le bilinguisme des enfants de migrants. analyse transculturelle
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LE BILINGUISME DES ENFANTS DE MIGRANTS.
Analyse transculturelle Di Meo S, Sanson C, Simon A, Bossuroy M, Rakotomalala L, Rezzoug D, Serre G, Baubet T., Moro MR
L’Europe est au carrefour des cinq continents et particulièrement à Bobigny (93) où nous
accueillons des patients du monde entier. Le Centre Du Langage d’Avicenne à Bobigny, de par
la représentation importante des populations migrantes y consultant, a depuis longtemps entamé
une réflexion autour de la création de nouvelles pratiques d’évaluation du langage et de soins de
ces enfants dits bilingues. Lorsque le langage est touché par un processus pathologique, de
nombreux outils sont à notre disposition pour évaluer le niveau de l’atteinte. La situation devient
nettement plus complexe en situation transculturelle et de bilingualité en raison de l’inadaptation
de la démarche évaluative [1]. Nous avons mené une recherche sur les langues des enfants de
migrants afin, d’une part de valider un outil d’évaluation de la langue maternelle que nous avons
créé: L’ELAL d’Avicenne© (Evaluation langagière pour allophone) et, d’autre part, essayer de
mieux comprendre les facteurs en jeux dans un bilinguisme équilibré chez des enfants de 4 à 6
ans. Lorsque l’on s’interroge sur les langues des enfants de migrants, c’est la transmission, la
construction identitaire que l’on interroge implicitement. La langue est un marqueur identitaire
important amenant le sujet à se sentir biculturel. De quelle façon l’enfant s’en saisit comme un
étayage valorisant et non comme un handicap honteux ? Notre recherche arrive bientôt à son
terme et ses résultats seront prochainement publiés.
Multilinguisme, Plurilinguisme, Bilinguisme ? Il est difficile de choisir le bon terme qui
traduise la situation de plus en plus courante, où l’enfant parle, dans plus d’une langue.
Polyglottisme, Diglossie, Bilingualité? Le terme « Bilinguisme » nous est beaucoup plus naturel
de par notre pratique chez les enfants de migrants. En effet, les travaux transculturels chez les
migrants ont mis en évidence la problématique des passages entre « dedans » et « dehors », du
passage d’un monde à l’autre. Le monde du « dedans » représente l’espace familial où la culture
d’origine, l’intime, la chaleur des affects s’expriment. Le monde du « dehors » représente tout ce
qui est en lien avec la culture du pays d’accueil. Ce qui se joue à deux, trois langues ou plus chez
les migrants, c’est le passage de la langue du dedans, pleine d’affect, à la langue du dehors, moins
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chaleureuse mais pleine d’espoir de réussite. Ce clivage linguistique est à l’image du clivage
migratoire qui s’opère chez les migrants et leurs enfants à des degrés divers [2]. Cette double
inscription langagière dans une société monolingue crée une altérité en soi qui est à considérer en
terme de phénomène culturel. La culture bilingue n’est pas une superposition de deux
compétences langagières mais bien une façon nouvelle d’être au monde qui découle des deux
cultures. Nous avons proposé le concept de métissage des enfants de migrants pour permettre de
comprendre la complexité des affiliations de ces enfants mais aussi le potentiel créatif des
migrants et de leurs enfants qui trouvent de nouvelles manières de faire avec leurs deux cultures.
La voie du métissage est une troisième voie, ni le monde des parents, ni celui d’ici, un autre
monde complexe et pluriel. C’est souvent du dehors que nous viennent les alertes, les inquiétudes
sur le développement des enfants. Ce dehors qui a souvent un avis sur la situation de bilinguisme
et le plus souvent, des préjugés négatifs. Le Centre Du Langage est en lien avec les écoles car
d’une part, la question d’un bilan pluridisciplinaire est soulevée parfois par les équipes
pédagogiques, même si les parents s’en saisissent par la suite et, d’autre part, nous nous y
déplaçons souvent dans des contextes de réunions éducatives pour nos patients ou dans un cadre
de recherche. Les politiques européennes menées sur la place des langues maternelles et de la
bilingualité à l’école ont beaucoup évolué mais qu’en est-il en pratique ? Les représentations des
enseignants, des soignants et des familles sont tout aussi importantes à interroger.
Après avoir décrit le parcours au sein du Centre Du Langage, tant sur le plan de
l’évaluation que des soins, de ces enfants aux langues troublées, nous aborderons la place des
langues maternelles à l’école. Enfin, nous exposerons nos propositions pour mieux comprendre et
mieux inscrire les enfants de migrants et leurs parents à l’école.
1. LE CENTRE DU LANGAGE D’AVICENNE1
Les centres de références des troubles du langage et des apprentissages sont apparus en
2001 en France, à la suite du rapport de JC Ringard et du plan d’action gouvernemental pour les
enfants atteints d’un trouble spécifique des apprentissages pour améliorer le repérage, le
1 Ce centre fait partie du Service de psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent des Professeurs T Baubet et MR Moro. Il est situé dans la banlieue nord de Paris, banlieue multiculturelle où arrive depuis plus de cinquante ans des migrants du monde entier.
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dépistage et la prise en compte des troubles du langage à l’école. Ces centres ont pour objectifs
de poser un diagnostic après une évaluation pluridisciplinaire et d’orienter les soins. Le Centre
Du Langage d’Avicenne fait partie du Service de psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent
des Professeurs T Baubet et MR Moro. Il est situé dans la banlieue nord de Paris, banlieue
multiculturelle où arrive depuis plus de cinquante ans des migrants du monde entier. Les patients
nous sont adressés par les différents professionnels du secteur lorsque la prise en charge d’un
enfant est problématique du fait de la résistance de ses troubles ou d’un doute diagnostique.
Les orthophonistes du département, nous adressent aussi des enfants dont l’évaluation est
rendue complexe par leur bilinguisme pour notre expertise sur le sujet. Le pédopsychiatre est le
premier interlocuteur lors du bilan au Centre Du Langage, il doit donc orienter la suite du bilan
en fonction de sa première évaluation. Il adressera les patients sur d’autres consultations
spécialisées (O.R.L., Neuropédiatrique, Génétique etc.) lorsque cela s’avère nécessaire2. C’est
pourquoi nous ne parlerons que des troubles qui ne relèvent pas d’un déficit sensoriel,
neurologique ou organique et, nous ne parlerons pas non plus du développement insuffisant de la
langue seconde chez les primo-arrivants par manque d’exposition au français.
Dans son travail de thèse le Dr Courtois a analysé la répartition démographique de nos
patients sur un échantillon de juillet 2007 à Mars 2008. Les enfants ont entre 2 et 17 ans (7,8 ans
en moyenne), au moins un des parents est migrant dans 69% des cas et parle une autre langue que
le français dans 2/3 des cas. On retrouve une majorité de garçons (71% des cas) et la position
d’aînés dans 49% des cas [3].
Notre équipe est pluridisciplinaire et est composée de pédopsychiatres, orthophonistes,
psychologues cliniciens, psychomotricienne et chercheurs. L’évaluation se fait sur l’examen
clinique, à la suite duquel le pédopsychiatre demande un certain nombre de bilans standardisés.
Nous proposons des consultations sur plusieurs semaines afin de permettre une temporalité, un
bain de langage autour des difficultés de l’enfant qui doit permettre un temps d’élaboration pour
la famille. Les entretiens cliniques se font, si nécessaire, avec un interprète. A la fin du bilan, une
restitution orale et écrite est faite aux parents et à l’enfant, en présence des différents
professionnels qui sont intervenus. Ce temps narratif et de partage sur les difficultés de l’enfant
tente de donner une représentation complexe de son développement. Notre méthodologie est
2 Ce qui n’existe pas pour les enfants de migrants qui vont à l’école française, ce qui est en général le cas. Nous ne
parlerons pas du cas des enfants dont la migration est trop récente.
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intimement liée à celle de la clinique transculturelle basée sur la complémentarité des disciplines
[4]. Le complémentarisme à Avicenne consiste à interroger, de façon alternée, une ou plusieurs
disciplines différentes, de façon alternée et non simultanée, pour comprendre un même
phénomène clinique. Nous avons toujours tenté de nous décentrer de l’idée d’une seule pratique,
pour penser l’enfant et ses difficultés langagières dans ses différents contextes et dans le passage
d’une discipline à l’autre.
2. ENJEUX PSYCHOAFFECTIFS DES TROUBLES DU LANGAGE DES ENFANTS DE
MIGRANTS
Il faut rappeler que le bilinguisme des enfants de migrants est souvent précoce, consécutif et
passif. On le dit précoce car les deux langues sont transmises dans les âges d’acquisitions du
langage (0-6ans) et peu en lien avec l’instruction (apprentissage à l’école). Il est important
d’avoir en tête que l’entrée dans une deuxième langue pour les enfants de migrants, généralement
en petite section d’école maternelle à l’âge de 3 ans, est une nouvelle étape de l’acquisition du
langage. D’ailleurs, comme le souligne Dalgalian, avant l’âge de 7 ans, l’enfant est encore dans
l’acquisition du langage et après, il sera dans l’apprentissage des langues [5]. Il est consécutif, car
dans la plupart des cas, les enfants de migrants sont exposés à une première langue (leur langue
d’origine), puis à la langue du pays d’accueil lors de la scolarisation de l’enfant entre 3 et 6 ans.
On le dit aussi passif car la langue maternelle est plus souvent comprise que parlée. Il est
rarement à l’avantage de la langue maternelle en raison du processus d’acculturation et de
l’attrition de la langue maternelle. Les enfants ont un bilinguisme dominant en français alors
même qu’ils sont considérés par les professionnels comme des allophones (ayant une langue
maternelle autre que le français) [6].
Trois situations nous paraissent fréquentes chez les enfants de migrants qui consultent
dans notre centre: (1) le trouble du langage qui, par définition, touche toutes leurs langues, (2) le
mutisme extrafamilial qui touche leur deuxième langue sous certaines conditions et, (3) l’attrition
de la langue maternelle.
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La notion de complémentarisme développée par Georges Devereux, permet à plusieurs
hypothèses de cohabiter pour expliquer plusieurs phénomènes. En effet, la génétique, la
perspective développementale, la psycholinguistique, l’anthropologie, la psychiatrie, la
psychanalyse peuvent être utilisées tout autant que les étiologies culturelles avancées par les
parents. Les apports de l’ethnopsychiatrie nous permettent de considérer l’altérité culturelle en
clinique mais aussi l’individualité des parcours de chaque enfant [7]. Nous présentons notre
réflexion sur les enjeux affectifs dans les troubles du langage, le mutisme extrafamilial, l’attrition
de la langue maternelle et dans la relation thérapeutique en orthophonie, dans une perspective de
clinique transculturelle3.
2. 1. Troubles du langage
2.1.1. Intrications pédopsychiatriques au niveau individuel
Chez les enfants bilingues, la littérature n’est pas très riche concernant ce type de trouble.
L’évaluation, la sévérité, la fréquence, la mise en place des soins sont mal documentées. Les
études ont tendance à montrer qu’il n’y aurait pas plus de troubles spécifiques du langage oral4
chez les enfants bilingues [8,9].
C’est une pathologie multifactorielle et son apparition ne peut être expliquée par une seule cause.
Il est fort probable que la pathologie s’exprime lorsque plusieurs facteurs sont réunis rendant
l’enfant vulnérable à la pathologie. Même si l’origine génétique ou neurodéveloppementale est
soulevée par certains chercheurs, les explorations complémentaires n’ont jamais pour but de faire
le diagnostic positif mais d’écarter un diagnostic différentiel neurologique (épilepsies, processus
expansif intracérébral…), de trouble sensoriel (surdité). L’évaluation pédopsychiatrique permet
d’éliminer le diagnostic d’un trouble plus global de la communication, d’évaluer le
retentissement du trouble sur l’enfant et sa famille.
