le bilinguisme des enfants de migrants. analyse transculturelle

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1 LE BILINGUISME DES ENFANTS DE MIGRANTS. Analyse transculturelle Di Meo S, Sanson C, Simon A, Bossuroy M, Rakotomalala L, Rezzoug D, Serre G, Baubet T., Moro MR L’Europe est au carrefour des cinq continents et particulièrement à Bobigny (93) où nous accueillons des patients du monde entier. Le Centre Du Langage d’Avicenne à Bobigny, de par la représentation importante des populations migrantes y consultant, a depuis longtemps entamé une réflexion autour de la création de nouvelles pratiques d’évaluation du langage et de soins de ces enfants dits bilingues. Lorsque le langage est touché par un processus pathologique, de nombreux outils sont à notre disposition pour évaluer le niveau de l’atteinte. La situation devient nettement plus complexe en situation transculturelle et de bilingualité en raison de l’inadaptation de la démarche évaluative [1]. Nous avons mené une recherche sur les langues des enfants de migrants afin, d’une part de valider un outil d’évaluation de la langue maternelle que nous avons créé: L’ELAL d’Avicenne© (Evaluation langagière pour allophone) et, d’autre part, essayer de mieux comprendre les facteurs en jeux dans un bilinguisme équilibré chez des enfants de 4 à 6 ans. Lorsque l’on s’interroge sur les langues des enfants de migrants, c’est la transmission, la construction identitaire que l’on interroge implicitement. La langue est un marqueur identitaire important amenant le sujet à se sentir biculturel. De quelle façon l’enfant s’en saisit comme un étayage valorisant et non comme un handicap honteux ? Notre recherche arrive bientôt à son terme et ses résultats seront prochainement publiés. Multilinguisme, Plurilinguisme, Bilinguisme ? Il est difficile de choisir le bon terme qui traduise la situation de plus en plus courante, où l’enfant parle, dans plus d’une langue. Polyglottisme, Diglossie, Bilingualité? Le terme « Bilinguisme » nous est beaucoup plus naturel de par notre pratique chez les enfants de migrants. En effet, les travaux transculturels chez les migrants ont mis en évidence la problématique des passages entre « dedans » et « dehors », du passage d’un monde à l’autre. Le monde du « dedans » représente l’espace familial où la culture d’origine, l’intime, la chaleur des affects s’expriment. Le monde du « dehors » représente tout ce qui est en lien avec la culture du pays d’accueil. Ce qui se joue à deux, trois langues ou plus chez les migrants, c’est le passage de la langue du dedans, pleine d’affect, à la langue du dehors, moins

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LE BILINGUISME DES ENFANTS DE MIGRANTS.

Analyse transculturelle Di Meo S, Sanson C, Simon A, Bossuroy M, Rakotomalala L, Rezzoug D, Serre G, Baubet T., Moro MR

L’Europe est au carrefour des cinq continents et particulièrement à Bobigny (93) où nous

accueillons des patients du monde entier. Le Centre Du Langage d’Avicenne à Bobigny, de par

la représentation importante des populations migrantes y consultant, a depuis longtemps entamé

une réflexion autour de la création de nouvelles pratiques d’évaluation du langage et de soins de

ces enfants dits bilingues. Lorsque le langage est touché par un processus pathologique, de

nombreux outils sont à notre disposition pour évaluer le niveau de l’atteinte. La situation devient

nettement plus complexe en situation transculturelle et de bilingualité en raison de l’inadaptation

de la démarche évaluative [1]. Nous avons mené une recherche sur les langues des enfants de

migrants afin, d’une part de valider un outil d’évaluation de la langue maternelle que nous avons

créé: L’ELAL d’Avicenne© (Evaluation langagière pour allophone) et, d’autre part, essayer de

mieux comprendre les facteurs en jeux dans un bilinguisme équilibré chez des enfants de 4 à 6

ans. Lorsque l’on s’interroge sur les langues des enfants de migrants, c’est la transmission, la

construction identitaire que l’on interroge implicitement. La langue est un marqueur identitaire

important amenant le sujet à se sentir biculturel. De quelle façon l’enfant s’en saisit comme un

étayage valorisant et non comme un handicap honteux ? Notre recherche arrive bientôt à son

terme et ses résultats seront prochainement publiés.

Multilinguisme, Plurilinguisme, Bilinguisme ? Il est difficile de choisir le bon terme qui

traduise la situation de plus en plus courante, où l’enfant parle, dans plus d’une langue.

Polyglottisme, Diglossie, Bilingualité? Le terme « Bilinguisme » nous est beaucoup plus naturel

de par notre pratique chez les enfants de migrants. En effet, les travaux transculturels chez les

migrants ont mis en évidence la problématique des passages entre « dedans » et « dehors », du

passage d’un monde à l’autre. Le monde du « dedans » représente l’espace familial où la culture

d’origine, l’intime, la chaleur des affects s’expriment. Le monde du « dehors » représente tout ce

qui est en lien avec la culture du pays d’accueil. Ce qui se joue à deux, trois langues ou plus chez

les migrants, c’est le passage de la langue du dedans, pleine d’affect, à la langue du dehors, moins

  2  

chaleureuse mais pleine d’espoir de réussite. Ce clivage linguistique est à l’image du clivage

migratoire qui s’opère chez les migrants et leurs enfants à des degrés divers [2]. Cette double

inscription langagière dans une société monolingue crée une altérité en soi qui est à considérer en

terme de phénomène culturel. La culture bilingue n’est pas une superposition de deux

compétences langagières mais bien une façon nouvelle d’être au monde qui découle des deux

cultures. Nous avons proposé le concept de métissage des enfants de migrants pour permettre de

comprendre la complexité des affiliations de ces enfants mais aussi le potentiel créatif des

migrants et de leurs enfants qui trouvent de nouvelles manières de faire avec leurs deux cultures.

La voie du métissage est une troisième voie, ni le monde des parents, ni celui d’ici, un autre

monde complexe et pluriel. C’est souvent du dehors que nous viennent les alertes, les inquiétudes

sur le développement des enfants. Ce dehors qui a souvent un avis sur la situation de bilinguisme

et le plus souvent, des préjugés négatifs. Le Centre Du Langage est en lien avec les écoles car

d’une part, la question d’un bilan pluridisciplinaire est soulevée parfois par les équipes

pédagogiques, même si les parents s’en saisissent par la suite et, d’autre part, nous nous y

déplaçons souvent dans des contextes de réunions éducatives pour nos patients ou dans un cadre

de recherche. Les politiques européennes menées sur la place des langues maternelles et de la

bilingualité à l’école ont beaucoup évolué mais qu’en est-il en pratique ? Les représentations des

enseignants, des soignants et des familles sont tout aussi importantes à interroger.

Après avoir décrit le parcours au sein du Centre Du Langage, tant sur le plan de

l’évaluation que des soins, de ces enfants aux langues troublées, nous aborderons la place des

langues maternelles à l’école. Enfin, nous exposerons nos propositions pour mieux comprendre et

mieux inscrire les enfants de migrants et leurs parents à l’école.

1. LE CENTRE DU LANGAGE D’AVICENNE1

Les centres de références des troubles du langage et des apprentissages sont apparus en

2001 en France, à la suite du rapport de JC Ringard et du plan d’action gouvernemental pour les

enfants atteints d’un trouble spécifique des apprentissages pour améliorer le repérage, le

                                                                                                               1  Ce centre fait partie du Service de psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent des Professeurs T Baubet et MR Moro. Il est situé dans la banlieue nord de Paris, banlieue multiculturelle où arrive depuis plus de cinquante ans des migrants du monde entier.  

  3  

dépistage et la prise en compte des troubles du langage à l’école. Ces centres ont pour objectifs

de poser un diagnostic après une évaluation pluridisciplinaire et d’orienter les soins. Le Centre

Du Langage d’Avicenne fait partie du Service de psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent

des Professeurs T Baubet et MR Moro. Il est situé dans la banlieue nord de Paris, banlieue

multiculturelle où arrive depuis plus de cinquante ans des migrants du monde entier. Les patients

nous sont adressés par les différents professionnels du secteur lorsque la prise en charge d’un

enfant est problématique du fait de la résistance de ses troubles ou d’un doute diagnostique.

Les orthophonistes du département, nous adressent aussi des enfants dont l’évaluation est

rendue complexe par leur bilinguisme pour notre expertise sur le sujet. Le pédopsychiatre est le

premier interlocuteur lors du bilan au Centre Du Langage, il doit donc orienter la suite du bilan

en fonction de sa première évaluation. Il adressera les patients sur d’autres consultations

spécialisées (O.R.L., Neuropédiatrique, Génétique etc.) lorsque cela s’avère nécessaire2. C’est

pourquoi nous ne parlerons que des troubles qui ne relèvent pas d’un déficit sensoriel,

neurologique ou organique et, nous ne parlerons pas non plus du développement insuffisant de la

langue seconde chez les primo-arrivants par manque d’exposition au français.

Dans son travail de thèse le Dr Courtois a analysé la répartition démographique de nos

patients sur un échantillon de juillet 2007 à Mars 2008. Les enfants ont entre 2 et 17 ans (7,8 ans

en moyenne), au moins un des parents est migrant dans 69% des cas et parle une autre langue que

le français dans 2/3 des cas. On retrouve une majorité de garçons (71% des cas) et la position

d’aînés dans 49% des cas [3].

Notre équipe est pluridisciplinaire et est composée de pédopsychiatres, orthophonistes,

psychologues cliniciens, psychomotricienne et chercheurs. L’évaluation se fait sur l’examen

clinique, à la suite duquel le pédopsychiatre demande un certain nombre de bilans standardisés.

Nous proposons des consultations sur plusieurs semaines afin de permettre une temporalité, un

bain de langage autour des difficultés de l’enfant qui doit permettre un temps d’élaboration pour

la famille. Les entretiens cliniques se font, si nécessaire, avec un interprète. A la fin du bilan, une

restitution orale et écrite est faite aux parents et à l’enfant, en présence des différents

professionnels qui sont intervenus. Ce temps narratif et de partage sur les difficultés de l’enfant

tente de donner une représentation complexe de son développement. Notre méthodologie est

                                                                                                               2  Ce qui n’existe pas pour les enfants de migrants qui vont à l’école française, ce qui est en général le cas.  Nous  ne  

parlerons pas du cas des enfants dont la migration est trop récente.  

  4  

intimement liée à celle de la clinique transculturelle basée sur la complémentarité des disciplines

[4]. Le complémentarisme à Avicenne consiste à interroger, de façon alternée, une ou plusieurs

disciplines différentes, de façon alternée et non simultanée, pour comprendre un même

phénomène clinique. Nous avons toujours tenté de nous décentrer de l’idée d’une seule pratique,

pour penser l’enfant et ses difficultés langagières dans ses différents contextes et dans le passage

d’une discipline à l’autre.

2. ENJEUX PSYCHOAFFECTIFS DES TROUBLES DU LANGAGE DES ENFANTS DE

MIGRANTS

Il faut rappeler que le bilinguisme des enfants de migrants est souvent précoce, consécutif et

passif. On le dit précoce car les deux langues sont transmises dans les âges d’acquisitions du

langage (0-6ans) et peu en lien avec l’instruction (apprentissage à l’école). Il est important

d’avoir en tête que l’entrée dans une deuxième langue pour les enfants de migrants, généralement

en petite section d’école maternelle à l’âge de 3 ans, est une nouvelle étape de l’acquisition du

langage. D’ailleurs, comme le souligne Dalgalian, avant l’âge de 7 ans, l’enfant est encore dans

l’acquisition du langage et après, il sera dans l’apprentissage des langues [5]. Il est consécutif, car

dans la plupart des cas, les enfants de migrants sont exposés à une première langue (leur langue

d’origine), puis à la langue du pays d’accueil lors de la scolarisation de l’enfant entre 3 et 6 ans.

