rkcit ne se limite pas au speech les difficultks likes i sa rdification s'amplifient knorm6ment. (4 Le rCcit peut

1. On doit hksiter devant les constars de Weinberg dans Weinberg et Elielia (1995), op. cit., qui a du mal i adrnettre que cette incertitude appartienne aussi i son propre plan. I1 estime que

[i] t is srunning to see the high level of congruence ... of the recommendations wirh the outcome u (p. 231, et plus spkcifiquement que K visitors feel invited [by the Hail of Remembrance] ... on cornpledon of their walk-&rough, to enrer the serene hall and pause, perhaps for some minutes of comtemplarion, before rerurning to the real world D (p. 26). En revanche, Linenthal (1995), op cit.. p. 104, rernarque que N ... [alfcer the museum opened, Michael Berenbaum observed that the Hall of Remembrance had nor functioned as meditadve space. For chis reason, said Berenbaum, architectural alterations were under way. Freed understood the reasons for these changes diffe- rently. "The success of a place", he said, "creates new meanings". Originally designed ro be a place for solirary conrernplation and private remembrance, she Hall of Remembrance has become a place for public ceremonies and shared remembrance, a space now defined, said Freed, "not by vacanr space, bur by people." ), Pour une enquete briUanre sur I'ivolurion des bidmenrs, voir Stmart Brand, How Buildings Learn. Whar Happen, A . They're Built, New York, Penguin, 1994. Pour Brand, le narrarif dans un bitirnent n'esr que sa propre hisroire. Comme Jacobs (1 961), op, lit., il a une perspective icologique.

2. Hannah Arendt, The Human Condition, Chicago, Universiry of Chicago Press, 1358.

Eae support4 ... )), non seulernent par le langage articuik, mais aussi (( par I'imag&, f i e ou mobile, par le geste et par le Akiange ordonne de toutes ces substances ))I . I1 faut ajouter ici tout un Cventail d9autres choses marCrielles. Car ces choses sont le vrai capital de I'USHMM. Or les pratiques narratives de la culture cintmadque rompent la condnuiti caractiristique de la pratique traditionnelle du story-&/ling : celui-lh se passe face B face ; il est roujours possible, par 1B meme, d'inrerroger le narrateur. En revanche, les pntiques nzrrariver de la culture cintma~isue dCplacent les histoires dms des choses muettes avec des manikres de faiie incknues avant le me sihcle. Mtme si ces choses sont muettes, elles sonr narratives, er doivent 6tre mesurees d'une hqon difftrenre. En plus de produire de nouveaux effets, ces choses narratives muettes modifient l'entrem2lement des passions et des mots. C'est route une nouvelle machinerie qui se construit ici sur la structure fondamentale du ricit. De telles choses accentuent les 6Itmenrs perceptuels comme le choc et renforcent les dtsirs comme la stduction2. Elles amplifient la cendance dkjB puissante vers le quoi. Les pratiques cine- mariques du rkcit ne font rien, ou peu, pour mettre en valeur les forces susceptibles de contrebalancer cette tendance, ces forces avec lesquelles nous pouvons rtaffirmer le qzli - au contraire, elles les diminuent souvent.

On pourrair esrimer, pour routes sorres de raisons, qu'il esr important de faire du musie un lieu de speech. n Le materiel d'oL tmergent les histoires, la vie vtcue @eIebt ~eben), rend une forme transmissible pour la premitre fois i la mort. D' Pour le survivant comme pour le citoyen, le speech donne une rediti B ceux qui ont ptri. Nous leur donnons une certaine gravitt, un nom, et leur mort prtmaturte acquiert une significa- tion. Pour les faire rkapparairre, nous investissons quelque chose de notre vivacirk, de notre capacite B parler et B nous animer. I1 n'est pas exagdrt de dire que ce don apporte l'immortaliri aux morts. Parce que l'on raconte leur histoire, ils continuent de vivre parmi nous4.

1. A ce qu'a Ccrit Roland Barthes, L'av~nnirr rimiologque, Paris, Seuil, 1985, p. 167, j'ajourerai route sorre d'autres obiets.

2. Comment rout cela se passe er pourquoi esr extrkmemenr important pour la vie politique dtmocratique. Cerre reflexion constirue queiques-uns des rh?rnes centraux de mon livre Leji Speechlrrr (21 paraitre chez Cambridge Universiry Press).