Au bout de notre évaluation nous retrouvons, pour tous motifs de bilan confondus, un
trouble spécifique isolé dans 9% des cas, un trouble psychopathologique seul dans 56% des cas et
3 Ou ethnopsychiatrie ou ethnopsychanalyse, selon la perspective de Devereux, tous ces termes sont équivalents [4] 4 Appelés aussi dysphasie, Specific Language Impairment (SLI) par les Anglo-Saxons.
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l’association d’un trouble psychopathologique et d’un trouble instrumental dans 23% des cas. [3].
Nous ne sommes pas les seuls à observer cette intrication entre trouble du langage et trouble
psychique. Cohen et al et Sundheim et Voeller ont remarqué que la moitié des enfants d’une
population présentant des troubles spécifiques du langage présentent aussi des troubles
psychopathologiques. Cette proportion peut aller jusqu’à 80% dans la dysphasie [10,11].
Inversement, Cantwell et Baker ont retrouvé 50% d’enfants atteints d’un trouble du langage ou
des apprentissages dans une population d’enfants suivis pour un trouble psychopathologique.
Cette double intrication souligne l’importance de l’évaluation et la prise en charge de ces deux
axes [12]. Bien souvent nous sommes confrontés à des situations complexes ne correspondant
jamais parfaitement aux grandes catégories diagnostiques des classifications. La distinction avec
les Troubles Envahissants du Développement, notamment pour la dysphasie réceptive et
sémantique-pragmatique, est peu aisée et fait aussi débat [13,14]. Beaucoup d’auteurs français
ont discuté la compartimentation psychopathologique qui pose le symptôme « trouble du langage
» dans une entité pathologique en soi [15,16]. De plus, des liens entre la personnalité de type
limite, la présence d’angoisses de séparation ou de perte d’objet, de carence du jeu symbolique
ont été soulignés dans les dysphasies [15–17]. Berger remarque qu’aux difficultés langagières et
affectives se surajoutent des manifestations cliniques réactionnelles à l'échec dans les
apprentissages: l’opposition à l’adulte en réaction au forçage, une colère diffuse, sans objet
précis, en lien avec son impuissance, mais aussi l’atteinte de l’estime de soi [18]. L’intrication
d’une comorbidité psychiatrique fréquente et d’une organisation particulière de la personnalité
rend difficile la caractérisation d’un trouble spécifique, de façon isolée. D’un point de vue
étiologique, il est difficile de dire si le trouble du langage est associé, secondaire ou constitutif
d’un trouble psychopathologique. Il est probable que ce soit les trois à la fois étant données la
diversité des représentations des cliniciens et la variété des présentations cliniques des enfants.
2.1.2. Intrications pédospychiatriques dans la transmission familiale
Au Centre Du Langage, nous prenons soin de recevoir les familles de ces enfants dits
bilingues afin d’explorer plusieurs points : les représentations parentales du trouble, le contexte
de sa survenue en interrogeant l’histoire familiale et migratoire, les conditions de vie actuelles et
7
une évaluation de la psychopathologie parentale. Il nous est paru évident que l’évaluation mais
surtout les soins doivent porter sur toutes ces dimensions.
Plusieurs études ont mis en évidence des troubles psychopathologiques chez les parents d’enfant
dysphasique, conséquence des troubles de leur enfant [19] mais parfois cause du trouble. La
dépression maternelle post-natale est un facteur de risque reconnu de trouble du développement
cognitif, langagier et psychomoteur chez le bébé [20–23]. Plusieurs études ont mis en avant les
bienfaits pour le développement du bébé d’une prévention précoce au domicile par des
professionnels formés et supervisés [24]. Une étude multicentrique interventionnelle française est
en cours et permettra, nous l’espérons, de répondre au mieux sur la manière d’intervenir auprès
des dyades [25]. Ces rapports de cause/conséquence complexes sont à l’image des boucles
interactionnelles mère/bébé permettant l’apparition du langage. Les compétences précoces du
bébé étant également en jeu. Comme le souligne Moro, c’est une période de vulnérabilité
importante pour la mère et son bébé. Les mères migrantes, éloignées de leurs mères et des
commères (mères avec) ressentent la solitude, dans ces moments ou les savoirs faires maternels
sont habituellement portés par le groupe, la famille élargie restée au pays [7]. Les techniques de
maternage dans le pays d’accueil s’en voient profondément bouleversées d’après les observations
de Bril et Zack, Rabain et Wornham, Storck, Moro [ibid]. Toutes ces situations peuvent fragiliser
les mères migrantes et aboutir parfois à de véritables dépressions maternelles. Les mères
migrantes sont beaucoup plus vulnérables à la dépression post natale comme le souligne les
publications depuis 20 ans sur le sujet [26,27].
La langue maternelle a un rôle très important dans les interactions précoces entre la mère et
l’enfant. La mélodicité et les contours chantants de la voix maternelle se déploient
préférentiellement dans sa langue et suscitent, de façon universelle, du plaisir chez tous les bébés,
dans toutes les cultures. Ce type de langage, interagit avec les vocalisations du bébé, permet de la
créativité, du plaisir partagé [28] et met en place un espace transitionnel [29]. De plus, comme le
met en avant Daniel Stern, la dimension prosodique est une modalité d’interaction et de
transmission participant à l’accordage affectif [30]. Les mères migrantes se sentent parfois
contraintes de parler à leur bébé dans la langue du pays d’accueil, langue qu’elles maitrisent
pourtant mal et qui ne sonne pas aussi bien aux oreilles de l’enfant. Cette injonction de parler
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dans cette seconde langue moins chaleureuse, vient parfois des institutions (centres de santé,
écoles…) mais aussi des mères elles même pensant que leur enfant aura plus de chance de
s’intégrer dans la société d’accueil et de mieux réussir socialement. Il n’y pas toujours un
sentiment de fierté de transmettre sa langue d’origine à ses enfants. Cette langue est parfois
dévalorisée aux yeux même des migrants mais aussi par le pays d’accueil qui donne aux langues
implicitement des statuts différents au profit toujours de la langue du pays d’accueil[31].
Nous pouvons aussi faire l’hypothèse que certaines difficultés psychopathologiques associées aux
troubles du langage font écho à la problématique spécifique des enfants de migrants qui est celle
de se construire avec des affiliations multiples [32]. Comme le souligne Golse, le langage
interagit avec le développement de l’intersubjectivité, de la construction affective et cognitive
[33]. On observe fréquemment une dépendance importante au parent dans les retards sévères de
parole et langage et les dysphasies, avec des enfants que seules les mères arrivent à comprendre.
D’autres auteurs ont mis en évidence des difficultés dans le processus de séparation-
individuation, au niveau du sentiment identitaire et de l’activité de symbolisation [34,35]. Ces
difficultés résonnent avec les enjeux de réorganisations identitaires en lien avec la migration,
considérée par Akhtar comme une 3ème étape de séparation-individuation après celles de la petite
enfance et de l’adolescence [36].
2.2. Mutisme extra familial
2.2.1 Définition
Le mutisme extra-familial, mutisme sélectif ou mutisme électif est un trouble qui se
définit selon le DSM-IV de l'Association Américaine de Psychiatrie, et le CIM-10 de
l'Organisation Mondiale de la Santé par l’impossibilité pour l’enfant de parler à l'extérieur de sa
maison, notamment à l'école ou lorsqu'il doit prendre la parole en présence de personnes
étrangères à sa famille, alors qu’il arrive à comprendre et à parler dans des circonstances plus
familières. Le mutisme extra familial s’accompagne très souvent d’un trouble phobique et de
retards de développement langagier et psychomoteur [37]. Les enfants de migrants bilingues
seraient quatre fois plus à risque d’être touchés par ce trouble que des enfants natifs monolingues
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[38]. Les retards de langage étant fréquents, ils affectent l’acquisition de la langue seconde [39].
L’école étant la situation extra-familiale la plus courante chez un enfant alors c’est souvent en
milieu scolaire que le mutisme est constaté. Le plus souvent, ces enfants ne parlent pas aux
enseignants ni à leur camarades de classe et sont décrits comme timides et en retrait. Bien que
mutiques, ces enfants peuvent participer aux activités non verbales de la classe et arrivent parfois
à gagner l’amitié de leurs camarades qui peuvent se charger d’interpréter leur silence pour les
adultes [40]. Il y a souvent un retard diagnostique de deux à trois ans en raison de la discrétion de
ces enfants et la mise sur le compte de leur timidité. Le trouble ne serait alors repéré que lorsque
les apprentissages posent problème [41] ou que leur silence commence à agacer et suscite le rejet
des pairs ou des adultes.
Pour Toppelberg, le statut d'immigration et les processus qui s'y rattachent, tels que
l'acculturation, l'apprentissage d'une langue seconde, la discrimination par les pairs, la faible
estime de la culture d’origine par l’enfant et l’école, les difficultés de liens entre la famille et
l’école pourraient être impliqués dans la formation du trouble [39].
Il n’y pas d’organisation psychopathologique qui se dégage plus qu’une autre même si les
classifications internationales des maladies tentent d’assimiler le mutisme extra familial aux
troubles anxieux : c’est un concept trans-nosographique (qui peut être vu dans différentes
organisations de la personnalité). L’évaluation pédopsychiatrique permet d’individualiser ces
éléments pour mieux orienter les soins [37,39,42,43].
Il faut distinguer le mutisme extra familial de la “phase silencieuse” que traverse tous les
enfants de migrants lorsqu’ils commencent à parler dans la langue seconde [44]. Cette phase est
en lien avec leurs difficultés langagières et la nécessité de se familiariser avec un environnement
étranger, processus complexe résultant d’une intrication de stratégies cognitives, sociales et
affectives [45]. Classiquement cette période est décrite chez des enfants entre trois et huit ans et
ne va pas au delà de six mois. Dans ce “mutisme physiologique”, l’enfant progresse, ce que l’on
ne constate pas dans le mutisme extra-familial [39].
2.2.2. Hypothèses sur la formation et le sens du trouble
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Longtemps ce silence était interprété comme une forme d’agressivité et on parlait de
“silence hostile”. Il a souvent été décrit une relation quasi fusionnelle entre mère et enfant,
empêchant l’enfant de se séparer [46]. Pour Yanof, c’est un symptôme amenant à un compromis,
lorsque parler est assimilé à un conflit entre la langue de sa mère et la seconde langue. Pour
l’enfant, parler une autre langue que celle de sa mère, la langue du dehors, serait un acte agressif
et transgressif permettant la séparation / individuation. Ce silence est pour lui un cri au secours,
dans un mouvement de refus de cette séparation [47]. Mc Carthy, pense que ce silence a une
vertu protectrice envers des sentiments ambivalents, pour retrouver une contenance et parle de
“mutisme coquille”, “mutisme abri” [43].
Le mutisme extrafamilial est une situation illustrant parfaitement la clinique
transculturelle: c’est une difficulté à faire du lien entre le monde du dedans (la famille et la
culture d’origine) et le monde du dehors (l'école et la culture d’accueil). Pour Moro, les parents
migrants ont parfois du mal à présenter à leurs enfants « le monde à petite dose ». Ces enfants
sont exposés à ce nouveau monde extérieur de façon traumatique, sans guide pour les
accompagner. L’'enfant de migrants se construit alors sur un clivage entre le monde lié à la
culture familiale (le monde de l'affectivité) et le monde du dehors, celui de l'école (monde de la
rationalité et du pragmatisme). Le mutisme sélectif est alors le signe de ce clivage et peut être le
reflet d'un conflit de loyauté dans lequel se sent pris l'enfant entre le groupe familial et l'extérieur.