On le dit aussi passif car la langue maternelle est plus souvent comprise que parlée. Il est

rarement à l’avantage de la langue maternelle en raison du processus d’acculturation et de

l’attrition de la langue maternelle. Les enfants ont un bilinguisme dominant en français alors

même qu’ils sont considérés par les professionnels comme des allophones (ayant une langue

maternelle autre que le français) [6].

Trois situations nous paraissent fréquentes chez les enfants de migrants qui consultent

dans notre centre: (1) le trouble du langage qui, par définition, touche toutes leurs langues, (2) le

mutisme extrafamilial qui touche leur deuxième langue sous certaines conditions et, (3) l’attrition

de la langue maternelle.

  5  

La notion de complémentarisme développée par Georges Devereux, permet à plusieurs

hypothèses de cohabiter pour expliquer plusieurs phénomènes. En effet, la génétique, la

perspective développementale, la psycholinguistique, l’anthropologie, la psychiatrie, la

psychanalyse peuvent être utilisées tout autant que les étiologies culturelles avancées par les

parents. Les apports de l’ethnopsychiatrie nous permettent de considérer l’altérité culturelle en

clinique mais aussi l’individualité des parcours de chaque enfant [7]. Nous présentons notre

réflexion sur les enjeux affectifs dans les troubles du langage, le mutisme extrafamilial, l’attrition

de la langue maternelle et dans la relation thérapeutique en orthophonie, dans une perspective de

clinique transculturelle3.

2. 1. Troubles du langage

2.1.1. Intrications pédopsychiatriques au niveau individuel

Chez les enfants bilingues, la littérature n’est pas très riche concernant ce type de trouble.

L’évaluation, la sévérité, la fréquence, la mise en place des soins sont mal documentées. Les

études ont tendance à montrer qu’il n’y aurait pas plus de troubles spécifiques du langage oral4

chez les enfants bilingues [8,9].

C’est une pathologie multifactorielle et son apparition ne peut être expliquée par une seule cause.

Il est fort probable que la pathologie s’exprime lorsque plusieurs facteurs sont réunis rendant

l’enfant vulnérable à la pathologie. Même si l’origine génétique ou neurodéveloppementale est

soulevée par certains chercheurs, les explorations complémentaires n’ont jamais pour but de faire

le diagnostic positif mais d’écarter un diagnostic différentiel neurologique (épilepsies, processus

expansif intracérébral…), de trouble sensoriel (surdité). L’évaluation pédopsychiatrique permet

d’éliminer le diagnostic d’un trouble plus global de la communication, d’évaluer le

retentissement du trouble sur l’enfant et sa famille.

Au bout de notre évaluation nous retrouvons, pour tous motifs de bilan confondus, un

trouble spécifique isolé dans 9% des cas, un trouble psychopathologique seul dans 56% des cas et

                                                                                                               3  Ou ethnopsychiatrie ou ethnopsychanalyse, selon la perspective de Devereux, tous ces termes sont équivalents [4]  4  Appelés  aussi  dysphasie, Specific Language Impairment (SLI) par les Anglo-Saxons.  

  6  

l’association d’un trouble psychopathologique et d’un trouble instrumental dans 23% des cas. [3].

Nous ne sommes pas les seuls à observer cette intrication entre trouble du langage et trouble

psychique. Cohen et al et Sundheim et Voeller ont remarqué que la moitié des enfants d’une

population présentant des troubles spécifiques du langage présentent aussi des troubles

psychopathologiques. Cette proportion peut aller jusqu’à 80% dans la dysphasie [10,11].

Inversement, Cantwell et Baker ont retrouvé 50% d’enfants atteints d’un trouble du langage ou

des apprentissages dans une population d’enfants suivis pour un trouble psychopathologique.

Cette double intrication souligne l’importance de l’évaluation et la prise en charge de ces deux

axes [12]. Bien souvent nous sommes confrontés à des situations complexes ne correspondant

jamais parfaitement aux grandes catégories diagnostiques des classifications. La distinction avec

les Troubles Envahissants du Développement, notamment pour la dysphasie réceptive et

sémantique-pragmatique, est peu aisée et fait aussi débat [13,14]. Beaucoup d’auteurs français

ont discuté la compartimentation psychopathologique qui pose le symptôme « trouble du langage

» dans une entité pathologique en soi [15,16]. De plus, des liens entre la personnalité de type

limite, la présence d’angoisses de séparation ou de perte d’objet, de carence du jeu symbolique

ont été soulignés dans les dysphasies [15–17]. Berger remarque qu’aux difficultés langagières et

affectives se surajoutent des manifestations cliniques réactionnelles à l'échec dans les

apprentissages: l’opposition à l’adulte en réaction au forçage, une colère diffuse, sans objet

précis, en lien avec son impuissance, mais aussi l’atteinte de l’estime de soi [18]. L’intrication

d’une comorbidité psychiatrique fréquente et d’une organisation particulière de la personnalité

rend difficile la caractérisation d’un trouble spécifique, de façon isolée. D’un point de vue

étiologique, il est difficile de dire si le trouble du langage est associé, secondaire ou constitutif

d’un trouble psychopathologique. Il est probable que ce soit les trois à la fois étant données la

diversité des représentations des cliniciens et la variété des présentations cliniques des enfants.

2.1.2. Intrications pédospychiatriques dans la transmission familiale

Au Centre Du Langage, nous prenons soin de recevoir les familles de ces enfants dits

bilingues afin d’explorer plusieurs points : les représentations parentales du trouble, le contexte

de sa survenue en interrogeant l’histoire familiale et migratoire, les conditions de vie actuelles et

  7  

une évaluation de la psychopathologie parentale. Il nous est paru évident que l’évaluation mais

surtout les soins doivent porter sur toutes ces dimensions.

Plusieurs études ont mis en évidence des troubles psychopathologiques chez les parents d’enfant

dysphasique, conséquence des troubles de leur enfant [19] mais parfois cause du trouble. La

dépression maternelle post-natale est un facteur de risque reconnu de trouble du développement

cognitif, langagier et psychomoteur chez le bébé [20–23]. Plusieurs études ont mis en avant les

bienfaits pour le développement du bébé d’une prévention précoce au domicile par des

professionnels formés et supervisés [24]. Une étude multicentrique interventionnelle française est

en cours et permettra, nous l’espérons, de répondre au mieux sur la manière d’intervenir auprès

des dyades [25]. Ces rapports de cause/conséquence complexes sont à l’image des boucles

interactionnelles mère/bébé permettant l’apparition du langage. Les compétences précoces du

bébé étant également en jeu. Comme le souligne Moro, c’est une période de vulnérabilité

importante pour la mère et son bébé. Les mères migrantes, éloignées de leurs mères et des

commères (mères avec) ressentent la solitude, dans ces moments ou les savoirs faires maternels

sont habituellement portés par le groupe, la famille élargie restée au pays [7]. Les techniques de

maternage dans le pays d’accueil s’en voient profondément bouleversées d’après les observations

de Bril et Zack, Rabain et Wornham, Storck, Moro [ibid]. Toutes ces situations peuvent fragiliser

les mères migrantes et aboutir parfois à de véritables dépressions maternelles. Les mères

migrantes sont beaucoup plus vulnérables à la dépression post natale comme le souligne les

publications depuis 20 ans sur le sujet [26,27].

La langue maternelle a un rôle très important dans les interactions précoces entre la mère et

l’enfant. La mélodicité et les contours chantants de la voix maternelle se déploient

préférentiellement dans sa langue et suscitent, de façon universelle, du plaisir chez tous les bébés,

dans toutes les cultures. Ce type de langage, interagit avec les vocalisations du bébé, permet de la

créativité, du plaisir partagé [28] et met en place un espace transitionnel [29]. De plus, comme le

met en avant Daniel Stern, la dimension prosodique est une modalité d’interaction et de

transmission participant à l’accordage affectif [30]. Les mères migrantes se sentent parfois

contraintes de parler à leur bébé dans la langue du pays d’accueil, langue qu’elles maitrisent

pourtant mal et qui ne sonne pas aussi bien aux oreilles de l’enfant. Cette injonction de parler

  8  

dans cette seconde langue moins chaleureuse, vient parfois des institutions (centres de santé,

écoles…) mais aussi des mères elles même pensant que leur enfant aura plus de chance de

s’intégrer dans la société d’accueil et de mieux réussir socialement. Il n’y pas toujours un

sentiment de fierté de transmettre sa langue d’origine à ses enfants. Cette langue est parfois

dévalorisée aux yeux même des migrants mais aussi par le pays d’accueil qui donne aux langues

implicitement des statuts différents au profit toujours de la langue du pays d’accueil[31].

Nous pouvons aussi faire l’hypothèse que certaines difficultés psychopathologiques associées aux

troubles du langage font écho à la problématique spécifique des enfants de migrants qui est celle

de se construire avec des affiliations multiples [32]. Comme le souligne Golse, le langage

interagit avec le développement de l’intersubjectivité, de la construction affective et cognitive

[33]. On observe fréquemment une dépendance importante au parent dans les retards sévères de

parole et langage et les dysphasies, avec des enfants que seules les mères arrivent à comprendre.

D’autres auteurs ont mis en évidence des difficultés dans le processus de séparation-

individuation, au niveau du sentiment identitaire et de l’activité de symbolisation [34,35]. Ces

difficultés résonnent avec les enjeux de réorganisations identitaires en lien avec la migration,

considérée par Akhtar comme une 3ème étape de séparation-individuation après celles de la petite

enfance et de l’adolescence [36].

2.2. Mutisme extra familial

2.2.1 Définition

Le mutisme extra-familial, mutisme sélectif ou mutisme électif est un trouble qui se

définit selon le DSM-IV de l'Association Américaine de Psychiatrie, et le CIM-10 de

l'Organisation Mondiale de la Santé par l’impossibilité pour l’enfant de parler à l'extérieur de sa

maison, notamment à l'école ou lorsqu'il doit prendre la parole en présence de personnes

étrangères à sa famille, alors qu’il arrive à comprendre et à parler dans des circonstances plus

familières. Le mutisme extra familial s’accompagne très souvent d’un trouble phobique et de

retards de développement langagier et psychomoteur [37]. Les enfants de migrants bilingues

seraient quatre fois plus à risque d’être touchés par ce trouble que des enfants natifs monolingues

  9  

[38]. Les retards de langage étant fréquents, ils affectent l’acquisition de la langue seconde [39].

L’école étant la situation extra-familiale la plus courante chez un enfant alors c’est souvent en

milieu scolaire que le mutisme est constaté. Le plus souvent, ces enfants ne parlent pas aux

enseignants ni à leur camarades de classe et sont décrits comme timides et en retrait. Bien que

mutiques, ces enfants peuvent participer aux activités non verbales de la classe et arrivent parfois

à gagner l’amitié de leurs camarades qui peuvent se charger d’interpréter leur silence pour les

adultes [40]. Il y a souvent un retard diagnostique de deux à trois ans en raison de la discrétion de

ces enfants et la mise sur le compte de leur timidité. Le trouble ne serait alors repéré que lorsque

les apprentissages posent problème [41] ou que leur silence commence à agacer et suscite le rejet

des pairs ou des adultes.

Pour Toppelberg, le statut d'immigration et les processus qui s'y rattachent, tels que

l'acculturation, l'apprentissage d'une langue seconde, la discrimination par les pairs, la faible

estime de la culture d’origine par l’enfant et l’école, les difficultés de liens entre la famille et

l’école pourraient être impliqués dans la formation du trouble [39].

Il n’y pas d’organisation psychopathologique qui se dégage plus qu’une autre même si les

classifications internationales des maladies tentent d’assimiler le mutisme extra familial aux

troubles anxieux : c’est un concept trans-nosographique (qui peut être vu dans différentes

organisations de la personnalité). L’évaluation pédopsychiatrique permet d’individualiser ces

éléments pour mieux orienter les soins [37,39,42,43].