3. Wdrer Benjamin, u Der Erziihler W , in Grii~mmelrr Schnfirn, Frankfun, Suhrkamp, 1972- 1989, vole 11, p. 449.

4. La liaison enrre u morr n er immorraliri esr rellemenr inrCgrke dans la langue frangse que la de'finition suivanre du (( morr ), se rrouve dans Le P~rir Robrrr : a ~ t r e humain qui ne vit plus (mais considtire comme existant dans la memoire des hommes ou dans l'au-deli). >)

La forme du speech est Jgalement importante. La mise en rkcit repond cet impdratif que (( des sequences d3ivknements v r i s soient t v d d e s qumt B leur signification comme tltments d'un drame moral r. Le rtcit lui- meme nous attire dans ce mouvement moral-pddagogique. L'eEet de cette opkrarion s'ajoute indtpendamment de tout intkr?t inherent au sujet. La forme mkme du rtcir transforme le vrai en un objet. de dtsir ... parce qu'elle impose, sur les CvCnements qui sont reprtsentCs comme vrais, la coherence formelle propre a-m histoires La struciure pousje

la redemption1. Mais meme si I'impulsion de faire voyager les histoires des morts dans

le vihicule du narrarif est honorable - ou l'honneur meme -, le transfert des prariques narratives du speech au musCe les transforme complttement. La transformation s'opire doublement : l'investissement de l'histoire dans les objets er les images la fait sortir de la sphtre corporelle du langage - c'est-&-dire qu'elle quitte les bouches et les corps des Stres humains, qu'eiie ichappe B ce face-A-face qui caracterise {'usage immtdiat du langage. Simultantment, l'ktre humain devient un element relativement passif au sein du systtme des objets narrativisks. Ce ne sont plus les personnes qui donnent leur vie ?i l'histoire, a w morrs ; c'est, au contraire, la machinerie qui anime les personnes. Le {( musee vivant )) n'est donc pas un theitre ; les visiteurs ne sont pas des speccateurs. Mettre en sctne revient B mettre B distance. L'espace relatif constitut par le thk2tre fair vibrer les emotions du public en grande partie au travers des mots. L'espace absolu du musee - absolu parce qu'il consomme les visiteurs - n'a aucun besoin de speech. Ce n'esr pas un hasard si Weinberg rapporte qu'un visiceur a a exprimt, peut-ktre de la meilleure f a~on , ce que le musee cherchait 8 obtenir s (a visitor N expressed, perhaps in the best way, what the museum tried to achieve ... ))), en kcrivant dans les cahiers, la fin de l'exposition : 4 Je suis sans voix )) ( n 1 a m speechless )))'.

Notre etude a eu pour objet de mettre en valeur un certain nombre de lignes de force - tension entre les deux accepdons du mot vie (comme speech et comme animation), tension entre mwPe organiqae et

1. Ici, 1es deux citations sont rirkes de Hayden White, Thr Conrent of the Fomm, Baltimore, Johns Hopkins, 1987, p. 2 1. Pour deux perspectives de la rhdorie politique intdressantes, mais bien siir diffkrentes, concernant Ies rapporrs complexes enrre rkcit er ridemption, voir Michael Walzer, Exodus and Revolution, New York, Basic Books, 1985, et Georges Shulman, Prophey andRcdemp- cion in Ameriran Political Culmre, Minneapolis, Univcrsiv of Minnesota Press, i paraitre.

2. Weinberg et Elielia (1 9951, op. cir., p. 196.

musie Pcologigue - afin de rnieux comprendre commenr la pression d'un rCcit rkifii pouvait consriruer une troisikrne force dans I'USHMM. La rela-

L

tion entre le speech et le (( rnusCe vivant )) dent, en partie, son ambiva- lence de ce qu'elle esr formCe d'imptratifs qui apparriennent au ricit en tanr que moyenl. Ainsi, la forrne narrative est faite pour fonctionner, au meme ritre que les autres technic? de la representation. Mais admetrre cetre instrumentalisacion revienr A couper le rCcic de son rapport essenriel B I'acrion et la vie - aurre effet de la dissociarion opkrke encre narration er narraceur. Le K musee vivant )) n'est presque rien d'autre que la migra- tion d'un usage particulier du speech 2 une nouvelle distance du corps humain : puisque le speech est le nec plw tllm de I'articulation de l'animation ec de I'imagination, le musCe vivmr )) se moncre donc parfaitement compatible avec la culture cinkmadque. I1 nous semble utile de rappeler cependanr que les seuls mkcanismes nPcessaires au speech sont la voix et l'oreille. Et de la mEme facon qu'aucune loi de nature ne nous oblige h uriliser un telephone pour parler3, le rkcit n'est pas la seule forme que le speech peut prendre. Rappelons aussi que la vie que le narratif tire de la prtsence du corps humain dCrive de la pluralitt meme des etres humains. A ce ricre, le spetch, rout comme le rCcir4, devient politique par son immersion dans le dialogue5, et non par son usage 181 narratif. On esr alors en droit de s'inrerroger sur les consCquences d'une adopdon du narracif B un sujer non humain, c9est-A-dire B un * muske LKmwil vivmtr nuonrc vivant H. upmprc huairr :

Le dkplacement du narrarif du speech i une forme objecrive ne peut unc prmiirr hrturt dier sans tension. Certes, raconrer I'histoire d'une viccime precise un qui kiJlinitcdSukjHubcawt spkcifique : une personne n'Ctanr jarnais un &re simple pour soi, c'esr bien Mmrial M w m

I'hisroire qui fair de l'etre une unirk6. Mais il y a paradoxe : une histoire P. A. M ~ M

1. O n pourrait dire aussi, ici : <( media )). 2. J'utilise le mot de Lewis Mumford (1934), op, cir., rechnics, pour rendre compte H la fois

des objets techniques {fechnolo@~j) er des pratiques rkldologiques ripdries qu9ils induisent ndcessairement.