Il peut témoigner de l’impossibilité pour l’enfant à se séparer de sa mère, d'autant plus qu'elle
peut être fragilisée par la migration et ses ruptures[48]. Il peut témoigner de sa révolte face au
sentiment d’injustice vécu par les parents [41].
Pour aider les enfants de migrants, il sera nécessaire de créer des liens, des passages entre
ces deux mondes afin qu'ils puissent s'inscrire de manière adaptée dans les logiques scolaires et
pour qu’ils se construisent de façon harmonieuse en relation avec un monde pluriel.
2.3. L’attrition de la langue maternelle chez les enfants de migrants
Rezzoug et Moro remarquent que le Centre Du Langage est sollicité pour des troubles
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langagiers en français, des difficultés d’apprentissage, ou des troubles d’ordre
psychopathologique, cependant les parents nous interrogent peu sur les compétences de leurs
enfants dans leur langue maternelle ni sur le renoncement de ces enfants à leur langue première.
Les auteurs appellent cette situation un « mutisme de la langue maternelle » [49]. D’après
l’enquête menée par Moro, seuls 15% des enfants de migrants sont effectivement bilingues en
Seine Saint Denis [50]. Il est difficile de faire des statistiques en population générale mais
Deprez, analysant les résultats de l'enquête « Histoire familiale » conduite par l'Insee - Ined,
souligne que la proportion de familles parlant leur langue maternelle à leurs enfants varie
beaucoup d’une langue à l’autre et pourrait dépendre de la vitalité ethnolinguistique portée par
une communauté très structurée ou par la valorisation de la société française [51]. La perte de la
langue maternelle peut-elle être considérée comme pathologique lorsque l’on peut s’exprimer
dans d’autres langues? Actuellement de plus en plus de recherches tentent à montrer le caractère
protecteur de son maintien ou au contraire les risques corrélés à sa perte et c’est aussi notre
expérience transculturelle.
2.3.1. Définition
L'attrition de la langue maternelle est définie par Serre et Bennabi-Bensekhar, comme la
réduction ou le tassement des connaissances linguistiques initialement acquises. Ce phénomène
est soumis à un effet d'âge mais aussi à la fréquence et à la qualité des sollicitations verbales,
pouvant aller jusqu'à l'extinction d'une langue initialement acquise. Toute langue, même la langue
qui a permis à l’enfant de découvrir le monde, de poser pour la première fois un mot sur les
choses, de médiatiser la relation avec sa mère, est capable de s’éteindre [41].
2.3.2. Conditions de survenue
Ces mêmes auteurs ont mis en évidence les règles suivantes en matière d’attrition : la
position de puîné d'un enfant dans sa fratrie est défavorable dans la mesure où la maîtrise du
français par les aînés peut contribuer à une régression de la position de la langue familiale par
diminution de son exposition. Les auteurs remarquent que les risques d'attrition d'une langue sont
plus élevés si l’enfant en est privé tôt dans sa vie mais, qu’elle est plus aisément récupérée si elle
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est plus rapidement réintroduite, après une période d'attrition. Les risques d’attrition d'une langue
se réduisent avec l’âge. La récupération d’un bilinguisme actif (production de langage) est
favorisée par un bilinguisme passif (compréhension). Le risque d’attrition est plus grand au
moment de la scolarisation au cours préparatoire car c’est à cette période que se mettent en place
les apprentissages, en particulier celui du langage écrit [41]. C’est une étape critique pour la
langue maternelle d’autant plus lorsqu’elle n'est pas portée par les parents comme vecteur et objet
de transmission valorisé. Les parents, eux-mêmes, s’ils sont dans l’apprentissage de la langue
d’accueil facilitent l’attrition de par la surreprésentation de la deuxième langue à la fois dans le
monde du dehors et du dedans (le milieu familial).
2.3.3. Enjeux de la valorisation du bilinguisme chez les enfants de migrants
Les avantages liés à la situation de bilinguisme ne sont plus à prouver sur le plan cognitif
chez les enfants bilingues. Il est avéré que les bilingues sont plus performants sur des tâches
impliquant l’analyse et la synthèse des informations, que ces performances persistent avec le
temps, étant alors indirectement un facteur protecteur contre le déclin cognitif, comme le met en
avant Ellen Bialystok dans une revue de la littérature pour les différents types de bilinguisme
[52].
Au niveau scolaire, Lutz a montré qu’aux Etats unis d’Amérique les enfants de migrants
originaires de pays hispanophones réussissent mieux lorsqu’ils sont bilingues espagnol-anglais
que monolingue en anglais. De plus lorsque l’enfant bilingue sait à la fois lire et écrire dans sa
langue maternelle, il a de meilleurs résultats dans sa seconde langue. Dans cette étude, il a été
démontré qu’une relation familiale soutenante aide ces enfants alors que le familialisme (relations
familiales d’exclusivité et placées au dessus de toute relation sociale) est corrélé avec des
difficultés scolaires [53]. Il semblerait qu’il y ait moins de comportements antisociaux chez des
enfants qui parlent leur langue maternelle à la maison avec leurs parents [54]. Toppelberg
a montré que chez les enfants de migrants hispanophones aux Etats-Unis, le groupe d’enfant
bilingue anglais/espagnol a moins de troubles psychopathologiques que les enfants monolingues
dans chacune des langues [55]. Les bilingues seraient moins dépendants à des substance licites ou
illicites [56–59] et moins sujets à la dépression que les migrants monolingues dans la langue du
pays d’accueil [60]. Gibello, avec la notion de contenants culturels implicitement transmis par le
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groupe, a mis en évidence, lorsque cette transmission fait défaut, l’émergence chez ces enfants de
migrants de troubles de la pensée et du développement cognitif [61].
L’enjeu de garder la langue maternelle et de la faire vivre est important car elle est un des
représentants identitaires et bien souvent le seul lien langagier entre l’enfant et sa famille. Une
valorisation des langues maternelles permet une bonne estime de soi chez des individus qui
peuvent ainsi mettre en avant leurs savoirs linguistiques et culturels et s’inscrire dans une histoire
langagière et culturelle.
2.3.4. Facteurs influençant la transmission des langues maternelles
Barontini souligne certains facteurs familiaux influençant la transmission des langues
partant du cas particulier de la transmission de l’arabe maghrébin. Le parcours scolaire, le milieu
social, le mode d'habitat, les réseaux sociaux et communicationnels, les compétences
linguistiques des parents auraient leur importance dans la transmission des langues maternelles.
Elle remarque l’importance de la volonté parentale consciente de transmission, ce qui suppose
une forme de sécurité linguistique. Les séjours réguliers (pour les vacances, par exemple) dans le
pays d'origine des parents ou grands-parents avec qui les enfants entretiennent souvent des liens
affectifs forts, un accompagnement dans l'apprentissage par l'entourage qui parle l’arabe
favoriseraient cette transmission. Le rôle d'intermédiaire joué par certains enfants entre leurs
parents et les administrations françaises serait un facteur favorisant pour lui, cependant on
comprend bien que cela place l’enfant dans une position délicate où il est parentifié. En revanche,
la stigmatisation des enfants qui ne parlent pas parfaitement arabe dans le pays d’origine de leurs
parents ou qui parlent arabe en France pourrait être un facteur empêchant le développement de
compétences bilingues. [62]. Hamers et Blanc avaient mis en évidence qu’à l’adolescence les
langues se transmettent beaucoup moins facilement entre autre à cause d’un sentiment de honte
de la différence [31].
La culture la plus valorisée a plus de chance de s’imposer comme le montrent ces derniers
auteurs: les langues n’ont pas le même statut dans une société [31]. Cette constatation
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sociolinguistique a des répercussions psychologiques importantes chez les enfants de migrants.
L’enfant bilingue peut éprouver un sentiment de honte lorsque sa langue maternelle n’est pas
valorisée par la société d’accueil. C’est une véritable impuissance apprise qui doit être combattue
pour éviter que l’enfant ne se construise sur des assises fragiles. Pour les enfants, l’école doit être
ce lieu qui valorise leurs compétences linguistiques mais aussi culturelles.
En situation clinique, nous avons quelques fois été confrontés à des enfants ou à des
parents qui ont été exposés à des traumatismes psychiques. On peut alors se demander si cette
difficulté à transmettre la langue n’a pas l’objectif inconscient ou pré-conscient, d’épargner leurs
enfants de leur « langue traumatisée ». L’étude de Schmid montre que l’importance de l’attrition
de la langue maternelle des Allemands juifs survivants de la Shoah est liée à l’importance du
traumatisme auquel ils ont été exposés [63]. La langue dans laquelle le traumatisme a effracté la
pensée a tendance à s’effacer comme pour se sortir de processus mortifères. Pour Nathan, la
migration peut être considérée comme un traumatisme par la rupture du cadre culturel internalisé
qu’elle induit [64]. Ainsi l’attrition de la langue maternelle pourrait avoir comme but d’effacer le
souvenir traumatique d’un pays qui se fait de plus en plus lointain.
2.3.5. Addition, soustraction des langues ?
On parle de bilinguisme soustractif dans les pays anglo-saxons lorsque l’apprentissage d’une
deuxième langue se fait au détriment de la langue maternelle. La littérature plaide pour les
bienfaits d’une prise en compte des langues d’origine à l’école afin de favoriser un bilinguisme
additif où les langues se renforcent l’une l’autre. Le terme de bilinguisme soustractif est décrié
car il a aussi été utilisé pour qualifier la compétence imparfaite dans les 2 langues qui soustrait
des avantages cognitifs de la situation bilingue (en terme de flexibilité mentale, de synthèse).
D’autres termes dépréciatifs ont été employés pour qualifier cette situation: Semi-linguisme,
Semi-locuteurs, Sous-usagers, double incompétence. Le bilinguisme est alors défini comme une
maitrise de natifs dans les 2 langues. Il est rare pourtant que les enfants développent un
bilinguisme équilibré et parfait. Plusieurs cas de figures sont possibles :
-les enfants suivent les aléas du processus d’attrition de la langue maternelle décrit plus haut sans
avoir acquis suffisamment l’autre langue.
15
-la stagnation des compétences en langue maternelle en lien à l’absence d’étayage par les
apprentissages (langage écrit, Histoire, culture...),
-un processus pathologique qui touche le langage. Le bilinguisme n’est pas un facteur de risque
de dysphasie mais il paraît facile de le désigner responsable des troubles. Cela tient davantage des
représentations populaires que d’une réalité scientifique.
-Le parler bilingue « physiologique » : Il n’est pas rare que les bilingues usent des 2 langues pour
parler entre eux : c’est ce qu’on appelle le « code switching », altérnance des codes, un véritable
langage métissé. Le concept même de langue maternelle chez les enfants de migrants doit prendre
en compte ces aspects dynamiques. Comme le souligne Sylvie Warthon, le concept de langue
maternelle est imprégné des caractéristiques du monolinguisme et ne prend pas en compte le
rapport que les enfants de migrants ont avec la langue et la culture de leur parents [65].
