histoire du debriefing

39
HISTOIRE CRITIQUE DU DEBRIEFING. Professeur Louis CROCQ I - LA PSYCHIATRIE DE L'AVANT DANS LES ARMÉES. A - Guerre russo-japonaise : les charrettes psychiatriques hippomobiles d'Autocratov. La psychiatrie de l'avant fut inaugurée, sous la pression des circonstances, par le médecin général Autocratov, psychiatre en chef de l'armée russe pendant la guerre russo-japonaise de 1904- 1905. En effet, le chemin de fer transsibérien n'étant pas terminé, et les évacuations des blessés du front vers l'arrière étant difficiles, il fut décidé de traiter sur place les blessés légers et les blessés psychiques. Pour ces derniers, un dispositif de charrettes hippomobiles, chacune dotée d'un conducteur, d'un psychiatre et d'un infirmier, parcourait le front pour assurer le premier traitement et le triage, seuls les cas persistants étant évacués sur l'hôpital de Kharbin (en Mandchourie, à 200 km en retrait) et de là, vers la Russie pour les cas graves, par un long périple (800km) de 30 jours en chemin de fer. On ignore la proportion de soldats récupérés au niveau de ces antennes mobiles pour la poursuite de la bataille, mais les statistiques établies à l'hôpital de Kharbin révèlent que seulement un officier sur cinq et un soldat sur vingt purent être renvoyés au front. La fiabilité du dispositif ne fut donc pas démonstrative, mais, empiriquement, on découvrit que lorsqu'un blessé psychique bénéficiait de l'intervention thérapeutique précoce d'un psychiatre militaire, on accroissait les chances de réduire ses symptômes et de le récupérer pour le combat. Le moment opportun pour cette intervention était quelques heures, le lendemain, ou quelques jours après l'événement traumatisant ; et le lieu opportun était un endroit retiré de l'agitation du combat quoique encore proche, et garanti par son appartenance médicale : poste de secours, infirmerie régimentaire, hôpital de campagne. B - Guerre de 1914-18 : les ambulances françaises du front et les casualties clearing stations de l'armée anglaise , suivies des principes de Salmon. C'est en partie pour cette raison (l'autre raison était qu'une fois le soldat évacué à l'arrière, il persévérait plus ou moins consciemment dans ses symptômes qui lui assuraient la sollicitude du personnel soignant, la compassion de sa famille et des visiteuses d'hôpital, et lui offraient un motif honorable pour n'être pas renvoyé au front) que les psychiatres militaires français de la première guerre mondiale avaient préconisé l'intervention thérapeutique précoce et à proximité de la ligne de front.(Chavigny, 1915 ; Granjux, 1915 ; Grasset, 1915 ; Roussy et Lhermitte, 1917), Damaye (1917) proposant même un système de triage itinérant semblable au dispositif d'Autocratov. De même, à partir de 1917, les Anglais installèrent des postes de triage avancés à proximité du front (les casualty clearing stations), et purent récupérer une partie de leurs blessés psychiques après un court traitement sur place. De même encore, les Italiens (Goria, 1916 ; Sandro, 1917 ; Brunetti, 1917) implantèrent trois unités psychiatriques spéciales à proximité du front, et Morselli (1916) put affirmer que les traitements institués dans ces centres avaient été très efficaces, surtout s'ils avaient été entrepris sans attendre. Cette intervention thérapeutique précoce de l'avant, employant les seuls moyens simples dont disposaient ces ambulances du front - à savoir le repos, la restitution du sommeil, une nourriture suffisante et chaude, quelques sédatifs et une psychothérapie élémentaire visant à persuader le sujet que ses troubles qu'il présentait étaient connus comme transitoires et devant laisser place en un ou deux jours à une guérison totale - avait été donc été expérimentée dès 1915 et avait largement fait ses preuves en 1917 lorsque le psychiatre américain Salmon, envoyé en Angleterre et en France en mission d'observation et d'étude par son gouvernement, la reprit à son compte et édicta ses cinq principes célèbres : immediatety, proximity, simplicity, expectancy et centrality (immédiateté, proximité, simplicité, attente dans l'espérance de guérison, et centralité). 1

Upload: independent

Post on 26-Nov-2023

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

HISTOIRE CRITIQUE DU DEBRIEFING.

Professeur Louis CROCQ

I - LA PSYCHIATRIE DE L'AVANT DANS LES ARMÉES.

A - Guerre russo-japonaise : les charrettes psychiatriques hippomobiles d'Autocratov.

La psychiatrie de l'avant fut inaugurée, sous la pression des circonstances, par le médecin général Autocratov, psychiatre en chef de l'armée russe pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905. En effet, le chemin de fer transsibérien n'étant pas terminé, et les évacuations des blessés du front vers l'arrière étant difficiles, il fut décidé de traiter sur place les blessés légers et les blessés psychiques. Pour ces derniers, un dispositif de charrettes hippomobiles, chacune dotée d'un conducteur, d'un psychiatre et d'un infirmier, parcourait le front pour assurer le premier traitement et le triage, seuls les cas persistants étant évacués sur l'hôpital de Kharbin (en Mandchourie, à 200 km en retrait) et de là, vers la Russie pour les cas graves, par un long périple (800km) de 30 jours en chemin de fer. On ignore la proportion de soldats récupérés au niveau de ces antennes mobiles pour la poursuite de la bataille, mais les statistiques établies à l'hôpital de Kharbin révèlent que seulement un officier sur cinq et un soldat sur vingt purent être renvoyés au front. La fiabilité du dispositif ne fut donc pas démonstrative, mais, empiriquement, on découvrit que lorsqu'un blessé psychique bénéficiait de l'intervention thérapeutique précoce d'un psychiatre militaire, on accroissait les chances de réduire ses symptômes et de le récupérer pour le combat. Le moment opportun pour cette intervention était quelques heures, le lendemain, ou quelques jours après l'événement traumatisant ; et le lieu opportun était un endroit retiré de l'agitation du combat quoique encore proche, et garanti par son appartenance médicale : poste de secours, infirmerie régimentaire, hôpital de campagne.

B - Guerre de 1914-18 : les ambulances françaises du front et les casualties clearing stations de l'armée anglaise , suivies des principes de Salmon.

C'est en partie pour cette raison (l'autre raison était qu'une fois le soldat évacué à l'arrière, il persévérait plus ou moins consciemment dans ses symptômes qui lui assuraient la sollicitude du personnel soignant, la compassion de sa famille et des visiteuses d'hôpital, et lui offraient un motif honorable pour n'être pas renvoyé au front) que les psychiatres militaires français de la première guerre mondiale avaient préconisé l'intervention thérapeutique précoce et à proximité de la ligne de front.(Chavigny, 1915 ; Granjux, 1915 ; Grasset, 1915 ; Roussy et Lhermitte, 1917), Damaye (1917) proposant même un système de triage itinérant semblable au dispositif d'Autocratov. De même, à partir de 1917, les Anglais installèrent des postes de triage avancés à proximité du front (les casualty clearing stations), et purent récupérer une partie de leurs blessés psychiques après un court traitement sur place. De même encore, les Italiens (Goria, 1916 ; Sandro, 1917 ; Brunetti, 1917) implantèrent trois unités psychiatriques spéciales à proximité du front, et Morselli (1916) put affirmer que les traitements institués dans ces centres avaient été très efficaces, surtout s'ils avaient été entrepris sans attendre. Cette intervention thérapeutique précoce de l'avant, employant les seuls moyens simples dont disposaient ces ambulances du front - à savoir le repos, la restitution du sommeil, une nourriture suffisante et chaude, quelques sédatifs et une psychothérapie élémentaire visant à persuader le sujet que ses troubles qu'il présentait étaient connus comme transitoires et devant laisser place en un ou deux jours à une guérison totale - avait été donc été expérimentée dès 1915 et avait largement fait ses preuves en 1917 lorsque le psychiatre américain Salmon, envoyé en Angleterre et en France en mission d'observation et d'étude par son gouvernement, la reprit à son compte et édicta ses cinq principes célèbres : immediatety, proximity, simplicity, expectancy et centrality (immédiateté, proximité, simplicité, attente dans l'espérance de guérison, et centralité).

1

L'immédiateté, nous l'avons vu, avait pour but de ne pas laisser s'amorcer le temps de latence d'une névrose traumatique ni la méditation solitaire et oisive qui suggère le renforcement des symptômes prometteurs d'une échappatoire au devoir. La proximité était fondée sur l'opportunité de maintenir le sujet dans l'atmosphère du front, quitte à ce qu'il continue d'entendre le bruit de la canonnade et d'y réagir par des sursauts, pour bien le convaincre qu'il n'était pas retiré de la bataille, mais seulement soustrait pour une courte parenthèse nécessaire à sa récupération, et que c'était l'ordre normal des choses qu'il dût retrouver rapidement ses camarades. L'espérance - ou plus exactement l'expectative dans l'espérance - impliquait que le malade devait être convaincu qu'il allait certainement guérir, (et tout le personnel médical devait s'employer à inculquer cette conviction lors d'entretiens persuasifs répétés et assénés sans relâche) ; elle impliquait aussi la mise en oeuvre d'une procédure d'observation optimiste, dans laquelle on devait évaluer les ressources mentales du patient, identifier ses résistances et moduler la thérapeutique en raison des premiers résultats obtenus ou des résistances rencontrées. L'espérance devait être aussi le fait du personnel soignant, qui devait lui-même être convaincu de la légitimité et de l'efficacité de la méthode. La simplicité impliquait qu'on ne devait pas recourir, dans ces centres de l'avant, à des équipements ni à des méthodes compliqués ; un local rustique mais propre et doté de moyens appropriés à dispenser une hygiène rudimentaire (des lits pourvus de draps propres, des points d'eau pour se laver et laver le linge, des lieux d'aisance propres et désinfectés) devaient suffire ; à côté des chambrées collectives, quelques chambres d'isolement pour patients agités et des bureaux de médecin appropriés aux entretiens confidentiels devaient être aménagés dans les locaux, ainsi que des salles de soins, des réfectoires et une cuisine. Le principe de simplicité concernait aussi la méthode de traitement, fondée sur la "suggestion persuasive", car la persuasion, qui était à l'origine de la maladie, devait être retournée contre la maladie elle-même. L'hypnose pouvait y être adjointe, utilisée par des médecins qui en connaissaient la pratique, ainsi que l'incitation faradique, qu'il convenait cependant de ne réserver qu'aux cas d'hystérie obstinée et de n'appliquer que dans une atmosphère "d'absolue sincérité" partagée par le médecin et le patient. Dans les formations de l'avant, il était recommandé aussi de faire pratiquer des exercices physiques préparatoires à la reprise du service au front. Le cinquième et dernier principe, centralité, impliquait l'existence d'une organisation générale cohérente, échelonnée depuis les antennes de l'avant jusqu'aux centres de traitement et de canalisation de l'arrière, puis vers les hôpitaux de l'intérieur et les camps de rééducation, et enfin, pour les patients non récupérables, vers les hôpitaux des Etats Unis. Cette centralisation du dispositif permettait une meilleure régulation du flux des patients et une évaluation exacte des pertes et des récupérations psychiatriques. Enfin, centralité signifiait aussi unité de doctrine et sentiment d'appartenance de chaque centre et de chaque praticien à un système cohérent, où chacun avait reçu une formation identique, se sentait soutenu mais devait aussi tenir le même langage, agir selon la doctrine et rendre compte de son activité.

C - Deuxième guerre mondiale : la circulaire Bradley.

Pendant la seconde guerre mondiale, on mit du temps à mettre en oeuvre la doctrine et les principes de Salmon. En France, la désorganisation de la défaite de juin 1940 relégua au second plan le souci du traitement des blessés psychiques. En Allemagne, où la maladie psychique était considérée comme une tare flétrissant la race, et en URSS, où les commissaires politiques dépêchés aux armées réprimaient impitoyablement toute faiblesse au combat, les blessés psychiques n'osèrent pas extérioriser leur souffrance. Dans l'armée anglaise, où Winston Churchill s'était moqué des propositions de sélection psychique, sous le prétexte qu'il serait inconvenant que des jeunes gens robustes fussent évincés de l'armée "au vu des questions oiseuses par lesquelles messieurs les psychiatres ont coutume de se singulariser", les blessés psychiques – assez nombreux au début de la guerre, ce qui fit dire au Brigadier général Rees que « beaucoup de chevaux s'étaient échappés avant qu'on ne ferme les portes de l'écurie » (c'est-à-dire avant qu'on ne se résolve à appliquer la sélection psychique, début 1941) – furent d'abord évacués sur les hôpitaux de l'arrière, et il en fut de même dans l'armée américaine. Ce n'est que le 26 avril 1943, face au problème d'une perte d'effectifs préoccupante, que la circulaire Bradley prescrivit de traiter sur place, à l'avant, en première ligne, tous les blessés psychiques pendant une semaine, avant de n'évacuer vers l'arrière que ceux qui s'avéraient irrécupérables à court terme. Cette mesure était judicieuse quant au

2

traitement précoce préventif d'une chronicisation, mais elle s'avéra malencontreuse dans la mesure où la circulaire prescrivait d'étiqueter tous ces cas exhaustion (épuisement), ce qui effaçait les distinctions cliniques utiles pour l'étude et le traitement de la pathologie psychique de guerre. La doctrine de l'exhaustion était accompagnée d'aphorismes tels que "c'est une réaction normale à une situation anormale", et "tout un chacun peut atteindre son breakdown point" (point de rupture). Puis survinrent les deux incidents Patton (début août 1943) sur le front de Sicile, où ce général injuria et souffleta deux soldats hospitalisés dans les hôpitaux de campagne de l'avant pour exhaustion. Le premier de ces soldats était une jeune recrue terrorisée par son premier combat, mais le second était un "vieux sergent" couvert de médailles qui ne s'était décompensé qu'au terme de nombreux combats dans des unités de choc (on reconstituait à chaque fois ces unités en y réaffectant les rescapés des unités décimées). Cet incident eut une énorme répercussion médiatique à l'arrière et auprès du public américain, et Patton dut faire des excuses tandis que les psychiatres aux armées purent diagnostiquer leurs cas à leur guise.

Dans un article publié en 1947 dans le Bulletin of the Menninger Clinic, et intitulé A psychiatric treatment program in combat, M.R. Kaufman et L.E. Beaton font état de cette doctrine de psychiatrie de l'avant pour la campagne des Philippines, d'octobre 1944 à mai 1945. Bien que cette dernière phase de la guerre fût un succès pour les forces armées américaines, qui disposaient d'une supériorité manifeste en hommes et en armements et avançaient de victoire en victoire dans leur reconquête des îles, les combats menés par les marines s'avérèrent intenses, meurtriers et psychologiquement éprouvants, du fait de la résistance désespérée et quasi-suicidaire des Japonais. Pendant toute la campagne, l'intensité des pilonnages d'artillerie, l'efficacité des tirs d'infanterie, la durée prolongée d'exposition en première ligne, le spectacle de voir les camarades tués ou blessés et la peur de subir le même sort firent que plus d'un combattant atteignit son point de rupture. La proportion des cas d'exhaustion fut de vingt six pour mille hommes, soit un pour quatre cas de blessure physique, et de 15% de tous les motifs d'admission dans les hôpitaux divisionnaires. L'organisation des soins aux blessés psychiques s'étageait à trois échelons. Au premier échelon, peu de cas purent être traités au niveau des postes de secours des bataillons et des infirmeries régimentaires, qui ne pouvaient s'encombrer de poids morts ni de sources de contagion mentale. La plupart des cas était donc adressée au deuxième échelon, constitué par les compagnies de triage, où se tenait le psychiatre divisionnaire (chaque division était dotée d'un psychiatre trieur). A la compagnie de triage, un traitement sommaire - comprenant douche, repos, nourriture et boisson chaudes, récupération du sommeil et éventuellement administration de sédatifs - pouvait être institué. En 1966, R. Kaufman vint présenter à des psychiatres parisiens un film tourné dans une de ces compagnies de triage, à Okinawa, en avril 1945. On y voyait arriver des exhaustions, épuisés, hagards, le visage encore empreint de terreur ou d'horreur, pris de tremblements à chaque détonation de canon, et sujets à des crises de larmes. Les infirmiers leur coupaient les cheveux, les faisait se doucher, changer de vêtements, manger et boire chaud, et se coucher dans un lit de camp, sous tente. Le psychiatre calmait les plus atteints par hypnose, ou administration d'un sédatif. Malgré cela, certains continuaient de sursauter et de trembler à chaque détonation, car la compagnie de triage était implantée juste en arrière de la ligne de front, et n'était pas à l'abri des bombardements ni même des assauts de l'ennemi. Une psychothérapie élémentaire, individuelle ou de groupe, pouvait être assurée à ce niveau. Les sujets qui étaient calmés au bout de quelques jours retournaient à leur unité ; les autres, qui relevaient d'un traitement plus prolongé, étaient dirigés sur le service de psychiatrie de l'hôpital de campagne, à cinq ou dix kilomètres en arrière. Au début, il y avait un service de psychiatrie de cinquante lits dans chaque hôpital de campagne, doté d'un psychiatre et de six infirmiers. Au fur et à mesure des besoins, la capacité de ces services fut étendue à cent lits, et un des hôpitaux de campagne fut entièrement affecté aux cas psychiques.

La doctrine de traitement était de résoudre le problème de l'expérience traumatique et de restaurer l'équilibre mental et l'efficacité du combattant, et non pas d'explorer les problèmes névrotiques et les conflits du passé. Dans cette expérience traumatique, le psychiatre tenait compte non seulement des facteurs physiques agressants du combat, mais aussi de la peur du sujet, amplifiée par son imagination, et des facteurs interpersonnels et de moral liés aux conflits de groupe et à la culpabilité vis-à-vis des camarades ou du fait de l'obligation de tuer. Le moteur du

3

traitement était la reviviscence abréactive - obtenue sous hypnose, sous narco-analyse ou sous simple incitation au récit - qui ramenait à la conscience du patient le souvenir du détail traumatisant oublié, le déchargeait de son contexte anxieux et servait de point de départ à une psychothérapie brève. Le psychiatre, qui se présentait comme "docteur" et jamais sous son grade militaire, devait établir avec son patient une relation paternelle et incitant à la confiance et à la confidence. L'atmosphère régnante dans ces services de psychiatrie était celle de l'espérance d'une guérison (expectancy) quasi-certaine. Une psychothérapie de groupe, des travaux d'entretien du camp et des activités récréatives collectives consolidaient les acquis de la psychothérapie abréactive et évitaient de laisser le convalescent inoccupé.

L'afflux des patients soulevait un problème de places disponibles. Aussi, pour les convalescents encore incapables de reprendre le service, deux camps de repos divisionnaires, et un camp de repos de corps d'armée, d'une capacité de soixante quinze places chacun, furent créés. Un psychiatre y venait assurer régulièrement des consultations de contrôle. Grâce à ces dispositions, 57% de ces exhaustions purent retourner directement à leur unité, en état de reprendre le combat, et 33% après séjour au camp de repos, ce qui porte à 80 % la proportion des récupérations. Seule une minorité (10% des cas) dut être évacuée sans espoir de récupération à court terme. Pour les combattants qui avaient "craqué", ce retour à l'unité effaçait la honte d'avoir quitté le champ de bataille sans avoir reçu aucune blessure et effaçait aussi, pour l'avenir, la perte du respect de soi-même, source de futurs problèmes névrotiques dans la vie civile. Toutefois, l'expérience montra que, parmi les 57% de récupérés pour le front, malgré leur acceptation explicite ou leur désir de retourner à leur unité, certains sujets insuffisamment rétablis s'effondraient à nouveau dès leur affrontement au combat. Aussi dut-on prendre dans un certain nombre de cas des décisions d'inaptitude temporaire ou définitive au combat. Ces sujets furent affectés à des services d'infrastructure.

A titre d'illustration, Kaufman et Lindsay citaient plusieurs cas, montrant comment le traitement pouvait s'adapter à chacun. Le premier cas était un sergent d'infanterie de 29 ans, ayant effectué quatre ans de service dont trois outre-mer, qui, pris sous une concentration de tirs de mortiers qui causa la perte de 45 hommes, s'était décompensé dans une crise d'agitation confuse, avec panique et désorientation. On obtint, dès le début de l'hypnose, une abréaction où il fit part de son sentiment d'avoir failli à sa responsabilité vis-à-vis de ses hommes, et de sa crainte d'avoir perdu la confiance de ses officiers. Mais, en poursuivant l'hypnose, on fit ressortir une forte hostilité à l'encontre des officiers, qui étaient aussi responsables des pertes dans le bataillon, et à qui le patient s'identifiait. Soulagé par l'abréaction, il dormit bien, et se déclara guéri au réveil. Après avoir un peu participé à des discussions de groupe, il demanda instamment de rejoindre son unité, ce qui fut accordé. Mais, du fait de la culpabilité qui motivait son retour au front, on pouvait douter de son efficacité future au combat, qui impliquait le risque d'un sacrifice expiatoire.

Un autre cas avait été dirigé vers la compagnie de triage en état d'hystérie aiguë, avec stupeur et mutisme. Mis en observation pendant deux jours, il avait persisté dans cet état, en présentant en outre des accès d'agitation et des crises de larmes. Evacué sur l'hôpital de campagne et mis sous hypnose, il se calma, puis extériorisa des affects réprimés, dont une forte agressivité. Une seconde séance d'hypnose parvint à le calmer. Mais il s'agita à nouveau le lendemain en apprenant la mort d'un camarade. Son agressivité ressortit à nouveau, et il finit par faire part du premier événement traumatique qu'il avait éprouvé, à l'occasion de la mort d'un officier qu'il estimait beaucoup. Lui-même avait participé à toutes les campagnes de son régiment depuis le début de la guerre, et, à force de voir des camarades mourir, il perdait l'espoir de s'en sortir vivant. Toutefois, il s'améliora sous l'effet d'un transfert positif sur le psychiatre, et demanda à rejoindre son unité. Cependant, il demeurait fragile, et il fut finalement utilisé comme assistant du psychiatre à la compagnie de triage.

