la fin d'une histoire économique ouìépuisementune forme accumulation

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La fin d’une histoire économique ou l`épuisement d`une forme d`accumulation Par Fritz Jean I Introduction En Haïti, les crises se succèdent avec une fréquence de plus en plus accélérée. Les temps de répit de 14 ans (François Duvalier), de 16 ans (Jean Claude Duvalier), sont évincés par des intervalles plus courts. Ils convergent vers des limites asymptotiques de 9 mois (Aristide), et de 7 mois (Manigat). Des vagues successives de crises financières, ou des annonces - fin du 19 e siècle, première décennie des années 80, première décennie du 21 e siècle-, dévoilent les déséquilibres entre des structures de production en déliquescence et des demandes incompressibles d`une population en croissance exponentielle. Mais elles révèlent autant les excès de modes dépassés de gouvernance en inadéquation avec ces affaissements manifestes de l`économie. Seuls des facteurs exogènes (Minuha, Minustha, etc.) garantissent des sursis plus confortables. Cette tendance traduit l`incapacité de l`Ordre instauré, depuis déjà 209 ans, à renouveler les mécanismes de soutien de l’équilibre interne du système, pour parodier Hector (1998) ; l`effet d`annonce de la fin d’une histoire économique. Cette fin d’histoire doit être appréhendée avant tout comme l’aboutissement d’un mode d’accumulation de rente épuisé; le point de chute d`un long cycle de dégradation de l`appareil productif, émaillé de quelques périodes d`éclaircie. Ce mode d’accumulation en fin de course a constitué, et continue d’alimenter avec un souffle plus lent, la trame de notre histoire économique vieille de 2 siècles, en épousant des formes diverses : rente agricole, rente sur l`import-export, et la rente sur le commerce de l`argent. Ces formes évoluent en cohabitation, avec la domination de l`une ou l`autre selon l`évolution des mécanismes de génération de profit dans l`économie, mais jamais en exclusivité. Ce système trouve son expression dans les réseaux sociaux d’accumulation (RSA) et se manifeste au travers le contrôle que ces RSAs exercent sur le comportement du marché et donc, sur la distribution. Toutefois, l`Ordre d`exclusion secrété s`épuise, parce que porteur d`un appareil productif déficient. Par voie de conséquence, cet ordre n’a pas su aménager un espace pour l’émergence d’une masse critique de consommateurs avec un standard de revenu au-dessus du seuil de pauvreté. Le système n’a pas eu comme préoccupation la transformation de ces millions d’agriculteurs en de vrais entrepreneurs ; ce qui leur permettrait de se prendre en charge, et constituer, à terme, une classe intermédiaire à même de dynamiser des investissements par leur demande effective. En dehors de cette dynamique de développement durable, les potentialités restent inexploitées, et les crises à répétition traduisent l’épuisement de ce mode d’accumulation.

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La fin d’une histoire économique ou l`épuisement d`une forme

d`accumulation

Par Fritz Jean

I Introduction

En Haïti, les crises se succèdent avec une fréquence de plus en plus accélérée. Les temps

de répit de 14 ans (François Duvalier), de 16 ans (Jean Claude Duvalier), sont évincés par

des intervalles plus courts. Ils convergent vers des limites asymptotiques de 9 mois

(Aristide), et de 7 mois (Manigat). Des vagues successives de crises financières, ou des

annonces - fin du 19e siècle, première décennie des années 80, première décennie du 21e

siècle-, dévoilent les déséquilibres entre des structures de production en déliquescence et

des demandes incompressibles d`une population en croissance exponentielle. Mais elles

révèlent autant les excès de modes dépassés de gouvernance en inadéquation avec ces

affaissements manifestes de l`économie. Seuls des facteurs exogènes (Minuha, Minustha,

etc.) garantissent des sursis plus confortables. Cette tendance traduit l`incapacité de l`Ordre

instauré, depuis déjà 209 ans, à renouveler les mécanismes de soutien de l’équilibre interne

du système, pour parodier Hector (1998) ; l`effet d`annonce de la fin d’une histoire

économique.

Cette fin d’histoire doit être appréhendée avant tout comme l’aboutissement d’un mode

d’accumulation de rente épuisé; le point de chute d`un long cycle de dégradation de

l`appareil productif, émaillé de quelques périodes d`éclaircie.