2.4. De la vulnérabilité à la créativité : le bilinguisme une chance à partager
Le concept de potentialités réversibles rend bien compte de la « double polarité » sur laquelle se
construisent les enfants de migrant en fonction du risque transculturel [50]. Le concept de
vulnérabilité s'oppose donc à celui de la résilience. Moro [66] montre l’importance du
bilinguisme comme potentialité et comme chance et décrit bien les trois cas de figures rencontrés
chez des enfants réussissant bien à l'école et qui permettent le développement de «potentialités
créatrices» [ibid.]:
- l'enfant bénéficie d'un milieu sécurisant et stimulant ;
- l'enfant trouve un étayage dans l'environnement des adultes qui lui servent d'initiateurs dans le
nouveau monde ;
- l'enfant est doué de capacités personnelles singulières et d'une estime de soi importante. Dans ce
cas, la source se trouve à l'intérieur même de l'enfant, on peut parler d'une résilience. La
résilience est la capacité à résister, à se défendre. Elle se compose de facteurs internes ou
environnementaux de protection [67]. C’est cette chance du bilinguisme qui doit être partagée par
tous.
2.5. L’enfant de migrant et l’orthophoniste
16
Le dernier aspect affectif dans la prise en charge de difficultés langagières relève des enjeux
transférentiels et contre-transférentiels de toute relation de soin. La relation thérapeutique est
aussi importante que la prise en charge d’un symptôme et fait partie intégrante des soins dans un
suivi quel qu’il soit comme l’a mis en avant Balint. Plus particulièrement au sujet des troubles du
langage, René Diatkine était favorable à l’idée de ne pas opposer les démarches rééducative et
psychothérapique. Il considérait que la fiabilité du cadre et l’accompagnement d’un adulte dans
le langage sont thérapeutiques en soi, à l’image d’une berceuse chez un enfant qui a peur du noir
[34]. Comme l’a montré Marie Rose Moro, en commentant un étude menée par Charlot, les
enfants de migrants sont très sensibles, voire dépendants, aux caractéristiques relationnelles dans
les situations de transmission : les enfants de migrants, même les plus brillants, aiment l’école à
la fois pour l’enseignement mais aussi pour l’enseignant [66], ce que nous pourrions extrapoler à
l’orthophoniste.
En prise en charge orthophonique, comprendre les enjeux psychopathologiques et
transculturels dans les troubles du langage des enfants de migrants bilingues nécessite un
décentrage culturel et professionnel, délicat mais essentiel. . C’est avec cette position que le
bilinguisme devient une chance pour les enfants, tous les enfants. La formation des
orthophonistes à la clinique transculturelle, la supervision et la pluridisciplinarité sont des outils
importants chez ces enfants créatifs qui nous apprennent à l’être.
3. L’EVALUATION ORTHOPHONIQUE BILINGUE
3.1. Bilan orthophonique pour des enfants en situation de bilinguisme
A Avicenne, le bilan orthophonique en situation de bilinguisme a pour originalité de
proposer une évaluation en français et une autre dans la langue maternelle de l’enfant. La
présence de l’interprète permet à l’orthophoniste de dépister certaines altérations, qu’elles soient
phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques ou réceptives, dans une langue qu’il ne connaît pas.
Les altérations repérées dans la langue maternelle de l’enfant sont mises en lien avec les
difficultés relevées en français. L’enjeu principal de cette évaluation est de déterminer si l’on se
trouve ou non en présence d’un trouble spécifique du langage oral, appelé aussi dysphasie.
17
Pour ces évaluations, très atypiques, nous utilisons une batterie encore en cours de
validation, l’ELAL d’Avicenne© qui est le fruit d’un travail de réflexion transculturel sur le
bilinguisme des enfants de migrants. Cet outil parcourt les différentes modalités langagières à
évaluer, la programmation phonologique, la structuration lexicale, la construction
morphosyntaxique et la compréhension orale. Il permet, avec l’aide d’un traducteur, de quantifier
les difficultés de l’enfant dans sa langue maternelle, et de les mettre en lien avec d’éventuelles
difficultés relevées lors de l’évaluation classique faite en français [68].
Pour la construction de cet outil nous sommes parti du postulat que si l’on se trouve face à
un trouble spécifique du langage oral, les altérations linguistiques doivent être retrouvées dans les
deux systèmes linguistiques. La nature du trouble est la même dans les deux langues [69–71] et
ceci doit donc être établi de manière rigoureuse. La difficulté réside dans le fait que les altérations
ne portent pas forcément sur les mêmes modalités dans les deux langues. Par exemple, pour un
enfant de langue maternelle tamoule, on peut retrouver des déformations morphosyntaxiques en
français, et lexicales en tamoul. D’autre part, le diagnostic de dysphasie va dépendre de
l’importance des troubles dans les deux langues. Si on relève un retard massif en français, mais
peu présent dans la langue maternelle, on ne pourra alors pas, a priori, parler de trouble
spécifique du langage oral. En règle générale, on considère qu’un enfant qui a pu apprendre à
parler sa langue maternelle, même avec un retard plus ou moins important, est capable de
construire un système linguistique. On ne se trouve donc pas dans le cadre d’un trouble structurel.
À l’inverse, si les difficultés existent dans les deux langues, et de manière importante, on pourra
alors se poser la question d’un déficit structurel de construction des langues. Il est donc important
de noter qu’à l’heure actuelle, aucune étude ne permet de considérer la situation de bilinguisme
comme critère d’exclusion du trouble spécifique du langage oral à condition de bien évaluer
l’enfant dans ses deux langues.
Lorsque le recours à un traducteur est trop complexe à organiser, des alternatives existent. Par
exemple, des entretiens semi-structurés avec les familles sont de précieuses sources
d’informations sur la compétence et l’utilisation de la langue maternelle chez les enfants
bilingues [72–76]. Ils permettent un recueil d’informations telles que le nombre de mois
d’exposition au français, le contexte d’utilisation des deux langues, éventuellement des
18
antécédents familiaux de troubles du langage. En français, une aide au recueil anamnestique
auprès de parents a été créée dans un guide d’information pour la prise en charge des enfants
bilingues par Flora Lefevbre [77].
3.2. Limites
Les évaluations bilingues, même si elles sont indispensables, restent complexes et
reconnaissent des limites. Tout d’abord, la présence de l’interprète va induire des modifications
dans le cadre classique de l’entretien de l’orthophoniste avec l’enfant et sa famille, et également
dans la passation proprement dite du bilan.
L’enfant va-t-il s’autoriser à parler sa langue maternelle en présence d'une personne qu’il
ne connaît pas ? Est-ce que cette personne inconnue, parlant une langue familière ne va pas le
déstabiliser ? Pour ces raisons principalement, il est très important d’expliquer au traducteur, avec
précision, le rôle qu’il va jouer dans cette évaluation.
Ce rôle est à la fois clinique et technique ne se limitant pas à un simple travail de
traduction globale. Il doit, dans la mesure du possible, restituer les altérations faites par l’enfant
au sein de ses productions. De ce point de vue, il apparaît évident que certaines altérations
relevées dans la langue maternelle ne peuvent pas trouver leur équivalent en français. Ensuite, la
modalité langagière considérée va être plus ou moins évaluable selon la structure de la langue
maternelle. Ainsi, les deux modalités les plus complexes à évaluer dans ce contexte sont la
programmation phonologique et la structuration morphosyntaxique. Pour la première, l’interprète
peut éventuellement décrire des difficultés articulatoires et phonologiques, mais sans trouver leur
équivalent en français. On pourra alors simplement parler de retard articulatoire et/ou
phonologique, mais sans pouvoir décrire les types de facilitations phonologiques employées par
l’enfant. Il faut également considérer le système phonétique de la langue. Par exemple, dans la
langue arabe, les phonèmes [i] et [è] ne sont pas différenciés. Il peut en découler des difficultés à
produire de façon distincte des mots dont la différenciation implique une variation sémantique et
/ ou morphosyntaxique (il / elle). De manière similaire et pour avoir une représentation de ce que
conditionne un système phonétique, celui du français ne différencie pas le phonème [k] prononcé
dans les mots « cou » et « que », alors que le système phonétique arabe les distingue [78]. Pour
la seconde modalité, les structures morphosyntaxiques et les morphèmes grammaticaux du
19
français ne trouvent pas toujours leur équivalent dans la langue maternelle de l’enfant. Par
exemple, les notions de réversibilité de la phrase (voie active versus voie passive), n’existent pas
en tamoul. Il est donc parfois très difficile d’établir un lien entre d’éventuelles altérations
morphosyntaxiques entre les deux systèmes linguistiques. Le rôle de l’interprète est d’expliquer à
l’orthophoniste que telle ou telle structure morphosyntaxique n’existe pas ou est différemment
construite dans la langue maternelle de l’enfant. La situation transculturelle suppose que
traducteur, orthophoniste et cliniciens se décentrent et se forment.
D’autre part, des questions sont soulevées concernant la construction des tests utilisés en
français. Les items constituant notamment les épreuves d’évaluation du lexique (actif et passif) et
de la programmation phonologique sont choisis selon leur fréquence dans la langue et leur
composition phonologique. Il apparaît donc que ces items ne peuvent pas être les mêmes selon
les langues concernées. Ce point est important, puisque l’on sait que la mémoire sémantique5 se
construit chez l’enfant selon son exposition aux différents mots de la langue [79]. La dimension
culturelle apparaît ici clairement dans la construction de la modalité lexicale du langage oral et
dans son évaluation.
3.3. Valeurs des langues et langue maternelle à valoriser
Enfin, l’évaluation du langage oral ne peut jamais être dégagée de la perception qu’ont
l’enfant et sa famille des systèmes linguistiques abordés. Certaines langues sont parfois perçues
par les personnes (enfant, famille) et par les institutions (école, administrations, etc.) comme étant
« supérieures » ou « inférieures » à d’autres, ou bien comme étant plus ou moins utiles. Il arrive
assez souvent que des familles privilégient totalement la langue du pays d’accueil au détriment de
la langue maternelle, dans un souci et, parfois, dans une illusion de faciliter l’intégration de leurs
enfants. Dans le cadre d’une situation de bilinguisme successif (les langues sont transmises l’une
après l’autre), il faut garder à l’esprit l’idée que la bonne maîtrise d’une langue première
constitue un élément facilitateur de l’apprentissage d’une langue seconde. La stabilisation d’un
premier système linguistique, celui de la langue maternelle, est essentielle pour permettre à
l’enfant d’aller sereinement vers un second système linguistique. Dans une situation de
bilinguisme simultané (les langues sont apprises de manière concomitante), les systèmes
5 Catégorie mnésique qui contient le sens des mots lexicaux, des morphèmes grammaticaux entre autres.
20
linguistiques se renforcent l’un l’autre, à condition que des liens entre eux puissent être établis, et
surtout, entretenus. Donc dans les deux cas, le maintien d’une pratique importante et régulière de
la langue maternelle est essentiel.
D’une manière générale, les points essentiels à souligner s’articulent autour de la complexité des
situations cliniques liées au bilinguisme. Tous les référents théoriques et cliniques que l’on s’est
appropriés sont constamment questionnés. Ces situations de bilinguisme sont un moteur créatif
très puissant, puisque nous sommes sans arrêt obligés de réinventer différentes manières de faire
avec ces enfants, que l’on soit en bilan ou en prise en charge. Une des pistes les plus porteuse
dans ce type de travail, est de s’appuyer sur ce que l’enfant produit, surtout lorsque ces
productions contiennent des éléments de sa langue maternelle, quelles que soient les modalités
linguistiques concernées. Enfin, la création de liens entre les mondes culturel et linguistique de
l’enfant demeure un enjeu essentiel dans le projet de soins orthophonique(s), et dépasse la plupart
du temps la seule question linguistique instrumentale pour être replacée dans un contexte plus
global, transculturel.