Le quatrième cas est celui d'un vieux soldat de 37 ans, qui avait été sujet sous un tir d'artillerie intense à une angoisse panique extrême, avec pleurs et agitation. Calmé par hypnose à l'hôpital de campagne, il dormit bien la première nuit, malgré un raid aérien. Avec le repos, son anxiété s'estompa, et il déclara se sentir aussi bien qu'avant le bombardement d'artillerie. Mais il se plaignait du dos. Il souffrait du dos depuis l'âge de 18 ans et avait été hospitalisé à 21 ans pendant plusieurs mois pour cela. L'examen physique révéla une scoliose et un raccourcissement congénital de la jambe droite ; mais cela ne pouvait expliquer les tremblements des genoux et des chevilles dont il était pris parfois, ni une attitude camptocormique (tronc plié en avant) qu'il adopta, en exagérant ses douleurs dorsales. Son niveau mental était faible, et il ne se souvenait

4

même plus des préceptes inculqués lors de l'entraînement. Cet homme marié, père de quatre fils dont l'un servait dans la marine, se faisait du souci pour son foyer, et disait avoir beaucoup pensé à sa famille pendant le bombardement. Il éprouvait de l'amertume pour avoir été mobilisé et affecté dans l'infanterie de marine, malgré son âge et sa charge de famille. La participation psychogénique du cas était évidente. Finalement, ce soldat trop vieux et peu motivé fut évacué vers l'arrière, pour un motif somatique, avec indication de réaffectation dans une unité non combattante.

Kaufman et Lindsay faisaient remarquer qu'en fin de compte, ce dispositif étagé de psychiatrie de l'avant se révélait efficace, avec 90% de récupération, si on le comparait aux dispositifs insuffisants qui avaient été mis en place dans les campagnes précédentes : lors de la reconquête des Mariannes, en juillet 1944, c'est 50% des cas psychiques qui avaient été évacués vers les formations de l'arrière, et très peu, évidemment, avaient pu être ensuite réexpédiés en zone opérationnelle.

D - La guerre de Corée : psychiatrie de l'avant en front stable, évacuations en front mobile.

La psychiatrie de l'avant fut instaurée d'emblée au sein des troupes de l'ONU (surtout américaines) lorsqu'éclata la guerre de Corée, en juin 1950. Mais elle ne put être réellement appliquée que dans les périodes de stabilité du front, entre les deux aller-retour rapides d'un bout à l'autre du pays que les campagnes éclair ont impliqués, de juin 1950 à juin 1951, entre les offensives des armées nord-coréennes appuyées par des volontaires chinois et les contre-offensives des forces de l’ONU. Le dispositif semble s'être alors avéré efficace, encore que beaucoup d'évacuation pour pieds gelés aient couvert en réalité des décompensations psychiques (A. Glass, 1953). Lorsque le front était mobile, il fallut évacuer les blessés psychiques vers les navires hôpitaux ou le Japon, sans espoir de récupération.

E - La guerre du Vietnam : les Mental Hygiene Consulation Services.

Lors de leur guerre du Viet-Nam (1964-1973), les Américains installèrent d'emblée un dispositif de psychiatrie de l'avant. Le dispositif, étagé, comprenait 1/ un psychologue et un assistant social auprès du médecin de bataillon, pour réduire sur place les cas les plus simples en quelques heures, 2/ un psychiatre avec des psychologues, des assistants sociaux et des infirmiers à l'échelon de la division (Mental Hygiene Consultation Service ou MHCS), pour traiter les cas plus sévères en quelques jours, et 3/ une équipe plus étoffée à l'hôpital de campagne, disposant de plusieurs psychiatres, psychologues, assistants sociaux et infirmiers, pour des hospitalisations plus longues (plusieurs semaines) et l'évacuation des cas résistants vers le Japon ou la métropole. On appliquait à tous les échelons la doctrine de Salmon, en expliquant au patient qu'il avait eu "une réaction normale à une situation anormale", et en insistant sur le fait que ses camarades l'attendaient et comptaient sur lui pour sa reprise de la vie quotidienne dans son unité. F.D. Jones (1967, 1995), qui fut psychiatre d'un MHCS au Vietnam, rapporte que les instructions étaient de ne pas explorer la personnalité ni les conflits infantiles des patients, mais de centrer la thérapie sur la problématique de la décompensation transitoire au combat. Il fait état de bons résultats de ce dispositif, réduisant le taux des évacuations pour troubles psychiques à 11 hommes pour mille par an (en fait, 7, 11 et 13 dans les trois phases successives de la guerre - montée en puissance, période des combats intensifs, puis désengagement - pour des afflux de consultation aux MHCS de 60, 90 et 160 hommes pour mille dans ces phases respectives). Ce qu'il ne dit pas, c'est que l'on n'en est pas quitte avec le trauma pour en avoir hâtivement réprimé les manifestations initiales spectaculaires, et que le service de santé militaire des USA se préparait des lendemains qui déchantent : à partir de 1973, on observa chez les vétérans du Vietnam revenus dans leurs foyers de plus en plus de post-Vietnam syndromes différés et tardifs (qui correspondent à la névrose de guerre des nosographies européennes), et qui motivèrent en 1980 l'introduction du diagnostic de PTSD dans la troisième révision du système nosologique américain DSM (DSM-III). De 1979 à 1989, 700.000 vétérans du Vietnam (sur les 3 millions de GI qui avaient été expédiés là-bas, soit 24% des effectifs) consultèrent pour PTSD ou troubles apparentés dans les Vet Centers, centres de consultation

5

spécialement créés sur tout le territoire des Etats Unis pour cette pathologie psychique de post-Vietnam.

F - Guerre du Kippour et guerre du Golfe : le psychiatre à l'avant.

Après la seconde guerre mondiale, ce sont les Israéliens qui furent amenés à "redécouvrir" la psychiatrie de l'avant, en particulier lors de la guerre du Kippour, en 1973. Dans les premiers jours de l'affrontement, les pertes psychiatriques, mêmes transitoires, dépassèrent largement le chiffre des pertes en tués et blessés. Des pilotes de chars et des fantassins, au terme d'une journée de combat intensif, et tant sous le coup des facteurs physiques du combat que de ses facteurs émotionnants, étaient épuisés, et aussi désorientés, voire stuporeux. Beaucoup étaient sujets à des crises émotionnelles qui les rendaient incapables de reprendre le combat ; et il fallut improviser à la hâte une relève de beaucoup d'unités, quand c'était possible (Shalev et Tyano, 1975). Aussi, neuf ans plus tard, en 1982, lors de l'opération Tsahal au Liban, le soutien psychiatrique de l'avant fut-il préparé et assuré, et il s'avéra efficace. Z. Solomon (1990) a pu ensuite procéder à une étude statistique rétrospective qui a démontré que les soldats qui avaient présenté une "réaction aiguë de combat" et bénéficié d'un soutien psychiatrique précoce assuré sur la ligne de front guérissaient plus vite, pouvaient reprendre leur service plus tôt et étaient en général exempts de séquelles psycho-traumatiques tardives ; tandis que leurs camarades qui, pour une raison ou une autre, n'avaient pas bénéficié d'un tel soutien et avaient été évacués sur l'arrière, mettaient plus de temps à s'améliorer, n'avaient pas pu reprendre leur service à court terme, et présentaient - pour une grande proportion d'entre eux - des états de stress post-traumatiques chronicisés.

Pendant la guerre du Golfe, la psychiatrie de l'avant fut appliquée d'emblée dans les armées de la coalition occidentale, et cinq psychiatres furent affectés au corps expéditionnaire français. B. Lafont et D. Raingeard (1992) insistent sur le principe d'une stricte intégration du psychiatre au sein du dispositif médical (en l'occurrence à l'Hôpital Mobile de Campagne), afin qu'il ne soit perçu ni comme un corps étranger dévoyant le soldat vers une "psychiatrisation" mal venue, ni comme un obstacle à l'idéal du groupe ou une intrusion dans les prérogatives du médecin d'unité et du commandement. Cela étant, son rôle est d'écouter le consultant au niveau même de la réalité de sa plainte, qui déborde le seul plan du symptôme et se démarque justement de l'idéal du groupe, afin de remettre le patient en état d'adhérer à nouveau à son groupe et à sa mission ; car ce n'est qu'une fois que sa propre image aura été restaurée que le soldat souffrant pourra à nouveau s'appuyer sur le groupe. Il n'empêche que le second objectif de la psychiatrie de l'avant, à savoir la prévention des évolutions psycho-traumatiques chroniques, ne doit pas être négligé ; et le psychiatre de l'avant devra viser à induire chez son patient une nouvelle façon de considérer l'expérience traumatique, et l'adoption d'un nouveau style de langage à ce sujet.

II – HISTOIRE DU DÉBRIEFING.

A - L'Historical Group Debriefing de Marshall.

Les psychiatres militaires s'étaient interrogés sur le travail psychique qui assurait les récupérations rapides à l'avant et détenait un effet préventif des séquelles tardives, et on admit que le fait de ne pas laisser le sujet ruminer tout seul les conséquences de son trauma pendant la phase de latence (phase de méditation) désamorçait cette phase de latence (Crocq, 1969, 1974, 1986, 1990). On pensa aussi, à juste titre, que la verbalisation de l'expérience émotionnelle en dialogue avec un témoin compréhensif et compétent, qu'elle soit ou non occasionnée par une reviviscence abréactive, détenait un effet cathartique, c'est-à-dire procurait le soulagement d'être débarrassé d'une charge émotionnelle jusqu'alors non abréagie ou insuffisamment abréagie, et d'exercer une maîtrise mentale sur le souvenir du trauma au lieu de le subir. On avait remarqué enfin que, lorsque plusieurs soldats traumatisés dans le même événement étaient traités ensemble, en groupe, et discutaient ensemble de l'événement, sous la conduite du thérapeute, leur guérison était plus complète : cette procédure thérapeutique, utilisant et renforçant du même coup la cohésion du

6

groupe, les avait aidé à mieux situer l'événement, à en réduire la portée, et les avait préparés à retourner à leur unité sans avoir cessé de s'y sentir appartenir.

Dans le programme de traitement instauré par Kaufman à Okinawa, la verbalisation de l'expérience traumatisante était englobée comme simple composante d'un ensemble de dispositions et techniques thérapeutiques, à côté de l'hypnose, de la prescriptions de sédatifs et de séances d'occupational-thérapy. En tout état de cause, cela n'avait pas encore débouché sur une méthode systématique de débriefing visant à prévenir les séquelles psychiques uniquement par la verbalisation, individuellement ou en groupe, du bilan psychologique de l'événement.

Le terme de débriefing est d'ailleurs emprunté au vocabulaire militaire opérationnel de la seconde guerre mondiale. Il était utilisé en particulier dans l'aviation pour désigner les séances de bilan critique (technique) des équipages de bombardiers au retour de mission. Avant de partir en mission, les équipages se faisaient prescrire et préciser leur mission (objectif, moyens mis en oeuvre, horaire, déroulement prévu, etc.) dans une séance dite de briefing ; et, au retour de la mission, ils rendaient compte de son exécution, des incidents, des résultats, des pertes subies, etc., dans une séance de débriefing. Il s'agissait de procédures techniques, mais il est certain que des données telles que les dangers encourus, le choc émotionnel du combat et la mort de camarades conféraient à certains de ces débriefings un aspect psychologique, sur lequel d'ailleurs on ne dispose pas de renseignements autres que la notion de commentaires bourrus énoncés par les chefs et celle de point final facilité par le cérémonial des obsèques des camarades tués ou disparus.

A la fin de la guerre (1944), un historien comme S. L. Marshall (1900-1977), qui fut ensuite reporter pour la guerre de Corée et la guerre du Vietnam, avait promu une méthode de narration en groupe pour les soldats qui venaient de connaître un combat éprouvant. Son action se situait dans le cadre du commandement, et en dehors du service de santé. Sa méthode, dénommée plus tard Historical group debriefing, (debriefing historique de groupe), avait pour but de procurer aux participants une description objective et chronologique (d'où l'utilisation de l'adjectif "historique") permettant de comprendre le déroulement d'un combat qui jusqu'alors s'était présenté comme un chaos. Dans le combat moderne, le combattant ne voit que son microcosme de l'action, dispose de très peu d'informations fiables, et « sent » la présence ces autres, amis ou ennemis, plutôt qu'il ne les perçoit objectivement. Dans la méthode de narration historique, Marshall demandait à chacun de décrire le plus précisément possible sa vision de la bataille, dans son déroulement chronologique, et d'écouter les autres raconter ce qu'ils avaient vu. Ainsi se constituait à partir du groupe une reconstruction chronologique et objective de la bataille, où chacun pouvait mieux se situer et sur laquelle il pouvait exercer une première maîtrise mentale, à savoir la compréhension. Les consignes de Marshall étaient de décrire les faits avec le maximum de détails, de faire fi provisoirement de la hiérarchie (pendant la séance tous les témoins étaient égaux, et le témoignage d'un cadre ne valait pas plus que celui d'un soldat), de donner priorité aux faits sur les sentiments (encore que l'esprit de groupe pouvait être invoqué, et que la mort de camarades conservait son impact émotionnel) et de reconstituer la bataille dans l'ordre chronologique. Marshall estimait que cette méthode "dissipait le brouillard du combat" et que les participants s'en sortaient soulagés et confortés dans leur self-estime. Marshall avait identifié quatre facteurs positifs agissant dans ces procédures : 1/ elles valorisaient le rôle individuel du combattant, 2/ elles mettait en valeur la mission de son unité, 3/ elles permettaient d'évacuer les peurs, les émotions, les frustrations et les rancoeurs éprouvées pendant l'action et même pendant le service, et 4/ elles orientaient les sujets vers la verbalisation du conflit, les détournant ainsi des passages à l'acte nuisibles tels que rixes, alcoolisme et retrait dépressif.

B -Le Special Psychiatric Rapid Intervention Team de l'US Navy (1977), et le Stress Management Team de l'US Army (1979).

Mais, on n'utilisait pas encore le mot débriefing pour désigner ces procédures. Aux Etats Unis, ce n'est que dans les années 1975-80 que les procédures de débriefing, inspirées de la doctrine de psychiatrie de l'avant, furent à nouveau utilisées et codifiées. En 1977, l'U.S. Navy créa un

7

Special Psychiatric Rapid Intervention Team (ou SPRINT), spécialement chargé d'assurer une assistance médico-psychologique aux victimes de catastrophes et d'accidents. Deux ans plus tard, en 1979, à l'occasion de la prise en otage du personnel de l'ambassade américaine à Téhéran, le Département d'Etat Américain constitua des équipes de débriefing (Debriefing Teams) avec la participation des personnels de l'armée, de l'aviation et de la marine. Le psychiatre de l'armée Robert Sokol, qui participa à l'élaboration, la préparation et l'exécution de ces opérations, fut chargé ensuite d'organiser un tel dispositif au sein des forces d'occupation américaine en Allemagne (dans les années 1980) et put intervenir efficacement lors de détournements de navires (l'Achille Lauro) ou d'avions (le Boeing de la compagnie T.W.A. à Beyrouth en mai 1985), ou à la suite d'accidents aériens (soutien psychologique aux soldats d'un contingent américain des forces d'interposition de l'ONU dans le Sinaï, après qu'un premier contingent eût péri à Terre-Neuve lors du crash de l'avion de transport qui les ramenait aux Etats Unis).

En 1986, Sokol présenta son dispositif et son activité lors d'une réunion de psychiatrie des forces armées britanniques, au Royal Army Medical College de Londres, à laquelle nous étions conviés à assister. Il avait dénommé son équipe Stress Management Team (ou SMT), dans le cadre de l'U.S. Army Europe (ou USAREUR), sous le commandement des forces armées de l'OTAN (Combined European Command ou EUCOM). Sur le plan de la doctrine, il avait repris les cinq principes de Salmon, et y avait ajouté un sixième, en les ordonnançant différemment, pour constituer le sigle mnémotechnique "BICEPS". BICEPS signifiait : 1/ B pour briéveté (brevity) du traitement, de l'ordre de deux à trois jours, 2/ I pour immédiateté (immediacy) de l'intervention, le plus tôt possible après l'événement, 3/ C pour centralité (centrality), ou exigence de traiter toutes les victimes ensemble, dans le même lieu, et si possible hors d'un établissement médical pour éviter que les sujets s'identifient comme des malades, 4/ E pour espérance (expectancy), c'est-à-dire conviction chez les soignants que les sujets devraient rapidement de dégager de leur choc émotionnel, et pour ces derniers qu'ils devraient bientôt retourner à leur travail ou leur vie habituelle, 5/ P pour proximité (proximity) de la zone de combat, ou tout au moins proximité relative, si cela est possible, de l'endroit où a eu lieu l'incident et 6/ S pour simplicité (simplicity) du traitement, qui devait être interventionniste, porter sur l'événement sans chercher à explorer le passé infantile et viser à renforcer les défenses de l'ego des victimes dans une approche reconstructive. Sokol précisait que c'est en connaissance de cause qu'il avait adopté le mot débriefing pour désigner cette procédure de traitement et de prévention, bien que le terme - emprunté aux procédures militaires opérationnelles - fût inadéquat pour parler des activités thérapeutiques ; mais, fidèle aux considérations qui avaient inspiré ses prédécesseurs de la seconde guerre mondiale, il tenait à éviter que les rescapés et les victimes ne se considérassent comme des malades (" the term was initially choisen for our psychiatric work to avoid any implication of psychologic illness").

Le noyau de l'équipe montée par Sokol se composait d'un psychiatre chef d'équipe, d'un psychiatre plus jeune, adjoint au chef et tenant la fonction d'officier de liaison pendant la phase complexe de préparation, d'un psychologue, de deux assistants sociaux et d'un prêtre (chaplain). Ce noyau pouvait être étoffé, au gré des besoins, par d'autres personnels de ces catégories, prélevés pour la circonstance sur les effectifs des hôpitaux des forces armées américaines en Europe. A noter que, maintenant encore, les chaplains font partie des équipes de debriefers anglo-saxonnes, aux USA, au Royaume Uni, en Australie et en Nouvelle Zélande.

Les interventions se divisaient en quatre phases : 1/ préparation (planning and preparation), 2/ extraction-triage (retrieval-triage), 3/ bilan psychologique (debriefing), et 4/ réinsertion (reentry). Sokol soulignait l'importance de la phase de préparation, qu'il ne fallait négliger en aucun cas ; car un debriefing improvisé à la hâte conduit souvent à l'échec. Dans cette phase de préparation, qui doit déterminer le nombre et la qualité des personnels d'intervention, et définir nettement leurs rôles, l'officier de liaison doit aussi établir de multiples contacts avec les institutions et les personnels extérieurs qui seront impliqués dans les opérations, afin d'assurer l'intendance de l'opération (locaux, couchage, nourriture, passeports, vêtements civils), et aussi d'éviter les défauts de coordination, les empiétements de responsabilité et les conflits. Pour les personnels sélectionnés, la phase de préparation est l'occasion d'une charge émotionnelle et d'une

8

anxiété anticipatrice qui, si elle n'est pas explicitée et réduite, peut avoir un retentissement nuisible sur la suite des opérations ; aussi conçoit-on aisément que cette phase soit aussi ipso facto une phase de briefing.

La phase d'extraction-triage, correspondant au premier contact des personnels de l'équipe avec l'ensemble des victimes à débriefer (avant leur répartition en petits groupes), a pour but d'apporter un premier soutien psychologique aux victimes, tout en les informant sur le déroulement des opérations. Elle correspond à ce que l'on dénomme aujourd'hui defusing (soit désamorçage ou déchocage). Elle doit s'effectuer dans l'ordre, avec un minimum d'autorité, pour ne pas laisser s'installer un style désordonné qu'il sera ensuite difficile d'abandonner. Cependant, il convient aussi de laisser les victimes satisfaire leur besoin spontané de parler, et de ne pas étouffer les premières abréactions éventuelles. Les membres de l'équipe doivent observer chaque victime, noter son style de réaction et ses défenses spontanées, potentiellement adaptatives ou inadaptatives. Sokol avait remarqué que, dans le cas de figure des prises d'otages, les otages ont tendance, dans ces premiers instants de libération, à perpétuer les défenses qu'ils avaient adoptées pendant leur captivité, et que ce n'est que lors du débriefing proprement dit qu'ils accèderont a leur authenticité. Les membres de l'équipe doivent observer aussi le fonctionnement du groupe des victimes, ses sous-groupements spontanés (choix des sièges et des voisinages, échanges de propos) et ses tensions. Ils peuvent aussi intervenir dès ce stade pour soutenir des défenses adaptatives qui s'esquissent. A noter que cette phase de premier contact avec les victimes peut être stressante pour les membres de l'équipe, et que ce stress - s'il n'est pas contenu et dissimulé - peut retentir d'une manière néfaste sur les victimes elles-mêmes. Il y a évidemment des cas de figure (petit effectif de victimes, accessibilité immédiate au local du débriefing) où cette phase d'extraction-triage débouche immédiatement, avec les mêmes personnels, sur la phase de débriefing.

La phase de débriefing proprement dit peut ne pas succéder immédiatement à la phase d'extraction-triage, dans le cas par exemple où des otages rapatriés soient distraits de leur besoin d'être débriefés par les cérémonies d'accueil. Les otages ou les rescapés peuvent être aussi sollicités par de multiples catégories de personnels (soignants somaticiens, police et enquêteurs, services sociaux, et même journalistes) qui estiment chacun que leur intervention est prioritaire. Sokol fait remarquer que, dans certaines opérations, il a dû arracher ses victimes à une masse confuse d'intervenants en compétition pour les mêmes clients, et que cette atmosphère n'était pas propice à restituer la sérénité. Concernant d'ailleurs la nécessité d'une ambiance calme, il recommande de tenir les sujets, qui sont en état d'éréthisme émotionnel, à l'abri de toute stimulation visuelle ou auditive nocive ou parasite. Il s'étend peu sur la technique même du débriefing. D'après son expérience, la méthode doit combiner les principes de la psychothérapie individuelle avec les techniques de la thérapeutique de groupe, et, de toute façon, la consigne générale est d'encourager les victimes à s'exprimer le plus spontanément possible, voire de relancer ceux qui demeurent silencieux, et d'intervenir activement pour atténuer les sentiments de honte et de culpabilité. Il avait remarqué que le groupe, de toute façon, intervient lui aussi spontanément dans ce sens dès qu'un de ses membres extériorise de tels affects. Il y aurait, d'après lui, deux styles de débriefing de groupe : le style "expérientiel", centré sur le simple échange d'expériences entre les membres, et le style "éducationnel", dans lequel l'équipe intervient pour donner une information scientifique sur la nature et la normalité des symptômes ressentis et des symptômes à venir éventuellement. D'après son expérience, ce deuxième style s'avérerait plus efficace tant pour réduire le troubles présents que pour prévenir l'installation de séquelles. Quoi qu'il en soit, à son avis, l'action thérapeutique de chaque membre de l'équipe est facilitée par le besoin que ressent chaque victime d'être écoutée et soutenue, comme en témoigne l'étonnante facilité avec laquelle les victimes établissent des liens affectifs profonds et intenses avec les thérapeutes.

