l’acquisition des phrases interrogatives chez les enfants francophones

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Acquisition de phrases interrogatives 1 L’acquisition des phrases interrogatives chez les enfants francophones The acquisition of interrogative sentences by French-speaking children Nelleke Strik 1 Résumé Dans cet article, nous avançons des arguments en faveur de l’hypothèse que la Complexité du Calcul Syntaxique (CCS) détermine le développement de la formation des questions en français. Nous prédisons que les enfants acquièrent les questions à wh in-situ avant les questions à wh antéposé, les questions racines avant les questions les questions à longue distance et les questions sans inversion sujet-verbe avant les questions avec inversion. Les résultats d’une tâche expérimentale de production induite (à laquelle ont participé 36 enfants et 24 adultes francophones) nous permettent de conclure que ces prédictions sont confirmées. La production de questions « à mouvement partiel » du mot wh, résultat inattendu, peut également être expliquée par l’hypothèse de la CCS. 1 Je tiens à remercier Celia Jakubowicz pour son aide et ses commentaires en ce qui concerne la recherche présentée dans cet article, Catherine Rigaut pour son aide, en particulier avec les analyses statistiques, Marlies van der Velde pour ses commentaires à propos de cet article, la fondation Catherine van Tussenbroek pour son aide financier en 2004 et tous les sujets ayant participé à notre tâche expérimentale sans qui notre recherche n’aurait pas été possible.

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Acquisition de phrases interrogatives

1

L’acquisition des phrases interrogatives chez les enfants francophones

The acquisition of interrogative sentences by French-speaking

children

Nelleke Strik1

Résumé

Dans cet article, nous avançons des arguments en faveur de l’hypothèse

que la Complexité du Calcul Syntaxique (CCS) détermine le développement de la

formation des questions en français. Nous prédisons que les enfants acquièrent les

questions à wh in-situ avant les questions à wh antéposé, les questions racines

avant les questions les questions à longue distance et les questions sans inversion

sujet-verbe avant les questions avec inversion. Les résultats d’une tâche

expérimentale de production induite (à laquelle ont participé 36 enfants et 24

adultes francophones) nous permettent de conclure que ces prédictions sont

confirmées. La production de questions « à mouvement partiel » du mot wh,

résultat inattendu, peut également être expliquée par l’hypothèse de la CCS.

1 Je tiens à remercier Celia Jakubowicz pour son aide et ses commentaires en ce qui concerne la

recherche présentée dans cet article, Catherine Rigaut pour son aide, en particulier avec les

analyses statistiques, Marlies van der Velde pour ses commentaires à propos de cet article, la

fondation Catherine van Tussenbroek pour son aide financier en 2004 et tous les sujets ayant

participé à notre tâche expérimentale sans qui notre recherche n’aurait pas été possible.

Acquisition de phrases interrogatives

2

Abstract

In this article we present evidence in favour of the hypothesis that

Computational Complexity (CC) constrains the development of question

formation in French. We predict that children acquire wh in-situ questions before

wh fronted questions, root questions before long distance questions and questions

without subject-verb inversion before questions with inversion. The results of an

elicited production experimental task (in which participated 36 French-speaking

children and 24 French-speaking adults) allow us to conclude that these

predictions are confirmed. The production of questions with « partial movement »

of the wh word, an unexpected result, can also be explained by the CC hypothesis.

Mots clés : Acquisition L1 ; Complexité du calcul syntaxique ; Phrases

interrogatives ; Français

Keywords : L1 Acquisition ; Computational complexity ; Interrogative sentences ;

French

Acquisition de phrases interrogatives

3

1 Introduction

La formation des questions est une opération universelle, attestée dans toutes

les langues. Toutefois, les procédures utilisées pour former une question varient

d’une langue à une autre. Dans certaines langues, comme le chinois, le mot

interrogatif, dorénavant mot wh2, se trouve toujours in-situ (cf. dans sa position de

base) (voir (1)). Dans d’autres langues, comme l’anglais, le mot wh se trouve

toujours antéposé (voir (2))3.