3. Merci B Yan Thomas qui me rappelle ce simple fait. 4. Pas dans I'interprirarion, en dtpir des grands efforts de la hil lo sop hie hermdneutique, tels

ceux de Hans-Georg Gadamer ou Paul Fbcceur. 5. Barrhes (1985), op cir., p. 167, Ccrir : (( ... international, rranshisrorique, transculrurel, le

ricit esr la, comme la vie ... 2 Mais cela esr bien ~ l u s vrai des dialogues dans lesqueis la forrne narra- tive est imbriquic er qu9elle implique. Er trre-18, en dtpir de Heidegger, n'esr pas d'itre vivant.

6. Poinr soulev6 par Hannah Arendr. Cf. AmClie 0. Rorty, n Persons as rherorical caregories v ,

in Social Research, % 9 84.

n'est pas un &re vivant ; une personne vivante est toujours plus que ce qui est dit dans l'histoire. Et pourtant, pour qu'elle devienne un qui, il faut la transformer en un guoi. Pour gagner 19immortditt, cette ombre longue projerte par une vie, la personne doit ctder cela m@me qui en fait un qui prtcis : sa mortalitt. Pour les vivants, le fait m@me d'etre parmi les autres permet toujours de casser les limites impostes par l'histoire : tour simple- ment, on parle de nouveau, on agit de nouveau. Pas pour les morts. Ainsi, dans le dksir de rtanimer le qui, l'atrraction du quoi est irrksistibie. Le qtli devient un guoi : une personne nommie devient une pictime.

Mais, pour chacune de ces hisroires, il doit y avoir quelqu'un qui parle. Le don de l'immortalitt n'est pas le don de la vie iternelle, ni une inscrip- tion taillte dans la pierre. fitre immortel, c'est plutbt emprunter la vie ces voix vivantes qui continuent dire le nom du mort, son histoire. M@me la oh les rouages d9un rtcit s'imposent sur le destinataire, ces histoires restent caracttrisies par une marge &indetermination et une

> * y,e l'histoire n exlste g6n6rativitk. Ces caractirisdques d6rivent du fait n* l

jamais route seule : elle esr toujours nichte dans le dialogue1. Aprks la mort, il n'est plus possible i la personne de parler pour elle-m?me : que le rtcit soit niche dans un dialogue est la seule chose qui fasse de l'immortalitt une chose pipante. Ainsi, pour que les histoires que nous raconrons au sujet des rnorts ne se rerournent pas contre ce que nous espk- rons rddiser en les racontant, nous devons findement revenir au dialogue. Plus prdcisdment, dans ce melange complexe de pratiques, le dialogue aoit toujours stre l'dltrnentfondamental. Si un muste I'empeche, c'est pour le pire. Car le dialogue est le seul genre de speech qui arr&te ptriodiquement la tendance vers le guoi parce que - alors qu'un rtcit peut avoir lieu sans la presence d9un autre - aucune des parties prenanres i un dialogue ne peut rester en dehors du dialogue lui-m@me.

Ce que nous avons voulu montrer, c'est que la rtification du rtcit en muste interrompt ce cycle generatif. I1 laisse libre cours la tendance inhtrente A l'histoire de devenir une chose morre, un quoi, une liste rtcirte des vicrimes. D9autant que le rapport entre les personnes-visiteurs et les morts vient d'ttre rtglt par cer aurre guoi qu'est le musee. Si les morts retrouvent une certaine animation, elle vient plus de ce musCe

1. Dans aucun aurre corpus i'irnplicarion nicessaire de speech dans la vie socialc n'est plus suggestivemenr dicrire que dans celui de George Herbert Mead ; voir en parriculier Works, vol. 1 : Mind, SelfandSociery, kdirion de Charles W. Morris, Chicago, University of Chicago Press, 1934.

prktendument u vivant )) que de la g6nCrativitC que nous leur apportons. Les morts ne gagnent pas l'immortalitk en empruntant la vie aux vivants, mfme s'ils arrivent B avoir une sorre de persistance mCcaniquel. A la limite, le United States Holocaust Memorial Museum, en tant que c( musCe vivant )), raconte sa propre histoire, et non celle des morts, qui est la ndtre.

1. Cela pourrair nous faire penser a Bentham dans sa chaise.

Le u mtult viwt w rlecontt faproprt hi& :

utw prmtiirt hcare de 1 'United States H o l o c ~

Memoid1 M w a m P, A Mym