La phase de réinsertion (ou plus exactement de préparation à la réinsertion) doit faire partie de la procédure thérapeutique. Car on ne peut laisser les victimes affronter sans soutien l'univers physique, social et affectif de leur environnement antérieur. Elles viennent de faire l'expérience d'un monde irréel, effrayant et déshumanisant, et elles en ont été extraites pour être recueillies dans le cocon protecteur et sécurisant du débriefing. Ce cocon leur a permis d'expliciter leur expérience et

9

de faire le point sur l'événement. Mais, elles ne sont pas encore prêtes à faire face aux sollicitations du monde extérieur. Aussi, le débriefing doit-il se poursuivre par l'incitation à la récupération de leur autonomie. Au delà de cette dernière aide, quand elles quitteront ce cocon ou ce sas, elles ne doivent plus être des assistés. C'est en ce sens que Sokol dit que l'équipe doit les aider à "préciser leurs options". Comme exemple de cette récupération d'autonomie, Sokol cite le cas des otages de l'avion de la TWA à Beyrouth, qui ont, en fin de débriefing, élu celui des leurs qui serait chargé de faire des déclarations à la presse, et défini les grandes lignes de ce qu'il devrait dire ou ne pas dire. Il dit aussi que l'équipe, tout en respectant impérativement la confidentialité de ce qui a été dit au cours des séances intimes du débriefing, doit travailler avec les familles et les amis des victimes, les aider à clarifier leur attitude et les conseiller sur la conduite à tenir.

Sokol n'impose pas de cadre ni de protocole rigide au débriefing, qui doit s'adapter aux circonstances et aux contraintes matérielles et administratives.

Dans le cas de l'avion de la T.W.A. retenu à Beyrouth en juin 1985 par des terroristes islamiques, la phase d'extraction-triage des 39 passagers pris en otage s'est effectuée dans l'avion du retour, qui les ramenait de Beyrouth à Ramstein (en Allemagne). Il ne fallait pas perdre de temps, ni les laisser sans soutien se morfondre pendant ces quelques heures de vol, en proie à des ruminations mentales morbides découlant de leur aventure (en particulier l'illusion d'avoir été abandonnés). Aussi Sokol dut-il envoyer à Beyrouth une équipe (un team) de huit "psy" (soit un psy pour cinq otages), qui durent commencer leur travail en répartissant les otages par petits groupes dans la cabine de l'avion du retour, ce qui imposait des contraintes d'espace et de bruit, car les avions militaires ne sont pas insonorisés comme les avions des lignes civiles. La phase de débriefing proprement dite, différée par la cérémonie d'accueil, fut - contrairement au principe de non-médicalisation - effectuée à l'hôpital de Wiesbaden, où les rescapés avaient été hospitalisés pour bilan médical ; et elle se prolongea sur trois jours, fractionnée en séances intercalées entre les autres interventions (bilans de santé, enquête de la C.I.A. et réunions avec les familles). De plus, en complément des séances de débriefing orthodoxe, les membres de l'équipe ont poursuivi leur action d'observation et de thérapeutique lors de réunions informelles, à l'occasion par exemple des repas ou du coucher.

L'intervention auprès des soldats de la 101ème division aéroportée lors de leur rapatriement sur les Etats-Unis, après le crash de l'avion qui ramenait leurs camarades, fut menée différemment : Sokol envoya six membres de son équipe au Caire (aéroport d'embarquement) pour préparer les hommes à embarquer et les aider à effectuer le deuil de leurs camarades. Cela fut fait en séances de groupe et en entretiens individuels pour certains cas (l'effectif se montait à 240 hommes, répartis sur deux vols). Cette intervention fut plus appuyée auprès des cadres, qui avaient été plus profondément impliqués dans la préparation du vol terminé par le crash à Terre-Neuve. A la première escale, en Sicile, l'équipe fut à même de juger que le débriefing avait été suffisamment efficace et qu'il valait mieux montrer aux hommes qu'on leur faisait confiance pour la clôture de leur deuil et leur capacité à poursuivre le vol sans appréhension. En accord avec les cadres, l'équipe se retira donc et rejoignit sa base en Allemagne.

Lorsqu'il fit cet exposé, en 1986, Sokol pouvait établir un premier bilan très satisfaisant de l'activité de son équipe. Sur le plan technique, une méthodologie précise tout en étant souple avait été mise au point. Les conditions de coopération avec les autres services de soin et de soutien, et avec les agences gouvernementales, avait été définies et éprouvées. Les résultats, concernant aussi bien la sédation des troubles psychiques immédiats que la prévention des séquelles à long terme, s'avéraient satisfaisants.

C - L'application du debriefing dans l'armée américaine.

Lors du symposium international Stress, psychiatrie et guerre de la Section Militaire de l'Association Mondiale de Psychiatrie, qui s'est tenu à l'Hôpital d'Instruction des Armées du Val-de-Grâce à Paris les 26 et 27 juin 1992, et dont l'un des objectifs était de faire le point sur la psychiatrie de guerre au lendemain de la guerre du Golfe, le psychiatre américain G. Belenky, du Walter Reed Army Institute of Research, rapporta deux interventions de débriefing qu'il avait effectuées sur le terrain à l'occasion d'incidents critiques survenus au sein du 2ème Régiment de Cavalerie Blindée U.S., pendant les opérations, entre janvier et mars 1991 (G Belenky 1992).

10

La première fois, on lui avait demandé d'intervenir auprès d'un infirmier qui était très affecté pour n'avoir pas réussi à sauver un de ses camarades, grièvement blessé par l'explosion accidentelle d'un obus. Ce soldat avait maladroitement frappé cet obus en creusant son trou individuel. L'obus avait explosé et fait exploser en même temps les grenades que le soldat portait sur lui. Deux jeunes infirmiers, inexpérimentés, avaient tenté, avec l'aide de quelques soldats, de ranimer le blessé. La tentative de réanimation fut dramatique car l'air insufflé en bouche à bouche s'échappait par les blessures du thorax déchiqueté, du cou et de l'orbite. Les infirmiers poursuivirent vainement leurs efforts, jusqu'à ce qu'un médecin, arrivé trente minutes plus tard, jugeât la situation sans espoir et ordonnât de cesser la réanimation. Les infirmiers ne pouvaient se reprocher leur insuffisance d'expérience car le soldat serait mort de toute façon, même si le médecin avait été là immédiatement. Un des infirmiers paraissait particulièrement choqué, et fut ainsi signalé au psychiatre, qui disposait ainsi d'un "patient identifié", en termes de jargon professionnel. Mais le psychiatre s'aperçut tout de suite que l'autre infirmier, les camarades du mort et les cadres de la section étaient eux aussi affectés et attristés. Aussi proposa-t-il de réunir tout le groupe pour procéder à un débriefing de reconstruction. Le lendemain matin, il put réunir ces quinze personnes dans leur tente, assises en cercle sur leur lit de camp. Et il leur fit revivre, instant par instant, ce qui était arrivé, avec tous les détails, même si ces détails étaient sanglants. Par deux fois l'infirmier choqué (le patient identifié) se leva et, au milieu du cercle, le regard à l'horizon, raconta ce qu'il avait vu, ce qu'il avait fait et ce qu'il avait ressenti. Ses camarades, qui avaient douté de sa compétence, l'écoutèrent et se rendirent compte qu'il avait fait tout ce qu'il était possible de faire, et qu'eux-mêmes à sa place n'auraient pas mieux fait. Ils considérèrent alors l'infirmier sans critique ni reproche. D'autres considérations émergèrent : par exemple que le soldat mort était marié et que sa femme venait d'accoucher deux semaines avant ; le commandement avait convenu que ce soldat serait prioritaire pour l'obtention d'une permission, pour aller voir son fils, mais que cette mesure serait différée, afin qu'il puisse commencer les opérations avec ses camarades. On évoqua de la malchance et on discuta des "si. et si…" Au bout de deux heures de débriefing, la situation était apaisée, et les hommes moins tendus. Le groupe se dispersa en groupes plus petits, dans lesquels les hommes continuèrent de discuter. Ensuite, la section reprit normalement son service et fonctionna bien ; l'infirmier qui avait été choqué se comporta très bien et mérita l'estime de ses camarades.

La seconde fois, il n'y avait pas de patient identifié, et Belenky procéda à un débriefing systématique après incident critique. Il s'agissait d'un incident de tir "ami", dans lequel deux véhicules de flanc gauche d'un peloton de six véhicules de combat "Bradley" avait été détruits par le feu des deux véhicules de flanc droit du même peloton, qui les avaient pris pour des ennemis. Heureusement, grâce aux équipements de protection (écrans anti-incendie et gilets pare-balles) les équipages des véhicules détruits (cinq hommes par véhicule) s'en étaient sortis indemnes. Quand le psychiatre et son équipe arrivèrent, les hommes du véhicule tireur venaient tout juste de se rendre compte de leur méprise. L'équipe psychiatrique assista à la première confrontation entre l'équipage tireur et l'équipage cible. Au terme du débriefing, qui dura quatre heures, le déroulement de l'événement et l'imputabilité de ses véritables causes avaient été compris par tous. Il était clair que toute une série d'erreurs commises par différents personnels avait conduit à la situation sur le terrain et à l'erreur de tir. Ainsi, la responsabilité fut reportée sur un plus grand nombre d'individus et sur des procédures opérationnelles inadaptées. Une fois rentrée à sa base en Allemagne, la compagnie fut réunie par le commandement pour un nouveau débriefing - technique cette fois-ci - où furent explicités et critiqués tous ces défauts de procédures et de coordination, qui font que les tâches isolées de chacun, même scrupuleusement effectuées, peuvent concourir, combinées, à un résultat global incohérent et nuisible. Le rôle du psychiatre, outre son action thérapeutique pour apaiser l'effervescence émotionnelle et expliciter et réduire les conflits de groupe, avait été aussi d'explorer la dimension humaine du combat et d'éclairer le commandement sur les failles que cette dimension humaine ménageait dans le déroulement des opérations.

Pour d'autres unités américaines engagées dans le Golfe, les débriefings eurent lieu soit précocement, tandis que les troupes étaient encore stationnées en Arabie Saoudite, soit plusieurs mois après les combats, une fois que les soldats étaient revenus aux Etats Unis. Dans un article du Journal of the US Army Medical Department de Novembre-Décembre 1992, R. Koshes et B. Rowe font état des résultats d'une enquête sur cette activité de débriefing et relatent leur propre expérience dans ce domaine. Sur 58 questionnaires d'enquête envoyés à des chefs d'unités psychiatriques de l'US Army, ils n'en revint que 19, soit 32%, parmi lesquels 74% mentionnaient des activités de débriefing au profit d'unités ayant été engagées dans l'opération "Tempête du désert". L'effectif total des sujets débriefés se montait à 150 sujets, soit 1 pour 10.000 hommes d'effectif. La plupart des psychiatres qui avaient répondu avaient eux-mêmes effectué un à trois débriefings de compagnie ou de bataillon. La moitié des débriefings avaient été organisée par le service de santé et la moitié par le commandement. 83% des psychiatres déclaraient n'avoir pas appliqué de procédure standard

11

(S.O.P. ou "Standard Operating Procédure"). Une minorité d'entre eux (un sur cinq environ) déclarait s'être enquis des résultats de leur débriefing. La plupart des débriefings avait eu lieu dans les deux semaines suivant le retour aux Etats Unis. Beaucoup de psychiatres avaient reçu une formation préalable au débriefing, mais quelques uns n'avaient qu'une très pauvre information ou formation dans ce domaine. L'enquête révélait un besoin d'information en débriefing, et l'opportunité de déterminer une doctrine et de réaliser un manuel. combat.

Concernant leur propre activité de débriefing, Koshes et Rowes précisaient qu'autant que possible, cette activité avait débuté bien avant l'engagement des unités au combat. Dès la mobilisation des unités de réserve, les auteurs et leur équipe - chaque équipe comprend un psychiatre, un psychologue, un assistant social et des "techniciens psychiatriques" (infirmiers ?) - s'étaient fait désigner ces unités et les avaient préparées par un "pré-débriefing" (par conséquent, un briefing) comprenant cinq objectifs : 1/ le soutien de l'activité médicale, 2/ l'installation du briefing, 3/ l'entraînement à l'activité de santé mentale, 4/ la liaison avec les services sociaux et l'aumônier (le chaplain), et 5/ la préparation des commandants d'unité (ce dernier point s'avérant primordial). Cette première phase fut effectuée aux Etats Unis, pendant l'entraînement militaire des unités, et fut poursuivie après leur arrivée en Arabie Saoudite, avant l'engagement. Les débriefings proprement dits eurent lieu soit dans les deux mois qui avaient suivi les combats, alors que les soldats étaient encore stationnés en Arabie Saoudite, soit plus longtemps après (plus de deux mois), une fois les soldats revenus aux Etats Unis. Les auteurs pensent qu'il ne faut pas effectuer le débriefing en immédiat ou post-immédiat (dans la premières heures ou les premiers jours), car il est alors lui-même vécu comme traumatique par des sujets qui sont encore sous le coup de leur stress. Ils préconisent d'attendre au moins quelques jours, une fois que les soldats ont pu bénéficier de conditions matérielles (abritement, sommeil, repos, nourriture) favorables. Mais, si on attend trop, les unités peuvent être dispersées et, de toute façon, on court le risque de laisser le temps aux processus morbides de s'organiser, de se pérenniser et d'ouvrir sur des passages à l'acte (actings out). La propre expérience des auteurs leur a enseigné que, pour les débriefings précoces effectués en Arabie Saoudite, l'équipe des débriefers était vécue comme "invasive" et s'attirait des réactions d'agressivité des soldats, inconvénient non observé dans les débriefings tardifs effectués après le retour en métropole. Mais, pour ces débriefings tardifs, un autre inconvénient apparaissait : les soldats avaient des difficultés à se concentrer sur leur expérience de la guerre, car leur esprit était occupé par la perspective de la démobilisation et du retour au foyer. Pour les auteurs, le moment opportun était peu de temps après le retour en métropole. De toute façon, à leurs yeux, la durée et la conduite de la séance de débriefing importait plus que le moment de sa réalisation.

Koshes et Rowe donnaient quelques exemples de leur activité de débriefing. La compagnie C , composée de réservistes d'artillerie mobile, avait entrepris son entraînement intensif un mois avant son départ pour l'Arabie Saoudite, et continua son entraînement pendant trois semaines une fois arrivée là-bas, avant son déploiement au Koweit. Pendant ces trois semaines, les hommes se plaignaient de la carence du courrier et de l'absence de postes téléphoniques pour communiquer avec leurs familles. Dans son avance au Koweit, précédant l'infanterie, elle perdit deux hommes, l'un blessé au visage par des éclats d'obus, et l'autre décédé deux jours après avoir sauté sur une mine qui lui avait arraché une jambe. Quand elle revint en Arabie Saoudite, le commandement demanda aux psychiatres de pratiquer un débriefing pour cette compagnie. La séance dura deux heures. Les soldats s'y plaignirent de n'avoir pu diriger leur vie personnelle à leur guise (ils se plaignaient surtout du manque de communication avec leurs familles) et dérivèrent cette frustration vers des accusations d'incompétence de leurs chefs. En outre, beaucoup parlaient de leur appréhension avant le combat, venant du manque d'informations reçues à ce sujet, et de leur vécu d'incertitude de l'issue de la bataille. Les auteurs récusent à ce sujet les "solutions de facilité" qui consisteraient pour les débriefers à faire chorus avec les soldats pour reporter toute la responsabilité du malaise psychique sur le commandement et sur quelques boucs émissaires. Six mois après le retour aux Etats Unis, le commandement demanda un second débriefing pour cette compagnie, en signalant qu'un accident de véhicule (un véhicule dont le conducteur avait perdu le contrôle avait fauché un groupe de cinq soldats en train de réparer un autre véhicule) avait tué un soldat, blessé un autre et provoqué un choc émotionnel sur trois autres. Les circonstances de la scène avaient été émotionnellement éprouvantes, la cervelle du soldat agonisant sortant par ses conduits auditifs à chaque effort que faisaient ses camarades pour le réanimer. L'accident avait ému les seize hommes de la section, et le commandant de la compagnie demandait le débriefing pour la section entière, et demandait aussi à y participer. Pendant la séance, un des soldats impliqués se montra très loquace, exprimant ses sentiments

12

ressentis pendant et après l'accident, et faisant part de ses symptômes de reviviscence et de ses difficultés à revenir à la réalité. Il disait qu'il se sentait nerveux quand il voyait des véhicules du même type que les véhicules accidentés et quand il conduisait sur la route où avait eu lieu l'accident, et qu'il évitait cette route. Un des hommes se montra très tranquille pendant la séance et fut le seul à décliner l'offre d'un entretien individuel ultérieur. Le commandant précisa que cet homme, chargé de tâches administratives, s'était occupé de l'enquête sur l'accident. Un autre soldat, qui avait pratiqué le bouche à bouche à l'agonisant, avait avalé un peu de sang et craignait d'avoir contracté le SIDA ; un test négatif le rassura. Le groupe se montra empathiquement solidaire des hommes impliqués dans l'accident, et plusieurs hommes se mirent à parler de leur expérience de combat relative à l'opération "Tempête du Désert" et même à la guerre du Viet-Nam. Le jeune soldat qui avait été le plus choqué lors de l'accident accepta un entretien individuel avec le psychiatre, et fit part alors de plusieurs deuils qui l'avaient frappé récemment. Il demanda à être suivi ensuite en consultation par le service de santé mentale.

Dans leurs recommandations finales, les auteurs préconisent de poursuivre les recherches, tant sur la technique du débriefing que sur la pathologie psycho-traumatique observée lors de guerres précédentes, et dont toutes les leçons n'ont pas été tirées. Ils insistent sur la nécessité d'une préparation, tant en ce qui concerne les équipes de santé mentale qu'en ce qui concerne le commandement, qui doit être sensibilisé à la question par les services sociaux. La préparation doit être intensifiée à l'approche d'opérations de guerre, par la mise en place de "pré-débriefings" (donc de briefings) dans les unités appelées à participer aux opérations. Il n'est pas opportun que le commandant d'unité participe au débriefing de ses hommes ; les auteurs préconisent d'organiser plutôt des débriefings à part réservés aux commandants d'unité.

Toujours est-il que ces premiers essais de débriefing dans l'armée américaine ont débouché en 1993 sur l'édition d'un "guide du débriefeur" (Debriefer's Guide to Critical Event Debriefing), d'une simplicité caricaturale dans son désir d'être pratique. L'objectif et le processus psychologique du débriefing y sont exposés en des termes qui prêtent pour le moins à critique 1.

"Il s'agit de restituer à l'unité sa cohésion antérieure, de réduire très rapidement chez les soldats la détresse physique et émotionnelle, de prévenir la détresse à long terme, et de sauvegarder l'efficacité future et le bonheur, aussi bien au sein de l'unité que dans la famille. Il ne faut pas perdre de vue que les soldats sont des personnes normales qui ont survécu à un facteur de stress anormal. Le débriefing est un entretien préventif et de bon sens de l'esprit humain comme le nettoyage d'une mitraillette après une bataille dans le désert. Son esprit est un peu grippé, on nettoie un peu et ça repart".

Une telle conception du débriefing souligne l'ambiguïté de son utilisation : soit débriefing psychologique, soit débriefing psychiatrique.

Dans le premier cas, le débriefing s'adresse à tous les sujets ayant été impliqués dans un "incident critique", et non identifiés comme patients manifestes ou potentiels ; le but est de mettre les sujets en état de contrôler le souvenir de l'événement, de préserver la cohésion et l'efficacité de l'unité et peut-être de prévenir l'apparition de troubles psycho-traumatiques ; ce débriefing peut être assuré par du personnel non médical.

Dans le second cas, le débriefing s'adresse à des sujets qui présentent des symptômes (symptômes de stress normal ou de stress dépassé), qui sont donc identifiés comme patients manifestes et comme patients potentiels (pronostic d'évolution psycho-traumatique) ; le but est de réduire ces symptômes et la pathologie qui les sous-tend, et d'éviter une évolution morbide ; l'efficacité militaire et la cohésion de l'unité ne sont que des effets accessoires de cette action thérapeutique ; ce débriefing psychiatrique doit être assuré par des psychiatres, assistés de personnels de santé (infirmiers et psychologues cliniciens). En outre, la métaphore de la mitraillette souillée de sable témoigne d'une conception simpliste de la catharsis comme nettoyage ou purgation, alors que la catharsis, tant chez Aristote que chez Freud, est un processus beaucoup plus différencié, qui procure la maîtrise et l'apaisement par la parole maïeutique.

1 M. Lassagne et P. Dubellé, 1998.

13

D - 1983 : le Critical Incident Stress Debriefing (CISD) selon J. Mitchell.

En 1983, le psychologue américain Jeffrey Mitchell, lui-même ancien pompier, eut l'idée de reprendre la technique de Marshall et les premières applications militaires du SPRINT et des SMT pour définir et codifier des procédures de débriefing, applicables aux équipes de sauveteurs civils, pompiers et policiers. Son but était de réduire les perturbations émotionnelles immédiates ou en incubation, chez les pompiers et les sauveteurs au lendemain des "incidents critiques" survenus pendant les opérations de secours dans les catastrophes, et de faciliter la reprise de leurs pleines capacités au travail et la bonne réinsertion au sein de leurs familles. ("to protect and support EMS personnel and to minimize the development of abnormal stress response syndromes which may cause lost time and effectiveness at work and problems within the family"). Dans une publication de1988, Mitchell a affiné sa méthode et en a édicté les normes d'application. Par la suite, la méthode a été adoptée aux Etats Unis et dans les pays de langue anglaise par des psychologues, des médecins et des cadres, dans des applications diverses, ce qui fait qu'il est difficile d'en distinguer les applications de routine des applications de prévention, voire de thérapeutique. En principe, Mitchell préconise sa méthode à l'usage des psychologues, des assistants sociaux et des cadres, pour le maintien opérationnel des sauveteurs et la prévention des troubles post-traumatiques, mais ne l'envisage pas comme outil thérapeutique en psychiatrie. En fait, concernant la prévention, il y a chevauchement de terrain entre le cadre et le psychiatre, puisque la prévention est affaire aussi bien du commandement que du psychiatre. Dans une publication de 1995, J. Mitchell et G. Everly font état de douze années d'expérience, avec des interventions à l'occasion d'une tornade dans le Wisconsin (1984), de séismes à Mexico (1985), au Salvador (1986) et en Californie (1989), d'un accident aérien en Californie (1986), d'une fusillade à Palm Bay en Floride (1987), d'un attentat à la bombe à New York City (1990), des ouragans Hugo en Caroline du sud (1990), Andrew à Miami (1992) et Iniki à Hawaï, de soutien d'équipes humanitaires en Somalie (1993) et en Yougoslavie (1993) et d'inondations au centre-ouest des USA (1993-1994).