(1) Hufei mai-le shenme (ne).4

Hufei a acheté quoi (particule de question)

« Qu’a acheté Hufei ? »

(2) What did you buy ?

que DO tu acheter

« Qu’as-tu acheté ? »

Le cas du français est intéressant dans la mesure où le mot wh peut se trouver

aussi bien in-situ (voir (3) et (5)) qu’antéposé (voir (4) et (6)) dans les questions

2 Nous utilisons le terme « wh », parce que la majorité des mots interrogatifs en anglais

commencent par wh (par exemple what, who, why). Ce terme est plus répandu que son équivalent

français « qu ».

3 En anglais, le mot wh peut marginalement se trouver in-situ, en recevant une interprétation écho.

4 Exemple cité par Cheng & Rooryck (2000).

Acquisition de phrases interrogatives

4

racines (QR). De plus, parmi les questions à wh antéposé, il y a des constructions

avec est-ce que (voir (4c) et (6c)) et clivées (voir (4d) et (6d)). Dans les autres

types de questions à wh antéposé, le mot wh peut coexister avec l’inversion sujet

verbe (voir (4a) et (6a)), mais cela n’est pas obligatoire (voir (6b)), sauf si le mot

wh est que (voir (4a)).

(3) Tu veux quoi?

(4) a. Que veux-tu?

b. * Que/quoi tu veux?

c. Qu’est-ce que tu veux?

d. C’est quoi que tu veux?

(5) Tu vas où?

(6) a. Où vas-tu?

b. Où tu vas?

c. Où est-ce que tu vas?

d. C’est où que tu vas?

Dans les questions à longue distance (QLD), (des questions dans lesquelles la

position de base du mot wh se trouve dans une proposition subordonnée) le mot

wh se trouve normalement antéposé (voir (7)) et rarement in-situ (voir (8))5.

5 D’après certains auteurs, comme Cheng & Rooryck (2000), les questions LD à wh in-situ ne sont

pas grammaticales. D’après d’autres, comme Obenauer (1994) et Blanche Benveniste (cp), elles

sont grammaticales. Strik (2002, 2003) a trouvé des questions LD à wh in-situ dans ses données.

Acquisition de phrases interrogatives

5

(7) a. Que penses-tu que Sophie veut faire?

b. Qu’est-ce que tu penses que Sophie veut faire?

(8) ?Tu penses que Sophie veut faire quoi?

Notons que les diverses constructions interrogatives en français se

distinguent les unes des autres en ce qui concerne le registre de langue, les

questions à wh in-situ appartenant au registre familier (et/ou parlé), les questions à

wh antéposé avec inversion au registre soutenu (et/ou écrit) et les questions avec

est-ce que à un registre plutôt neutre (cf. Riegel, Pellat & Rioul 1994).

Dans ce contexte, la question suivante se pose : Quelles sont les

constructions que les enfants francophones acquièrent d’abord et quelles sont les

constructions qu’ils utilisent le plus souvent ? Autrement dit, certaines

constructions sont-elles plus « économiques » (dans le sens des principes

d’économie du Programme Minimaliste, Chomsky (1993, 1995, 1999)) que

d’autres ? Les enfants passent-ils par un stade dans lequel ils préfèrent les

constructions plus économiques aux constructions plus coûteuses ?

Les travaux préalables, et notamment les études expérimentales, sur

l’acquisition des questions wh en français ne sont pas très nombreux. Deux études

de corpus sur trois enfants (Hulk 1996, Hamann 2000) révèlent que deux enfants

acquièrent les QR à wh in-situ avant les QR à wh antéposé, alors qu’un seul

enfant, Philippe, acquiert les QR à wh antéposé avant les QR à wh in-situ.

Cependant, vers l’âge de 2;6 ans, ces enfants ont acquis les deux constructions.

Acquisition de phrases interrogatives

6

Les travaux expérimentaux de Hulk & Zuckerman (2000), Strik (2002), Strik

(2003) et De Vanssay (2003) montrent que les enfants âgés de 3 à 6 ans

produisent plus de QR à wh antéposé que de QR à wh in-situ et que le nombre de

QR à wh antéposé augmente avec l’âge. Les travaux de Strik (2002), Strik (2003),

ainsi que les travaux de Oiry (2002) et Lancien (2003) montrent également que les

enfants francophones sont capables de produire des QLD à partir de l’âge de 3

ans, même si ces questions sont encore peu nombreuses et comportent beaucoup

d’erreurs. Tous les enfants décrits dans les travaux cités ci-dessus ne produisent

quasiment aucune question wh avec inversion.

