la fin d'une histoire économique ouìépuisementune forme accumulation
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La fin d’une histoire économique ou l`épuisement d`une forme
d`accumulation
Par Fritz Jean
I Introduction
En Haïti, les crises se succèdent avec une fréquence de plus en plus accélérée. Les temps
de répit de 14 ans (François Duvalier), de 16 ans (Jean Claude Duvalier), sont évincés par
des intervalles plus courts. Ils convergent vers des limites asymptotiques de 9 mois
(Aristide), et de 7 mois (Manigat). Des vagues successives de crises financières, ou des
annonces - fin du 19e siècle, première décennie des années 80, première décennie du 21e
siècle-, dévoilent les déséquilibres entre des structures de production en déliquescence et
des demandes incompressibles d`une population en croissance exponentielle. Mais elles
révèlent autant les excès de modes dépassés de gouvernance en inadéquation avec ces
affaissements manifestes de l`économie. Seuls des facteurs exogènes (Minuha, Minustha,
etc.) garantissent des sursis plus confortables. Cette tendance traduit l`incapacité de l`Ordre
instauré, depuis déjà 209 ans, à renouveler les mécanismes de soutien de l’équilibre interne
du système, pour parodier Hector (1998) ; l`effet d`annonce de la fin d’une histoire
économique.
Cette fin d’histoire doit être appréhendée avant tout comme l’aboutissement d’un mode
d’accumulation de rente épuisé; le point de chute d`un long cycle de dégradation de
l`appareil productif, émaillé de quelques périodes d`éclaircie.
Ce mode d’accumulation en fin de course a constitué, et continue d’alimenter avec un
souffle plus lent, la trame de notre histoire économique vieille de 2 siècles, en épousant des
formes diverses : rente agricole, rente sur l`import-export, et la rente sur le commerce de
l`argent. Ces formes évoluent en cohabitation, avec la domination de l`une ou l`autre selon
l`évolution des mécanismes de génération de profit dans l`économie, mais jamais en
exclusivité.
Ce système trouve son expression dans les réseaux sociaux d’accumulation (RSA) et se
manifeste au travers le contrôle que ces RSAs exercent sur le comportement du marché et
donc, sur la distribution. Toutefois, l`Ordre d`exclusion secrété s`épuise, parce que porteur
d`un appareil productif déficient. Par voie de conséquence, cet ordre n’a pas su aménager
un espace pour l’émergence d’une masse critique de consommateurs avec un standard de
revenu au-dessus du seuil de pauvreté. Le système n’a pas eu comme préoccupation la
transformation de ces millions d’agriculteurs en de vrais entrepreneurs ; ce qui leur
permettrait de se prendre en charge, et constituer, à terme, une classe intermédiaire à
même de dynamiser des investissements par leur demande effective. En dehors de cette
dynamique de développement durable, les potentialités restent inexploitées, et les crises à
répétition traduisent l’épuisement de ce mode d’accumulation.
Parallèlement, une forme de pénétration du capital international, en toute indépendance1, à
la recherche de nouveaux créneaux de valorisation, s’installe et constitue le moteur d’une
mutation qui annonce l`ordre d’une ère nouvelle. Ce capital international2, discret au départ,
étendra ses tentacules, et assiégera les circuits d’organisation de la production, pour ensuite
entrainer la restructuration d’un État qui devra pouvoir répondre à ses propres exigences de
prévisibilité pour la conduite rationnelle des affaires.
Le défi actuel : comment aménager dans cette mouvance,
l’émergence d’une masse critique d’agriculteurs entrepreneurs qui pourront servir de
levier à cette reconfiguration d’une Haïti plus juste et plus prospère ?
la construction d’une classe de jeunes entrepreneurs porteurs de progrès
techniques, et pouvant réorienter ces mutations vers le bien commun.
L’ancrage de cet État en devenir dans un projet national.
II. Notes Méthodologiques
Approche. L’auteur propose une relecture des crises économiques en Haïti à la lumière du
mode dominant d’accumulation (de rente) dans l’économie. L’auteur soutient que la crise
actuelle caractérisée par ce déni de légitimé accentué de toutes les institutions du pays,
traduit la fin d’une ère (de ce mode d`accumulation), et constitue l`exigence d’émergence
d’un nouveau paradigme.