Pour Mitchell, le débriefing des incidents critiques est une méthode d'accueil des sujets impliqués dans ces incidents et de gestion de leur émotion. Elle s'appuie essentiellement sur la reconstruction cognitive de l'événement et l'information du caractère normal des pensées, réactions et symptômes manifestés à l'occasion de cet événement. Elle consiste à faire raconter l'incident par les participants, à savoir ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont pensé et ce qu'ils ont ressenti, ce qui permet à chacun, en écoutant le récit des autres de reconstituer objectivement cet événement, de s'apercevoir que les comportements et symptômes des autres ont été semblables aux siens, puis – après avoir écouté les explications fournies par le leader – de mieux comprendre l'incident, de critiquer ses réactions, et, ayant établi une synthèse ainsi éclairée par les apports de la connaissance, de sortir de la séance soulagé des préoccupations gênantes issues de l'incident et prêt (psychologiquement mieux armés) à faire face aux nouveaux incidents à venir.

Le moment opportun pour mettre en oeuvre la procédure de débriefing est, pour Mitchell, 24 à 72 heures après l'incident, une fois que les sujets ont émergé du halo d'irréalité inhérent à l'incident, une fois qu'ils commencent à se sentir moins perturbés, et une fois qu'ils commencent à prendre un peu de recul ; une fois aussi, peut-être, que les nouveaux symptômes psycho-traumatiques gênants aient commencé à émerger, après le court moratoire attenant à l'euphorie qui suit immédiatement l'incident. Le lieu du débriefing doit être un lieu "neutre" ; il ne doit pas être le lieu de l'incident, et si possible il ne doit pas être le lieu de l'institution à laquelle appartiennent les personnels impliqués. Il doit s'agir d'un endroit calme, sécurisant, et à l'abri des stimulations parasites, telles que sonneries de téléphone, sirènes et autres bruits. D'ailleurs, pendant le débriefing, dont la durée est en général de deux à quatre heures, il est demandé aux participants de ne pas s'absenter de la salle et de ne pas téléphoner ni recevoir d'appels téléphoniques. Sur le plan de l'aménagement matériel, le mieux est de disposer d'une petite salle pourvue d'une grande table, ronde, ovale, carrée ou rectangulaire, autour de laquelle les participants et les personnels de débriefing sont assis, ce qui permet à chacun de voir tous les autres et de pouvoir appuyer les mains sur la table pour se donner une contenance (on a remarqué que, sans table, les sujets assis face à face sur des chaises sont gauches et se sentent gênés). Mais, dans des situations plus démunies de

14

moyens, chez les militaires en campagne par exemple, on peut se contenter d'une tente dans laquelle on fait asseoir les sujets en cercle sur leur sac ou même par terre.

Les personnels qui assurent les débriefings sont des personnels de santé mentale et des sauveteurs (emergency workers) motivés pour apporter un soutien de pair (peer support) à leurs camarades traumatisés. Les personnels de santé mentale appelés à faire partie des équipes de débriefeurs doivent être titulaire d'une maîtrise (master degree) en psychologie, en service social, ou d'un diplôme d'infirmier psychiatrique, ou de conseil en santé mentale. Ils sont spécialement entraînés dans les domaines d'intervention de crise, de stress, de PTSD et de débriefing d'incident critique. Les personnels de soutien aux pairs (peer support personels) sont recrutés parmi les métiers à haut risque (police, armée, pompiers, urgentistes, infirmières d'urgence et sauveteurs spécialisés dans les catastrophes), et ils ont reçu aussi une formation spécialisée en débriefing. Pour tel ou tel débriefing, on les choisira en fonction de l'incident critique et des sujets impliqués (on choisira par exemple des policiers si l'incident critique a concerné des policiers, et des pompiers si l'incident a concerné des pompiers).

Le débriefing doit être assuré par un leader, psychologue, médecin, assistant social ou cadre, spécialement formé à cette procédure. Si possible, ce leader ne doit pas relever de l'institution à laquelle les personnes à débriefer appartiennent ; il doit venir d'un organisme extérieur à l'institution. De toute façon, il ne doit en aucun cas avoir été impliqué dans l'incident ; en particulier, le chef de l'équipe impliquée dans l'incident ne peut pas être désigné pour assurer le débriefing de son équipe, même si sa fonction lui impose de procéder à un débriefing "technique" de la mission. Le leader se fait seconder par un ou plusieurs personnels de débriefing, également spécialement formés à ces procédures. Selon les variantes, ces personnels peuvent être missionnés pour intervenir en appui du leader ; dans la plupart des cas, ils ont surtout pour mission d'observer et de noter (lorsque la procédure a prévu que des notes soient prises, ce qui est déconseillé par Mitchell), car le leader ne peut à la fois dialoguer avec le sujet qu'il est en train d'interroger et surveiller attentivement les réactions des autres, et encore moins prendre des notes en même temps. Ces personnels doivent signaler discrètement au leader, pendant le déroulement du débriefing, les sujets qui présentent des signes de décompensation émotive, de retrait ou d'irritation.

Le débriefing s'applique à tous les personnels de secours impliqués par un "incident critique" : sauveteurs, pompiers, policiers, infirmiers, cadres, assistants sociaux, psychologues et médecins, individuellement ou en groupe. Mitchell préconise de l'appliquer aussi aux victimes et aux rescapés, bien qu'il se défende d'en faire une méthode thérapeutique. Pour lui, le débriefing se distingue de l'intervention thérapeutique par quatre points : 1/ déroulement strict (du débriefing) versus déroulement souple (de la thérapie), 2/ raconter l'événement versus le revivre, 3/ ne pas interpréter versus interpréter, et 4/ expliquer, dédramatiser et conseiller versus écoute neutre. Le débriefing peut être appliqué individuellement, pour un seul sauveteur ou une seule victime. Plus souvent, il est effectué en groupe, à tout le groupe ou toute l'équipe, cadres et exécutants inclus, qui a été concerné par l'incident. L'optimum de fonctionnement du débriefing se réfère à un effectif de cinq à douze personnes, ce qui permet à chacun de s'exprimer plusieurs fois suffisamment longuement pendant une séance de deux à quatre heures. Si l'effectif est plus important, il est recommandé de le répartir en sous-groupes de sept à dix personnes, répartis au hasard ou en fonction de leur profils de postes.

La procédure du débriefing se déroule en sept étapes. La première étape, dite "d'introduction" (introduction), consiste à présenter aux sujets le cadre, la démarche et les règles de la méthode ; leur dire qu'il ne s'agit ni d'une enquête, ni d'une thérapie pour des malades, mais d'une discussion de bilan, pour des sujets normaux ; les assurer de la confidentialité absolue qui couvrira tout ce qui sera dit et exprimé ; les assurer que les démarches narratives vont permettre aux sujets de se dégager de l'aspect "absurde" de l'incident. La deuxième étape, dite "des faits" (fact), consiste à faire décrire par chacun des sujets ce qui s'est passé avant l'événement, pendant et après ; on incite les sujets à faire cette description avec le plus de précision possible, et en faisant appel à ses expériences sensorielles : vue, ouie, odorat, etc. Chacun doit dire aussi ce qu'il a fait, et ce qu'ont

15

fait les autres, ou du moins ce qu'il a vu ou entendu les autres faire. Ainsi, en racontant, il se rend compte qu'il n'était pas seul ; et, en écoutant les récits des autres, il se rend compte que, maintenant encore, il n'est pas seul. Peut-être aussi, dès ce moment, est-il en mesure de compléter sa vision partielle de l'événement par les apports cognitifs venant d'autrui, et peut-il déjà rectifier ce qu'il y a d'erroné dans sa vision de l'événement. La troisième étape, dite "des cognitions" (though), consiste à demander au sujet de dire ce qu'il a pensé avant, pendant et après l'événement, et ce qu'il en pense maintenant. Mitchell recommande même d'ajouter la question "qu'est-ce que cela vous a apporté, culturellement ?" (question difficilement applicable, à notre avis, aux événements de guerre). La quatrième étape est celle "des réactions" (reaction); il s'agit pour les sujets d'identifier leur vécu, et de l'exprimer, et aussi de parler de leur réaction et de leurs relations aux autres à ce moment ("qu'avez-vous ressenti ? Comment avez-vous réagi ? Quelle a été l'incidence de l'événement sur vos relations interpersonnelles ? Avez-vous eu l'impression de ne pas être compris ?"). Au cours de cette étape, le leader intervient pour expliquer la normalité de ces réactions, et qu'il s'agit de "réactions normales à une situation anormale". La cinquième étape, dite "des symptômes" (symptom), fait dire et inventorie les divers symptômes, somatiques et psychiques, ressentis au cours ou au décours de l'événement. La sixième étape est celle de "l'enseignement" (teaching): en termes simples, le leader y intervient pour expliquer ce qu'est le stress et son évolution, ainsi que son impact sur le travail et la vie du sujet. Il insiste sur le caractère "normal" des symptômes et malaises ressentis, "dédramatise" leur vécu et signale le rôle bénéfique de l'hygiène de vie et du "soutien social" (social support) apporté par l'entourage. Dans cette étape, il ne fait pas qu'exposer la théorie du stress, mais il répond à chaque question, constituant ainsi un tissu d'informations adapté à la demande des sujets, qui disposeront ainsi d'un ancrage cognitif (cognitive anchor). La septième et dernière étape est celle du "retour d'expérience" (reentry), et de la synthèse. En groupe, chacun a pu s'exprimer, parler autant qu'il le désirait et obtenir les informations qui lui manquaient. Le leader explique alors aux participants qu'en parlant et en écoutant les autres raconter ce qu'ils avaient vu, et exprimer ce qu'ils avaient ressenti, ils ont acquis une meilleure connaissance, objective et complète, de l'événement, qu'ils ont compris la "normalité" de ce qu'ils avaient ressenti, qu'ils se sont débarrassés de ce qui les gênait, et que, maintenant, ils ressortent plus "forts" de cette expérience. Le leader distribue alors un document explicatif, auquel les sujets pourront ensuite se référer, et profère des propos encourageants qui orientent vers l'avenir. Il est attentif à l'état émotionnel de tous et s'assure que chacun est en état de renter chez lui.

Pour cette conduite du débriefing, Mitchell insiste sur le fait que l'on ne doit pas confronter d'emblée les sujets avec leur vécu émotionnel ; que l'on doit partir du niveau sécurisant et impersonnel des faits, puis passer au niveau personnel des pensées, "descendre" ensuite au niveau sensible des émotions et des symptômes, avant de "remonter" à celui de l'explication et de la connaissance de ces émotions, puis au niveau de l'explicitation des pensées (de telle manière que des pensées rationnelles se substituent aux pensées inadéquates) et revenir enfin au niveau des faits, éclairés cette fois de toutes les informations et explications nécessaires, de telle manière que le sujet soit débarrassé de sa vision partielle et erronée de l'événement, pour la remplacer par la connaissance objective de cet événement. Et il illustre cette démarche par une courbe en V, où le haut des deux branches du V se situe au niveau narratif, la partie médiane de chaque branche au niveau cognitif, la pointe du V au niveau affectif : on part à gauche dans le narratif, on descend dans les cognitions, on descend plus profond dans les émotions, puis on s'explique sur les émotions et les symptômes, remonte à droite dans les cognitions (cognitions sur les émotions) et on termine au niveau narratif de la description objective et armée de connaissances, dédramatisée et ouverte sur un avenir positif. Certains utilisateurs du schéma de Mitchell le défendent encore plus, en disant que c'est le seul schéma qui permette d'expliciter et de démonter le caractère "absurde" du trauma, ce en quoi il est non-sens de la vie, hasard, injustice, chaos, néant. Toutes les pensées centrées sur ces aspects, et tous les éprouvés de décontenancement et de désarroi qui y sont liés, une fois précisés et exprimés, puis explicités et commentés, perdent leur pouvoir destructeur sur l'esprit et laissent place à des pensées plus objectives et plus sereines sur l'événement. D'autres commentateurs signalent que, à l'expérience des débriefings, c'est la variable "cohésion de groupe" qui constitue le facteur le plus protecteur contre les perturbations psychiques, et que c'est donc le

16

levier sur lequel le leader du débriefing doit s'appuyer pour conforter les participants au cours de la séance.

E - 1986 : le consultant debriefer selon Beverley Raphael (Australie).

En Australie, Beverley Raphael (1986) a recommandé des lignes de conduite pour le debriefing des sauveteurs après une catastrophe (en l'occurrence, il s'agissait d'une catastrophe ferroviaire). Le debriefer doit explorer les divers aspects de l'expérience des sauveteurs et de leurs réponses à l'événement. Les consignes sont moins précises que chez Mitchell : on fait asseoir les participants en cercle, on leur distribue des boissons et on les invite à discuter avec le "consultant" (le debriefer) d'une large gamme de sujets : la frustration ressentie dans leur rôle, leur sentiment d'absence de secours, leur peur de mourir eux-mêmes dans l'espace étroit du sauvetage, l'horreur et la terreur à la vision des cadavres, et les images intrusives qui ont suivi, les cauchemars et les accès d'angoisse, les difficultés à parler de leur expérience avec leur famille, et l'impossibilité de décharger leur émotion après la mission, ainsi que de devoir intervenir à nouveau dans d'autres accidents et catastrophes sans avoir pu faire le bilan personnel de leur récente expérience. Au cours de ces entretiens, le consultant "aide les participants à admettre le caractère compréhensible et naturel de leurs peurs, à extérioriser leur expérience, à développer leur capacité de maîtrise sur l'événement et à se sentir soulagés".

Raphael conçoit le but du debriefing comme prioritairement préventif : "aider les sauveteurs à gérer leur inévitable stress afin d'éviter que d'autres problèmes apparaissent". La théorie de la cicatrisation est mise en avant : "il s'agit, dans cette révision de l'événement, de donner aux participants une structure cognitive et un soulagement émotionnel qui les aidera à mettre un point final à cet événement et à prendre de la distance par rapport à lui". Raphael prescrit aux debriefers d'explorer six domaines au cours de la séance : 1/ la connaissance exacte de l'événement, 2/ Les expériences personnelles de l'événement, en faisant ressortir les vécus et sentiments négatifs, et les vécus et sentiments positifs, 3/ le type de relation du sauveteur avec les autres sauveteurs et avec son milieu familial, 4/ l'empathie vis-à-vis des victimes et des autres sauveteurs, 5/ le désengagement du rôle du sujet dans l'événement, et 6/ l'intégration de l'expérience dans l'histoire professionnelle et personnelle du sujet.

F - 1991 : le Multiple Stressor Debriefing Model (MSDM) d'Armstrong.

A l'occasion de l'intervention des personnels de la Croix Rouge lors du tremblement de terre du 17 octobre 1989 à Loma Prieta (près de San Francisco), Keith Armstrong a conçu et développé une méthode de débriefing des intervenants qui se démarque du modèle de Mitchell en ce sens qu'il a dû s'adapter aux différents cas de figure (délai d'intervention, lieu d'intervention, durée de l'intervention) qui avaient impliqué des facteurs de stress différents. Le séisme avait fait 250 morts, 2.700 blessés, et plus de 69.000 sans abri. Les personnels de la Croix Rouge avaient dû fournir des abris aux rescapés, servir 642.000 repas et donner des subsides à 14.000 familles nécessiteuses.

A la différence des pompiers et sauveteurs de l'urgence, dont l'intervention immédiate et ponctuelle est essentiellement technique et ne donne pas la priorité aux échanges verbaux avec les rescapés, les personnels de la Croix Rouge interviennent après délai de plusieurs heures ou plus, mais restent plus longtemps sur le terrain et au contact avec les rescapés (jusqu'à 16 heures par jour pendant 8 semaines), avec qui ils ont des conversations plus attentionnées, plus longues et réitérées. Armstrong a identifié 12 facteurs de stress (stressors) inhérents à ces missions : 1/ multiplicité des contacts avec les victimes traumatisées, 2/ temps long passé auprès d'elles, 3/ environnement de travail détérioré, 4/ changement radical par rapport aux missions de routine, 5/ peur des ondes de réplique et des éboulements, 6/ manque d'expérience de la plupart des personnels vis-à-vis de cette situation, 7/ pour certains, le fait d'avoir été récemment exposés à une autre catastrophe (l'ouragan Hugo), 8/ le fait de devoir fournir un effort de soutien important et prolongé, sans précédent, 9/ l'environnement spécifique du désastre urbain, 10/ la fait de devoir rester longtemps éloigné de son

17

domicile, 11/ avoir affaire à une population politiquement hostile (quartiers noirs et porto-ricains), et 12/ image de marque de la Croix Rouge négative chez cette population.

Il y avait, entre les personnels, des disparités d'exposition à ces facteurs de stress. Certains étaient intervenus dès le premier jour, d'autres seulement après plusieurs semaines. Certains n'avaient eu qu'un rôle administratif, et d'autres un rôle de secours directement au contact des sinistrés, etc.

Armstrong a organisés ses debriefings par groupes de 20 personnes, avec un leader et un co-leader par groupe. L'équipe d'hygiène mentale de la Croix-Rouge (the Mental Health Staff) avait fortement incité les personnels à profiter de ces debriefings, et tous étaient volontaires pour participer à ces séances dont la durée avait été fixée à une heure et demi. Certains groupes étaient composés uniquement d'opérationnels ou uniquement d'administratifs, et d'autres groupes combinaient les deux provenances. Il y eut des avantages et des inconvénients (dont le phénomène de bouc émissaire) à chacune de ces dispositions. 70% des personnels de terrain étaient des femmes, et se montraient plus émotionnées par ce qu'elles venaient de vivre.

Le modèle proposé par Amstrong comprenait quatre phases : 1/ la découverte (disclosure, c'est-à-dire révélation) de l'événement, 2/ les sentiments et les réactions, 3/ les stratégies de faire face (coping), et 4/ la clôture (termination). Dès l'ouverture de la séance, le leader exposait les buts et règles du debriefing, et donnait toute assurance quant à la confidentialité.

Lors de la phase de découverte, où chacun décrivait ce qu'il avait vu, le leader et son co-leader pouvaient discerner quels étaient les incidents et facteurs qui avaient été stressants, et la discussion de groupe sur ces incidents permettait de renforcer la cohésion du groupe.

Dans la phase des sentiments et réactions, les participants parvenaient à ventiler leurs sentiments et réactions en fonction des incidents en cause. Beaucoup de participants se servaient du tableau noir pour préciser l'incident en question. Les leaders disaient aux participants que leurs réactions étaient normales pour ces situations et que cela les soulagerait d'en parler. En établissant que ces symptômes seraient transitoires, on créait un environnement moral propice au soutien de groupe pour en discuter. On discutait aussi du sentiment d'insatisfaction et de déception né de l'ingratitude ou de l'agressivité de certaines victimes face aux efforts des personnels pour leur venir en aide. On explorait aussi la façon dont cela avait affecté leur vie familiale, dont ils avaient été longtemps absents.

Pendant la phase des stratégies de coping , on discutait des réponses normales ou pathologiques, et on développait avec les participants les nouvelles stratégies à adopter pour affronter des situations similaires, et la manière de reprendre harmonieusement la vie familiale. Comme stratégies, on recommandait : l'exercice, une bonne alimentation, des pauses dans le travail, les activités délassantes, le partage (share, mise en commun) des sentiments avec les collègues, la participation à des réunions de travail, le maintien du contact avec la famille et les amis, et les procédés qui visent à atténuer d'avance le stress à venir lors d'une mission. Bien que les participants manifestassent de la réticence et de la culpabilité à ainsi d'occuper d'eux-mêmes, on leur expliquait que c'était le seul moyen efficace pour mieux servir les victimes.

La phase de clôture (termination) permettait de faire ressortir l'aspect positif de l'intimité des relations qui venaient de s'établir au cours du débriefing, de se dire au revoir, et de se préparer à retourner chez soi et reprendre son travail habituel, ce qui représente un stress caché, ou même explicite dans la mesure où les personnels de la Croix Rouge sont stigmatisés par une mauvaise publicité, semblable à celle qui a frappé les vétérans du Vietnam. Un suivi individuel était proposé à ceux qui estimaient devoir rencontrer de graves problèmes de retour ou même de stress traumatique.

18

L'enseignement que tirait Armstrong de sa méthode est qu'il est utile d'adapter le débriefing au plus près des stressors spécifiques entrés en jeu, que la durée des séances pouvait opportunément être portée à 2 heures, pour des effectifs qu'il convenait de réduire à 12 ou 15 personnes, et que le recours à des supports visuels était utile pour préciser les faits et les réactions.

G - 1994 : le debriefing selon Shalev (Israël).

En 1994, A. Shalev, au terme d'une revue critique des travaux de Mitchell et de Raphael, et en se référant aux travaux de Van der Kolk (la mémoire traumatique est une mémoire d'image, et le processus de guérison va consister à y substituer une mémoire verbalisée), aux travaux d'Horowitz (les composantes intrusives du chagrin (grief) normal se répètent indéfiniment dans le PTSD sans pouvoir être menés à leur terme, et le débriefing devra les faire évoluer jusqu'à leur terme), aux travaux de Lazarus (l'évaluation (appraisal) est le processus de saisie cognitive de l'événement, et le debriefing devra assurer la réorganisation cognitive de cette saisie), et aux travaux de Loftus (la mémoire traumatique peut être modifiée par présentation d'une nouvelle information peu de temps après l'événement), retient neuf cibles sur lesquelles le debriefing devra agir pour modifier les comportements, les émotions, les attitudes cognitives et les facteurs de groupe inhérents à l'expérience traumatique :

1/ le mauvais contrôle émotionnel (emotional dyscontrol) : terreur, panique, tristesse, culpabilité, sentiment d'échec, retrait affectif,

2/ le dysfonctionnement cognitif (cognitive dysfunction) relatif à l'hyperexcitabilité : rétrécissement du champ cognitif, difficulté de concentration, labilité de l'attention),

3/ la dispersion des schémas cognitifs (shattered cognitive schemata) de contrôle, de sécurité et d'invulnérabilité,

4/ la perte de la capacité à jouir des contacts interpersonnels,

5/ l'effet "membrane traumatique" de Shatan (résultant de l'incapacité du sujet à se désengager de l'expérience traumatique et à resituer l'événement dans la continuité de son histoire),

6/ le conditionnement traumatique (persistance des images, réponses émotionnelles conditionnées à des stimuli qui rappellent le trauma),

7/ l'impact du chagrin (impacted grief), et l'incapacité à engager un processus de deuil normal,

8/ les effets de groupe traumatiques, tels que projection, désignation de bouc émissaire, attitudes antisociales et nihilistes,

et 9/ l'information erronée concernant l'événement, sa survenue et les réactions auxquelles il a donné lieu.