Dans cet article, nous avançons des arguments en faveur de l’idée que les

questions à wh in-situ sont effectivement plus économiques que les questions à

wh antéposé. Nous voulons démontrer à la base de données issues d’une

expérience de production induite que le développement des phrases interrogatives

est déterminé par l’Hypothèse de la Complexité du Calcul Syntaxique (dorénavant

CCS) (Jakubowicz 2003, 2004, Jakubowicz & Nash 2001).

Cet article est organisé comme suit : dans la section 2 nous exposons

l’Hypothèse de la CCS et les prédictions qui découlent de cette hypothèse. Dans la

section 3 nous présentons la méthodologie de notre expérience de production

induite. Ensuite les résultats de notre étude sont décrits dans la section 4. Les

sections 5 et 6 sont consacrées respectivement à une discussion et à la conclusion.

2 L’Hypothèse de la Complexité du Calcul Syntaxique

Acquisition de phrases interrogatives

7

Dans le Programme Minimaliste (Chomsky 1993, 1995, 1999) la

dérivation d’une phrase est contrainte par des principes d’« économie ». La

dérivation d’une phrase se fait de la manière suivante: on sélectionne dans le

lexique des éléments lexicaux et des traits fonctionnels, qui forment ensemble la

numération. Les éléments pris dans la numération subissent des opérations

syntaxiques pour obtenir une phrase grammaticalement correcte. Les trois

opérations syntaxiques possibles sont assembler (le fait de combiner deux

constituants différents dans un constituant plus grand6), accorder et déplacer

(assembler et copier). Finalement la phrase est épelée. Dans une phrase

interrogative un trait de question (Q) se trouve dans la périphérie gauche. Ce trait

est non interprétable au début de la dérivation et doit être « vérifié » pour devenir

interprétable et pour obtenir une phrase convergente. Le trait Q peut être vérifié

par le mouvement du trait Q vers la périphérie gauche et cette procédure de

vérification de trait motive le déplacement du mot wh. Dans les questions à wh in-

situ la relation d’accord entre le mot wh in-situ et le trait Q dans la périphérie

gauche permet de vérifier le trait Q. En (9) sont représentées les diverses

opérations syntaxiques impliquées dans les différents types de QR et de QLD en

français:

(9) La Formation de questions en français

6 Par exemple le déterminant « la » et le nom « table » qui forment ensemble le constituant

nominal « la table ».

Acquisition de phrases interrogatives

8

Type de Question Opération Syntaxique7

a. Tu vas où ? → QR à wh in-situ As(sembler) V et où – As et

Ac(corder) où et Q

b. Où tu vas où ? → QR à wh antéposé sans Inv As V et où – As où et Q -

Dépl(acer) où

c. Où vas-tu vas où ? As V et où – As où et Q -

→ QR à wh antéposé avec Inv and Q Dépl V et où

d. Tu crois que Marie va où ? As V et où – As où et Q -

→ QLD à wh in-situ As matrice – Ac où et Q

e. Où tu crois où que Marie va où ? As V et où – As où et Q -

→ QLD à wh antéposé sans Inv Dépl où – As matrice –

Dépl où

f. Où crois-tu crois où que Marie va où? As V et où – As où et Q -

→ QLD à wh antéposé avec Inv Dépl où – As matrice -

Dépl V et où

* QR = question racine V = verbe Q = trait de question

QLD =question à longue distance Inv = inversion sujet-verbe

Notre hypothèse de départ est que le développement des questions en

français est déterminé par la CCS, sensible à la nature et au nombre d’opérations

syntaxiques impliquées dans la dérivation. Cette hypothèse reprend l’idée de la

« théorie dérivationnelle de la complexité » (e.a. Fodor, Bever & Garrett 1974), 7 Seules les opérations en relation avec la formation des questions sont indiquées ici.

Acquisition de phrases interrogatives

9

selon laquelle il y a une relation entre le nombre d’opérations syntaxiques et le

temps de traitement d’une phrase. Depuis les années 70 la théorie linguistique a

beaucoup évolué, mais le principe de complexité syntaxique est resté le même.