Asymétrie de l`information. Dans la littérature économique néoclassique, l`asymétrie de
l`information est considérée comme des grains de sable qui nuisent au partage, de manière
équitable, des signaux par les agents économiques. Dans la mesure où certains agents
détiennent de meilleures informations que d`autres, le jeu de la concurrence se trouve
faussée, et ``favorise le pouvoir de marché de certains investisseurs et peut justifier les
différences d’anticipation``. Par voie de conséquence, l`efficience du marché en pâtit.
Pour d`autres courants de pensée, dans une petite économie ouverte comme Haïti, les
effets induits de cette distribution asymétrique sont corrélés négativement à la demande
effective, ce qui en bout de ligne limite la croissance.
Séquestration des informations et des contrats. En Haïti, au travers d`un maillage étriqué,
les RSAs s`apprivoisent des informations et des contrats, et comme tel, maitrisent les
1 Indépendance due aux faiblesses des structures de l’état, et de la délégitimité construite et entretenue des
institutions nationales (publiques et privées). 2 Propos de Marteen Boutou in le Nouvelliste du….:
différents circuits de la chaine de production : les circuits de financement, de production et
de commercialisation. En d`autres termes, seulement l`appartenance à des réseaux donne
accès aux informations, aux contrats et au circuit de financement. Ce dispositif, porteur
d`une structuration centralisatrice et de concentration, façonnera, en bout de ligne, cette
économie à caractère inéquitable, véritable handicap au développement des forces
productrices, comme le souligne Bazin3.
Méthode
Le texte analysera l`épuisement de ce mode d`accumulation autour de 3 points d`ancrage
qui en constituent la toile de fond :
LE MODE D’ACCUMULATION DE RENTE4
LES RÉSEAUX SOCIAUX D’ACCUMULATION (RSA)5
LE TAUX DE CROISSANCE DE LA POPULATION
III. La rente agricole
Trois facteurs sont à la base de l´accumulation de rente au niveau du secteur agricole :
La dotation initiale en facteur Terre (T) caractérisée par une distribution de faveurs et
non de mérites ou de besoins des familles (nombre de dépendants) ;
La rémunération de l’effort-travail;
Les avantages que procure le rapprochement au pouvoir d’État pour la
commercialisation des produits;
Comme le souligne Anglade6 : ``La naissance de l'État s'accompagne de la création de
groupes sociaux qui se constituent par l'appropriation des terres agricoles, le contrôle des
circuits de commercialisation et l'accaparement de l'appareil d'État. Les anciennes masses
esclaves ont été contraintes de travailler sur les propriétés dont s'étaient emparés les
dirigeants issus de la guerre d'indépendance. Toute une imposante armature législative, les
règlements du "Caporalisme agraire", a été bâtie par les différents gouvernements de la
première moitié du XIXe siècle. Elle consacrait l'asservissement personnel du paysan au
propriétaire foncier et prévoyait de lourdes et sévères sanctions contre les contrevenants à
cet ordre nouveau dans l'agriculture. Sans cette violence directe et soutenue, les Grandon
3 Bazin, Marc :
4Jean, Fritz : Fin d`une histoire économique. A paraitre 2013. L’accumulation dominante
4 observée en Haïti est
qualifiée de « rente »4, du fait que l’ultime justification des gains par les bénéficiaires s’explique
principalement par leur position sur le marché. Cela peut donc varier d’une rente absolue (différence de gains justifiée par la position de monopole sur le marché
4) à une rente de situation (avantage obtenu par une
profession ou une corporation, maintenu comme un droit inaliénable).
5 Jean, Fritz : Ibid. Ces RSAs ne sont autres que la forme d`organisation d`agents économiques en cercles
fermés. La base de ces regroupements peut être familiale, des relations de voisinage, d`école ou d`université ; ou d`autres liens de proximité sociale en rapport aux caractéristiques épidermiques 6 Anglade, Georges : Atlas Critique d`Haïti, 1982, p.30.
n'arriveraient pas à consacrer leurs droits de propriété, obliger les paysans à travailler pour
eux et combattre la menace permanente de marronnage de la main-d’œuvre``.
Dans cette matrice de faire-valoir indirect, le paysan cultivateur est subjugué par un régime
strict de remise de deux tiers de sa production à l`État et au propriétaire foncier. Le tiers qui
lui revenait, permettait à peine de subvenir aux besoins de sa reproduction. Le talon
d`Achille de ce système se situe justement à ce niveau. Aucune part du ``surplus de
production`` n`est réinvestie dans le secteur pour permettre l`amélioration du facteur Terre
(T) ou du facteur Travail (L), les seuls éléments de la technique de production. C`est ce que
Ruttan appelle les contraintes statiques.