Ce mode d’accumulation en fin de course a constitué, et continue d’alimenter avec un

souffle plus lent, la trame de notre histoire économique vieille de 2 siècles, en épousant des

formes diverses : rente agricole, rente sur l`import-export, et la rente sur le commerce de

l`argent. Ces formes évoluent en cohabitation, avec la domination de l`une ou l`autre selon

l`évolution des mécanismes de génération de profit dans l`économie, mais jamais en

exclusivité.

Ce système trouve son expression dans les réseaux sociaux d’accumulation (RSA) et se

manifeste au travers le contrôle que ces RSAs exercent sur le comportement du marché et

donc, sur la distribution. Toutefois, l`Ordre d`exclusion secrété s`épuise, parce que porteur

d`un appareil productif déficient. Par voie de conséquence, cet ordre n’a pas su aménager

un espace pour l’émergence d’une masse critique de consommateurs avec un standard de

revenu au-dessus du seuil de pauvreté. Le système n’a pas eu comme préoccupation la

transformation de ces millions d’agriculteurs en de vrais entrepreneurs ; ce qui leur

permettrait de se prendre en charge, et constituer, à terme, une classe intermédiaire à

même de dynamiser des investissements par leur demande effective. En dehors de cette

dynamique de développement durable, les potentialités restent inexploitées, et les crises à

répétition traduisent l’épuisement de ce mode d’accumulation.

Parallèlement, une forme de pénétration du capital international, en toute indépendance1, à

la recherche de nouveaux créneaux de valorisation, s’installe et constitue le moteur d’une

mutation qui annonce l`ordre d’une ère nouvelle. Ce capital international2, discret au départ,

étendra ses tentacules, et assiégera les circuits d’organisation de la production, pour ensuite

entrainer la restructuration d’un État qui devra pouvoir répondre à ses propres exigences de

prévisibilité pour la conduite rationnelle des affaires.

Le défi actuel : comment aménager dans cette mouvance,

l’émergence d’une masse critique d’agriculteurs entrepreneurs qui pourront servir de

levier à cette reconfiguration d’une Haïti plus juste et plus prospère ?

la construction d’une classe de jeunes entrepreneurs porteurs de progrès

techniques, et pouvant réorienter ces mutations vers le bien commun.

L’ancrage de cet État en devenir dans un projet national.

II. Notes Méthodologiques

Approche. L’auteur propose une relecture des crises économiques en Haïti à la lumière du

mode dominant d’accumulation (de rente) dans l’économie. L’auteur soutient que la crise

actuelle caractérisée par ce déni de légitimé accentué de toutes les institutions du pays,

traduit la fin d’une ère (de ce mode d`accumulation), et constitue l`exigence d’émergence

d’un nouveau paradigme.

Asymétrie de l`information. Dans la littérature économique néoclassique, l`asymétrie de

l`information est considérée comme des grains de sable qui nuisent au partage, de manière

équitable, des signaux par les agents économiques. Dans la mesure où certains agents

détiennent de meilleures informations que d`autres, le jeu de la concurrence se trouve

faussée, et ``favorise le pouvoir de marché de certains investisseurs et peut justifier les

différences d’anticipation``. Par voie de conséquence, l`efficience du marché en pâtit.

Pour d`autres courants de pensée, dans une petite économie ouverte comme Haïti, les

effets induits de cette distribution asymétrique sont corrélés négativement à la demande

effective, ce qui en bout de ligne limite la croissance.

Séquestration des informations et des contrats. En Haïti, au travers d`un maillage étriqué,

les RSAs s`apprivoisent des informations et des contrats, et comme tel, maitrisent les

1 Indépendance due aux faiblesses des structures de l’état, et de la délégitimité construite et entretenue des

institutions nationales (publiques et privées). 2 Propos de Marteen Boutou in le Nouvelliste du….:

différents circuits de la chaine de production : les circuits de financement, de production et

de commercialisation. En d`autres termes, seulement l`appartenance à des réseaux donne

accès aux informations, aux contrats et au circuit de financement. Ce dispositif, porteur

d`une structuration centralisatrice et de concentration, façonnera, en bout de ligne, cette

économie à caractère inéquitable, véritable handicap au développement des forces

productrices, comme le souligne Bazin3.