Les résultats des travaux expérimentaux faits dans ce cadre n’étant pas univoques,

la littérature psycholinguistique a abandonné le principe linguistique de

complexité syntaxique. Marantz (2005) soutient que la théorie linguistique

générative est à la base des approches psychologiques et neurologiques du

langage et qu’une méthodologie expérimentale comme la complexité syntaxique

est une manière adaptée de déterminer comment le cerveau ordonne et génère des

représentations symboliques. Nous formulons l’Hypothèse de la CCS comme

suit :

(10) Hypothèse de la CCS (Jakubowicz & Nash 2001, Jakubowicz 2003,

2004) :

(« < » signifie « moins complexe »)

A. Assembler < Déplacer.

B. Déplacer un constituant α n fois < Déplacer α n+1 fois.

C. Déplacer n constituants < Déplacer n+1 constituants.

L’Hypothèse de la CCS permet d’établir les prédictions suivantes :

(11) Prédictions :

1. Les enfants acquièrent les QR et QLD à wh in-situ avant les QR et QLD

Acquisition de phrases interrogatives

10

à wh antéposé.

2. Les enfants acquièrent les QR avant les QLD.

3. Les enfants acquièrent les QR et QLD sans inversion avant les QR et

QLD avec inversion.

3 Méthodologie

Nos prédictions ont été testées à l’aide d’une tâche expérimentale de

production induite8, à laquelle ont participé 36 enfants et un groupe contrôle de 24

adultes. Le nombre, la tranche d’âge, la moyenne d’âge et l’écart type de chaque

groupe de sujets sont représentés dans le Tableau I.

Tableau I

Groupe N Tranche d'Age Moy. d'Age E.T.3 ans 12 3;2 - 3;8 3;5 1,74 ans 12 4;0 - 4;6 4;2 1,86 ans 12 6;4 - 6;8 6;6 1,3

Adultes 24 19 - 28 23 2,8

La tâche expérimentale contient sept conditions, à savoir des QR objet,

sujet et adjoint (contenant le mot wh où) et des QLD objet, sujet, adjoint

(contenant le mot wh où) et sujet dérivé. Il y a quatre items tests par condition.

8 Ce protocole a été construit collectivement dans l’équipe Acquisition et Dysfonctionnement du

Langage, dirigée par Celia Jakubowicz, dans le Laboratoire de Psychologie Expérimentale,

CNRS-FRE 2929 , Université Paris 5.

Acquisition de phrases interrogatives

11

Le contexte expérimental est le suivant : l’enfant doit poser des questions à

Tommy, un robot qui vient d’une autre planète, dans une situation de jeu. En (12)

se trouve un exemple d’une QR sujet et en (13) un exemple d’une QLD objet :

(12) Expérimentateur :

Quelqu’un lit des histoires à Tommy. Demande lui qui. 

Réponses attendues :

a. Qui te lit des histoires ?

b. Qui est-ce qui te lit des histoires ?

c. C’est qui qui te lit des histoires ?

(13) Expérimentateur :

Voyons ce que Tommy croit que tu bois. Demande lui.

Réponses attendues :

a. Qu’est-ce que tu crois que je bois ?

b. Que crois-tu que je bois ?

c. ?Tu crois que je bois quoi ?

4 Résultats

Les Figures 1 et 2 représentent le nombre moyen de QR Objet et de QR

Adjoint respectivement, produit par chaque groupe d’âge.

Figure 1

Acquisition de phrases interrogatives

12

Figure 2

Nous voyons que de façon générale les sujets produisent nettement plus de

questions à wh antéposé que de questions à wh in-situ, à l’exception des enfants

de 3 ans pour les questions objet. Les enfants de 3 ans produisent légèrement plus

de QR Objet à wh in-situ que de QR Objet à wh antéposé et cette différence n’est

pas significative. Par contre, dans les QR Objet, les enfants de 4 ans et les adultes

produisent significativement plus de questions à wh antéposé que de questions à

wh in-situ (4 ans : F(1-11)= 7.09, p=0.02 ; adultes : F(1-23)=254.33, p=0.0000). Dans

les QR Adjoint le nombre de questions à wh antéposé est significativement plus

élevé que le nombre de questions à wh in-situ pour tous les groupes d’âge (3 ans :