Q = f(T, L)
Dans cet univers, dans la mesure où les bonnes terres sont encore disponibles, une
augmentation des surfaces emblavées, contribuera à une croissance soutenue de la
production (Q). C`est le classique du modèle d`EXPLOITATION DES RESSOURCES. Selon
Vernon Ruttan, en dehors d’innovation technologique, les entrepreneurs agricoles ne
peuvent agir sur leur frontière de production que par une augmentation des surfaces
cultivées. Dans un premier temps, les rendements se maintiennent et peuvent même croitre.
Dans le cas classique de la littérature, les meilleures terres sont utilisées, et ensuite les
moins bonnes. Les rendements diminuent au rythme de l’intensification de l’exploitation, de
deux manières : d’une part par l’épuisement des meilleures terres, et d’autre part, par
l’utilisation des terres moins fertiles. Au point asymptotique d’un rendement quasi nul, le
système est à bout de souffle.
Faire valoir direct et Faire valoir indirect : la rente persiste. Jean Jacques Dessalines
Ambroise7 souligne toutefois qu`au lendemain de 1804, des deux projets qui s`affrontaient,
petites exploitations versus grandes exploitations, le projet des petites exploitations a eu
gain de cause, comme mode dominant. Manigat8 l`exprime de cette manière : ``Face aux
revendications et aux pressions des masses rurales militantes en faveur de la réforme
agraire sous la forme du morcellement et de la distribution, le processus de parcellisation
des grandes propriétés devint irrésistible comme seul moyen pour l’oligarchie d’éviter une
nuit d’anarchie``. Ces propos remettent donc en cause, d`une certaine manière, la thèse de
la prédominance du faire valoir indirect.
Cependant, la prévalence de l`un ou de l`autre mode de faire-valoir n`exclut nullement la
rente comme trait dominant de l`agriculture haïtienne, tout au cours du 19e siècle. Au travers
du faire valoir indirect, elle se matérialise par les remises au propriétaire foncier et à l`État.
Par contre, la rente se réalise dans le faire valoir direct, au niveau du circuit de
7 Ambroise Jean Jacques Dessalines : œuvre inédite.
8 Manigat (ibid. 2001 p. 210
commercialisation, et les surplus de production sont appropriés par les spéculateurs et par
l`État. Plusieurs études sur le café en font état.
Toutefois, les deux systèmes sont tenus par des paysans sans formation et dépourvus de
moyens réels de valorisation des terres, qui pourtant assurent la production pour la
consommation locale et l’exportation. Par voie de conséquence, la rente agricole, comme
point d`ancrage des relations de production, s`accompagnera d`un long processus de
décapitalisation du secteur agricole. En fin du 19e siècle, la baisse de la production agricole
en général et des denrées d`exportation en particulier, et avec comme corolaire, la chute
des rentes, provoquera le déplacement des oligarques des provinces vers Port-au-Prince.
On assistera parallèlement à l`essor de ce que Turnier caractérise de ``L`industrie des
fainéants``.
La production du ‘sucre’ est totalement affaissée, et son niveau d`exportations dérisoire. Par
contre, la tendance linéaire haussière de l’acajou et du campêche dénote un autre
mouvement. Il y a eu donc un déplacement à plusieurs étapes :
De la production agricole et des exportations de denrées que l`on a connues
au début du 19e siècle vers l’exportation de bois.
Et ensuite, la migration des oligarques de provinces vers Port-au-Prince.
IV. La bataille pour le Bord de Mer.
Les oligarques de province se sont déplacés parce que le point d’encrage pour la rente
devient l’État haïtien. Mais arrivés à Port-au-Prince, je cite Georges Anglade : Ce sera une
bataille rangée entre ces oligarques et les bourgeois de Port-au-Prince. À Georges Anglade
de souligner que les oligarques de province seront totalement anéantis par les bourgeois de
Port-au-Prince. Ils ont livré une bataille sur un terrain qu’ils ne maitrisaient pas, et ils l`ont
perdue.
Mais ce n’est pas la seule bataille, parce que la source de rente était aussi l’import export.
C’est dans cette lignée que la bataille est livrée pour le ‘Bord de Mer de Port-au-Prince’.