A l'intention des debriefers, Shalev assigne comme buts du debriefing : 1/améliorer la communication entre les membres du groupe, 2/ resserrer la cohésion du groupe, 3/ améliorer la capacité des sujets à affronter de futures expositions traumatisantes, et 4/ symboliser et attribuer du sens à l'événement. Et, à l'intention des sujets à débriefer, il assigne les buts suivants : 1/ réduire le débordement émotionnel, 2/ réduire la désorganisation cognitive, 3/ accroître l'efficacité personnelle, 4/ faciliter l'expression des émotions et restituer la capacité à profiter du plaisir, 5/ se désengager de l'atmosphère de la catastrophe, 6/ acquérir de nouvelles techniques d'adaptation (coping), 7/ initier le processus de deuil, 8/ donner une légitimité aux sentiments et aux émotions, et 9/ rectifier les informations erronées.

Dans des déclarations et publications ultérieures, Shalev se montrera très critique quant à l'efficacité du débriefing, allant même jusqu'à affirmer que des essais contrôlés sur des groupes de victimes soumises ou non à débriefing (mais est-il légitime de procéder à de tels essais et de décider

19

arbitrairement que telle ou telle victime sera privée de traitement ? ) avaient montré que les groupes débriefés n'en retiraient aucune amélioration, ou même voyaient leur état s'aggraver. A notre avis, cela ne met pas en cause le principe même du debriefing, mais la technique utilisée : cela tend à montrer que les techniques "narratives" et "objectivantes" enfonceraient les victimes dans la fascination pour leur trauma et entretiendrait leurs symptômes de répétition. On verra plus loin que les techniques purement narratives empêchent le sujet d'accéder au langage maïeutique qui, seul, lui permet de dire l'indicible et de découvrir le sens-pour-lui de son trauma.

H - 1997 : le Process Debriefing (PD) d'Atle Dyregrov

En 1997, le Norvégien Atle Dyregrov, du Center for Crisis Psychology de Bergen, faisant état d'une dizaine d'années d'application du débriefing chez des sauveteurs ou des victimes, et de plusieurs campagnes de formation des personnels à sa technique, prône une technique dérivée de celle de Mitchell mais plus centrée sur l'utilisation de la psychologie des groupes, tant pour l'exploration que pour le soutien social. Il dénomme son modèle Process Debriefing (ce qu'on pourrait traduire par "Processus de debriefing").

Dyregrov conserve la progression selon les phases définies par Mitchell, mais en fusionnant la phase des symptômes à celle des réactions, ce qui réduit le nombre des phases à six. Et, surtout, il met en jeu une forte mobilisation du soutien groupal (groupe support), qui va exercer son action bénéfique sur chaque membre du groupe. Toutefois, Dyregrov distingue sa technique de la psychothérapie de groupe, et des groupes d'auto-entraide (self-help group). Le process debriefing appartient au domaine de l'intervention de crise, et il ne dure qu'une séance. Bien que d'autres variables entrent en jeu, ses trois axes dominants sont le leadership, les caractéristiques du groupe et les facteurs d'environnement du groupe.

Concernant le leadership, Dyregrov constitue l'équipe de debriefing d'un leader et de deux co-leaders, qui ont reçu une formation et un entraînement adéquats. Leur qualification en santé mentale compte moins que leur motivation et leur capacité à se comporter en peer support (soutien par un pair). Car (selon Dyregrov) l'expérience a montré que des peers motivés et dotés d'une grande capacité de compréhension empathique étaient plus efficaces que des professionnels de santé mentale. Le leader et les co-leaders doivent apporter une attention particulière à la phase de préparation, qui doit durer au moins deux heures, pour bien connaître en particulier de quel événement il s'agit et quel groupe ils ont à débriefer. La phase d'introduction, qui doit durer au moins 10 minutes, ne doit pas être ratée : car, d'emblée, elle définit les règles du jeu, elle propose un modèle de relation interpersonnelle et elle instaure la confiance. La relation du leader à ses co-leaders doit servir de modèle de relation pour les participants : langage, ton, écoute et communication non verbale. Ni autoritarisme, ni passivité suspecte de manque d'intérêt, ni compétition, mais coopération, et règle démocratique. Ensuite, dès la phase des faits, l'attitude du leader et des co-leaders doit suggérer un style de comportement : chacun parle à son tour, personne ne monopolise la parole, on évite de se tenir en retrait (attitude du corps), ou de fixer son regard toujours sur la même personne, etc. Quand le leader se tourne vers un participant qui parle, pour lui manifester son intérêt, les co-leaders orientent leur attention vers le reste du groupe. Après chaque intervention, le leader remercie le participant par de brèves paroles ou un signe d'assentiment. Tout cela facilite un climat de confiance et renforce la cohésion du groupe. Le leader doit aussi réduire, sans brusquerie mais fermement, les points négatifs, que sont les a parte et l'exposé de problèmes personnels sans rapport avec l'événement ("ce point paraît très important pour vous et nous pourrons en discuter en particulier après la séance").

Dans les caractéristiques du groupe, la culture du groupe a une grande importance, pouvant susciter l'adhésion ou la résistance au processus de débriefing. Les groupes déjà constitués (équipes de pompiers ou de policiers) bénéficient d'une cohésion acquise et d'une habitude à utiliser le soutien social ; tandis que dans les groupes fortuits (par exemple les passagers d'un avion pris en otages), ces acquis manquent, et il va falloir aménager le temps et le déroulement de la séance en conséquence, pour faire naître ces dispositions. Les femmes ont tendance à accéder plus rapidement

20

à la phase de l'expression des émotions, tandis que les hommes s'attardent sur celle des faits. Certains groupes constitués ont déjà l'habitude des discussions de groupe, des débats collectifs et des réunions de crise, et cette expérience préalable a renforcé la cohésion du groupe et la tolérance réciproque de ses membres, ainsi que leur disposition au débat collectif. D'autres groupes, trop hiérarchisés, sont dominés par la méfiance, le retrait de chacun sur soi et reflètent l'opposition de leur hiérarchie au débriefing. Dans de tels groupes, les participants peuvent craindre que l'expression de leur émotion, considérée comme signe de faiblesse, soit exploitée plus tard contre eux par leur hiérarchie ou leurs collègues. Au sein des groupes de sauveteurs déjà constitués, l'histoire du groupe s'avère importante : autant elle a pu renforcer la cohésion, autant elle a pu mûrir des conflits internes ; en outre, l'évocation d'un événement traumatique antérieur, et mal assimilé, peut relancer le pouvoir traumatisant de l'événement actuel, dont la présentation trop émotionnelle de péripéties peut créer chez certains participants une traumatisation secondaire. De même, dispenser une information inadéquate sur les styles de faire-face (coping) et la normalité des réactions peut susciter de l'angoisse chez les participants. Les obstacles groupaux au processus de débriefing devront être surmontés : problème de domination, de recherche de se mettre en valeur, ripostes agressives, reproches, accusations, désignation de boucs émissaires, formation de sous-groupes, avec parfois opposition au leader et aux co-leaders, etc. Le recours à la règle démocratique permettra de résoudre bien des difficultés de cette sorte. L'homogénéité du groupe peut tenir à la similarité des rôles (par exemple un groupe de sauveteurs), mais elle peut être battue en brèche par la disparité des expositions au danger, et la composition selon le sexe et l'âge. Il arrive qu'on doive alors fractionner le groupe en sous-groupes relativement plus homogènes. Enfin, Dyregrov recommande, en cas de risque d'avoir affaire à un groupe opposant, d'y introduire des membres du groupe qui n'étaient pas présents lors de l'événement : à son avis, cela réduit le risque de "group exclusion", car ces sujets extérieurs sont susceptibles de mieux comprendre l'expérience de leurs collègues et d'apporter un soutien social plus disponible.

Concernant l'environnement du groupe, Dyregrov préconise la disposition en rectangle plutôt qu'en cercle, avec rassemblement du leader et des co-leaders à un bout du rectangle : cela facilite les interactions au sein de l'équipe leader, et évite la dispersion d'attention des participants. Les dispositions de dimension de la table, du nombre de chaises, et de provision de boisson doivent être prises avant l'ouverture de la séance, de manière à exercer un effet positif de préparation sérieuse et de bon accueil lorsque les participants pénétreront dans la salle. On éliminera dès le début les facteurs disruptifs tels que téléphone mobile, et on ne fera pas de pause au cours de la séance. Les participants pourront se servir de boisson librement à tout moment de la séance. Enfin, Dyregrov déconseille l'utilisation de supports visuels (diapositives, rétroprojecteurs) pour l'exposé de la phase d'information : l'aide qu'ils apportent est défavorablement contrebalancée par l'effet disruptif qu'ils provoquent dans le climat psychologique du groupe. La durée du Process Debriefing doit être comprise entre 2 heures et 3 heures et demi, même si les participants réclament une prolongation. Toutefois, il est déconseillé d'imposer un créneau de temps rigide au début de la séance, le mieux est de proposer "environ deux heures", par référence à la coutume.

Enfin, Dyregrov récapitule dans un tableau les buts et les fonctions de chaque phase du Process Debriefing, en insistant sur la dimension groupale. La phase d'introduction a surtout pour but d'établir l'autorité de l'équipe leader et la confiance des participants ; la phase des faits crée une compréhension de la réalité de l'événement commune à tous ; la phase des réactions et symptômes contribue à effacer ou prévenir les images intrusives et à dissiper la tension anxieuse qu'elles suscitent, réduit l'engagement émotionnel et l'identification à l'événement, mobilise le soutien du groupe, et prévient les ruminations mentales et la culpabilité ; la phase d'enseignement (teaching) fournit un cadre de référence pour la compréhension des réactions, réduit l'hyperexcitabilté et l'état de peur, et propose des stratégies de faire face (coping) ; la phase finale (end phase) se focalise sur les leçons acquises et assure la capacité à faire face pour le futur. L'ensemble des phases perfectionne la structure cognitive des participants, normalise leurs réactions et les dote d'un apprentissage utile pour faire face aux événements futurs. De l'avis de Dyregrov, les participants déclarent que le fait d'avoir pu parler les uns aux autres de leur expérience est l'apport primordial du

21

Process Debriefing ; tandis que les cliniciens estiment que le plus important est d'avoir pu mettre les pensées et les émotions en mots (putting thoughts and emotions into words).

III – L'EXPÉRIENCE FRANCOPHONE : VERBALISATION DES EMOTIONS PLUTOT QUE RECIT FACTUEL.

A – Les dix principes de L. Crocq (1992-1995)

En France, la première expérience de débriefing de sauveteurs a été effectuée le 9 mai 1992, soit quatre jours après la catastrophe (L. Crocq), sur des soignants qui étaient intervenus lors de l'effondrement de la tribune du stade de Furiani (5 mai 1992), au cours d'une partie de balle au pied (football). L'accident avait provoqué la chute de 3.000 personnes, dont 1.000 avaient été blessées, et 12 décédées. Une vingtaine de personnels du SAMU de Bastia (médecins, infirmiers, ambulanciers) avaient demandé à rencontrer un psychiatre ou un psychologue spécialisé en intervention de catastrophe, qui fut dépêché de Paris. Ces personnels venaient de participer au secours de cette masse de blessés sans discontinuer pendant deux jours et deux nuits, et ils étaient épuisés, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Submergés par l'ampleur de la catastrophe, à laquelle ils avaient dû faire face seuls pendant les premières heures avec des moyens limités (les renforts étaient venus de Paris, Marseille et Nice plus tard), devant annoncer à leurs amis et connaissances (Bastia est une petite ville où tout le monde se connaît) que leurs enfants étaient gravement blessés ou décédés, tandis qu'eux-mêmes étaient sans nouvelles de leurs propres enfants, ils ressentaient en outre un sentiment d'échec injustifié et un profond chagrin, le tout dans l'atmosphère de désolation et de deuil qui étreignait toute la ville.

Le debriefing a été organisé au SAMU de la façon suivante, dans une salle où tables et chaises étaient agencées de façon rectangulaire. Dans un premier temps, le psychiatre a demandé au médecin chef du SAMU de procéder tout seul (le psychiatre n'étant pas présent dans la salle) au debriefing technique de l'événement, avec les 20 personnes qui étaient désireuses d'y participer : quelles étaient les dispositions prises et les incidents redoutés (bagarres entre supporters), quels moyens avaient été mis en place, quelle a été la nature et la topographie de la catastrophe, quelles ont été les interventions, leurs résultats, le triage et les évacuations, etc., et quel bilan technique pouvait-on établir entre l'ampleur des besoins et la limitation des moyens ? Ce debriefing technique a duré une heure et demi.

Puis, immédiatement, dans la même salle, on a procédé au débriefing psychologique , assuré par le psychiatre qui est venu s'asseoir à côté du chef du SAMU. La consigne a été de parler spontanément, en levant la main si on désirait intervenir, de ce qu'on avait ressenti pendant ou après la catastrophe, pendant ou après l'action. De parler comme cela venait, sans chercher à imposer un plan ou un ordre chronologique à son discours. De dire si on ressentait de l'insatisfaction de sa propre action ou de l'aide apportée par les autres, et des secours arrivés du continent ; et de dire comment on se sentait maintenant, au quatrième jour. Les interventions ont été nombreuses, et souvent déclenchées à l'occasion de propos qui venaient d'être prononcés par un camarade. Certains participants sont intervenus plusieurs fois, d'autres une seule fois. La solidarité et le soutien mutuel des participants ont été très forts. Le psychiatre est intervenu pour donner la parole à tel ou tel qui le demandait, éviter les a parte et la dilution de la discussion en discussions séparées, faire préciser des ressentis et des symptômes, puis, en fin de séance, pour donner quelques explications sur le phénomène de stress et la dimension psycho-traumatique légitimement ressentie dans des catastrophes de cette ampleur. La séance a duré deux heures et demi. Les participants ont quitté la salle soulagés.

Le lendemain, d'autres personnels du SAMU, de l'hôpital et de cliniques ou agences d'ambulances privées, ayant entendu parler du debriefing prodigué à leurs collègues, ont demandé à être débriefés à leur tour. Et des personnes débriefées la veille ont demandé à se joindre à eux, parce qu'elles sentaient qu'elles avaient encore des choses à dire. Une nouvelle séance fut donc organisée, par le psychiatre aidé du chef du SAMU. L'effectif des participants fut plus important (34 personnes au lieu de 21), ce qui fit que la séance fut plus difficile à ordonner et dura plus longtemps (plus de trois heures). Les participants, malgré ces difficultés, purent tous s'exprimer et partirent soulagés eux aussi.

22

Le lendemain, quatre ou cinq personnels ont demandé à voir le psychiatre en particulier, pour parler encore, et de façon plus intime, de leur malaise et de leurs symptômes. Des conseils ont été donnés, dont celui de consulter les psychiatres locaux pendant quelque temps. Le conseil a été plus ou moins suivi. Mais, au cours de missions effectuées à Bastia par deux fois à six mois d'intervalle, le psychiatre debriefeur a revu deux de ces personnes dont l'état, quoique très amélioré, persistait sur un mode psycho-traumatique chronique.

Le 25 décembre 1994, le médecin chef de l'aéroport d'Orly demandait que des psychiatres vinssent accueillir des passagers rescapés d'une prise d'otages dans un avion. Il s'agissait d'un AIRBUS de la compagnie Air France, sur la ligne Alger-Paris Orly, où quatre terroristes islamistes avaient pénétré dès le départ à l'aéroport d'Alger le 24 décembre au soir en se faisant passer pour du personnel de contrôle d'émigration, puis s'étaient fait connaître comme terroristes et avaient maîtrisé l'équipage. Armés et ceinturés d'explosifs, ils avaient accrédité leur menace en tuant deux passagers (ils en tueront un troisième quelques heures plus tard pour forcer l'équipage à décoller). Après échec des pourparlers avec les autorités algériennes, au cours duquel des femmes et des enfants avaient été relâchés, l'avion avait dû décoller, mais s'était posé à Marseille. Là, après une longue discussion, et comme les terroristes faisaient leur prière et annonçaient un combat désespéré, le groupement de gendarmerie GIGN donna l'assaut et réussit au cours d'un bref échange de coups de feu où plusieurs gendarmes furent blessés à tuer les quatre terroristes, sans toucher aucun des passagers ni des membres de l'équipage.

Le 25 décembre, à midi, une équipe de quatre psychiatres et deux psychologues vint à l'aéroport d'Orly pour accueillir les différents groupes de rescapés. La préparation de l'accueil fut élaborée en quelques heures à l'infirmerie de l'aéroport d'Orly : programmation des arrivées des groupes de rescapés, installation de box de débriefing par petits groupes (huit personnes) dans un salon et d'une base arrière à l'infirmerie pour les sujets les plus choqués, et élaboration et tirage d'un document d'information destiné aux rescapés et à leurs familles. Ensuite, dans l'après midi du 25 décembre, deux avions de ligne en provenance d'Alger atterrirent successivement (à deux heures d'intervalle) à Orly, chacun amenant, mêlés aux passagers habituels non pris en otages, une vingtaine d'otages qui avaient été relâchés la veille au soir à Alger. Dès leur arrivée, ces passagers ex-otages ont été séparés des autres passagers et dirigés par groupes de sept à huit vers le salon aménagé en box de débriefing (un psychiatre et un psychologue, deux banquettes et une table basse garnie de boissons par box). Dès qu'ils se furent assis, ils se mirent spontanément à parler, et il suffit de les inviter à le faire chacun leur tour. Parmi eux, les jeunes qui parlaient français traduisaient pour les vieux qui ne parlaient qu'arabe. Il ressortit dès le début de la discussion que ces ex-otages avaient eu très peur au moment de la capture, et au moment où ils avaient été relâchés (ils avaient cru que les terroristes les avaient désignés pour être assassinés, comme cela avait été le cas pour deux passagers) En sortant de l'avion, ils avaient dû enjamber les cadavres des deux passagers assassinés, sur la passerelle, et même marcher dans la cervelle de l'un d'eux. Deux jeunes filles avaient dû courir en zigzag pour gagner l'aérogare, car les terroristes avaient tiré à la mitraillette sur leurs talons en les injuriant parce qu'elles ne parlaient pas arabe ! Ensuite, à l'hôtel ou dans des familles, ces rescapés avaient mal dormi, craignant que des terroristes ne vinssent les tuer, après les avoir ainsi repérés. Le lendemain, une fois dans l'avion, ils avaient craint une nouvelle attaque de terroristes. A l'atterrissage, ils n'étaient même pas certains d'arriver à Orly et redoutaient d'arriver à Tripoli de Libye ou dans un pays favorable aux terroristes. L'accueil par des psychiatres français les soulageait. Le débriefing fut aménagé compte tenu de cette effervescence émotionnelle qui persistait encore, et compte tenu aussi de l'interférence du personnel administratif d'Air France qui procédait à des relevés d'identité, ce qui interrompait ou perturbait les séances de débriefing. Cela étant, le fait de parler de ce à quoi ils avaient échappé, de l'horreur et de la peur qu'ils avaient éprouvées, des symptômes somatiques qu'ils avaient ressentis et qu'ils ressentaient encore soulagea considérablement ces ex-otages (et la notice d'information s'avéra détenir un effet cathartique considérable, le visage des rescapés s'éclairant au fur et à mesure qu'ils reconnaissaient leurs propres symptômes dans ce qui était écrit, et qu'ils découvraient que les médecins étaient au courant de cette pathologie). On put observer cependant des types de réaction différents : l'expression volubile et embrouillée, le discours plus hésitant, se cherchant, la crise de larmes libératrice, la reprise d'une respiration normale après de grandes inspirations, le tremblement, et aussi le mutisme (chez un adolescent à antécédents asthmatiques). Plusieurs cas de tremblement incoercible, de crise de nerfs ou d'angor avec hypertension furent adressés à la base arrière (l'infirmerie) pour y être traités individuellement et dans le calme. Au bout d'une heure à une heure et demi, les rescapés, parlant plus calmement, soulagés et reposés, étaient confiés à leurs familles, pourvus de la notice informant des symptômes à venir éventuellement et des lieux de consultation spécialisée de la région parisienne où ils pourraient s'adresser les jours suivants.

23

Plus tard dans la soirée et au cours de la nuit, atterrissaient trois avions ramenant de Marseille les passagers délivrés après l'assaut du GIGN. Les groupes de rescapés étaient plus nombreux (une quarantaine à chaque fois), et, malheureusement, accueillis par les autorités officielles : ministres, chefs de cabinet, attachés de cabinet et autres personnalités importantes. Un tapis rouge avait été déployé entre la passerelle et le salon d'honneur, et le service médical fut sommé de se montrer discret, sinon escamoté. Le médecin chef de l'aéroport ne fut pas autorisé à pénétrer dans l'avion pour informer les rescapés, encore groupés, qu'il y avait des médecins et des psychiatres à leur disposition, ni même pour leur distribuer la notice d'information. C'est un ministre qui tint le discours d'accueil, plus glorieux que psychothérapique. Toutefois, le service médical fut autorisé à improviser une petite infirmerie dans une petite salle attenante au salon d'accueil. Dans le salon d'honneur, le public (familles, attendants, journalistes) était tenu de part et d'autre d'une corde (à hauteur de la taille) qui réservait le passage central pour le défilé des rescapés (et des membres du GIGN à visage découvert !) sous les applaudissements. Cet accueil alourdissait encore la charge émotionnelle et l'effarement des rescapés. Au bout de l'allée, des tables offraient un buffet garni de jus de fruit, de gâteaux et de… dattes fourrées. Dans la foule des attendants, les médecins, les infirmières et les psychologues se tenaient en retrait, mais revêtus de leurs blouses blanches ; ce qui fit que plusieurs rescapés vinrent s'adresser à eux pour leur parler de leur malaise, et que des familles vinrent leur présenter des rescapés tremblants, pleurant, mutiques ou désorientés. Plusieurs de ces rescapés furent emmenés discrètement dans la petite infirmerie pour être tenus à l'abri de l'agitation qui régnait dans le salon d'honneur, et se faire donner des médicaments et du réconfort. Autant que possible, on remit à chaque famille une notice. Au petit matin, après le départ des rescapés du dernier avion et de leurs familles, l'équipe des psychiatres et psychologues, qui avait fait ce qu'elle avait pu compte tenu des circonstances imposées, ressentait une impression de semi échec, de gâchis et d'insatisfaction.