QR Objet

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

3 ans 4 ans 6 ans Ad

Groupe

No

mb

re m

oyen

de r

ép

on

ses

Ant + Inv

Ant - Inv

In-situ

QR Adjoint

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

3 ans 4 ans 6 ans Ad

Groupe

No

mb

re m

oyen

de r

ép

on

ses

Ant + Inv

Ant - Inv

In-situ

Acquisition de phrases interrogatives

13

F(1-11)=28.85, p=0.0003 ; 4ans : F(1-11)=27.00, p=0.0003 ; 6ans : F(1-11)=529.00,

p=0.0000 ; adultes : F(1-23)=56.97, p=0.0000). La Figure 1 révèle aussi que le

nombre de QR Objet à wh antéposé augmente clairement entre la troisième et la

quatrième année. Cette différence est significative (F(1-22)=6.60, p=0.017). La

comparaison entre les Figures 1 et 2 nous montre un contraste entre les QR Objet

et Adjoint, dans le sens que le nombre de questions à wh in-situ est plus élevé

pour les premières que pour les dernières. Cette différence est significative pour

les enfants de 3 ans (F(1-11)=14.08, p=0.003) et les enfants de 6 ans (F(1-11)=5.50,

p=0.04).

La Figure 3, représente le pourcentage moyen de réponses attendues, aussi

bien pour les QR que pour les QLD9. Sont considérées comme réponses attendues

les questions conformes au type de question induit. Une question sujet produite à

la place d’une question objet n’est pas conforme au type de question induit et

n’est par conséquent pas considérée comme réponse attendue, même si elle est

syntaxiquement correcte. De même une QR produite à la place d’une QLD n’est

pas conforme au type de question induit et pas considérée comme réponse

attendue. Figure 3 montre que les enfants évitent les QLD, puisque le pourcentage

moyen de réponses attendues est relativement bas. Même si la fréquence des QLD

augmente avec l’âge, il y a toujours une différence très nette entre les enfants les

plus âgés, ceux de 6 ans, et les adultes.

Figure 3

9 Nous donnons le pourcentage moyen, puisque le nombre d’items test est plus grand pour les

QLD que pour les QR.

Acquisition de phrases interrogatives

14

La Figure 4, qui regroupe les différents types de QLD produits dans toutes

les catégories (objet, sujet, adjoint et sujet dérivé), montre que les QLD à wh in-

situ sont très rares et que la majorité des QLD sont des questions à wh antéposé.

De plus, cette figure nous montre un résultat inattendu, à savoir que nous trouvons

dans tous les groupes d’âge des questions wh médianes, à déplacement partiel, où

le mot interrogatif se trouve dans une position intermédiaire.

Figure 4

Pourcentage Moyen de Réponses Attendues

0%

20%

40%

60%

80%

100%

3 ans 4 ans 6 ans Adultes

Groupe

% R

ép

on

ses

QR

QLD

QLD toutes catégories

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

3 ans 4 ans 6 ans Ad

Groupe

No

mb

re m

oyen

de r

ép

on

ses

Ant + Inv

Ant - Inv

Médiane

In-situ

Acquisition de phrases interrogatives

15

Les enfants de 3 et de 4 ans produisent des QLD médianes agrammaticales, avec

ou sans complémenteur que (voir (14) et (15) respectivement). Il y a également un

exemple d’une question médiane avec une copie (« épellation visible ») du mot

wh dans sa position de base (voir (16)).

(14) *Tu penses quoi (que) je lis?

(3 ans 7 fois/44% du nombre total de QLD ; 4 ans 12 fois/23 % ; 6 ans 2

fois/2%)

(15) *Tu crois quoi que je bois quoi?

(4 ans 1 fois/2%)

Chez les enfants de 6 ans ainsi que chez les adultes, nous trouvons des

QLD médianes grammaticalement correctes, contenant une phrase clivée dans la

position intermédiaire (voir (16))10.

(16) Tu penses que c’est quoi que je lis?