Donc à la fin de ce siècle, les élites au lieu de travailler à la régénération des terres, et des
mécanismes de production industrielle, vont s`acharner pour le contrôle du ‘Bord de Mer’.
Cette fois-ci, comme le précise Anglade, cette nouvelle manche mettra en face Les
bourgeois de Port-au-Prince et un nouvel acteur : ‘les Syriens’. Les articles du Journal l`Anti-
Syrien en disent long. Les Syriens, une nouvelle force économique en devenir, inspirent la
peur. La peur de la compétition. Cette crainte de voir de nouveaux yeux s`immiscer dans le
jeu exclusif de la rente.
On connait la fin de l`histoire. Avec l’occupation américaine, les Syriens auront gagné cette
bataille. Et jusqu’à présent la domination syrienne sur l’import-export des produits
alimentaires, est établie. Nous sommes en train de vivre ``l`économie`` d`une GUERRE
gagnée au début du 20e siècle.
V. Une agriculture en chute libre.
Toutefois n’oublions pas ce qui s`est passé dans l’agriculture haïtienne. En fait, tout le long
du 20e siècle, l`héritage légué et entretenu, c`est une agriculture qui ne dépasse pas 1000
TM par ha. Par contre tout près de nous, en République Dominicaine, par ce qu`ils ont su
adresser les contraintes statiques de Ruttan, le pays voisin assure une production
comparable à celles des pays de l`OCDE : 3500 a 5000 TM par ha.
Fig. 1 Rendements comparés par hectare
Dépendance par rapport aux importations. Cette dégradation de l`agriculture induit une
dépendance du pays par rapport aux importations des produits agricoles. L`un des pays à
bénéficier de cette situation est la République voisine9.
Figure 2. Importations d’Haïti en provenance de Dajabon/Ouanaminthe, # de containers le mois (2005-2012)
Source : Ginsa/douane
Le commerce transfrontalier entre Haïti et la République Dominicaine se caractérise cette
dernière décennie par une augmentation croissante des importations d’Haïti en provenance
de la République voisine. Et les transactions entre les deux pays se réalisent par le biais du
commerce officiel et les grands marchés frontaliers. Selon les statistiques citées par la
Banque Mondiale10, le commerce avec Haïti représente 10% du PIB de la République
Dominicaine et se chiffre dans les 800 millions de dollars des Etats-Unis, en 2011. Ce
commerce transfrontalier se manifeste dans le couloir économique du nord par des
centaines de containers qui sillonnent la route nationale numéro 6 chaque semaine, et un
fourmillement de marchandes qui envahissent la foire frontalière de Dajabon le lundi et le
vendredi. L’UE11 estime la fréquentation de cet espace à 18,000 personnes, le jour de
marché.
VI. Balance des paiements
Cela se traduit pour la balance des paiements, en des déficits soutenus: Oublions 2010,
c’est un point aberrant12. Le pays expérimente, de manière systématique, des déficits de
plus de 1 milliard de dollars américains. Mais ce n’est pas le déficit de la balance des
paiements qui est le plus significatif, c`est la manière dont il est compensé. Ce déficit
COMMERCIAL est essentiellement équilibré par les transferts de la diaspora. En ce début
du 21e siècle, ce 1 milliard représente le point de recours le plus sur de l’économie
9 Jean, Fritz: L’utilisation des produits agricoles dans les restaurants et hôtels du Couloir Marien. Hi5, PAP
2013. 10
Maurizio bussolo: BM 2011 11
UE : document de projet FED/2011023-242 12
Tremblement de terre
0
200
400
600
800
1000
2005 2007 2009 2012
haïtienne. Avec des mécanismes de production à la dérive, ce sont les transferts de la
diaspora qui assurent essentiellement l`équilibre de la balance des paiements.
Tableau 16 : Balance des paiements
2006 2007 2008 2009 2010
A- Biens et
services -1452.49 -1605.25 -2020.81 -1874.31 -3284.12
B- Dons
Officiels 373.45 391.60 473.54 394.50 1790.00
C- Transferts
privés 1062.87 1222.09 1369.75 1375.55 1473.80
C / A 73% 76% 68% 73% 45%
Source: BRH
VII. La rente sur Le Commerce de l`argent
Les conséquences de cette structuration de notre balance des paiements dans le système
bancaire sont parlantes. Nous sommes à l’heure de la rente sur le commerce de l’argent. En
201013, 50% du produit net bancaire proviennent de la rubrique «autres revenus».