Dans les jours et les semaines qui suivirent, plusieurs dizaines de rescapés vinrent consulter aux lieux indiqués sur la notice. On s'aperçut ainsi que la notice avait servi à quelque chose. Au moment de sa distribution on croit que l'intéressé l'empoche d'une main distraite ; mais il n'en est rien, il la lit à tête reposée, ou un membre de sa famille la lit, et, face aux symptômes qui se perpétuent ou émergent, il prend la décision de venir consulter. Plusieurs de ces consultants, qui avaient eu très peur, tant pendant la phase de détention que lors de l'assaut (tous s'étaient aplatis au sol entre les sièges pour échapper à la fusillade), souffraient de troubles psycho-traumatiques précoces et intenses. Certains furent suivis pendant plusieurs mois. La plupart de ces consultants différés étaient des rescapés des trois derniers avions (de Marseille), qui n'avaient pas pu profiter d'un débriefing comme les rescapés rentrés directement d'Alger. Bien que cette constatation soit empirique, sans randomisation (et au nom de quoi faire une randomisation qui décréterait arbitrairement quels patients bénéficieraient d'un traitement et quels autres en seraient privés?), ni échelles, ni contrôle statistique, elle montre clairement l'utilité du débriefing dans la prévention des séquelles psycho-traumatiques.

C'est à la suite de cette intervention que L. Crocq édicta les dix principes du débriefing entrepris à la fois dans un but préventif (prévention de l'installation de séquelles psycho-traumatiques) et thérapeutique (réduire tant les symptômes persistants du stress que les premiers symptômes résultant d'une expérience traumatique).

1 - Ménager un sas intermédiaire où sont restitués l'espace, le temps et les valeurs normales.

2 - Conforter les rescapés "dépersonnalisés" dans leur personne, personne qui n'a pas été abandonnée, qui est entendue et soutenue, mais qui doit récupérer son autonomie.

3 - Les inciter à la verbalisation de leur expérience vécue de l'événement (visée cathartique).

4 – Les informer sur le stress et le trauma, et sur les symptômes transitoires présents et à venir, ainsi que sur les lieux de consultation en cas de besoin (remise d'une note d'information).

5 - Aider les participants à s'arracher à leur sentiment d'isolement et d'incommunicabilité (quand ils écoutent les autres faire part de réactions semblables aux leurs).

6 - Harmoniser les relations du groupe (réduire les tensions et conflits), en évitant de perpétuer le "huit-clos" et en désamorçant ses dérives xénopathiques (recherche de boucs émissaires extérieurs).

7 - Aider à réduire les sentiments d'impuissance, d'échec et, pour partie, de culpabilité (mais c'est à chaque sujet de le faire soi-même au moment venu).

24

8 - Préparer les sujets à la réinsertion dans le monde, et les mettre en garde vis-à-vis des attitudes néfastes à éviter, dans les retrouvailles avec leur famille, dans les contacts avec les médias et dans leur considération des agresseurs (cas du syndrome de Stockholm).

9 - Repérer les sujets fragiles qui auront besoin d'un soutien ultérieur.

10 - Aider les sujets à mettre un point final à leur aventure.

Le premier objectif est de ménager un espace-temps intermédiaire, dans lequel seront restitués l'espace, la temporalité et les valeurs de l'univers normal. Tout traumatisé est un sujet qui "revient de l'enfer". Il émerge d'un univers totalement différent du monde humain, et même radicalement différent de ce qu'il aurait pu imaginer - en repoussoir - à partir du monde humain. L'univers où il vient d'être plongé et qui a donné lieu à une expérience vécue de frayeur, d'horreur et de désespoir, mais pas de compréhension, est un univers où l'espace est bouleversé en chaos, où le temps est suspendu dans un présent infernal, sans déroulement et coupé de tout avant et de tout après, et où les valeurs humaines de sécurité, de bonté, d'entraide, de prix de la vie et de possibilité de donner un sens aux choses se sont effacées pour laisser place au non-sens, au non-être, au néant. Le rescapé est encore enveloppé et imprégné de cette atmosphère horrifiante et irréelle, et il n'est pas prêt à être réintroduit dans le monde normal, ni à affronter les personnes qui habitent ce monde normal et en ont conservé les manières de voir, de juger, d'aimer et de converser. D'où la nécessité de lui ménager un sas, doublement protecteur, où il est assuré de n'être plus maintenu dans le chaos dont il émerge et où il va être préparé à affronter des lendemains normaux. Dans ce sas, et cela est annoncé par les personnels qui dirigent le débriefing, on est en sécurité, au calme, à l'abri de l'univers dangereux dont on sort mais aussi protégé contre les sollicitations et les agressions qui nous attendent dehors. Au fil d'un temps qui va s'y dérouler à nouveau tranquillement, sans précipitation, le rescapé aura tout le loisir d'évoluer, de commencer à considérer son aventure comme passée et de se préparer à envisager le lendemain. Et les valeurs humaines de la vie, de l'écoute d'autrui, de la sympathie, de l'entraide, du sens des choses ont à nouveau cours. L'expérience nous a montré que les rescapés des combats meurtriers et des bombardements, voire des attentats terroristes, sont encore tout imprégnés d'une atmosphère de ruines, de chaos, de mort, de souffrance, de fin du monde et demeurent désorientés dans le temps et l'espace. Aussi, est-il utile que la personne qui conduit le débriefing les assure bien que la parenthèse de l'événement dangereux est finie, que tout est redevenu normal, qu'ils sont maintenant au calme et en sécurité, et qu'ils sont réunis pour faire le bilan de leur aventure avant de retrouver les leurs et leur vie habituelle. Cette intervention préalable se démarque peut-être de l'écoute muette, mais elle répond adéquatement à la demande implicite du rescapé, qui a besoin qu'on lui dise que le monde normal existe et qu'il en fait à nouveau partie.

Le deuxième objectif est de conforter les sujets dans leur personne. Ils ont été "dépersonnalisés" par le trauma. On doit les assurer qu'ils sont des personnes, soutenues par la société et devant récupérer leur pleine autonomie. En effet, nous avons vu que, dès leur immersion dans l'univers menaçant de l'événement, qui est tellement différent de leur monde habituel et tellement irréel, les sujets vivent cette expérience exclusive (car il n'y a place alors pour aucune autre activité mentale) sur le mode de l'étrangeté, de la déréalisation et de la perte d'identité. Cette seule immersion y suffirait déjà (se trouver plongé dans un monde que l'on ne reconnaît pas, qui est chaos, mort, néant et non-sens), si en outre la défense spontanée du sujet n'était la dissociation (au sens de Pierre Janet), qui va doubler cette déréalisation d'une dépersonnalisation, puisque l'expérience vécue de l'événement (il ne s'agit pas encore de la représentation mentale) va faire bande à part dans la conscience et dans l'inconscient du sujet et y évoluer pour son propre compte, sans rapport avec le peu d'expérience vécue non traumatique contemporain de l'événement ni avec le souvenir des expériences vécues antérieures. D'où les nombreux symptômes des cliniciens américains comme Marmar dénomment "dissociation péritraumatique" et qui font que le rescapé est un être en pleine dépersonnalisation. Hagard, encore tremblant, encore fasciné par les images terribles qu'il vient de voir, encore sous le coup des bruits, des cris, des gémissements et des silences menaçants, encore désorienté et séparé de ses repères habituels, il est un être

25

dépersonnalisé dans un univers mental irréel. Au pire moment du danger, il ne peut plus se considérer comme une personne, puisqu'il se croit non secouru, abandonné, tandis que le propre d'une personne est d'être en relation avec d'autres personnes et d'en espérer quelque chose. Ne s'étant jamais entrevu aussi près d'être cadavre, il se sent déjà étranger au monde des vivants. Et, émergeant de son aventure, il est une ombre revenant des enfers. L'hypnose des batailles de Milian (1915) et la confusion mentale de guerre de la première guerre mondiale constituent les formes extrêmes de cette dépersonnalisation, mais les hystéries et états anxieux aigus initiaux, ou même les simples réactions de stress dépassé, sidéré, agité, de fuite panique ou d'automatisme en sont aussi les manifestations ; et Pierre Janet ne s'était pas trompé, qui avait avancé pour désigner ces désordres traumatiques le terme d'automatisme psychologique (1889). A leur entrée en débriefing, ces rescapés sont encore, peu ou prou, dépersonnalisés, même si le débriefing a été programmé plusieurs jours après l'événement. Nous avons en mémoire le cas d'un attentat terroriste où les rescapés, qui avaient dû être sous le coup d'un stress avec vécu d'état second ou de "dissociation péri-traumatique", ne se souvenaient plus, six mois après, d'avoir bénéficié d'un débriefing précoce effectué à chaud, sur le terrain même. Sous les bombardements, sous le feu ennemi, sous l'explosion d'un engin terroriste, le sujet ne se sent plus une personne, mais un corps fragile, une âme affolée, un goutte d'eau dans la marée déferlante d'une foule paniquée ; otage, il ne peut plus se revendiquer - et bientôt il ne peut même plus se sentir - comme une personne libre, puisque les ravisseurs comme les pouvoirs publics eux-mêmes le considèrent et le manipulent comme une monnaie d'échange, comme une chose. Et il traîne encore après lui cette mentalité, cette distorsion de sa propre identification et de son propre rapport à soi.

Aussi le meneur du débriefing doit-il, à notre avis, intervenir activement sur ce point : accueillir les rescapés comme des personnes, et non pas comme des malades, et le leur faire sentir. Une commisération démonstrative serait malvenue, qui les enfoncerait dans un statut "d'anormaux" ou d'"incapables" (au sens juridique) ; mais l'attitude classique de neutralité bienveillante le serait autant, faute de les inviter explicitement à reprendre leur place au sein de la communauté des hommes vivants et parlants, et les laisserait décontenancés à leur désarroi. Quelques paroles, les assurant qu'ils n'ont jamais été abandonnés et qu'autrui se préoccupait de leur sort en se portant à leur secours, mais leur faisant sentir qu'ils sont considérés comme des individus normaux et comme des personnes ayant récupéré leur autonomie et leur libre arbitre, sont opportunes pour définir d'emblée le style de relation que les rescapés vont avoir avec les personnels du débriefing, style qui sera ensuite tout naturellement celui de leur relation à autrui. Cela est important, car Sokol avait signalé, comme on l'a dit plus haut, que les rescapés ont tendance à persévérer dans le style de relation qu'ils ont dû adopter sous la pression de l'urgence et des circonstances (dans le cas des prises d'otage en particulier). La "personne totale en situation", selon la formule de Lagache (1949), est invitée à récupérer la sédimentation et les frayages de tout son passé, et à agir en toute autonomie et pleine liberté face à une situation qui la sollicite. Redevenir une personne, ce n'est pas s'obstiner dans l'égocentrisme désespéré de celui qui a été marqué par la détresse, ni se complaire dans la dépendance, mais c'est ré-habiter son enveloppe charnelle et récupérer ses capacités cognitives, affectives, volitionnelles et relationnelles..

Le troisième objectif, à savoir d'inciter les rescapés à verbaliser leur expérience vécue de l'événement, nous paraît primordial, et c'est par lui que nous nous démarquons le plus des stratégies américaines de débriefing. En effet, la verbalisation de l'événement (de l'"accident", de l'"aventure"), dans un langage "authentique" est la seule attitude - et la seule impulsion - qui puisse permettre au sujet de se dégager d'un trauma en gestation ou en affirmation. La nature du trauma est d'être une expérience vécue de chaos, de mort, de néant et de non-sens, et une expérience d'irreprésentable, d'impensable, d'indicible. Ce qui fait que le sujet vit son expérience comme un trauma, c'est qu'il ne peut l'identifier, la reconnaître, lui assigner un sens ni la faire sortir de lui pour l'objectiver, la réduire, en se la représentant, et surtout en la parlant ; car il est plausible que le langage, langage proféré ou langage intérieur, devance la pensée, ou au moins lui donne le corps qui lui permette d'exister pleinement, au delà des esquisses à peine émergées des limbes. Dans sa méthode cathartique, Freud (1893) parlait de "lier" et d'"abréagir" le trauma en le parlant, et en associant à son sujet, de l'"inscrire dans le grand complexe des associations". Janet, lui (1889, 1919)

26

mentionnant le "langage intérieur" que la sentinelle s'adresse à elle-même pour maîtriser son expérience traumatique, à la fois pour l'objectiver et pour lui donner un sens, préconisait le langage et même "l'aveu" comme solution permettant de sortir du trauma. Briole, Lebigot et al. (1994) considèrent à juste titre que le trauma est une rencontre authentique (non manquée) avec le réel, par défaut de mise en place de l'écran signifiant et protecteur du fantasme, par "traversée sauvage du fantasme". Et c'est la parole, la parole vraie, qui peut introduire encore à temps ce fantasme protecteur et assimilateur. Il convient donc d'inviter, d'inciter, les rescapés à exprimer, à parler, leur expérience vécue de l'événement, sans leur donner d'autres consignes que de dire ce qu'ils ont envie de dire, et de parler d'eux-mêmes, même si cela leur paraît décousu ou saugrenu, et de ne pas craindre de parler directement de ce qu'ils ont ressenti, plutôt que de "raconter" ce qu'ils ont vu. Et c'est en les parlant, en les "énonçant", qu'ils aperçoivent, découvrent et précisent ce qui s'est passé en eux, par là même commencent à le maîtriser. Ils ne savent pas à l'avance ce qu'ils vont dire, mais, en improvisant des mots, des verbes, des adjectifs, des exclamations et toute une grammaire, ils sortent du plus profond d'eux-mêmes ce qui les perturbait et commencent ainsi à maîtriser ce qui, de force obscure et omniprésente parasitant le moi, se réduit désormais à la dimension d'un discours et d'une représentation mentale. Et d'ailleurs cela répond à un pressant besoin de parler ressenti par le rescapé. Ce qui lui est entré par les yeux, les oreilles, le nez et tous les pores de sa peau, et qui constitue un désordre en lui, il a envie de le mettre en mots, pas tellement pour l'expulser en dehors de lui, au bout de ses lèvres, que pour y attribuer un début de sens et y mettre de l'ordre. Parfois, cette énonciation s'effectue dans l'atmosphère tragique d'une abréaction émotionnelle, avec oppression, sanglots et larmes. Toujours, peu ou prou, et plus souvent prou que peu, cette énonciation est suivie d'une sensation de soulagement et d'apaisement, que Freud après Aristote a dénommée "catharsis", et qui est plus "purification" que "purgation" de l'âme. Cependant, dans son langage, le rescapé n'exprime pas que son émotion, il mentionne des données factuelles concernant les circonstances qui ont occasionné ces émotions, et il peut rapporter aussi ce qu'il a vu et pensé alors. Aussi, notre recommandation n'est-elle pas de ne parler que des émotions pour remettre à plus tard la mention des données factuelles, mais de laisser le sujet s'épancher de ce qui le presse, et de faire part ainsi de l'ensemble de son expérience vécue, "dans le désordre", mêlant aux éprouvés affectifs les sensations, les visions et les pensées. L'essentiel de notre démarche, par rapport à celle de Mitchell, est de ne pas intimer au sujet l'ordre de différer l'expression de ses émotions. La meilleure consigne est, à notre avis : "dites en vrac, spontanément, comment vous avez vécu cet événement ; essayez de formuler ce que vous avez ressenti, tout ce que vous avez ressenti, et aussi ce que vous avez vu et ce que vous avez pensé, même si cela vous paraît sans intérêt, ou difficile à dire" (il n'est pas question de prononcer devant le rescapé les mots "indicible" et "inavouable"). Accessoirement, quand des données d'ordre cognitif viennent émailler ces faire-part d'éprouvés, chacun se rend mieux compte de la globalité de l'événement. Jusqu'à présent, il était comme Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo (dans La chartreuse de Parme, de Stendhal), qui, n'ayant vécu la bataille qu'au niveau de son microcosme (et non dans la vision d'ensemble de l'état major), se demandait ensuite s'il avait vraiment assisté à une bataille. Chacun a appréhendé et vécu l'événement à son échelle microscopique, n'en saisissant et n'en subissant que des aspects partiels et par là même incompréhensibles. Au fur et à mesure que les autres parlent, il les situent et se situe, il reconstitue la bataille (ou l'événement) comme un puzzle, et il est alors placé plus en état de la comprendre lucidement que de le subir aveuglément. Mais cela n'est pas dire, comme l'ont prétendu certains théoriciens du débriefing, que cette récolte de données factuelles venant des témoignages des autres va avoir pour effet de "rectifier des cognitions erronées". A notre avis, une cognition personnelle de la bataille n'est jamais "erronée", et elle se légitime justement par les croyances et les éprouvés qui l'ont accompagnée. Et il ne sert à rien, comme le dit Lebigot, de prétendre substituer une "fable collective" à la vérité personnelle signifiante de chaque sujet.

Le quatrième objectif est d'apporter aux rescapés une information sur ce qui leur est arrivé, et particulièrement sur les manifestations de stress et de trauma qu'ils ont ressenties ou qu'ils risquent de ressentir bientôt. Au fur et à mesure qu'ils parlent de ce qu'ils ont ressenti, les rescapés tentent d'en saisir le sens et de comprendre ce qui leur est arrivé. A l'inverse de la démarche de Mitchell, c'est en verbalisant d'abord leurs émotions qu'ils accèdent ensuite à la cognition et à la

27

description narrative sécurisante. C'est alors qu'un apport de connaissance est utile à cette démarche de compréhension. Leur dire que ce qu'ils ont ressenti est connu des médecins, soit comme symptômes transitoires accompagnant la réaction adaptative de stress, soit comme symptômes traduisant l'expérience traumatique, et que les médecins savent réduire. D'abord, le meneur du débriefing les informera succinctement et en termes simples sur ce qu'est le stress. Il explicitera les symptômes gênants mais transitoires qui accompagnent. Ensuite, le meneur du débriefing les informera sur l'évolution de leur état dans les jours à venir ; leur dira qu'il est possible que des reviviscences surgissent, accompagnées d'angoisse et de symptômes neurovégétatifs, que leur sommeil peut être perturbé de cauchemars, parce que les mauvaises souvenances ne s'effacent pas d'un coup ; qu'il vaut mieux les laisser ressurgir, afin de les maîtriser totalement, que d'essayer de les réprimer alors qu'ils sont encore potentiellement chargés d'émotion et que, s'ils persistent, une consultation spécialisée est conseillée. Cette information a un effet bénéfique, et nous avons vu, au cours de débriefings, le visage de victimes s'éclairer quand elles prenaient connaissance de cette information : elles découvraient que ce qu'elles avaient ressenti était connu des médecins, et cela les rassurait ; elles s'en trouvaient soulagées. Loin d'être iatrogène et de suggérer au rescapé - comme certains médecins l'ont craint - des symptômes auxquels il n'aurait pas pensé, on fait oeuvre utile : car un symptôme que l'on connaît et auquel on s'attend est mieux identifié et mieux supporté qu'un symptôme inconnu qui vient vous saisir par surprise.

Cette information, dispensée oralement au cours de la conversation, doit être renforcée par la remise d'une information écrite ; car, lors du debriefing, et d'autant plus que ce debriefing est précoce, le sujet est encore sous le coup de sa dépersonnalisation, et ce qui entre par une oreille risque de sortir rapidement par l'autre. Au cours du debriefing, le sujet est sollicité et distrait par beaucoup de choses, qui naissent de lui et qu'il reçoit du dehors ; trop de choses pour qu'il perçoive tout et qu'il retienne tout. Il fait l'objet d'un remaniement intense, surtout sur le plan émotionnel et affectif, et le temps des cognitions n'est pas encore totalement venu. C'est plus tard, une fois la séance finie, que le travail du debriefing va se poursuivre et que la confirmation de l'information sera utile. C'est une fois rentré chez lui que le sujet (ou un de ses proches) va lire et relire la notice d'information ou s'y reporter s'il ressent quelque malaise. Ces notes d'information doivent être adaptées à chaque type d'événement traumatisant, et à chaque population concernée (militaires, civils, enfants,.), mais elles relèvent toutes des mêmes principes : donner de manière claire et succincte, rassurante et non pas inquiétante (le mot "dédramatisant" est souvent employé, mais il n'est pas totalement adéquat, dans la mesure où, tout justement, l'aventure traumatique est un drame, et qu'il convient de laisser ce drame s'accomplir jusqu'à son dénouement apaisant), une information utile sur les deux phénomènes de stress et de traumatisme psychique ; et donner les adresses et coordonnées téléphoniques des centres de consultation spécialisée où le sujet pourra s'adresser si ses symptômes persistent ou si de nouveaux symptômes apparaissent. D'aucuns ont observé que certains rescapés se fixaient sur cette note d'information, qu'ils la relisaient très souvent avec une fascination perplexe, et qu'ils la portaient sur eux presque comme un gris-gris ; que par conséquent, elle pouvait entretenir dans l'esprit du sujet des idées fixes de complications morbides. En fait, ces idées fixes sont installées par l'effet du seul trauma, et la note d'information, au contraire, suggère au traumatisé la solution pour se dégager de son trauma.

Le cinquième objectif est d'aider le sujet à s'arracher à son sentiment d'isolement. Déjà, de s'entendre parler révèle au sujet étonné qu'il est capable de se dégager de son impression d'indicible. Entendre ses co-victimes tenir des propos similaires vient confirmer cette certitude : on peut échapper à l'emprise de l'indicible. Qui plus est, tout ce dialogue aide le sujet à franchir le mur d'incommunicabilité laissé par l'expérience traumatique. Cela apporte l'énorme avantage d'arracher le sujet à sa préoccupation égocentrique, de lui restituer sa capacité d'empathie et de le replacer dans une situation interhumaine de dialogue et d'échange. En outre, en écoutant les autres faire part de sensations, d'éprouvés et de symptômes qui sont semblables aux siens, chaque sujet découvre que ses propres réactions - immédiates et ultérieures - sont communes, et qu'il n'est pas le seul à les avoir présentées. C'est à ce moment là, d'ailleurs, que l'animateur peut apporter une information sur les réactions de stress adaptées ou dépassées, en insistant sur leur réversibilité. Sortir de l'indicible, franchir la barrière d'incommunicabilité, se savoir écouté des autres et se constater capable de les

28

écouter avec empathie, c'est revenir de son isolement pour réintégrer le koïnos, communauté des hommes vivants et parlants.