Méthode

Le texte analysera l`épuisement de ce mode d`accumulation autour de 3 points d`ancrage

qui en constituent la toile de fond :

LE MODE D’ACCUMULATION DE RENTE4

LES RÉSEAUX SOCIAUX D’ACCUMULATION (RSA)5

LE TAUX DE CROISSANCE DE LA POPULATION

III. La rente agricole

Trois facteurs sont à la base de l´accumulation de rente au niveau du secteur agricole :

La dotation initiale en facteur Terre (T) caractérisée par une distribution de faveurs et

non de mérites ou de besoins des familles (nombre de dépendants) ;

La rémunération de l’effort-travail;

Les avantages que procure le rapprochement au pouvoir d’État pour la

commercialisation des produits;

Comme le souligne Anglade6 : ``La naissance de l'État s'accompagne de la création de

groupes sociaux qui se constituent par l'appropriation des terres agricoles, le contrôle des

circuits de commercialisation et l'accaparement de l'appareil d'État. Les anciennes masses

esclaves ont été contraintes de travailler sur les propriétés dont s'étaient emparés les

dirigeants issus de la guerre d'indépendance. Toute une imposante armature législative, les

règlements du "Caporalisme agraire", a été bâtie par les différents gouvernements de la

première moitié du XIXe siècle. Elle consacrait l'asservissement personnel du paysan au

propriétaire foncier et prévoyait de lourdes et sévères sanctions contre les contrevenants à

cet ordre nouveau dans l'agriculture. Sans cette violence directe et soutenue, les Grandon

3 Bazin, Marc :

4Jean, Fritz : Fin d`une histoire économique. A paraitre 2013. L’accumulation dominante

4 observée en Haïti est

qualifiée de « rente »4, du fait que l’ultime justification des gains par les bénéficiaires s’explique

principalement par leur position sur le marché. Cela peut donc varier d’une rente absolue (différence de gains justifiée par la position de monopole sur le marché

4) à une rente de situation (avantage obtenu par une

profession ou une corporation, maintenu comme un droit inaliénable).

5 Jean, Fritz : Ibid. Ces RSAs ne sont autres que la forme d`organisation d`agents économiques en cercles

fermés. La base de ces regroupements peut être familiale, des relations de voisinage, d`école ou d`université ; ou d`autres liens de proximité sociale en rapport aux caractéristiques épidermiques 6 Anglade, Georges : Atlas Critique d`Haïti, 1982, p.30.

n'arriveraient pas à consacrer leurs droits de propriété, obliger les paysans à travailler pour

eux et combattre la menace permanente de marronnage de la main-d’œuvre``.

Dans cette matrice de faire-valoir indirect, le paysan cultivateur est subjugué par un régime

strict de remise de deux tiers de sa production à l`État et au propriétaire foncier. Le tiers qui

lui revenait, permettait à peine de subvenir aux besoins de sa reproduction. Le talon

d`Achille de ce système se situe justement à ce niveau. Aucune part du ``surplus de

production`` n`est réinvestie dans le secteur pour permettre l`amélioration du facteur Terre

(T) ou du facteur Travail (L), les seuls éléments de la technique de production. C`est ce que

Ruttan appelle les contraintes statiques.

Q = f(T, L)

Dans cet univers, dans la mesure où les bonnes terres sont encore disponibles, une

augmentation des surfaces emblavées, contribuera à une croissance soutenue de la

production (Q). C`est le classique du modèle d`EXPLOITATION DES RESSOURCES. Selon

Vernon Ruttan, en dehors d’innovation technologique, les entrepreneurs agricoles ne

peuvent agir sur leur frontière de production que par une augmentation des surfaces

cultivées. Dans un premier temps, les rendements se maintiennent et peuvent même croitre.

Dans le cas classique de la littérature, les meilleures terres sont utilisées, et ensuite les

moins bonnes. Les rendements diminuent au rythme de l’intensification de l’exploitation, de

deux manières : d’une part par l’épuisement des meilleures terres, et d’autre part, par

l’utilisation des terres moins fertiles. Au point asymptotique d’un rendement quasi nul, le

système est à bout de souffle.