L`intermédiation financière au travers des prêts, ne représente que 49% du revenu des
banques en 2010.
En effet, les statistiques du système bancaire font état de 108 milliards de gourdes
disponibles dans le système comme dépôt en 2010. De celles-ci, seulement 38 milliards
sont utilisées comme prêt. Il se développe donc toute une stratégie dans le système
bancaire autour des autres revenus et, les transferts de la diaspora en constituent un
point d`ancrage.
Les transferts de la diaspora : Le jeu le plus important. Le jeu le plus important qui se
joue devient donc les transferts privés sans contrepartie de la diaspora. Comparés aux 300
millions de l`aide internationale, ils constituent de loin la source la plus significative en
devises étrangères pour combler le déficit de la balance des paiements. En conséquence,
en absence de ces transferts, le volume des importations actuelles serait compromis, de
même que 50% du produit net bancaire du système, Au travers de ce prisme, il est opportun
13
BRH : Rapport annuel 2010.
de souligner que, en fait, c`est le seul jeu qui se joue. Est-ce pourquoi, il est tant convoité
pour alimenter des fonds divers (Education par exemple).
Tableau 2. Le système bancaire haïtien.
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Crédit 13,511 12,322 28,404 18,720 20,238 24,534 25,953 28,404 35,753 41,012 38,426
Dépôts 24,905 26,120 30,576 43,585 48,075 57,743 63,932 67,093 79,549 89,346 108,593
Source: BRH rapport annuel 2010
Le système financier se constitue donc, en grande partie, en un voile en dehors des
structures de production, avec une vie propre autour des autres revenus : Commissions,
Agios, et surtout, les gains de change sur les transferts.
De fait, l’économie toute entière tourne autour de ces flux de capitaux. Si pour la RD, les
transferts constituent autant une source importante de devises étrangères, avec un flux de 3
milliards de dollars pour 2010, les flux d’IDE pour cette même année ont affiché un volume
de 2.3 milliards de dollars. Cette surdétermination du commerce de l’argent dans le
fonctionnement de l’économie haïtienne débouchera sur des goulets d’étranglement
engendrant des secousses qui fragilisent de plus en plus le système. Haïti est devenu un
pays totalement dépendant et assisté.
VIII. Inadéquation ressources/population
En 1804, la population se chiffrait à 500,000 habitants. Les terres fertiles emblavées
permettaient de répondre aux besoins alimentaires de la population. Manigat caractérise
cette période de bonheur vivrier. Le surplus dégagé remplissait les navires américains,
anglais et autres partenaires commerciaux. Toutefois, les limites de ce modèle
d`exploitation des ressources se manifestent. Comme le souligne Ruttan14, dans des
conditions de croissance rapide de la population, les limites de ce modèle se réalisent
rapidement. Le rendement des cultures est typiquement bas et l’output par hectare et par
14
Ruttan Vernon : technical and isntitutional change in agricultral development, economic developement center
travailleur ont tendance à décroitre. Le processus débouche sur une immersion totale des
travailleurs de la terre, pour ensuite les pousser vers d’autres espaces de valorisation
de leur main d’œuvre.
1843-1846. Avec le saut de 500,000 à 1 million d’habitants et la baisse continue de la production
nationale, l« Inadéquation-ressources-population » de Manigat15, exsude les ingrédients qui
alimenteront les remises en question, et les revendications des masses populaires, en regard d’un
système qui n’a pas su offrir les conditions pour leur émancipation au sein de cette nation
nouvellement créée.
1914. Nous sommes 2 millions d`habitants. Entre temps, les oligarques auront déjà
abandonné des provinces appauvris par une agriculture de subsistance. L`occupation
américaine servira de choc exogène pour tamiser les ferveurs
1986. Un système de production frappé par des mesures de libéralisation infructueuses n`a
pas su stopper les forces revendicatrices d`une population de plus de 6 millions. Jean
Claude Duvalier est parti.
Des mesures renforcées de libéralisation en 1994 a contribué à la disparition des unités de
production de poulets de chair et d`œufs, et une déstructuration encore plus avancée de la
production agricole, particulièrement dans l`Artibonite. Et les crises se multiplient avec des
échéanciers de plus en plus rapprochés.
Donc l’épuisement de cette forme d’accumulation, je le vois par l’incapacité de ce système à
permettre à l’ordre établi de se reproduire. Et de fait, cet État :
ne peut plus répondre aux besoins de ses citoyens (eau potable, électricité,
éducation, etc).