3.4. Situation clinique d’évaluation bilingue
Fin 2012, nous recevons en consultation au Centre du Langage, un jeune garçon de 8 ans
et demi que nous appellerons Isaac. Isaac et sa famille sont originaires de Tchétchénie, pays
qu’ils ont quittés lorsqu’il avait huit mois. Madame est parfaitement bilingue russe / tchétchène,
et comprend bien le français mais ne le parle que très peu. Elle a parlé à son fils en tchétchène
depuis qu’il est bébé, et Isaac a appris le russe un peu par sa mère, mais surtout par la télévision.
Monsieur parle tchétchène à ses enfants. Deux évaluations en langue maternelle seront proposées,
l’une en russe et l’autre en tchétchène, avec l’aide d’un traducteur uniquement en russe6.
L’évaluation en tchétchène est très atypique, puisque la présence de la maman sera requise afin
qu’elle joue également le rôle de traducteur. Cette configuration de passation, encore jamais
expérimentée dans le service, donnera lieu à d'intéressantes constatations sur les représentations
des langues.
6 Nous n’avions pas d’interprète en tchétchène à disposition à ce moment-là.
21
Les premiers éléments linguistiques recueillis concernent les aspects non verbaux: une
faible incitation verbale, des difficultés pour accepter de parler sa (ses) langue(s) maternelle(s)
face à une personne inconnue, une certaine tristesse qui infiltrera toute la passation. Isaac
pourtant, courageusement, se prêtera à toutes les épreuves proposées. La sensibilité d’Isaac aux
aspects infra verbaux du langage est meilleure dans sa langue maternelle qu’en français. La
dimension instrumentale est plus investie pour la langue seconde, même si un retard est constaté
pour toutes les modalités orales. Ce point est fréquemment observé chez les enfants en situation
de bilinguisme, avec une grande sensibilité aux variations prosodiques, intonatives, expressives
de la langue maternelle, alors que cette sensibilité semble s’amoindrir face aux exigences
instrumentales de la langue seconde. Pourrait-on y voir un lien avec les différents investissements
affectifs des langues qui composent l’univers culturel de l’enfant? Des éléments plus
instrumentaux sont ensuite relevés concernant les productions linguistiques proposées par Isaac.
Lorsqu’il parle, quelle que soit la langue considérée, Isaac a tendance à élider la fin des mots. Or,
en russe comme en tchétchène, la fin des mots porte leur fonction morphosyntaxique qui leur est
attribuée dans la phrase. Donc, lorsqu’Isaac élide la fin des mots en russe ou en tchétchène, il leur
enlève leur rôle morphosyntaxique, mais lorsqu’il fait la même chose en français, l’effet
d’altération morphosyntaxique est moindre puisque c’est la place du mot qui porte son rôle dans
la phrase. Au moment où j’explique cela à la maman d’Isaac, elle entame une discussion avec
l’interprète, qui m’en traduit ensuite le contenu. Il explique la pensée de Madame selon laquelle
cette élision de la fin des mots est un vrai handicap pour son fils, quelle que soit la langue
puisque, je cite “toutes les langues ont des déclinaisons”. Cette réflexion me frappe d’autant plus
qu’elle montre de la part de Madame un intérêt pour ce qui concerne les aspects formels des
langues. Nous constatons ici, au travers de cette conversation, que nos représentations
linguistiques sont clairement liées aux aspects structurels et formels de nos langues maternelles,
quelle que soit la position occupée dans la consultation. Nous avons ensuite passé un long
moment, avec l’interprète et Madame, à expliquer que toutes les langues ne sont pas structurées
selon le même mode. Le premier mouvement de Madame est de l’étonnement, avec un
questionnement sur “comment faites vous sans déclinaison?” Avec plusieurs exemples, nous
parvenons, l’interprète et moi-même, à lui faire comprendre que les mots ne sont pas
nécessairement porteurs de leur fonction grammaticale dans la phrase, mais que simplement leur
22
place peut remplir ce rôle. La maman d’Isaac, fine et rapide dans sa manière de comprendre ce
que nous lui expliquons, conclue ensuite: “c’est donc moins grave en français si Isaac enlève la
fin des mots?” Je lui confirme qu’en effet, cela n’altère pas la valeur morphosyntaxique de son
discours, mais cela reste tout de même préoccupant pour son développement linguistique
ultérieur, surtout lorsqu’il sera confronté à des activités d’ordre métalinguistiques, essentielles
ensuite pour entrer dans la lecture, et plus largement dans la littérature.
Cette présentation de cas permet d’avoir à l’esprit que nous ne sommes jamais
complètement libres de nos représentations linguistiques, et que les évaluations bilingues,
essentielles d’un point de vue théorique et clinique, le sont aussi pour notre propre aptitude à
saisir l’altérité linguistique de nos petits patients, et donc pour notre capacité créative, nécessaire
dans l’adaptation des contenus proposés.
.
4. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
4.1. La langue maternelle en prise en charge orthophonique
Ce qui vient d’être décrit concerne principalement les situations d’évaluation. Mais que
faire en prise en charge hebdomadaire voire pluri-hebdomadaire avec des enfants en situation de
bilinguisme ? Il semble bien évident, quel que soit le contexte d’exercice professionnel,
institutionnel ou libéral, que l’organisation d’une suivi orthophonique bilingue reste très
complexe, à moins d’être bilingue soi-même. Cependant, malgré la difficulté de prise en charge
pour ce type de patients, des liens sont possibles à établir entre les deux langues, et plus
largement entre les deux cultures. Ces liens constituent un socle indispensable à la construction
d’un projet de soins en orthophonie pour les enfants en situation de bilinguisme.
Ainsi, l’encouragement des parents à maintenir une pratique linguistique maternelle
régulière et soutenue avec leur (s) enfant (s) constitue un de ces liens fondamentaux. L’idée de
pousser les parents à arrêter la pratique de la langue maternelle avec leur enfant, sous prétexte
d’intégration facilitée, est une illusion. Illusion d’un point de vue théorique d’abord, puisqu’une
langue seconde (le français en l’occurrence, pour les familles migrantes) qu’elle soit maitrisée
23
correctement ou non, se transmet toujours plus laborieusement qu’une langue maternelle. Illusion
clinique ensuite, avec l’idée que l’abrasion des particularités culturelles et linguistiques de
l’enfant va l’aider à construire une relation de soin avec son orthophoniste. Même si pour la
plupart d’entre nous en France, nous sommes monolingues, rien ne nous empêche de manifester
un véritable intérêt relationnel et clinique pour le monde culturel et linguistique d’origine de nos
petits patients [80]. Une autre forme de lien peut être ainsi portée par cet intérêt. Par exemple, il
est possible en prise en charge, de travailler la construction du récit en demandant à l’enfant de
raconter certains événements familiaux ayant une forme culturelle différente de la nôtre. Le
support change (histoires en images classiques versus récit culturel), mais l’objectif de soin reste
identique : structuration du récit en français, avec toutes les contraintes phonologiques, lexicales
et morphosyntaxiques que l’on connaît. Le changement de position et de rôle est également un
puissant inducteur de progrès en prise en charge. Par exemple, lorsque l’orthophoniste travaille
un champ lexical spécifique avec l’enfant, il ou elle peut lui demander comment se dit tel ou tel
mot dans sa langue. Et lorsque l’orthophoniste tente de répéter ce mot, avec toutes les altérations
phonologiques que l’on peut imaginer, alors on observe la joie et l’engouement de l’enfant, qui
s’aperçoit qu’il n’est pas seul dans la difficulté de manier une langue seconde, et qui s’amuse en
général beaucoup des difficultés ponctuelles de son orthophoniste.
La prise en charge orthophonique n’est pas suffisante pour améliorer les difficultés
langagières des enfants de migrants. L’évaluation pluridisciplinaire révèle des éléments
psychopathologiques ou d’autres troubles enchevêtrés qu’il faut aussi prendre en compte. Nous
allons voir de quelle façon, au Centre Du Langage d’Avicenne, nous considérons l’enfant dans sa
globalité et tentons de révéler leur créativité pour les soigner.
4.2. Une prise en charge globale
Chaque facteur, qu'il appartienne à l'individu, à sa famille, à son histoire ou à
l'environnement social, agit en interagissant avec les autres en constituant des configurations
bilingues, des histoires langagières singulières qui génèrent alors une diversité de profils
bilingues [68]. L’enfant de migrant présente une vulnérabilité spécifique qui exige la construction
d’un cadre thérapeutique qui favorise les liens entre les deux systèmes de pensée.
24
Il nous paraît important de toujours rencontrer systématiquement l’enfant avec sa famille
et un interprète lorsque la langue première de la famille n’est pas la même que celle du
professionnel et ce en accord avec la famille. Cela permet de nouer une alliance thérapeutique et
ainsi faciliter la prise en charge de l’enfant. Les accompagnants, voisins ou la famille élargie
peuvent apporter des éléments importants qu’il ne faut pas négliger. Les intégrer à la consultation
avec l’accord de la famille permet de rétablir une fonction traditionnelle d’étayage et la
construction d’un cadre thérapeutique sécurisant. Les familles migrantes se sentent parfois
menacées par la relation duelle avec un soignant, relation qui n’est pas congruente culturellement
lorsqu’on vient d’une société traditionnelle où la place du groupe est importante.
Une prise en charge psychothérapique, individuelle, groupale ou familiale peut permettre
à l'enfant de s'individuer, et de s'affirmer en trouvant sa place dans le groupe de pairs, de soutenir
la parentalité mise à mal par la migration et des conditions sociales difficiles. Le groupe bilingue
d’Avicenne est un exemple de groupe thérapeutique qui révèle la créativité des enfants de
migrants.
4.3. Le groupe « bilingue »
Compte tenu de la difficulté pour certains enfants d’entrer dans le langage, l’échec scolaire qui en
résulte et la souffrance qui l’accompagne, le « groupe bilingue » est proposé aux enfants qui
consultent pour un trouble de langage, qui ont des compétences langagières médiocres, voire qui
présentent dans certains cas, un mutisme extrafamilial. Il s’agit d’un groupe thérapeutique
destinés aux enfants bilingues qui ont des difficultés à passer d’une langue à l’autre et où les
thérapeutes parlent plusieurs langues. Ce dispositif a été développé, s’appuyant sur la clinique
transculturelle, sur le constat qu’il y a une difficulté à faire des liens et donc que c’est le passage
d’une langue à l’autre qui pose problème pour ces enfants. Le groupe est animé par un
pédopsychiatre et une autre co-thérapeute psychologue de formation, également bilingues et
familiers des parcours langagiers des enfants de migrants. Il inclut, souvent à titre d’apprentis
thérapeutes, les stagiaires internationaux du service qui, eux aussi, on à faire ce passage d’une
langue à l’autre. La médiation utilisée dans ce groupe est le jeu et la langue commune est le
français. L’accent n’est pas mis sur une traduction unique en français, mais sur la diversité des
25
passages et des langues, sur la figuration de l’altérité. L’homogénéité de langues n’est pas
recherchée, la multiplicité étant considérée comme le cœur du travail dans ce groupe dit «
bilingue » mais si ce n’était que pour la multiplicité de langues représentées, il aurait pu s’appeler
« polyglotte ». Des entretiens avec les familles des enfants ont lieu préalablement à la
constitution du groupe. A chaque famille sont verbalisées les règles du groupe et l'intérêt
thérapeutique recherché pour l'enfant. Les familles sont aussi reçues à conclusion du groupe pour
un entretien de restitution.
4.4. La consultation transculturelle7
Les consultations transculturelles s'avèrent parfois nécessaires, lorsque les thérapeutes
classiques ne parviennent pas à décoder les symptômes ou lorsque ceux-ci sont liés à la migration
elle-même, nécessitant une prise en charge groupale selon le fonctionnement traditionnel
d'origine. On ne propose pas la consultation transculturelle pour la seule raison que la famille
vient d’ailleurs.