Faire valoir direct et Faire valoir indirect : la rente persiste. Jean Jacques Dessalines

Ambroise7 souligne toutefois qu`au lendemain de 1804, des deux projets qui s`affrontaient,

petites exploitations versus grandes exploitations, le projet des petites exploitations a eu

gain de cause, comme mode dominant. Manigat8 l`exprime de cette manière : ``Face aux

revendications et aux pressions des masses rurales militantes en faveur de la réforme

agraire sous la forme du morcellement et de la distribution, le processus de parcellisation

des grandes propriétés devint irrésistible comme seul moyen pour l’oligarchie d’éviter une

nuit d’anarchie``. Ces propos remettent donc en cause, d`une certaine manière, la thèse de

la prédominance du faire valoir indirect.

Cependant, la prévalence de l`un ou de l`autre mode de faire-valoir n`exclut nullement la

rente comme trait dominant de l`agriculture haïtienne, tout au cours du 19e siècle. Au travers

du faire valoir indirect, elle se matérialise par les remises au propriétaire foncier et à l`État.

Par contre, la rente se réalise dans le faire valoir direct, au niveau du circuit de

7 Ambroise Jean Jacques Dessalines : œuvre inédite.

8 Manigat (ibid. 2001 p. 210

commercialisation, et les surplus de production sont appropriés par les spéculateurs et par

l`État. Plusieurs études sur le café en font état.

Toutefois, les deux systèmes sont tenus par des paysans sans formation et dépourvus de

moyens réels de valorisation des terres, qui pourtant assurent la production pour la

consommation locale et l’exportation. Par voie de conséquence, la rente agricole, comme

point d`ancrage des relations de production, s`accompagnera d`un long processus de

décapitalisation du secteur agricole. En fin du 19e siècle, la baisse de la production agricole

en général et des denrées d`exportation en particulier, et avec comme corolaire, la chute

des rentes, provoquera le déplacement des oligarques des provinces vers Port-au-Prince.

On assistera parallèlement à l`essor de ce que Turnier caractérise de ``L`industrie des

fainéants``.

La production du ‘sucre’ est totalement affaissée, et son niveau d`exportations dérisoire. Par

contre, la tendance linéaire haussière de l’acajou et du campêche dénote un autre

mouvement. Il y a eu donc un déplacement à plusieurs étapes :

De la production agricole et des exportations de denrées que l`on a connues

au début du 19e siècle vers l’exportation de bois.

Et ensuite, la migration des oligarques de provinces vers Port-au-Prince.

IV. La bataille pour le Bord de Mer.

Les oligarques de province se sont déplacés parce que le point d’encrage pour la rente

devient l’État haïtien. Mais arrivés à Port-au-Prince, je cite Georges Anglade : Ce sera une

bataille rangée entre ces oligarques et les bourgeois de Port-au-Prince. À Georges Anglade

de souligner que les oligarques de province seront totalement anéantis par les bourgeois de

Port-au-Prince. Ils ont livré une bataille sur un terrain qu’ils ne maitrisaient pas, et ils l`ont

perdue.

Mais ce n’est pas la seule bataille, parce que la source de rente était aussi l’import export.

C’est dans cette lignée que la bataille est livrée pour le ‘Bord de Mer de Port-au-Prince’.

Donc à la fin de ce siècle, les élites au lieu de travailler à la régénération des terres, et des

mécanismes de production industrielle, vont s`acharner pour le contrôle du ‘Bord de Mer’.

Cette fois-ci, comme le précise Anglade, cette nouvelle manche mettra en face Les

bourgeois de Port-au-Prince et un nouvel acteur : ‘les Syriens’. Les articles du Journal l`Anti-

Syrien en disent long. Les Syriens, une nouvelle force économique en devenir, inspirent la

peur. La peur de la compétition. Cette crainte de voir de nouveaux yeux s`immiscer dans le

jeu exclusif de la rente.

On connait la fin de l`histoire. Avec l’occupation américaine, les Syriens auront gagné cette

bataille. Et jusqu’à présent la domination syrienne sur l’import-export des produits

alimentaires, est établie. Nous sommes en train de vivre ``l`économie`` d`une GUERRE

gagnée au début du 20e siècle.