Le sixième objectif est de réduire les éventuelles tensions et les éventuels conflits de groupe, de veiller à l'harmonie des relations au sein du groupe, et de préparer les sujets à récupérer leurs appartenances groupales et sociales plus vastes. Il appartient au meneur du débriefing de veiller à l'équilibre des relations du groupe et à l'évolution harmonieuse de ces relations, du début à la fin de la séance. Certains sujets, par leur effervescence émotionnelle, peuvent induire dans le groupe un état de gène ou de tension, que le leader devra réduire. Certains autres, d'un naturel timide et effacé, ou encore sous le coup d'une trop forte inhibition émotionnelle, ont besoin d'être encouragés à s'exprimer. Et le leader, aidé de son co-leader attentif à ces indices et à ces moments, pourra saisir l'instant où tel sujet jusqu'alors silencieux manifeste un timide désir d'intervenir, pour lui donner la parole. De la même façon, il pourra restituer le tour de parole à un sujet interrompu provisoirement par l'intervention spontanée d'un autre, et qui s'en trouve frustré. De même encore, le leader fera attention à ne pas laisser des sujets expansifs ou narcissiques se mettre sans cesse en avant et monopoliser la parole. De même, il veillera à ce que l'agressivité d'un sujet, si elle est exprimée à l'encontre d'un autre participant du groupe, soit réorientée vers ses causes réelles, et éventuellement résolue.

Mais, surtout, le débriefing sera l'occasion de mettre à plat, sur la table, les reproches gardés secrets, les tensions, les conflits latents, et tout ce qui relève du non-dit, de ce qui a été "tu" (participe passé du verbe taire) et réprimé. Tel rescapé d'une prise d'otage, par exemple, peut penser que tel autre a eu tort de faire explicitement le jeu des ravisseurs en leur servant d'intermédiaire docile pour s'adresser aux autorités. Tel autre otage, qui précisément aura été cet intermédiaire, peut penser que les autres otages vont lui reprocher son action, et il peut désirer s'en expliquer. Tel soldat ou tel sauveteur, peut en vouloir à un camarade de ne l'avoir pas secouru au moment critique, et il est opportun qu'il le dise ; son camarade, quant à lui, peut désirer s'expliquer sur sa carence. Tels gestes, telles abstentions ont pu être interprétés dans tel ou tel sens, et il faut éviter que le groupe ne se sépare sur des malentendus. On a vu plus haut comment Belenky, au sujet d'un incident de tir ami, a pu faire exposer les griefs, mais aussi reporter la vraie responsabilité sur toute la chaîne d'insuffisances réparties dans les consignes et les applications isolées de ces consignes, et apaiser ainsi les ressentiments et les agressivités. Mais on doit se garder aussi de la tentation facile de faire chorus avec les participants dans leur réaction accusatrice de personnes extérieures (et particulièrement de la hiérarchie) et dans leur désignation de boucs émissaires. De telles projections et de telles dérives, si elles semblent de prime abord renforcer la cohésion et le consensus du groupe, et lui offrir un exutoire et un motif de déculpabilisation faciles, ne préparent pas à la reprise de relations normales avec le monde extérieur, et ne résolvent nullement la question de la culpabilité, qui se situe à un autre niveau que celui de ces prétextes. En fin de compte, lorsque les sujets se séparent à la fin de la séance de débriefing, leurs relations doivent avoir abouti à un point optimum de transparence, de sympathie mutuelle, d'estime et de soutien verbal réciproque. Les Américains insistent beaucoup sur le facteur de social support dans la prévention et la réduction des effets du trauma. Ces deux mots ont été mal traduits en français, par les termes "support social", alors qu'il s'agit plutôt du "soutien social", et du soutien apporté par la présence d'autrui et la structure du groupe. Un des objectifs du débriefing est de restituer ce soutien du groupe, qui a fait justement défaut au moment crucial du trauma, donnant lieu aux vécus d'isolement, d'absence de secours et d'abandon.

On prendra garde aussi à ne pas perpétuer artificiellement le caractère "huis clos" du groupe. Des rescapés qui ont vécu intensément en commun une même situation exceptionnelle ont tendance à vouloir conserver cette intimité qui leur a été imposée et qui les a rendus – croient-ils – différents de ceux qui n'ont pas vécu cela. Dans certains cas, ils constituent des associations ou des clubs au sein desquels ils entretiennent la reviviscence morbide des moments désagréables de cette expérience. De tels comportements sont l'indice que le debriefing n'a pas rempli tout son office. L'objectif groupal et social du debriefing est non seulement d'harmoniser les relations internes du

29

groupe, mais aussi de préparer chaque participant à récupérer ses appartenances familiales et sociales du monde extérieur, et à réintégrer la communauté dans son sens large.

Le septième objectif est d'atténuer – ou de faire évoluer positivement - certains sentiments pénibles et néfastes pour l'avenir, et en particulier les sentiments d'impuissance, d'échec et de culpabilité. Ce qui caractérise le vécu traumatique c'est le sentiment d'impuissance face à la violence, joint au sentiment d'extrême vulnérabilité et à l'impression d'absence de secours. Le soldat devant partir à l'assaut sous le feu de l'ennemi, ou devant subir l'attaque de l'ennemi ou son pilonnage d’artillerie, le civil sous les bombes, le citoyen victime d'un attentat terroriste, le voyageur pris en otage dans un bus, un train ou un avion, vivent tous intensément ce sentiment d'impuissance. Dans de rares cas, ils peuvent se défendre en utilisant leur arme (ou participer à la défense commune en utilisant leur arme) ; mais, le plus souvent, ils doivent subir sans pouvoir ni riposter, ni fuir. Dans le cas de figure des prises d'otages, ils ne peuvent même pas parler, pour atténuer leur angoisse en la partageant avec leur voisin, et ils doivent même réprimer leur cri, qui pourrait leur valoir d'écoper d'une balle tirée par un ravisseur nerveux. Cette impuissance est un des facteurs qui vont faire que l'événement sera vécu sur un mode traumatique, et le capitaine Coignet insiste bien, dans ses carnets de souvenirs de ses campagnes napoléoniennes, sur ces pires moments qui consistent à devoir supporter immobile dans les rangs, le feu de l'ennemi sans pouvoir riposter. Pendant les débriefings, on a souvent observé que les rescapés demeurent inhibés, sans initiative, comme s'ils étaient encore sous le coup de ce vécu d'impuissance. Les assurer qu'ils sont désormais à l'abri, en sécurité, et les inciter à s'exprimer ne suffit pas ; certains hésitent à profiter de cette offre. Aussi faut-il parfois leur préciser qu'ils doivent être conscients de ce vécu d'impuissance, qui fait partie des conditions traumatiques normales, mais qu'ils ne doivent pas le traîner artificiellement avec eux ; qu'ils doivent récupérer leur autonomie, leur volonté, leur spontanéité et leur pouvoir sur les choses et les événements. Il s'agit là d'une attitude interventionniste, de la part du meneur du débriefing, mais qui est nécessaire pour arracher les rescapés aux reliquats factices de leur trauma et les mettre en mesure de le maîtriser

Le sentiment d'échec, de même, peut avoir marqué un vécu traumatique : chez un combattant qui n'a pas réussi à remplir sa mission, ou à sauver un camarade, ou qui a dû assister impuissant à un massacre ; et, ce qui est très fréquent dans l'atmosphère des catastrophes et des bombardements urbains, chez des sauveteurs qui ont l'impression qu'ils auraient pu mieux faire. Ici encore, le meneur du débriefing doit intervenir activement, pour affirmer aux sujets qu'il n'y a pas eu échec, que la vision d'échec est une vision subjective, induite à la faveur de l'épuisement qui suit le stress et l'action. Au besoin, le débriefeur mettra en exergue les acquis positifs des actions effectuées pendant l'événement, et il invitera les participants à les inventorier et les estimer.

Reste la question de la culpabilité. Beaucoup de traumatisés sont traumatisés justement parce qu'ils éprouvent un fort sentiment de culpabilité, justifié ou non. Doit-on chercher à atténuer cette culpabilité par l'intervention "extérieure" du débriefeur ? Pour Lebigot (1997) il convient au contraire de laisser le patient gérer lui-même son sentiment de culpabilité, dans la mesure où la culpabilité traumatique renvoie à la culpabilité de l'originaire. Quant à nous, nous la considérons comme un levier thérapeutique, et il appartient au sujet de transformer un affect pénible mais légitime en facteur de guérison.

Le huitième objectif est de préparer le rescapé à affronter le monde extérieur. On peut dire à juste titre avec Barrois (1988) que le rescapé n'en est pas quitte avec son trauma lorsqu'il est sorti de l'enfer, car, désormais, il va devoir vivre avec le "souvenir de l'enfer" et souffrir l'"enfer du souvenir", et le monde ne sera jamais plus, pour lui, comme avant. Concernant les otages rescapés, Briole et Vallet (1995) font état d'un nouveau stress constitué par les brusques retrouvailles avec la liberté, les autres et les investissements culturels et affectifs antérieurs, surtout si l'ex-otage est confronté avec sa propre culpabilité pour des actes effectués lors de la détention. On sait que trois types pathologiques de relation ont été observés chez les anciens combattants traumatisés après le retour en famille, qui sont le désir régressif de se faire plaindre, l'agressivité, et le retrait dans un silence maussade. Le désir de se faire plaindre et dorloter conduit à des relations de dépendance

30

capricieuse et à un harcèlement vis-à-vis de l'entourage qui est condamné à entendre les mêmes récits de répétition (et s'en lasse) et sommé de satisfaire une surenchère de demandes insatiables. Une telle attitude peut transformer le rescapé en parasite et en invalide social. L'agressivité peut se manifester dans les relations quotidiennes avec les proches sous forme d'altercations et de scènes pénibles, mais elle peut aussi se manifester sous forme de comportements violents, de destruction d'objets ou d'agression contre des personnes, voire d'actes de délinquance. Le retrait dans un silence morose, qui a été le fait de beaucoup d'anciens combattants de la première guerre mondiale et de déportés rescapés, convaincus de l'incommunicabilité de leur expérience, altère de même les relations familiales et sociales et rabroue ou décourage l'entourage quand ce dernier croit bien faire de marquer de la sympathie ou de la déférence pour le sujet. Il convient donc, en fin de débriefing, d'informer les participants sur ces types morbides de relation et leur conseiller de se montrer tout simplement naturels et en phase avec leur entourage : accepter la sollicitude des familles lors des retrouvailles (attitude de réparation qui fait partie de la culpabilité même de ces familles), puis s'accommoder de leur négligence et de leur oubli, et reprendre dès que possible une conduite autonome et des relations d'équité.

Pour bien faire, il faudrait aussi "briefer" les familles, afin de les dissuader d'adopter des attitudes de compassion exagérée, compréhensibles pour la psychologie de ceux qui sont restés en arrière (mais qui se feront dire de toute façon qu'ils ne peuvent pas comprendre "parce qu'ils n'ont pas connu cela"), ou à l'inverse d'irritation et d'impatience pendant la période de réadaptation.

Par ailleurs, lors du débriefing, il conviendra aussi de mettre en garde les sujets vis-à-vis de leur propre imprudence s'ils sont sollicités par les médias. On doit déjà exiger que le débriefing se fasse à l'abri de toute curiosité ou intrusion médiatique, et se fasse avant que les sujets (dans le cas des attentats terroristes et des prises d'otages en particulier) n'aient été sollicités par les médias. D'abord, il va de soi que leur capacité d'expression spontanée soit réservée au defusing et au débriefing pour la sédation de leur stress et pour la prévention des séquelles traumatiques. Un entretien préalable avec des journalistes risque de tarir cette disponibilité d'expression et de la dévoyer. Ensuite, dans le soulagement d'avoir échappé au danger ou dans l'euphorie de la délivrance, ou encore sous le coup de son impression d'absence de secours, le rescapé peut tenir des propos inconsidérés ou des accusations contre les autorités, propos qui le présenteraient sous un jour puéril ou irresponsable et qu'il regretterait ensuite. Surtout, dans le cas particulier des prises d'otages, l'otage rescapé, heureux de s'en être sorti, ivre de la liberté retrouvée, a tendance a projeter son vécu euphorique de l'instant sur le passé récent, sur la détention elle-même, et à en minimiser rétrospectivement la dangerosité. Qui plus est, les ravisseurs, puisqu'en fin de compte ils ne l'ont pas tué, peuvent lui paraître "humains" ou "sympathiques", avec esquisse d'installation a posteriori d'un syndrome de Stockholm, et de tels points de vue peuvent être malencontreusement être exposés aux journalistes. D'autant plus que ces derniers, en quête de reportages sensationnels, ont tendance à dériver les interviews vers de telles considérations. Il conviendra donc, en tout état de cause : de maintenir les rescapés à l'abri de l'intrusion des médias, de les mettre en garde contre la sollicitation ultérieure de ces médias ; et, de toute façon, de leur conseiller vivement de contrôler les propos tenus devant des journalistes ou des tiers capables de les colporter.

Le neuvième objectif est de repérer les sujets fragiles, qui auront besoin d'une aide psychologique plus conséquente. Au cours du débriefing, le meneur et son adjoint observent les comportements des participants, et l'évolution de ces comportements entre le début et la fin de la séance. Ils notent en particulier les attitudes de retrait, ou d'exaltation euphorique exagérée, ainsi que les abréactions, surtout si elles sont répétées et non suivies d'effet cathartique. Les symptômes d'anxiété, les manifestations phobiques, les idées fixes et la propension au théâtralisme hystérique sont également relevés, ainsi que tout ce qui peut faire suspecter l'installation d'une phase de latence augurant d'une névrose traumatique. Après la séance, l'animateur s'entretiendra individuellement avec les sujets fragiles ainsi détectés, pour leur demander quel soulagement ils ont ressenti de cette séance, et il en profitera pour leur proposer de poursuivre cette aide en thérapie individuelle. Selon la gravité apparente de l'état du sujet, deux solutions sont possibles : ou bien, dans les cas modérés, on peut lui conseiller de ne pas hésiter à se référer à la note d'information et à venir consulter dans

31

un des centres qui y sont mentionnés, s'il ne se sent pas totalement guéri, ou s'il ressent de nouveaux symptômes ; ou bien, dans les cas plus sévères, on peut lui proposer d'emblée une telle consultation et la perspective d'un soutien psychothérapique plus suivi. Quoi qu'il en soit, les animateurs éviteront d'inquiéter le sujet sur son état, et de l'inciter à se considérer comme dévalorisé par comparaison à ses camarades. On peut très bien lui dire qu'il a été plus éprouvé que les autres dans l'événement, qu'il est déjà amélioré, mais que cette amélioration peut encore se parfaire par le moyen de la consultation spécialisée. Et, selon le quatrième principe de Salmon, à savoir l'expectancy, qui est foi en la guérison autant que surveillance de l'évolution, on doit de toute façon le convaincre que la guérison est au bout du chemin.

Le dixième objectif est d'aider les rescapés à mettre un point final à l'événement traumatique. L'enjeu est important, car c'est dans ces premiers jours après l'événement que se dessinent les deux éventualités : ou bien extinction du stress, sans trauma ou après réduction complète du trauma, ou bien poursuite du processus morbide traumatique et émergence et développement d'un syndrome psycho-traumatique, lequel d'ailleurs peut aussi bien s'avérer transitoire que passer à la chronicité. Or, seul le rescapé peut décider de mettre un point final à son aventure traumatique, et nulle incitation ni exhortation ne peut l'y forcer s'il n'est pas convaincu par lui-même de cette fin heureuse. Il s'agit d'une véritable prise de position pour l'existence qu'il va adopter, de lui-même, à l'issue de la séance de débriefing. Plus que des instructions ou des conseils de l'animateur lui enjoignant de mettre un point final à l'événement, c'est la conduite même du débriefing, et l'acheminement de ses propres paroles dans la vision rétrospective, la réinscription de l'événement dans son histoire personnelle et la façon d'envisager l'avenir, qui vont inciter le rescapé à mettre lui-même ce point final, ou à projeter de le mettre pour quand il en sentira le moment venu.

B – Le debriefing selon F. Lebigot (1997-1998)

Dans deux articles des Annales Médico-Psychologiques (1997 et 1998), le professeur F. Lebigot a fait part de son expérience du débriefing, tant au sein des armées françaises lors de missions humanitaires que dans son action au sein de la cellule d'urgence médico-psychologique. Il insiste sur la distinction à établir entre le stress, concept bio-physiologique se rapportant à la réaction immédiate à l'événement, et le trauma, concept psychologique se rapportant à l'instant fugace où le sujet a été confronté au réel de la mort et du néant, et qui a provoqué l'effraction de ses défenses et de son système signifiant protecteur, renvoyant au mystère de ce lieu inaccessible de l'originaire. Et c'est éminemment sur le trauma que le debriefing doit porter.

Pour Lebigot, le debriefing ne peut être réduit à une conception simpliste de la catharsis, qui viserait simplement à libérer la charge émotionnelle de l'événement. De même, le récit factuel préconisé par certains auteurs américains, si poussé et minutieux soit-il, ne peut accéder au "réel" de l'expérience traumatique. La verbalisation de cette expérience, par contre, doit permettre au sujet de s'affranchir de cette expérience primaire d'anéantissement en lui donnant un sens. Dans le débriefing collectif, cette démarche peut s'avérer plus facile - dans la mesure où chacun peut se reconnaître en partie dans le discours de l'autre – mais elle doit surtout donner lieu à un travail intime, qui ne peut être qu'individuel, car chacun a affronté l'événement d'une manière qui n'appartient qu'à lui, "avec sa personnalité, son histoire, le moment où il en est de sa vie et les pensées qui l'accompagnaient alors". La circulation groupale de la parole est certes source d'enrichissement mutuel, mais elle est surtout l'occasion pour chacun d'énoncer (et donc d'apercevoir) son vécu intime de l'événement, et de se démarquer de l'expérience des autres. Et, face à une "fable collective" de consensus, inopérante ou nuisible, doit-il se dégager pour chacun sa "fable individuelle" pourvoyeuse de sens.

Un délai de deux ou trois jours est opportun pour procéder au debriefing, ce qui permet à chacun de "prendre la mesure de l'événement" et d'accéder à une organisation psychique plus stable, une fois passés les premiers moments de stupeur et d'indifférence apparente. Mais il ne faut pas attendre trop, ni laisser à ceux qui ont vécu l'événement le loisir d'en parler de façon anarchique, avec risque de laisser s'échafauder la fable collective malencontreuse.

32

L'effectif des groupes à debriefer ne doit pas excéder dix personnes, car ce sont les petits groupes (surtout inférieurs à six) qui fonctionnent le mieux, et où chacun a le temps de s'exprimer et d'élaborer. En aucun cas, et quelle que soit la pression hiérarchique, on ne peut admettre dans le groupe à débriefer une personne qui n'a pas été impliquée dans l'événement au même titre que les autres. En tout état de cause, deux animateurs (venant de l'extérieur) sont nécessaires, l'un tenant le rôle de meneur et l'autre d'observateur et d'intervenant adjoint (s'il faut par exemple emmener temporairement à l'écart un participant sujet à une réaction émotionnelle trop intense).

Le déroulement du debriefing est simple : les animateurs se présentent, et exposent le principe de la séance et sa garantie de liberté et de confidentialité ; puis ils invitent les participants à parler de leur expérience vécue. En milieu militaire, il est bon que le gradé, préalablement prévenu, parle le premier, montrant ainsi l'exemple. Lebigot préconise un peu d'interventionnisme, pour inciter les participants à se départir du récit factuel et convenu pour parler de leurs émotions et de leurs pensées et associations d'idées. Il rapporte le cas d'une vielle dame qui, lors du debriefing d'un groupe d'habitants d'un immeuble sinistré par une explosion de gaz en pleine nuit, a pu se rapporter à un bombardement qu'elle avait subi pendant la seconde guerre mondiale. D'avoir pu mettre les deux événements en relation lui a procuré du soulagement, et a incité les autres participants à faire part de leurs propres associations d'idées.

S'il est vrai que le débriefing doit amener les participants à articuler l'événement sur "des morceaux de leur propre histoire", l'animateur doit aussi mettre fin à des évocations de la vie intime sans rapport avec l'événement, et redistribuer la parole.à ceux qui n'ont pas encore pu s'exprimer (s'ils le souhaitent, car en aucun cas il n'est question d'obliger à parler un sujet qui n'est pas prêt à le faire). Mais on a remarqué que l'évocation d'un point de l'événement par un participant "entraîne chez un autre un irrésistible besoin de parler du point abordé".

La contrainte horaire est un écueil ; aussi faut-il se donner du temps, et n'assigner qu'un ordre de grandeur pour la durée de la séance (deux ou trois heures). D'autres pièges peuvent compromettre l'efficacité du debriefing, et même son bon déroulement : le piège de la compassion affichée chez l'animateur, qui réduit le participant au rôle de pure victime et le dépouille de ses capacités d'autonomie et de liberté ; le piège de la "déculpabilisation", alors que la culpabilité est un levier thérapeutique qui, en attendant son travail dans la durée, sera déjà "traitée plus efficacement par les autres participants que par un discours lénifiant de l'animateur" ; le piège de la dérive vers la projection avec mise en accusation de la hiérarchie, solution facile à laquelle l'animateur doit se garder de faire chorus ; et le piège de la "dédramatisation", qui prétendrait retirer artificiellement le caractère essentiel de l'événement, qui est tout justement d'avoir été vécu comme un drame.

Face aux critiques qui prétendent que le debriefing n'améliore pas les victimes, et aurait même tendance à les aggraver (au vu d'études dites "contrôlées" mais éminemment discutables quant au choix des sujets et à la méthode de debriefing "narrative" utilisée), Lebigot admet qu'une seule séance de debriefing, si elle a des effets indéniables sur l'hygiène mentale et la cohésion des groupes (en milieu militaire), si elle apporte du soulagement chez tous les sujets, si elle leur permet de se dégager de leur expérience de non-sens pour apporter du sens (et du sens personnel) à ce qui a été une expérience traumatique d'incompréhension, si elle amorce la réinscription de l'événement dans l'histoire de vie et dans le système signifiant du sujet, ne règle pas toute la question du trauma.

Dans beaucoup de cas cette séance inaugurale est l'occasion pour le sujet d'initier un travail personnel d'assimilation de son expérience traumatique ; dans d'autres cas, qui se sont organisés en névrose traumatique, elle est l'amorce d'une psychothérapie plus profonde et plus longue. En particulier, on peut proposer un debriefing individuel à un sujet chez qui apparaît un syndrome de répétition, et même, à plus longue échéance, à un sujet dont la névrose traumatique, qui évoluait depuis de longues années sur un mode chronique, connaît brutalement une péripétie évolutive dramatique.