Cinq grands types d’indications peuvent être posés pour les enfants de migrants : (1) les parents
refusent d’aller consulter un psychiatre dans la mesure où ils n’arrivent pas à se représenter la
signification d’un tel acte. (2) Les parents consultent mais n’adhèrent pas aux modalités de
traitement proposées car ils les perçoivent comme antinomiques avec leurs propres manières de
penser et de soigner la maladie. Ils «subissent» le traitement mais celui-ci est inefficace car la
relation thérapeutique n’est pas établie, condition première de tout suivi efficient. (3) Ou encore,
la pathologie de l’enfant est culturellement codée (telle que les étiologies d’enfant-sorcier ou
d’enfant-ancêtre évoquées par les parents pour rendre compte de la souffrance de leurs enfants).
(4) Parfois, la pathologie de l’enfant semble directement liée au clivage entre ces deux mondes
d’appartenance. Ainsi en est-il du mutisme extra-familial des enfants de migrants qui suspendent
leur parole dès qu’ils quittent la maison, seul lieu où ils se sentent en sécurité. (5) Enfin, quand la
pathologie de l’enfant est le lieu de confrontation entre deux systèmes de soins: le système
traditionnel et le système occidental, ce qui met en danger la santé même de l’enfant. 7 Comme celle que Marie Rose Moro a mis en place à l'Hôpital Avicenne (Bobigny) depuis 1989 ou depuis 2008 à la
Maison de Solenn (Hôpital Cochin, Paris) avec une méthodologie complémentariste qui associe anthropologie, linguistique et psychanalyse (Moro, 2008).
26
Ces prises en charges familiales permettent de travailler sur les aspects
transgénérationnels. Le passage d'un monde à l'autre et d'une langue à l'autre, sont figurés par un
groupe de thérapeute métissé au niveau des genres, des cultures et des professions, ainsi que par
la présence d'un interprète/médiateur culturel, qui permet l'accès à la langue maternelle, celle des
affects. L'altérité et le métissage sont ainsi matérialisés. Les cothérapeutes proposent des lectures
et hypothèses multiples et assument également une fonction contenante. Le fait de pouvoir
s’appuyer sur un groupe est très important pour les familles car dans beaucoup de cultures la
famille n’est jamais seule en particulier lorsqu’un enfant est touché. Les enfants, souvent placés
au centre du groupe, entendent la parole indirecte des adultes et y réagissent dans les dessins ou
les histoires qu'ils inventent, accompagnés par un cothérapeute. Le travail sur les représentations
culturelles permet de co-construire un sens individuel, selon trois axes (Moro, 1994) [7]: La
considération ontologique du sujet malade, les théories étiologiques de la maladie et les logiques
thérapeutiques. Le thérapeute principale prend la place du sage, qui centralise la parole et le
transfert, mais ne remplace ni les thérapeutes traditionnels du monde d'origine, ni les thérapeutes
classique du monde d'accueil. En effet, les orientations se font souvent en seconde intention, en
complément des prises en charge classiques, afin d'apporter un éclairage culturel plus ponctuel
aux soignants aussi bien qu'aux patients. L’enfant est accompagné de ses parents et de tous les
membres de la famille élargie qui le désirent. L’équipe médicale qui nous adresse l’enfant vient
aussi à la consultation pour éviter une rupture supplémentaire.
Le thérapeute part des représentations de la famille pour co-construire un cadre culturel.
Une fois le cadre culturel établit le travail psychothérapique peut se dérouler efficacement. A
partir du sens culturel des troubles, peut ensuite se construire un sens individuel [81]. Des ponts
s’établissent entre les cultures et au sein même de l’histoire familiale permettant d’accompagner
le processus de métissage en cours.
L’établissement du cadre thérapeutique, le récit de la migration familiale et du vécu par l’enfant
de cet événement, la construction de liens entre l’avant et l’après suffisent, souvent, à rendre
représentable l’événement traumatique pour l’enfant et sa famille. Ainsi, l’enfant peut ensuite
investir sans trop d’anxiété le monde du dehors. Il faut laisser du temps à l’enfant pour élaborer
cet événement. Les soignants sous-estiment souvent l’impact traumatique de l’exil. En effet,
l’exil n’est pas seulement un événement sociologique, c’est aussi un événement psychologique. A
27
ce traumatisme de tout changement de pays peut se surajouter les conséquences d’un départ
brutal et violent dans des conditions de persécutions politiques ou de catastrophes naturelles.
La consultation transculturelle reçoit des familles migrantes et leurs enfants en seconde
intention lorsque les soins de première intention bien conduits n’aboutissent pas à une
amélioration des symptômes.
Au Centre du Langage on y fait appel quand on ne voit pas d’amélioration dans les
symptômes de l’enfant alors que différentes prises en charge aient été proposés, ou encore
lorsque la famille ne comprend pas les soins que l’on propose et y sont hostiles. Cela arrive
lorsque les théories culturelles sont très ancrées. Nous faisons alors appel à la consultation
transculturelle afin de négocier entre les soins traditionnels et les soins d’ici afin d’accompagner
l’enfant le mieux possible.
Comme le souligne Moro : « Les métissages culturels et identitaires semblent être un
compromis face à l’impossible choix d’être seulement d’ici ou seulement d’ailleurs […] il n'y a
pas de cohérence immédiate, sensible, logique, pas d'adéquation systématique entre le transmis et
le vécu, le dedans et le dehors » [48]. Le travail qui est proposé au groupe bilingue et à la
consultation transculturelle, est d’accompagner les enfants dans cette négociation entre les
mondes. Chez ces enfants, le métissage est un enjeu de leur construction identitaire : il faut
réussir à « s'inscrire dans le monde d'ici, en s'appuyant sur le monde d'origine de ses parents »
(op. cit.).
4.5. La prise en charge de Haran
Pour rendre vivants ces processus complexes, nous avons choisi de parler ici d’un enfant
d’origine tamoule présentant un mutisme extrafamilial. Comme nous l’avons déjà vu, certains
enfants se trouvant alors face à un choix impossible entre leurs parents et le monde du dehors
(représenté par l’école), suspendent, transitoirement, leur parole, leur pensée et leur être même
[48]. C’est ce qui est arrivé à Haran, un petit garçon de neuf ans qui a été adressé au Centre Du
Langage de l’hôpital Avicenne par son équipe éducative pour un mutisme extra familial. Il est
l’ainé d’une fratrie de trois enfants. Les parents ont quitté le Sri Lanka en 1995 à cause de la
guerre. Les parents ne parlant pas bien le français, nous avons fait systématiquement appel à un
28
interprète tamoul. Il est ressorti des consultations familiales que les trois enfants étaient affectés
de différentes manières et que les parents étaient en difficulté dans leurs places respectives. Face
aux difficultés de Haran, il a été proposé le groupe bilingue afin de travailler sur les questions du
passage d’un monde à l’autre et aussi de mieux observer Haran parmi ses pairs. Une
psychothérapie individuelle a aussi été mise en place passant essentiellement par l’écrit et le jeu
parallèlement à des consultations transculturelles familiales. En effet, les éléments culturels et
ceux liés à l’histoire migratoire de la famille semblaient avoir une place importante dans le
mutisme de Haran en particulier et dans les difficultés de la famille en général. Les différents
professionnels s’occupant de la famille ont également été invités à participer à la consultation
transculturelle. Lors des consultations, la famille a évoqué avec nostalgie la vie au Sri-Lanka, les
difficultés de la migration et du changement de langue et de monde, la difficulté de la vie ici...
Ainsi les parents ont pu mettre des mots sur leur souffrance, leur grande solitude et leur
difficulté à être parents en exil, le père a pu exprimer des affects dépressifs en lien avec le deuil
de son propre père et la mère a pu dire sa grande solitude en France.
En effet, il semble que les enfants aient comme fonction pour cette famille, celle de
réparer certaines blessures des parents (le père a dit à plusieurs reprises qu’il pouvait apprendre
beaucoup de ses fils). Cela, Haran l’exprime à travers le jeu. Lors de la première consultation,
Haran a posé au milieu du cercle des thérapeutes une grande maison (un jouet) et il est parti
s’installer en dehors du groupe, comme s’il demandait qu’on s’occupe de sa famille. D’ailleurs, il
dessine souvent des maisons flottantes, non fixées au sol. Au fur à mesure des consultations
transculturelles, Haran a commencé à investir de plus en plus les différents lieus de soin et il
a fait des liens avec ce qu’il entendait dans le groupe transculturel. Ainsi, il a pu rejouer pendant
sa thérapie individuelle, les inquiétudes de son père en mettant en scène une famille de tigres
confrontés à différents problèmes et vivant sans cesse dans la peur, l’inquiétude, la solitude. Dans
le groupe bilingue, il est s’est petit à petit ouvert, en commençant à rire la bouche ouverte, à
pouffer de rire, à chuchoter des mots lors du jeu du téléphone arabe et enfin à parler avec le
thérapeute du groupe d’une douleur physique. Puis, au fur et à mesure que l’histoire familiale
prenait un sens dans les consultations transculturelles, il a pu parler sans difficulté, exprimant son
désaccord et ses idées dans le groupe bilingue puis dans les différents espaces dont l’école.
29
Comme le montrent les dessins de Haran, nous pourrions dire que la maison, au fur à mesure que
chacun sortait de sa tristesse et de sa solitude, a pu se fixer sur le sol.
A travers cette histoire clinique, on peut voir comment, à travers une prise en charge
intégrée inscrivant le symptôme dans son contexte relationnel et culturel, on peut mieux soigner
les enfants des migrants et leur langage. Dans ce cas, les différents lieux (groupe bilingue, groupe
transculturel, suivi familial, suivi individuel) travaillent ensemble et des liens se construisent
entre les récits qui émergent dans les différents espaces. Ces différents lieus sont proposés selon
les besoins et les difficultés rencontrées, il n’y a pas un protocole précis à suivre pour un enfant
de migrant. Chaque enfant est différents et a une histoire singulière ainsi les soins proposés
doivent être adaptés. Les enfants de migrants nous obligent à repenser nos dispositifs et à les
adapter, c’est pourquoi au Centre du Langage nous avons crée des dispositifs métissés afin de
mieux soigner les enfants.
Cette spécificité dans la prise en charge des enfants de migrants peut paraître pour certains
une évidence mais en pratique, elle est peu rependue. Quant est-il à l’école, lieu d’expression des
possibilités et des difficultés des enfants, qui prône les valeurs républicaines ?
5. RÉALITÉS DES LANGUES A L'ÉCOLE
L’école est pour nous un partenaire clinique et de recherche privilégié. Notre étude sur les
compétences plurilingues des enfants de migrants et la validation de notre outil d’évaluation des
compétences langagières des enfants allophones (ELAL d’Avicenne©) nous a, par exemple,
amenés à rencontrer beaucoup d’équipes éducatives pour effectuer des passations dans les écoles.
Nous y avons évoqué avec enseignants et directeurs les différentes langues parlées dans les
classes, et avons demandé qu’ils nous renseignent sur les langues parlées par les enfants à la
maison.
Ce travail a été l’occasion d’observer les attitudes des enseignants et directeurs d’école
par rapport à la diversité des langues dans les classes. Notre recherche qui concernait
spécifiquement les enfants ayant une langue maternelle autre que le français, les invitait à mettre
30
en lumière la pluralité culturelle et linguistique des enfants. Dès les premiers contacts avec les
enseignants, nous avons constaté des attitudes variées, allant de l’enthousiasme à la gêne, voire
au refus.