Cet état ne peut pas reproduire ses institutions démocratiques,
Cet état ne peut même plus sévir contre ses citoyens déviants (même nos
trafiquants sont jugés ailleurs).
IX. Notre échec économique
Le mode de rente construit autour des Réseaux Sociaux d`Accumulation a généré un
système d`exclusion qui bloque le développement des forces productrices. Et il n`y a pas
d`économie qui puisse faire un sursaut qualitatif avec ce niveau d’iniquité.
Et notre échec économique à nous, c’est que le système que nous avons installé et que
nous continuions à alimenter, n’a pas favorisé l’émergence d’une masse critique de petites
et moyennes entreprises qui dans toutes économies constitue cette large frange de couches
15
Manigat, 2003 : 292.
moyennes qui se transforment en demande effective pour stimuler l’investissement dans le
pays.
X. Vers la voie de la transfusion importante.
Parallèlement, un capital international tenu jusqu`à date en dehors des circuits de
production de biens et de services, s`installe. La Digicel devient le plus grand fournisseur de
services de téléphonie mobile. Natcom emboite le pas et constitue un concurrent
international de taille. Du coté de l`hôtellerie, certains investissements directs, des
franchises, ou des prêts deviennent une nouvelle réalité – Best Western, Marriott, Oasis. E-
Power s`établit à partir d`un montage financier avec l`international.
Du coté du nord, le corridor Ouanaminthe-Cap-Haitien exhibe une certaine effervescence
avec le Parc Industriel de Caracol, la Codevi, les mines, et les projets d`hôtellerie qui se
dévoilent. Le commerce transfrontalier et la présence des firmes dominicaines dans la
région témoignent de cette mouvance d`ouverture réprimée depuis longtemps, soit à travers
des textes de loi, ou à travers des barrières institutionnelles, par les tenants d`un système
de rente trop frileux.
Dans le secteur du tourisme, Haïti s`enorgueillit du classement de l`Ile à vache, et un
Organisme de Gestion Destination (OGD) est en phase de structuration dans le nord, avec
le support de la BID.
Haïti semble être à l`heure de la transfusion importante prodiguée par le Sénateur Lugar.
XI. Le nouveau défi
Le défi actuel : comment aménager dans cette mouvance,
l’émergence d’une masse critique d’agriculteurs entrepreneurs qui pourront servir de
levier à cette reconfiguration d’une Haïti plus juste et plus prospère ?
la construction d’une classe de jeunes entrepreneurs porteurs de progrès
techniques, et pouvant réorienter ces mutations vers le bien commun.
L’ancrage de cet État en devenir dans un projet national
L`importance des Institutions (Institutions matter).
L’expérience d’autres économies pour lesquelles des mutations qualifiées de miracle peut
mieux nous éclairer sur l’importance des institutions. Comme le dit Brenner (1998), dans
cette catégorie ne sont pas admis les « pays qui ont réussi dans leur quête de trésors». Il
cite l’Espagne et le Portugal en exemple pour l’Europe, comme des pays rangés dans la
catégorie de trésors trouvés, mais Amsterdam et Pays-Bas, des pays en dessous du niveau
de la mer, des économies à miracle qui se sont développées en dépit de ces obstacles
naturels. Les histoires de boum asiatique se rangent dans la catégorie d’histoire à succès
miracle. Et dans tous ces cas, ces économies ont bénéficié d’une couverture de mesures de
l’État qui a édicté des lois, des taxes, mis en place un ordre qui garantit l’intérêt des citoyens
dans les affaires qui se développaient. Cet ordre a, conséquemment, attiré les immigrants
et les entrepreneurs de par le monde.
Dans cette perspective, construire une économie d`avenir dans cette mouvance de
pénétration du capital international, sous-entend la mise en place d`institutions économiques
à même de favoriser l`installation de cet environnement qui facilite l`exploitation des
potentialités au travers de petites et moyennes entreprises créatrices de richesses.
Ce développement des forces productrices ne peut s`opérer dans cette matrice de
contraintes qu`imposent les Réseaux Sociaux d`Accumulation (RSA). Les institutions devant
permettre l`accès aux informations, aux contrats, au financement, et bien outillées en regard
des problèmes cadastraux, fiscaux et administratifs, constituent le point d`ancrage de cette
nouvelle économie plus solidaire dont aspirent les citoyens.
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