Il faut distinguer le mutisme extra familial de la “phase silencieuse” que traverse tous les

enfants de migrants lorsqu’ils commencent à parler dans la langue seconde [44]. Cette phase est

en lien avec leurs difficultés langagières et la nécessité de se familiariser avec un environnement

étranger, processus complexe résultant d’une intrication de stratégies cognitives, sociales et

affectives [45]. Classiquement cette période est décrite chez des enfants entre trois et huit ans et

ne va pas au delà de six mois. Dans ce “mutisme physiologique”, l’enfant progresse, ce que l’on

ne constate pas dans le mutisme extra-familial [39].

2.2.2. Hypothèses sur la formation et le sens du trouble

  10  

Longtemps ce silence était interprété comme une forme d’agressivité et on parlait de

“silence hostile”. Il a souvent été décrit une relation quasi fusionnelle entre mère et enfant,

empêchant l’enfant de se séparer [46]. Pour Yanof, c’est un symptôme amenant à un compromis,

lorsque parler est assimilé à un conflit entre la langue de sa mère et la seconde langue. Pour

l’enfant, parler une autre langue que celle de sa mère, la langue du dehors, serait un acte agressif

et transgressif permettant la séparation / individuation. Ce silence est pour lui un cri au secours,

dans un mouvement de refus de cette séparation [47]. Mc Carthy, pense que ce silence a une

vertu protectrice envers des sentiments ambivalents, pour retrouver une contenance et parle de

“mutisme coquille”, “mutisme abri” [43].

Le mutisme extrafamilial est une situation illustrant parfaitement la clinique

transculturelle: c’est une difficulté à faire du lien entre le monde du dedans (la famille et la

culture d’origine) et le monde du dehors (l'école et la culture d’accueil). Pour Moro, les parents

migrants ont parfois du mal à présenter à leurs enfants « le monde à petite dose ». Ces enfants

sont exposés à ce nouveau monde extérieur de façon traumatique, sans guide pour les

accompagner. L’'enfant de migrants se construit alors sur un clivage entre le monde lié à la

culture familiale (le monde de l'affectivité) et le monde du dehors, celui de l'école (monde de la

rationalité et du pragmatisme). Le mutisme sélectif est alors le signe de ce clivage et peut être le

reflet d'un conflit de loyauté dans lequel se sent pris l'enfant entre le groupe familial et l'extérieur.

Il peut témoigner de l’impossibilité pour l’enfant à se séparer de sa mère, d'autant plus qu'elle

peut être fragilisée par la migration et ses ruptures[48]. Il peut témoigner de sa révolte face au

sentiment d’injustice vécu par les parents [41].

Pour aider les enfants de migrants, il sera nécessaire de créer des liens, des passages entre

ces deux mondes afin qu'ils puissent s'inscrire de manière adaptée dans les logiques scolaires et

pour qu’ils se construisent de façon harmonieuse en relation avec un monde pluriel.

2.3. L’attrition de la langue maternelle chez les enfants de migrants

Rezzoug et Moro remarquent que le Centre Du Langage est sollicité pour des troubles

  11  

langagiers en français, des difficultés d’apprentissage, ou des troubles d’ordre

psychopathologique, cependant les parents nous interrogent peu sur les compétences de leurs

enfants dans leur langue maternelle ni sur le renoncement de ces enfants à leur langue première.

Les auteurs appellent cette situation un « mutisme de la langue maternelle » [49]. D’après

l’enquête menée par Moro, seuls 15% des enfants de migrants sont effectivement bilingues en

Seine Saint Denis [50]. Il est difficile de faire des statistiques en population générale mais

Deprez, analysant les résultats de l'enquête « Histoire familiale » conduite par l'Insee - Ined,

souligne que la proportion de familles parlant leur langue maternelle à leurs enfants varie

beaucoup d’une langue à l’autre et pourrait dépendre de la vitalité ethnolinguistique portée par

une communauté très structurée ou par la valorisation de la société française [51]. La perte de la

langue maternelle peut-elle être considérée comme pathologique lorsque l’on peut s’exprimer

dans d’autres langues? Actuellement de plus en plus de recherches tentent à montrer le caractère

protecteur de son maintien ou au contraire les risques corrélés à sa perte et c’est aussi notre

expérience transculturelle.

2.3.1. Définition

L'attrition de la langue maternelle est définie par Serre et Bennabi-Bensekhar, comme la

réduction ou le tassement des connaissances linguistiques initialement acquises. Ce phénomène

est soumis à un effet d'âge mais aussi à la fréquence et à la qualité des sollicitations verbales,

pouvant aller jusqu'à l'extinction d'une langue initialement acquise. Toute langue, même la langue

qui a permis à l’enfant de découvrir le monde, de poser pour la première fois un mot sur les

choses, de médiatiser la relation avec sa mère, est capable de s’éteindre [41].

2.3.2. Conditions de survenue

Ces mêmes auteurs ont mis en évidence les règles suivantes en matière d’attrition : la

position de puîné d'un enfant dans sa fratrie est défavorable dans la mesure où la maîtrise du

français par les aînés peut contribuer à une régression de la position de la langue familiale par

diminution de son exposition. Les auteurs remarquent que les risques d'attrition d'une langue sont

plus élevés si l’enfant en est privé tôt dans sa vie mais, qu’elle est plus aisément récupérée si elle

  12  

est plus rapidement réintroduite, après une période d'attrition. Les risques d’attrition d'une langue

se réduisent avec l’âge. La récupération d’un bilinguisme actif (production de langage) est

favorisée par un bilinguisme passif (compréhension). Le risque d’attrition est plus grand au

moment de la scolarisation au cours préparatoire car c’est à cette période que se mettent en place

les apprentissages, en particulier celui du langage écrit [41]. C’est une étape critique pour la

langue maternelle d’autant plus lorsqu’elle n'est pas portée par les parents comme vecteur et objet

de transmission valorisé. Les parents, eux-mêmes, s’ils sont dans l’apprentissage de la langue

d’accueil facilitent l’attrition de par la surreprésentation de la deuxième langue à la fois dans le

monde du dehors et du dedans (le milieu familial).

2.3.3. Enjeux de la valorisation du bilinguisme chez les enfants de migrants

Les avantages liés à la situation de bilinguisme ne sont plus à prouver sur le plan cognitif

chez les enfants bilingues. Il est avéré que les bilingues sont plus performants sur des tâches

impliquant l’analyse et la synthèse des informations, que ces performances persistent avec le

temps, étant alors indirectement un facteur protecteur contre le déclin cognitif, comme le met en

avant Ellen Bialystok dans une revue de la littérature pour les différents types de bilinguisme

[52].

Au niveau scolaire, Lutz a montré qu’aux Etats unis d’Amérique les enfants de migrants

originaires de pays hispanophones réussissent mieux lorsqu’ils sont bilingues espagnol-anglais

que monolingue en anglais. De plus lorsque l’enfant bilingue sait à la fois lire et écrire dans sa

langue maternelle, il a de meilleurs résultats dans sa seconde langue. Dans cette étude, il a été

démontré qu’une relation familiale soutenante aide ces enfants alors que le familialisme (relations

familiales d’exclusivité et placées au dessus de toute relation sociale) est corrélé avec des

difficultés scolaires [53]. Il semblerait qu’il y ait moins de comportements antisociaux chez des

enfants qui parlent leur langue maternelle à la maison avec leurs parents [54]. Toppelberg

a montré que chez les enfants de migrants hispanophones aux Etats-Unis, le groupe d’enfant

bilingue anglais/espagnol a moins de troubles psychopathologiques que les enfants monolingues

dans chacune des langues [55]. Les bilingues seraient moins dépendants à des substance licites ou

illicites [56–59] et moins sujets à la dépression que les migrants monolingues dans la langue du

pays d’accueil [60]. Gibello, avec la notion de contenants culturels implicitement transmis par le

  13  

groupe, a mis en évidence, lorsque cette transmission fait défaut, l’émergence chez ces enfants de

migrants de troubles de la pensée et du développement cognitif [61].

L’enjeu de garder la langue maternelle et de la faire vivre est important car elle est un des

représentants identitaires et bien souvent le seul lien langagier entre l’enfant et sa famille. Une

valorisation des langues maternelles permet une bonne estime de soi chez des individus qui

peuvent ainsi mettre en avant leurs savoirs linguistiques et culturels et s’inscrire dans une histoire

langagière et culturelle.

2.3.4. Facteurs influençant la transmission des langues maternelles

Barontini souligne certains facteurs familiaux influençant la transmission des langues

partant du cas particulier de la transmission de l’arabe maghrébin. Le parcours scolaire, le milieu

social, le mode d'habitat, les réseaux sociaux et communicationnels, les compétences

linguistiques des parents auraient leur importance dans la transmission des langues maternelles.

Elle remarque l’importance de la volonté parentale consciente de transmission, ce qui suppose

une forme de sécurité linguistique. Les séjours réguliers (pour les vacances, par exemple) dans le

pays d'origine des parents ou grands-parents avec qui les enfants entretiennent souvent des liens

affectifs forts, un accompagnement dans l'apprentissage par l'entourage qui parle l’arabe

favoriseraient cette transmission. Le rôle d'intermédiaire joué par certains enfants entre leurs

parents et les administrations françaises serait un facteur favorisant pour lui, cependant on

comprend bien que cela place l’enfant dans une position délicate où il est parentifié. En revanche,

la stigmatisation des enfants qui ne parlent pas parfaitement arabe dans le pays d’origine de leurs

parents ou qui parlent arabe en France pourrait être un facteur empêchant le développement de

compétences bilingues. [62]. Hamers et Blanc avaient mis en évidence qu’à l’adolescence les

langues se transmettent beaucoup moins facilement entre autre à cause d’un sentiment de honte

de la différence [31].

La culture la plus valorisée a plus de chance de s’imposer comme le montrent ces derniers

auteurs: les langues n’ont pas le même statut dans une société [31]. Cette constatation

  14  

sociolinguistique a des répercussions psychologiques importantes chez les enfants de migrants.

L’enfant bilingue peut éprouver un sentiment de honte lorsque sa langue maternelle n’est pas

valorisée par la société d’accueil. C’est une véritable impuissance apprise qui doit être combattue

pour éviter que l’enfant ne se construise sur des assises fragiles. Pour les enfants, l’école doit être

ce lieu qui valorise leurs compétences linguistiques mais aussi culturelles.

En situation clinique, nous avons quelques fois été confrontés à des enfants ou à des

parents qui ont été exposés à des traumatismes psychiques. On peut alors se demander si cette

difficulté à transmettre la langue n’a pas l’objectif inconscient ou pré-conscient, d’épargner leurs

enfants de leur « langue traumatisée ». L’étude de Schmid montre que l’importance de l’attrition

de la langue maternelle des Allemands juifs survivants de la Shoah est liée à l’importance du

traumatisme auquel ils ont été exposés [63]. La langue dans laquelle le traumatisme a effracté la

pensée a tendance à s’effacer comme pour se sortir de processus mortifères. Pour Nathan, la

migration peut être considérée comme un traumatisme par la rupture du cadre culturel internalisé

qu’elle induit [64]. Ainsi l’attrition de la langue maternelle pourrait avoir comme but d’effacer le

souvenir traumatique d’un pays qui se fait de plus en plus lointain.

2.3.5. Addition, soustraction des langues ?

On parle de bilinguisme soustractif dans les pays anglo-saxons lorsque l’apprentissage d’une

deuxième langue se fait au détriment de la langue maternelle. La littérature plaide pour les

bienfaits d’une prise en compte des langues d’origine à l’école afin de favoriser un bilinguisme

additif où les langues se renforcent l’une l’autre. Le terme de bilinguisme soustractif est décrié

car il a aussi été utilisé pour qualifier la compétence imparfaite dans les 2 langues qui soustrait

des avantages cognitifs de la situation bilingue (en terme de flexibilité mentale, de synthèse).