V. Une agriculture en chute libre.

Toutefois n’oublions pas ce qui s`est passé dans l’agriculture haïtienne. En fait, tout le long

du 20e siècle, l`héritage légué et entretenu, c`est une agriculture qui ne dépasse pas 1000

TM par ha. Par contre tout près de nous, en République Dominicaine, par ce qu`ils ont su

adresser les contraintes statiques de Ruttan, le pays voisin assure une production

comparable à celles des pays de l`OCDE : 3500 a 5000 TM par ha.

Fig. 1 Rendements comparés par hectare

Dépendance par rapport aux importations. Cette dégradation de l`agriculture induit une

dépendance du pays par rapport aux importations des produits agricoles. L`un des pays à

bénéficier de cette situation est la République voisine9.

Figure 2. Importations d’Haïti en provenance de Dajabon/Ouanaminthe, # de containers le mois (2005-2012)

Source : Ginsa/douane

Le commerce transfrontalier entre Haïti et la République Dominicaine se caractérise cette

dernière décennie par une augmentation croissante des importations d’Haïti en provenance

de la République voisine. Et les transactions entre les deux pays se réalisent par le biais du

commerce officiel et les grands marchés frontaliers. Selon les statistiques citées par la

Banque Mondiale10, le commerce avec Haïti représente 10% du PIB de la République

Dominicaine et se chiffre dans les 800 millions de dollars des Etats-Unis, en 2011. Ce

commerce transfrontalier se manifeste dans le couloir économique du nord par des

centaines de containers qui sillonnent la route nationale numéro 6 chaque semaine, et un

fourmillement de marchandes qui envahissent la foire frontalière de Dajabon le lundi et le

vendredi. L’UE11 estime la fréquentation de cet espace à 18,000 personnes, le jour de

marché.

VI. Balance des paiements

Cela se traduit pour la balance des paiements, en des déficits soutenus: Oublions 2010,

c’est un point aberrant12. Le pays expérimente, de manière systématique, des déficits de

plus de 1 milliard de dollars américains. Mais ce n’est pas le déficit de la balance des

paiements qui est le plus significatif, c`est la manière dont il est compensé. Ce déficit

COMMERCIAL est essentiellement équilibré par les transferts de la diaspora. En ce début

du 21e siècle, ce 1 milliard représente le point de recours le plus sur de l’économie

9 Jean, Fritz: L’utilisation des produits agricoles dans les restaurants et hôtels du Couloir Marien. Hi5, PAP

2013. 10

Maurizio bussolo: BM 2011 11

UE : document de projet FED/2011023-242 12

Tremblement de terre

0

200

400

600

800

1000

2005 2007 2009 2012

haïtienne. Avec des mécanismes de production à la dérive, ce sont les transferts de la

diaspora qui assurent essentiellement l`équilibre de la balance des paiements.

Tableau 16 : Balance des paiements

2006 2007 2008 2009 2010

A- Biens et

services -1452.49 -1605.25 -2020.81 -1874.31 -3284.12

B- Dons

Officiels 373.45 391.60 473.54 394.50 1790.00

C- Transferts

privés 1062.87 1222.09 1369.75 1375.55 1473.80

C / A 73% 76% 68% 73% 45%

Source: BRH

VII. La rente sur Le Commerce de l`argent

Les conséquences de cette structuration de notre balance des paiements dans le système

bancaire sont parlantes. Nous sommes à l’heure de la rente sur le commerce de l’argent. En

201013, 50% du produit net bancaire proviennent de la rubrique «autres revenus».

L`intermédiation financière au travers des prêts, ne représente que 49% du revenu des

banques en 2010.

En effet, les statistiques du système bancaire font état de 108 milliards de gourdes

disponibles dans le système comme dépôt en 2010. De celles-ci, seulement 38 milliards

sont utilisées comme prêt. Il se développe donc toute une stratégie dans le système

bancaire autour des autres revenus et, les transferts de la diaspora en constituent un

point d`ancrage.