(6 ans 12 fois/15% - Adultes 11 fois/3%)

10 Nous soutenons que comme dans (14), le mot wh occupe une position intermédiaire, puisqu’il

ne se trouve pas dans la périphérie gauche de la phrase matrice. Cependant, on peut considérer

aussi que le mot wh clivé se trouve dans une position in-situ, à l’intérieur de la phrase clivée. Dans

cet article nous ne rentrons pas dans les détails des questions à wh clivé.

Acquisition de phrases interrogatives

16

Pour finir, l’examen des Figures 1, 2 et 4 montre que les adultes produisent

des QR et QLD avec inversion dans environ la moitié des cas, alors que les

enfants ne produisent pas de QR et QLD avec inversion (à deux exceptions près).

5 Discussion

Quant à l’opération du déplacement du mot wh, les résultats montrent que

de façon générale les questions à wh antéposé sont plus nombreuses que les

questions à wh in-situ et que cette opération est acquise dès l’âge de 3 ans. Les

QLD à wh in-situ sont même très rares. Cette observation ne confirme pas la

prédiction, selon laquelle les enfants acquièrent les QR et QLD à wh in-situ avant

les QR et QLD à wh antéposé. Toutefois, le fait que dans les QR Objet les enfants

les plus jeunes produisent plus de questions à wh in-situ que les enfants plus âgés

concorde avec cette prédiction. Nous voulons remarquer que le nombre

relativement bas de questions à wh in-situ, notamment chez les adultes, est

probablement dû au registre de langue aussi. Il se peut que le contexte

expérimental ait favorisé l’emploi d’un registre de langue plutôt soutenu,

contenant des questions à wh antéposé, tandis que les questions à wh in-situ

appartiennent au registre familier (cf. Riegel et al. 1994).

Pour expliquer le contraste observé entre les QR Objet et Adjoint en ce qui

concerne l’opération de déplacement du mot wh, nous rappelons que le mot wh

objet est un argument sélectionné par le verbe, alors que le mot wh adjoint n’est

Acquisition de phrases interrogatives

17

(en général) pas sélectionné par le verbe11. La position d’un constituant adjoint

dans la phrase est plus libre que la position d’un argument. Un constituant adjoint

peut par exemple occuper différentes positions dans la phrase (voir (17)).

(17) a. A Paris ils ont construit un nouveau bâtiment.

b. Ils ont construit un nouveau bâtiment à Paris.

c. Ils ont construit à Paris un nouveau bâtiment.

Si l’on admet qu’un constituant adjoint (wh ou non wh) peut être engendré dans

une position plus élevée que la position qu’occupe l’objet direct, un argument, la

distance entre la position de base du mot wh adjoint et la périphérie gauche est

plus courte que la distance entre la position de base d’un mot wh argument et la

périphérie gauche. Cette distance plus courte peut signifier un calcul syntaxique

moins complexe, ce qui peut expliquer pourquoi les enfants déplacent plus

souvent le mot wh adjoint que le mot wh objet. De plus, le mot wh où peut être

déplacé sans subir de changement et sans exiger une opération syntaxique

supplémentaire. S’il se trouve in-situ ou antéposé, ce mot wh a toujours la même

forme, contrairement au mot wh objet direct qui se prononce quoi in-situ et que

antéposé. De plus, que exige soit l’inversion soit l’insertion du morphème de

11 Quelques verbes, comme par exemple mettre exigent obligatoirement un argument de lieu.

Notre protocole expérimental contient le verbe mettre, ainsi que trois verbes n’exigeant pas

d’argument de lieu. Les résultats ne montrent pourtant pas de différence entre ces deux types de

verbe.

Acquisition de phrases interrogatives

18

question complexe est-ce que. Nous avançons que ces facteurs rendent le

déplacement du mot wh objet direct plus difficile que le déplacement du mot

adjoint.

Nous rappelons que dans les QLD peu de questions à wh in-situ ont été

produites et que les questions à wh antéposé constituent la majorité. Toutefois, les

sujets de tous les groupes d’âge ont produit des questions médianes, dans

lesquelles le mot wh se trouve dans la périphérie gauche de la subordonnée. Il est

généralement admis que dans les QLD le déplacement se fait de façon cyclique

(Chomsky 1977), c’est-à-dire que le mot wh passe par la périphérie gauche de la

phrase subordonnée pour ensuite se déplacer vers la périphérie gauche de la

phrase matrice. Le mot wh se déplace en laissant une copie non visible dans sa

position de base ainsi que dans la périphérie gauche de la phrase subordonnée

(voir (18)).