33

C – De Clercq et Vermeiren : controverses et réflexions sur le debriefing psychologique.

De Clercq et Vermeiren, à l'Université Saint-Luc de Bruxelles, avaient été eux aussi parmi les premiers à appliquer les méthodes de débriefing, auprès d'étudiants victimes d'un attentat à la bombe dans un amphithéâtre à Woluwé, en 1993. Trois ans après, dans une étude catamnéstique rigoureuse, ils constataient que 43% des intervenants souffraient de symptômes psycho-traumatiques, et que deux d'entre eux répondaient aux critères du PTSD complet.

Au cours de leur pratique ultérieure, ils ont été conduits à se démarquer de plus en plus du schéma de Mitchell. Concernant le debriefing des intervenants (dans leur chapitre sur le debriefing des intervenants, de l'ouvrage de De Clercq et Lebigot sur Les traumatismes psychiques, 2001), ils recommandent de ne pas se laisser prendre à la tentation du debriefing systématique après tout incident, doctrine coûteuse et peu réalisable, qui confondrait routine et incident exceptionnel, qui apporterait de la confusion entre debriefing et autres interventions de bilan (bilans techniques, staffs, etc.) et qui investirait trop le debriefeur dans la dynamique du groupe participant et en ferait un impliqué. Limitant donc les indications du debriefing aux incidents marquants, ils insistent sur la nécessité d'aborder le vécu émotionnel et non pas seulement la réalité factuelle, prônent l'incitation à l'énonciation cathartique des émotions (tout en laissant aussi s'exprimer les sensations, visions et pensées liées à l'expérience vécue), et de favoriser la reprise de contact entre l'individu, le groupe et l'environnement, "en passant par le raccordement de la dissonance entre le temps chronologique et le temps vécu".

Dans un article de la revue Nervure (septembre 1999), ayant procédé à un rappel critique des diverses méthodes de debriefing, De Clercq et Vermeiren recensent les études contrôlées d'évaluation des effets du debriefing. Deux études (Bordow, 1979, Bunn et Clarke, 1979) font état de résultats positifs, deux études (Stevens, 1996, Lee, 1996) n'observent aucun changement, et deux (Hobbs et Mayou, 1996, Bisson et Jenkins, 1997) signalent des effets négatifs. De Clercq et Vermeiren font remarquer toutefois que ces études ont porté sur des bénévoles, des travailleurs sociaux ou des infirmières non spécialisées, qu'il s'agissait de debriefings individuels (et de méthodes très disparates) et que les types de traumatismes étaient hétérogènes. Des études non randomisées se partagent de même entre résultats positifs et résultats négatifs. Seule une étude randomisée de Chemtob et Thomas (1997), portant sur un debriefing de groupe pratiqué auprès de rescapés d'un accident aérien, montre un résultat meilleur pour les sujets ayant bénéficié de ce debriefing de groupe. Examinant ensuite les recommandations hollandaises d'une conférence de consensus (du 28 mai 1999) qui prescrivent d'attendre trois ou quatre séances avant d'aborder le problème des émotions, et encore avec des précautions étonnantes (mettre l'accent d'abord sur la sympathie et le soutien social, puis, graduellement, prodiguer des informations et de l'éducation, pour n'aborder les expériences personnelles et les émotions qu'après quatre à six semaines), De Clercq et Vermeiren expriment leur désaccord : "comment imaginer dans nos pays francophones de passer deux sessions de debriefing psychologique à aborder uniquement le factuel, la narration des faits, la "conceptualisation" des traumatismes et de ne laisser l'expression des affects, des émotions, de la détresse émotionnelle aiguë ressentie par la victime que pour la troisième ou la quatrième séance ?".

En fin de compte, De Clercq et Vermeiren préconisent d'entreprendre des études randomisées rigoureuses pour évaluer les effets du debriefing psychologique "à la française", de conceptualiser ces méthodes, et d'en faire connaître les spécificités dans des revues anglo-saxonnes. Ils rappellent les premières spécificités qui se démarquent du debriefing à la Mitchell : se défaire du postulat du préalable narratif et permettre l'expression immédiate des émotions, ne pas se limiter à une seule séance, et ne faire intervenir que des acteurs formés et entraînés. Enfin, ils reprennent notre question : pour éviter toute ambiguïté, ne faut-il pas proposer le terme de "debriefing psychiatrique" appliqué aux victimes, pour le différencier du terme "debriefing psychologique" réservé aux sauveteurs et aux équipes d'intervenants (pompiers, policiers, soignants) ?

34

IV – BILAN CRITIQUE. DEBRIEFING PSYCHOLOGIQUE ET INTERVENTION PSYCHOTHERAPIQUE PRECOCE.

Pour faire le bilan critique du debriefing, en toute objectivité, il faut d'abord distinguer les différentes méthodes décrites sous ce seul nom, et les différentes options qu'elles recouvrent. En fait, il semble que la procédure de débriefing selon le schéma de Mitchell soit appropriée surtout aux "incidents critiques" chez des sauveteurs professionnels. L'incident critique n'implique pas nécessairement traumatisme et, dans la plupart des cas, on a affaire à un groupe de sauveteurs habitués à faire face à des catastrophes pourvoyeuses de tels incidents "banaux". Ces sauveteurs ont, en gros, conservé leur sang-froid lors de l'incident, et il ne s'agit que d'apporter éclaircissements et "dédramatisation" pour des incidents qui n'ont pas compromis les opérations de sauvetage ni menacé la vie, l'intégrité physique ou l'équilibre psychique des sujets. En outre, les sauveteurs tiennent à garder la face, ils ne veulent pas être considérés comme des malades ; ils acceptent d'être confortés, mais non pas d'être soignés. Et ils le manifestent en adoptant, dès le début du débriefing, une certaine réserve vis-à-vis de toute tentative d'intrusion d'emblée dans l'intimité de leur expérience émotionnelle. Aussi, l'accord tacite pour démarrer la séance par des narrations, puis, éventuellement, faire part de cognitions qui n'engagent à rien leur convient parfaitement. L'incursion tardive, brève et contrôlée dans l'univers de leurs émotions, qui succède ensuite à ces préalables, ne transperce pas leur cuirasse défensive, et ils ne concèdent que des vécus émotionnels conventionnels et anodins. Même dans des cas limites, des reviviscences de péripéties émotionnelles mal assimilées ou de conflits interpersonnels latents peuvent être ramenées au grand jour et bénéficier d'une explication de convenance qui draine l'accord de chacun, et cela ne va pas plus loin.

Il n'en serait pas de même en cas d'incident réellement traumatisant, et il n'en serait pas de même si on avait affaire à des groupes de victimes au lieu des groupes de sauveteurs. Dans ces cas, malgré l'invite à "réciter" d'abord ce qui a été vu, les participants ont tendance à entrer de plain-pied dans l'expression spontanée et désordonnée de leur expérience affective de l'événement, et ce dans une atmosphère d'abréaction émotionnelle souvent contagieuse. On ne peut alors respecter le plan de Mitchell et il faut s'adapter aux besoins spontanés des patients, tout en maintenant les objectifs de restitution cognitive de la réalité de l'événement et de maîtrise émotionnelle de son souvenir. D'ailleurs, même dans les cas où les sujets accepteraient de différer leur expression émotionnelle par un préalable narratif, la démarche serait nuisible, car, induits à tenir d'emblée un discours narratif "factuel", ils seraient détournés de leur besoin spontané d'exprimer leur émotion, et dissuadés ainsi de tenir le langage authentique propice à retrouver - dans une énonciation spontanée – une expérience vécue désordonnée dont ils n'ont pas encore une conscience précise.

La position des psychiatres militaires américains, et de Belenky en particulier, est proche de la nôtre : il ne faut pas confondre le débriefing "opérationnel " de Mitchell, effectué par des non-psychiatres et destiné à des équipes de personnels non "identifiés comme patients" à l'issue d'un incident critique, avec le débriefing "psychiatrique " effectué par une équipe psychiatrique, au profit de patients reconnus comme tels, souffrant et présentant des symptômes morbides consécutifs à un traumatisme psychique. D'ailleurs, Koshes et Rowes dénomment leur technique "psychiatric debriefing", tandis que les adeptes de Mitchell parlent de "Critical Incident Stress Debriefing" ou CISD, de psychological débriefing ou de Critical Incident Stress Management (CISM). Dyregrov, pour sa part (1997), définit un Process Debriefing européen, se démarquant du modèle de Mitchell par ses implications attenantes aux traditions culturelles européennes et au poids du groupe, encore qu'il se défende d'en faire une "thérapie de groupe", ni une quelconque thérapie d'ailleurs. Cela étant, si le débriefing psychiatrique, pratiqué par des psychiatres, s'applique à des sujets stressés, traumatisés et, partant, souffrants, il est illogique de leur affirmer qu'ils ne sont pas des patients. Sokol agit de la sorte pour bien les persuader qu'ils sont récupérables (dans la pure tradition militaire américaine qui croit qu'en affirmant au sujet qu'ils ont eu "une réaction normale face à une situation anormale" et en dénommant les troubles psychiques aigus de guerre combat fatigue ou

35

exhaustion on va en accélérer la guérison et éviter la chronicisation), mais sa position nous paraît circonstancielle, artificielle, et précaire.

Quoi qu'il en soit, dans le premier cas (débriefing psychologique à la Mitchell), la procédure est appliquée systématiquement à des personnels non demandeurs, qui s'ancrent sur les défenses propres à leur image professionnelle, et qu'on risquerait de déstabiliser si on s'aventurait trop intimement et trop profondément dans les turbulences de leur monde affectif. Un débriefing technique, portant sur le récit factuel de l'événement, sur l'activité déployée par les personnels, sur la perception qu'ils avaient des choses et de leur situation dans l'affaire, sur les représentations mentales et pensées (les "cognitions") qu'ils développaient alors, et un peu aussi sur leurs sentiments et leurs réactions affectives face à la désolation et à la souffrance ou face à des tensions de groupe et des difficultés de communication, puis permettant à chacun de se faire une connaissance plus complète de l'événement en confrontant les apports des autres à sa vision partielle, de conforter sa propre image en découvrant qu'il n'était pas le seul à éprouver quelques perturbations émotionnelles et que les autres ont ressenti les mêmes troubles que lui, apportant les informations utiles sur la normalité des symptômes ressentis et des défenses mises en oeuvre (défenses qu'il convient d'encourager), et enfin proposant une conclusion valorisante et porteuse d'enseignements pour l'avenir, bref un débriefing à la Mitchell, doit suffire. Mais si, parmi ces sujets, il en est qui sont vraiment traumatisés, perturbés, souffrants, ce débriefing psychologique ne suffira pas ; et ces sujets devront être adressés dans un deuxième temps auprès de psychiatres ou de thérapeutes, pour le traitement de leur syndrome psycho-traumatique.

Dans le second cas (débriefing psychiatrique ), il s'agit de rescapés qui viennent de subir un stress, voire un stress traumatique. Ils sont porteurs de symptômes pénibles et gênants de stress, et pour certains d'entre eux de symptômes et de perturbations psycho-traumatiques. Ce sont donc des patients, dont il convient d'établir le diagnostic, qui relèvent d'un traitement (symptomatique ou de fond) et de dispositions appropriées à enrayer l'évolution morbide de leur état. Le débriefing psychiatrique, assuré par des psychiatres et des professionnels des soins de santé mentale, est une première procédure thérapeutique d'application collective, et il peut être poursuivi par des thérapies individuelles. On doit le considérer comme intervention psychothérapique précoce et, peut-être, pour prévenir toute ambiguïté, le dénommer comme tel ; ou encore mieux, renoncer à employer à son sujet le terme même de debriefing, et dénommer cette procédure par ce qu'elle est réellement, c'est-à-dire intervention psychothérapique précoce.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

AHRENFELDT R.H. (1958), Psychiatry in the British army in the second world war, Londres, Routledge Kegan Paul, 1 vol.

ARMSTRONG K., O'CALLAHAN W., MARMAR C. (1991), Debriefing Red Cross disaster personnel : the multiple stressor debriefing model. Jal of Traumatic Stress, vol 4, n° 4, 581-593.

BELENKY G. (1992), Stress, Psychiatry and War. Final report, Symposium de l'Association Mondiale de Psychiatrie, Paris, 26-27 Juin, compte rendus, Paris, Servier, p. 186-191.

BISSON I., JENKINS P., ALEXANDER J., BANNISTER C. (1997), Randomized controlled trial of psychological debriefing for victims of acute burn trauma. British Medical Psychology, 171, 78-81.

BORDOW S., PORRITT D. (1979), An experimental evaluation of crisis intervention. Social Science Medicine, 13 A, 3 : 251-256.

36

BRIOLE G., VALLET D. (1994), Prise d'otage et initiatives !, Médecine et Armées, 22, 6, p. 459-462.

BUNN T., CLARKE A. (1979), Crisis intervention : an experimental study of the effects of a brief period of counselling on the anxiezty of relatives of seriously injured or ill hospital patients. British Jal of Medical Psychology, 52,2 : 191-195.

CHAVIGNY P. (1915), Psychiatrie aux armées, Paris Médical, 23 octobre, 5, p. 415-423.

CHEMTOB C., THOMAS S., LAW W., CREMNITER D. (1997), Postdisaster psychosocial intervention : a field study of the impact of debriefing on psychological distress. Am. Jal of Psychiatry, 154, 3 : 415-417.

CREMNITER D., GRAVIER V. (1997), Actualité sur le débriefing, Soins Psychiatrie, 188, p. 27-30.

CROCQ L. (1997), Incidences psychologiques de la prise d'otages.Psychologie Française, tome 42, n° 3, 243-254.

CROCQ L. (1998), La cellule d'urgence médico-psychologique. Sa création, son organisation, ses interventions, Ann. Med.-Psychol., 156, p. 48-54.

CROCQ L. (1999), Les traumatismes psychiques de guerre. Odile Jacob, Paris, 1 vol.

DE CLERCQ M. (1997), Urgences psychiatriques et interventions de crise. De Boeck Université, Bruxelles, 1 vol.

DE CLERCQ M., VERMEIREN E., HENRY DE FRABAN B.(1996), Le debriefing psychologique après une catastrophe ne suffit pas. Evaluation de l'importance des états de stress post-traumatiques pour les patients ayant bénéficié d'un debriefing. Revue Française de Psychiatrie et de p Médicale, 3, 87-91.

DE CLERCQ M., VERMEIREN E. (1999), Le debriefing psychologique : controverses, débat et réflexions. Nervure, tome XII, n°6, 55-61.

DE CLERCQ M., LEBIGOT F. (2001), Les traumatismes psychiques, Paris, Masson, 1 vol.

DAMAYE H. (1917), Fonctionnement d'un Centre Psychiatrique d'Armée, Progrès Médical, 27 oct., 32, p. 362-364.

DYREGROV A (1997), The process in psychological debriefing. Jal of Traumatic Stress, vol. 10, n° 4, 589-606.

ELLIS P.S. (1984, 1985), The origins of the war neuroses, Jal of the Royal Naval Med. Service, 70, 1984, p. 168-177, et 71, 1985, p. 32-44.

GLASS A.J. (1953), Psychiatry in the Korean Campaign, US Army Forces Med. Jal, 4, p. 1387-1401.

GLASS A. J. (1966-1973), Psychiatry in World War II, Washington, DC, Office of the Surgeon General, Dept of the Army, vol. I (1966), 898 p., et vol II (1973), 114O p.

GRANJUX P. (1916), De la nécessité des services de psychiatrie et de médecine légale aux armées, Le Caducée, 16, I, avril, p. 43-45.

GRASSET J. (1915 b), Le traitement des psychonévroses de guerre, Presse Médicale, 28 oct., 23, 19, p. 425.

HALDANE F.P., ROWLEY J.L. (1946), Psychiatry at the Corps Exhaustion Center, Lancet, 26 oct., p. 599-601.

HANSON F.R. (1949), Combat psychiatry. Experiences in the North African and Mediterranean Theaters of Operation, American Ground Forces, World War II, Bull. of the U.S. Army Medical Department, nov, 209 p.

JONES F.D., SPARACINO L., WILCOX V., ROTHBERG J.M., STOKES J.W. (1995), War Psychiatry, Textbook of Military Medicine, part I, Washington, Office of the Surgeon General USA, 1 vol.

37

KAUFMAN M.R., BEATON E.L. (1947), A psychiatric treatment program in combat, Bull. of the Menninger Clinic, jan., 11, 1, p. 1-14.

KOSHES R.J., ROWE B.A. (1992), Psychiatric debriefing following operation Desert Shield/Storm, The Jal of the US Army Medical Department, nov-déc., 8-92, 11/12 : 14-18.

LAFONT B., RAINGEARD D. (1992 a), Les principes de Salmon à l'épreuve de la guerre du Golfe, Médecine et Armées, 20, 1, p. 95-100.

LAFONT B., RAINGEARD D. (1992 b), Psychiatrie dans le Golfe, Médecine et Armées, 20, 3, p. 261-266.

LAGACHE D. (1949), Psychologie clinique et méthode clinique, in OEuvres complètes, Paris, P.U.F., tome II, p. 159-177.

LASSAGNE M., DUBELLE P. (1998), Actions de débriefing. In G. Briole, F. Lebigot, B. Lafont , Psychiatrie militaire en situation opérationnelle, Paris, Addim, p. 139-149.

LASSAGNE M., DE MONTLEAU, PAYEN A.,THOMAS P., REGES J., MORGAND D. (1998), Interventions médico-psychologiques en situation d' urgence dans le cadre d'une mission opérationnelle, Ann. Méd.-Psychol., 1, p. 37-40.

LEBIGOT F. (1997), Soins psychologiques aux victimes d'attentat, Soins Psychiatrie, 188, p. 22-23.

LEBIGOT F., GAUTHIER E., MORGAND D., REGES J.L., LASSAGNE M. (1997), Le debriefing psychologique collectif, Ann. Med.-Psychol., 155, 6, p. 370-378.

LEBIGOT F. (1998), Le débriefing individuel du traumatisé psychique, Ann. Médico-Psychol., 156, 6, p. 417-420.

LEE C., SLADE P., LYGO V. (1996), The influence of psychological debriefing on emotional adaptation in women following early miscarriage : a preliminary study. British Medical Psychol., 69, 1 : 47-58.

MARSHALL S.L.A. (1947), Men under fire : the problem of battle command in future war. William Morrow and Co, New York, 1 vol.

MARSHALL S.L.A (1958), Pork Shop Hill, New York, William Morrow, 1 vol.

MITCHELL J.T. (1983), When disaster strikes : the critical incident stress debriefing processs. Jal of Emergency Medical Services, 8, 36-39.

MITCHELL J.T (1988), History, status and future of CISD. Jal of Emergency Medical Services, 13, 49-52.

MITCHELL J.T., EVERLY G.S. (1995) – Critical incident stress debriefing (CISD) and the prevention of work-related traumatic stress among high risk occupational groups - in Everly J.S. et Lating M.J. Psychotraumatology. Key papers and core concepts in post-traumatic stress, Plenum Press, New York, 1995, chap. 16, pp. 267-280

MORSELLI A.(1916), Psichiatria di guerra, Bull. Academia Medic. di Genova, juil., 9, p. 6-7.

PATTON G.S. (1947), War as I Knew it, Boston, Houghton Mifflin, p. 340, 362 et 381.

RAHE R., KARSON S., HOWARD N. et al (1990), Psychological and physiological assessments on american hostages freed from captivity in Iran, Psychosom. Medicine, 52, p. 1-16.

RAINGEARD D., LEBIGOT F. (1996), Action psychologique et psychiatrique en faveur des soldats de l'opération Turquoise (Zaïre, Juillet-Août 1994), Ann. Médico-Psychol., 154, mai, 2, p.103-113.

RAPHAEL B (1986), When disaster strikes. Basic Books, New York, 1 vol.

38

ROUSSY G. et LHERMITTE J. (1917), Psychonévroses de guerre, Paris, Masson, 1 vol..

ROUSSY G, BOISSEAU J., D'OELSNITZ (1918), Traitement des psychonévroses de guerre, Paris, Masson, 1

SALMON T.W. (1917), Care and treatment of mental diseases and war neuroses (shell shock) n the British Army, Mental Hygiene, oct., I, p. 509-547.

SALMON T. W. (1917), War neuroses (shell-shock), Lectures, illustrated with motion picture films, prepared by Direction of the Surgeon General for use in the Medical Officers Training Camps, N.Y. National Comm. Mental Hygiene", Mil. Surg., déc., 41, p. 674-93.

SHALEV A. (1994), Debriefing following traumatic exposure, in R.J. Ursano, B. Mac Caughey et C.S. Fullerton, Individual and community responses to trauma and disaster, Cambridge University Press, Cambridge,III, 9, 201-219.

SHALEV A., PERI T., ROGEL-FUCHS Y. (1998), Historical group debriefing after combat exposure, Military Medicine, 163, 7, p. 494-498.

SHATAN C.F. (1974), Through the membrane of reality : impacted grief and perceptual dissonance among Vietnam veterans. Psychiatric Opinions, 11, 6-15.

SOKOL R. (1986), Treatment of victims in hostage situations, the USAREUR stress management team, in Comportements dans les catastrophes de guerre et de paix, Symposium de l'OTAN, par L. Crocq et al., 13-14 oct. 1986, document ronéotypé, p. 218-228.

SOLOMON Z. (1995), Therapeutic response to combat stress reaction during Israel's war, Jal of Traumatic Stress, 8, 2, p. 243-246.

TALBOT A., MANTON M., DUNN P.J. (1992), Debriefing the debriefers : an intervention strategy to assist psychologists after a crisis, Jal of Traumatic Stress, vol. 5, n° 1, 45-62.

VILA G., L.M. PORCHE, M. MOUREN-SIMEONI (1998), Etude longitudinale prospective de la pathologie psychotraumatique après une prise d'otages dans une école, Ann. Médico-Psychologiques, 156, 1, p. 14-20.

VITRY M. (1999), Le debriefing psychologique : une méthode, Nervure, XII, 6, p. 2-5.

WRIGHT K.M., BARTONE P. (1994), Community response to disaster : the Gander plane crash, in R.J. Ursano, Mc Caughey B., Fullerton C., Individual and Community Responses to Trauma and Disaster. The Structure of Human Chaos, Cambridge Univ. Press, chap. 12, p. 267-284.

39