D’autres termes dépréciatifs ont été employés pour qualifier cette situation: Semi-linguisme,

Semi-locuteurs, Sous-usagers, double incompétence. Le bilinguisme est alors défini comme une

maitrise de natifs dans les 2 langues. Il est rare pourtant que les enfants développent un

bilinguisme équilibré et parfait. Plusieurs cas de figures sont possibles :

-les enfants suivent les aléas du processus d’attrition de la langue maternelle décrit plus haut sans

avoir acquis suffisamment l’autre langue.

  15  

-la stagnation des compétences en langue maternelle en lien à l’absence d’étayage par les

apprentissages (langage écrit, Histoire, culture...),

-un processus pathologique qui touche le langage. Le bilinguisme n’est pas un facteur de risque

de dysphasie mais il paraît facile de le désigner responsable des troubles. Cela tient davantage des

représentations populaires que d’une réalité scientifique.

-Le parler bilingue « physiologique » : Il n’est pas rare que les bilingues usent des 2 langues pour

parler entre eux : c’est ce qu’on appelle le « code switching », altérnance des codes, un véritable

langage métissé. Le concept même de langue maternelle chez les enfants de migrants doit prendre

en compte ces aspects dynamiques. Comme le souligne Sylvie Warthon, le concept de langue

maternelle est imprégné des caractéristiques du monolinguisme et ne prend pas en compte le

rapport que les enfants de migrants ont avec la langue et la culture de leur parents [65].

2.4. De la vulnérabilité à la créativité : le bilinguisme une chance à partager

Le concept de potentialités réversibles rend bien compte de la « double polarité » sur laquelle se

construisent les enfants de migrant en fonction du risque transculturel [50]. Le concept de

vulnérabilité s'oppose donc à celui de la résilience. Moro [66] montre l’importance du

bilinguisme comme potentialité et comme chance et décrit bien les trois cas de figures rencontrés

chez des enfants réussissant bien à l'école et qui permettent le développement de «potentialités

créatrices» [ibid.]:

- l'enfant bénéficie d'un milieu sécurisant et stimulant ;

- l'enfant trouve un étayage dans l'environnement des adultes qui lui servent d'initiateurs dans le

nouveau monde ;

- l'enfant est doué de capacités personnelles singulières et d'une estime de soi importante. Dans ce

cas, la source se trouve à l'intérieur même de l'enfant, on peut parler d'une résilience. La

résilience est la capacité à résister, à se défendre. Elle se compose de facteurs internes ou

environnementaux de protection [67]. C’est cette chance du bilinguisme qui doit être partagée par

tous.

2.5. L’enfant de migrant et l’orthophoniste

  16  

Le dernier aspect affectif dans la prise en charge de difficultés langagières relève des enjeux

transférentiels et contre-transférentiels de toute relation de soin. La relation thérapeutique est

aussi importante que la prise en charge d’un symptôme et fait partie intégrante des soins dans un

suivi quel qu’il soit comme l’a mis en avant Balint. Plus particulièrement au sujet des troubles du

langage, René Diatkine était favorable à l’idée de ne pas opposer les démarches rééducative et

psychothérapique. Il considérait que la fiabilité du cadre et l’accompagnement d’un adulte dans

le langage sont thérapeutiques en soi, à l’image d’une berceuse chez un enfant qui a peur du noir

[34]. Comme l’a montré Marie Rose Moro, en commentant un étude menée par Charlot, les

enfants de migrants sont très sensibles, voire dépendants, aux caractéristiques relationnelles dans

les situations de transmission : les enfants de migrants, même les plus brillants, aiment l’école à

la fois pour l’enseignement mais aussi pour l’enseignant [66], ce que nous pourrions extrapoler à

l’orthophoniste.

En prise en charge orthophonique, comprendre les enjeux psychopathologiques et

transculturels dans les troubles du langage des enfants de migrants bilingues nécessite un

décentrage culturel et professionnel, délicat mais essentiel. . C’est avec cette position que le

bilinguisme devient une chance pour les enfants, tous les enfants. La formation des

orthophonistes à la clinique transculturelle, la supervision et la pluridisciplinarité sont des outils

importants chez ces enfants créatifs qui nous apprennent à l’être.

3. L’EVALUATION ORTHOPHONIQUE BILINGUE

3.1. Bilan orthophonique pour des enfants en situation de bilinguisme

A Avicenne, le bilan orthophonique en situation de bilinguisme a pour originalité de

proposer une évaluation en français et une autre dans la langue maternelle de l’enfant. La

présence de l’interprète permet à l’orthophoniste de dépister certaines altérations, qu’elles soient

phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques ou réceptives, dans une langue qu’il ne connaît pas.

Les altérations repérées dans la langue maternelle de l’enfant sont mises en lien avec les

difficultés relevées en français. L’enjeu principal de cette évaluation est de déterminer si l’on se

trouve ou non en présence d’un trouble spécifique du langage oral, appelé aussi dysphasie.

  17  

Pour ces évaluations, très atypiques, nous utilisons une batterie encore en cours de

validation, l’ELAL d’Avicenne© qui est le fruit d’un travail de réflexion transculturel sur le

bilinguisme des enfants de migrants. Cet outil parcourt les différentes modalités langagières à

évaluer, la programmation phonologique, la structuration lexicale, la construction

morphosyntaxique et la compréhension orale. Il permet, avec l’aide d’un traducteur, de quantifier

les difficultés de l’enfant dans sa langue maternelle, et de les mettre en lien avec d’éventuelles

difficultés relevées lors de l’évaluation classique faite en français [68].

Pour la construction de cet outil nous sommes parti du postulat que si l’on se trouve face à

un trouble spécifique du langage oral, les altérations linguistiques doivent être retrouvées dans les

deux systèmes linguistiques. La nature du trouble est la même dans les deux langues [69–71] et

ceci doit donc être établi de manière rigoureuse. La difficulté réside dans le fait que les altérations

ne portent pas forcément sur les mêmes modalités dans les deux langues. Par exemple, pour un

enfant de langue maternelle tamoule, on peut retrouver des déformations morphosyntaxiques en

français, et lexicales en tamoul. D’autre part, le diagnostic de dysphasie va dépendre de

l’importance des troubles dans les deux langues. Si on relève un retard massif en français, mais

peu présent dans la langue maternelle, on ne pourra alors pas, a priori, parler de trouble

spécifique du langage oral. En règle générale, on considère qu’un enfant qui a pu apprendre à

parler sa langue maternelle, même avec un retard plus ou moins important, est capable de

construire un système linguistique. On ne se trouve donc pas dans le cadre d’un trouble structurel.

À l’inverse, si les difficultés existent dans les deux langues, et de manière importante, on pourra

alors se poser la question d’un déficit structurel de construction des langues. Il est donc important

de noter qu’à l’heure actuelle, aucune étude ne permet de considérer la situation de bilinguisme

comme critère d’exclusion du trouble spécifique du langage oral à condition de bien évaluer

l’enfant dans ses deux langues.

Lorsque le recours à un traducteur est trop complexe à organiser, des alternatives existent. Par

exemple, des entretiens semi-structurés avec les familles sont de précieuses sources

d’informations sur la compétence et l’utilisation de la langue maternelle chez les enfants

bilingues [72–76]. Ils permettent un recueil d’informations telles que le nombre de mois

d’exposition au français, le contexte d’utilisation des deux langues, éventuellement des

  18  

antécédents familiaux de troubles du langage. En français, une aide au recueil anamnestique

auprès de parents a été créée dans un guide d’information pour la prise en charge des enfants

bilingues par Flora Lefevbre [77].

3.2. Limites

Les évaluations bilingues, même si elles sont indispensables, restent complexes et

reconnaissent des limites. Tout d’abord, la présence de l’interprète va induire des modifications

dans le cadre classique de l’entretien de l’orthophoniste avec l’enfant et sa famille, et également

dans la passation proprement dite du bilan.

L’enfant va-t-il s’autoriser à parler sa langue maternelle en présence d'une personne qu’il

ne connaît pas ? Est-ce que cette personne inconnue, parlant une langue familière ne va pas le

déstabiliser ? Pour ces raisons principalement, il est très important d’expliquer au traducteur, avec

précision, le rôle qu’il va jouer dans cette évaluation.

Ce rôle est à la fois clinique et technique ne se limitant pas à un simple travail de

traduction globale. Il doit, dans la mesure du possible, restituer les altérations faites par l’enfant

au sein de ses productions. De ce point de vue, il apparaît évident que certaines altérations

relevées dans la langue maternelle ne peuvent pas trouver leur équivalent en français. Ensuite, la

modalité langagière considérée va être plus ou moins évaluable selon la structure de la langue

maternelle. Ainsi, les deux modalités les plus complexes à évaluer dans ce contexte sont la

programmation phonologique et la structuration morphosyntaxique. Pour la première, l’interprète

peut éventuellement décrire des difficultés articulatoires et phonologiques, mais sans trouver leur

équivalent en français. On pourra alors simplement parler de retard articulatoire et/ou

phonologique, mais sans pouvoir décrire les types de facilitations phonologiques employées par

l’enfant. Il faut également considérer le système phonétique de la langue. Par exemple, dans la

langue arabe, les phonèmes [i] et [è] ne sont pas différenciés. Il peut en découler des difficultés à

produire de façon distincte des mots dont la différenciation implique une variation sémantique et

/ ou morphosyntaxique (il / elle). De manière similaire et pour avoir une représentation de ce que

conditionne un système phonétique, celui du français ne différencie pas le phonème [k] prononcé

dans les mots « cou » et « que », alors que le système phonétique arabe les distingue [78]. Pour

la seconde modalité, les structures morphosyntaxiques et les morphèmes grammaticaux du

  19  

français ne trouvent pas toujours leur équivalent dans la langue maternelle de l’enfant. Par

exemple, les notions de réversibilité de la phrase (voie active versus voie passive), n’existent pas

en tamoul. Il est donc parfois très difficile d’établir un lien entre d’éventuelles altérations

morphosyntaxiques entre les deux systèmes linguistiques. Le rôle de l’interprète est d’expliquer à

l’orthophoniste que telle ou telle structure morphosyntaxique n’existe pas ou est différemment

construite dans la langue maternelle de l’enfant. La situation transculturelle suppose que

traducteur, orthophoniste et cliniciens se décentrent et se forment.

D’autre part, des questions sont soulevées concernant la construction des tests utilisés en

français. Les items constituant notamment les épreuves d’évaluation du lexique (actif et passif) et

de la programmation phonologique sont choisis selon leur fréquence dans la langue et leur

composition phonologique. Il apparaît donc que ces items ne peuvent pas être les mêmes selon

les langues concernées. Ce point est important, puisque l’on sait que la mémoire sémantique5 se

construit chez l’enfant selon son exposition aux différents mots de la langue [79]. La dimension

culturelle apparaît ici clairement dans la construction de la modalité lexicale du langage oral et

dans son évaluation.

3.3. Valeurs des langues et langue maternelle à valoriser

Enfin, l’évaluation du langage oral ne peut jamais être dégagée de la perception qu’ont

l’enfant et sa famille des systèmes linguistiques abordés. Certaines langues sont parfois perçues

par les personnes (enfant, famille) et par les institutions (école, administrations, etc.) comme étant

« supérieures » ou « inférieures » à d’autres, ou bien comme étant plus ou moins utiles. Il arrive

assez souvent que des familles privilégient totalement la langue du pays d’accueil au détriment de

la langue maternelle, dans un souci et, parfois, dans une illusion de faciliter l’intégration de leurs

enfants. Dans le cadre d’une situation de bilinguisme successif (les langues sont transmises l’une

après l’autre), il faut garder à l’esprit l’idée que la bonne maîtrise d’une langue première

constitue un élément facilitateur de l’apprentissage d’une langue seconde. La stabilisation d’un

premier système linguistique, celui de la langue maternelle, est essentielle pour permettre à

l’enfant d’aller sereinement vers un second système linguistique. Dans une situation de

bilinguisme simultané (les langues sont apprises de manière concomitante), les systèmes

                                                                                                               5  Catégorie mnésique qui contient le sens des mots lexicaux, des morphèmes grammaticaux entre autres.  

  20  

linguistiques se renforcent l’un l’autre, à condition que des liens entre eux puissent être établis, et

surtout, entretenus. Donc dans les deux cas, le maintien d’une pratique importante et régulière de

la langue maternelle est essentiel.