(18) [Phrase _ Qu’est-ce que tu penses [Subordonnée que que je lis que ? ]]12

Or, dans les questions médianes, le déplacement du mot wh ne se fait que

partiellement, jusqu’à la périphérie gauche de la subordonnée (voir (19)).

(19) * [Prase _ Tu penses [Subordonnée _ quoi que je lis quoi ? ]]

12 Notons que le mot wh dans cette phrase est qu’est-ce que et qu’il y a eu également une

opération qui a assemblé le mot wh que et le morphème de question complexe est-ce que dans la

périphérie gauche de la phrase matrice. Nous ne rentrons pas dans les détails de cette opération.

Acquisition de phrases interrogatives

19

Dans les questions médianes, le mot wh a donc été déplacé une fois, tandis que

dans les questions à wh antéposé il a été déplacé deux fois, ce qui implique un

calcul syntaxique plus complexe.

A notre connaissance, les questions médianes ne sont pas attestées dans la

littérature sur les questions wh en français. Il est toutefois intéressant de noter que

ce type de question est attesté dans d’autres langues, par exemple en allemand

(Crain & Thornton 1998) (voir (20)).

(20) Was glaubt Hans mit wem Jakob jetzt spricht ?

que croit Hans avec qui Jakob maintenant parle

« Que croit Hans avec qui Jakob parle maintenant? »

Contrairement aux questions médianes en français, il se trouve dans la périphérie

gauche de la phrase matrice d’une QLD médiane en allemand un mot wh

marquant la portée de la question. Les données de Crain & Thornton (1998)

montrent que les enfants anglophones produisent des QLD médianes du même

type des QLD médianes en allemand (voir (21)).

(21) What do you think which boy ate the cookie?

que DO tu penser quel garçon a mangé le gâteau

« Qu’est-ce que tu penses quel garçon a mangé le gâteau ? »

Acquisition de phrases interrogatives

20

Les enfants anglophones produisent également des QLD médianes, dans

lesquelles le mot wh s’est déplacé jusqu’à la périphérie gauche de la phrase

matrice en laissant une copie (« épellation visible ») dans la position antéposée de

la phrase matrice (voir (22)).

(22) a. What do you think what Cookie Monster eats?

que DO tu penser que (interrogatif) CM mange

« Que penses-tu que CM mange? »

b. Who do you think who is in the box?

qui DO tu penser qui (interrogatif) est dans la boîte

« Qui penses-tu qui est dans la boîte? »

En revenant à notre étude, les questions médianes sont surtout nombreuses

chez les sujets les plus jeunes, les enfants de 3 ans. Dans ce groupe d’âge, elles

constituent la majorité. Le nombre relatif de questions médianes diminue avec

l’âge. Le fait que les enfants produisent des questions médianes est en accord avec

la deuxième clause de l’Hypothèse de CCS, selon laquelle il est moins complexe

de déplacer un constituant α n fois que de le déplacer n+1 fois et cela prouve que

les enfants commencent par des constructions moins complexes pour utiliser

ensuite de plus en plus de constructions plus complexes en grandissant.

La même hypothèse selon laquelle il est moins complexe de déplacer un

constituant α n fois que de le déplacer n+1 fois a donné lieu à la prédiction que les

QR sont acquises avant les QLD. Cette prédiction s’est avérée juste. C’est que

Acquisition de phrases interrogatives

21

nous avons vu dans la Figure 3 que les enfants produisent peu de QLD. Même

chez les enfants les plus âgés, ceux de 6 ans, le nombre de QLD est encore bas en

comparaison du nombre de QLD produit par les adultes.

Nous voulons remarquer que le nombre bas de QLD chez les enfants peut

également être dû à des facteurs autres que syntaxiques. Ainsi un assez grand

nombre d’enfants de 3 ans et de 4 ans donnent la réponse à la question (voir (23a))

au lieu de poser une QLD (voir (23b)).