Rappelons qu’en France, la connaissance de deux langues vivantes en plus de la langue
maternelle à la fin du cursus secondaire est devenue un objectif du système éducatif. Cette
disposition découle du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Ainsi sur
le terrain des institutions, il y a une prise de conscience de l'importance du multilinguisme au sein
du monde actuel, impliquant des modalités d'enseignement dans les différents états membres du
Conseil de l'Europe. Le plus intéressant réside en fait dans la définition du plurilinguisme donné
par ce cadre européen commun de référence pour les langues. En voici la définition française : «
On définira par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer
langagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la
maîtrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer
ensemble ce capital langagier et culturel. On considérera qu'il n'y a pas là superposition ou
juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d'une compétence complexe, voire
composite, dans laquelle l'acteur peut puiser » [82]. Il ne s'agit plus de raisonner en termes de
monolinguismes juxtaposés les uns aux autres, c'est-à-dire de maîtrise parfaite de toutes les
compétences langagières dans chacune des langues, mais de la capacité à puiser dans un
répertoire de savoir-faire et de connaissances dans plusieurs langues afin de pouvoir adapter sa
communication aux diverses situations. Malgré la prise en compte aujourd'hui, en plus des
langues minoritaires et régionales de l'Europe, de l'existence des langues de la migration dans les
directives du Conseil de l'Europe8, force est de constater qu'il faut l'approche de professionnels de
la santé, de la clinique transculturelle, des sociolinguistes pour que la cause spécifique du
plurilinguisme migratoire soit pris en compte sur le terrain. Qu'en est-il plus exactement de nos
jours dans les écoles françaises ?
Pour illustrer les évolutions en termes de contact des langues à l'école élémentaire,
prenons exemple de la place que la langue anglaise occupe. Initiée en son temps par le ministre
de l'Éducation Nationale, son enseignement s'adressait d'abord aux élèves du Cours Moyen 2e
8 http://.www.coe.int/lang/fr
31
année, nous sommes au début des années 2000. Des professeurs du collège étaient encouragés à
venir dispenser une heure d'anglais, d'autres, très peu, proposaient une heure d'allemand. Les
directives recommandaient essentiellement une initiation orale, dans l'objectif de « rectifier » un
enseignement classique qui introduisait l'écrit et a longtemps pénalisé les élèves français sur
l'aisance prosodique. Une dizaine d'années plus tard, les jeunes écoliers français ont une initiation
à l'anglais dès le cours préparatoire et l'ensemble des enseignants de l'école élémentaire doit
pouvoir donner cet enseignement. Au cours de notre travail, nous avons constaté que les familles
migrantes sont très favorables, voire demandeuses d'un tel enseignement. D'autres recherches ont
également mis ce constat en évidence [83]. Au cœur d'une Europe forte de vingt-sept pays, il
semble qu'il devienne nécessaire que les jeunes enfants français accèdent par l'école à une langue
autre que la langue française. Le Bulletin Officiel9 fixe ainsi les langues concernées : allemand,
anglais, arabe, chinois, espagnol, portugais, russe, italien. Le dispositif mis en place cependant
relègue encore plus les langues dites « minoritaires » des migrants vers une place périphérique.
Or ces langues même minoritaires sont des langues maternelles et en cela, elles sont encore plus
structurantes que les langues secondes comme l’anglais ou l’allemand.
Par ailleurs, l'on connaît le dispositif Enseignement des Langues et Cultures d'Origine
(ELCO) mis en place dans les années 60, initialement pour favoriser le retour des étrangers dans
le pays d'origine. Bien qu'imparfait, difficile à gérer, il a évolué jusqu'à connaître des « cours
intégrés », et concomitamment ont surgi dans les années 70 des demandes de personnels (santé,
enseignants) à bénéficier de cours de langue arabe, dans le but d'échanger avec les élèves ou les
patients dont ils devaient s'occuper [84]. Les années 2000 et l'inclusion de l'anglais ont
définitivement circonscrit les ELCO au temps péri-scolaire. La vraie rencontre qui aurait du se
produire d'abord entre les enseignants ELCO et les équipes pédagogiques ne s'est pas produite.
Parallèlement à ce constat, les langues de la plupart des élèves non francophones ne sont
aucunement prises en compte dans les textes officiels.
Il s'amorce un fléchissement des attitudes des enseignants vis-à-vis des langues d'origine,
si le discours a longtemps été « l'enfant doit parler en français à la maison », les recherches
menées dans différents domaines commencent cependant à résonner dans les cours de récréation.
9 Hors série n° 8 du 30 août 2007
32
Dans certaines écoles d’ailleurs un accueil très positif a été réservé à notre recherche sur les
compétences langagières des enfants de migrants, soulevant intérêt et engagement de la part des
enseignants qui s’investissaient dans l’information aux parents et aux enfants. L’équipe
enseignante connaissait les langues parlées par les parents ou pouvait les demander facilement,
sans que l’équipe de recherche ne soit sollicitée. Nous avons découvert ensuite que certaines
écoles étaient engagées dans des réflexions anciennes sur l’accueil des enfants de migrants.
Ceux-ci aussi se sont montrés à l’aise avec cette question de la diversité et, à l’occasion de la
présentation de la recherche à la classe, ont évoqué par exemple avec facilité les différentes
langues parlées dans le groupe. Certaines équipes ont d’ailleurs adapté les pratiques à la
multiplicité de langues. Par exemple, par la mise en place de petites réunions entre parents
locuteurs d’une même langue et enseignants communiquant par l’intermédiaire d’un traducteur.
Mais dans un grand nombre de cas, les réactions ont été moins positives. Le multilinguisme
semble poser problème à de nombreuses équipes éducatives qui le vivent comme un élément de
complexité supplémentaire ajoutant du travail aux enseignants. Nous avions déjà pu remarquer
que lorsqu’un soin est demandé par l’école pour un enfant, le partenariat entre école et hôpital,
pourtant évident en situation monolingue devient souvent délicat si plusieurs langues
interviennent. La triangulation nécessaire entre école, famille et soignants (psychologues,
orthophonistes ou médecin…) semble plus difficile à maintenir.
Lorsqu’on a demandé, par exemple, de nous indiquer quelles langues sont parlées à la
maison par les enfants d’une classe, de nombreux enseignants et directeurs se sont montrés
réservés, gênés. Certains ont évoqué une crainte que les enfants ou les familles ne se sentent
stigmatisées. Ils se demandaient si interroger parents ou enfants sur la langue parlée à la maison
ne serait pas intrusif, si cela ne relèverait pas trop de la sphère privée. La peur de la stigmatisation
est forte et certains enseignants ont peur de souligner les différences, d’en parler. Ils préfèrent se
comporter comme si l’institution scolaire ne voyait pas les particularités, même si celles-ci,
comme par exemple la diversité des langues, sont très perceptibles. Dans ces écoles le fait même
de demander aux parents quelle langue est parlée à la maison ou de faire savoir à l’ensemble de la
classe qu’un enfant parle une autre langue que le français semble agressif et a priori dévalorisant.
Les différences que les enfants voient et ressentent ne sont alors pas nommées, et chacun en
conclut qu’elles doivent être cachées pour éviter la gêne qu’elles provoquent. La tendance des
33
enfants concernés à opérer un clivage douloureux entre les mondes de la maison et de l’école
pourrait ainsi se voir renforcée et accentuée par les adultes, au risque que plus tard, à
l’adolescence, l’affirmation de soi passe au contraire par une revendication violente des
différences, à la hauteur de la pression ressentie pour les dissimuler. On peut pourtant penser que
c’est en ne valorisant pas les différences culturelles et la richesse qu’elles portent que celles-ci
peuvent être vécues comme un potentiel facteur de rejet.
On retrouve ici des idées républicaines qui soutiennent que tous les enfants doivent être
égaux à l’école et que leurs appartenances spécifiques, culturelles, religieuses ou ici langagières,
ne doivent pas être soulignées. L’école a en effet pour mission d’enseigner un socle de
connaissances et de valeurs communes à tous les enfants. Mais l’appartenance à un autre groupe
culturel que celui du pays d’accueil devient alors a priori porteuse de sentiments négatifs, comme
la honte ou la gêne.
Nous avons d’ailleurs remarqué que certains enfants ne semblent pas se sentir autorisés à
parler leur langue maternelle à l’école. Avant qu’ils ne dévoilent leurs compétences lors de la
passation de l’ELAL d’Avicenne©, il faut parfois du temps et des encouragements. Est-ce parce
que parler sa langue maternelle c’est aussi sortir de l’ombre et de l’uniformité ? C’est le cas
notamment pour les enfants ayant pourtant une bonne connaissance de leur langue maternelle
mais semblant en difficulté pour la parler dans le cadre de l’école et avec quelqu’un qu’ils ne
connaissent pas. Le clivage construit entre la maison et l’école semble alors très fort et difficile à
dépasser. Pour ces enfants, la rencontre avec les chercheurs est l’occasion d’expérimenter le
passage d’une langue à l’autre, puisque nous rencontrons les enfants en binôme
chercheur/interprète et que, dès les présentations, tout est dit successivement dans les deux
langues. Ils perçoivent ainsi que les deux langues sont exactement sur le même plan, sans
hiérarchisation. Peut-être ce moment peut-il alors les aider à découvrir leur multiplicité et leur
richesse, en sortant du clivage imposé par l’institution scolaire.
Pourtant il devrait être possible de faire exister les différentes langues à l’école. Des pistes
de travail existent déjà pour opérer des déplacements de posture au sein des équipes qui
accueillent les jeunes enfants et les élèves d'ici dont les familles viennent d'ailleurs. C'est une
34
nécessité afin de favoriser leur réussite scolaire, mais aussi une ouverture pour l'ensemble de tous
les enfants vers un monde multidimensionnel et où plusieurs langues sont nécessaires [85]. Les
recherches en effet guident nos objectifs en direction d'une société plurilingue et pluriculturelle
au dépens d'une vision idéale mono et bilingue, à présent dépassée.
De même, les démarches d'éveil aux langues (EVL) ont pour objectif de faire découvrir
dans l'espace de la classe toutes les autres langues présentes parmi les élèves, et à instaurer un
dialogue entre elles et avec celle de l'école. Elles sont basées sur « la conviction qu'il est possible
et même souhaitable de placer les enfants dès l'école primaire en contact raisonné avec le monde
du langage dans sa diversité et ses fonctions » [86]. En France, dès la fin des années 80, l'équipe
de Grenoble sous l’impulsion de Billiez10 s'empare des expérimentations menées entre autres au
Royaume Uni sous l'impulsion d'Eric Hawkins [87]. Le rapport Candelier (EVLANG
2003) représente une référence fondamentale du projet Socrates Lingua, travaux menés de 1997
à 2003 par une grande équipe européenne. Dans des pays voisins comme la Suisse et la Belgique,
ce courant appelé Approches plurielles fait l'objet d'une inscription institutionnelle [88]. Dans nos
écoles françaises, cette approche plurielle ne profite essentiellement qu'aux élèves de CLIN
(Classe de Langue et d'Initiation, accueillant les enfants nouvellement arrivés). Cela reste pour
l'instant l'attribut des associations, des militants et de quelques pionniers même si on note ces
dernières années des progrès avec des études menées au sein même de l’éducation nationale11 et
des outils mis au point par les Casnav pour les enseignants eux-mêmes. Il existe aussi des outils
et des supports mis à disposition par le Conseil de l’Europe pour les acteurs de l’école. C’est le
CARAP, Cadre de référence pour les approches plurielles qui collecte et diffuse ces outils au sein
de ce Conseil.