D’une manière générale, les points essentiels à souligner s’articulent autour de la complexité des

situations cliniques liées au bilinguisme. Tous les référents théoriques et cliniques que l’on s’est

appropriés sont constamment questionnés. Ces situations de bilinguisme sont un moteur créatif

très puissant, puisque nous sommes sans arrêt obligés de réinventer différentes manières de faire

avec ces enfants, que l’on soit en bilan ou en prise en charge. Une des pistes les plus porteuse

dans ce type de travail, est de s’appuyer sur ce que l’enfant produit, surtout lorsque ces

productions contiennent des éléments de sa langue maternelle, quelles que soient les modalités

linguistiques concernées. Enfin, la création de liens entre les mondes culturel et linguistique de

l’enfant demeure un enjeu essentiel dans le projet de soins orthophonique(s), et dépasse la plupart

du temps la seule question linguistique instrumentale pour être replacée dans un contexte plus

global, transculturel.

3.4. Situation clinique d’évaluation bilingue

Fin 2012, nous recevons en consultation au Centre du Langage, un jeune garçon de 8 ans

et demi que nous appellerons Isaac. Isaac et sa famille sont originaires de Tchétchénie, pays

qu’ils ont quittés lorsqu’il avait huit mois. Madame est parfaitement bilingue russe / tchétchène,

et comprend bien le français mais ne le parle que très peu. Elle a parlé à son fils en tchétchène

depuis qu’il est bébé, et Isaac a appris le russe un peu par sa mère, mais surtout par la télévision.

Monsieur parle tchétchène à ses enfants. Deux évaluations en langue maternelle seront proposées,

l’une en russe et l’autre en tchétchène, avec l’aide d’un traducteur uniquement en russe6.

L’évaluation en tchétchène est très atypique, puisque la présence de la maman sera requise afin

qu’elle joue également le rôle de traducteur. Cette configuration de passation, encore jamais

expérimentée dans le service, donnera lieu à d'intéressantes constatations sur les représentations

des langues.

                                                                                                               6  Nous n’avions pas d’interprète en tchétchène à disposition à ce moment-là.  

  21  

Les premiers éléments linguistiques recueillis concernent les aspects non verbaux: une

faible incitation verbale, des difficultés pour accepter de parler sa (ses) langue(s) maternelle(s)

face à une personne inconnue, une certaine tristesse qui infiltrera toute la passation. Isaac

pourtant, courageusement, se prêtera à toutes les épreuves proposées. La sensibilité d’Isaac aux

aspects infra verbaux du langage est meilleure dans sa langue maternelle qu’en français. La

dimension instrumentale est plus investie pour la langue seconde, même si un retard est constaté

pour toutes les modalités orales. Ce point est fréquemment observé chez les enfants en situation

de bilinguisme, avec une grande sensibilité aux variations prosodiques, intonatives, expressives

de la langue maternelle, alors que cette sensibilité semble s’amoindrir face aux exigences

instrumentales de la langue seconde. Pourrait-on y voir un lien avec les différents investissements

affectifs des langues qui composent l’univers culturel de l’enfant? Des éléments plus

instrumentaux sont ensuite relevés concernant les productions linguistiques proposées par Isaac.

Lorsqu’il parle, quelle que soit la langue considérée, Isaac a tendance à élider la fin des mots. Or,

en russe comme en tchétchène, la fin des mots porte leur fonction morphosyntaxique qui leur est

attribuée dans la phrase. Donc, lorsqu’Isaac élide la fin des mots en russe ou en tchétchène, il leur

enlève leur rôle morphosyntaxique, mais lorsqu’il fait la même chose en français, l’effet

d’altération morphosyntaxique est moindre puisque c’est la place du mot qui porte son rôle dans

la phrase. Au moment où j’explique cela à la maman d’Isaac, elle entame une discussion avec

l’interprète, qui m’en traduit ensuite le contenu. Il explique la pensée de Madame selon laquelle

cette élision de la fin des mots est un vrai handicap pour son fils, quelle que soit la langue

puisque, je cite “toutes les langues ont des déclinaisons”. Cette réflexion me frappe d’autant plus

qu’elle montre de la part de Madame un intérêt pour ce qui concerne les aspects formels des

langues. Nous constatons ici, au travers de cette conversation, que nos représentations

linguistiques sont clairement liées aux aspects structurels et formels de nos langues maternelles,

quelle que soit la position occupée dans la consultation. Nous avons ensuite passé un long

moment, avec l’interprète et Madame, à expliquer que toutes les langues ne sont pas structurées

selon le même mode. Le premier mouvement de Madame est de l’étonnement, avec un

questionnement sur “comment faites vous sans déclinaison?” Avec plusieurs exemples, nous

parvenons, l’interprète et moi-même, à lui faire comprendre que les mots ne sont pas

nécessairement porteurs de leur fonction grammaticale dans la phrase, mais que simplement leur

  22  

place peut remplir ce rôle. La maman d’Isaac, fine et rapide dans sa manière de comprendre ce

que nous lui expliquons, conclue ensuite: “c’est donc moins grave en français si Isaac enlève la

fin des mots?” Je lui confirme qu’en effet, cela n’altère pas la valeur morphosyntaxique de son

discours, mais cela reste tout de même préoccupant pour son développement linguistique

ultérieur, surtout lorsqu’il sera confronté à des activités d’ordre métalinguistiques, essentielles

ensuite pour entrer dans la lecture, et plus largement dans la littérature.

Cette présentation de cas permet d’avoir à l’esprit que nous ne sommes jamais

complètement libres de nos représentations linguistiques, et que les évaluations bilingues,

essentielles d’un point de vue théorique et clinique, le sont aussi pour notre propre aptitude à

saisir l’altérité linguistique de nos petits patients, et donc pour notre capacité créative, nécessaire

dans l’adaptation des contenus proposés.

.

4. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

4.1. La langue maternelle en prise en charge orthophonique

Ce qui vient d’être décrit concerne principalement les situations d’évaluation. Mais que

faire en prise en charge hebdomadaire voire pluri-hebdomadaire avec des enfants en situation de

bilinguisme ? Il semble bien évident, quel que soit le contexte d’exercice professionnel,

institutionnel ou libéral, que l’organisation d’une suivi orthophonique bilingue reste très

complexe, à moins d’être bilingue soi-même. Cependant, malgré la difficulté de prise en charge

pour ce type de patients, des liens sont possibles à établir entre les deux langues, et plus

largement entre les deux cultures. Ces liens constituent un socle indispensable à la construction

d’un projet de soins en orthophonie pour les enfants en situation de bilinguisme.

Ainsi, l’encouragement des parents à maintenir une pratique linguistique maternelle

régulière et soutenue avec leur (s) enfant (s) constitue un de ces liens fondamentaux. L’idée de

pousser les parents à arrêter la pratique de la langue maternelle avec leur enfant, sous prétexte

d’intégration facilitée, est une illusion. Illusion d’un point de vue théorique d’abord, puisqu’une

langue seconde (le français en l’occurrence, pour les familles migrantes) qu’elle soit maitrisée

  23  

correctement ou non, se transmet toujours plus laborieusement qu’une langue maternelle. Illusion

clinique ensuite, avec l’idée que l’abrasion des particularités culturelles et linguistiques de

l’enfant va l’aider à construire une relation de soin avec son orthophoniste. Même si pour la

plupart d’entre nous en France, nous sommes monolingues, rien ne nous empêche de manifester

un véritable intérêt relationnel et clinique pour le monde culturel et linguistique d’origine de nos

petits patients [80]. Une autre forme de lien peut être ainsi portée par cet intérêt. Par exemple, il

est possible en prise en charge, de travailler la construction du récit en demandant à l’enfant de

raconter certains événements familiaux ayant une forme culturelle différente de la nôtre. Le

support change (histoires en images classiques versus récit culturel), mais l’objectif de soin reste

identique : structuration du récit en français, avec toutes les contraintes phonologiques, lexicales

et morphosyntaxiques que l’on connaît. Le changement de position et de rôle est également un

puissant inducteur de progrès en prise en charge. Par exemple, lorsque l’orthophoniste travaille

un champ lexical spécifique avec l’enfant, il ou elle peut lui demander comment se dit tel ou tel

mot dans sa langue. Et lorsque l’orthophoniste tente de répéter ce mot, avec toutes les altérations

phonologiques que l’on peut imaginer, alors on observe la joie et l’engouement de l’enfant, qui

s’aperçoit qu’il n’est pas seul dans la difficulté de manier une langue seconde, et qui s’amuse en

général beaucoup des difficultés ponctuelles de son orthophoniste.

La prise en charge orthophonique n’est pas suffisante pour améliorer les difficultés

langagières des enfants de migrants. L’évaluation pluridisciplinaire révèle des éléments

psychopathologiques ou d’autres troubles enchevêtrés qu’il faut aussi prendre en compte. Nous

allons voir de quelle façon, au Centre Du Langage d’Avicenne, nous considérons l’enfant dans sa

globalité et tentons de révéler leur créativité pour les soigner.

4.2. Une prise en charge globale

Chaque facteur, qu'il appartienne à l'individu, à sa famille, à son histoire ou à

l'environnement social, agit en interagissant avec les autres en constituant des configurations

bilingues, des histoires langagières singulières qui génèrent alors une diversité de profils

bilingues [68]. L’enfant de migrant présente une vulnérabilité spécifique qui exige la construction

d’un cadre thérapeutique qui favorise les liens entre les deux systèmes de pensée.

  24  

Il nous paraît important de toujours rencontrer systématiquement l’enfant avec sa famille

et un interprète lorsque la langue première de la famille n’est pas la même que celle du

professionnel et ce en accord avec la famille. Cela permet de nouer une alliance thérapeutique et

ainsi faciliter la prise en charge de l’enfant. Les accompagnants, voisins ou la famille élargie

peuvent apporter des éléments importants qu’il ne faut pas négliger. Les intégrer à la consultation

avec l’accord de la famille permet de rétablir une fonction traditionnelle d’étayage et la

construction d’un cadre thérapeutique sécurisant. Les familles migrantes se sentent parfois

menacées par la relation duelle avec un soignant, relation qui n’est pas congruente culturellement

lorsqu’on vient d’une société traditionnelle où la place du groupe est importante.

Une prise en charge psychothérapique, individuelle, groupale ou familiale peut permettre

à l'enfant de s'individuer, et de s'affirmer en trouvant sa place dans le groupe de pairs, de soutenir

la parentalité mise à mal par la migration et des conditions sociales difficiles. Le groupe bilingue

d’Avicenne est un exemple de groupe thérapeutique qui révèle la créativité des enfants de

migrants.

4.3. Le groupe « bilingue »

Compte tenu de la difficulté pour certains enfants d’entrer dans le langage, l’échec scolaire qui en

résulte et la souffrance qui l’accompagne, le « groupe bilingue » est proposé aux enfants qui

consultent pour un trouble de langage, qui ont des compétences langagières médiocres, voire qui

présentent dans certains cas, un mutisme extrafamilial. Il s’agit d’un groupe thérapeutique

destinés aux enfants bilingues qui ont des difficultés à passer d’une langue à l’autre et où les

thérapeutes parlent plusieurs langues. Ce dispositif a été développé, s’appuyant sur la clinique

transculturelle, sur le constat qu’il y a une difficulté à faire des liens et donc que c’est le passage

d’une langue à l’autre qui pose problème pour ces enfants. Le groupe est animé par un

pédopsychiatre et une autre co-thérapeute psychologue de formation, également bilingues et

familiers des parcours langagiers des enfants de migrants. Il inclut, souvent à titre d’apprentis

thérapeutes, les stagiaires internationaux du service qui, eux aussi, on à faire ce passage d’une

langue à l’autre. La médiation utilisée dans ce groupe est le jeu et la langue commune est le

français. L’accent n’est pas mis sur une traduction unique en français, mais sur la diversité des

  25  

passages et des langues, sur la figuration de l’altérité. L’homogénéité de langues n’est pas

recherchée, la multiplicité étant considérée comme le cœur du travail dans ce groupe dit «

bilingue » mais si ce n’était que pour la multiplicité de langues représentées, il aurait pu s’appeler

« polyglotte ». Des entretiens avec les familles des enfants ont lieu préalablement à la

constitution du groupe. A chaque famille sont verbalisées les règles du groupe et l'intérêt

thérapeutique recherché pour l'enfant. Les familles sont aussi reçues à conclusion du groupe pour

un entretien de restitution.