(23) a. Je lis Peter Pan. (Martin 3;6.2)

b. Qu’est-ce que tu penses que je lis ?

Le fait que certains enfants donnent la réponse à la question est probablement dû à

un problème de compréhension, lié à la théorie de l’esprit (theory of mind). Il se

peut que ces enfants aient des difficultés à se mettre à la place des autres et ne

puissent pas encore s’imaginer que les connaissances du monde qu’ils ont eux ne

sont peut-être pas partagées par les autres. Dos Anjos (2004) a etudié la relation

entre la production de QLD et la théorie de l’esprit. Les résultats de son étude

montrent que les enfants qui produisent des QLD possèdent effectivement la

théorie de l’esprit. Par contre, tous les enfants ayant la théorie de l’esprit ne sont

toutefois pas capables de produire des QLD. Bien que la théorie de l’esprit soit

donc un facteur nécessaire à la production de QLD, ce facteur seul ne permet pas

d’expliquer le nombre bas de QLD chez les enfants.

Acquisition de phrases interrogatives

22

Quant à notre troisième prédiction, que les enfants acquièrent les QR et les

QLD sans inversion avant les QR et les QLD avec inversion, nous pouvons être

brèves. Cette prédiction s’est également avérée juste. Le fait que les enfants ne

produisent (presque) pas de questions avec inversion peut s’expliquer en nous

basant sur l’Hypothèse de la CCS, selon laquelle le déplacement d’un constituant

(le mot wh seul, le cas dans les questions wh sans inversion) implique un calcul

syntaxique moins complexe que le déplacement de n+1 constituants (le mot wh et

le verbe fléchi, le cas dans les questions avec inversion). Les enfants optent donc

pour la construction résultant d’un calcul syntaxique moins complexe alors que

les adultes utilisent plus souvent la construction impliquant plus d’opérations.

Notons cependant que le fait que les adultes produisent des questions avec

inversion est également lié au registre de langue. Il est connu que les questions

sans inversion sont nombreuses en français parlé (cf. Riegel et al. 1994) et il est

probable que le contexte expérimental ait poussé les adultes à utiliser un registre

de langue plus soutenu se caractérisant par l’emploi des questions avec inversion.

Peu de données sont connues sur l’input que reçoivent les jeunes enfants

francophones en ce qui concerne l’inversion. Les résultats de l’expérience de

production induite de Hulk & Zuckermann (2000) montrent que les adultes –

parmi lesquels la plupart sont des parents des enfants ayant participé à

l’expérience - produisent une question avec inversion dans presque deux tiers des

cas. Ces auteurs soutiennent que cela signifie que l’inversion est présente dans

l’input des enfants.

Acquisition de phrases interrogatives

23

6 Conclusion

Dans cet article, nous avons étudié le développement des phrases

interrogatives en français. Nous avons adopté l’hypothèse que ce développement

est déterminé par l’Hypothèse de la CCS. En nous appuyant sur les résultats d’une

tâche de production induite, nous concluons que les prédictions qui découlent de

cette hypothèse sont confirmées. En effet, l’observation de divers phénomènes

syntaxiques, concernant la position du mot wh et du verbe fléchi, montre que les

enfants les plus jeunes ont tendance à produire des questions qui exigent le moins

de calcul syntaxique possible. Plus l’enfant est âgé, plus il utilise des

constructions exigeant un calcul syntaxique plus complexe. Nos résultats nous

permettent d’établir l’ordre d’acquisition suivant :

(25) a. QR à wh in-situ < QR à wh antéposé sans inversion < QR à wh antéposé

avec inversion

(« < » signifie « avant »)

b. QR < QLD

En résumant, les enfants francophones ne font pas preuve de difficultés

concernant l’opération de déplacement du mot wh (même si les enfants les plus

jeunes préfèrent l’opération d’assembler à l’opération de déplacer). Par contre, ils

semblent avoir une difficulté en ce qui concerne le traitement des données. Cette

difficulté est sensible à la complexité du calcul syntaxique de la dérivation et fait

Acquisition de phrases interrogatives

24

que les enfants produisent par exemple des QLD médianes, impliquant un calcul

syntaxique moins complexe que les QLD à wh antéposé.

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