Les transferts de la diaspora : Le jeu le plus important. Le jeu le plus important qui se

joue devient donc les transferts privés sans contrepartie de la diaspora. Comparés aux 300

millions de l`aide internationale, ils constituent de loin la source la plus significative en

devises étrangères pour combler le déficit de la balance des paiements. En conséquence,

en absence de ces transferts, le volume des importations actuelles serait compromis, de

même que 50% du produit net bancaire du système, Au travers de ce prisme, il est opportun

13

BRH : Rapport annuel 2010.

de souligner que, en fait, c`est le seul jeu qui se joue. Est-ce pourquoi, il est tant convoité

pour alimenter des fonds divers (Education par exemple).

Tableau 2. Le système bancaire haïtien.

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

Crédit 13,511 12,322 28,404 18,720 20,238 24,534 25,953 28,404 35,753 41,012 38,426

Dépôts 24,905 26,120 30,576 43,585 48,075 57,743 63,932 67,093 79,549 89,346 108,593

Source: BRH rapport annuel 2010

Le système financier se constitue donc, en grande partie, en un voile en dehors des

structures de production, avec une vie propre autour des autres revenus : Commissions,

Agios, et surtout, les gains de change sur les transferts.

De fait, l’économie toute entière tourne autour de ces flux de capitaux. Si pour la RD, les

transferts constituent autant une source importante de devises étrangères, avec un flux de 3

milliards de dollars pour 2010, les flux d’IDE pour cette même année ont affiché un volume

de 2.3 milliards de dollars. Cette surdétermination du commerce de l’argent dans le

fonctionnement de l’économie haïtienne débouchera sur des goulets d’étranglement

engendrant des secousses qui fragilisent de plus en plus le système. Haïti est devenu un

pays totalement dépendant et assisté.

VIII. Inadéquation ressources/population

En 1804, la population se chiffrait à 500,000 habitants. Les terres fertiles emblavées

permettaient de répondre aux besoins alimentaires de la population. Manigat caractérise

cette période de bonheur vivrier. Le surplus dégagé remplissait les navires américains,

anglais et autres partenaires commerciaux. Toutefois, les limites de ce modèle

d`exploitation des ressources se manifestent. Comme le souligne Ruttan14, dans des

conditions de croissance rapide de la population, les limites de ce modèle se réalisent

rapidement. Le rendement des cultures est typiquement bas et l’output par hectare et par

14

Ruttan Vernon : technical and isntitutional change in agricultral development, economic developement center

travailleur ont tendance à décroitre. Le processus débouche sur une immersion totale des

travailleurs de la terre, pour ensuite les pousser vers d’autres espaces de valorisation

de leur main d’œuvre.

1843-1846. Avec le saut de 500,000 à 1 million d’habitants et la baisse continue de la production

nationale, l« Inadéquation-ressources-population » de Manigat15, exsude les ingrédients qui

alimenteront les remises en question, et les revendications des masses populaires, en regard d’un

système qui n’a pas su offrir les conditions pour leur émancipation au sein de cette nation

nouvellement créée.

1914. Nous sommes 2 millions d`habitants. Entre temps, les oligarques auront déjà

abandonné des provinces appauvris par une agriculture de subsistance. L`occupation

américaine servira de choc exogène pour tamiser les ferveurs

1986. Un système de production frappé par des mesures de libéralisation infructueuses n`a

pas su stopper les forces revendicatrices d`une population de plus de 6 millions. Jean

Claude Duvalier est parti.

Des mesures renforcées de libéralisation en 1994 a contribué à la disparition des unités de

production de poulets de chair et d`œufs, et une déstructuration encore plus avancée de la

production agricole, particulièrement dans l`Artibonite. Et les crises se multiplient avec des

échéanciers de plus en plus rapprochés.

Donc l’épuisement de cette forme d’accumulation, je le vois par l’incapacité de ce système à

permettre à l’ordre établi de se reproduire. Et de fait, cet État :

ne peut plus répondre aux besoins de ses citoyens (eau potable, électricité,

éducation, etc).

Cet état ne peut pas reproduire ses institutions démocratiques,

Cet état ne peut même plus sévir contre ses citoyens déviants (même nos

trafiquants sont jugés ailleurs).

IX. Notre échec économique

Le mode de rente construit autour des Réseaux Sociaux d`Accumulation a généré un

système d`exclusion qui bloque le développement des forces productrices. Et il n`y a pas

d`économie qui puisse faire un sursaut qualitatif avec ce niveau d’iniquité.