4.4. La consultation transculturelle7

Les consultations transculturelles s'avèrent parfois nécessaires, lorsque les thérapeutes

classiques ne parviennent pas à décoder les symptômes ou lorsque ceux-ci sont liés à la migration

elle-même, nécessitant une prise en charge groupale selon le fonctionnement traditionnel

d'origine. On ne propose pas la consultation transculturelle pour la seule raison que la famille

vient d’ailleurs.

Cinq grands types d’indications peuvent être posés pour les enfants de migrants : (1) les parents

refusent d’aller consulter un psychiatre dans la mesure où ils n’arrivent pas à se représenter la

signification d’un tel acte. (2) Les parents consultent mais n’adhèrent pas aux modalités de

traitement proposées car ils les perçoivent comme antinomiques avec leurs propres manières de

penser et de soigner la maladie. Ils «subissent» le traitement mais celui-ci est inefficace car la

relation thérapeutique n’est pas établie, condition première de tout suivi efficient. (3) Ou encore,

la pathologie de l’enfant est culturellement codée (telle que les étiologies d’enfant-sorcier ou

d’enfant-ancêtre évoquées par les parents pour rendre compte de la souffrance de leurs enfants).

(4) Parfois, la pathologie de l’enfant semble directement liée au clivage entre ces deux mondes

d’appartenance. Ainsi en est-il du mutisme extra-familial des enfants de migrants qui suspendent

leur parole dès qu’ils quittent la maison, seul lieu où ils se sentent en sécurité. (5) Enfin, quand la

pathologie de l’enfant est le lieu de confrontation entre deux systèmes de soins: le système

traditionnel et le système occidental, ce qui met en danger la santé même de l’enfant.                                                                                                                7  Comme celle que Marie Rose Moro a mis en place à l'Hôpital Avicenne (Bobigny) depuis 1989 ou depuis 2008 à la

Maison de Solenn (Hôpital Cochin, Paris) avec une méthodologie complémentariste qui associe anthropologie, linguistique et psychanalyse (Moro, 2008).  

  26  

Ces prises en charges familiales permettent de travailler sur les aspects

transgénérationnels. Le passage d'un monde à l'autre et d'une langue à l'autre, sont figurés par un

groupe de thérapeute métissé au niveau des genres, des cultures et des professions, ainsi que par

la présence d'un interprète/médiateur culturel, qui permet l'accès à la langue maternelle, celle des

affects. L'altérité et le métissage sont ainsi matérialisés. Les cothérapeutes proposent des lectures

et hypothèses multiples et assument également une fonction contenante. Le fait de pouvoir

s’appuyer sur un groupe est très important pour les familles car dans beaucoup de cultures la

famille n’est jamais seule en particulier lorsqu’un enfant est touché. Les enfants, souvent placés

au centre du groupe, entendent la parole indirecte des adultes et y réagissent dans les dessins ou

les histoires qu'ils inventent, accompagnés par un cothérapeute. Le travail sur les représentations

culturelles permet de co-construire un sens individuel, selon trois axes (Moro, 1994) [7]: La

considération ontologique du sujet malade, les théories étiologiques de la maladie et les logiques

thérapeutiques. Le thérapeute principale prend la place du sage, qui centralise la parole et le

transfert, mais ne remplace ni les thérapeutes traditionnels du monde d'origine, ni les thérapeutes

classique du monde d'accueil. En effet, les orientations se font souvent en seconde intention, en

complément des prises en charge classiques, afin d'apporter un éclairage culturel plus ponctuel

aux soignants aussi bien qu'aux patients. L’enfant est accompagné de ses parents et de tous les

membres de la famille élargie qui le désirent. L’équipe médicale qui nous adresse l’enfant vient

aussi à la consultation pour éviter une rupture supplémentaire.

Le thérapeute part des représentations de la famille pour co-construire un cadre culturel.

Une fois le cadre culturel établit le travail psychothérapique peut se dérouler efficacement. A

partir du sens culturel des troubles, peut ensuite se construire un sens individuel [81]. Des ponts

s’établissent entre les cultures et au sein même de l’histoire familiale permettant d’accompagner

le processus de métissage en cours.

L’établissement du cadre thérapeutique, le récit de la migration familiale et du vécu par l’enfant

de cet événement, la construction de liens entre l’avant et l’après suffisent, souvent, à rendre

représentable l’événement traumatique pour l’enfant et sa famille. Ainsi, l’enfant peut ensuite

investir sans trop d’anxiété le monde du dehors. Il faut laisser du temps à l’enfant pour élaborer

cet événement. Les soignants sous-estiment souvent l’impact traumatique de l’exil. En effet,

l’exil n’est pas seulement un événement sociologique, c’est aussi un événement psychologique. A

  27  

ce traumatisme de tout changement de pays peut se surajouter les conséquences d’un départ

brutal et violent dans des conditions de persécutions politiques ou de catastrophes naturelles.

La consultation transculturelle reçoit des familles migrantes et leurs enfants en seconde

intention lorsque les soins de première intention bien conduits n’aboutissent pas à une

amélioration des symptômes.

Au Centre du Langage on y fait appel quand on ne voit pas d’amélioration dans les

symptômes de l’enfant alors que différentes prises en charge aient été proposés, ou encore

lorsque la famille ne comprend pas les soins que l’on propose et y sont hostiles. Cela arrive

lorsque les théories culturelles sont très ancrées. Nous faisons alors appel à la consultation

transculturelle afin de négocier entre les soins traditionnels et les soins d’ici afin d’accompagner

l’enfant le mieux possible.

Comme le souligne Moro : « Les métissages culturels et identitaires semblent être un

compromis face à l’impossible choix d’être seulement d’ici ou seulement d’ailleurs […] il n'y a

pas de cohérence immédiate, sensible, logique, pas d'adéquation systématique entre le transmis et

le vécu, le dedans et le dehors » [48]. Le travail qui est proposé au groupe bilingue et à la

consultation transculturelle, est d’accompagner les enfants dans cette négociation entre les

mondes. Chez ces enfants, le métissage est un enjeu de leur construction identitaire : il faut

réussir à « s'inscrire dans le monde d'ici, en s'appuyant sur le monde d'origine de ses parents »

(op. cit.).

4.5. La prise en charge de Haran

Pour rendre vivants ces processus complexes, nous avons choisi de parler ici d’un enfant

d’origine tamoule présentant un mutisme extrafamilial. Comme nous l’avons déjà vu, certains

enfants se trouvant alors face à un choix impossible entre leurs parents et le monde du dehors

(représenté par l’école), suspendent, transitoirement, leur parole, leur pensée et leur être même

[48]. C’est ce qui est arrivé à Haran, un petit garçon de neuf ans qui a été adressé au Centre Du

Langage de l’hôpital Avicenne par son équipe éducative pour un mutisme extra familial. Il est

l’ainé d’une fratrie de trois enfants. Les parents ont quitté le Sri Lanka en 1995 à cause de la

guerre. Les parents ne parlant pas bien le français, nous avons fait systématiquement appel à un

  28  

interprète tamoul. Il est ressorti des consultations familiales que les trois enfants étaient affectés

de différentes manières et que les parents étaient en difficulté dans leurs places respectives. Face

aux difficultés de Haran, il a été proposé le groupe bilingue afin de travailler sur les questions du

passage d’un monde à l’autre et aussi de mieux observer Haran parmi ses pairs. Une

psychothérapie individuelle a aussi été mise en place passant essentiellement par l’écrit et le jeu

parallèlement à des consultations transculturelles familiales. En effet, les éléments culturels et

ceux liés à l’histoire migratoire de la famille semblaient avoir une place importante dans le

mutisme de Haran en particulier et dans les difficultés de la famille en général. Les différents

professionnels s’occupant de la famille ont également été invités à participer à la consultation

transculturelle. Lors des consultations, la famille a évoqué avec nostalgie la vie au Sri-Lanka, les

difficultés de la migration et du changement de langue et de monde, la difficulté de la vie ici...

Ainsi les parents ont pu mettre des mots sur leur souffrance, leur grande solitude et leur

difficulté à être parents en exil, le père a pu exprimer des affects dépressifs en lien avec le deuil

de son propre père et la mère a pu dire sa grande solitude en France.

En effet, il semble que les enfants aient comme fonction pour cette famille, celle de

réparer certaines blessures des parents (le père a dit à plusieurs reprises qu’il pouvait apprendre

beaucoup de ses fils). Cela, Haran l’exprime à travers le jeu. Lors de la première consultation,

Haran a posé au milieu du cercle des thérapeutes une grande maison (un jouet) et il est parti

s’installer en dehors du groupe, comme s’il demandait qu’on s’occupe de sa famille. D’ailleurs, il

dessine souvent des maisons flottantes, non fixées au sol. Au fur à mesure des consultations

transculturelles, Haran a commencé à investir de plus en plus les différents lieus de soin et il

a fait des liens avec ce qu’il entendait dans le groupe transculturel. Ainsi, il a pu rejouer pendant

sa thérapie individuelle, les inquiétudes de son père en mettant en scène une famille de tigres

confrontés à différents problèmes et vivant sans cesse dans la peur, l’inquiétude, la solitude. Dans

le groupe bilingue, il est s’est petit à petit ouvert, en commençant à rire la bouche ouverte, à

pouffer de rire, à chuchoter des mots lors du jeu du téléphone arabe et enfin à parler avec le

thérapeute du groupe d’une douleur physique. Puis, au fur et à mesure que l’histoire familiale

prenait un sens dans les consultations transculturelles, il a pu parler sans difficulté, exprimant son

désaccord et ses idées dans le groupe bilingue puis dans les différents espaces dont l’école.

  29  

Comme le montrent les dessins de Haran, nous pourrions dire que la maison, au fur à mesure que

chacun sortait de sa tristesse et de sa solitude, a pu se fixer sur le sol.

A travers cette histoire clinique, on peut voir comment, à travers une prise en charge

intégrée inscrivant le symptôme dans son contexte relationnel et culturel, on peut mieux soigner

les enfants des migrants et leur langage. Dans ce cas, les différents lieux (groupe bilingue, groupe

transculturel, suivi familial, suivi individuel) travaillent ensemble et des liens se construisent

entre les récits qui émergent dans les différents espaces. Ces différents lieus sont proposés selon

les besoins et les difficultés rencontrées, il n’y a pas un protocole précis à suivre pour un enfant

de migrant. Chaque enfant est différents et a une histoire singulière ainsi les soins proposés

doivent être adaptés. Les enfants de migrants nous obligent à repenser nos dispositifs et à les

adapter, c’est pourquoi au Centre du Langage nous avons crée des dispositifs métissés afin de

mieux soigner les enfants.

Cette spécificité dans la prise en charge des enfants de migrants peut paraître pour certains

une évidence mais en pratique, elle est peu rependue. Quant est-il à l’école, lieu d’expression des

possibilités et des difficultés des enfants, qui prône les valeurs républicaines ?

5. RÉALITÉS DES LANGUES A L'ÉCOLE

L’école est pour nous un partenaire clinique et de recherche privilégié. Notre étude sur les

compétences plurilingues des enfants de migrants et la validation de notre outil d’évaluation des

compétences langagières des enfants allophones (ELAL d’Avicenne©) nous a, par exemple,

amenés à rencontrer beaucoup d’équipes éducatives pour effectuer des passations dans les écoles.