Il nous semble que dynamiser, faire vivre les réseaux serait un outil précieux. Instaurer
par exemple des possibilités de travail d'équipe avec les enseignants ELCO permettrait de
mutualiser des ressources et des compétences. En cette époque où les rythmes scolaires sont
questionnés, cette réflexion devrait peut-être enfin prendre sa place. Le partenariat avec les
parents d'élèves mérite également un travail de fond, ils représentent un gisement riche pour 10 LIDILEM, Laboratoire de linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles. 11 Comme ceux de Chomentowski [89]
35
l'instant sous-exploité. Le décentrage apporté par une position transculturelle est l'ingrédient
majeur d'une telle possibilité.
POUR UNE ECOLE MATERNELLE QUI PRENNE EN COMPTE LA DIVERSITE DES
ENFANTS
Selon un récent rapport de l’OCDE (mars 2006), les enfants de migrants accuseraient un
retard scolaire moyen supérieur à deux ans par rapport à leurs pairs autochtones [90]. Il y a là un
défi à relever qui commence dés la maternelle car le rapport au savoir et aux acquisitions
commence là. Une entrée en maternelle qui doit se faire pour les enfants de migrants comme pour
les autres à 3 ans et pas avant. Souvent on a tendance à vouloir mettre ces enfants plus
précocement que les autres à l’école alors qu’ils ont besoin de cet attachement aux parents fort
pour pouvoir se séparer d’eux dans de bonnes conditions et investir le monde de l’école sans
appréhension trop grande. Avant 3 ans, la plupart des enfants ne sont pas prêts à la séparation
d’avec leur parents et le monde familial ce qui compromet leur capacité à prendre du plaisir dans
le monde de l’école, étape indispensable à tout apprentissage.
L’école est structurée par un certain rapport au savoir, qui appartient au monde occidental
et qui détermine les méthodes pédagogiques, les relations avec les élèves, celles avec les
parents… Ce rapport au savoir, il est, comme toute représentation culturelle, implicite et évident
— chacun dans un groupe culturel et social donné le partage. Ce rapport au savoir est lié à la
représentation de l’enfant, de sa nature, de ses besoins, de ses compétences. Que doit apprendre
un enfant et comment peut il le faire ? Les parents nomades, souvent très respectueux du savoir et
de la science française transmis par l’école le plus souvent ne connaissent pas et parfois ne
partagent pas ce rapport au savoir. Souvent, ils font l’hypothèse qu’ici à l’école, on fait
autrement, et présupposent que c’est bien ainsi et, se tiennent à une distance respectueuse de
l’école. D’où, d’ailleurs, ce sentiment de démission ou de non investissement perçu par l’école
alors, qu’en réalité, il s’agit de bienveillance passive : cet espace ne m’appartient pas mais je
considère qu’il est bon pour mon enfant. Ici encore, le rapport au savoir que l’enfant doit habiter
pour pouvoir apprendre est celui de l’école française. Mais, ceci n’est possible de manière
harmonieuse et sans effort surhumain pour l’enfant que s’il est guidé dans cette logique qu’il ne
36
peut anticiper et si ce rapport au savoir n’invalide pas, ne disqualifie pas celui des parents, si non,
le prix à payer est trop grand. Certains enfants ne pourront pas le faire.
Une école unique, des enfants pluriels
L'école en France est républicaine, c'est la même pour tous. Ce principe est un grand
acquis de l'histoire française, une grande fierté, un principe précieux dont il faut, à notre sens,
défendre l'esprit, l'éthos, à tout prix. Pourtant, dans les faits, nous constatons combien
actuellement, cette école ne remplit pas son rôle par rapport aux enfants de migrants. L'échec
scolaire massif des enfants de migrants avec ses paramètres sociaux et culturels, cet échec
scolaire est un fait. De plus, quelles qu’en soient ses causes, l'échec scolaire à des conséquences
psychologiques importantes sur les élèves, et sur les représentations que les familles ont d'elles-
mêmes et de leurs enfants. Cet échec scolaire précoce implique que les enfants sont marginalisés
car exclus des circuits d'appropriation des savoirs ou du moins, de ceux qui sont les plus
valorisés. Ces enfants sont violentés par ces échecs souvent cumulatifs et redondants qui
commencent dés la maternelle et qui très vite trouvent des expressions anti-sociales.
Nous proposons ici quelques éléments pour penser la prévention du risque transculturel
auquel est soumis tout enfant de migrants en commençant par l’école, lieu clé, mais charge à
l'école et à ses enseignants de prendre les éléments qui leur paraissent créatifs et opérationnels et
d’en inventer d’autres. D’ailleurs ce qui est vrai pour l’école l’est pour tous les autres lieux :
l’hôpital, le tribunal, les services sociaux et éducatifs, la société. Tout d’abord, diminuer le conflit
entre l'école et la maison, les deux lieux d'appartenance de l'enfant. Il s'agit parfois de logiques
qui se posent comme antinomiques et qui cherchent à s'exclure ou du moins qui entrent dans un
rapport de force stérile. Pour lui permettre d'acquérir le savoir nécessaire, il ne s'agit pas de
changer sa nature, de le modifier, de le rendre pareil à ses enseignants ou à des normes qui
seraient celles de la société d'accueil.
Les positions parentales, même différentes des nôtres, sont importantes pour l’enfant et
donc, pour l’école, elles le deviennent. Certes, il ne s’agit pas de renoncer à ce qui fonde les
valeurs républicaines mais d’adopter une attitude d'ouverture, de valorisation des parents, de
37
négociation tranquille en dehors de positions idéologiques ou de surdité à la différence — et, au
moins, ne pas les disqualifier. La présence, l'accueil des parents, doit être possible, créative et
donc favorisée et surtout le regard et le récit que l’on fait sur eux. Il s’agit donc, d’abord et avant
tout, de position intérieure et non de recette ou de modification du fonctionnement de l’école.
Ensuite, sortir de l'implicite qui voudrait que le monde de l'école et celui de la maison
n'aient pas le même statut. Ceci est un principe éthique mais aussi scientifique puisque depuis
longtemps déjà, nous savons qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les cultures. Même sur le plan
cognitif, le monde de la maison a ses propres valeurs, ses propres connaissances, il est digne de
reconnaissance et, bien sûr, de respect. De plus, il constitue le socle sans lequel les connaissances
scolaires ne peuvent s'imprimer aisément, sans trop de douleur et d'efforts. Il permet la
construction de l'estime de soi par l'intériorisation des attachements sans laquelle aucun
apprentissage n'est possible.
Créer aussi des espaces de pensée de l'altérité à travers l'ouverture de l'école sur les
réalités sociales et culturelles de la France, pays de métissages. Ceci peut se faire à travers le
soutien d'activités para-scolaires en relation avec les multiples origines culturelles des enfants de
la seconde génération: ateliers de langues, d'écriture, de calligraphie, d'histoire… ateliers qui
devraient être ouverts à tous et non pas réservés à certains dans un esprit de métissage.
Dis- moi combien de langues tu parles ?
Le bilinguisme des enfants de migrants est, nous l’avons vu, le second enjeu. Depuis
longtemps déjà, les linguistes ont attiré notre attention sur le fait que le bilinguisme non
seulement n'est pas un obstacle au développement de l'enfant comme le dit le sens commun mais,
au contraire, acquérir sa langue première avec sécurité est un facteur stabilisant de l'estime de soi,
un gage pour un meilleur apprentissage de la langue seconde et de l'ensemble des acquisitions. En
somme, l’enfant unilingue n’existe pas ; tout enfant traverse plusieurs niveaux de langue ou
plusieurs langues. De chacune il va s'approprier des pans et des mécanismes, des affects vont
rester accrochés à certains de ses concepts spécifiques, et l'ensemble contiendra l’identité
narrative du sujet. On est là dans une sorte de refus de savoir. Pour certaines langues valorisées
38
ici et maintenant comme l’anglais, le japonais, le russe… on considère comme une richesse le fait
d’être bilingue ou d’apprendre la langue le plus précocement possible. Or, les travaux des
linguistes et des psychologues le montrent, c’est une richesse pour les enfants de quelque point de
vue qu’on le considère et pour toutes les langues et donc cela reste vrai pour celles des familles
migrantes en France : l’arabe, le kabyle, le bambara, le soninké, le turc, le lingala… De plus, pour
ces enfants, à l’enjeu de connaissance, se surajoute une dimension affective forte, c’est la langue
de leurs parents, la langue de la transmission. Or, le bilinguisme n’est pas valorisé pour eux, on le
cite toujours comme un obstacle à un bon apprentissage du français et l’on dit aux parents “de
leur parler français à la maison” au titre du fameux “bain linguistique”.
Un travail spécifique en milieu scolaire avec les enfants en échec scolaire utilise par
exemple le conte bilingue comme outil thérapeutique — conte apporté par les parents à l'école,
raconté dans la langue maternelle dans le respect des règles d'énonciation et traduit par un
traducteur selon la technique de Pinon-Rousseau [91]. Dans cette expérience, le conte est
enregistré et ensuite l'enfant l'écoute dans les deux langues, il dessine et associe sur le conte. Ce
support permet la création d'espaces intermédiaires entre les langues et les mondes.
Des éléments contribuent à créer des liens, des ponts entre l'école et l'intérieur de la
maison, à favoriser l'accès au savoir et l'inscription réelle de l'enfant dans les logiques scolaires,
condition première de sa réussite. Ces stratégies et sans doute d'autres à inventer en fonction de la
créativité de chacun et du système scolaire permettront, les expériences ponctuelles menées le
prouvent, une meilleure efficacité de notre école pour ces enfants.
8 Propositions pour mieux comprendre et mieux inscrire les enfants de migrants et leurs
parents dans l’école de la république
1. Faire des classes de 20 élèves maximum dans des zones à forte présence migrante avec des
enseignants stables d’une année sur l’autre et travaillant avec un projet pédagogique fort qui
intègre la diversité culturelle.
2. Favoriser une meilleure sensibilisation et formation des professionnels de l’école à la diversité
culturelle dans notre pays devenu multiculturel et représenter cette diversité et égalité des langues
39
à l’intérieur même de l’école maternelle par des jeux langagiers et la reconnaissance de cette
pluralité des langues par tous les enfants.
3. Permettre l’apprentissage des langues maternelles des enfants de migrants en périscolaire dés
la maternelle pour favoriser l’apprentissage du français (langue seconde) et le « désir de langue »
des enfants.
4. Permettre que les données des sciences humaines (linguistique, psychologie de l’enfant,
anthropologie, ethnopsychanalyse) fassent partie de la formation initiale et continue des maîtres.
5. Favoriser les recherches sur l’adaptation de l’école à la diversité des enfants sur le plan
psychologique, social et culturel.
6. Favoriser une politique de diffusion la plus large possible des recherches et publications en
matière d’enfants de migrants.
7. Favoriser le développement des prises en charge pluridisciplinaire des enfants et des
adolescents, enfants de migrants, ce qui est fait par exemple dans les Maisons des adolescents qui
ont développé une prise en charge pédiatrique, psychiatrique, juridique, scolaire
8. Favoriser la participation des parents migrants à l’école ce qui suppose une reconnaissance de
leur langue (et donc des interprètes) et de leur savoir.
Ainsi, pourra-t-on aller d'une égalité de principe à une égalité de fait, à l’école comme en
clinique, qui tienne compte de la réalité des obstacles rencontrés et de leur nature et qui
transforme la multiplicité des langues en une chance pour ces enfants aussi bien pour les évaluer,
les rééduquer, les soigner que pour les éduquer.
40
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