Et notre échec économique à nous, c’est que le système que nous avons installé et que

nous continuions à alimenter, n’a pas favorisé l’émergence d’une masse critique de petites

et moyennes entreprises qui dans toutes économies constitue cette large frange de couches

15

Manigat, 2003 : 292.

moyennes qui se transforment en demande effective pour stimuler l’investissement dans le

pays.

X. Vers la voie de la transfusion importante.

Parallèlement, un capital international tenu jusqu`à date en dehors des circuits de

production de biens et de services, s`installe. La Digicel devient le plus grand fournisseur de

services de téléphonie mobile. Natcom emboite le pas et constitue un concurrent

international de taille. Du coté de l`hôtellerie, certains investissements directs, des

franchises, ou des prêts deviennent une nouvelle réalité – Best Western, Marriott, Oasis. E-

Power s`établit à partir d`un montage financier avec l`international.

Du coté du nord, le corridor Ouanaminthe-Cap-Haitien exhibe une certaine effervescence

avec le Parc Industriel de Caracol, la Codevi, les mines, et les projets d`hôtellerie qui se

dévoilent. Le commerce transfrontalier et la présence des firmes dominicaines dans la

région témoignent de cette mouvance d`ouverture réprimée depuis longtemps, soit à travers

des textes de loi, ou à travers des barrières institutionnelles, par les tenants d`un système

de rente trop frileux.

Dans le secteur du tourisme, Haïti s`enorgueillit du classement de l`Ile à vache, et un

Organisme de Gestion Destination (OGD) est en phase de structuration dans le nord, avec

le support de la BID.

Haïti semble être à l`heure de la transfusion importante prodiguée par le Sénateur Lugar.

XI. Le nouveau défi

Le défi actuel : comment aménager dans cette mouvance,

l’émergence d’une masse critique d’agriculteurs entrepreneurs qui pourront servir de

levier à cette reconfiguration d’une Haïti plus juste et plus prospère ?

la construction d’une classe de jeunes entrepreneurs porteurs de progrès

techniques, et pouvant réorienter ces mutations vers le bien commun.

L’ancrage de cet État en devenir dans un projet national

L`importance des Institutions (Institutions matter).

L’expérience d’autres économies pour lesquelles des mutations qualifiées de miracle peut

mieux nous éclairer sur l’importance des institutions. Comme le dit Brenner (1998), dans

cette catégorie ne sont pas admis les « pays qui ont réussi dans leur quête de trésors». Il

cite l’Espagne et le Portugal en exemple pour l’Europe, comme des pays rangés dans la

catégorie de trésors trouvés, mais Amsterdam et Pays-Bas, des pays en dessous du niveau

de la mer, des économies à miracle qui se sont développées en dépit de ces obstacles

naturels. Les histoires de boum asiatique se rangent dans la catégorie d’histoire à succès

miracle. Et dans tous ces cas, ces économies ont bénéficié d’une couverture de mesures de

l’État qui a édicté des lois, des taxes, mis en place un ordre qui garantit l’intérêt des citoyens

dans les affaires qui se développaient. Cet ordre a, conséquemment, attiré les immigrants

et les entrepreneurs de par le monde.

Dans cette perspective, construire une économie d`avenir dans cette mouvance de

pénétration du capital international, sous-entend la mise en place d`institutions économiques

à même de favoriser l`installation de cet environnement qui facilite l`exploitation des

potentialités au travers de petites et moyennes entreprises créatrices de richesses.

Ce développement des forces productrices ne peut s`opérer dans cette matrice de

contraintes qu`imposent les Réseaux Sociaux d`Accumulation (RSA). Les institutions devant

permettre l`accès aux informations, aux contrats, au financement, et bien outillées en regard

des problèmes cadastraux, fiscaux et administratifs, constituent le point d`ancrage de cette

nouvelle économie plus solidaire dont aspirent les citoyens.

Bibliographie

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Bowler, Arthur : Haiti, Étude économique et Politique, Charles Bayle, Éditeur, Paris, 1889.

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Gaffiels, Julia: Haiti and Jamaica, the remajing of 19th century Atlantic World, The William and Mary

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