Nous y avons évoqué avec enseignants et directeurs les différentes langues parlées dans les

classes, et avons demandé qu’ils nous renseignent sur les langues parlées par les enfants à la

maison.

Ce travail a été l’occasion d’observer les attitudes des enseignants et directeurs d’école

par rapport à la diversité des langues dans les classes. Notre recherche qui concernait

spécifiquement les enfants ayant une langue maternelle autre que le français, les invitait à mettre

  30  

en lumière la pluralité culturelle et linguistique des enfants. Dès les premiers contacts avec les

enseignants, nous avons constaté des attitudes variées, allant de l’enthousiasme à la gêne, voire

au refus.

Rappelons qu’en France, la connaissance de deux langues vivantes en plus de la langue

maternelle à la fin du cursus secondaire est devenue un objectif du système éducatif. Cette

disposition découle du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Ainsi sur

le terrain des institutions, il y a une prise de conscience de l'importance du multilinguisme au sein

du monde actuel, impliquant des modalités d'enseignement dans les différents états membres du

Conseil de l'Europe. Le plus intéressant réside en fait dans la définition du plurilinguisme donné

par ce cadre européen commun de référence pour les langues. En voici la définition française : «

On définira par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer

langagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la

maîtrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer

ensemble ce capital langagier et culturel. On considérera qu'il n'y a pas là superposition ou

juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d'une compétence complexe, voire

composite, dans laquelle l'acteur peut puiser » [82]. Il ne s'agit plus de raisonner en termes de

monolinguismes juxtaposés les uns aux autres, c'est-à-dire de maîtrise parfaite de toutes les

compétences langagières dans chacune des langues, mais de la capacité à puiser dans un

répertoire de savoir-faire et de connaissances dans plusieurs langues afin de pouvoir adapter sa

communication aux diverses situations. Malgré la prise en compte aujourd'hui, en plus des

langues minoritaires et régionales de l'Europe, de l'existence des langues de la migration dans les

directives du Conseil de l'Europe8,  force est de constater qu'il faut l'approche de professionnels de

la santé, de la clinique transculturelle, des sociolinguistes pour que la cause spécifique du

plurilinguisme migratoire soit pris en compte sur le terrain. Qu'en est-il plus exactement de nos

jours dans les écoles françaises ?

Pour illustrer les évolutions en termes de contact des langues à l'école élémentaire,

prenons exemple de la place que la langue anglaise occupe. Initiée en son temps par le ministre

de l'Éducation Nationale, son enseignement s'adressait d'abord aux élèves du Cours Moyen 2e

                                                                                                               8  http://.www.coe.int/lang/fr  

  31  

année, nous sommes au début des années 2000. Des professeurs du collège étaient encouragés à

venir dispenser une heure d'anglais, d'autres, très peu, proposaient une heure d'allemand. Les

directives recommandaient essentiellement une initiation orale, dans l'objectif de « rectifier » un

enseignement classique qui introduisait l'écrit et a longtemps pénalisé les élèves français sur

l'aisance prosodique. Une dizaine d'années plus tard, les jeunes écoliers français ont une initiation

à l'anglais dès le cours préparatoire et l'ensemble des enseignants de l'école élémentaire doit

pouvoir donner cet enseignement. Au cours de notre travail, nous avons constaté que les familles

migrantes sont très favorables, voire demandeuses d'un tel enseignement. D'autres recherches ont

également mis ce constat en évidence [83]. Au cœur d'une Europe forte de vingt-sept pays, il

semble qu'il devienne nécessaire que les jeunes enfants français accèdent par l'école à une langue

autre que la langue française. Le Bulletin Officiel9 fixe ainsi les langues concernées : allemand,

anglais, arabe, chinois, espagnol, portugais, russe, italien. Le dispositif mis en place cependant

relègue encore plus les langues dites « minoritaires » des migrants vers une place périphérique.

Or ces langues même minoritaires sont des langues maternelles et en cela, elles sont encore plus

structurantes que les langues secondes comme l’anglais ou l’allemand.

Par ailleurs, l'on connaît le dispositif Enseignement des Langues et Cultures d'Origine

(ELCO) mis en place dans les années 60, initialement pour favoriser le retour des étrangers dans

le pays d'origine. Bien qu'imparfait, difficile à gérer, il a évolué jusqu'à connaître des « cours

intégrés », et concomitamment ont surgi dans les années 70 des demandes de personnels (santé,

enseignants) à bénéficier de cours de langue arabe, dans le but d'échanger avec les élèves ou les

patients dont ils devaient s'occuper [84]. Les années 2000 et l'inclusion de l'anglais ont

définitivement circonscrit les ELCO au temps péri-scolaire. La vraie rencontre qui aurait du se

produire d'abord entre les enseignants ELCO et les équipes pédagogiques ne s'est pas produite.

Parallèlement à ce constat, les langues de la plupart des élèves non francophones ne sont

aucunement prises en compte dans les textes officiels.

Il s'amorce un fléchissement des attitudes des enseignants vis-à-vis des langues d'origine,

si le discours a longtemps été « l'enfant doit parler en français à la maison », les recherches

menées dans différents domaines commencent cependant à résonner dans les cours de récréation.

                                                                                                               9  Hors série n° 8 du 30 août 2007  

  32  

Dans certaines écoles d’ailleurs un accueil très positif a été réservé à notre recherche sur les

compétences langagières des enfants de migrants, soulevant intérêt et engagement de la part des

enseignants qui s’investissaient dans l’information aux parents et aux enfants. L’équipe

enseignante connaissait les langues parlées par les parents ou pouvait les demander facilement,

sans que l’équipe de recherche ne soit sollicitée. Nous avons découvert ensuite que certaines

écoles étaient engagées dans des réflexions anciennes sur l’accueil des enfants de migrants.

Ceux-ci aussi se sont montrés à l’aise avec cette question de la diversité et, à l’occasion de la

présentation de la recherche à la classe, ont évoqué par exemple avec facilité les différentes

langues parlées dans le groupe. Certaines équipes ont d’ailleurs adapté les pratiques à la

multiplicité de langues. Par exemple, par la mise en place de petites réunions entre parents

locuteurs d’une même langue et enseignants communiquant par l’intermédiaire d’un traducteur.

Mais dans un grand nombre de cas, les réactions ont été moins positives. Le multilinguisme

semble poser problème à de nombreuses équipes éducatives qui le vivent comme un élément de

complexité supplémentaire ajoutant du travail aux enseignants. Nous avions déjà pu remarquer

que lorsqu’un soin est demandé par l’école pour un enfant, le partenariat entre école et hôpital,

pourtant évident en situation monolingue devient souvent délicat si plusieurs langues

interviennent. La triangulation nécessaire entre école, famille et soignants (psychologues,

orthophonistes ou médecin…) semble plus difficile à maintenir.

Lorsqu’on a demandé, par exemple, de nous indiquer quelles langues sont parlées à la

maison par les enfants d’une classe, de nombreux enseignants et directeurs se sont montrés

réservés, gênés. Certains ont évoqué une crainte que les enfants ou les familles ne se sentent

stigmatisées. Ils se demandaient si interroger parents ou enfants sur la langue parlée à la maison

ne serait pas intrusif, si cela ne relèverait pas trop de la sphère privée. La peur de la stigmatisation

est forte et certains enseignants ont peur de souligner les différences, d’en parler. Ils préfèrent se

comporter comme si l’institution scolaire ne voyait pas les particularités, même si celles-ci,

comme par exemple la diversité des langues, sont très perceptibles. Dans ces écoles le fait même

de demander aux parents quelle langue est parlée à la maison ou de faire savoir à l’ensemble de la

classe qu’un enfant parle une autre langue que le français semble agressif et a priori dévalorisant.

Les différences que les enfants voient et ressentent ne sont alors pas nommées, et chacun en

conclut qu’elles doivent être cachées pour éviter la gêne qu’elles provoquent. La tendance des

  33  

enfants concernés à opérer un clivage douloureux entre les mondes de la maison et de l’école

pourrait ainsi se voir renforcée et accentuée par les adultes, au risque que plus tard, à

l’adolescence, l’affirmation de soi passe au contraire par une revendication violente des

différences, à la hauteur de la pression ressentie pour les dissimuler. On peut pourtant penser que

c’est en ne valorisant pas les différences culturelles et la richesse qu’elles portent que celles-ci

peuvent être vécues comme un potentiel facteur de rejet.

On retrouve ici des idées républicaines qui soutiennent que tous les enfants doivent être

égaux à l’école et que leurs appartenances spécifiques, culturelles, religieuses ou ici langagières,

ne doivent pas être soulignées. L’école a en effet pour mission d’enseigner un socle de

connaissances et de valeurs communes à tous les enfants. Mais l’appartenance à un autre groupe

culturel que celui du pays d’accueil devient alors a priori porteuse de sentiments négatifs, comme

la honte ou la gêne.

Nous avons d’ailleurs remarqué que certains enfants ne semblent pas se sentir autorisés à

parler leur langue maternelle à l’école. Avant qu’ils ne dévoilent leurs compétences lors de la

passation de l’ELAL d’Avicenne©, il faut parfois du temps et des encouragements. Est-ce parce

que parler sa langue maternelle c’est aussi sortir de l’ombre et de l’uniformité ? C’est le cas

notamment pour les enfants ayant pourtant une bonne connaissance de leur langue maternelle

mais semblant en difficulté pour la parler dans le cadre de l’école et avec quelqu’un qu’ils ne

connaissent pas. Le clivage construit entre la maison et l’école semble alors très fort et difficile à

dépasser. Pour ces enfants, la rencontre avec les chercheurs est l’occasion d’expérimenter le

passage d’une langue à l’autre, puisque nous rencontrons les enfants en binôme

chercheur/interprète et que, dès les présentations, tout est dit successivement dans les deux

langues. Ils perçoivent ainsi que les deux langues sont exactement sur le même plan, sans

hiérarchisation. Peut-être ce moment peut-il alors les aider à découvrir leur multiplicité et leur

richesse, en sortant du clivage imposé par l’institution scolaire.

Pourtant il devrait être possible de faire exister les différentes langues à l’école. Des pistes

de travail existent déjà pour opérer des déplacements de posture au sein des équipes qui

accueillent les jeunes enfants et les élèves d'ici dont les familles viennent d'ailleurs. C'est une

  34  

nécessité afin de favoriser leur réussite scolaire, mais aussi une ouverture pour l'ensemble de tous

les enfants vers un monde multidimensionnel et où plusieurs langues sont nécessaires [85]. Les

recherches en effet guident nos objectifs en direction d'une société plurilingue et pluriculturelle

au dépens d'une vision idéale mono et bilingue, à présent dépassée.

De même, les démarches d'éveil aux langues (EVL) ont pour objectif de faire découvrir

dans l'espace de la classe toutes les autres langues présentes parmi les élèves, et à instaurer un

dialogue entre elles et avec celle de l'école. Elles sont basées sur « la conviction qu'il est possible

et même souhaitable de placer les enfants dès l'école primaire en contact raisonné avec le monde

du langage dans sa diversité et ses fonctions » [86]. En France, dès la fin des années 80, l'équipe

de Grenoble sous l’impulsion de Billiez10 s'empare des expérimentations menées entre autres au

Royaume Uni sous l'impulsion d'Eric Hawkins [87]. Le rapport Candelier (EVLANG

2003) représente une référence fondamentale du projet Socrates Lingua, travaux menés de 1997

à 2003 par une grande équipe européenne. Dans des pays voisins comme la Suisse et la Belgique,

ce courant appelé Approches plurielles fait l'objet d'une inscription institutionnelle [88]. Dans nos

écoles françaises, cette approche plurielle ne profite essentiellement qu'aux élèves de CLIN

(Classe de Langue et d'Initiation, accueillant les enfants nouvellement arrivés). Cela reste pour

l'instant l'attribut des associations, des militants et de quelques pionniers même si on note ces

dernières années des progrès avec des études menées au sein même de l’éducation nationale11 et

des outils mis au point par les Casnav pour les enseignants eux-mêmes. Il existe aussi des outils

et des supports mis à disposition par le Conseil de l’Europe pour les acteurs de l’école. C’est le

CARAP, Cadre de référence pour les approches plurielles qui collecte et diffuse ces outils au sein

de ce Conseil.

Il nous semble que dynamiser, faire vivre les réseaux serait un outil précieux. Instaurer

par exemple des possibilités de travail d'équipe avec les enseignants ELCO permettrait de

mutualiser des ressources et des compétences. En cette époque où les rythmes scolaires sont

questionnés, cette réflexion devrait peut-être enfin prendre sa place. Le partenariat avec les

parents d'élèves mérite également un travail de fond, ils représentent un gisement riche pour                                                                                                                10  LIDILEM, Laboratoire de linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles.  11  Comme ceux de Chomentowski [89]  

  35  

l'instant sous-exploité. Le décentrage apporté par une position transculturelle est l'ingrédient

majeur d'une telle possibilité.

POUR UNE ECOLE MATERNELLE QUI PRENNE EN COMPTE LA DIVERSITE DES

ENFANTS

Selon un récent rapport de l’OCDE (mars 2006), les enfants de migrants accuseraient un

retard scolaire moyen supérieur à deux ans par rapport à leurs pairs autochtones [90]. Il y a là un

défi à relever qui commence dés la maternelle car le rapport au savoir et aux acquisitions

commence là. Une entrée en maternelle qui doit se faire pour les enfants de migrants comme pour

les autres à 3 ans et pas avant. Souvent on a tendance à vouloir mettre ces enfants plus

précocement que les autres à l’école alors qu’ils ont besoin de cet attachement aux parents fort

pour pouvoir se séparer d’eux dans de bonnes conditions et investir le monde de l’école sans

appréhension trop grande. Avant 3 ans, la plupart des enfants ne sont pas prêts à la séparation

d’avec leur parents et le monde familial ce qui compromet leur capacité à prendre du plaisir dans

le monde de l’école, étape indispensable à tout apprentissage.

L’école est structurée par un certain rapport au savoir, qui appartient au monde occidental

et qui détermine les méthodes pédagogiques, les relations avec les élèves, celles avec les

parents… Ce rapport au savoir, il est, comme toute représentation culturelle, implicite et évident

— chacun dans un groupe culturel et social donné le partage. Ce rapport au savoir est lié à la

représentation de l’enfant, de sa nature, de ses besoins, de ses compétences. Que doit apprendre

un enfant et comment peut il le faire ? Les parents nomades, souvent très respectueux du savoir et

de la science française transmis par l’école le plus souvent ne connaissent pas et parfois ne

partagent pas ce rapport au savoir. Souvent, ils font l’hypothèse qu’ici à l’école, on fait

autrement, et présupposent que c’est bien ainsi et, se tiennent à une distance respectueuse de

l’école. D’où, d’ailleurs, ce sentiment de démission ou de non investissement perçu par l’école

alors, qu’en réalité, il s’agit de bienveillance passive : cet espace ne m’appartient pas mais je

considère qu’il est bon pour mon enfant. Ici encore, le rapport au savoir que l’enfant doit habiter

pour pouvoir apprendre est celui de l’école française. Mais, ceci n’est possible de manière

harmonieuse et sans effort surhumain pour l’enfant que s’il est guidé dans cette logique qu’il ne

  36  

peut anticiper et si ce rapport au savoir n’invalide pas, ne disqualifie pas celui des parents, si non,

le prix à payer est trop grand. Certains enfants ne pourront pas le faire.

Une école unique, des enfants pluriels

L'école en France est républicaine, c'est la même pour tous. Ce principe est un grand

acquis de l'histoire française, une grande fierté, un principe précieux dont il faut, à notre sens,

défendre l'esprit, l'éthos, à tout prix. Pourtant, dans les faits, nous constatons combien

actuellement, cette école ne remplit pas son rôle par rapport aux enfants de migrants. L'échec

scolaire massif des enfants de migrants avec ses paramètres sociaux et culturels, cet échec

scolaire est un fait. De plus, quelles qu’en soient ses causes, l'échec scolaire à des conséquences

psychologiques importantes sur les élèves, et sur les représentations que les familles ont d'elles-

mêmes et de leurs enfants. Cet échec scolaire précoce implique que les enfants sont marginalisés

car exclus des circuits d'appropriation des savoirs ou du moins, de ceux qui sont les plus

valorisés. Ces enfants sont violentés par ces échecs souvent cumulatifs et redondants qui

commencent dés la maternelle et qui très vite trouvent des expressions anti-sociales.

Nous proposons ici quelques éléments pour penser la prévention du risque transculturel

auquel est soumis tout enfant de migrants en commençant par l’école, lieu clé, mais charge à

l'école et à ses enseignants de prendre les éléments qui leur paraissent créatifs et opérationnels et

d’en inventer d’autres. D’ailleurs ce qui est vrai pour l’école l’est pour tous les autres lieux :

l’hôpital, le tribunal, les services sociaux et éducatifs, la société. Tout d’abord, diminuer le conflit

entre l'école et la maison, les deux lieux d'appartenance de l'enfant. Il s'agit parfois de logiques

qui se posent comme antinomiques et qui cherchent à s'exclure ou du moins qui entrent dans un

rapport de force stérile. Pour lui permettre d'acquérir le savoir nécessaire, il ne s'agit pas de

changer sa nature, de le modifier, de le rendre pareil à ses enseignants ou à des normes qui

seraient celles de la société d'accueil.

Les positions parentales, même différentes des nôtres, sont importantes pour l’enfant et

donc, pour l’école, elles le deviennent. Certes, il ne s’agit pas de renoncer à ce qui fonde les

valeurs républicaines mais d’adopter une attitude d'ouverture, de valorisation des parents, de

  37  

négociation tranquille en dehors de positions idéologiques ou de surdité à la différence — et, au

moins, ne pas les disqualifier. La présence, l'accueil des parents, doit être possible, créative et

donc favorisée et surtout le regard et le récit que l’on fait sur eux. Il s’agit donc, d’abord et avant

tout, de position intérieure et non de recette ou de modification du fonctionnement de l’école.

Ensuite, sortir de l'implicite qui voudrait que le monde de l'école et celui de la maison

n'aient pas le même statut. Ceci est un principe éthique mais aussi scientifique puisque depuis

longtemps déjà, nous savons qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les cultures. Même sur le plan

cognitif, le monde de la maison a ses propres valeurs, ses propres connaissances, il est digne de

reconnaissance et, bien sûr, de respect. De plus, il constitue le socle sans lequel les connaissances

scolaires ne peuvent s'imprimer aisément, sans trop de douleur et d'efforts. Il permet la

construction de l'estime de soi par l'intériorisation des attachements sans laquelle aucun

apprentissage n'est possible.

Créer aussi des espaces de pensée de l'altérité à travers l'ouverture de l'école sur les

réalités sociales et culturelles de la France, pays de métissages. Ceci peut se faire à travers le

soutien d'activités para-scolaires en relation avec les multiples origines culturelles des enfants de

la seconde génération: ateliers de langues, d'écriture, de calligraphie, d'histoire… ateliers qui

devraient être ouverts à tous et non pas réservés à certains dans un esprit de métissage.

Dis- moi combien de langues tu parles ?

Le bilinguisme des enfants de migrants est, nous l’avons vu, le second enjeu. Depuis

longtemps déjà, les linguistes ont attiré notre attention sur le fait que le bilinguisme non

seulement n'est pas un obstacle au développement de l'enfant comme le dit le sens commun mais,

au contraire, acquérir sa langue première avec sécurité est un facteur stabilisant de l'estime de soi,

un gage pour un meilleur apprentissage de la langue seconde et de l'ensemble des acquisitions. En

somme, l’enfant unilingue n’existe pas ; tout enfant traverse plusieurs niveaux de langue ou

plusieurs langues. De chacune il va s'approprier des pans et des mécanismes, des affects vont

rester accrochés à certains de ses concepts spécifiques, et l'ensemble contiendra l’identité

narrative du sujet. On est là dans une sorte de refus de savoir. Pour certaines langues valorisées

  38  

ici et maintenant comme l’anglais, le japonais, le russe… on considère comme une richesse le fait

d’être bilingue ou d’apprendre la langue le plus précocement possible. Or, les travaux des

linguistes et des psychologues le montrent, c’est une richesse pour les enfants de quelque point de

vue qu’on le considère et pour toutes les langues et donc cela reste vrai pour celles des familles

migrantes en France : l’arabe, le kabyle, le bambara, le soninké, le turc, le lingala… De plus, pour

ces enfants, à l’enjeu de connaissance, se surajoute une dimension affective forte, c’est la langue

de leurs parents, la langue de la transmission. Or, le bilinguisme n’est pas valorisé pour eux, on le

cite toujours comme un obstacle à un bon apprentissage du français et l’on dit aux parents “de

leur parler français à la maison” au titre du fameux “bain linguistique”.

Un travail spécifique en milieu scolaire avec les enfants en échec scolaire utilise par

exemple le conte bilingue comme outil thérapeutique — conte apporté par les parents à l'école,

raconté dans la langue maternelle dans le respect des règles d'énonciation et traduit par un

traducteur selon la technique de Pinon-Rousseau [91]. Dans cette expérience, le conte est

enregistré et ensuite l'enfant l'écoute dans les deux langues, il dessine et associe sur le conte. Ce

support permet la création d'espaces intermédiaires entre les langues et les mondes.

Des éléments contribuent à créer des liens, des ponts entre l'école et l'intérieur de la

maison, à favoriser l'accès au savoir et l'inscription réelle de l'enfant dans les logiques scolaires,

condition première de sa réussite. Ces stratégies et sans doute d'autres à inventer en fonction de la

créativité de chacun et du système scolaire permettront, les expériences ponctuelles menées le

prouvent, une meilleure efficacité de notre école pour ces enfants.

8 Propositions pour mieux comprendre et mieux inscrire les enfants de migrants et leurs

parents dans l’école de la république

1. Faire des classes de 20 élèves maximum dans des zones à forte présence migrante avec des

enseignants stables d’une année sur l’autre et travaillant avec un projet pédagogique fort qui

intègre la diversité culturelle.

2. Favoriser une meilleure sensibilisation et formation des professionnels de l’école à la diversité

culturelle dans notre pays devenu multiculturel et représenter cette diversité et égalité des langues

  39  

à l’intérieur même de l’école maternelle par des jeux langagiers et la reconnaissance de cette

pluralité des langues par tous les enfants.

3. Permettre l’apprentissage des langues maternelles des enfants de migrants en périscolaire dés

la maternelle pour favoriser l’apprentissage du français (langue seconde) et le « désir de langue »

des enfants.

4. Permettre que les données des sciences humaines (linguistique, psychologie de l’enfant,

anthropologie, ethnopsychanalyse) fassent partie de la formation initiale et continue des maîtres.

5. Favoriser les recherches sur l’adaptation de l’école à la diversité des enfants sur le plan

psychologique, social et culturel.

6. Favoriser une politique de diffusion la plus large possible des recherches et publications en

matière d’enfants de migrants.

7. Favoriser le développement des prises en charge pluridisciplinaire des enfants et des

adolescents, enfants de migrants, ce qui est fait par exemple dans les Maisons des adolescents qui

ont développé une prise en charge pédiatrique, psychiatrique, juridique, scolaire

8. Favoriser la participation des parents migrants à l’école ce qui suppose une reconnaissance de

leur langue (et donc des interprètes) et de leur savoir.

Ainsi, pourra-t-on aller d'une égalité de principe à une égalité de fait, à l’école comme en

clinique, qui tienne compte de la réalité des obstacles rencontrés et de leur nature et qui

transforme la multiplicité des langues en une chance pour ces enfants aussi bien pour les évaluer,

les rééduquer, les soigner que pour les éduquer.

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